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Quatrième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 31 janvier 2016)

Jérémie 1, 4-5.17-19 (« Je fais de toi un prophète pour les nations »)

La carrière prophétique de Jérémie commence vers l’an 627 et notre texte présente deux extraits du récit de sa vocation. Mais une *vocation se raconte souvent (et heureusement !) après coup, quand l’élu a expérimenté et compris à quelle mission Dieu l’avait appelé.
Jérémie constate que Dieu l’a choisi avant même sa naissance pour faire de lui un prophète pas comme les autres : « un prophète pour les nations ». Il parle au nom d’un Dieu qui exerce son action non seulement sur Israël, mais sur l’histoire de toutes les nations, et qui juge la conduite de tous les humains.
« Mets ta ceinture autour des reines », ne laisse pas pendre ton vêtement, car tu vas devoir te mettre au travail. « Lève-toi »… Chargé d’annoncer le jugement de Dieu contre un Israël impénitent, le prophète devra faire preuve de courage et subira de dures oppositions de la part des grands de son peuple ; on le jettera même dans une citerne (cf. Jérémie 38). Mais il découvrira qu’il n’a pas à trembler, sous peine de trahir le message du Dieu qui l’envoie et le « délivre » des complots ourdis contre lui. Faux espoir d’ailleurs, car Jérémie finira sa vie en Égypte, là où il ne voulait pas aller (Jérémie 43).
Dès son discours à la synagogue de Nazareth, Jésus se situe dans la lignée des prophètes dont l’action a débordé les frontières d’Israël. Dès ce moment, son peuple cherche sa perte ; mais Dieu le délivre, provisoirement, avant la croix, de ce danger qui l’empêcherait d’accomplir sa mission.

*Vocation et mission. La vocation de Jérémie s’inspire de celle de Moïse (Exode 3, 10-12). Mais c’est dès le sein de sa mère que Jérémie a été choisi et consacré par Dieu à son service. Si sa mission entre dans la catégorie des prophètes, sa vocation est un appel personnel qui fait de lui un prophète unique. De même, Paul revendiquera son rang d’apôtre (1 Corinthiens 9, 1-2), pour légitimer son travail missionnaire. Mais lorsqu’il évoque sa vocation propre (Galates 1, 15-16), c’est à la vocation de Jérémie qu’il se réfère (Jérémie 1, 5) et à celle du prophète Serviteur du Seigneur (Isaïe 49, 1), tous deux choisis dès le sein maternel. Tout croyant connaît cette tension entre le service d’Église qu’il exerce et son appel personnel reçu de Dieu.

 

Psaume 70 (« Toi, mon soutien dès avant ma naissance »)

Cette supplication livre sa clé au verset 9, omis légitimement par la liturgie de ce jour : Ne me rejette pas maintenant que j’ai vieilli ; alors que décline ma vigueur, ne m’abandonne pas.

Une première lecture

Au sein d’épreuves inhérentes à la vieillesse où l’on risque « d’être humilié pour toujours » en un monde devenu hostile, le poète biblique voit dans son Seigneur un rocher ferme, une forteresse, au-dessus de terrains mouvants et autres chaussées glissantes que redoute le troisième âge. L’espérance et la confiance du psalmiste s’appuient sur le souvenir d’une heureuse jeunesse fidèle à Dieu. L’auteur proclame – canne en main, imaginons-le ! – que le Seigneur a toujours été son appui, son soutien. Et cela en raison du projet divin d’accorder justice et salut à son futur fidèle, avant même sa naissance.
Ici se profile l’importance de la mémoire, la reconstruction par la mémoire d’une expérience, celle de la foi et de l’espérance. Au soir de sa vie, le psalmiste ne dit pas que la vieillesse est un naufrage ou que « c’était mieux avant ». Par une mémoire quasi juvénile, il contemple plutôt la fidélité du Seigneur à son égard, au long des ans : « Ma bouche annonce tout le jour », sans nostalgie, « tes actes de justice et de salut » qui m’accompagnent depuis ma jeunesse jusqu’à ma vieillesse.

La relecture liturgique de ce dimanche

Les psaumes, comme tout poème, se relisent sans cesse à travers l’histoire. Avec tous ses droits, la liturgie d’aujourd’hui détourne le sens originel du poème pour l’appliquer à la figure de Jérémie (1ère lecture). On ignore si celui-ci, traîné en Égypte contre son gré (Jérémie 42), a fait en ce pays « de vieux os ». Mais des rapprochements avec le psaume s’imposaient. Il a été choisi comme prophète dès le ventre maternel et appelé quand il était tout jeune, selon son objection, parallèle à celle de Moïse (Exode 4, 10) : « Ah, Seigneur mon Dieu ! Vois donc : je ne sais pas parler, je suis un gamin » (Jérémie 1, 6). C’est en tant que prophète, et non comme vieillard qu’il pouvait dire au Seigneur ; « Ma bouche annonce tout le jour tes actes de justice et de salut. » Il est invité à ne pas trembler dans sa difficile mission, à se considérer lui-même comme une forteresse, parce que, déclare le Seigneur, « je suis avec toi pour te délivrer ».
Bien sûr, tout chrétien, quelle que soit sa place dans l’Église et quels que soient son âge et ses épreuves peut s’approprier ce psaume et proclamer : « En toi, Seigneur, j’ai mon refuge. »

 

1 Corinthiens 12, 31 – 13, 13 (Hymne à la charité)

Depuis le chapitre 7 de l’épître, Paul répond aux questions que les Corinthiens lui ont adressées par écrit. Au chapitre 12, il tentait de classer les ministères, « les charismes », parce qu’à l’évidence, les ministres se jalousent entre eux et sèment la division. Le chapitre 14 soulignera la supériorité de la « prophétie », édification de la communauté à partir des Saintes Écritures, sur l’aspect clinquant du parler en langues. Auparavant, pour introduire ce message, l’Apôtre prend une hauteur lyrique dans ce qu’on appelle « l’hymne à la charité » : la *charité dépasse tous les services ecclésiaux ; elle est offerte à tout croyant comme le « charisme » fondamental, le don suprême de la grâce divine.
Paul recourt ici à un genre grec appelé « éloge de la plus haute vertu » (comparer Sagesse 7, 22 – 8, 1). La 1ère strophe se construit sur l’expression « j’aurais beau ». La connaissance des langues, avec le don de la prétendue langue des anges dit « glossolalie », la prophétie et la science des mystères divins, jusqu’à une foi miraculeuse et même l’ostentatoire distribution des biens aux affamés, tout cela ne vaut rien en l’absence de l’amour.
La 2e strophe personnifie l’Amour auquel 15 verbes donnent les plus hautes qualités d’humilité, de calme, de désintéressement et de totale patience.
La 3e strophe compare le temps présent dans lequel les Corinthiens surévaluent des donc transitoires (la prophétie, le parler en langues), aux temps futurs, l’état adulte qui aura pour repère définitif la vraie connaissance qui consiste dans les trois vertus : la foi, l’espérance et la charité. « Ce qui demeure » : sous la plume de Paul ce verbe signifie ce qui ne disparaitra jamais. Même dans le face-à-face avec Dieu, demeureront la foi comme confiance en lui et l’espérance comme aspiration sans cesse ravivée envers ses dons inépuisables ; mais la plus grande des vertus est la charité. Connaître vraiment, c’est aimer, comme Paul l’a souligné plus haut (1 Corinthiens 8, 1-2)

*Amour ou charité ? Il est difficile de traduire le mot grec agapè employé par Paul. Le mot charité tend à se dévaluer (« faire la charité ») et l’amour, dans l’usage courant, s’assimile trop souvent à l’affectivité, voire à la sensualité. Or, l’agapè, dans le Nouveau Testament, dépasse les variations saisonnières de l’affectivité. Dieu nous a aimés le premier et nous l’a prouvé dans le don de soi que fit le Christ sur la croix. En retour, la charité fraternelle, dépassant gratuitement les affinités familiales et sociales, prouve que nous commençons à comprendre l’amour gratuit de Dieu pour le monde (Jean 3, 16) et à en rendre témoignage.

 

Luc 4, 21-30 (Jésus, comme Élie et Élisée, n’est pas envoyé aux seuls Juifs)

Cette page d’évangile livre la suite de la scène commencée dimanche dernier, à savoir la prédication inaugurale de Jésus dans la synagogue de Nazareth, après son baptême et sa mise à l’épreuve au désert. Cet épisode, propre à saint Luc, permet à l’évangéliste de tracer le programme de son évangile et même des Actes des Apôtres.
Selon le scénario (« cette parole de l’Écriture [= Isaïe 61, 1-2], c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit »), Jésus prononce une homélie dont nous n’avons que la conclusion, due à un revirement de l’auditoire, aussi brusque que subtil sous la plume du narrateur. L’accueil est d’abord favorable : « Tous lui rendaient [un bon] témoignage ». La suite tourne à l’aigre. Si, en effet, le lecteur chrétien (nous !) reconnaît « le message de grâce » livré par Jésus, les Nazaréens, eux, « s’étonnent ». Le verbe peut signifier aussi « admirer » ; mais, chez Luc, le verbe a souvent le sens d’une incompréhension, Le scepticisme se précise par une question : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Le lecteur chrétien, lui, sait depuis la scène du baptême que Jésus est Fils de Dieu, mais pas l’auditoire de la synagogue.
La réponse de Jésus, à travers deux proverbes, précise un malentendu complexe et contradictoire. D’une part, en tant que « fils de Joseph », de classe très moyenne, comment ce prédicateur prétend-il accomplir les Saintes Écritures ? Mais, d’autre part, s’il a des talents de prophète et de guérisseur, pourquoi les exercer à Capharnaüm, et non dans sa propre patrie ? Luc s’exprime ici selon la culture grecque : Quiconque a de merveilleux pouvoirs doit d’abord en faire bénéficier sa cité d’origine. On lui dresserait une statue et la ville y gagnerait en célébrité.
L’affrontement permet à Jésus de préciser sa mission, comparée à celle d’*Élie et d’Élisée. Ces deux prophètes avaient exercé leur ministère hors d’Israël, en Samarie. Le premier avait ressuscité le fils de la veuve de Sarepta (1 Rois 17, 17-24), le second avait purifié l’officier syrien de sa lèpre (2 Rois 5). Certes, c’est en Israël que Jésus ressuscitera le fils d’une veuve (Luc 7, 11-17), mais il louera un « bon Samaritain » (Luc 10, 29-37), un étranger et, dans l’épisode des dix lépreux guéris, le Samaritain seul se montrera reconnaissant (Luc 17, 15-18).
L’épisode de la synagogue devient tragique. Les auditeurs de la synagogue semblent comprendre que leur privilège de Peuple élu est battu en brèche par le programme universel de Jésus. Luc ignore que Nazareth n’est pas bâtie sur un « escarpement », mais il a besoin de ce relief pour signifier un projet de lapidation. En effet, les règles juives de la lapidation consistaient à précipiter le condamné depuis une hauteur et à l’achever à coups de pierres s’il n’était pas encore mort. En d’autres termes, les Nazaréens veulent exécuter Jésus comme faux prophète (comparer Luc 13, 34).
Le dénouement est étonnant : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait (son chemin). » Au vrai, nous devons passer de l’étonnement à l’émerveillement face au génie de l’évangéliste. En effet, par cette phrase, la caméra de Luc sort du champ d’un fait divers pour embrasser toute la destinée de Jésus et de sa Bonne Nouvelle. « Passant au milieu d’eux » : cette expression deviendra, dans le discours de Pierre chez Corneille, un résumé de la mission terrestre de Jésus : « Lui qui a passé en faisant le bien » (Actes 10, 38). « Il allait (son chemin) » : ce verbe annonce le moment décisif et solennel où Jésus commence son voyage vers Jérusalem, verset qui se traduit ainsi, de manière littérale et rugueuse : « Il arriva, comme s’accomplissaient les jours de son enlèvement, que lui-même endurcit sa face pour aller vers Jérusalem » (Luc 9, 51). Il ira vers Jérusalem pour son « enlèvement », c’est-à-dire à la fois sa mort et son Ascension qui ouvriront l’annonce universelle de l’Évangile.
La dimension universelle de la Bonne Nouvelle n’est jamais une évidence, mais un drame, aujourd’hui encore. Pour honorer cette dimension, il nous faut, sans prétention, renoncer à nos privilèges de « bien-pensants » et savoir reconnaître l’accueil des valeurs évangéliques par des personnes et des groupes les plus inattendus. Ce drame de l’ouverture, les premiers chrétiens l’auront vécu dans la tension entre l’Église et le monde juif. La véritable conclusion de l’épisode de Jésus à la synagogue se trouve dans la déclaration finale de Paul à l’adresse des Juifs de Rome : « Sachez-le : c’est aux païens qu’a été envoyé ce salut de Dieu. Eux, ils écouteront » (Actes 28, 28).

*Élie. Au temps de saint Luc, Élie n’est pas seulement le prophète antique, mais celui dont le judaïsme attendait le retour pour la fin des temps (lire Malachie 3, 23-24). La tradition évangélique a vu en Jean Baptiste ce nouvel Élie (voir Matthieu 17, 9-13). Luc, lui, a contesté cette interprétation et a vu en Jésus lui-même le nouvel Élie, notamment en raison du caractère universel, depuis la Samarie jusqu’au bout du monde (Actes 1, 8), de son Évangile.




Quatrième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

L’Esprit Saint rend témoignage à Jésus (Lc 4,21-30)

 

En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” »
Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère.
Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux.

Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

ste trinité « Dieu est Amour », nous dit St Jean (1Jn 4,8.16), une affirmation valable pour chacune des Trois Personnes divines : le Père, le Fils et l’Esprit Saint…
Le Père est donc Amour : « Le Père aime le Fils et il a tout donné, il donne tout, en sa main » (Jn 3,35). C’est peut-être de ce verset que Ste Thérèse de Lisieux s’est inspirée lorsqu’elle a écrit : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même », un principe à appliquer pour Dieu au pied de la lettre… Le Père est Lumière ? Il aime le Fils et lui donne tout : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15). Le Fils sera donc lui aussi « Lumière » en tant qu’il est « Lumière né de la Lumière », et cela « avant tous les siècles »…
Mais si « Dieu est Amour » et si le Fils est « vrai Dieu né du vrai Dieu », il sera donc lui aussi Amour. Sur la base de ce Don qu’il reçoit du Père, il va donc aimer, et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même »… Le Père aime, il se donne, il engendre le Fils… Le Fils unique-engendré aime, il se donne et du Don du Père et du Fils « procède » « l’Esprit Saint qui est Seigneur » et qui « reçoit même adoration et même gloire » comme nous le confessons dans notre Crédo. Le Fils est « de même nature que le Père » en tant qu’il se reçoit du Père depuis toujours et pour toujours ? Il en sera de même de « l’Esprit Saint » en tant qu’il se reçoit, Lui, du Père et du Fils depuis toujours et pour toujours…
Mais si « Dieu est Amour », l’Esprit Saint lui aussi est « Amour », et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ». L’Esprit Saint Personne divine est donc tout entier Don de Lui-même, de ce qu’il est en Lui-même. Or, « Dieu est Esprit », nous dit Jésus (Jn 4,42), et « Dieu est Saint » (Lv 11,44). Notons ici, à la différence du nom propre « Esprit Saint » qui désigne une Personne divine unique, que les deux mots « Esprit » et « Saint » sont employés en tant que nom commun et adjectif pour nous dire ce que Dieu est en lui-même : sa nature divine… « L’Esprit Saint » Personne divine donne donc « l’Esprit Saint » nature divine… « L’Esprit Saint se cache derrière ses dons » (P. Y. Congar).
Telle est toute l’œuvre de « l’Esprit Saint » Personne divine. Et c’est ainsi qu’il rend témoignage à Jésus. Le Fils nous parle de la Vie éternelle ? Au même moment, l’Esprit Saint nous donne cette Vie éternelle en nous communiquant « l’Esprit » nature divine, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63)… Quiconque ouvre son cœur à Jésus et à sa Parole, ne pourra donc qu’accueillir au même moment cet Esprit qui est Vie… Voilà ce qu’ont vécu ici les auditeurs de Jésus, et plus tard St Pierre : « Tu as les Paroles de la vie éternelle »…

 




Audience Générale du Mercredi 20 Janvier 2016

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 20 janvier 2016


 

Frères et sœurs, nous sommes dans la Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens. Tous les chrétiens ont en commun le Baptême qui est, comme l’enseigne le Concile Vatican II, « le lien sacramentel d’unité existant entre ceux qui ont été régénérés par lui ». Et nous sommes tous appelés à redécouvrir ce don et les exigences qu’il comporte, au-delà de nos divisions. Partager le baptême signifie que tous – catholiques, protestants et orthodoxes – nous sommes pécheurs et nous avons besoin d’être sauvés. Nous partageons l’espérance de passer des ténèbres à la rencontre du Dieu vivant, plein de miséricorde. Le baptême crée entre tous les chrétiens un lien indissoluble qui les rend réellement frères, même s’ils ne sont pas encore un peuple pleinement uni. La miséricorde de Dieu, qui opère par le baptême, est plus forte que nos divisions, et nous avons pour mission commune d’annoncer cette miséricorde aux autres, en partant des plus pauvres et des plus abandonnés.

Je salue cordialement les pèlerins de langue française, en particulier les jeunes venus de France.

Je vous invite à vous unir à la prière de toute l’Église pour l’unité des Chrétiens, afin que nous trouvions les moyens de collaborer ensemble pour porter la miséricorde du Père par toute le terre.

Que Dieu vous bénisse !

 

 




Troisième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 24 janvier 2016)

Néhémie 8, 1-4a.5-6.8-10 (Le peuple de Dieu redécouvre la Parole)

Grandiose scène du Livre ! C’est la fête des Tentes, au septième mois, celui du nouvel an religieux. Tout Jérusalem s’assemble près d’un portail du palais royal pour entendre la Parole. Mais c’est une fête exceptionnelle, résultat d’une longue histoire, et dans un contexte peu clair.

Le cadre historique supposé par l’auteur biblique

À partir de 538, certains exilés de Babylone revinrent en Judée. Mais leur élan religieux fit long feu. Aussi, entre 445 et 398, deux réformateurs juifs vinrent de Babylone : Esdras, un prêtre versé dans les écrits mosaïques, et Néhémie, un gouverneur laïc. On ignore si les deux personnages travaillèrent jamais ensemble. Mais leur réforme réussit en partie. Elle visait, avec l’aval du gouvernement perse, à régler la vie de la Judée, sous l’égide de la Loi de Moïse comme constitution politique légitime.

La scène symbolique d’un nouveau départ de la communauté des croyants

La présente scène solennise cet engagement : on y sent quelque tristesse, celle d’avoir été infidèle aux commandements, et la joie de repartir à neuf avec Dieu. La joie du Seigneur est notre rempart, dit le texte : Jérusalem s’est déjà reconstruit une muraille, un rempart, mais encore bien fragile et le Temple reconstruit, telles chez nous les églises reconstruites après la Guerre, n’a plus la splendeur de celui de Salomon, mais la fidélité du Seigneur envers son peuple, quels que soient les constructions de clochers et autres minarets, est la meilleure des protections et des remparts.
Dans cette scène grandiose profile déjà *l’office synagogal du temps de Jésus. C’est, selon saint Luc, lors d’un office de la synagogue de Nazareth (évangile), un jour de sabbat, que Jésus proposera à son peuple une route nouvelle.

Quand des églises rurales ou urbaines sont « désaffectées », voire démolies, quel avenir construisent, dans l’espérance, les communautés concernées ? Églises détruites au Proche Orient…, transformées en mosquées ailleurs…

*L’office synagogal. Dans la scène de Néhémie 8, l’auteur a en tête le scénario d’un office à la synagogue, le matin du sabbat. Le lecteur (Esdras) lit la Loi sur l’estrade qu’on appellera la chaire de Moïse (Matthieu 23, 2-3). On commence par des bénédictions et des prières (Quand il ouvrit le livre…). Puis vient la lecture. Esdras lisait un passage…, c’est-à-dire le texte hébreu; les lévites traduisaient, en araméen, qui était la langue du peuple – et cette traduction s’appelait le targoum ; et ils donnaient le sens : c’est l’homélie.

Psaume 18B (« La loi du Seigneur est parfaite »)

Ce psaume 18B appartient à un poème qui chante d’abord (psaume 18A) la création divine qui est un récit silencieux pour l’homme : « Pas de voix dans ce récit, pas de voix qui s’entende. » (verset 4). Mais le soleil de la création prend lumière et voix (Psaume 18B) dans la Loi, la Parole, que Dieu offre aux croyants.
Bien entendu, ce psaume 18B fait aujourd’hui écho à la redécouverte de la Loi, de la Parole de Dieu chez les croyants juifs revenus de l’exil de Babylone. Nous notons les termes par lesquels le poète évoque cette Parole divine : charte, préceptes, commandements, décisions. Ajoutons ses effets. Cette parole redonne vie ; elle rend intelligents les moins instruits ; elle réjouit le cœur, rend clair le regard sur le quotidien et sur le monde. Du point de vue moral, elle inspire la justice et l’équité. Elle suscite, chez ceux qui la reçoivent, la joie, l’intelligence, la crainte respectueuse. D’où le murmure du croyant apaisé qui récite la Loi s’appuie sur le roc et son défenseur qu’est Dieu.
Le lectionnaire a sauté cette expression du psaume : « Les décisions du Seigneur sont (…) plus savoureuses que le miel qui coule des rayons. » On comprend cette omission. De nos cinq sens, les chants liturgiques d’aujourd’hui les plus beaux évoquent la vue, l’ouïe, le toucher (« la main »). Mais où sont le goût (du miel !) et l’odorat (« la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement », Psaume 44, 9) ? Le sentir et le goûter entrent aussi dans l’expérience symbolique de la foi.

 

1 Corinthiens 12, 12-30 (Diversité des membres dans l’unité du corps du Christ)

Nous avons vu dimanche dernier à quel problème Paul répond en 1 Corinthiens 12. Pour conjurer les divisions dans l’Église de Corinthe, il recourt à présent à l’image du corps :
1. Notre corps est la figure qui unifie nos membres ; de même le Christ : lui seul unifie en lui les chrétiens de toute condition sociale, grâce à l’Esprit reçu dans le baptême et l’eucharistie.
2. Le corps n’est pas un seul membre… Paul insiste sur la nécessaire diversité des *membres et leur interdépendance. Puis il souligne ceci (Bien plus, les parties du corps …) : si nous vêtons décemment nos membres dits « honteux » (les parties génitales), honorons aussi les membres les plus fragiles de la communauté et vivons un soutien mutuel qui manifeste l’unité du corps du Christ.
3. Concrètement, parmi ceux que Dieu a placés dans l’Église au service de ses membres, il y a les trois ministères de la Parole (apôtre, prophète, enseignant), puis divers services. En queue, Paul met à dessein le « parler en langues » (en langage mystérieux ; voir 1 Corinthiens 14, 2.23), parce que les Corinthiens ont une admiration exagérée pour ce phénomène.
Tout le monde ne fait pas tout ! Pour Paul, l’unité ne réside pas dans l’uniformité, mais dans la reconnaissance mutuelle des dons de Dieu à son Église. Une lecture détaillée de la liste des ministères montre que ceux-ci répondent aux besoins fondamentaux de tout groupe humain : le sens de l’unité, le souci de l’objectif et l’attention aux faibles.

*Le corps et les membres. Au 5e siècle avant notre ère, la plèbe de Rome se révolta contre le Sénat jugé improductif et nuisible pour les basses couches du peuple. Le consul Ménénius Agrippa résolut le conflit en racontant la fable des membres et de l’estomac, reprise souvent depuis (cf. La Fontaine), à savoir, sans le gouvernement (le cerveau, dirait-on aujourd’hui !), les pauvres seraient encore plus pauvres. Paul connaît cet apologue. Mais, pour lui et contre la simple interprétation politique de la fable, les chrétiens sont membres les uns des autres parce qu’ils sont ensemble corps du Christ : leur unité ne vient pas d’une complémentarité sociale, mais du fait que tous et chacun, quelles que soient leurs classes sociales, appartiennent au Christ, à égalité – qu’ainsi soit-il !


Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21 (« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture »)

Nous entendons d’abord *le Prologue de Luc (Luc 1, 1-4) ; car aujourd’hui commence la lecture suivie de cet évangéliste (avant l’entrée en Carême). On saute ensuite au discours inaugural de Jésus dans la synagogue de Nazareth (Luc 4), le jour du sabbat. Mais nous ne lisons que la première partie de la scène : la suite viendra dimanche prochain !

Le cadre : une première tournée en Galilée

Selon le prélude à ce sabbat, Jésus entreprend en Galilée une brillante tournée et sa tribune favorite, comme celle des apôtres plus tard, est la synagogue, lieu central de la vie juive. C’est « avec la puissance de l’Esprit » que Jésus inaugure sa mission, l’Esprit qui s’est emparé de lui au baptême (Luc 3, 22) et l’a conduit au désert pour y être mis à l’épreuve, au seuil de sa mission (4, 1). Quel est cet Esprit qui marque tant les débuts de Jésus ? À cette question répond la scène de la synagogue de Nazareth.

La mise en scène de l’office synagogal du sabbat

En Terre sainte, on lisait d’abord, en hébreu, un passage de la Loi de Moïse et sa traduction dans la langue vivante, l’araméen. Puis venait un petit texte tiré des prophètes éclairant le passage de la Loi. On passait alors à l’homélie. Au temps de Jésus, n’importe qui pouvait, à l’invitation du chef de la synagogue, faire la lecture et l’homélie, et le choix des textes bibliques était assez libre. Jésus s’arrête à Isaïe 61, 1-2. Il aurait donc déroulé presque tout le rouleau d’Isaïe qui comporte 66 chapitres : c’est bien un choix. Ensuite, il prononcera l’homélie (cf. dimanche prochain).

Une lecture du livre d’Isaïe

Le texte d’Isaïe 61, 1-2 (« l’Esprit du Seigneur est sur moi ») présentait la vocation d’un prophète qui recevrait l’onction de l’Esprit pour proclamer une Bonne Nouvelle (un « évangile ») de libération en faveur des pauvres et de tous ceux qui considèrent leur vie comme un cachot sans lumière. Bien sûr, c’est l’évangéliste qui reconstruit cette scène pour nous expliquer quelle est la mission de Jésus. C’est aussi pourquoi il n’hésite pas à supprimer la promesse « du jour de vengeance » que l’on trouve en Isaïe 61, 2. « L’annonce d’une année de bienfaits accordée par le Seigneur » est une allusion à l’institution juive de l’année jubilaire (tous les 49 ans, voir Lévitique 25, 10-13) en laquelle les dettes étaient remises, les esclaves libérés, les captifs amnistiés. Jésus vient inaugurer une sorte d’année jubilaire définitive.

Le Seigneur m’a oint

Dans l’Ancien Testament, trois personnages peuvent être appelés « messies », c’est-à-dire oints, consacrés par l’Esprit en vue d’une fonction et d’une mission : le roi d’Israël, le grand prêtre, le prophète. Pour saint Luc, Jésus sera consacré comme messie royal par son Ascension auprès du Père (voir Actes 2, 36). Durant sa vie terrestre, il est messie en tant que prophète envoyé aux pauvres, à ceux qui sont opprimés par la société ou par leur propre conduite de pécheurs. Nous savons à présent que l’Esprit apparu au Jourdain pour investir Jésus est celui qui anime les prophètes. Oui, « aujourd’hui », jusque dans notre aujourd’hui, avec les actes et les paroles à venir de Jésus, la prophétie d’Isaïe 61,1-2 « s’accomplit », trouve sa pleine réalité. Dimanche prochain, en effet, nous découvrirons que la mission de ce prophète-messie déborde les frontières d’Israël.

*Le Prologue de l’Évangile de Luc 1, 1-4. En rédigeant ses quatre premiers versets à la manière des prologues aux traités scientifiques ou historiques des auteurs de son temps, Luc fait entrer l’Évangile dans la grande littérature. Comme dans ces prologues, il s’adresse à un destinataire, Théophile, un païen devenu chrétien, qui a peut-être une place en vue dans l’Empire, à moins qu’il ne s’agisse, comme il arrivait dans cette manière d’écrire, d’un personnage fictif représentant tous les lecteurs (vous et moi !). Luc, il le précise lui-même, ne fait pas partie des « témoins oculaires », les apôtres, qui devinrent ensuite des prédicateurs, « serviteurs de la Parole », comme le raconteront les Actes des Apôtres. Il appartient à la seconde génération chrétienne. Il travaille sur les traditions qu’ont « transmises » les premiers témoins « dès le commencement », c’est-à-dire, selon la pensée de Luc, depuis le baptême de Jésus par Jean, véritable commencement de l’Évangile (voir Actes 10, 37 – les récits de l’enfance de Jésus sont, pour Luc, une préface). L’évangéliste se propose d’écrire « un exposé suivi », non point tant chronologique que théologique, pour montrer comment, avec le Christ, Dieu est intervenu dans notre histoire. L’Évangile n’est pas un reportage, mais un murissement de la foi des premières générations chrétiennes.




Troisième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

La Bonne Nouvelle du Pardon (Lc 1,1-4 ; 4,14-21)

Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous,
d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole.
C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi,
afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus.
Lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région.
Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge.
Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

3ième dimanche ordinaire c1 

Au baptême de Jésus, son Mystère de Fils avait commencé à se révéler : « Le ciel s’ouvrit, et l’Esprit Saint descendit sur lui », un Esprit donné en fait depuis toujours et pour toujours par le Père qui l’engendre ainsi en Fils, « né du Père avant tous les siècles, Dieu né de Dieu »… « L’Esprit du Seigneur est sur moi », dit-il ici en citant le prophète Isaïe…
Comblé de toute éternité par le Père, le Fils ne va pas cesser de lui rendre témoignage. « Jésus tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint et dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre » (Lc 10,21-22)… Ah, « si tu savais le Don de Dieu ! » (Jn 4,10). « Je vis par le Père », car « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,57.63)… « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22) ! Telle est « la Bonne Nouvelle » de ce Dieu Père, Amour et Don de Lui-même qu’il est venu nous révéler afin que nous vivions nous aussi, dès maintenant et le plus pleinement possible, de cette Vie qui ne cesse de jaillir du Père de toute éternité…
Mais en se détournant de Dieu, l’humanité a abandonné sa Source de Vie (Jr 2,13), et elle s’est privée elle-même de cette Plénitude de Vie que Dieu veut voir régner dans tous les cœurs (Rm 3,23). Que ses enfants ne soient pas pleinement heureux, qu’ils connaissent la souffrance, l’angoisse, la détresse par suite de leurs fautes (Rm 2,9), voilà ce que Dieu ne supporte pas : « Dieu a tant aimé le monde… qu’il a envoyé son Fils dans le monde non pas pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui… Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (Jn 3,16-17 ; 1Tm 2,4-6).
Toute la mission du Fils est donc de travailler à cette réconciliation des hommes avec Dieu en leur offrant gratuitement, par amour, le pardon de toutes ces fautes par lesquelles ils se sont eux-mêmes privés de la Plénitude de sa Vie (Rm 6,23). Serons-nous assez « pauvres » de cœur pour reconnaître nos misères ? Ne sommes-nous pas tous « prisonniers » de tel ou tel mal qui nous « opprime » en fait, en ne nous apportant jamais le bonheur espéré ? Lui, il est venu nous offrir la « libération », la « liberté », un même mot grec, ἄφεσις, répété ici deux fois et qui partout ailleurs sera traduit par « pardon » (Lc 1,77 ; 3,3 ; 24,47)… L’accepterons-nous en vérité ? Car « celui qui fait la vérité » sur ses misères « vient à la Lumière » du « Père des Miséricordes » qui « exerce la Miséricorde en rayonnant de joie », heureux de ce vrai Bonheur qu’il sait pouvoir nous donner pour notre plus grande joie (Jn 3,21 ; 2Co 1,3 ; Rm 12,8 ; So 3,16-18 ; Jn 15,11 ; 17,13) ! DJF




« OÙ EST VOTRE DIEU ? » (Mgr Gilbert Aubry)

Ouverture de la Porte de la Miséricorde, le 13 décembre 2015, Cathédrale de Saint-Denis

 

Souvent, quand nous voulons avancer dans la vie, nous sommes comme devant un mur. Impossible. La société, l’Humanité s’enferment à l’intérieur de leurs murailles d’égoïsme, d’orgueil, de suffisance, de conflits, de haines, de guerres. Dans beaucoup de domaines, l’Humanité n’en fait qu’à sa tête et, même, renie Dieu. Pourtant, avec l’incarnation de son Verbe en Marie, Dieu s’est situé délibérément du côté de l’Homme, du côté des hommes. Le Verbe par qui Dieu Notre Père a tout créé, le Verbe par qui tout existe maintenant, le Verbe de vie s’est fait chair. Saint Jean a contemplé ce mystère en contemplant Jésus. Jean a entendu Jésus ; il l’a vu de ses yeux, il l’a touché. Jean proclame la vie éternelle, il veut nous faire cheminer à la suite de Celui qui est « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6).

Croix Alain Dumas

Jésus-Verbe-de-Vie nous conduit à Dieu Notre Père et à nos frères en même temps. Dieu, en Jésus-Christ, se situe du côté des hommes. Il prend parti pour leur bonheur. Ceux-ci vont le tuer et enfermer son corps dans un tombeau. Mais les murailles de la mort et de l’inhumanité ont explosé avec l’humanité glorifiée de Jésus au cœur du Père, au souffle de l’Esprit qui renouvelle la face de la terre et veut renouveler le cœur des hommes. L’échange réciproque d’amour entre le Père et le Fils rayonne un seul et même Esprit. La relation d’amour est donc rétablie par le Verbe-fait-chair, Jésus-Christ, entre Dieu et l’homme, entre l’homme et Dieu, entre tous les hommes, entre tous les hommes et la Création, entre le monde visible et invisible.

Le cœur de Jésus, son saint cœur transpercé par la lance, son sacré-cœur, devient la référence de toute relation à réussir entre les hommes, entre les hommes et Dieu, entre les hommes et la création. Avoir le regard du cœur, sentir avec le cœur, agir avec le cœur. Jésus a le visage lacéré par les coups, il a le cœur déchiré jusqu’au bout de l’amour. Il manifeste ainsi la miséricorde infinie du Père pour ses enfants qui ont besoin de retrouver le chemin du bonheur. Jésus donne l’exemple du jusqu’au bout de l’Amour parce qu’il est fidèle à la mission de révéler le Père et qu’Il donne l’Esprit qui renouvelle les relations humaines, à tous les niveaux. Après la rencontre avec la personne de Jésus crucifié et ressuscité et Verbe de Vie depuis toujours et à toujours, rien ne peut plus être comme avant : « Par Lui, avec Lui et en Lui, à Toi, Dieu le Père tout Puissant, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles » (Canon de la messe).

Sacré Coeur Vézelay 2

La Puissance et la Gloire, cela ne se voit pas. On pourrait même se moquer de nous et nous combattre : « Où est votre Dieu ? » La Puissance et la Gloire sont encore cachées et attendent le moment d’être manifestées à nos yeux et à toute l’humanité. Mais, dans la foi, nous pouvons proclamer que la Puissance, l’Honneur et le Gloire sont réellement dans la patience de Dieu qui se soumet au temps, qui prend le temps de nous laisser le temps de la conversion. Il n’est pas en retard. Il n’est pas dépassé. Il nous dit que c’est le moment favorable pour que Lui prenne toute la place en chacun de nous. Que ce soit Lui qui vive en chacun de nous, en nous tous et entre nous tous ! Avec le cœur de Jésus uni substantiellement au Verbe de Vie et à nos cœurs, toutes nos relations humaines peuvent s’humaniser de miséricorde à l’Infini. Dieu ne fait plus peur. Il aime. N’ayons pas peur. Dieu se coule dans notre faiblesse, nos faiblesses, pour ne pas forcer notre liberté. Le Tout Puissant manifeste sa plus grande force quand il se rend faible en moi pour me fortifier en Lui. Il me fait confiance pour que je trouve une juste confiance en moi, dans les autres, dans la communion des saints. Nos relations quotidiennes sont appelées à être des relations de miséricorde.

Logo année de la Miséricorde

Le Verbe-fait-chair, Jésus crucifié-ressuscité est vraiment « le visage de la miséricorde » qui prend sur Lui toutes nos croix et les transfigure dans sa croix glorieuse. Jésus-en-nous peut être la réponse parfaite à l’amour du Père pour nous et aux besoins de nos frères autour de nous. Accueillir, écouter, comprendre, être compris, changer nos mentalités, ne pas juger les personnes tout en constatant des faits et en pouvant les partager, encore écouter, apprendre à dire, essayer de faire bouger les choses ensemble, s’encourager, demander pardon, accepter le pardon, recommencer à être ensemble, vivre ensemble, mieux vivre ensemble. Avec Jésus miséricordieux, c’est possible. « Heureux les Miséricordieux, ils obtiendront miséricorde ! » (Mt 5,7) Les œuvres de miséricorde deviennent possibles.

Jésus est le Seul Prêtre, le seul grand Prêtre capable de compatir à nos faiblesses et à celles de l’Humanité (cf. Heb 4, 14-16). Il nous faut donc nous approprier sa victoire sur le péché, sur le Mal et sur la Mort. Par sa résurrection et le don de l’Esprit, Jésus le Verbe de vie fait chair fait exploser les murailles d’enfermement, il fait une brèche dans un mur de désespoir. Il se tient debout au milieu de la brèche, les bras en croix dans la lumière, pour empêcher que les pans de murs ne s’écroulent sur ceux qui veulent être sauvés. En quelque sorte, il nous dit : « Passez ! Je suis la porte, il n’y a plus de voleurs, de brigands, de mercenaires, je suis là avec vous jusqu’à la fin des temps… »

Logo année de la Miséricorde - détailEt il est impossible pour nous de nous mettre à la suite de Jésus, de le suivre si nous ne portons pas notre croix chaque jour avec Lui, ne pas avoir honte de Lui. Comme Marie, il nous faut être debout au pied de sa croix. Notre monde déchiré aspire à un salut inavoué mais peut être secrètement attendu : notre monde travaillé par la miséricorde de Dieu est en gestation des cieux nouveaux et de la terre nouvelle. Nous sommes dans les douleurs de l’enfantement par la croix qui lui transperce le cœur et qui en même temps nous délivre à la vie. La mère de la miséricorde est une perle unique et resplendissante de la miséricorde se déversant sur les Temps nouveaux. Marie est la Nouvelle Eve d’une nouvelle genèse. Elle est disciple du jusqu’au bout de l’Amour dans une souffrance d’amour.

Marie - Musée de SensDéchirement d’un cœur de mère ! Elle a entendu son Fils intercéder pour tous les pécheurs, tous les larrons, tous les malfrats. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font… Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » Comment LA MERE oublierait-elle cette promesse de salut dans sa mission de nous prendre pour ses enfants en prenant saint Jean pour son fils ? « « Voici ton fils » ! Alors, comme le disciple bien-aimé, prenons Marie chez nous. Avec Marie contemplons « le visage de la Miséricorde » en contemplant le visage du « Verbe fait chair », du « crucifié – ressuscité ». Il nous offre la miséricorde à l’infini de son amour.

                                                                                                                    Mgr Gilbert Aubry




« Les entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Conseil Diocésain de Pastorale).

Cette expression nous vient directement de St Luc quand il nous rapporte ce que Zacharie déclara au jour de la circoncision de son fils, Jean‑Baptiste.

I – Nous commencerons donc par relire ces lignes du « Cantique de Zacharie » que nous connaissons tous et nous verrons le sens de ce mot « entrailles ».

II – Puis, à partir de quelques textes de l’AT, nous redirons avec le Pape François le cœur de notre foi : « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16 ; NT !).

III – Nous verrons que cet Amour inconditionnel et éternel ne cesse de prendre le visage de la Miséricorde, pour nous, pécheurs…

IV – Et nous terminerons, en constatant à l’aide de quelques textes du NT, que non seulement Dieu ne cesse d’aimer ceux qui font le mal, mais qu’en plus, leur situation personnelle le bouleverse au plus profond de lui-même : en effet, celui qui fait le mal ne peut que se plonger lui-même dans la souffrance, et voir un seul de ses enfants souffrir, voilà ce qui bouleverse le cœur de Dieu… Dans le respect de notre liberté, il ne pourra alors que nous presser à cesser de faire ce mal qui nous détruit, pour nous inviter à apprendre, petit à petit, avec Lui et grâce à Lui, de Miséricorde en Miséricorde, à faire ce bien qui nous construit, et qui ne peut en fait qu’être l’expression d’un cœur comblé par ce « Dieu Amour », « qui se donne gratuitement » (Pape François). Le fruit de ce Don gratuit, pour celles et ceux qui accepteront de le recevoir, sera alors un cœur comblé, renouvelé, ‘recréé’, enfanté à une vie nouvelle par ce Dieu Père qui nous aime, infiniment, avec toute la tendresse d’une Mère…

  I – Commençons donc par relire ces lignes de ce Cantique que Zacharie adresse à son fils Jean-Baptiste :

« Et toi petit enfant, tu seras appelé prophète du Très‑Haut ; car tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer les voies, pour donner à son peuple la connaissance du salut, par le pardon de ses péchés, grâce aux entrailles de Miséricorde de notre Dieu (διὰ σπλάγχνα ἐλέους θεοῦ ἡμῶν) dans lesquelles nous a visités l’Astre d’en Haut, pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, pour redresser nos pas au chemin de la paix » » (Lc 1,76-79).

Le mot « entrailles » traduit le grec « σπλάγχνα », pluriel de « σπλάγχνon ». Le dictionnaire Grec – Français « Bailly » donne pour « σπλάγχνon » (BAILLY M.A., « σπλάγχνon« , Dictionnaire Grec-Français (Paris 1930) p. 1779) :

« les entrailles » : 

I – Au propre :

                      1 – Les viscères principaux – cœur, poumon, foie – de l’homme ou des animaux (Il s’agit donc, très, très concrètement… des tripes…).

                       2 – Le sein de la mère (Soulignons cette connotation maternelle, et le fait que ce « sein de la mère » est le lieu de l’enfantement, de la création).

II – Au figuré :

                        1 – Le cœur, l’âme, comme siège des affections.

                         2 – Entrailles, cœur, âme, terme de tendresse.

red rose

  Le P. Ceslas Spicq écrit à ce sujet : « Dès le Vè-IVè siècle av JC, les σπλάγχνα désignent les « intérieurs » d’une victime immolée, que les règlements cultuels mentionnent parmi le casuel des prêtres, si bien que le verbe correspondant signifiera « consommer les entrailles ». Il s’agit, bien entendu, des parties nobles, car le mot s’applique aussi à l’homme, où l’on compte sept viscères : « l’estomac, le cœur, le poumon, la rate, le foie et les deux reins » (Philon d’Alexandrie, 25 av JC – 50 ap JC). Mais le mot s’étend aux intestins, au ventre, sans aucune précision physiologique ». En Ac 1,18, Luc rapporte la mort de Judas : « Cet homme est tombé la tête la première et il a éclaté par le milieu, et toutes ses entrailles se sont répandues, καὶ ἐξεχύθη (de ἐξ-χέω, verser hors de…, répandre) πάντα τὰ σπλάγχνα αὐτοῦ. ».

« On localise les sentiments dans les entrailles – puisqu’elles sont ce qu’il y a de plus intime et caché (Pr 26,22 ; Ps 22,15) – et elles sont alors synonymes de ce que nous appelons aujourd’hui « le cœur ». Ainsi, « les entrailles du père sont bouleversées à chaque cri de son fils » (Si 30,7)… Dans la Bible, les entrailles (hébreu : rahamîm) sont le siège de la compassion (Gn 43,30 ; 1R 3,26). Le singulier réhém en effet, désigne l’utérus, le sein maternel » ; de sorte que les entrailles sont d’abord le siège de la pitié de la mère pour ses enfants (Is 49,15), et l’on dit qu’elles frémissent (Is 16,11), résonnent et font du bruit (Is 43,15), bouillonnent (Lam 1,20) ou sont en ébullition (Job 30,27).

 

Soulignons trois textes de l’Ancien Testament :

1 – Is 63,15-17 : « Regarde du ciel et vois, depuis ta demeure sainte et glorieuse.

Où sont ta jalousie et ta puissance ?

Le frémissement de tes entrailles et tes tendresses (rahamîmH) pour moi

se sont-ils contenus ?

(LXX : ποῦ ἐστιν τὸ πλῆθος τοῦ ἐλέους σου καὶ τῶν οἰκτιρμῶν σου

Où sont la plénitude de ta miséricorde et tes compassions)

Paris Surréalistes+annexesPourtant tu es notre Père… (Hqui aime d’un amour maternel)

Toi, Yahvé, tu es notre Père, notre rédempteur,

tel est ton nom depuis toujours. »

 

 2 – Jr 31,20 : « Je l’aime, oui je l’aime, oracle du Seigneur » (avec une nuance de tendresse maternelle).

3 – Ex 34,6 (TOB) :

Moise-buisson-ardent« Le Seigneur passa devant Moïse et proclama :

Le Seigneur, le Seigneur, Dieu miséricordieux (H) et bienveillant,

lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté ».

LXX (34,6; la Septante, traduction grecque de l’AT (3° s ac JV ; Alexandrie):

Κύριος ὁ θεὸς οἰκτίρμων καὶ ἐλεήμων,

Seigneur Dieu compatissant (ou miséricordieux, les deux sens du Bailly) et

miséricordieux (ou compatissant, à nouveau les deux sens du Bailly).

μακρόθυμος καὶ πολυέλεος καὶ ἀληθινὸς.

           patient et « plein de miséricorde » et vrai (Bailly : véridique, sincère, vrai, réel).

Le Pape François fait allusion à ce dernier texte lorsqu’il écrit au tout début de la Bulle d’indiction de l’année Jubilaire de la Miséricorde (11 avril 2015) :

« Jésus Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier. Devenue vivante et visible, elle atteint son sommet en Jésus de Nazareth. Le Père, « riche en miséricorde » (Ep 2, 4), après avoir révélé son nom à Moïse comme « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Ex 34, 6) n’a pas cessé de faire connaître sa nature divine de différentes manières et en de nombreux moments ».

 

II – Le cœur de notre foi : « Dieu est Amour »

 « Il n’a pas cessé de faire connaître sa nature divine », c’est-à-dire ce qu’Il Est en Lui-même de toute éternité. Et nous retrouvons ici le cœur de notre foi. Le Pape François écrit d’ailleurs un peu plus loin (& 8): « Le regard fixé sur Jésus et son visage miséricordieux, nous pouvons accueillir l’amour de la Sainte Trinité. La mission que Jésus a reçue du Père a été de révéler le mystère de l’amour divin dans sa plénitude. L’évangéliste Jean affirme pour la première et unique fois dans toute l’Ecriture : « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16). Cet amour est désormais rendu visible et tangible dans toute la vie de Jésus. Sa personne n’est rien d’autre qu’amour, un amour qui se donne gratuitement. Les relations avec les personnes qui s’approchent de Lui ont quelque chose d’unique et de singulier. Les signes qu’il accomplit, surtout envers les pécheurs, les pauvres, les exclus, les malades et les souffrants, sont marqués par la miséricorde. Tout en Lui parle de miséricorde. Rien en Lui ne manque de compassion. »

Dieu-Amour« Dieu est amour », « un amour qui se donne gratuitement » pour le seul bien de la personne aimée. En tout ce qu’Il Est, « Dieu est amour » depuis toujours et pour toujours. Il ne sait donc faire qu’une seule chose : « aimer ». Or, aimer quelqu’un, c’est vouloir son bien et tout mettre en œuvre pour l’atteindre. « La miséricorde de Dieu est sa responsabilité envers nous. Il se sent responsable, c’est-à-dire qu’il veut notre bien et nous voir heureux, remplis de joie et de paix » (Pape François & 9). Voilà ce que Dieu veut pour tout homme sur cette terre, quel qu’il soit, car tous ont été créés par Lui « à son image et ressemblance » (Gn 1,26-28), tous sont filles et fils d’un seul et même Père… « Nous sommes aussi de sa race », dit St Paul aux philosophes d’Athènes en citant l’un d’entre eux, Aratus, poète du 3° s av JC, originaire de Cilicie.

Jr 31,37-41 : « Je vais les rassembler (…), et je les ferai demeurer en sécurité… Je conclurai avec eux une alliance éternelle : je ne cesserai pas de les suivre pour leur faire du bien… Je trouverai ma joie à leur faire du bien,… de tout mon cœur et de toute mon âme. »

Et comment Dieu se propose-t-il de « nous faire du bien » ? En nous comblant de ses bienfaits. Et quels sont-ils ? Rien de moins que ce qu’Il Est en Lui-même… La volonté de Dieu sur toute l’humanité, sans aucune exception, est que nous partagions tous sa Plénitude de vie, de paix, et de joie… C’est ce que Jésus, vrai Dieu et vrai homme, ne cesse de nous dire : « De même le Père, qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi… Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix… Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 6,57 ; 14,27 ; 15,11).

Esprit SaintEt Dieu ne peut pas nous donner plus que ce qu’Il Est en Lui-même… « Dieu Est Esprit » (Jn 4,24) ? « Recevez l’Esprit Saint » dit le Ressuscité à ses disciples (Jn 20,22), et « le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22).

« « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16), un amour qui se donne gratuitement », dit le Pape François. Et un peu plus loin, il ajoute : « Dans la miséricorde, nous avons la preuve de la façon dont Dieu nous aime. Il se donne tout entier, pour toujours, gratuitement, et sans rien demander en retour » (& 14). Ce que Dieu donne gratuitement, par amour, c’est en effet ce qu’Il Est tout entier, depuis toujours et pour toujours. Et « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), et « Dieu est Saint » (Lv 11,44-45 ; 17,1 ; 19,2). Il s’agit donc du Don de l’Esprit Saint, le Don de ce qu’il Est en Lui-même. Et par ce Don de « l’Esprit qui sanctifie » (2Th 2,13), nous sommes tous appelés à devenir pleinement, selon notre condition de créature, ce que Dieu Est de toute éternité ! Il ne peut y avoir de vocation plus grande, plus belle… Et c’est ce que Dieu veut pour tout homme… Or, nous dit le Psalmiste : « Tout ce que veut le Seigneur, il le fait » (Ps 135(134),6 ; 115(114),3). Et comment le fait-il ? En donnant gratuitement, par amour, ce qu’il Est en Lui-même depuis toujours et pour toujours : le Don de l’Esprit Saint…

III – Pour nous, pécheurs, l’Amour prend le visage de la Miséricorde

Ez 36,24-27 : (Vous qui avez profané mon Nom et qui avez été dispersés par suite de vos fautes), « je vous rassemblerai, je vous ramènerai vers votre sol…

Je verserai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ;

de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai.

Et je vous donnerai un cœur nouveau,

je mettrai (En hébreu comme en grec : je donnerai…) en vous un esprit nouveau,

j’enlèverai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair.

Je mettrai (je donnerai) mon Esprit en vous

et je ferai que vous marchiez selon mes lois

et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes. »

BaptemeLe Don de l’Amour, répété ici quatre fois, devient donc, pour le pécheur souillé, « une Eau Pure » qui le « purifie de toutes ses ordures »… Toutes, sans aucune exception, dès lors que l’on accepte de les présenter à Dieu, et de le laisser agir…

Et si le pécheur, privé du Don de l’Amour, et donc d’une Plénitude de Vie, fait l’expérience d’un état de mort intérieure, ce Don qui lui est toujours fait, envers et contre tout, sera pour lui « Eau Vive » « qui vivifie »… C’est ce qu’affirme Ezéchiel au chapitre suivant, en montrant Dieu agissant pour des morts enfermés dans leurs tombeaux, réduits à l’état de squelette, et donc, ne pouvant vraiment plus rien faire par eux-mêmes ! Tout ce qui arrivera pour eux ne pourra donc qu’être le fruit de l’initiative gratuite de l’Amour, et du Don tout aussi gratuit de l’Amour :

Ez 37,4-14 : « Ossements desséchés (et donc en manque d’eau), écoutez la parole du Seigneur.

Ainsi parle le Seigneur Dieu à ces ossements.

Voici que je vais faire entrer en vous l’Esprit et vous vivrez…

Ainsi parle le Seigneur Dieu. Voici que j’ouvre vos tombeaux ;

je vais vous faire remonter de vos tombeaux, mon peuple,

et je vous ramènerai sur votre sol.

resurrection2Vous saurez que je suis le Seigneur,  

lorsque j’ouvrirai vos tombeaux 

et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple.          

Je mettrai (Je donnerai) mon Esprit en vous et vous vivrez,        

et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, le Seigneur,

j’ai parlé et je fais, oracle du Seigneur » (cf. (Ps 135(134),6 ; 115(114),3).

 

Cette gratuité, nous la retrouvons dans le discours de Jésus sur la Montagne, lorsqu’il disait aux foules rassemblées autour de lui :

Mt 5,43-45 : « Vous avez entendu qu’il a été dit :

Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.

Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs,

afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux,

car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons,

et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. »

Fleurs...« Dieu est Esprit » (Jn 4,24) ? « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) ? « Le Seigneur fait donc lever son soleil sur les méchants et sur les bons » en donnant la Lumière de l’Esprit aux méchants comme aux bons… « Le Seigneur Dieu est un soleil, il est un bouclier ; le Seigneur donne la grâce », « l’Esprit de la grâce » (Hb 10,29), « il donne la gloire », « l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu » (1P 4,14) . « Jamais il ne refuse le bonheur à ceux qui vont sans reproche » (Ps 84(83),12), c’est-à-dire à ceux qui demeurent, de cœur, tournés vers Lui, dans la force comme dans la faiblesse… En effet, « heureux les pauvres de cœurs, car le Royaume des Cieux est à eux ». Pourquoi ? « Parce que votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume » (Lc 12,32). Et quelle réalité se cache derrière ce mot « Royaume » ? Un Mystère de Communion « dans l’unité d’un même Esprit » (Ep 4,3 ; 2Co 13,13), cet Esprit donné gratuitement à tous par l’Amour : « Le règne de Dieu », le Royaume des Cieux, « n’est pas affaire de nourriture ou de boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17).

Césarée de PhilippeNous avons vu comment Dieu « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons ». Et lorsque Jésus ajoute « et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes », il redit la même chose avec, cette fois, non plus l’image de la lumière, mais celle de l’eau. En effet, Dieu est souvent évoqué dans la Bible avec l’image d’une source : « Ils m’ont abandonné, moi, la Source d’Eau vive », dit-il en Jérémie (Jr 2,13 ; 17,13). Dieu est ainsi « Source d’Eau Vive », Don de l’Eau Vive et Pure de son Esprit (Jn 7,37-39), une Eau Vive qui « tombe en pluie sur les justes » pour les vivifier, les combler, leur offrir la Plénitude même de Dieu, une Eau Pure qui « tombe en pluie sur les injustes » pour les inviter, en frappant à la porte fermée de leur cœur (Ap 3,20), à lui ouvrir, à se tourner vers Lui de tout cœur. Alors, cette Eau Pure les purifiera de toutes leurs ordures, et leur permettra d’accueillir à leur tour la Plénitude de la vie éternelle… Notons avec ces images que nul homme sur cette terre n’est « juste » au sens de « sans péché »… « Tous sont soumis au péché… Il n’est pas de juste, pas un seul… Il n’est donc pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » Ainsi, nous sommes tous « des vases de miséricorde que Dieu a d’avance préparés pour sa Gloire » en les appelant à se tourner vers Lui de tout cœur, tels qu’ils sont, avec toutes leurs blessures et leurs misères, pour se laisser remplir par le Don de Dieu, le Don de « l’Esprit de Gloire, l’Esprit de Dieu » (Rm 3,9-26 ; 9,16 ; 9,23 ; 1P 4,14).

Nous sommes tous, en effet, des pécheurs qui avons continuellement besoin d’être pardonnés, lavés, relevés, fortifiés, soutenus… « La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché », écrit notre pape François (&2). Et souvenons-nous du jour de son élection, le 13 mars 2013. Le Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, écrit ainsi dans la préface du Livre du Pape François, « Amour, Service et Humilité » : « Aussitôt connus les résultats du cinquième scrutin du Conclave que nous venons de vivre, le Cardinal Bergoglio avait à répondre aux deux questions rituelles qui marquent la fin du Conclave et la levée du secret : « Acceptes-tu ton élection ? » et « Quel nom choisis-tu ? ». A la première, il a répondu : « Je suis pécheur et j’en ai conscience, mais j’ai une grande confiance dans la Miséricorde de Dieu. Puisque vous m’avez élu ou, plutôt, puisque Dieu m’a choisi, j’accepte. » »

Logo année de la Miséricorde

Ainsi, « Dieu veut faire miséricorde à tous » (Rm 11,32), « il veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4), « et tout ce que veut le Seigneur il le fait » (Ps 115,3 ; 135,6). « Il le fait », très concrètement, en donnant la Plénitude de son Esprit à tout homme, pour son seul bien, gratuitement, par amour… Et c’est ainsi que le Dieu qui, éternellement, est Amour, prend pour nous, pécheurs, le visage de la Miséricorde, car au cœur de notre misère, nous sommes tous invités à faire l’expérience que Dieu, de son côté, n’a jamais cessé de nous aimer, et donc de se donner à nous, gratuitement, par amour…

 

IV – Ces entrailles de Miséricorde sont aussi « compassion » pour le pécheur.

En effet, si Dieu nous a tous créés pour être remplis par ses bienfaits, connaître la Plénitude de sa Vie, participer à sa Lumière et à sa Gloire, le péché qui est abandon de Dieu, fermeture à Dieu, repli sur soi, ne peut que nous priver de tous ces dons… « Tous ont péché et sont privés de la Gloire de Dieu » (Rm 3,23).

Or, être privé de ce pour quoi nous avons été faits ne peut qu’être synonyme de souffrance, de mal être, de pleurs, de tristesse… « Souffrance et angoisse à toute âme humaine qui s’adonne au mal » (Rm 2,9).

Et le cœur de Dieu est bouleversé de compassion lorsqu’il voit un homme, un de ses enfants, souffrir, et cela quelque soit l’origine de sa souffrance, qu’il en soit responsable ou pas…

Logo année de la Miséricorde - détailOs 11,7-8 : « Mon peuple est cramponné à son infidélité.

On les appelle en haut, pas un qui se relève !

Comment t’abandonnerais-je, Éphraïm, te livrerais-je, Israël ?

Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent ».

Et la Bible de Jérusalem écrit en note : « Le mot « bouleversé » est très fort ; précisément celui qui est employé à propos de la destruction des cités coupables, (Gn 19,25; Dt 29,22) », conséquence de leurs péchés… Osée laisse entendre que ces conséquences désastreuses sont « comme vécues d’avance dans le cœur de Dieu. Cf. le cri de David à la mort d’Absalom, son fils (2S 19, 1) », qui pourtant s’était réjoui à l’avance de la mort de son père en accueillant le piège qu’Ahitophel voulait lui tendre (2S 17,1-4).

prodigueNous l’avons vu avec Osée, si l’homme est responsable de ses souffrances par suite du mal qu’il commet, Dieu, dans son Amour, ne peut que le presser à abandonner ce qui, en fait, malgré les apparences peut-être contraires, le plonge dans le mal être et la souffrance… Son seul désir est alors de tout nous pardonner, car Dieu ne regarde pas la faute en elle même, mais les conséquences de cette faute dans le cœur et la vie de celui qui l’a commise. Et encore une fois, son seul désir est de voir sa créature comblée par sa propre Plénitude. Alors, le premier cadeau qu’il fera au pécheur, sera le pardon de toutes ses fautes, et cela dans une attitude de Joie ( Lc 15 ; Rm 12,8) qui sera au même moment consolation (2Co 1,3-7 avec notes BJ), réconfort, encouragement pour celui qui accepte de répondre ainsi à l’Amour… En Lc 15, « Dieu est toujours présenté comme rempli de joie, surtout quand il pardonne » écrit le Pape François, car il ne poursuit que le bien de tous les hommes qu’il aime (Lc 2,14), et il se réjouit de voir ce « bien » triompher dans leur cœur et dans leur vie. « Nous y trouvons le noyau de l’Evangile et de notre foi », poursuit le Pape François, « car la miséricorde y est présentée comme la force victorieuse de tout, qui remplit le cœur d’amour, et qui console en pardonnant ».

« Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu, parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui que son service est accompli, que sa faute est expiée, qu’elle a reçu de la main du Seigneur deux fois le prix de toutes ses fautes » (Is 40,1), deux fois le prix de tout ce qu’elle aurait dû dépenser à l’époque pour acheter les animaux prescrits par la Loi et les offrir en sacrifices pour le pardon de ses péchés… Déjà, avec cette image d’Isaïe, nous avons la réalité de la surabondance de la Miséricorde de Dieu si bien exprimée par St Paul : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20). « En lui », le Christ, « nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce, qu’Il nous a prodiguée, en toute sagesse et intelligence » (Ep 1,7)… « Je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 10,10).

 

st jeanFace à toute souffrance, fut-elle provoquée par le mal, la seule attitude de Dieu est donc de consoler, réconforter, encourager, et inviter au repentir si cela est nécessaire… « J’entendis alors une voix clamer, du trône : Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu‑avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé » (Ap 21,3-4 ; cf. 2Co 1,3-7).

 Et cette réaction de Dieu est très concrètement manifestée dans les Evangiles chaque fois que le Christ est en relation avec des personnes qui souffrent… Notre verbe correspondant à « σπλάγχνα », écrit le P. Ceslas Spicq, est ainsi employé « trois fois pour Dieu (Mt 18,27 ; Lc 1,78 ; 15,20), une fois pour le bon Samaritain, et neuf fois pour le Christ, et cela presque toujours pour rendre compte de son intervention miraculeuse… Il s’agit d’abord d’une émotion physique, d’une authentique compassion devant l’état misérable du prochain (Lc 10,33), littéralement d’un mouvement des entrailles, suscité par la vue (Lc 7,13 ; 10,33 ; 15,20). Traduire le passif ™splagcn…sqh : « il eut pitié » serait donc presque un contre-sens ; « il fut pris (ou saisi) de pitié » serait meilleur ; le sens exact est : « il ressentit une viscérale compassion »[2]. Le Pape François écrit : « La miséricorde de Dieu n’est pas une idée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle Il révèle son amour comme celui d’un père et d’une mère qui se laissent émouvoir au plus profond d’eux mêmes par leur fils. Il est juste de parler d’un amour « viscéral ». Il vient du cœur comme un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et de compassion, d’indulgence et de pardon » (& 6).

Regardons les textes où le Christ intervient. « Ce qui animait Jésus en toute circonstance n’était rien d’autre que la miséricorde avec laquelle il lisait dans le cœur de ses interlocuteurs et répondait à leurs besoins les plus profonds » (Pape François &8).

1 – Mc 1,40-45 (v. 41) : « Un lépreux vient auprès de lui ; il le supplie et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » (41) Saisi de compassion, Jésus (Ἰησοῦς σπλαγχνισθείς) étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » (42) À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. (43) Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt (44) en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. » (45) Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui. »

Pape François embrasse un malade

2 – Mc 6,30-44 (v. 34) : « Les Apôtres se réunirent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. (31) Il leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger. (32) Alors, ils partirent en barque pour un endroit désert, à l’écart. (33) Les gens les virent s’éloigner, et beaucoup comprirent leur intention. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux. (34) En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, καὶ ἐσπλαγχνίσθη ἐπ’ αὐτοῖς, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement. »

Jésus voit « qu’ils étaient comme des brebis sans berger ». Alors, « bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même », il agit en Pasteur qui guide son troupeau par sa Parole, au son de sa voix, « et il se mit à les enseigner longuement ». Ce « longuement » souligne sa générosité. Il répond toujours à tous nos besoins en surabondance… « Mon Dieu comblera tous vos besoins, selon sa richesse, avec magnificence, dans le Christ Jésus » écrivait St Paul (Ph 4,19). C’est pourquoi, il invitait à se tourner vers lui « en tout besoin » : « N’entretenez aucun souci ; mais en tout besoin recourez à l’oraison et à la prière, pénétrées d’action de grâces, pour présenter vos requêtes à Dieu. Alors la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde vos cœurs et vos pensées, dans le Christ Jésus » (Ph 4,6-7).

Mais à parler longuement, l’heure avancera… La nuit tombe, et les endroits où l’on peut se ravitailler sont loin… Alors là aussi, les besoins de cette foule ne laisseront pas son cœur insensible, et ce sera la multiplication des pains…

En St Matthieu (Mt 14,14), dès qu’il descend de la barque, Jésus voit des infirmes et leur situation le bouleverse : il les guérira tous… « En débarquant, il vit une foule nombreuse et il fut saisi de compassion envers eux, Ἰησοῦς εἶδεν πολὺν ὄχλον, καὶ ἐσπλαγχνίσθη ἐπ’ αὐτοῖς ; et il guérit leurs infirmes, καὶ ἐθεράπευσεν τοὺς ἀρρώστους αὐτῶν ». « Face à la multitude qui le suivait », écrit le Pape François, « Jésus, voyant qu’ils étaient fatigués et épuisés, égarés et sans berger, éprouva au plus profond de son cœur, une grande compassion pour eux (cf. Mt 9,36 : ἐσπλαγχνίσθη περὶ αὐτῶν). En raison de cet amour de compassion, il guérit les malades qu’on lui présentait et il rassasia une grande foule avec peu de pains et de poissons (cf. Mt 15,37). »

3 – Mc 8,1-10 (v. 2 ; cf. Mt 15,32) : « En ces jours-là, comme il y avait de nouveau une grande foule, et que les gens n’avaient rien à manger, Jésus appelle à lui ses disciples et leur dit : (2) « J’ai de la compassion pour cette foule, Σπλαγχνίζομαι ἐπὶ τὸν ὄχλον, car depuis trois jours déjà ils restent auprès de moi, et n’ont rien à manger. (3) Si je les renvoie chez eux à jeun, ils vont défaillir en chemin, et certains d’entre eux sont venus de loin. » Et ce sera à nouveau une multiplication des pains…

Pape François bénit un infirme4 – Mc 9,22 :ici, c’est le père d’un enfant épileptique qui fait appel à la compassion de Jésus.  Il s’est d’abord adressé à ses disciples, mais ils n’ont rien pu pour lui… Alors, il vient voir directement Jésus et lui dit : « Si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par compassion envers nous, σπλαγχνισθεὶς ἐφ’ ἡμᾶς » « Jésus lui déclara : « Pourquoi dire : “Si tu peux”… ? Tout est possible pour celui qui croit. » Aussitôt le père de l’enfant s’écria : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » » (Mc 9,23‑24).

5 – Mt 20,29-34 (v. 34) : « Tandis que Jésus avec ses disciples sortait de Jéricho, une foule nombreuse se mit à le suivre. (30) Et voilà que deux aveugles, assis au bord de la route, apprenant que Jésus passait, crièrent : « Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! » (31)

La foule les rabroua pour les faire taire. Mais ils criaient encore plus fort : « Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! » (32) Jésus s’arrêta et les appela : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » (33) Ils répondent : « Seigneur, que nos yeux s’ouvrent ! » (34) Saisi de compassion, Σπλαγχνισθεὶς δὲ ὁ Ἰησοῦς, Jésus leur toucha les yeux ; aussitôt ils retrouvèrent la vue, et ils le suivirent. »

6 – Lc 7,11-17 (v. 13) : « Par la suite, Jésus se rendit dans une ville appelée Naïm. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu’une grande foule. (12) Il arriva près de la porte de la ville au moment où l’on emportait un mort pour l’enterrer ; c’était un fils unique, et sa mère était veuve. Une foule importante de la ville accompagnait cette femme. (13) Voyant celle-ci, le Seigneur fut saisi de compassion pour elle et lui dit : « Ne pleure pas. » Καὶ ἰδὼν αὐτὴν ὁ κύριος ἐσπλαγχνίσθη ἐπ’ αὐτῇ, καὶ εἶπεν αὐτῇ, Μὴ κλαῖε. (14) Il s’approcha et toucha le cercueil ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. »

VATICAN CITY, VATICAN - MARCH 24: Pope Francis kisses 8-month-old Victoria Maria Marino from Sicily after delivering his blessing to the palms and to the faithful gathered in St. Peter's Square during Palm Sunday Mass on March 24, 2013 in Vatican City, Vatican. Pope Francis lead his first mass of Holy Week as pontiff by celebrating Palm Sunday in front of thousands of faithful and clergy. The pope's first holy week will also incorporate him washing the feet of prisoners in a youth detention centre in Rome next Thursday, 28th March. (Photo by Dan Kitwood/Getty Images)

(15) Alors le mort se redressa et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère. (16) La crainte s’empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu en disant : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. » »

(17) Et cette parole sur Jésus se répandit dans la Judée entière et dans toute la région. »

« Lorsqu’il rencontra la veuve de Naïm qui emmenait son fils unique au tombeau, il éprouva une profonde compassion pour la douleur immense de cette mère en pleurs, et il lui redonna son fils, le ressuscitant de la mort (cf. Lc 7, 15) » (Pape François &8).

Nous concluerons en deux points :

 

1 – « Après avoir libéré le possédé de Gerasa, il lui donna cette mission : « Annonce tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde » (Mc 5, 19). L’appel de Matthieu est lui aussi inscrit sur l’horizon de la miséricorde. Passant devant le comptoir des impôts, Jésus regarda Matthieu dans les yeux. C’était un regard riche de miséricorde qui pardonnait les péchés de cet homme, et surmontant les résistances des autres disciples, il le choisit, lui, le pécheur et le publicain, pour devenir l’un des Douze » (Pape François &8), ces Douze que Jésus avait choisi « pour être avec lui et pour les envoyer prêcher » la Bonne Nouvelle de l’Amour (Mc 3,13-19).

Coeur de Jésus- Paray le MonialEn accueillant pour nous mêmes le pardon de toutes nos fautes donné en surabondance par Jésus, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), « l’Astre d’en haut qui nous a visités dans les entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,76-79), en découvrant l’absolue gratuité de l’Amour qui comble d’autant plus, par amour, ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les plus grands pécheurs (Lc 5,31-32), ceux qui, à leurs propres yeux et aux yeux des hommes, ne méritent surtout pas ce qu’ils ont reçu, nous sommes ensuite invités à travailler le plus possible avec le Christ pour que le plus grand nombre puisse aussi bénéficier gratuitement, par amour, de tous ces bienfaits… Car là se cache la vraie vie, la vraie joie, la vraie paix, un trésor devant lequel tout le reste ne peut que faire pâle figure… « Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ. (45) Ou encore : Le royaume des Cieux est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. (46) Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle » (Mt 13,44-46).

Les disciples de Jésus sont donc avant tout invités à être les heureux témoins de cette Miséricorde infinie qu’ils ont accueillie pour eux-mêmes… Apparaissant à ses disciples, le Christ ressuscité leur dit (Lc 24,46-48) : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, (47) et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. (48) À vous d’en être les témoins » (Lc 24,46-48). Témoins de la Résurrection, mais aussi témoins qu’une « conversion » sincère est aussitôt comblée par « le pardon des péchés » donné en surabondance… « Annonce tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde » (Mc 5, 19).

2 – Nous sommes tous invités à faire miséricorde à tous ceux et celles qui nous entourent, comme le Seigneur lui-même nous a faits miséricorde… Reprenons cet extrait de la Bulle d’Indiction du Pape François pour ce Jubilé extraordinaire de la Miséricorde que nous avons déjà cité peu après le début du second point, mais que nous allons reprendre en allant plus loin, jusqu’à nous, jusqu’à notre agir qui devrait être « à l’image et ressemblance » (Gn 1,26-27) de celui de Dieu :

FILE PHOTO 27DEC83 - Pope John Paul II meets with his would-be assasin, Turkish gunman Mehmet Ali Agca in his prison cell in December 1983. Italy granted Agca clemency June 13, the presidential palace said. Agca has still to serve part of a sentence in Turkey for killing a journalist in 1978. PH

« La miséricorde de Dieu est sa responsabilité envers nous. Il se sent responsable, c’est-à-dire qu’il veut notre bien et nous voir heureux, remplis de joie et de paix. L’amour miséricordieux des chrétiens doit être sur la même longueur d’onde. Comme le Père aime, ainsi aiment les enfants. Comme il est miséricordieux, ainsi sommes-nous appelés à être miséricordieux les uns envers les autres » (& 9). « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6,36 ; Nouvelle Traduction Liturgique). « Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant » (Lc 6,36 ; BJ). « Soyez généreux comme votre Père est généreux » (Lc 6,36 ; TOB). Telle est l’invitation que Jésus nous lance avec ce seul texte du Nouveau Testament où la notion « d’entrailles » de miséricorde et de compassion est appliquée à un homme, un Samaritain :

Lc 10,25-37 (v. 33) : « Et voici qu’un docteur de la Loi se leva

et mit Jésus à l’épreuve en disant :

« Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »

(26) Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? »

(27) L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »

(28) Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. »

 

(29) Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »

(30) Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. (31) Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté. (32) De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.

(33) Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion, καὶ ἰδὼν ἐσπλαγχνίσθη. (34) Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. (35) Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.”

(36) Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? »

(37) Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »

Pape François et l'Esprit Saint

« En résumé, nous sommes invités à vivre de miséricorde parce qu’il nous a d’abord été fait miséricorde.  Le pardon des offenses devient l’expression la plus manifeste de l’amour miséricordieux, et pour nous chrétiens, c’est un impératif auquel nous ne pouvons pas nous soustraire. Bien souvent, il nous semble difficile de pardonner ! Cependant, le pardon est le moyen déposé dans nos mains fragiles pour atteindre la paix du cœur. Se défaire de la rancœur, de la colère, de la violence et de la vengeance, est la condition nécessaire pour vivre heureux. Accueillons donc la demande de l’apôtre : « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère » (Ep 4, 26). Ecoutons surtout la parole de Jésus qui a établi la miséricorde comme idéal de vie, et comme critère de crédibilité de notre foi : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7). C’est la béatitude qui doit susciter notre engagement tout particulier en cette Année Sainte » (Pape François &9).

                                                                                                                      D. Jacques Fournier

[2] SPICQ C., « σπλάγχνon« , Lexique théologique du Nouveau Testament (Paris 1991) p. 1409s.

« Les entrailles de Miséricorde de notre Dieu » : cliquer sur le titre précédent pour accéder au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.




Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 17 janvier 2016)

Isaïe 62, 1-5 (Les noces de Dieu et de son peuple)

Ce texte est déjà proposé, chaque année, pour la Vigile de Noël. Pour rebâtir une relation d’amour, il ne suffit pas que l’offenseur reconnaisse ses torts. Il faut aussi que l’offensé assume le risque d’un recommencement. Les prophètes de l’exil à Babylone soulignaient les torts d’Israël dans la rupture avec Dieu. Les prophètes du Retour (ici celui qu’on appelle le Troisième Isaïe) proclament que le Seigneur épouse à nouveau son Peuple vu sous les traits d’une jeune épouse.
La première partie du poème annonce la restauration de Jérusalem, œuvre de la *justice de Dieu amenant un rayonnement international, une renaissance (un nom nouveau) et une promotion royale : le Seigneur tournera entre ses doigts la couronne nuptiale qui représente les remparts et les tours de la Ville. La seconde partie précise l’origine de cette nouveauté : c’est la recréation de l’Alliance, sous l’image des noces dans lesquelles Dieu se refait jeune homme et rend à l’épouse sa propre jeunesse.
Nul reproche à l’Infidèle ! Il y eut un temps pour le délaissement, le désert et les reproches ; il y a un temps pour le renouveau. La suite du poème, non retenue ici (v. 9), ajoute l’image du vin de la fête : « Les vendangeurs boiront le vin, dans mes parvis sacrés. » La nouvelle Alliance nuptiale promise, Jésus la réalise pour nous, inaugurée par le récit symbolique des noces de Cana (évangile)..

*La justice de Dieu n’est pas un « jugement ». Dieu est juste envers lui-même quand il réalise son projet de nous sauver. Ainsi le poème ajoute deux synonymes à la justice : le salut – et la gloire, c’est-à-dire le rayonnement bienfaisant de Dieu). Et puisque le pécheur ne mérite pas la justice de Dieu, celle-ci équivaut au pardon de Dieu : « Dans ta justice écoute mes appels… N’entre pas en jugement avec ton serviteur… » (Psaume 142, 1 s.). Telle fut la découverte d’Israël, et le pivot de la pensée de saint Paul.

Psaume 95 (« Le Seigneur est roi »)

De ce psaume, la liturgie d’aujourd’hui retient quatre strophes. Il appartient à une collection de sept poèmes qui célèbrent la royauté de Dieu et que pour cette raison on appelle « les psaumes du Règne ». Ce sont, selon la numérotation liturgique, les psaumes 46, 92, 94 à 98. Ils comportent généralement la formule « le Seigneur est roi » (ici dans la dernière strophe), que l’on peut traduire aussi « le Seigneur est devenu roi ». Car il s’agissait, dans les cours orientales, d’une acclamation « Untel est devenu roi ») saluant, au son du cor, l’intronisation d’un nouveau souverain (voir 2 Samuel 15, 10). Bien entendu, dans les « psaumes du Règne », personne n’intronise Dieu comme roi. C’est lui-même qui s’affirme et se révèle comme tel.
Ce poème est un des quelques psaumes où les vers vont trois par trois. D’ordinaire ils vont deux par deux, selon, techniquement parlant, un « parallélisme binaire ». Ici, le troisième vers ne fait qu’ajouter un surcroit de solennité au texte. Faites l’expérience : lisez chaque strophe en supprimant le troisième vers, et vous verrez que le sens ne change pas.
Le présent « psaume du Règne » invite à chanter un chant nouveau, parce que le Seigneur fait du neuf ? a fait du neuf ? va faire du neuf ? La plasticité des conjugaisons grammaticales dans la langue hébraïque permet de comprendre le texte simultanément dans ces trois perspectives temporelles. La nouveauté que l’on doit chanter, c’est le salut de Dieu, sa gloire, ses merveilles. La terre entière, tous les peuples, toutes les nations, les familles des peuples doivent s’associer à cette louange, car le règne de Dieu les concerne tous. Depuis toujours (passé) des païens, attirés par la splendeur du Temple, venaient en pèlerinage à Jérusalem. Déjà le Seigneur était ainsi leur roi. Le Peuple élu revient d’exil (présent) ; c’est aux yeux des nations la preuve de la puissance royale du Seigneur dans les événements politiques du monde. Un jour (futur), le Seigneur règnera vraiment sur toutes les familles des peuples. Passé, présent, avenir habitent simultanément la pensée et la sensibilité croyante du psalmiste.
Ces extraits du psaume veulent faire écho à la promesse de la restauration de Jérusalem (1èrelecture) : Les nations verront ta justice, tous les rois verront ta gloire, la gloire qu’apportera le Seigneur éblouissant de sainteté.

1 Corinthiens 12, 4-11 (« L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier »)

Chaque année (A, B, C), le temps ordinaire s’ouvre par une lecture semi-continue de la 1ère lettre aux, l’épître qui reflète au mieux la maanière dont saint Paul conçoit l’’Église, les relations au sein de l’Église. Cette année C, nous lisons la dernière partie de cette épître. L’Apôtre, chemin faisant, fait écho à des problèmes qui se répètent au long des âges.

Une situation trouble

La jeune Église de Corinthe gère mal ses indéniables richesses spirituelles. Lors des assemblées, ceux qui ont le don impressionnant de parler en langues inspirées par l’Esprit s’affichent comme des détenteurs privilégiés de l’Esprit Saint. Ceux qui assurent des fonctions moins spectaculaires s’en trouvent découragés, et cette compétition déchire l’unité de la communauté. Les Corinthiens ont écrit à Paul à ce sujet. La réponse couvre 1 Corinthiens 12 à 15 (extraits en ces 2e, 3e et 4e dimanches). L’Esprit Saint ne saurait vouloir ces déplorables rivalités.

Diversité et unité

Il faut lire et relire lentement, attentivement les trois phrases par lesquelles l’Apôtre introduit son raisonnement. C’est une mini-tapisserie aux fils très serrés. Les dons de la grâce (« charismes ») ont pour synonymes les services qui animent la communauté et les activités de ceux qui ont le sens de concret. Tout cela se manifeste en diverses personnes, de manière variée. Voilà la première trame de la tapisserie. Or, tout cela vient du même Esprit, du même Seigneur, du même Dieu (le Père). Telle est l’autre trame de la tapisserie. On comprend que, de manière subtile et ironique, l’attribution des charismes à l’Esprit, des services au Seigneur et des activités au Père sont dans la pensée de Paul une fausse répartition qui doit faire réagir le lecteur intelligent : on ne saurait diviser le rôle de ces trois instances divines qui veulent l’unité de leurs dons dans la diversité de ses manifestations. Mais, puisque certains membres de l’Église de Corinthe revendiquent le monopole de l’Esprit en raison de leur parler en langues mystérieuses, Paul va se concentrer sur la multipliciété des dons de cet Esprit.

Le riche marché des dons de l’Esprit

Aux uns de parler avec une sagesse qui guide la vie de leurs frères. À d’autres d’enraciner cette sagesse dans une connaissance, une intelligence explicite de l’Évangile. Aux uns de manifester leur foi de manière particulière et sans le vouloir ; à d’autres, stimulés par cet exemple, de traduire cette foi par des actes de guérison, voire par des miracles étonnants. À certains inspirés de prophétiser, d’expliquer dans l’assmbleée les Saintes Écritures ; à d’autres de discerner et de dire si leur interprétation est correcte. À d’autres enfin, le don de « parler en langues », ce qu’on appelle aujourd’hui la « glossolalie ». Hiérarchiquement, c’est pour Paul le dernier des charismes. Il n’a de valeur que s’il est interprété par les sages, par les hommes de foi reconnus pour tels, par les prophètes et leurs interprètes, danvantage catéchètes.

Le trépied : Évangile et Société

Dans ce subtil ballet entre les différents charismes dans l’Église, on repère, sans qu’il vaille la peine de s’attarder ici aux correspondances sociologiques, à savoir les trois instances différentes et les trois types de personnes qui, tel un trépied, assurent l’assise d’un groupe, d’une communauté et jusque dans les conseils municipaux (qu’un des trois pieds se casse, on tombe sur le cul !). Il y a ceux qui défendent mordicus l’objectif que s’est fixé le groupe, ceux qui sont plus sensibles à l’unité du groupe, malgré l’objectif fixé, et ceux qui veulent que le groupe tienne compte des faibles, de la minorité silencieuse. Ces rapprochements rappelés à-la-va-vite ont peut-être un intérêt, quand il s’agit des rapports entre l’Évangile selon Paul et la vie sociale.

*Les charismes. Le langage courant applique le mot charisme aux chefs qui s’imposent par des talents exceptionnels, cette autorité charismatique s’opposant aux institutions officielles gérant le quotidien. Rien de tel dans la pensée de Paul. Chez lui, le mot grec charisma signifie le don de la grâce de Dieu (Rm 5, 15-16) qui se spécifie en des manières de vivre (mariage ou célibat, 1 Co 7,7) ou en des services communautaires (Rm 12, 6; 1 Co 12). Ainsi, les charismes ne s’opposent pas à l’institution de l’Église : ils en sont l’âme.

Jean 2, 1-11 (les noces – la noce ? – de Cana)

En finale de ce récit, saint Jean caractérisera les Noces de Cana comme le commencement des signes de Jésus, la manifestation de sa gloire et le premier accès des disciples à la foi. Ces expressions si fortes suggèrent donc que ce simple épisode recèle en fait de très riches symboles, spécialement celui des *noces. Un terme finalement, difficile à traduire. Le lectionnaire introduit l’épisode en ces termes : Il y eut un mariage à Cana. Mais, autre traduction équivalente : « Il y eut une noce à Cana ». Notre tradition parle des Noces de Cana, au pluriel. Aurions-nous, dans notre langage d’aujourd’hui, quelque difficulté à distinguer entre « célébrer des noces » et « faire la noce » ?

La mère de Jésus

La mère de Jésus (Jean ne l’appelle jamais autrement) est interpellée en tant que Femme (comme au pied de la croix, Jean 19, 26). Elle représente Israël, figure féminine dans la Bible, mais cet Israël qui accueille Jésus et qui, au calvaire, sera confié au Disciple bien-aimé pour devenir l’Église (voir Jean 19, 25-27). Que me veux-tu ? Cette question marque une certaine distance. La mère de Jésus, l’Église, doit comprendre que l’Heure n’est pas encore venue, l’heure de la croix où se révélera le don total de l’amour de Dieu (Jn 19, 30.34) à travers l’effusion de l’eau, du sang et de l’esprit (ou l’Esprit). Mais la Femme anticipe cette heure par sa prière discrète qui nous vaut un premier signe. Tout ce qu’il vous dira, faites-le, demande-t-elle aux serviteurs. Elle relance ainsi l’engagement prononcé par Israël au pied du Sinaï : Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons (Exode 19, 8).

Le vin

Le vin, élément nécessaire à la fête, annonçait aussi dans la Bible la venue de Dieu ou de son Messie, une ère prospère où le vin coulerait à flots (voir Osée 2, 21-24 ; Isaïe 62, 9). Or, ce temps heureux est venu, signifié, dans le miracle, par l’équivalent de quelque 700 ou 800 bouteilles. Jean insiste sur le support de la merveille : six jarres de pierre destinées aux rites de purification, le chiffre six symbolisant l’imperfection (signe de l’époque de la pierre, c’est-à-dire des « cœurs de pierre », Ézékiel 36, 26). Ainsi Jésus comble de sa présence (jusqu’au bord !) l’histoire d’Israël parvenue à épuisement.

Qui est le marié ?

Au marié et au maître du repas revenait le soin de fournir la noce en vin. Les deux personnages sont de pales anonymes dans cet épisode et l’interpellation finale adressée au marié explique cet anonymat : le vrai maître du festin et le véritable Époux, encore ignoré des convives, est Jésus lui-même, comme le disent aussi les autres évangiles (voir Marc 2, 18-20). L’histoire sainte d’Israël avait déjà du vin à offrir, mais du moins bon. Dieu a gardé le bon vin jusqu’à maintenant, c’est-à-dire jusqu’à la manifestation de son Envoyé.

Le commencement des signes

Ses disciples crurent en lui, à commencer par la mère de Jésus qui s’affirme ici comme l’avant-garde des croyants. Cette foi, Jean ne la fonde pas sur un stock inespéré de bon vin, mais sur la capacité des lecteurs que nous sommes à saisir sous le récit les signes bibliques, inscrits dans les symboles de l’Ancien Testament, de la venue de Jésus. De la page de l’évangile, le lecteur d’aujourd’hui doit passer aux signes que le Seigneur continue d’opérer quand nous lui avouons nos manques de fête, de vie et de bonheur.

*Les noces. Les prophètes ont comparé à un mariage l’Alliance entre Dieu et son peuple. Mais souvent l’expérience du péché les ont conduits à considérer Israël comme une épouse infidèle (voir Ézékiel 16). C’est pourquoi ces noces devinrent objet d’espérance ; un jour, la tendresse divine restaurerait l’union bafouée : « Crie de joie, stérile… Ton créateur est ton époux… Comme une femme délaissée et accablée, le Seigneur t’a appelée » (Isaïe 54, 1-8 ; voir aussi la 1ère lecture).
Le Nouveau Testament voit dans l’œuvre de Jésus, surtout dans son triomphe pascal, la réalisation des noces espérées (l’Apocalypse de Jean parle des noces de l’Agneau, Apocalypse 19, 7; cf. 21, 2.9). Les évangélistes voient en Jésus lui-même l’Époux qui ouvre sur terre une ère de joie (Matthieu 9, 15), un époux qu’il faut encore attendre dans la vigilance (ibid., 25, 1-6), mais qui entretient déjà avec son Église des liens d’amour nuptial (Éphésiens 5, 25-32). Le mariage chrétien, quand il tient bon, veut témoigner de cette union de Dieu avec son peuple.




Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

« Le bon vin de l’Esprit » (Jn 2,1-12)


Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là.
Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres).
Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord.
Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent.
Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié
et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

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Dans l’Evangile selon St Jean, le récit du miracle des noces de Cana inaugure le ministère public de Jésus. Et il ne cesse de faire allusion à sa fin : « Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée », un clin d’œil à la Résurrection, « le troisième jour selon les Ecritures » (1Co 15,4). « Femme, que me veux-tu ? », demande ici Jésus à Marie. Et elle disparaît ensuite de l’Evangile pour ne réapparaître qu’au pied de la Croix, où Jésus l’appelle à nouveau « Femme ». Mère du Fils, elle sera désormais la Mère de l’humanité que Dieu appelle au salut : « Femme, voici ton fils… Voici ta Mère » (Jn 19,25-27).
Le Don de Jésus à Cana est donc un signe visible, matériel, du Don spirituel invisible qu’il est venu offrir au Nom de son Père à l’humanité toute entière, un Don qui sera à nouveau évoqué par le signe visible du sang et de l’eau jaillissant de son cœur ouvert sur la Croix : « L’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19,31-37). Or, on croyait à l’époque que « la vie de la chair est dans le sang » (Lv 17,11). Le sang versé de Jésus renvoie donc à sa Vie éternelle de Fils, qu’il est venu offrir gratuitement à tout homme pour que sa vocation de « fils » puisse également s’accomplir. « Je suis venu pour qu’on ait la Vie, et qu’on l’ait surabondante… Va dire à mes frères : je monte vers mon Dieu et votre Dieu, vers mon Père et votre Père… Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint » » (Jn 10,10 ; 20,17-22)…
Au moment du baptême de Jésus, « le ciel s’ouvrit » et du ciel « descendit » du Père sur le Fils la Plénitude de « l’Esprit Saint », en révélation de ce Don éternel que le Père ne cesse de faire au Fils, un Don par lequel il « l’engendre » en Fils, « né du Père avant tous les siècles. » « Comme le Père a la Vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la Vie en Lui-même », par ce Don de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 5,26 ; 6,63). Et sur la Croix, le cœur de chair de Jésus « s’ouvrit », et il en jaillit « du sang et de l’eau » en signe visible de ce cœur spirituel toujours ouvert du Fils d’où jaillissent des « fleuves d’eau vive » pour laver, purifier, vivifier et combler l’humanité tout entière (Jn 7,37-39)…
« Cherchez donc dans l’Esprit votre plénitude » (Ep 5,18), car « c’est par elle », comblés par le Don de l’Esprit, « que vous entrerez dans toute la Plénitude de Dieu » (Ep 3,18). Et cela ne pourra qu’être synonyme de bonheur profond, de paix, de joie… « Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22), une joie annoncée ici par ce « bon vin » de l’Esprit, donné en surabondance : plus de six cents litres ! DJF

 




Travailler à la paix ! (Mgr Gilbert Aubry)

Nous avons tous besoin d’aimer et d’être aimés. Pas de haine envers qui que ce soit. Ni envers les personnes ni les groupes religieux ni les peuples. Un an après l’attentat contre Charlie Hebdo, ce journal reste fidèle à lui-même, à la dérision, à la provocation, à une idée laïciste de la laïcité. Le contexte international a évolué. La kalachnikov sur l’image censée représenter Dieu fait penser aux terroristes de Daech. Le triangle sur la tête du fuyard déphasé et fuyant renvoie à des religions ou à une transcendance qui n’a rien à voir avec les terroristes. Si la une de Charlie Hebdo descend Daech, le télescopage des symboles fait indirectement le jeu de Daech : la division, la suspicion et la peur nous sautent à la figure. Peut-être la haine. Lecture au premier degré. Deuxième degré : le faux dieu s’enfuit. Ne pas rester sur la réaction immédiate, dépasser la peur, ne pas avoir honte de sa religion, relever la tête, avancer paisiblement et courageusement dans la vie. Cela me conduit à reprendre l’essentiel de ma réflexion d’il y a un an « Nos raisons de vivre ».

On ne peut pas se représenter Dieu car toute représentation de Dieu ne représenterait que l’idée de l’auteur ou de l’artiste qui prétendrait représenter Dieu, ou encore l’idée d’une caricature de Dieu. En disant le mot Dieu ou en priant Dieu, les religions, d’une manière ou d’une autre, font référence à la source de la vie, au Créateur, à l’origine qui est en même temps la fin de toute chose, à la lumière de la lumière. Pour les chrétiens, autre chose est de se représenter le Christ qui est l’incarnation de Dieu donnant une valeur suprême à chaque être humain dans sa propre chair. Toute religion qui se respecte est une source de valeurs qui vient enrichir le vivre ensemble d’une communauté humaine, d’une communauté de destin.

Pour un être profondément croyant, s’attaquer à Dieu ou au nom de Dieu, c’est s’attaquer à l’humanité elle-même, à la source de la vie, à l’égalité entre les êtres humains qui sont tirés du même « humus », sur la même terre. Mais attention à nous ! Ce n’est pas nous qui pouvons défendre Dieu. C’est Dieu qui nous maintient dans l’existence, nous protège et qui nous dit au fond de notre conscience : tu ne tueras pas au nom de Dieu ! Hélas, dans l’histoire et aujourd’hui encore, nous pouvons trahir Dieu quand nous le mettons à toutes les sauces en nous servant de lui au lieu de le servir et de servir nos frères.

Nous pouvons débattre. Nous devons débattre. Mais comme dans tout débat, nous devons nous garder de contribuer à déchirer une religion, une société, à envenimer le contexte national et international, à susciter des conflits. Tous nous avons condamné la barbarie, l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo. Nous avons prié pour les morts, pour tous les morts de ce drame. Prions encore.

Tous nous sommes pour la liberté de la presse. Que la presse puisse se développer et qu’elle puisse librement s’exprimer sur tous les sujets. Cependant, la liberté de la presse ne permet pas de tout dire et de tout montrer au nom de cette liberté si elle piétine la liberté des autres dont la liberté de croire. Le 15 janvier 2015, le pape François a déclaré « On ne peut provoquer ou insulter la foi des autres. On ne peut la tourner en dérision ». Tout groupe a droit à une existence paisible quand il ne menace pas le bien commun.

Tous nous devons défendre la liberté de tous. Elle se conjugue avec l’égalité. Elle se signe avec la fraternité. Tout ce qui vient détruire ce trépied « liberté, égalité, fraternité », en France et ailleurs, fragilise le vivre ensemble humain et risque de hâter sa destruction. C’est le contraire qu’il faut rechercher et bâtir. Travailler à la paix. Mieux vivre ensemble pour construire notre vivre ensemble. Etre avec. Nos raisons de vivre doivent nous aider à raison garder. Développons l’estime les uns vis-à-vis des autres, les uns avec les autres. Et nous gagnerons la paix. Ensemble.

Le 5 janvier 2016, Monseigneur Gilbert AUBRY