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L’annonce de la victoire du Christ sur toute forme de mal (Ap 15,1-4)

           Puis je vis dans le ciel encore un signe, grand et merveilleux : sept Anges, portant sept fléaux, les derniers puisqu’ils doivent consommer la colère de Dieu. (2) Et je vis comme une mer de cristal mêlée de feu, et ceux qui ont triomphé de la Bête, de son image et du chiffre de son nom, debout près de cette mer de cristal. S’accompagnant sur les harpes de Dieu, (3) ils chantent le cantique de Moïse, le serviteur de Dieu, et le cantique de l’Agneau : Grandes et merveilleuses sont tes œuvres, Seigneur, Dieu Maître-de-tout ; justes et droites sont tes voies, ô Roi des nations. (4) Qui ne craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom ? Car seul tu es saint ; et tous les païens viendront se prosterner devant toi, parce que tu as fait éclater tes vengeances.

   Vitrail Christ Ressuscité            La vision de Jean se poursuit… Dieu va lui donner de voir « encore un signe ». Or par définition, un signe demande à être interprété. Comme un panneau indicateur, il indique un but. Il ne s’agit donc pas de s’arrêter au signe mais de chercher son sens, pour découvrir à travers lui la réalité spirituelle qu’il évoque… 

            « Sept Anges »… « Sept » est symbole de plénitude, et un « ange » est un messager de Dieu… La plénitude de la Révélation du Mystère de Dieu et de son action en faveur des hommes se poursuit… Ils portent « sept » fléaux qui « doivent consommer la colère de Dieu »… Or, le thème de « la colère de Dieu » est une manière « imparfaite et dépassée »[1] de décrire, dans la Bible, les conséquences du péché des hommes. Notre mauvaise conduite pourrait-elle donc mettre Dieu en colère? Mais non ! Prenons un exemple. Un enfant est particulièrement dissipé. Son maître d’école, excédé, se met en colère et l’expulse de la classe… Et il se retrouve dehors… Voilà comment l’Ancien Testament décrit les conséquences du péché, en appliquant à Dieu des réactions bien humaines… Mais avec le Christ, nous découvrons qu’il n’en est pas ainsi… Le pécheur s’expulse lui-même de la communion avec Dieu par sa désobéissance… Ce n’est pas Dieu qui se met en colère et le chasse, c’est lui qui, en désobéissant, décide de partir et de sortir… Croix Alain DumasAlors si Dieu est Lumière, Paix et Joie, il va se retrouver dans les ténèbres (Rm 1,18-25)[1], l’angoisse (Rm 2,9) et la tristesse (Lc 18,18-23)… Et Jésus est ce Fils Unique qui, par amour pour chacun d’entre nous, s’est dévêtu de son manteau de Lumière pour assumer notre humanité telle que nous, pécheurs, nous la connaissons, c’est-à-dire « privée de gloire » (Rm 3,23). Et il est venu nous rejoindre dans nos ténèbres, « devenant semblable aux hommes » (Ph 2,6‑8). Bien plus, il les a prises sur lui, pour nous donner de retrouver grâce à Lui cette Lumière que nous avions perdue par suite de nos fautes. Ainsi, il prend nos ténèbres et nous donne sa Lumière…

            Pour illustrer ce thème de « la colère », prenons quelques exemples dans le Nouveau Testament. Dans la première Lettre aux Thessaloniciens, St Paul parle du Christ comme celui « qui nous délivre de la colère qui vient » (1Th 1,9-10). Si nous l’interprétons en termes de « colère de Dieu », cette colère serait donc celle de Dieu son Père… Le Fils nous délivrerait donc de la colère du Père, alors que, nous dit-il en St Jean, « moi et le Père nous sommes un » dans la communion d’un même Esprit (Jn 10,30). Ainsi, « tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement » (Jn 5,19). Mais ici, l’agir du Fils s’opposerait à celui du Père ! Nous voyons bien qu’il est impossible d’interpréter ainsi « la colère de Dieu ».

 

[1] « L’Ancien Testament avait pour raison d’être majeure de préparer l’avènement du Christ Sauveur du monde, et de son royaume messianique, d’annoncer prophétiquement cet avènement (cf. Luc 24,44; Jean 5,39 ; 1Pierre 1,10) et de le signifier par diverses figures (cf. 1Cor 10,11). Compte tenu de la situation humaine qui précède le salut instauré par le Christ, les livres de l’Ancien Testament permettent à tous de connaître qui est Dieu et qui est l’homme, non moins que la manière dont Dieu dans sa justice et sa miséricorde agit avec les hommes. Ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine. C’est pourquoi les chrétiens doivent les accepter avec vénération : en eux s’expriment un vif sens de Dieu ; en eux se trouvent de sublimes enseignements sur Dieu, une bienfaisante sagesse sur la vie humaine, d’admirables trésors de prières; en eux enfin se tient caché le mystère de notre salut » (Concile Vatican II, Dei Verbum & 15).

Christ apparaît aux Apôtres

Christ Ressuscité apparaît aux Apôtres, Cathédrale Notre Dame de Paris

St Jean n’utilise qu’une seule fois ce thème dans tout son Evangile, en Jn 3,36. Et nous voyons bien avec ce verset que « la colère de Dieu » décrit en fait les conséquences du péché : « Qui croit au Fils a la vie éternelle ; qui résiste au Fils ne verra pas la vie ; mais la colère de Dieu demeure sur lui. » « Résister à Dieu » pourrait être une définition du péché qui se manifeste ici par le refus de « croire au Fils ». On voit bien dans ce verset que « celui qui croit en Jésus » reçoit aussitôt de lui ce que Dieu est venu nous communiquer par lui : la Vie de son Esprit qui est Lumière… Celui qui, par contre, refuse de croire, ne verra pas cette Vie qui est Lumière… Il se prive par son refus de l’expérience de la Plénitude de Dieu… « La colère de Dieu (les ténèbres) demeure sur lui ». Quel dommage, et Jésus est le premier à le regretter (Lc 19,41-44) car « moi, Lumière », nous dit-il, « je suis venu dans le monde pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres mais ait la Lumière de la Vie » (Jn 8,12 ; 12,46)…

Résurrection du Christ, Basilique du Rosaire, Lourdes

Résurrection 2, Lourdes, Basilique du Rosaire

Enfin, St Paul écrit encore (1Th 5,9‑10) : « Dieu ne nous a pas réservés pour sa colère, mais pour entrer en possession du salut par notre Seigneur Jésus Christ, qui est mort pour nous afin que, éveillés ou endormis, nous vivions unis à lui. » Si cette « colère » était la sienne, Dieu le Père semblerait ici se battre contre lui-même… Mais non… La colère renvoie une fois de plus ici à ces ténèbres qui sont les conséquences de nos désobéissances… Certes, Dieu respecte infiniment notre liberté, et donc nos mauvais choix… Et aussitôt commis, ils nous plongent dans les ténèbres, la souffrance intérieure, l’absence de paix, le mal-être sans compter toutes les blessures « physiques » qui peuvent survenir… Et cela, Dieu le Père ne le supporte pas… Aussi ne cesse-t-il de nous inviter à revenir à Lui en cessant de faire le mal… « Reviens, rebelle Israël, car Je Suis miséricordieux » (Jr 3,12). Et inlassablement, il guérit nos blessures par la douceur de son Esprit, et nous communique par ce même Esprit cette Plénitude de Vie, de Lumière et de Paix que nous avions perdue par suite de nos fautes…

            Ainsi, Dieu ne répond pas à noRésurrection - Lourdes Basilique du Rosaires péchés par la colère, une colère qui le pousserait à punir, châtier… Il n’est qu’Amour (1Jn 4,8.16), Douceur (Mt 11,29), Bienveillance envers tous (Mt 5,43-45). Son seul désir ? Notre Plénitude, notre bonheur d’où ces neuf « heureux » dans les Béatitudes en St Matthieu (Mt 5,1‑12)… Or, le chiffre trois dans la Bible renvoie à Dieu en tant qu’il agit… Ces neuf Béatitudes (3×3) évoquent donc le bonheur parfait et total que connaîtra celui ou celle qui aura laissé le Christ agir dans sa vie. Il est en effet « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) en le prenant sur lui. Folie de l’Amour qui a voulu vivre en son cœur et en son corps toutes les conséquences de nos désobéissances afin que nous puissions bénéficier de tous les fruits de son obéissance éternelle ! « C’étaient nos péchés, qu’en son propre corps, il portait sur le bois, afin que morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures », qui sont en fait nos blessures qu’il a voulu vivre par amour pour nous, « nous sommes guéris » (1P 2,24). C’est pour cela qu’en regardant cette folie de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, St Paul s’écriait (2Co 5,20-21) : « Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’avait pas connu le péché, Il l’a fait péché pour nous », au sens où le Christ a pris sur lui et vécu toutes les conséquences de nos fautes, « afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu », c’est-à-dire parfaitement ajustés à Dieu dans la communion d’un même Esprit…

 

Christ Crucifié, Lumière

 

            C’est donc en regardant cette œuvre du Christ que nous interprèterons tous les « fléaux » évoqués dans le Livre de l’Apocalypse. Certes, ils sont les conséquences inévitables des péchés des hommes, ce que l’Ancien Testament appelait imparfaitement « la colère de Dieu »… Mais ces conséquences, cette « colère », Jésus la prise sur lui pour nous en délivrer… Et il est mort de notre mort pour que nous vivions de sa vie ! Dans un premier temps, le mal et ses conséquences ont semblé les plus forts : il est mort et a été mis au tombeau… Le mal s’est déchaîné, il ne pouvait rien faire de plus, il ne pouvait pas aller plus loin… Et c’est là, au cœur des ténèbres du tombeau qu’a resplendi la Lumière de la Toute Puissance de l’Esprit par laquelle le Père a ressuscité son Fils… « En lui était la Vie, et la Vie était la Lumière des hommes, et la Lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1,5). L’Evangile se termine comme les tout premiers versets l’annonçaient déjà : la Lumière a remporté la victoire sur les ténèbres, la Vie sur la mort, l’Amour sur le mal…

Crucifix, forêt de Bélouve, île de la Réunion

Crucifix, Forêt de Bélouve, Réunion            La logique du Livre de l’Apocalypse est la même : avant d’aborder tous les fléaux, qui ne sont que les conséquences des péchés des hommes, St Jean va d’abord présenter la victoire du Christ sur le mal, et donc la victoire de tous ceux et celles qui ont accepté de laisser le Christ régner dans leur cœur et dans leur vie… « Je vis comme une mer de cristal mêlée de feu, et ceux qui ont triomphé de la Bête, de son image et du chiffre de son nom, debout près de cette mer de cristal » (Ap 15,2). Cette « mer de cristal » était déjà apparue en Ap 4,6 lorsque St Jean avait vu « un trône dressé au ciel, et siégeant sur le trône, Quelqu’un… Celui qui siège est comme une vision de jaspe et de cornaline ; un arc-en-ciel autour du trône est comme une vision d’émeraude… Devant le trône, on dirait une mer, transparente autant que du cristal » (Ap 4,2-6)… Ici, cette « mer de cristal » est « mêlée de feu », un nouveau symbole qui nous renvoie à Dieu Lui-même, au Mystère de son Etre. Après la pureté, la transparence, la limpidité et la beauté du cristal, voici maintenant le feu qui éclaire et purifie… Si « Dieu est Esprit » nous dit St Jean (4,24), « un esprit saint, clair, sans souillure » (Sg 7,22-8,1), on pourrait dire aussi qu’Il est « feu » (Dt 4,24 ; Gn 15,17‑18 ; Ex 3,1-6). Et c’est bien « le feu » de l’Esprit que Jésus est venu jeter sur la terre (Lc 12,49), un feu dans lequel il désire que nous nous laissions tous plonger (Mt 3,11), un feu que les disciples ont reçu en surabondance lors de la Pentecôte (Ac 2,1-4)…

Christ Ressuscité, Basilique de Lisieux

Christ Ressuscité, Basilique de Lisieux

Nous nous rappelons que « la Bête » désigne ici l’empire romain, « son image » les emblèmes de sa puissance, « le chiffre de son nom » renvoyant à celui d’un empereur, « César-Néron » ou « César-dieu »… Et les armées romaines, en semant ruines, destructions et souffrances sur leur passage, et en persécutant les premiers chrétiens, se faisaient les instruments du mal, du Prince de ce monde… Mais ici, tout de suite, St Jean voit « ceux qui ont triomphé » de tout cela grâce à l’action de Dieu sur cette Bête : la triple mention de « la bête, de son image, du chiffre de son nom » suggère d’ailleurs cette action de Dieu[1], et donc « sa » victoire… « Ceux qui ont triomphé » sont d’ailleurs « debout », en signe de résurrection, « près de cette mer de cristal », tout près de Dieu et de son trône, en sa Présence, unis à Lui dans la communion d’un même Esprit (Ep 2,18)… Cette victoire du ciel commence dès ici‑bas sur la terre dans le cœur de tous ceux et celles qui, par leur foi et dans la foi, accueillent déjà au plus profond de leur être le Don de l’Esprit Saint (1Th 4,8) par lequel le Père ressuscita son Fils (Rm 8,11)…

[1] Noter le thème de « la colère » qui intervient dans ce texte, pour s’appliquer ensuite aux conséquences du péché : « ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu gloire ou actions de grâces, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements et leur cœur inintelligent s’est enténébré ». Les païens, écrit St Paul, pouvaient connaître Dieu en regardant les merveilles de la création. A travers elle se manifeste en effet sa Toute Puissance, et en elle brille « quelque chose » de la Gloire de Dieu pour celui qui la regarde avec un cœur pur… Mais ils se sont détournés de cette Présence de Dieu qui s’offrait si simplement à eux à travers la création pour se construire des idoles et se prosterner devant elles… Mais le Dieu Père ne les a pas abandonnés pour autant (cf. Sg 14,1-4)…

Sacré Coeur, Basilique de Vézelay

Sacré Coeur Vézelay 2 Pour dire cette relation avec Dieu, « ceux qui ont triomphé » chantent les louanges de ce Dieu Sauveur en « s’accompagnant sur les harpes de Dieu »… « La harpe » est l’instrument de la louange par excellence (cf. Ps 71(70),20-23 ; 33(32),2s ; 43,8-11 ; 81(80),2-3 ; 92(91),2-6 ; 98(97),1-6…). Mais ici, il s’agit « des harpes de Dieu », des harpes que Dieu lui-même utilise… L’expression suggère non seulement un don de Dieu mais une participation à la joie même de Dieu, à son chant de joie… « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11), une joie qui est celle de l’Esprit Saint (1Th 1,6 ; Ga 5,22)… Ainsi la joie du ciel est avant tout celle de Dieu Lui-même, un Dieu de joie qui nous a créés pour nous partager sa joie (Lc 10,21). D’où ses multiples appels au bonheur (Mt 5,3-12 ; 11,6 ; 13,16 ; 16,17 ; 24,46), un bonheur qu’ont pressenti Pierre, Jacques et Jean au jour où ils virent le Christ transfiguré… Pour vivre cette expérience, ils ne pouvaient en effet qu’être remplis de l’Esprit de Lumière (Jn 4,24 et 1Jn 1,5) et de joie, qui, seul, permet de voir la Lumière (Ps 36(35),10)… Remplis de l’Esprit, unis à Dieu dans la communion d’un même Esprit, ils vivaient la joie de l’Esprit et faisaient donc l’expérience du bonheur du ciel : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici » (Mt 17,4)… 

            Et que chantent-ils ? Le cantique de Moïse (Ex 15,1-21), une louange adressée à Dieu après sa victoire sur les Egyptiens oppresseurs… Et ce fut bien sûr son Peuple qui en fut l’heureux bénéficiaire… « Je chante pour le Seigneur car il s’est couvert de gloire, il a jeté à la mer cheval et cavalier. Le Seigneur est ma force et mon chant, à lui je dois mon salut. Il est mon Dieu, je le célèbre, le Dieu de mon père et je l’exalte »… Mais cette action de Dieu ne faisait qu’annoncer sa victoire définitive sur toute forme de mal et d’oppression qu’il allait accomplir par son Fils, le nouveau Moïse, en faveur de tous ceux et celles qui accepteraient par leur foi d’en être les heureux bénéficiaires… Communion des saintsC’est pourquoi « ceux qui ont triomphé » en laissant Dieu triompher dans leur cœur et dans leur vie, chantent-ils ici « le cantique de Moïse, le serviteur de Dieu, et le cantique de l’Agneau », le Christ Jésus, le Serviteur de Dieu par excellence (cf. Mt 12,15-21 ; 20,28 ; Jn 4,34 ; 14,31)… « C’était Dieu en effet qui dans le Christ se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes » (2Co 5,19)… Et c’est Lui qui, avec son Fils, par son Fils et en Lui, a remporté la victoire contre la souffrance et le mal. Et cette victoire est dorénavant offerte à l’humanité tout entière, cette humanité blessée par le mal qu’elle commet, ce mal qui la détruit… « Père, pardonne leur », demandait Jésus pour ceux-là mêmes qui le tuaient, et à travers eux pour tous les hommes pécheurs de tous les temps… Car « Dieu veut en effet que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4)… Cette perspective universelle se retrouve dans notre passage lorsque St Jean désigne Dieu comme le « Roi des nations », et lorsqu’il affirme que « tous les païens viendront se prosterner devant lui », reconnaissant ainsi sa Royauté, une Royauté qui n’est que celle de son Amour, de sa Bonté et de sa Miséricorde envers toutes ses créatures qu’il désire associer à sa Vie… Ce geste de « tous les païens » qui acceptent pour eux‑mêmes cette Royauté ne peut donc qu’être synonyme pour eux de salut… Quelle perspective ! Quelle espérance ! Ce verset est d’ailleurs une citation du Ps 86(85) où le Psalmiste déclare aussi : prodigue« Seigneur, tu es pardon et bonté, plein d’amour pour tous ceux qui t’appellent… Je te rends grâces de tout mon cœur, Seigneur mon Dieu, toujours je rendrai gloire à ton nom ; il est grand, ton amour pour moi : tu m’as tiré de l’abîme des morts », une mort, un abîme de ténèbres, que l’on peut regarder ici comme étant la conséquence du péché… Et telle est justement l’œuvre de Dieu : nous arracher à cet abîme qui n’est pourtant que la conséquence directe de toutes nos désobéissances : « Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé en qui nous avons la Rédemption, le pardon des péchés » (Col 1,13-14 ; Ac 26,12-18). Et c’est en vidant ainsi « l’empire des ténèbres » par son Amour Miséricordieux et la Toute Puissance de sa Douceur et de sa Bonté que Dieu « fait éclater ses vengeances » à l’encontre du mal (Ap 15,4)… Il suffit au pécheur d’accepter cette main que Dieu lui tend sans cesse pour « l’arracher aux ténèbres » et le « transférer » dans son Royaume de Lumière et de Paix… Et Dieu en sera le premier à en être heureux… Et le pécheur ainsi sauvé des conséquences de ses fautes ne pourra que constater à quel point « son amour envers nous s’est montré le plus fort » (Ps 117(116)… A nous maintenant d’accepter de nous laisser aimer tels que nous sommes, en lui offrant tout, jour après jour, le bien comme le mal que nous avons pu commettre en cette vie… Et aussitôt, il mettra « loin derrière nous tous nos péchés » (Ps 103(102),10-12)… Alors, nous nous retrouverons « saints et immaculés en sa Présence dans l’Amour » (Ep 1,4), chantant avec joie « sur les harpes de Dieu » la victoire de sa Miséricorde dans nos vies…

  dieu vous aime           Notons bien que St Jean a commencé par présenter cette perspective de salut et de victoire de Dieu sur toute forme de mal avant de décrire les fléaux qui vont toucher « la terre »… Ces fléaux ne seront que les conséquences inévitables du péché des hommes, mais le lecteur sait déjà que Dieu, dans son Amour et sa Miséricorde, a déjà triomphé de « tout cela », et notamment aussi de cette persécution que les chrétiens de l’époque subissaient de la part des Romains : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? la souffrance, l’angoisse[2], la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ? selon le mot de l’Écriture : À cause de toi, l’on nous met à mort tout le long du jour ; nous avons passé pour des brebis d’abattoir. Mais en tout cela nous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés. Oui, j’en ai l’assurance, ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8,35-39).

D. Jacques FOURNIER

 

[1] « Trois » est souvent le chiffre de Dieu en tant qu’il agit…

[2] Dieu apparaît ici aussi comme étant le Vainqueur des conséquences du péché, car les deux premiers termes, « souffrance et angoisse », les décrivent en Rm 2,9 : « Souffrance et angoisse à toute âme humaine qui s’adonne au mal, au Juif d’abord, puis au Grec »… Et à l’époque, ou bien on était Juif, ou bien on était Grec. La perspective est donc bien universelle, valable pour « toute âme humaine »…

 

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La moisson et la vendange des nations (14,14-20)

       Et voici qu’apparut à mes yeux une nuée blanche et sur la nuée était assis comme un Fils d’homme, ayant sur la tête une couronne d’or et dans la main une faucille aiguisée. (15) Puis un autre Ange sortit du temple et cria d’une voix puissante à celui qui était assis sur la nuée : Jette ta faucille et moissonne, car c’est l’heure de moissonner, la moisson de la terre est mûre. (16) Alors celui qui était assis sur la nuée jeta sa faucille sur la terre, et la terre fut moissonnée. (17) Puis un autre Ange sortit du temple, au ciel, tenant également une faucille aiguisée. (18) Et un autre Ange sortit de l’autel – l’Ange préposé au feu – et cria d’une voix puissante à celui qui tenait la faucille : Jette ta faucille aiguisée, vendange les grappes dans la vigne de la terre, car ses raisins sont mûrs. (19) L’Ange alors jeta sa faucille sur la terre, il en vendangea la vigne et versa le tout dans la cuve de la colère de Dieu, cuve immense ! (20) Puis on la foula hors de la ville, et il en coula du sang qui monta jusqu’au mors des chevaux sur une étendue de mille six cents stades.

 

Christ, fresques d’Auxerre (fin 11° s)

Christ, fresque d'Auxerre (fin du 11°s)

            La vision se poursuit… Une nuée apparaît, et dans l’Ancien Testament, elle renvoie toujours à la Présence de Dieu Lui-même : « Le Seigneur marchait avec eux, le jour dans une colonne de nuée pour leur indiquer la route, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils puissent marcher de jour et de nuit. La colonne de nuée ne se retirait pas le jour devant le peuple, ni la colonne de feu la nuit » (Ex 13,21‑22 ; 14,24 ; 16,10…).

             Cette nuée ici est « blanche », et, nous l’avons déjà vu à l’occasion de la vision inaugurale, « le blanc » dans le Livre de l’Apocalypse renvoie toujours à Dieu, à ce qu’Il est, à sa nature divine… En effet, dans le Livre de Daniel (Dn 7,9-14), Dieu est présenté comme le Roi de l’Univers visible et invisible… Le « blanc » de son vêtement comme celui des cheveux de sa tête, « purs comme la laine », renvoie au Mystère de sa Nature divine, car dans la Bible, les vêtements, tout comme les attributs d’une personne, disent quelque chose de ce qu’elle est… Et en Ap 20,11, c’est le trône de Dieu qui est « blanc », en Ap 19,11, le cheval du Christ ; en Ap 19,14 les armées du ciel sont elles aussi sur des chevaux blancs, vêtues de lin d’une blancheur parfaite car les Anges, ces créatures célestes, participent pleinement, selon leur condition de créature, à la nature divine… Et c’est ce que Dieu nous réserve à nous aussi : c’est pourquoi tous les « rachetés », au ciel, sont revêtus de blanc (cf. Ap 3,4-5 ; 3,18 ; 4,4 ; 6,11 ; 7,9.13-14)… 

Christ Ressuscité, cimetière des Pères Spiritains à Chevilly Larue.

 Christ ressuscité, cimetière des Pères Spiritains, Chevilly Larue           « Sur la nuée était assis comme un Fils d’Homme », le Christ Ressuscité, le Fils Unique, vrai homme et vrai Dieu, « ayant sur la tête une couronne d’or » car Il est Roi comme Dieu seul est Roi, « assis » car pleinement revêtu de l’autorité divine… 

« Et dans sa main, il tient une faucille aiguisée »… Ce mot « faucille » est utilisé sept fois dans ce seul passage et nulle part ailleurs dans le Livre de l’Apocalypse. Sept est symbole de perfection… Mais de toute façon, tout ce que fait le Christ ne peut qu’être parfait… Cette faucille dans sa main renvoie donc à une œuvre « parfaite », celle du salut qu’il ne cesse d’accomplir parmi les hommes… Nous retrouvons cette image en Jn 4,34‑38 où les champs « blancs pour la moisson » renvoyaient à tous ces Samaritains qui commençaient à croire en lui, et qui, par leur foi, recevaient déjà le don de la vie éternelle… Aujourd’hui encore, le Christ Ressuscité travaille ce monde par la Toute Puissance de son Esprit d’Amour, la collaboration de son Eglise (1Co 3,5‑9) et celle de tous les hommes de bonne volonté…

            Trois Anges vont ensuite se succéder, et le chiffre « trois » renvoie à Dieu en tant qu’il agit… Avec eux, c’est donc l’œuvre de Dieu le Père qui va s’accomplir… Et le premier Ange va d’ailleurs demander au Fils de jeter sa faucille sur la terre… Ce qu’il fait aussitôt… Nous retrouvons cette attitude fondamentale du Fils qui est d’obéir au Père, par amour, pour accomplir sa volonté (Jn 4,34 ; 6,38-39 ; 14,31)… Et sa volonté est le bien, la vie, le salut de tous les hommes (1Tm 2,3-6)… 

            Les deux autres Anges vont donc eux aussi s’inscrire dans cette perspective… « Ils sortent du Temple, du Ciel », c’est-à-dire de la Maison du Père, ou « de l’autel » qui renvoie à la Présence de Dieu lui-même… Et après l’heure de la moisson, vient celle de la vendange… Et il semble ici que l’auteur fasse allusion à l’œuvre de rédemption accomplie par le Christ. Lisons ce texte d’Isaïe en pensant à lui : « Pourquoi ce rouge à ton manteau, pourquoi es-tu vêtu comme celui qui foule au pressoir ? – À la cuve j’ai foulé solitaire, et des gens de mon peuple pas un n’était avec moi. Alors je les ai foulés dans ma colère, je les ai piétinés dans ma fureur, leur sang a giclé sur mes habits, et j’ai taché tous mes vêtements » (Is 63,2-3). Et c’est par ce sang offert et répandu sur le monde que le Christ va accomplir son salut… Et souvenons‑nous, St Jean avait vu « sous l’autel », cet Autel d’où sort également ici le troisième Ange, « les âmes de ceux qui furent égorgés pour la Parole de Dieu et le témoignage qu’ils avaient rendu » (Ap 7,9-11). Mosaïque romaine, martyr chrétienC’est leur sang, mêlé au sang du Christ, que St Jean évoque ici, avec l’image d’une quantité immense : « il en coula du sang qui monta jusqu’au mors des chevaux sur une étendue de mille six cents stades » (4x4x100, avec 4 symbole d’universalité : pour le monde entier). Le sang des martyrs s’unit donc à celui du Christ et participe ainsi au salut du monde entier… C’est ce que St Paul déclare en Col 1,24 : « En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète ce qui manque aux tribulations du Christ en ma chair pour son Corps, qui est l’Église ». Avec les martyrs et par eux, le Christ continue donc de vivre sa Passion pour le salut de tous les hommes que Dieu aime et veut voir à ses côtés…   

                                                                                                               D. Jacques Fournier

 

AP – SI – Fiche 27 – Ap 14,14-20 :  Cliquer sur le titre précédent pour accéder au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.




Audience Générale du Mercredi 14 octobre 2015

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 14 Octobre 2015
 


 Frères et sœurs, il est important de réfléchir aux promesses que nous faisons aux enfants, les promesses les plus importantes, celles qui concernent leur avenir, leur relation avec Dieu, la confiance qu’ils auront plus tard envers les autres personnes. L’homme et la femme font la promesse à leur enfant de l’aimer, dès qu’ils le conçoivent dans leur pensée. L’amour est la manière la plus juste d’accueillir un être humain. Malheur à ceux qui trahissent cette confiance et cette attente des enfants envers les adultes, alors que Dieu ne cesse jamais de penser à eux. La relation tendre et mystérieuse entre Dieu et l’âme des enfants ne devrait jamais être violée, pas plus que la confiance spontanée qu’ils ont envers lui ne devrait être blessée. Par l’amour qu’ils reçoivent de leurs parents, les enfants apprennent aussi la beauté des relations humaines, l’acceptation de la diversité et le respect envers les autres.

Je salue les pèlerins de langue française, en particulier les personnes venues de République démocratique du Congo et de France, ainsi que les frères du Sacré-Cœur. Alors que se déroule le Synode des Évêques sur le thème de la famille, je prie pour toutes vos familles, en particulier pour les enfants, afin que nous soyons attentifs à susciter en eux l’amour de Dieu et de leurs frères.

Que Dieu vous bénisse !

 

 

 

 

 

    

 

 

 

 




Des Anges annoncent l’heure du jugement (Ap 14,6-13)

             Puis je vis un autre Ange qui volait au zénith, ayant une bonne nouvelle éternelle à annoncer à ceux qui demeurent sur la terre, à toute nation, race, langue et peuple. (7) Il criait d’une voix puissante : Craignez Dieu et glorifiez-le, car voici l’heure de son Jugement; adorez donc Celui qui a fait le ciel et la terre et la mer et les sources.

(8)    Un autre Ange, un deuxième, le suivit en criant :  Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la Grande, elle qui a abreuvé toutes les nations du vin de la colère.

(9)    Un autre Ange, un troisième, les suivit, criant d’une voix puissante :  Quiconque adore la Bête et son image, et se fait marquer sur le front ou sur la main, (10) lui aussi boira le vin de la fureur de Dieu, qui se trouve préparé, pur, dans la coupe de sa colère. Il subira le supplice du feu et du soufre, devant les saints Anges et devant l’Agneau. (11) Et la fumée de leur supplice s’élève pour les siècles des siècles ; non, point de repos, ni le jour ni la nuit, pour ceux qui adorent la Bête et son image, pour qui reçoit la marque de son nom. (12) Voilà qui fonde la constance des saints, ceux qui gardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus.

(13)    Puis j’entendis une voix me dire, du ciel : Écris : Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ; dès maintenant – oui, dit l’Esprit – qu’ils se reposent de leurs fatigues, car leurs œuvres les accompagnent.  

 

            Un Ange, un messager de Dieu, s’apprête à annoncer « une Bonne Nouvelle » à « tous ceux qui demeurent sur la terre » : « nation, race, langue et peuple », quatre termes qui soulignent à nouveau l’universalité de la perspective, le chiffre « quatre » étant un symbole d’universalité (les quatre points cardinaux)… Tous les hommes sont donc concernés, et il ne peut qu’en être ainsi car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6 ; Jn 3,15-17)… Notons que cette « Bonne Nouvelle » est « éternelle » : elle concerne tous les hommes de tous les temps, et elle est nous rejoint déjà dans l’aujourd’hui de notre foi en attendant sa pleine réalisation au ciel… Nous retrouvons ainsi que tout ce que nous découvrons avec le Christ existait déjà avant le Christ… Dieu est notre Père depuis toujours, Dieu est tout proche de tous les hommes, avec eux, depuis toujours… Dieu vit en Alliance avec eux, depuis toujours (Gn 9,16)… Dieu les appelle à son Ciel, à sa Vie, à sa Paix, à sa Joie depuis toujours… L’œuvre de Rédemption accomplie par la mort et la Résurrection du Christ concerne ainsi tous les hommes ses enfants, depuis toujours et pour toujours… Mais ce n’est que grâce à la Révélation qu’il nous a transmise que nous avons pu en prendre conscience…

 la main

            Cet Ange crie donc d’une voix puissante pour être bien entendu de tous : « Craignez Dieu », c’est-à-dire « tenez compte de lui », « mettez le dans votre cœur et votre vie », « écoutez sa parole », « faites lui confiance », « obéissez lui »… Et comme Dieu ne désire que le bonheur de ses enfants, « sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur tous ceux qui le craignent » (Lc 1,50), heureux sont-ils… « Ah ! si leur cœur pouvait toujours être ainsi, pour me craindre et garder mes commandements en sorte qu’ils soient heureux à jamais, eux et leurs fils » (Dt 5,29)… Oui, « puisses-tu écouter, Israël, garder et pratiquer ce qui te rendra heureux » (Dt 6,3) car « tu feras alors ce qui est juste et bon aux yeux du Seigneur afin d’être heureux » (Dt 6,18)…

 Crucifix vitrail

            Si tel est vraiment le cas, tous ceux et celles qui expérimenteront ce bonheur ne pourront que « glorifier » Dieu (Ap 14,7), comme ce lépreux purifié « qui revint sur ces pas en glorifiant Dieu » (Lc 17,15) ou cet aveugle guéri qui « suivait le Christ en glorifiant Dieu » (Lc 18,43)…

 

            Et quel est ici le motif d’action de grâce ? « Voici l’heure de son jugement »… Le Jugement de Dieu est donc « Bonne Nouvelle » pour chacun d’entre nous… En effet, quel est-il ? Ecoutons le Christ : « C’est maintenant le jugement de ce monde; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, une fois élevé de terre, je les attirerai tous à moi » (Jn 12,31-32). Nous retrouvons ici avec le mot « maintenant », répété par deux fois, que cette « Bonne Nouvelle » du « jugement de ce monde » nous concerne dès « maintenant », dans la foi et par notre foi… « Le Prince de ce monde va être jeté dehors »… En effet, « la Lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1,5). Bien plus, par sa simple Présence, la Lumière ne peut que chasser les ténèbres car ces dernières n’ont aucune prise sur elle, elles ne peuvent lui résister… « Je suis la Lumière du monde » (Jn 8,12), disait Jésus, « sur moi, le Prince de ce monde n’a aucun pouvoir » (Jn 14,30). Or, le Christ Lumière est venu nous rejoindre dans nos ténèbres pour nous offrir sa Lumière : « Moi, Lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres », mais « ait la Lumière de la Vie » (Jn 12,46 ; 8,12). Et tout ceci s’accomplit par le Don gratuit de l’Esprit ; en effet, « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5). Qui reçoit l’Esprit reçoit la Lumière, et la Lumière ne peut que chasser les ténèbres des cœurs qui l’accueillent avec confiance et simplicité : ils s’abandonnent à elle, ils la laissent accomplir son œuvre dans leur cœur et dans leur vie. Alors, ils ne pourront que constater que « les ténèbres s’en vont » et que « la véritable Lumière brille déjà » (1Jn 2,8). Car « déjà », dès maintenant, par leur foi et dans la foi, ils vivent en communion avec ce Dieu qui est Lumière toujours offerte à leurs ténèbres, Miséricorde toujours offerte à leur misère, Force toujours offerte à leur faiblesse… Crucifix égliseDe cœur, jour après jour, ils essayent de vivre vraiment leur foi en laissant le Christ Sauveur accomplir son œuvre de salut dans leur vie… Alors, dès maintenant, ils vivront « la Bonne Nouvelle » du « Jugement de Dieu » qui juge, condamne, expulse le Prince de ce Monde et ses ténèbres, mais aime, accueille, guérit, console le pécheur qui s’abandonne en sa Tendresse. Alors, quiconque s’en remet « aux entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,78), n’est pas jugé-condamné car Dieu ne condamne jamais le pécheur son enfant. La seule chose qu’il désire c’est sa vie, la seule chose qu’il espère c’est sa conversion. Aussi ne cesse-t-il de le chercher (Lc 15,4-7 ; 19,10), de l’attirer à Lui (Jn 6,44 ; 6,65 ; 12,32), de frapper à la porte de son cœur (Ap 3,20), d’attendre son retour (Lc 15,20-24)… Quelle joie sera alors la sienne quand il acceptera de lui dire « oui », de se laisser aimer, combler, gratuitement… Alors le Père lui enlèvera sa robe de misère pour lui donner la plus belle robe du Ciel, il guérira toutes ses blessures, il remplira sa pauvreté reconnue, acceptée et offerte de sa Richesse, ses ténèbres de sa Lumière, sa mort de sa Vie…

 

            Ainsi, nous voyons que pour Dieu, juger, c’est condamner le mal et les ténèbres, certes, mais pour sauver le pécheur… Car le mal fait mal à celui qui l’accomplit. Il séduit, il se présente sous un beau visage, il promet le bonheur, mais tout en lui n’est que mensonge… Et le résultat final pour celui qui se laisse prendre n’est que « souffrance et angoisse » (Rm 2,9). Mais Dieu ne supporte pas de voir ses enfants abîmés, blessés, souffrants et malheureux… Aussi va-t-il se battre avec eux et pour eux contre ce mal qui leur fait du mal… Et ce combat, nous avons à le mener avec Lui, en lui remettant inlassablement tous nos échecs, et en nous relevant et en nous relevant encore grâce à sa Miséricorde chaque fois que nous avons pu défaillir… Alors, petit à petit, il nous affermira, nous permettra de le choisir avec toujours plus de détermination, et nous ne pourrons qu’expérimenter la Plénitude de sa Vie, de sa Paix, dès maintenant, dans la foi, en attendant de le voir au Ciel… « Le Jugement de Dieu » est donc pour nous pécheurs une « Bonne Nouvelle », car pour Lui, « juger », c’est nous sauver et nous délivrer de tout mal… A nous maintenant, soutenus par sa grâce, d’accepter de le laisser faire dans nos cœurs et dans nos vies… Offrons-lui « l’obéissance de notre foi » (Rm 1,5 ; 6,16-17 ; 10,16 ; 15,18 ; 16,19.26 ; Ac 5,32) en vivant vraiment la confiance…

 

Crucifix chapelle séminaire de Rennes« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique-Engendré, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils Unique-Engendré de Dieu » (Jn 3,16-17 ; 8,1-11). 

 

            « Adorez donc Celui qui a fait le ciel et la terre et la mer et les sources » (Ap 14,7), quatre termes qui soulignent encore l’universalité de la perspective…

 

Crucifix de la chapelle du séminaire de Rennes

 

 Crucifix séminaire de Rennes           Ce « jugement-condamnation » du mal pour le salut des pécheurs repentants va maintenant être exposé par une conséquence concrète… Si le mal ne peut tenir devant Dieu, si Dieu est présent à l’histoire des hommes, alors, tôt ou tard, ce mal ne peut que s’écrouler. Et avec lui s’écrouleront tous ceux et celles qui tiennent à lui et refusent de se convertir, de se repentir… « Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la Grande, elle qui a abreuvé toutes les nations du vin de la colère » (Ap 14,8). L’Ange annonce cette Nouvelle comme déjà accomplie, car ce n’est plus qu’une question de temps… « Babylone la Grande », c’est-à-dire l’empire romain, va s’effondrer… Et c’est bien ce qui arrivera… Alors, les persécutions contre les chrétiens cesseront… Bien plus, l’empereur Constantin, au quatrième siècle, se convertira et entraînera avec lui tout l’empire…

 

            « Elle qui a abreuvé toutes les nations du vin de la colère »… Nous voyons bien ici que « la colère » ne renvoie pas à « la colère de Dieu » en tant que telle, mais aux conséquences du péché, du refus de Dieu, de la désobéissance à Dieu… Dieu ne se met jamais en colère comme les hommes, qui, dans leur fureur, cassent, détruisent et sèment la désolation… « Mon peuple est cramponné à son infidélité. On les appelle en haut, pas un qui se relève ! Mais comment t’abandonnerais-je, Éphraïm… Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent… Je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis le Saint, et je ne viendrai pas avec fureur » (Os 11,7‑9), même si humainement, ils le mériteraient bien… prodigueMais Dieu n’est pas ainsi… Il est le premier à mettre en œuvre les commandements qu’il nous donne : « Aimez vos ennemis, faites leur du bien » (Lc 6,27-35)… Tous les textes de l’Ancien Testament qui nous présentent un Dieu qui, dans sa colère, tape, frappe et punit sont donc « imparfaits et dépassés »[1], comme le déclare le Concile Vatican II. Ils reflètent une manière trop humaine de parler de Dieu… Et l’Esprit Saint, petit à petit, conduira les auteurs bibliques à modifier leur regard sur ce Dieu qui n’est que Tendresse et Miséricorde…

 

« Le vin de la colère » renvoie donc ici à tout ce mal et ces souffrances que l’empire romain, « Babylone la Grande », a semés de par le monde par ses guerres sans fin… Nous retrouvons ce sens en Jn 3,36, où la notion de « colère » décrit simplement les conséquences du refus de croire à la Bonne Nouvelle du Salut offert par le Christ : « Qui croit au Fils a la vie éternelle ; qui résiste au Fils ne verra pas la vie ; mais la colère de Dieu demeure sur lui ». Et Dieu, en Jésus Christ, est justement venu nous délivrer des conséquences du péché (ténèbres, mort, tristesse, mal-être…) car il ne peut se résoudre à nous voir demeurer dans ces ténèbres. Aussi nous a-t-il envoyé son Fils pour nous « sauver de la colère » (Rm 5,9), nous « délivrer de la colère » (1Th 1,10 ; 5,9 ; Ep 2,1‑10), c’est-à-dire nous arracher à toutes les conséquences de nos fautes, en nous donnant par amour tout ce dont nous étions privées à cause d’elles…


Coeur de Jésus- Paray le Monial
Nous retrouvons ce sens « colère de Dieu – fureur de Dieu / conséquences du péché » dans les lignes qui suivent… Ceux qui choisissent de faire le mal doivent aussi en assumer les conséquences… Ainsi, quiconque décide « d’adorer la Bête et son image » « boira le vin de la fureur de Dieu qui se trouve préparé, pur, dans la coupe de sa colère »… « Souffrance et angoisse à toute âme humaine qui fait le mal » (Rm 2,9)… Il ne peut en être autrement… Ces souffrances sont évoquées ici avec l’image du « feu et du soufre », un vrai « supplice »… Et pourtant, par amour, le Christ a voulu vivre en son cœur et en sa chair ces souffrances, ce « supplice », pour nous en délivrer… Mais nul ne prendra la décision de l’accueillir à notre place… Quel dommage pour les pécheurs qui le refusent ! Il est venu nous délivrer du fardeau de nos fautes, et eux ne veulent pas l’accueillir et entrer ainsi dans son repos… « A qui jura-t-il qu’ils n’entreraient pas dans son repos, sinon à ceux qui avaient désobéi ? » (Hb 3,18). « Non, point de repos ni le jour ni la nuit, pour ceux qui adorent la Bête et son image, pour qui reçoit la marque de son nom » (Ap 14,11). «Venez donc à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le poids » de vos fautes, car par amour, je me suis chargé de toutes vos souffrances et de vos maladies (Mt 8,16-17). Venez – moi « et je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école », acceptez de m’obéir et de me faire confiance, « car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes ». Car je suis « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », et donc « la souffrance et l’angoisse » qui en sont les conséquences (Mt 11,28-30 ; Jn 1,29). Et à la place, je vous donnerai ma Paix (Jn 14,27), ma Vie (Jn 10,10) et ma Joie (Jn 15,11)…

 

Cette fidélité inébranlable du Christ, cette Présence Miséricordieuse offerte inlassablement à toutes nos infidélités, à toutes nos défaillances, pour notre bien, voilà le Roc sur lequel nous, fragiles et inconstants, nous pouvons construire la maison de notre vie, envers et contre tout… « La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n’a pas croulé : c’est qu’elle avait été fondée sur le roc » (cf. Mt 7,24-27). Visage de Jésus« Voilà donc ce qui fonde la constance des saints, ceux qui gardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus », le Sauveur du monde, Celui qui nous entoure sans cesse de sa Tendresse et de sa Miséricorde pour que nous puissions prendre et reprendre grâce à Lui le Chemin de la Vie… « Heureux alors les morts qui meurent dans le Seigneur »… Unis à Lui dès cette terre par leur foi, ils vivent déjà mystérieusement de sa vie, ils connaissent sa Paix, ils expérimentent sa Force et sa Douceur… Bienheureux sont-ils déjà, un état qui ne pourra que déboucher dans le plein accomplissement de la Vie, au Ciel… C’est ce que Jésus déclarait à Marthe : « Je suis la Résurrection et la Vie. Qui croit en moi, même s’il meurt vivra ; et qui conque vit et croit en moi » sur cette terre, « ne mourra jamais » car il participe dès maintenant par sa foi et dans la foi à la vie éternelle… « En vérité, en vérité, celui qui croit a la vie éternelle » (Jn 11,25-26 ; 6,47)… Et quand il mourra, il passera dans la Plénitude de cette même Vie : « Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ; dès maintenant – oui, dit l’Esprit – qu’ils se reposent de leurs fatigues, car leurs œuvres les accompagnent » (Ap 14,13). Et leur œuvre la plus importante fut leur foi, leur confiance au Christ Sauveur par laquelle ils ont pu recevoir ce pardon que Dieu veut offrir à tous. Et avec ce pardon, « là où le péché avait abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20)… Puis, leur vie de foi fut obéissance à cette grâce toujours offerte, une grâce qui leur a permis d’accomplir toute bonne œuvre (Ep 2,4-10 ; 1Co 15,9-10)… Elle était dans leur vie comme cette sève que le sarment reçoit de la vigne en décidant de demeurer attacher au cep, le Christ. Et cela est toujours possible, même lorsque nous nous détachons de lui par suite de nos faiblesses. Il suffit alors, aussi rapidement que nous le pouvons, d’accepter de nous laisser encore et encore aimer par cet Amour de Miséricorde qui ne cesse de nous entourer… Aussi, « demeurez en mon amour »… « Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,4-5).

                                                                                                                  D. Jacques Fournier

[1] Dei Verbum (ch. 4 ; & 15) : « L’Ancien Testament » avait avant tout pour but de « préparer la venue du Christ Rédempteur de tous et du Règne messianique, pour l’annoncer prophétiquement » et le présenter « par diverses figures. Les livres de l’Ancien Testament présentent à tous, selon la situation du genre humain avant le salut apporté par le Christ, une connaissance de Dieu et de l’homme et des méthodes dont Dieu, qui est juste et miséricordieux, agit avec les hommes. 
Ces livres, bien qu’ils contiennent des choses imparfaites et provisoires, montrent pourtant la vraie pédagogie divine. Aussi ces mêmes livres, qui expriment un sens vivant de Dieu, dans lesquels sont dissimulés des enseignements élevés sur Dieu, une sagesse profitable sur la vie des hommes et de magnifiques trésors de prières, dans lesquels enfin est caché le mystère de notre salut, doivent être reçus avec piété par les chrétiens ».



Les compagnons de l’Agneau (Ap 14,1-5)

            Puis voici que l’Agneau apparut à mes yeux ; il se tenait sur le mont Sion, avec cent quarante-quatre milliers de gens portant inscrits sur le front leur nom et le nom de son Père.

(2) Et j’entendis un bruit venant du ciel, comme le mugissement des grandes eaux ou le grondement d’un orage violent, et ce bruit me faisait songer à des joueurs de harpe touchant de leurs instruments;

(3) ils chantent un cantique nouveau devant le trône et devant les quatre Vivants et les Vieillards. Et nul ne pouvait apprendre le cantique, hormis les cent quarante-quatre milliers, les rachetés à la terre.

(4) Ceux-là, ils ne se sont pas souillés avec des femmes, ils sont vierges; ceux-là suivent l’Agneau partout où il va; ceux-là ont été rachetés d’entre les hommes comme prémices pour Dieu et pour l’Agneau.

(5) Jamais leur bouche ne connut le mensonge : ils sont immaculés.

  

            st jeanLe Christ ressuscité apparaît à St Jean « sur la montagne de Sion », là où était le Temple du Seigneur, la Maison de Dieu. Mais ici, avec Lui, c’est le Temple Céleste, la Jérusalem Nouvelle qui s’offre à son regard, le Mystère accompli de la Communion de Dieu avec les hommes. « Cent quarante quatre mille » l’accompagnent, comme en Ap 7,4, un chiffre qui, souvenons-nous, renvoie à la multitude des hommes[1] de tous les temps que Dieu appelle au salut. Ils ne se sont pas laissés marquer du chiffre de la Bête ; ils ont dit « non » au mal, autant qu’il leur était possible… Et librement, ils ont accepté de tout cœur de dire « oui » à Dieu et à son œuvre, et ils se sont laissés marquer du sceau de l’Esprit (Ep 1,13-14 ; 4,30 ; 2Co 1,22). La promesse de Jésus s’est alors accomplie pour eux, ils sont bien avec Lui dans la Maison du Père, ce Mystère de communion en un seul Esprit (1Jn 1,1-4 ; Rm 14,17) : « Le vainqueur, je le ferai colonne dans le temple de mon Dieu ; il n’en sortira plus jamais et je graverai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la Cité de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem qui descend du Ciel, de chez mon Dieu, et le nom nouveau que je porte » (Ap 3,12). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24) ; en recevant l’Esprit, ils ont reçu « le Nom de Dieu »[2]. Ils participent maintenant au Mystère de ce qu’Il Est (cf. Ex 3,14)… Tous ont reçu ce même Esprit, l’Esprit de Dieu. Par cet Esprit, ils sont en communion avec Dieu et entre eux : ils portent donc « le nom de la cité de Dieu » qui est « communion » (cf. Jn 10,30 ; 17,20-24)… De plus, le Père a ressuscité son Fils d’entre les morts par la puissance de ce même Esprit (Rm 1,4 ; 8,11). Tous ceux et celles qui reçoivent cet Esprit participent donc à la vie du Christ Ressuscité, déjà sur la terre dans la foi (Ep 2,4-6 ; Col 2,12-13), et bien sûr plus tard, dans la Plénitude du Ciel. Tous portent alors « le Nom nouveau » du Christ : « ressuscité »… Nous les retrouvons ici « portant inscrits sur leur front » le Nom de l’Agneau, le Christ, et celui de Dieu « son Père » et « notre Père » (Jn 20,17). « Dieu est tout en tous » (1Co 15,28), dans l’unité d’un même Esprit… Ils sont maintenant pleinement ses enfants « à son image et ressemblance » (Gn 1,26-28), vivants pleinement de sa Vie par le Souffle (Gn 2,4b-7) de l’Esprit qui vivifie (Jn 6,63 ; Ga 5,25)… Pour eux, le projet de Dieu sur tout homme est accompli… 

Christ en gloire. Tympan Vézelay

Vézelay, tympan intérieur, portail central du narthex

            Puis St Jean entend un « mugissement de grandes eaux » qui renvoie à une manifestation de Dieu Lui-même. Souvenons-nous : dans l’Apparition inaugurale, « la voix » du Christ Ressuscité était « comme la voix des grandes eaux » (Ap 1,15), c’est-à-dire comme celle de Dieu Lui-même (Ez 1,24 ; 43,2). Le Père est Dieu, le Fils est Dieu… Le Père et le Fils, bien que différents l’un de l’autre, sont « un » (Jn 10,30), dans la communion d’un même Esprit, d’une même Vie, d’un même Amour. Alors, dans ce Mystère de Communion, qui écoute le Fils écoute le Père (Jn 6,45 ; 8,28 ; 12,49-50)… Dans l’Ancien Testament, « le grondement de l’orage » (Ps 81(80),8) renvoie aussi aux manifestations divines, souvent évoquées par cette figure de l’orage ou du tonnerre (Ap 6,1 ; Ex 19,16.19 ; 20,18 ; Ps 77(76),19 ; 104(103),7). Mais ici, les 144 000, c’est-à-dire la multitude de tous les hommes de tous les temps ayant accepté de se laisser sauver par Dieu, unissent leur voix à celle de Dieu… Tous en fait chantent d’une seule voix dans ce Mystère de Communion qui les unit : Dieu sur son « trône », évoqué aussi avec l’image des « quatre vivants » (Ap 4,6), et « les Vieillards » (Ap 4,4) qui renvoient en fait aux 144 000 : la communion des saints (Ap 14,3)… Chacun est unique, chacun donne du sien, mais l’harmonie et la beauté de l’ensemble viennent de ce même Esprit que tous possèdent en Plénitude : Dieu Lui‑même bien sûr, Source de Toute Plénitude (Ep 3,14-21 ; 5,18 ; Col 1,18-20 ; 2,8‑10), et « les rachetés de la terre », les femmes et les hommes sauvés, chacun selon sa condition de créature… On pourrait dire que le résultat final, avec la collaboration de tous, est en fait « la voix de l’Esprit » (Jn 3,8), une voix qui s’unissait silencieusement à celle de Jésus lorsqu’il donnait au monde les Paroles qu’il avait reçues de son Père (Jn 3,34 BJ[3] ; 15,26 ; 1Jn 1,5,5-13). C’est pourquoi « jamais homme n’a parlé comme cela » (Jn 7,46). Et « ce cantique nouveau » que tous chantent d’une seule voix est un chant de louange qui célèbre le salut des hommes et la Vie de tous… « La harpe », dans les Psaumes, est en effet l’instrument de la louange par excellence (Ps 9,1 ; 33(32),2 ; 43(42),4 ; 57(56),8-10 ; 71(70),22…).


Christ Vézelay, tympan extérieur

Vézelay, tympan de la façade extérieure de la Basilique Ste Madeleine

            Comme nous le disions au tout début, « ces rachetés » ont choisi de se laisser racheter par Dieu. Jour après jour, ils lui ont offert leurs misères, leurs faiblesses, tout ce qui pouvait s’opposer à son amour… Et ils ont reçu en retour l’abondance de ses miséricordes (Rm 5,20 ; 2Co 1,3 ; 1P 1,3 ; Lc 1,49-50 ; 1,76-79) qui leur a permis de vivre, grâce à Lui, ce qu’ils n’auraient jamais pu vivre par eux-mêmes… En offrant jour après jour leur péché à « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), ils ont librement choisi de ne pas demeurer dans le péché… St Jean l’évoque avec l’image de la prostitution qui, dans l’Ancien Testament, renvoie au culte des idoles de toutes sortes (Jg 8,27 ; Lv 17,7 ; Ps 106(105),39 ; Jr 3,6 ; Ez 20,30 ; 23,19 ; Os 6,10…). En refusant que le péché ait le dernier mot dans leur vie, en s’abandonnant jour après jour entre les mains du Christ Sauveur, ils ne se sont pas définitivement « souillés avec des femmes ». Bien plus, ils ont retrouvé grâce à l’Eau Vive de l’Esprit Saint répandue sur eux en surabondance cette virginité de cœur qu’ils avaient perdue… En laissant le Christ avoir le dernier mot dans leur vie de pécheurs, d’êtres blessés, la prophétie d’Osée a pu pleinement s’accomplir pour eux : « Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai dans la justice et dans le droit, dans la tendresse et la miséricorde ; je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur » (Os 2,21-22). La Bible de Jérusalem explique en note : « Ce verbe « fiancer » est utilisé dans la Bible uniquement à propos d’une jeune fille vierge. Dieu abolit ainsi totalement le passé adultère d’Israël, qui est comme une créature nouvelle » (cf. 2Co 5,17-21 ; Tt 3,4-7). « Ils sont vierges » déclare St Jean en Ap 14,4. Et, poursuit la note, « dans l’expression “ je te fiancerai dans (la justice) ”, ce qui suit la préposition “ dans ” désigne la dot que le fiancé offre à sa fiancée (même construction en 2 S 3,14). Ce que Dieu donne à Israël dans ces noces nouvelles ce ne sont plus les biens matériels de l’alliance ancienne, mais les dispositions intérieures requises pour que le peuple soit désormais fidèle à l’alliance. Nous avons déjà ici en germe tout ce qui sera développé par Jérémie et Ezéchiel : l’alliance nouvelle et éternelle (“ pour toujours ”, 2,21), la loi inscrite dans le cœur, le cœur nouveau, l’Esprit nouveau, (Jr 31,31-34 ; Ez 36,24-28). » 

Vézelay, fraternité monastique de Jérusalem en prière

Vézelay, Fraternité Monastique de Jérusalem en prière…

Mais en acceptant de s’abandonner avec confiance entre les mains du Christ, ils répondaient en fait à son appel pressant de se laisser aimer tels qu’ils étaient, avec toutes leurs faiblesses, leurs limites, leurs imperfections, leurs fragilités et leurs misères… Et jour après jour, fidèlement, l’Esprit du Christ les relevait et leur donnait inlassablement la possibilité de reprendre et de reprendre encore le chemin à sa suite : « ceux-là suivent l’Agneau partout où il va ». Et où va-t-il ? Vers la Plénitude de Lumière et de Vie que l’on trouve dans la Maison du Père, ce Mystère de Communion dans l’Esprit où Dieu veut que nous soyons, dès maintenant par la foi (Jn 17,24 ; 14,1‑3), et pour toujours au Ciel… Et c’est là où ils se retrouvent maintenant rassemblés dans un unique chant de louange… Dieu est heureux de leur bonheur, « il exulte pour eux de joie, il danse pour eux avec des cris de joie, comme aux jours de fête » (So 3,17-18 ; Lc 15,7). Et de leur côté, ils sont heureux de ce Bonheur de Dieu qui les remplit (Jn 15,10), et ils lui chantent à leur tour leur reconnaissance et leur joie…

         Sacré Coeur, Vézelay.

Sacré Coeur, Vézelay

Ils sont ainsi « les prémices pour Dieu et pour l’Agneau » en attendant la fin du monde et le rassemblement complet de toute l’humanité[4] qui, espérons-le, acceptera de répondre à la Miséricorde par la vérité d’une misère acceptée et offerte… C’est ainsi, en reconnaissant la vérité de leurs erreurs et de leurs mensonges passés, en les regrettant amèrement, qu’ils se retrouveront « saints et immaculés en Présence de Dieu dans l’Amour » (Ep 1,4) grâce à l’action purificatrice de l’Esprit Saint… Ils l’avaient reçu au jour de leur baptême, ils lui ont redit « oui » fidèlement tout au long de leur vie en acceptant de recevoir les sacrements de l’Eglise, et notamment ceux de la Réconciliation et de l’Eucharistie… Alors, au long des jours, de pardon en pardon, de grâce en grâce, la volonté du Seigneur s’est accomplie pour eux : « le Christ a aimé l’Église : il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne ; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée » (Ep 5,25-27 ; Ap 14,5).

                                                                                                                   D. Jacques Fournier

  

[1] Douze (les douze tribus d’Israël, et avec elles, tous ceux et celles qui ont vécu au temps de l’Ancienne Alliance) x Douze (les douze apôtres, et avec eux tous ceux et celles qui, après la mort et la Résurrection du Christ, ont vécu, vivent et vivront dans le régime de la Nouvelle Alliance, et cela jusqu’à la fin des temps) x 1000 (multitude innombrable).
[2] Dans la Bible, le nom d’une personne renvoie au Mystère de ce qu’elle est ; ainsi « être marqué du Nom de Dieu » c’est, quelque part, participer au Mystère de ce qu’Il Est. Et c’est bien ce qui arrive lorsque les croyants disent « oui » par leur foi et dans la foi au Don de Dieu, l’Esprit Saint… En recevant l’Esprit, ils participent par grâce à ce que Dieu est par nature, ils sont marqués de son Nom. Mais l’image dit encore plus : en portant le Nom de leur « Papa », leur vocation à devenir « enfant de Dieu », qui est la vocation de tout homme, s’accomplit pleinement… « Voyez quelle manifestation d’amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes! (…) Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est » (1Jn 3,1-2). 
[3] Jn 3,34 : « Celui que Dieu a envoyé (Jésus, le Fils Unique) prononce les paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure ». 
[4] La Bible de Jérusalem donne en note pour « prémices » : « Vocabulaire sacrificiel. Les prémices représentaient toute la moisson (Dt 26,2), les premiers-nés toute la famille (Nb 3,12), etc. Les victimes offertes au vrai Dieu devaient être sans défaut, (Ex 12,5 ; 1 P 1,19). » Et elles le sont ici, vraiment, grâce à la Toute Puissance de la Miséricorde de Dieu : « Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez lavés de toutes vos souillures » (Ez 36,25), dit le Seigneur…

AP – SI – Fiche 25 – Ap 14,1-5 : Cliquer sur le titre précédent pour accéder au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.




Le faux prophète au service de la Bête (Ap 13,11-18)

            Je vis ensuite surgir de la terre une autre Bête ; elle avait deux cornes comme un agneau, mais parlait comme un dragon. (12) Au service de la première Bête, elle en établit partout le pouvoir, amenant la terre et ses habitants à adorer cette première Bête dont la plaie mortelle fut guérie. (13) Elle accomplit des prodiges étonnants : jusqu’à faire descendre, aux yeux de tous, le feu du ciel sur la terre ; (14) et, par les prodiges qu’il lui a été donné d’accomplir au service de la Bête, elle fourvoie les habitants de la terre, leur disant de dresser une image en l’honneur de cette Bête qui, frappée du glaive, a repris vie. (15) On lui donna même d’animer l’image de la Bête pour la faire parler, et de faire en sorte que fussent mis à mort tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la Bête. (16) Par ses manœuvres, tous, petits et grands, riches ou pauvres, libres et esclaves, se feront marquer sur la main droite ou sur le front, (17) et nul ne pourra rien acheter ni vendre s’il n’est marqué au nom de la Bête ou au chiffre de son nom. (18) C’est ici qu’il faut de la finesse! Que l’homme doué d’esprit calcule le chiffre de la Bête, c’est un chiffre d’homme : son chiffre, c’est 666.

            

            Cette deuxième bête « avait deux cornes comme un agneau, mais parlait comme un dragon » (Ap 13,11). Elle se présente donc comme un agneau, comme le Christ, comme un envoyé du Christ, un prophète du Christ, mais son langage et sa doctrine sont ceux du Serpent, de l’Adversaire, du Dragon… Elle est d’ailleurs à « son service »… La Bible de Jérusalem écrit en note : Cette seconde bête « sera désignée par la suite sous le nom de “ faux prophète ” (Ap 16,13 ; 19,20 ; 20,10). Avant de décrire le retour du Fils de l’homme (Ap 14,14-20 ; cf. 19,11s et Mt 24,30), Jean montre à l’œuvre les faux christs (première Bête) et les faux prophètes (deuxième Bête) annoncés par le Christ, (Mt 24,24 ; cf. 2 Th 2,9). »

 Christ Ressuscité - Lisieux

            Et ces faux prophètes accomplissent des prodiges étonnants (Ap 13,13-14) comme autrefois les devins de Pharaon face à Moïse (cf. Ex 7,8-13)… C’est pour cela que tout signe, tout prodige, aussi magnifique soit-il, doit toujours être reçu avec prudence et discernement… « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » (Ap 13,9)… Le but de ces prodiges, de ces signes trompeurs et mensongers, est d’attirer le plus possible de personnes loin de la vérité, et donc loin de Dieu… Par « ses manœuvres », par ses menaces de mort…, cette seconde bête arrive ainsi à « marquer » le nom de la Bête ou le chiffre de son nom, « sur la main droite et sur le front », une nouvelle parodie qui vise cette fois le baptême où chaque chrétien est marqué en son cœur du sceau ineffaçable de l’Esprit (2Co 1,22 ; Ep 1,13-14 ; 4,30), le plus beau cadeau que Dieu puisse lui faire… Car avec lui et par lui, il lui donne de participer, gratuitement, par amour, à ce qu’Il Est, à ce que Lui seul Est… Et c’est ainsi que l’homme, sa créature, peut devenir à son image et ressemblance (Gn 1,26-27 ; Jn 1,12-13), vivant du souffle de l’Esprit (Gn 2,7), et donc de sa Lumière et de sa Vie… Souvenons-nous du tout début du Livre de l’Apocalypse : « Puisque tu as gardé ma consigne de constance, à mon tour je te garderai de l’heure de l’épreuve qui va fondre sur le monde entier pour éprouver les habitants de la terre. Mon retour est proche : tiens ferme ce que tu as, pour que nul ne ravisse ta couronne. Le vainqueur, je le ferai colonne dans le temple de mon Dieu; il n’en sortira plus jamais et je graverai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la Cité de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem qui descend du Ciel, de chez mon Dieu, et le nom nouveau que je porte » (Ap 3,10-12). Et puisque le nom dans la Bible renvoie au Mystère de celui qui le porte, le « Nom de Dieu » est « Esprit » (Jn 4,24), « Lumière », (1Jn 1,5), « Amour » (1Jn 4,8.16). Dieu-AmourAvoir gravé sur lui le nom de son Dieu, c’est participer à son Esprit, à sa Lumière, à son Amour… Tel est le fruit par excellence du baptême… Et le don de cet Esprit par lequel le Père a ressuscité son Fils d’entre les morts, nous donne à notre tour, de participer déjà, dans la foi, à la condition future des ressuscités (Ep 2,6 ; Col 2,12 ; Rm 8,11), au nom nouveau que Jésus porte… Enfin, cet Esprit reçu est celui qui habite en Plénitude le Père, le Fils et l’Esprit Saint, ces Trois Personnes divines qui vivent en communion dans « la Maison du Père » (Jn 14,1-4), le Royaume des Cieux (Rm 14,17 ; 2Co 13,13). C’est pour cela que ceux qui acceptent de recevoir ce Don de l’Esprit et qui essayent par la suite de lui demeurer fidèles par leur obéissance de cœur, reçoivent aussi « le nom de la Cité de mon Dieu » qui est en fait « communion »… Telle est la Jérusalem céleste (Ap 21,1-4) déjà offerte à notre foi par le Don de l’Esprit qui nous introduit dès maintenant, dans un mystère de communion, de cœur, avec Dieu… Alors, « heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru », car au milieu de toutes les épreuves de ce monde, ils vivent déjà, dans le secret de leur cœur, de la vie, de la paix et de la joie discrète mais souveraine du Royaume…

 foule

            Notons enfin que cette marque de la bête « sur la main droite ou sur le front » est lié ici au fait d’acheter ou de vendre, c’est-à-dire, d’une manière ou d’une autre, à l’argent : « Nul ne pourra rien acheter ni vendre s’il n’est marqué au nom de la Bête ou au chiffre de son nom » (Ap 13,17). Or, tout comme la bête, l’argent peut devenir une idole si la seule préoccupation est de l’amasser pour lui-même… «Nul serviteur ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » (Lc 16,13).

 

Le chiffre 666            Et « c’est ici qu’il faut de la finesse ! Que l’homme doué d’esprit calcule le chiffre de la Bête, c’est un chiffre d’homme : son chiffre, c’est 666 » (Ap 13,18). C’est un chiffre d’homme : la clé est donc un nom d’homme… Ce chiffre ne renvoie donc pas à Satan, à l’Adversaire, mais à un homme qui fait son jeu en faisant le mal… Or tout le contexte pointe vers le nom d’un empereur romain… C’est donc dans cette direction que les recherches ont porté. St Irénée de Lyon (2°-3° s ap JC) proposait « lateinos » (latin) ou « teitan » (Titan)… Des copistes, sur certains manuscrits, ont aussi changé 666 en 616 pour arriver à l’empereur romain Caligula (surnommé Gaios Kaisar) ou pour désigner plus généralement tout empereur divinisé (Theos Kaisar)… Quoiqu’il en soit, « on retiendra que ce verset énigmatique ne prend tout son sens qu’à la lumière du contexte plus large des chapitres 13-18, où toutes les descriptions de la Bête et de ses activités convergent en direction de Rome et du pouvoir impérial » (Jean-Pierre Prévost).                

                                                                                                                       D. Jacques Fournier

 

 AP – SI – Fiche 24 – Ap 13,11-18 : Cliquer sur le titre précédent pour accéder au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.




Le Dragon transmet son pouvoir à la Bête (Ap 13,1-10)

            Alors je vis surgir de la mer une Bête ayant sept têtes et dix cornes, sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des titres blasphématoires. (2) La Bête que je vis ressemblait à une panthère, avec les pattes comme celles d’un ours et la gueule comme une gueule de lion ; et le Dragon lui transmit sa puissance et son trône et un pouvoir immense. (3) L’une de ses têtes paraissait blessée à mort, mais sa plaie mortelle fut guérie; alors, émerveillée, la terre entière suivit la Bête. (4) On se prosterna devant le Dragon, parce qu’il avait remis le pouvoir à la Bête; et l’on se prosterna devant la Bête en disant :  Qui égale la Bête, et qui peut lutter contre elle ? (5) On lui donna de proférer des paroles d’orgueil et de blasphème ; on lui donna pouvoir d’agir durant quarante-deux mois ; (6) alors elle se mit à proférer des blasphèmes contre Dieu, à blasphémer son nom et sa demeure, ceux qui demeurent au ciel. (7) On lui donna de mener campagne contre les saints et de les vaincre; on lui donna pouvoir sur toute race, peuple, langue ou nation. (8) Et ils l’adoreront, tous les habitants de la terre dont le nom ne se trouve pas écrit, dès l’origine du monde, dans le livre de vie de l’Agneau égorgé. (9) Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! (10) Les chaînes pour qui doit être enchaîné ; la mort par le glaive pour qui doit périr par le glaive ! Voilà qui fonde l’endurance et la confiance des saints.  

            Souvenons-nous : le Dragon est « l’antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier » (Ap 13,9). Jésus l’appelle le Mauvais (Mt 5,37 ; 6,13), « le Prince de ce monde » (Jn 12,31 ; 14,30 ; 16,11). St Paul parle du « dieu de ce monde » qui enténèbre le cœur, la pensée et l’intelligence (2Co 4,4) de ceux qui lui obéissent… Mais nul ne saurait comparer une créature de Dieu au Créateur lui‑même… Les actions, les manœuvres du Mauvais ne peuvent qu’être « petites » actions et « petites » manœuvres devant l’Infini du créateur… Aucune comparaison n’est donc possible entre le Serpent qui rampe sur la terre, et le Fils Unique qui vient du ciel… Le premier tremble devant le second, s’écrase et disparaît (Lc 8,28 ; Mc 1,23-26 ; Lc 4,33-37), comme les ténèbres ne peuvent que fuir et finalement disparaître devant la Lumière (Jn 1,4-5). En fait, le Serpent n’a d’autre poids que celui qu’on lui donne.  Dans son orgueil, il veut prendre le devant de la scène, il aime qu’on s’intéresse à lui, qu’on parle de lui, qu’on lui accorde de l’importance, une importance qu’il n’a pas devant le Seigneur…
victoire
Il est comme cette grenouille qui se gonfle démesurément pour faire peur… Mais une grenouille restera toujours une grenouille… Et le Seigneur est venu justement rétablir la vérité, remettre chacun à sa juste place et manifester sa Souveraineté sur ce monde des ténèbres… « Sur lui, il n’a aucun pouvoir » (Jn 16,11). Et puisque « la véritable Lumière brille déjà » dans le cœur de tous ceux et celles qui consentent à sa Présence (1Jn 2,8), les ténèbres ne peuvent que s’en aller. En effet, la mort et la résurrection du Christ sont déjà la victoire définitive de Dieu sur toutes les « Principautés, Puissances et Régisseurs de ce monde de ténèbres » (Ep 6,12 ; Col 2,15).  « Le Prince de ce monde est déjà condamné » (Jn 16,11) et les disciples de Jésus ont déjà vaincu le Mauvais (Jn 2,14) parce qu’ils ont accueilli la Parole du Christ, ils ont cru en elle… Et en accueillant cette Parole du Père transmise par le Fils, ils ont accueilli l’Esprit Saint qui se joint toujours à elle et qui a commencé à remplir leur cœur de sa Lumière… 

Esprit Saint

« En effet », nous dit Jean Baptiste, « celui que Dieu a envoyé », Jésus, « prononce les Paroles de Dieu car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34). Qui accueille sa Parole accueille donc au même moment l’Esprit de ce Dieu qui est Esprit (Jn 4,24) et qui est tout en même temps « Lumière » (1Jn 1,5). Et cet Esprit de Lumière chassera bien vite les ténèbres des cœurs… A chacun ensuite d’essayer de son mieux de « garder sa Parole », car « garder la Parole », c’est « obéir à Dieu » qui « donne l’Esprit Saint à ceux qui lui obéissent » (Ac 5,32 ; Jn 14,15-17). « Garder la Parole », c’est donc « garder l’Esprit », veiller à demeurer de cœur dans la paix, ne pas éteindre sa Lumière en faisant ce qui est mal (1Th 5,19-22).
En agissant ainsi, soutenu par l’Esprit qui l’a libéré des chaînes de ses esclavages (cf. Jn 8,31-36 ; Ga 5,1 ; Rm 6,12-14), le disciple de Jésus décide librement et de tout cœur de suivre son Maître sur ses chemins de lumière (Jn 8,12 ; 12,46). Or, nous dit Jésus, « si quelqu’un me sert, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur » (Jn 12,26). Et où est Jésus ? Uni au Père dans la communion d’un même Esprit, cet Esprit qui est tout en même temps Vie et Plénitude de Vie (Jn 6,63 ; Rm 8,2 ; 8,6 (TOB) ; fin de 2Co 3,6 ; Ga 5,25 ; fin de Ga 6,8 ; fin de 1P 3,18 ;fin de 1P 4,6 ; Ap 11,11), Lumière, Paix, Joie, Douceur (Ga 5,22-23)… Là est le vrai Bonheur… « Gloire, honneur et paix » à quiconque emprunte ce chemin… Mais qui se laisse emporter sur les chemins du mal ne pourra qu’être privé de tous ces biens… Au lieu de faire l’expérience d’une Plénitude discrète mais bienheureuse, il vivra un manque, un mal-être, un sentiment indéfini de vide, et donc une souffrance… « Souffrance et angoisse à toute âme humaine qui fait le mal » (Rm 2,9)… Notre vraie boussole intérieure est donc la paix sur laquelle il faut veiller comme sur un trésor, la paix qui est synonyme de Plénitude, la paix qui ne fait pas de bruit, qui est infiniment discrète et qui pourtant est déjà, quelque part, participation à la Plénitude de « l’insondable richesse du Christ » (Ep 3,8)… 
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Récapitulons… Le mal fait du bruit, il veut occuper toute l’attention, il impressionne par sa force, sa violence, son aspect terrifiant… Il est rempli d’orgueil et de suffisance… Mais les apparences sont trompeuses… Il est en fait comme un colosse aux pieds d’argile, prêt à s’effondrer (Dn 2,31-45)… Dieu, Lui, est humble (Mt 11,29)… Il agit toujours dans la discrétion, la douceur et la paix … Face au mal, il semble faible… Apparemment écrasé, un instant, sa force silencieuse se révèle finalement invincible… 
Tel est le regard de foi que le disciple de Jésus s’est invité à porter sur les réalités qui l’entourent… Il demande une prière continuelle, « dans l’Esprit » (Ep 6,18), sa source inépuisable de tendresse, de miséricorde, de force, de douceur et de paix… Par cet Esprit, Dieu lui-même fait sa demeure dans son cœur (Jn 14,23), au sens où il l’établit dès maintenant, dans la foi et par sa foi, dans un Mystère de Communion avec Lui dans l’unité d’un même Esprit (Ep 4,1-6) : l’Esprit qu’il accueille en son cœur habite au même moment en Plénitude en Dieu Père, Fils et Saint Esprit… Or, sur Dieu et donc sur son Esprit, le Prince de ce monde n’a aucun pouvoir (Jn 16,11). Sa Lumière, par sa seule Présence, chasse les ténèbres (Jn 1,5)… Et c’est ainsi que le disciple de Jésus, par sa foi, peut triompher de tout mal…
colombe_677            Ainsi, notre préoccupation première ne doit pas être Satan, mais Jésus… Ce n’est pas à Satan qu’il faut donner de l’importance, mais à Jésus… Ce n’est pas de Satan qu’il faut parler, même pour inviter à se détourner de lui… C’est Jésus qu’il faut annoncer, c’est vers Lui qu’il faut tourner notre regard et notre cœur. Seul son Nom devrait habiter nos pensées… Plutôt que de se préoccuper de Satan, de le voir partout, d’avoir peur de lui (ce qui serait le signe d’un manque de foi[1]), il vaut mieux se tourner vers Jésus. « Il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20), avec nous et pour nous1Co 1,30-31), offert à notre cœur pour que nous puissions bénéficier avec Lui des « fleuves d’Eau Vive » et de « paix » qu’il est venu nous offrir (Jn 7,37-39 ; Is 66,12). Alors, même si nous ne le voyons pas, nous le reconnaîtrons (Jn 14,21) par la qualité et l’intensité de cette vie qu’il nous apporte (Jn 10,10 ; 6,47 ; 20,30-31 ; 1Jn 5,13), par la paix qu’il nous communique (Jn 14,27), par le repos dans lequel il nous introduit (Mt 11,28-30 ; Hb 4,3.11). Discrétion toute puissante du Dieu Tout Puissant, face à celui qui s’agite et fait beaucoup de bruit, pour impressionner, faire peur, terroriser, alors qu’en définitive, il n’est rien… Alors que Dieu, Lui, Il Est (cf. Ex 3,13-15 ; Jn 8,24.28.58)… 

 

[1] Ceux qui ont peur se laissent impressionner ; en fait, ils ne voient que le mal : « Qui égale la Bête, qui peut lutter contre elle ? ». « Personne », pensent-ils, et ils se trompent… Ils oublient Dieu et ses serviteurs comme Mickaël dont le nom signifie : « Qui (est) comme Dieu ? » (cf. Ap 12,7-8). Et là, la seule réponse est : personne…

            Impressionnante… Telle est bien cette Bête « qui ressemble à une panthère, avec les pattes comme celles d’un ours et la gueule comme une gueule de lion » (Ap 13,2). Tout dit sa puissance et sa royauté : ses « dix cornes » et ses « dix diadèmes »… Mais si la corne est effectivement un symbole de force, le chiffre dix, tout en étant important, renvoie malgré tout à une puissance limitée… Cela est encore suggéré par l’expression : « on lui donna de mener campagne contre les saints et de les vaincre ; on lui donna pouvoir sur toute race, peuple, langue et nation » (Ap 13,7)… « On lui donna »… Ce n’est donc pas la Toute Puissance Libre et Souveraine de Dieu… Un jour ou l’autre, on lui reprendra, c’est-à-dire, la justice et la paix finiront toujours par triompher…
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            « Ses sept têtes » symbolisent les sept collines de Rome. La Bête de la mer est donc l’empire romain, avec sa puissante armée qui avait envahi à l’époque tout le monde connu, le bassin méditerranéen… « L’une de ses têtes paraissait blessée à mort, mais sa plaie mortelle fut guérie », et la Bible de Jérusalem écrit en note : « Allusion à quelque restauration de l‘empire momentanément ébranlé (Mort de César ? Troubles qui suivirent la mort de Néron ?). La Bête égorgée et guérie est une parodie du Christ mort et ressuscité. » Et en écrasant les peuples, en semant les inévitables souffrances et destructions des guerres de conquêtes, la Bête, l’empire romain, fait le jeu du mal, de Satan, le Dragon… C’est pourquoi l’auteur écrit : « le Dragon avait remis le pouvoir à la Bête ». 
            Et la Bête agit bien comme le Dragon : « paroles d’orgueil », le péché par excellence, « et de blasphème » : « sur sa tête, des titres blasphématoires » (Ap 13,1)… Elle blasphème car elle veut écarter Dieu et prendre sa place (cf. Lc 4,5‑8) : viendra « l’Adversaire, celui qui s’élève au dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui‑même comme Dieu » (2Th 2,4). Les empereurs romains se faisaient d’ailleurs appeler « Sauveurs ». Certains se présentaient même comme l’incarnation des dieux, dieux eux‑mêmes, et ils se faisaient construire des temples. Mais seul le Christ est « Sauveur », « Fils Unique de Dieu », Dieu lui-même… Et il avait prévenu ses disciples : « Il surgira, en effet, des faux Christs et des faux prophètes, qui produiront de grands signes et des prodiges, au point d’abuser, s’il était possible, même les élus. Voici que je vous ai prévenus » (Mt 24,23-25)… 
Icône de la TrinitéCette Bête « se mit donc à proférer des blasphèmes contre Dieu, à blasphémer son nom et sa demeure, ceux qui demeurent au ciel » (Ap 13,5-6)… Si Dieu est Mystère de Communion de Trois Personnes divines, Père, Fils et Saint Esprit, dans l’unité d’un même Esprit, si Satan, l’Adversaire (2Th 2,3-4), s’attaque à Dieu, il ne peut donc au même moment que s’attaquer aussi à tous ceux et celles que Dieu, dans sa Miséricorde, a introduits dans son Mystère de Communion (Ep 2,18) par le pardon généreusement offert de toutes leurs fautes et le Don de l’Esprit Saint (Ac 2,38)…
D’où sa « campagne contre les saints » et son apparente victoire (Ap 12,7)… L’agneau aussi fut égorgé… Apparente victoire… Mais sa résurrection d’entre les morts a finalement manifesté la défaite de toutes les puissances du mal… « Ceux dont le nom se trouve écrit dans le Livre de Vie » (Ap 13,8), les disciples du Christ, participent dès maintenant, par leur foi et dans la foi à cette victoire : « Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont Il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ – c’est par grâce que vous êtes sauvés! –, avec lui Il nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jésus. Il a voulu par là démontrer dans les siècles à venir l’extraordinaire richesse de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus » (Ep 2,4-7). Et puisque Dieu veut que tous les hommes soient sauvés (1Tm 2,3-6), c’est cette Bonté, cet Amour et cette Miséricorde qu’il faut maintenant annoncer à temps et à contre-temps, pour que le plus possible de personnes puissent bénéficier du Mystère du « Livre de Vie »… Du côté de Dieu, leur nom y est déjà inscrit… Il leur reste juste à signer, à dire « oui » au Don déjà offert, une signature qui remplira de joie le cœur de Dieu (Lc 15,7.10 ; So 3,16‑17). En effet, dit Jésus, « je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 10,10)… Et tous ceux et celles qui acceptent de la recevoir, gratuitement, par amour, lui disent ainsi indirectement : « Merci, tu n’es pas venu pour rien, tu n’as pas souffert pour rien »… 
D. Jacques Fournier

 

AP – SI – Fiche 23 – Ap 13,1-10 : Cliquer sur le titre précédent pour accéder au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.




29ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 18 octobre 2015

Isaïe 53, 10-11 (S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance et il prolongera ses jours.)

Ce passage du livre d’Isaïe conclut le fameux poème du Serviteur souffrant (Isaïe 52, 13 – 53, 12) que nous lisons dans son intégralité le vendredi saint, au début de la célébration. Les deux versets ici retenus par la liturgie veulent établir un parallèle avec la déclaration finale de Jésus dans l’évangile de ce jour : « Le Fils de l’homme » est venu pour « donner sa vie en rançon pour la multitude. » Le rapprochement lexical entre ces deux textes n’est pas évident (voir plutôt Isaïe 43, 3-4). Néanmoins, le rapport entre le « Serviteur » énigmatique du livre d’Isaïe et la mission de Jésus reste pertinent.

  Dans ce poème, le Serviteur représente sans doute les exilés à Babylone. Ils ne sont pas plus pécheurs que ceux qui, restés sur la terre d’Israël, ont échappé à cette épreuve. Au contraire, les déportés ont dans leur exil et aux yeux de Dieu, la valeur d’un *sacrifice de réparation qui pardonne ici les péchés de tout le peuple, « les multitudes », même de ceux qui n’ont pas connu ce malheur. En d’autres termes, le Seigneur ne punira plus son peuple, parce que la fidélité envers lui des exilés est un sacrifice suffisant pour obtenir son pardon et un gage d’avenir, comme s’ils se « chargeaient », sans le savoir peut-être, des péchés de tous.

  Le Serviteur, ainsi compris, est un « juste » et il « justifie » les multitudes. Ce verbe « justifier » se comprend, au sens de la théologie juive : est juste celui que Dieu considère comme juste, en raison de sa conduite. Ainsi, le Serviteur, par sa fidélité et son sacrifice, un sacrifice qu’il ignore lui-même, obtient le fait inouï que le Peuple entier redevient juste aux yeux du Seigneur. C’est ce paysage spirituel qu’il faut avoir en mémoire, lorsque Pierre déclare, dans le Temple et à propos de Jésus : « Vous avez chargé le Saint et le Juste » (Actes 3, 14).

* Le sacrifice de réparation. Voir le rituel de Lévitique 5, 14-26. C’est une compensation personnelle donnée à Dieu, par l’offrande d’un bélier pour les fautes commises par inadvertance contre l’un ou l’autre commandement. Dans le 4e chant, c’est le Serviteur, quel que soit ce personnage, qui joue volontairement ce rôle. D’où cette image : « comme du petit bétail conduit à l’abattoir » (Isaïe 53, 7).

Hébreux 4, 14-16 (« Avançons-nous avec assurance vers le Trône de la gloire. « )

Lorsqu’on présente Jésus comme « Messie », répétons-le, on se rappelle que, dans l’Ancien Testament, le mot messie signifie oint par l’huile et que l’onction peut évoquer trois personnages, trois figures : le roi, le prophète et le grand prêtre. Les évangiles se sont concentrés sur les figures royale et prophétique pour présenter Jésus comme Messie. Apparemment, seule la Lettre aux Hébreux s’est risquée à présenter Jésus comme Messie en tant que grand prêtre, grand prêtre par son entrée dans le sanctuaire du ciel à travers sa Passion et sa Résurrection.

  Dans ces deux versets d’aujourd’hui, on passe, dans la même veine, à un autre registre. Dans nos inquiétudes politiques et économiques, à qui nous fier ? Nous voici convoqués à « tenir ferme dans l’affirmation de notre foi ». La figure du grand prêtre est double. D’une part, selon les légendes juives dont s’inspire notre auteur, le grand prêtre est semblable à un ange qui est accès au ciel et peut même se rendre invisible. D’autre part, selon l’histoire de la Bible et du judaïsme, certains grands prêtres furent assassinés pour avoir défendu la justice au sein de leur peuple. Voir, par exemple, 2 Chroniques 24, 20-22. C’est ce second aspect que retient notre texte. Jésus n’est pas venu pour résoudre nos misères, mais pour partager nos épreuves. Il a endossé les faiblesses de l’humanité, jusqu’à la croix évoquée ici à demi-mot. Il a donc affronté la perspective de la mort, selon la commune destinée humaine et, lui « il n’a pas péché » en se révoltant. Voilà ce qui doit motiver notre confiance envers le « Dieu tout-puissant », si nous comprenons la solidarité du Christ qui, à travers sa mission terrestre, nous accompagne, en *médiateur, vers un Dieu toujours secourable.

* Le Médiateur. « Ô Seigneur médiateur, Dieu plus haut que nous, homme à cause de nous, je reconnais ici ta miséricorde. Car, que toi, qui es si grand, tu sois ainsi troublé par une attention de ton amour, cela console bien des membres de ton corps, qui sont troublés par leur faiblesse, et cela les empêche de désespérer et de périr » (Saint Augustin).

Marc 10, 35-45 (Le Fils de l’homme est venu pour donner sa vie en rançon pour la multitude)

Un double épilogue achève, selon le « montage » de Marc, le discours de Jésus sur les relations communautaires chrétiennes. Le premier, aujourd’hui, à travers la requête des fils de Zébédée, manifeste une incompréhension du discours, mais livre en même temps la clé de lecture de tout l’épisode. Le second, dimanche prochain, souligne une vraie réussite, dans l’aveugle Bartimée.

  Le passage se divise en deux parties. C’est d’abord la requête incongrue de Jacques et Jean, puis l’indignation des « dix autres » qui conduit à une déclaration décisive de Jésus.

La requête de Jacques et de Jean

En recopiant Marc, Matthieu se montre plus courtois envers les deux frères. Selon lui, c’est « la mère des fils de Zébédée » (Matthieu 20, 20) qui, en bonne mère juive, intercède pour ses rejetons. La tradition évangélique en général ne ménage pas les deux frères. Leur surnom est « fils du tonnerre » (Marc 3, 17). Ils veulent faire tomber la foudre sur un village samaritain inhospitalier (Luc 9, 54) et Jean veut empêcher un outsider de pratiquer des exorcismes au nom de Jésus (Marc 9, 38).

  La demande des deux frères manifeste une étrange incompréhension du discours qui s’achève. Ils demandent de siéger dans la gloire de Jésus, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Ici se profile de nouveau l’ironie de l’évangéliste. D’abord un sous-entendu : lequel sera à droite et l’autre à gauche ? Voilà une source de jalousie renvoyant à la dispute sur « le plus grand » (Marc 9, 33-37), au début du discours. C’est ensuite l’annonce cruelle de la Passion. Car, en fait d’assistants glorieux, Jésus sera crucifié entre deux bandits, « l’un à sa droite, l’autre à sa gauche » (Marc 15, 27). La réponse de Jésus joue sur deux registres.

  Au premier chef, Jésus annonce sa propre destinée : il va « boire la coupe », une expression juive ancienne désignant le sort mortel de l’humanité (« boire la coupe de la mort »). S’ajoute l’image du baptême, c’est-à-dire l’engloutissement, la noyade : « Pouvez-vous être baptisés du baptême dont je suis baptisé ? » (traduction littérale). À l’évidence, Marc dépend ici, dans ce qu’il fait dire à Jésus, de la théologie baptismale de son maître, saint Paul : « Par le baptême dans sa mort, nous avons été ensevelis avec lui » (Romains 6, 4). On notera que, dans le passage parallèle, Matthieu (20, 22) omet cette mention, en raison de sa théologie différente du baptême qui, pour lui, signifie et signe une appartenance du croyant au Dieu trinitaire (Matthieu 28, 19). Les évangélistes ne sont pas des copistes, mais des théologiens et des pasteurs, responsables de leur transmission des traditions sur Jésus. En second lieu, on notera la réponse brève des deux impétrants : « Nous le pouvons. » Jésus les invite à partager son sort, et ils l’acceptent. L’histoire chrétienne ultérieure montrera que, de fait, tous ces témoins subiront le martyre. Ils se voient ainsi *encouragés dans cette voie, mais sans nul horizon ambitieux.

Le Serviteur

Si « les dix autres » s’indignent de la requête de Jacques et de Jean, c’est qu’eux-mêmes, jaloux, se situent dans la même perspective ambitieuse. La réponse de Jésus résume le contenu de son discours que nous avons suivi depuis plusieurs dimanches : dans la relation entre les enfants et les adultes, entre l’homme et la femme, entre le riche et le pauvre, le tout est d’adopter la position du serviteur. Même si, en manière d’hyperbole, apparaît le mot « esclave », le serviteur selon l’Évangile n’est pas un larbin servile, mais celui qui met son honneur à servir l’autre, à l’épanouir, à l’estimer digne d’être servi.

  Ainsi agit « le Fils de l’homme », c’est-à-dire à la fois, selon le contexte juif de l’expression, l’être céleste qui jugera l’univers et en même temps celui qui partage en tout la condition humaine. En donnant sa vie « pour la multitude », c’est-à-dire pour tous, il accomplit la figure du Serviteur souffrant (cf. Isaïe 53, 11-12). Le mot « rançon » doit être bien compris. La passion du Seigneur n’a rien d’un prix à payer pour apaiser le courroux divin. Le terme évoque la notion hébraïque du gôél, le sauveur chargé de sauver, de racheter les membres de sa famille tombés en esclavage ou retenus prisonniers.

* Encouragés. « Voyez de quelle manière il les exhorte et les entraîne à demander ce qu’il faut. Il ne leur dit pas : “Pouvez-vous affronter la mort violente ? Pouvez-vous verser votre sang ?” Mais : Pouvez-vous boire à la coupe, et il ajoute pour les attirer : celle que je vais boire ? afin qu’ils désirent être en communion avec lui. En outre, il appelle cela un baptême pour montrer que ce sera la grande purification du monde entier » (saint Jean Chrysostome).

 




29ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (18 Octobre)

« Pour nous et pour notre salut » (Mc 10,35-45)…

 Alors, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. »
Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »
Ils lui répondirent : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. »
Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisé du baptême dans lequel je vais être plongé ? »
Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé.
Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. »
Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean.
Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir.
Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur.
Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous :
car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

dieu amour

Quand Jésus annonça pour la première fois à ses disciples sa mort et sa résurrection prochaines, Pierre l’avait tiré à part et s’était mis à lui faire de vifs reproches (Mc 8,31-33)… La seconde fois, les disciples ne comprirent toujours pas (Mc 9,30-32), et juste après, « ils discutaient entre eux pour savoir qui était le plus grand ». Et Jésus leur avait dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9,33-35). Mais ils ne comprenaient toujours pas… Alors, pour la troisième fois, Jésus leur annonça sa Passion (Mc 10,32-34). Et il eut pour réponse cette démarche de Jacques et de Jean rapportée ici : « Maître, nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander ». Ce sont eux qui commandent… « Accorde-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire »… Voilà bien l’attitude qui habite spontanément nos cœurs de pécheurs : rechercher les places d’honneur, ne pas perdre une occasion de se mettre soi-même en avant, courir après la gloire humaine, la notoriété, la célébrité…

Le Christ, lui, a toujours vécu dans l’obéissance à son Père, cherchant à accomplir sa volonté, en Serviteur du Père… « Que ta volonté soit faite », nous apprend-il à dire, car la volonté de ce Dieu Amour n’est que Plénitude de Vie pour chacun d’entre nous. Or, si « le salaire du péché, c’est la mort, le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle par notre Seigneur Jésus Christ » (Rm 6,23). C’est pourquoi « le Fils de l’homme », dit ici Jésus, « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude », afin qu’ils passent, par le « oui » de leur foi, des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie… Tel est l’Amour qui est prêt à se donner tout entier pour le seul bien de l’être aimé : « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). Et Jésus se donnera tout entier sur la Croix, versant son sang, donnant sa vie « pour la multitude en rémission des péchés » (Mt 26,28). Car il est venu avant tout pour les pécheurs. En effet, « souffrance et angoisse pour toute âme humaine qui fait le mal » (Rm 2,9). Et ce ne sont pas « les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs, au repentir » (Lc 5,32). Certes, « il n’est pas de juste, pas un seul » (Rm 3,9-20), mais le Dieu d’Amour et de Tendresse ne peut faire des merveilles de Miséricorde qu’avec celles et ceux qui se reconnaissent pécheurs, et lui offrent tout, jour après jour… DJF




Rencontre autour de l’Evangile – 29ème dimanche du Temps Ordinaire

 » Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. « 

TA PAROLE SOUS NOS YEUX

(Mc 10, 35-45)

Jésus, pour la troisième fois, vient d’annoncer à ses disciples qu’il va souffrir et mourir, et que trois jours après il ressuscitera. Mais une fois de plus, c’est l’incompréhension de leur part.

Regardons-réfléchissons-méditons

Faire lire lentement le texte, suivre les personnages et entrer dans le dialogue

Jacques et Jean : Avec Pierre, ces frères formaient un trio particulièrement proche de Jésus. Dès le début ils suivaient Jésus, après avoir tout quitté. Comment qualifier leur démarche auprès de Jésus ?

Quelle était leur ambition ?

Accorde-nous de siéger l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire ?

Qui sera à droite et à gauche de Jésus…sur la croix ?

Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire ?

Que veut dire Jésus ?

Recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? : Qu’est-ce que Jésus appelle son baptême ? Quel lien avec le baptême qu’il a reçu de Jean Baptiste ?

La coupe, vous y boirez et le baptême… vous le recevrez : Qu’est-ce que Jésus prédit pour ces deux disciples par ces paroles ?

Les dix autres s’indignaient : Quelle est la raison de leur indignation ?

Les chefs des nations… les grands font sentir leur pouvoir :

Quelle est cette conception de l’autorité ?

Quelle est la conception du pouvoir de Jésus dans son Église ?

Le plus grand sera serviteur… le premier sera l’esclave de tous : Quelle leçon à ces disciples qui rêvent de domination, de supériorité !

« Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon… »  

Que révèle Jésus dans ces paroles ? 

Pour la multitude : c’est à dire ? 

 

  

Pour l’animateur

Chaque fois que Jésus annonce sa Passion à ses disciples, il y a incompréhension ; la première fois, Pierre veut empêcher Jésus, et il est remis à sa place. La deuxième fois, les disciples discutent entre eux pour savoir qui est le plus grand ; et cette fois, deux amis proches de Jésus, Jacques et Jean, qui avaient tout quitté (filets, barque et leur père) pour suivre Jésus, ne manquent pas d’audace : ils rêvent d’un réel pouvoir de gouvernement dans le Royaume de Jésus.

L’ironie du sort fera que ce sont deux bandits qui seront à la droite et à la gauche de Jésus sur le trône de la croix !

Jésus les remet en face de ce qui va se passer ; il emploie pour cela des images fortes :

La coupe : dans la Bible, c’est souvent le symbole de souffrances à subir. On dit « boire la coupe jusqu’à la lie » en parlant d’épreuves qu’on doit endurer.

Quand le baptisé était plongé tout entier, la tête comprise, il passait par un moment critique : il était plongé dans la mort.

Le baptême dont parle Jésus, c’est sa Passion : il va être submergé par les flots de la mort. Cette plongée dans la mort était annoncée par la « plongée » de Jésus, avec les pécheurs, dans l’eau du Jourdain.

Jésus annonce que Jacques et Jean boiront à sa coupe et recevront son baptême: une manière d’annoncer que l’un et l’autre auront à souffrir pour son Nom. Jacques connaîtra le martyre, et l’Apôtre Jean, s’il est décédé de mort naturelle, est passé, selon la tradition, par des épreuves redoutables.

L’indignation des dix autres : Est-ce l’audace trop grande des deux autres qui les fait réagir ? Ou peut-être plutôt la jalousie : on connaît la préoccupation du groupe pour la course aux honneurs.

Jésus en profite pour leur donner une leçon magistrale sur sa façon de concevoir le pouvoir dans son Église : à l’inverse de la façon d’exercer le pouvoir dans l’Empire romain et dans les sociétés civiles (domination le plus souvent totalitaire), Jésus entrevoit pour le gouvernement de son Église une manière tout à fait originale :  en se mettant à la place de « l’esclave » : à l’époque, les esclaves étaient au dernier rang de la société. L’image se veut frappante pour les Douze qui rêvent de domination, de supériorité.

Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi…Jésus donne pour modèle sa propre personne et il dévoile le sens de toute son existence : il est le « serviteur souffrant » dont parle Isaïe (53, 10-11).

En rançon : il paiera le prix fort, en donnant sa vie pour les péchés de « la multitude », c’est à dire de « tous les hommes » sans exception.

Dans l’Église, le fonctionnement des responsables ou l’exercice de l’autorité devra toujours se vérifier en référence à son fondateur : le service et le don de soi jusqu’à l’extrême.

 

TA PAROLE DANS NOS CŒURS

Seigneur Jésus, Toi le Maître et Seigneur, tu t’es mis à la place de l’esclave. Tu es allé jusqu’à donner ta vie pour nous sauver. Libère-nous de toute tentation de grandeur, de pouvoir, de supériorité. Quand nous avons une responsabilité dans ton Église, aide-nous à l’exercer « en Église » pour ne pas tomber dans le piège de l’autoritarisme et du pouvoir dominateur.

 

 TA PAROLE DANS NOTRE VIE

La Parole aujourd’hui dans notre vie

Quelle est la Bonne Nouvelle que nous apporte cet évangile ?

Aux yeux de Dieu, celui qui est grand, c’est celui qui imite son Fils Jésus : Celui qui s’abaisse sera élevé. N’est-ce pas le chant de Marie : Dieu « renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. »

Quel visage de Dieu Jésus nous révèle-t-il dans ce passage ?

Le Dieu qui se révèle en Jésus n’est pas un potentat, dominateur, qui écrase l’homme : sa toute-puissance est une «toute-puissance» d’amour qui s’exprime dans la faiblesse. En Jésus, Dieu se fait humble et serviteur. Un théologien a parlé de « l’humilité de Dieu »

Ne rêvons-nous pas de grandeur humaine, d’accroître notre pouvoir sur les autres, plutôt que de les servir ?

Quand nous accomplissons nos tâches de service (dans notre profession, comme père et mère de famille, comme catéchiste, ou responsable de liturgie ou autre…) le faisons-nous à l’image du Christ Serviteur ?

Il arrive parfois, peut-être même souvent, que l’on refuse de partager une responsabilité avec les autres, on va jusqu’à répondre  « j’ai pas besoin » à quelqu’un qui propose sa collaboration : Une telle attitude ne construit nullement le « Corps du Christ »

 

ENSEMBLE PRIONS

On peut proposer au groupe de prier avec le Cantique de Marie (Magnificat)

Béni sois-tu, Seigneur ! Dieu des humbles et secours des opprimés !

Béni sois-tu, Seigneur ! Soutien des faibles et abri des abandonnés !

Béni sois-tu, Seigneur ! Sauveur des désespérés, à toi la gloire éternelle.

  

Notre Père …..

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