1

Audience Générale du Mercredi 16 Juin 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 16 Juin 2022


Catéchèse sur la vieillesse – 14. Le service joyeux de la foi qui s’apprend dans la gratitude (cf. Mc 1,29-31)

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous avons entendu le récit simple et touchant de la guérison de la belle-mère de Simon – qui ne s’appelle pas encore Pierre – dans la version de l’évangile de Marc. Ce court épisode est rapporté, avec des variations légères mais frappantes, dans les deux autres évangiles synoptiques. « La belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre », écrit Marc. Nous ne savons pas s’il s’agissait d’une maladie bénigne, mais dans la vieillesse, même une simple fièvre peut être dangereuse. Quand on est vieux, on ne contrôle plus son corps. Il faut apprendre à choisir quoi faire et ne pas faire. La vigueur du corps faiblit et nous abandonne, même si notre cœur ne cesse de désirer. Il faut alors apprendre à purifier le désir : être patient, choisir ce que l’on demande au corps, et à la vie. Quand on est vieux, on ne peut pas faire la même chose que quand on était jeune : le corps a un rythme différent, et il faut écouter le corps et accepter ses limites. Nous en avons tous. Même moi, je dois utiliser le bâton maintenant.

La maladie pèse sur les personnes âgées d’une manière différente et nouvelle que lorsqu’on est jeune ou adulte. C’est comme un coup dur qui tombe sur un moment déjà difficile. La maladie du vieillard semble hâter la mort et, en tout cas, diminuer ce temps à vivre que nous considérons déjà comme court. Le doute s’insinue dans l’idée que nous ne nous en remettrons pas, que « cette fois-ci, ce sera la dernière fois que je serai malade… », et ainsi de suite :  ces idées viennent… On n’arrive pas à rêver l’espérance d’un avenir qui semble désormais inexistant. Un célèbre écrivain italien, Italo Calvino, a noté l’amertume des personnes âgées qui souffrent de la perte des choses du passé, plus qu’ils ne profitent de l’arrivée des nouveautés. Cependant, la scène évangélique que nous venons d’entendre nous aide à espérer et nous offre déjà un premier enseignement : Jésus ne va pas tout seul rendre visite à cette vieille femme malade, il s’y rend avec les disciples. Et cela nous fait un peu réfléchir.

C’est précisément la communauté chrétienne qui doit prendre soin des personnes âgées : parents et amis, mais la communauté. La visite aux personnes âgées doit se faire à plusieurs, ensemble et souvent. Nous ne devrions jamais oublier ces trois lignes de l’Évangile. D’autant plus qu’aujourd’hui, le nombre de personnes âgées a considérablement augmenté, également à la proportion de jeunes, car nous sommes dans cet hiver démographique, moins d’enfants naissent et il y a beaucoup de personnes âgées et peu de jeunes. Nous devons assumer la responsabilité de rendre visite aux personnes âgées qui sont souvent seules et les présenter au Seigneur avec notre prière. Jésus lui-même nous enseignera comment les aimer. « Une société est véritablement accueillante à l’égard de la vie quand elle reconnaît qu’elle est précieuse même avec l’âge, dans le handicap, dans la maladie grave et même au moment de s’éteindre » (Message à l’Académie Pontificale pour la Vie, 19 février 2014). La vie est toujours précieuse. Jésus, lorsqu’il voit la vieille femme malade, il la prend par la main et la guérit : le même geste qu’il fait pour ressusciter la jeune femme morte : il la prend par la main et la fait se lever, la guérit en la remettant sur pieds. Jésus, par ce geste tendre d’amour, donne la première leçon aux disciples :  C’est-à-dire que le salut s’annonce ou, mieux, se communique à travers l’attention portée à cette personne malade ; et la foi de cette femme resplendit dans la gratitude pour la tendresse de Dieu qui s’est penchée sur elle. Je reviens à un thème que j’ai répété dans ces catéchèses : cette culture du déchet semble supprimer les personnes âgées. Oui, elle ne les tue pas, mais socialement elle les supprime, comme s’ils étaient un fardeau à porter : il vaut mieux les cacher. C’est une trahison de notre humanité, c’est la chose la plus vile, c’est sélectionner la vie en fonction de l’utilité, en fonction de la jeunesse et non avec la vie telle qu’elle est, avec la sagesse des personnes âgées, avec les limites des personnes âgées. Les personnes âgées ont tant à nous donner : c’est la sagesse de la vie. Ils ont tant à nous enseigner : c’est pourquoi nous devons aussi apprendre aux enfants à s’occuper de leurs grands-parents et à fréquenter leurs grands-parents. Le dialogue entre les jeunes et les grands-parents, les enfants et les grands-parents est fondamental pour la société, il est fondamental pour l’Église, il est fondamental pour la santé de la vie. Là où il n’y a pas de dialogue entre jeunes et vieux, quelque chose manque et il en résulte une génération sans passé, c’est-à-dire sans racines.

Si la première leçon a été donnée par Jésus, la seconde nous est donnée par cette femme âgée, qui « se leva et se mit à les servir”. Même comme personne âgée, on peut, voire on doit, servir la communauté. Il est bon que les personnes âgées cultivent encore la responsabilité de servir, en surmontant la tentation de se mettre à l’écart. Le Seigneur ne les rejette pas, au contraire, il leur redonne la force pour servir. Et j’aime noter qu’il n’y a pas d’emphase particulière dans le récit de la part des évangélistes : c’est la normalité de la vie de disciple, que les disciples apprendront, dans toute son ampleur, le long du chemin de formation qu’ils vivront à l’école de Jésus. Les anciens qui entretiennent la disposition pour la guérison, la consolation, l’intercession pour leurs frères et sœurs – qu’ils soient disciples, qu’ils soient centurions, personnes perturbées par des esprits mauvais, personnes rejetées… – sont peut-être le témoignage le plus grand de la pureté de cette gratitude qui accompagne la foi. Si les personnes âgées, au lieu d’être rejetées et congédiées de la scène des événements qui marquent la vie de la communauté, étaient placées au centre de l’attention collective, elles seraient encouragées à exercer le précieux ministère de la gratitude envers Dieu, qui n’oublie personne. La gratitude des personnes âgées pour les dons reçus de Dieu dans leur vie, comme nous l’enseigne la belle-mère de Pierre, redonne à la communauté la joie du vivre ensemble, et confère à la foi des disciples le trait essentiel de sa destination.

Mais nous devons bien apprendre que l’esprit d’intercession et de service, que Jésus prescrit à tous ses disciples, n’est pas simplement une affaire de femmes : il n’y a aucune ombre de cette limitation dans les paroles et les actes de Jésus. Le service évangélique de la gratitude pour la tendresse de Dieu n’est en aucun cas inscrit dans la grammaire de l’homme maître et de la femme servante. Cela n’enlève rien cependant au fait que les femmes, sur la gratitude et la tendresse de la foi, peuvent enseigner aux hommes des choses que ceux-ci ont plus de mal à comprendre. La belle-mère de Pierre, avant que les Apôtres n’y parviennent, sur le chemin à la suite de Jésus, leur a aussi montré le chemin. Et la délicatesse particulière de Jésus, qui « lui a touché la main » et « s’est penché délicatement » sur elle, a mis en évidence, dès le début, sa sensibilité spéciale à l’égards des faibles et des malades, que le Fils de Dieu avait certainement apprise de sa Mère. S’il vous plaît, faisons-en sorte que les vieux, que les grands-pères, les grands-mères soient proches des enfants, des jeunes pour transmettre cette mémoire de la vie, pour transmettre cette expérience de la vie, cette sagesse de la vie. Dans la mesure où nous faisons en sorte qu’entre les jeunes et les personnes âgées se tissent des relations, il y aura plus d’espérance pour l’avenir de notre société.


Je salue cordialement les pèlerins de langue française.

Frères et sœurs, demandons au Seigneur de raviver en nous la sensibilité envers les plus faibles, particulièrement les personnes âgées qui vivent dans la solitude ou dans la souffrance. Que notre proximité et notre soutien soient pour eux source de réconfort et de consolation.

Que Dieu vous bénisse !




Audience Générale du Mercredi 8 Juin 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 8 Juin 2022


Catéchèse sur la vieillesse – 13. Nicodème. « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? » (Jn 3, 4)

Chers frères et sœurs, bonjour !

Parmi les personnages âgés les plus remarquables des Évangiles il y a Nicodème – un notable des Juifs – qui, désireux de connaître Jésus, mais en secret se rendit chez lui la nuit (cf. Jn 3, 1-21). Dans la conversation de Jésus avec Nicodème, émerge le cœur de la révélation de Jésus et de sa mission rédemptrice, lorsqu’il dit : « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (v. 16).

Jésus dit à Nicodème que pour « voir le règne de Dieu », il faut « naître d’en haut » (cf. v. 3). Il ne s’agit pas de renaître, de répéter notre venue au monde, en espérant qu’une nouvelle réincarnation nous rouvrira la possibilité d’une vie meilleure. Cette répétition n’a pas de sens. Au contraire, elle viderait la vie que nous avons vécue de tout sens, l’effaçant comme s’il s’agissait d’une expérience ratée, d’une valeur périmée, d’un vide gaspillé. Non, ce n’est pas cela, cette nouvelle naissance dont parle Jésus : c’est autre chose. Cette vie est précieuse aux yeux de Dieu : elle nous identifie comme des créatures aimées par Lui avec tendresse. La « naissance d’en haut », qui nous permet d' »entrer » dans le règne de Dieu, est une génération dans l’Esprit, un passage à travers les eaux vers la terre promise d’une création réconciliée avec l’amour de Dieu. C’est une renaissance d’en haut, avec la grâce de Dieu. Il ne s’agit pas de renaître physiquement une autre fois.

Nicodème se méprend sur cette naissance, et met en cause la vieillesse comme preuve évidente de son impossibilité : l’être humain vieillit inévitablement, le rêve d’une jeunesse éternelle s’éloigne définitivement, l’usure est le port d’arrivée de toute naissance dans le temps. Comment peut-on imaginer un destin sous la forme d’une naissance ? Nicodème pense ainsi et ne trouve pas le moyen de comprendre les paroles de Jésus. Cette renaissance, qu’est-ce que c’est ?

L’objection de Nicodème est très instructive pour nous. En effet, nous pouvons la renverser, à la lumière de la parole de Jésus, pour y découvrir une mission propre à la vieillesse. En effet, la vieillesse non seulement n’est pas un obstacle à la naissance d’en haut dont parle Jésus, mais elle devient le moment opportun pour l’illuminer, en la libérant du malentendu d’une espérance perdue. Notre époque et notre culture, qui révèlent une tendance inquiétante à considérer la naissance d’un enfant comme une simple question de production et de reproduction biologique de l’être humain, cultivent ensuite le mythe de l’éternelle jeunesse comme l’obsession – désespérée – d’une chair incorruptible. Pourquoi la vieillesse est-elle – à bien des égards – dépréciée ? Parce qu’elle porte la preuve irréfutable qui récuse ce mythe, qui voudrait nous faire retourner dans le ventre de la mère, pour être éternellement jeunes de corps.

La technique se laisse allécher par ce mythe à tous égards : en attendant de vaincre la mort, nous pouvons maintenir le corps en vie grâce aux médicaments et aux cosmétiques, qui ralentissent, cachent, annulent la vieillesse. Bien sûr, une chose est le bien-être, une autre est l’alimentation des mythes. Il est cependant indéniable que la confusion entre les deux nous cause une certaine confusion mentale. Confondre le bien-être avec l’alimentation du mythe de l’éternelle jeunesse. On en fait tant pour retrouver cette jeunesse : tant de maquillages, tant de chirurgies pour paraître jeunes. Je me souviens des paroles d’une sage actrice italienne, Magnani, lorsqu’on lui a dit qu’il lui fallait enlever les rides et qu’elle répondit : « Non, ne les touchez pas ! Il a fallu tant d’années pour les obtenir : ne les touchez pas ! ». C’est ainsi : les rides sont un symbole d’expérience, un symbole de la vie, un symbole de la maturité, un symbole du chemin parcouru. Ne les touchez pas pour devenir jeunes, mais jeunes de visage : ce qui compte, c’est toute la personnalité, ce qui compte, c’est le cœur, et le cœur reste avec cette jeunesse du bon vin, qui plus il vieillit, plus se bonifie.

La vie dans la chair mortelle est une très belle chose « inachevée » : comme certaines œuvres d’art qui, précisément dans leur incomplétude, ont un charme unique. Parce que la vie ici-bas est une « initiation », pas un accomplissement : nous venons au monde comme ça, en tant que personnes réelles, comme des personnes qui avancent en âge, mais restent toujours authentiques. Mais la vie dans la chair mortelle est un espace et un temps trop fugaces pour garder intacte et mener à son terme la partie la plus précieuse de notre existence dans le temps du monde. La foi, qui accueille l’annonce évangélique du règne de Dieu auquel nous sommes destinés, a un premier effet extraordinaire, dit Jésus. Elle nous permet de « voir » le règne de Dieu. Nous devenons capables de voir réellement les nombreux signes de notre espérance d’accomplissement pour ce qui, dans notre vie, porte le signe de la destination pour l’éternité de Dieu.

Ce sont les signes de l’amour évangélique, illuminé à bien des égards par Jésus. Et si nous pouvons les « voir », nous pouvons aussi « entrer » dans le règne, avec le passage de l’Esprit par l’eau qui régénère.

La vieillesse est la condition, accordée à beaucoup d’entre nous, dans laquelle le miracle de cette naissance d’en haut peut être intimement assimilé et devenir crédible pour la communauté humaine : elle ne communique pas la nostalgie de la naissance dans le temps, mais l’amour pour la destination finale. Dans cette perspective, la vieillesse a une beauté unique : nous marchons vers l’Éternité. Personne ne peut réintégrer le ventre de la mère, pas même son substitut technologique et consumériste. Cela ne confère pas la sagesse, cela ne mène pas à un chemin accompli, c’est artificiel. Ce serait triste, même si c’était possible. Le vieil homme marche en avant, le vieil homme marche vers la destination, vers le ciel de Dieu, le vieil homme marche avec la sagesse de toute une vie. La vieillesse est donc un moment privilégié pour libérer l’avenir de l’illusion technocratique d’une survie biologique et robotique, mais surtout parce qu’elle ouvre à la tendresse du sein créateur et générateur de Dieu. Ici, je voudrais insister sur ce mot : la tendresse des personnes âgées. Observez un grand-père ou une grand-mère, comment ils regardent leurs petits-enfants, comment ils caressent leurs petits-enfants : cette tendresse, libre de toute épreuve humaine, qui a surmonté les épreuves humaines et qui est capable de donner gratuitement l’amour, la proximité amoureuse de l’un pour les autres. Cette tendresse ouvre la porte pour comprendre la tendresse de Dieu. N’oublions pas que l’Esprit de Dieu est proximité, compassion et tendresse. Dieu est ainsi, il sait comment caresser. Et la vieillesse nous aide à comprendre cette dimension de Dieu qu’est la tendresse. La vieillesse est le moment privilégié pour libérer l’avenir de l’illusion technocratique, c’est le moment de la tendresse de Dieu qui crée, trace un chemin pour nous tous.  Que l’Esprit nous accorde la réouverture de cette mission spirituelle – et culturelle – de la vieillesse, qui nous réconcilie avec la naissance d’en haut. Lorsque nous pensons à la vieillesse de cette manière, nous nous disons alors : comment se fait-il que cette culture du déchet décide de se débarrasser des personnes âgées, en les considérant comme non utiles ? Les personnes âgées sont les messagers de l’avenir, les personnes âgées sont les messagers de la tendresse, les personnes âgées sont les messagers de la sagesse d’une vie assumée. Allons-y de l’avant et ayons de la considération à l’égard des personnes âgées.


Je salue cordialement les pèlerins de langue française présents à cette audience, en particulier les pèlerins venus de France et de La Réunion, de Côte d’Ivoire et du Gabon.

Qu’à la suite de Nicodème, l’Esprit-Saint nous accorde la redécouverte de cette mission spirituelle de la vieillesse qui nous réconcilie avec « la naissance d’en haut ».

Que l’Esprit Saint Consolateur vous bénisse !




Audience Générale du Mercredi 1 Juin 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 1 Juin 2022


Catéchèse sur la vieillesse – 12. « Ne m’abandonne pas alors que décline ma vigueur » (Ps 71(70),9)

Chers frères et sœurs, bonjour !

La belle prière de la personne âgée que nous trouvons dans le psaume 70 que nous avons écouté, nous encourage à méditer sur la forte tension qui habite la condition de la vieillesse, quand le souvenir des labeurs surmontés et des bienfaits reçus est mis à l’épreuve de la foi et de l’espérance.

L’épreuve se présente avec la faiblesse qui accompagne le passage par la fragilité et la vulnérabilité de la vieillesse. Et le psalmiste – un homme âgé qui se tourne vers le Seigneur – mentionne explicitement le fait que ce processus devient une occasion d’abandon, de tromperie, de prévarication et d’abus qui s’acharnent sur la personne âgée. Une forme de lâcheté dans laquelle notre société est en train de se spécialiser. C’est vrai ! Dans cette société du déchet, cette culture du déchet, les personnes âgées sont mises à l’écart et souffrent de ces choses. Il ne manque pas, en effet, des gens qui profitent de l’âge de la personne âgée, pour la tromper, pour l’intimider de mille manières. Nous lisons souvent dans les journaux ou entendons des nouvelles de personnes âgées qui sont escroquées sans scrupules afin de s’emparer de leurs économies ; ou qui sont laissées sans protection ou et abandonnées sans soins ; ou qui sont blessées par des formes de mépris et intimidées pour qu’elles renoncent à leurs droits Même dans les familles – et c’est grave – de telles cruautés se produisent même dans les familles. Les personnes âgées sont mises à l’écart, abandonnées dans les maisons de retraite, sans que leurs enfants leur rendent visite, ou s’ils y vont, ils y vont si peu de fois par an. Les personnes âgées se retrouvent mises au coin de l’existence. Et cela arrive : cela arrive aujourd’hui, cela arrive dans les familles, cela arrive tout le temps. Nous devons y réfléchir.

La société toute entière doit s’empresser de s’occuper de ses personnes âgées – qui sont le trésor ! -, toujours plus nombreuses et souvent encore plus abandonnées. Lorsque nous entendons parler de personnes âgées dépossédées de leur autonomie, de leur sécurité, voire de leur domicile, nous comprenons que l’ambivalence de la société actuelle à l’égard de la vieillesse n’est pas un problème d’urgences ponctuelles, mais un trait de cette culture du déchet qui empoisonne le monde dans lequel nous vivons. Le vieillard du psaume confie à Dieu son découragement : « mes ennemis – dit-il- parlent contre moi, / ils me surveillent et se concertent. / Ils disent : « Dieu l’abandonne ! / Traquez-le, empoignez-le, il n’a pas de défenseur ! » (vv.10-11). Les conséquences sont fatales. La vieillesse non seulement perd sa dignité, mais on doute même qu’elle vaille la peine d’être vécue. Ainsi, nous sommes tous tentés de cacher notre vulnérabilité, de dissimuler notre maladie, notre âge, et notre vieillesse, puisque nous craignons que ce soit l’antichambre de notre perte de dignité. Demandons-nous : est-ce humain d’induire ce sentiment ? Comment se fait-il que la civilisation moderne, si avancée et efficace, soit si mal à l’aise avec la maladie et la vieillesse, cache la maladie, cache la vieillesse ? Et comment se fait-il que la politique, tant attachée à définir les limites d’une survie digne, soit en même temps insensible à la dignité d’une cohabitation affectueuse avec les personnes âgées et celles malades ?

Le vieillard du psaume que nous avons entendu, ce vieillard qui voit sa vieillesse comme une défaite, redécouvre la confiance dans le Seigneur. Il ressent le besoin d’être aidé. Et il se tourne vers Dieu. Saint Augustin, commentant ce psaume, exhorte le vieillard : « Ne crains pas d’être abandonné dans ta vieillesse. […] Pourquoi crains-tu que [le Seigneur] t’abandonne, qu’il te rejette au temps de la vieillesse, quand tes forces faiblissent ? En effet, c’est à ce moment-là que sa force sera en toi, quand la tienne fera défaut » (PL 36, 881-882). Et le vieux psalmiste d’invoquer : « défends-moi, libère-moi, / tends l’oreille vers moi, et sauve-moi. / Sois le rocher qui m’accueille, / toujours accessible ; / tu as résolu de me sauver : / ma forteresse et mon roc, c’est toi ! (vv. 2-3). L’invocation témoigne de la fidélité de Dieu et met en cause sa capacité à secouer les consciences détournées par l’insensibilité à la parabole de la vie mortelle, qui doit être préservée dans son intégrité. Il prie encore ainsi : « Ô Dieu, ne sois pas loin de moi ; / mon Dieu, viens vite à mon secours ! / Qu’ils soient humiliés, anéantis, ceux qui se dressent contre moi ; / qu’ils soient couverts de honte et d’infamie, ceux qui veulent mon malheur ! » (vv. 12-13).

En effet, la honte devrait tomber sur ceux qui profitent de la faiblesse de la maladie et de la vieillesse. La prière renouvelle dans le cœur de la personne âgée la promesse de la fidélité et de la bénédiction de Dieu. La personne âgée redécouvre la prière et témoigne de sa puissance. Jésus, dans les Évangiles, ne rejette jamais la prière de ceux qui ont besoin d’aide. Les personnes âgées, en raison de leur faiblesse, peuvent enseigner à ceux qui sont à d’autres âges de la vie que tous nous avons besoin de nous abandonner au Seigneur, d’invoquer son aide. En ce sens, nous devons tous apprendre de la vieillesse : oui, il y a un don dans le fait d’être vieux, compris comme l’abandon de soi aux soins des autres, à commencer par Dieu lui-même.

Il existe donc un « magistère de la fragilité« , ne pas cacher ses faiblesses, non. Elles sont vraies, c’est une réalité et il y a un magistère de la fragilité, que la vieillesse est en mesure de nous rappeler de manière crédible tout au long de la vie humaine. Ne pas cacher la vieillesse, ne pas cacher les fragilités de la vieillesse. C’est une leçon pour nous tous. Ce magistère ouvre un horizon décisif pour la réforme de notre propre civilisation. Une réforme désormais indispensable pour le bien de la cohabitation de tous. La marginalisation des personnes âgées, tant au niveau conceptuel que pratique, corrompt toutes les saisons de la vie, et pas seulement celle de la vieillesse. Chacun d’entre nous peut penser aujourd’hui aux personnes âgées de la famille : comment est-ce que j’entretiens des relations avec elles, est-ce que je me souviens d’elles, est-ce que je leur rends visite ? Est-ce que je veille à ce que rien ne leur manque ? Est-ce que je les respecte ? Les personnes âgées qui sont dans ma famille, maman, papa, grand-père, grand-mère, oncles, tantes, amis, est-ce que je les efface de ma vie ? Ou est-ce que je vais vers elles pour trouver la sagesse, la sagesse de la vie ? N’oublie pas que toi aussi, ta vieillesse arrivera. La vieillesse arrive pour tout le monde. Et de la même manière dont tu aimerais être traité au moment de la vieillesse, traite les personnes âgées aujourd’hui. Ils sont la mémoire de la famille, la mémoire de l’humanité, la mémoire du pays. Prendre soin des anciens qui sont la sagesse. Que le Seigneur accorde aux personnes âgées qui font partie de l’Église la générosité de cette invocation et de cette provocation. Que cette confiance dans le Seigneur nous contamine. Et ce, pour le bien de tous, d’eux, de nous et de nos enfants.


Je salue cordialement les personnes de langue française, en particulier les lycéens de l’Immaculée Conception de Laval et les étudiants de l’Institut de l’Oratoire de Lyon. Nos personnes âgées sont un Magistère vivant. Par leur fragilité, ils nous apprennent la nécessité de nous abandonner au Seigneur et aux autres. Demandons au Seigneur d’entrer, par la foi, dans la sagesse de cette fragilité pour qu’elle puisse rendre nos sociétés plus humaines et fraternelle. Que Dieu vous bénisse.



APPEL

Une grande préoccupation s’installe, le blocage des exportations du blé de l’Ukraine, dont dépend la vie de millions de personnes, notamment dans les pays les plus pauvres. Je demande instamment que tout soit mis en œuvre pour résoudre cette question et garantir le droit humain universel à se nourrir. S’il vous plaît, n’utilisez pas le blé, aliment de base, comme arme de guerre !




Audience Générale du Mercredi 18 Mai 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 18 Mai 2022


Catéchèse sur la vieillesse – 10. Job. L’épreuve de la foi, la bénédiction de l’attente

Chers frères et sœurs, bonjour !

Le passage biblique que nous avons entendu conclut le Livre de Job, une sommité de la littérature universelle. Nous rencontrons Job dans notre parcours de catéchèse sur la vieillesse : nous le rencontrons comme un témoin de la foi qui n’accepte pas une « caricature » de Dieu, mais qui crie sa protestation face au mal, jusqu’à ce que Dieu réponde et révèle son visage.

Et Dieu finit par répondre, comme toujours de manière surprenante : il montre à Job sa gloire mais sans l’écraser, bien au contraire, avec une tendresse souveraine, comme Dieu le fait, toujours, avec tendresse. Il faut bien lire les pages de ce livre, sans préjugés ni clichés, pour saisir la force du cri de Job. Cela nous fera du bien de nous mettre à son école, pour vaincre la tentation du moralisme face à l’exaspération et à la démoralisation devant la douleur d’avoir tout perdu.

Dans ce dernier passage du livre – nous rappelons l’histoire, Job qui perd tout dans la vie, perd ses richesses, perd sa famille, perd son fils et perd aussi la santé, et reste là, couvert de plaies, en dialogue avec trois amis, puis un quatrième, qui viennent le saluer : c’est l’histoire – et dans ce passage aujourd’hui, le passage de conclusion du livre, quand Dieu prend enfin la parole (et ce dialogue de Job avec ses amis est comme une route vers le moment où Dieu donne sa parole) Job est loué parce qu’il a compris le mystère de la tendresse de Dieu caché derrière son silence. Dieu réprimande les amis de Job qui prétendaient tout savoir, savoir sur Dieu et sur le mal, et qui, venus pour consoler Job, avaient fini par le juger avec leurs schémas préconstitués. Que Dieu nous préserve de ce piétisme hypocrite et présomptueux ! Dieu nous préserve de cette religiosité moralisatrice et de cette religiosité des préceptes qui nous donne une certaine présomption et conduit au pharisaïsme et à l’hypocrisie.

Voici comment le Seigneur s’exprime à leur égard. Ainsi parle le Seigneur : « Ma colère s’est enflammée contre [vous] […] parce que vous n’avez pas parlé de moi avec justesse comme l’a fait mon serviteur Job. […] » : c’est ce que dit le Seigneur aux amis de Job. « Job mon serviteur intercédera pour vous. Uniquement par égard pour lui, je ne vous infligerai pas l’infamie méritée pour n’avoir pas parlé de moi avec justesse, comme l’a fait mon serviteur Job. » (42, 7-8). La déclaration de Dieu nous surprend, car nous avons lu les pages enflammées de la protestation de Job, qui nous ont laissé effrayés. Pourtant – dit le Seigneur – Job a bien parlé, même quand il était en colère et même en colère contre Dieu, mais il parlait bien, car il a refusé d’accepter que Dieu soit un « Persécuteur », Dieu, c’est autre chose. Et comme récompense, Dieu rend à Job le double de tous ses biens, après lui avoir demandé de prier pour ses mauvais amis.

Le tournant de la conversion de la foi se produit au summum de la colère de Job, quand il dit : « Je sais, moi, que mon rédempteur est vivant, que, le dernier, il se lèvera sur la poussière ! et quand bien même on m’arracherait la peau, de ma chair je verrai Dieu. Je le verrai, moi en personne, et si mes yeux le regardent, il ne sera plus un étranger. » (19, 25-27). Ce passage est très beau. Je me souviens de la fin de ce génial oratorio de Haendel, le Messie, après la fête de l’Alléluia, le soprano chante lentement ce passage : « Je sais que mon Rédempteur est vivant », avec paix. Et donc, après toute cette histoire de douleur et de joie de Job, la voix du Seigneur est autre chose. « Je sais que mon Rédempteur est vivant » : c’est une chose très belle. Nous pouvons l’interpréter ainsi :  » Mon Dieu, je sais que Tu n’es pas le Persécuteur. Mon Dieu viendra et me rendra justice ». C’est la foi simple en la résurrection de Dieu, la foi simple en Jésus-Christ, la foi simple que le Seigneur nous attend toujours et qu’il viendra.

La parabole du livre de Job représente de manière dramatique et exemplaire ce qui se passe réellement dans la vie. C’est-à-dire que des épreuves trop lourdes, épreuves disproportionnées par rapport à la petitesse et à la fragilité humaine, s’abattent sur une personne, une famille ou un peuple. Dans la vie, souvent comme on dit, « le malheur n’arrive jamais seul ». Et certaines personnes sont accablées par tant de maux que cela parait vraiment excessif et injuste. Et beaucoup de gens sont dans cette situation.

Nous avons tous connu de telles personnes. Nous avons été impressionnés par leur cri, mais nous avons aussi souvent été émerveillés par la constance de leur foi et de leur amour dans leur silence. Je pense aux parents d’enfants gravement handicapés, à ceux qui vivent avec une infirmité permanente ou au membre de la famille d’à côté… Situations souvent aggravées par le manque des ressources économiques. À certains moments de l’histoire, ces amoncellements de fardeaux semblent s’être donnés rendez-vous. C’est ce qui s’est passé ces dernières années avec la pandémie de Covid-19 et ce qui se passe actuellement avec la guerre en Ukraine.

Pouvons-nous justifier ces « excès » par une rationalité supérieure de la nature et de l’histoire ? Pouvons-nous les bénir religieusement comme une réponse justifiée à la culpabilité des victimes, qui les ont méritées ? Non, nous ne pouvons pas. Il existe une sorte de droit de la victime à protester, face au mystère du mal, un droit que Dieu accorde à tous, car c’est Lui-même, après tout, qui inspire. Parfois, des personnes viennent me trouver et me disent : « Mais, mon Père, j’ai protesté contre Dieu parce que j’ai tel problème, tel autre problème… ». Mais tu sais, ma chère, que la protestation est une façon de prier, quand on le fait ainsi. Lorsque les enfants, les jeunes protestent contre leurs parents, c’est une façon d’attirer l’attention et de leur demander de s’occuper d’eux. Si vous avez dans votre cœur un malaise, une douleur et que vous avez envie de protester, proteste aussi contre Dieu, Dieu t’entend, Dieu est Père, Dieu n’est pas effrayé par notre prière de protestation, non ! Dieu comprend. Mais sois libre, sois libre dans ta prière, n’emprisonne pas ta prière dans des schémas préconstruits ! La prière doit être ainsi, spontanée, comme celle d’un fils avec son père, qui lui dit tout ce qui lui vient à la bouche parce qu’il sait que son père le comprend. Le « silence » de Dieu au premier moment du drame signifie ceci. Dieu ne recule pas devant la confrontation, mais dans un premier temps, il laisse à Job le moyen d’exprimer ses protestations, et Dieu écoute. Peut-être devrions-nous, parfois, apprendre de Dieu ce respect et cette tendresse. Et Dieu n’aime pas cette encyclopédie – appelons-la ainsi – d’explications, de réflexions que font les amis de Job. C’est le suc de la langue, qui ne convient pas : c’est cette religiosité qui explique tout, mais le cœur reste froid. Cela ne plaît pas à Dieu. Il préfère la protestation de Job ou le silence de Job.

La profession de foi de Job – qui émerge précisément de son appel incessant à Dieu, à une justice suprême – est complétée à la fin par l’expérience quasi mystique, je dirais, qui lui fait dire : « C’est par ouï-dire que je te connaissais, mais maintenant mes yeux t’ont vu. » (42,5). Combien de personnes, combien d’entre nous, après une expérience un peu malheureuse, un peu sombre, lâchent prise et connaissent Dieu mieux qu’auparavant ! Et nous pouvons dire, comme Job : « Je te connaissais par ouï-dire, mais maintenant je t’ai vu, parce que je t’ai rencontré toi. Ce témoignage est particulièrement crédible si la vieillesse l’assume, dans sa progressive fragilité et sa dégradation. Les vieux en ont vu tant dans la vie ! Et ils ont aussi vu l’inconsistance des promesses des hommes. Des hommes de loi, des hommes de science, des hommes de religion même, qui confondent le persécuteur et la victime, imputant à cette dernière l’entière responsabilité de sa douleur. Ils se trompent !

Les vieillards qui trouvent la voie de ce témoignage, qui convertit le ressentiment de la perte en ténacité pour l’attente de la promesse de Dieu, – il se produit un changement, du ressentiment de la perte à la ténacité pour suivre la promesse de Dieu- ces personnes âgées sont pour la communauté un rempart insubstituable face à l’excès du mal. Le regard des croyants qui se tournent vers le Crucifié professe précisément cela. Puissions-nous l’apprendre nous aussi, de tant de grands-pères et de grands-mères, de tant de personnes âgées qui, comme Marie, unissent leur prière, parfois déchirante, à celle du Fils de Dieu qui, sur la croix, s’abandonne au Père. Considérons les personnes âgées, considérons les vieux, les vieilles, les petites vieilles ; considérons-les avec amour, considérons leur expérience personnelle. Ils ont tant souffert dans la vie, ils ont tant appris dans la vie, ils ont traversé tant d’épreuves, mais à la fin ils ont cette paix, une paix – je dirais – presque mystique, qui est la paix de la rencontre avec Dieu, au point qu’ils peuvent dire : « Je te connaissais par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu ». Ces vieillards sont à la hauteur de cette paix du fils de Dieu sur la croix qui s’abandonne au Père.


Je salue cordialement les personnes de langue française, en particulier les collégiens venus de France ainsi que les pèlerins du Diocèse de Besançon et la Mission Catholique Vietnamienne de Lyon. Le Seigneur a mis sur notre route des frères et sœurs souffrant qui témoignent d’une grande foi et d’un grand amour. Gardons à cœur leurs témoignages et demandons au Dieu la force de persévérer dans l’espérance au milieu des épreuves de la vie. Que Dieu vous bénisse.




Audience Générale du Mercredi 11 Mai 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 11 Mai 2022


Catéchèse sur la vieillesse – 9. Judith. Une jeunesse admirable, une vieillesse généreuse

Chers frères et sœurs, bonjour !

Aujourd’hui, nous parlerons de Judith, une héroïne biblique. La conclusion du livre qui porte son nom – nous en avons entendu un extrait – résume la dernière partie de la vie de cette femme, qui défendit Israël contre ses ennemis. Judith est une jeune et vertueuse veuve juive qui, grâce à sa foi, sa beauté et son astuce, sauve la ville de Béthulie et le peuple de Judée du siège d’Holopherne, général de Nabuchodonosor, roi d’Assyrie, un ennemi puissant et dédaigneux de Dieu. Ainsi, grâce à sa manière rusée d’agir, elle est capable de trancher la gorge du dictateur qui s’en prend au pays. Elle était courageuse, cette femme, mais elle avait la foi…

 

Après la grande aventure dont elle est protagoniste, Judith retourne vivre dans sa ville, Béthulie, où elle vit une belle vieillesse jusqu’à cent cinq ans. Comme c’est le cas pour de nombreuses personnes : parfois après une vie de travail intense, parfois après une existence aventureuse, ou une existence de grand dévouement. L’héroïsme n’est pas seulement celui des grands événements qui tombent sous les feux des projecteurs, par exemple le meurtre du dictateur par Judith : mais souvent on trouve l’héroïsme dans la ténacité de l’amour vécu dans une famille difficile et en faveur d’une communauté menacée.

Judith a vécu plus de 100 ans, une bénédiction particulière. Mais il n’est pas rare aujourd’hui qu’il reste tant d’années à vivre après le moment de la retraite. Comment interpréter, comment tirer le meilleur parti de ce temps dont nous disposons ? Je prends ma retraite aujourd’hui, et cela fera de nombreuses années, et que puis-je faire pendant ces années ? Comment puis-je grandir – en âge, cela va sans dire, mais comment puis-je grandir en autorité, en sainteté, en sagesse ?

La perspective de la retraite coïncide pour beaucoup, avec celui d’un repos mérité et désiré après des activités exigeantes et fatigantes. Mais il arrive aussi que la fin du travail soit une source d’inquiétude et soit attendue avec une certaine appréhension. « Que vais-je faire maintenant que ma vie va être vidée de tout ce qui l’a remplie pendant si longtemps ? » : c’est la question. Le travail quotidien, c’est aussi un ensemble de relations, la satisfaction de gagner sa vie, l’expérience d’avoir un rôle, une considération méritée, un emploi à temps plein qui dépasse le simple horaire de travail.

Bien sûr, il y a l’engagement, à la fois joyeux et fatigant, de s’occuper des petits-enfants, et aujourd’hui, les grands-parents ont un rôle très important au sein de la famille pour aider à élever les petits-enfants ; mais nous savons qu’aujourd’hui il y a de moins en moins d’enfants qui naissent, et que les parents sont souvent plus éloignés, plus sujets aux déplacements, avec des situations de travail et d’habitation non favorables. Parfois, ils sont aussi plus réticents à confier aux grands-parents des espaces pour l’éducation, ne leur accordant que ceux strictement lié au besoin d’assistance. Mais quelqu’un me disait, en souriant un peu ironiquement : « Aujourd’hui, les grands-parents, dans cette situation socio-économique, sont devenus plus importants, parce qu’ils ont une pension ». Eh, ils le pensent. Il y a de nouvelles exigences, même au niveau des relations éducatives et parentales, qui nous obligent à remodeler l’alliance traditionnelle entre les générations.

Mais, demandons-nous : faisons-nous cet effort de « remodèlement » ? Ou subissons-nous simplement l’inertie des conditions matérielles et économiques ? La présence ensemble des générations s’allonge en effet. Cherchons-nous, tous ensemble, de la rendre plus humaines, plus affectueuse, plus juste, dans les nouvelles conditions des sociétés modernes ? Pour les grands-parents, une part importante de leur vocation est de soutenir leurs enfants dans l’éducation de leurs petits-enfants. Les petits-enfants apprennent la force de la tendresse et le respect de la fragilité : des leçons irremplaçables, qui sont plus faciles à transmettre et à recevoir avec les grands-parents. Les grands-parents, quant à eux, apprennent que la tendresse et la fragilité ne sont pas seulement des signes de déclin : pour les jeunes, ce sont des étapes qui rendent l’avenir humain.

Judith est veuve très tôt et n’a pas d’enfants, mais en tant que femme âgée, elle a pu vivre une saison de plénitude et de sérénité, sachant qu’elle avait vécu pleinement la mission que le Seigneur lui avait confiée. Pour elle, c’est le temps de laisser le bon héritage de la sagesse, de la tendresse, de dons pour la famille et la communauté : un héritage du bien et pas seulement de biens. Lorsque nous pensons à l’héritage, nous pensons parfois aux biens, et non au bien qui a été fait dans la vieillesse et qui a été semé, ce bien qui est le meilleur héritage que nous pouvons laisser.

Précisément dans sa vieillesse, Judith « affranchit sa servante préférée ». C’est le signe d’un regard attentif et humain envers ceux qui l’ont côtoyée. Cette servante l’avait accompagnée dans cette aventure pour vaincre le dictateur et lui trancher la gorge. En vieillissant, on perd un peu la vue mais le regard intérieur devient plus pénétrant : on voit avec le cœur. On devient capable de voir des choses qui nous échappaient auparavant. Les personnes âgées savent regarder et savent voir… C’est ainsi : le Seigneur ne confie pas seulement ses talents aux jeunes et aux forts : il a des talents pour tous, faits sur mesure pour chacun, également pour les vieux. La vie de nos communautés doit savoir profiter des talents et des charismes de tant de personnes âgées, déjà retraitées, mais qui sont une richesse à valoriser. Cela exige, de la part des personnes âgées elles-mêmes, une attention créative et une attention nouvelle, une disponibilité généreuse. Les anciennes compétences de la vie active perdent leur part de contrainte et deviennent des ressources de don : enseigner, conseiller, construire, soigner, écouter… De préférence au profit des plus démunis, qui n’ont pas les moyens d’apprendre ou qui sont abandonnés à leur solitude.

Judith a libéré sa servante et a couvert tout le monde d’attentions. Jeune fille, elle avait gagné l’estime de la communauté par son courage. Dans sa vieillesse, elle l’a mérité pour la tendresse avec laquelle elle a enrichi leur liberté et leurs affections. Judith n’est pas une retraitée qui vit son vide de façon mélancolique : c’est une femme âgée passionnée qui remplit de dons le temps que Dieu lui offre. Je vous recommande : prenez, un de ces jours, la Bible et prenez le livre de Judith : il est minuscule, on le lit… il y a 10 pages, pas plus. Lisez cette histoire d’une femme courageuse qui s’accomplit ainsi, avec tendresse, avec générosité, une femme à la hauteur. Et je voudrais que toutes nos grands-mères soient ainsi, comme ça : courageuses, sages et qu’elles nous laissent en héritage non pas de l’argent, mais l’héritage de la sagesse, semée dans leurs petits-enfants. Merci.


Je salue cordialement les pèlerins de langue française présents à cette audience, en particulier les pèlerins venus de France et de Côte d’Ivoire.

La figure de Judith dans sa vieillesse, veuve et sans enfants, n’apparaît pas repliée sur elle-même, c’est une passionnée qui remplit de bienfaits le temps que Dieu lui donne de vivre encore. À nous de donner aux personnes âgées la possibilité de nous offrir leur expérience et leur sagesse acquises par les joies et les épreuves d’une longue vie bien remplie. Dieu vous bénisse !




Audience Générale du Mercredi 4 Mai 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 4 Mai 2022


Catéchèse sur la vieillesse – 8. Eléazar, la cohérence de la foi, héritage de l’honneur

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans le parcours de cette catéchèse sur la vieillesse, aujourd’hui nous rencontrons un personnage biblique – une personne âgée – du nom d’Eléazar, qui a vécu à l’époque de la persécution d’Antiochus Epiphane. C’est une belle figure. Sa figure nous transmet un témoignage du rapport spécial qui existe entre la fidélité de la vieillesse et l’honneur de la foi. Il est fier celui-là, hein ! Je voudrais parler précisément de l’honneur de la foi, et pas seulement de la cohérence, de la proclamation, de la résistance de la foi. L’honneur de la foi se trouve périodiquement sous la pression, même violente, de la part de la culture dominante, qui cherche à l’avilir en la traitant comme un vestige archéologique, ou une vieille superstition, une ténacité anachronique et ainsi de suite.

Le récit biblique – nous en avons entendu un petit extrait, mais il est bon de le lire dans son intégralité – raconte l’épisode des Juifs contraints par un décret du roi à manger des viandes sacrifiées aux idoles. Lorsqu’arriva le tour d’Eléazar, c’était un vieil homme très respecté, nonagénaire ; très respecté de tous – il faisait autorité -, les fonctionnaires du roi lui conseillèrent de faire une simulation, c’est-à-dire de faire semblant de manger la viande sans le faire réellement. L’hypocrisie. L’hypocrisie religieuse. Il y en a beaucoup, hein ! Il y a tant d’hypocrisie religieuse, d’hypocrisie cléricale, il y en a tant. Ils lui disent : « Mais fais un peu l’hypocrite, personne ne le remarquera ». Ainsi, Eléazar serait sauvé, et – disaient-ils – au nom de l’amitié, il aurait accepté leur geste de compassion et d’affection. La sortie hypocrite. Après tout – insistaient-ils – c’était un geste minime, faire semblant de manger mais ne pas manger, un geste insignifiant.

C’est peu de chose, mais la réponse calme et ferme d’Eléazar repose sur un argument qui nous frappe. Le point central est le suivant : déshonorer la foi dans la vieillesse, pour gagner quelques jours, n’est pas comparable à l’héritage qu’elle doit laisser aux jeunes, pour des générations entières à venir. Mais félicitations à cet Eléazar. Un vieil homme qui a vécu dans la cohérence de sa foi sa vie entière, et qui maintenant s’adapte à feindre de la renier, condamne la nouvelle génération à penser que toute la foi n’a été qu’une imposture, un revêtement extérieur que l’on peut abandonner, en pensant pouvoir la préserver dans l’intimité. Et ce n’est pas ainsi, dit Eléazar. Un tel comportement n’honore pas la foi, pas même devant Dieu. Et l’effet de cette banalisation extérieure sera dévastateur pour la vie intérieure des jeunes. Mais la cohérence de cet homme qui pense aux jeunes ! Il pense à l’hérédité future, il pense à son peuple.

Précisément la vieillesse – et c’est bien pour vous, les vieux, hein ! – apparaît ici comme le lieu décisif, et le lieu irremplaçable, de ce témoignage. Un vieil homme qui, en raison de sa vulnérabilité, accepterait de considérer la pratique de la foi comme insignifiante, ferait croire aux jeunes que la foi n’a aucun réel rapport avec la vie. Elle leur apparaîtrait, dès le départ, comme un ensemble de comportements qui, en l’occurrence, peuvent être simulés ou dissimulés, car aucun d’entre eux n’est aussi important pour la vie.

L’ancienne gnose hétérodoxe, qui a été un piège très puissant et très séduisant pour le christianisme des premiers siècles, théorisait à ce sujet, c’est une vieille histoire : que la foi est une spiritualité, pas une pratique ; une force de l’esprit, pas une façon de vivre. La fidélité et l’honneur de la foi, selon cette hérésie, n’ont rien à voir avec les comportements de la vie, les institutions de la communauté, et les symboles du corps. Rien à voir. La séduction de cette perspective est forte, car elle interprète, à sa manière, une vérité indiscutable : la foi ne peut jamais être réduite à un ensemble de règles alimentaires ou de pratiques sociales. La foi est une autre chose. L’inconvénient est que la radicalisation gnostique de cette vérité annule le réalisme de la foi chrétienne, parce que la foi chrétienne est réaliste, la foi chrétienne ne consiste pas seulement à dire le Credo : elle consiste à penser le Credo, à le comprendre et à le pratiquer. En agissant avec les mains. Au lieu de cela, cette proposition gnostique est faire semblant, mais l’important est que tu aies de la spiritualité à l’intérieur et alors tu peux faire ce que tu veux. Et ceci n’est pas chrétien. C’est la première hérésie des gnostiques, qui est très à la mode ici, en ce moment, dans tant de centres de spiritualité, etc. Et elle vide aussi le témoignage de ces personnes qui montrent les signes concrets de Dieu dans la vie de la communauté et résistent aux perversions de l’esprit à travers les gestes du corps.

La tentation gnostique qui est une des – disons le mot – hérésies, une des déviations religieuses de ce temps, la tentation gnostique reste toujours actuelle. Dans de nombreuses tendances de notre société et de notre culture, la pratique de la foi subit une représentation négative, parfois sous forme d’ironie culturelle, parfois avec une marginalisation cachée. La pratique de la foi pour ces gnostiques qui existaient déjà à l’époque de Jésus, est considérée comme un aspect inutile et même nuisible, comme un résidu désuet, comme une superstition déguisée. En bref, quelque chose pour les vieux. La pression que cette critique infondée exerce sur les jeunes générations est forte. Bien sûr, nous savons que la pratique de la foi peut devenir une extériorité sans âme, c’est l’autre danger, le contraire, n’est-ce pas ? Et c’est vrai, n’est-ce pas ? Mais en soi, elle ne l’est pas. Il nous revient peut-être à nous, les anciens – et il y en a encore ici – de remplir une mission très importante : rendre à la foi son honneur, la rendre cohérente, ce qui est le témoignage d’Eléazar : la cohérence jusqu’au bout. La pratique de la foi n’est pas le symbole de notre faiblesse- non-, mais plutôt le signe de sa force. Nous ne sommes plus de jeunes garçons. Nous ne plaisantions pas lorsque nous nous sommes engagés à la suite du Seigneur ! Non

La foi mérite respect et honneur jusqu’au bout : elle nous a changé la vie, nous a purifié l’esprit, nous a appris l’adoration de Dieu et l’amour du prochain. C’est une bénédiction pour tous ! Mais toute la foi, non pas une partie. Nous n’échangerons pas la foi contre une poignée de jours tranquilles, comme le fait Eléazar. Non. Cohérent jusqu’au bout. Et va au martyre ainsi, non ? Nous montrerons, en toute humilité et fermeté, jusque dans notre vieillesse, que croire n’est pas quelque chose « pour les vieux ». Non. C’est une chose de la vie. Croyez en l’Esprit Saint, qui fait toutes choses nouvelles, et il nous aidera naturellement.

Chers frères et sœurs âgés, pour ne pas dire vieux, nous sommes dans le même groupe, s’il vous plaît, prêtons attention aux jeunes : ils nous regardent. Ils nous observent. N’oubliez pas cela. Cela me rappelle ce merveilleux film d’après-guerre : « Les enfants nous regardent ». Nous pouvons dire la même chose avec les jeunes : les jeunes nous regardent et notre cohérence peut leur ouvrir un très beau chemin de vie. Au contraire, une éventuelle hypocrisie fera tant de mal. Prions les uns pour les autres. Que Dieu nous bénisse tous les vieux. Merci.


Je salue cordialement les pèlerins de langue française, particulièrement l’Association la “Voie Romaine”, la Communauté de l’Arche et les jeunes venus de France.

Frères et sœurs, puissions-nous, par notre prière et notre proximité, être un réconfort et un soutien pour les personnes âgées, particulièrement dans les moments où le poids de l’âge et les souffrances les exposent à l’abandon de la foi.

Que Dieu vous bénisse !





Audience Générale du Mercredi 13 Avril 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 13 Avril 2022


La paix de Pâques

Nous sommes au cœur de la Semaine Sainte, entre le dimanche des Rameaux et le dimanche de Pâques. Dimanche dernier, la foule acclamait Jésus comme un Messie puissant qui allait apporter une paix glorieuse en les libérant des romains.

Mais Jésus ne s’est jamais présenté en ces termes. Il apporte la paix par la douceur et la miséricorde, symbolisées par cet âne que personne n’avait encore jamais monté, comme pour signifier que la façon de faire du Seigneur est différente de celle du monde.

Le monde croit obtenir la paix en l’imposant par la violence. La paix du Seigneur, elle, s’obtient par la croix : en prenant sur lui notre mal, notre péché et notre mort, il nous libère. Les seules armes de l’Evangile sont la prière, la tendresse, le pardon, et l’amour du prochain. C’est pourquoi l’agression armée qui fait rage des jours-ci est un outrage à Dieu, une trahison blasphématoire du Seigneur de la Pâque.

Le mot Pâques signifie « passage » : c’est pour nous cette année l’occasion bénie de passer du dieu mondain au Dieu chrétien, d’une paix acquise par la force à la seule vraie paix apportée par Jésus dans l’offrande de sa vie.

Mettons-nous aux pieds du Crucifié, source de notre paix, et demandons-lui la paix du cœur, et la paix dans le monde.

Je salue cordialement les personnes de langue française présentes aujourd’hui, particulièrement les groupes de jeunes venus de France et de Belgique. Quand les jeunes sont là, il y a du bruit, hein ? Et çà, c’est beau !

Ce matin, demandons au Seigneur de nous préparer à vivre en union avec lui les jours de la Passion et de la Résurrection

Que notre prière accompagne en particulier tous ceux qui traversent ces jours saints dans l’abandon, la guerre ou la difficulté.

Que Dieu vous bénisse !




Audience Générale du Mercredi 6 Avril 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 6 Avril 2022


Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenue !

Samedi et dimanche derniers, je me suis rendu à Malte : un Voyage Apostolique prévu depuis un certain temps : il a été reporté de deux ans, à cause du Covid et de ces choses. Peu de gens savent que Malte, bien qu’étant une île au milieu de la Méditerranée, a reçu l’Évangile très tôt. Pourquoi ? Parce que l’apôtre Paul fit naufrage près de ses côtes et eut miraculeusement la vie sauve, avec tous ceux qui se trouvaient sur le bateau, soit plus de deux cent soixante-dix personnes. Les Actes des Apôtres racontent que les Maltais les accueillirent tous, et dit ces mots « avec humanité peu ordinaire » (28,2). C’est important, ne l’oubliez pas : « avec humanité peu ordinaire ». J’ai choisi ces mots : avec une humanité peu ordinaire, comme thème de mon Voyage, parce qu’ils indiquent le chemin à suivre non seulement pour affronter le phénomène des migrants, mais plus généralement pour que le monde devienne plus fraternel, plus vivable, et soit sauvé d’un « naufrage » qui nous menace tous, nous qui sommes – comme nous l’avons appris – dans la même embarcation, tous. Malte est dans cet horizon un lieu-clé.

Tout d’abord, géographiquement, en raison de sa position au centre de la Mer entre l’Europe et l’Afrique, mais qui baigne aussi l’Asie. Malte est une sorte de « rose des vents », où les peuples et les cultures se rencontrent ; c’est un point privilégié d’où l’on peut observer à 360° la région méditerranéenne. Aujourd’hui on parle souvent de « géopolitique », mais malheureusement la logique dominante est celle des stratégies des Etats les plus puissants pour faire valoir leurs intérêts en étendant leur zone d’influence économique, ou d’influence idéologique et ou d’influence militaire : nous le constatons avec la guerre. Malte représente, dans ce cadre, le droit et la force des « petits », des Nations petites, mais riches d’histoire et de civilisation, qui devraient promouvoir une autre logique : celle du respect et de la liberté, celle du respect et aussi la logique de la liberté, de la convivialité des différences, opposée à la colonisation des plus puissants. C’est ce que nous constatons actuellement. Et pas seulement d’un côté : également d’autre … Après la Seconde Guerre mondiale, l’on a tenté de jeter les bases d’une nouvelle histoire de paix, mais malheureusement – nous n’apprenons pas, eh ? – s’est perpétuée la vieille histoire des grandes puissances concurrentes. Et, dans la guerre actuelle en Ukraine, nous sommes témoins de l’impuissance de l’Organisation des Nations Unies.

Deuxième aspect : Malte est un lieu-clé en ce qui concerne le phénomène des migrations. Au centre d’accueil Jean XXIII, j’ai rencontré de nombreux migrants qui sont arrivés sur l’île après de terribles périples. Nous ne devons jamais nous lasser d’écouter leurs témoignages, car c’est le seul moyen d’échapper à la vision déformée qui circule souvent dans les médias de masse et de pouvoir reconnaître les visages, les histoires, les blessures, les rêves et les espoirs de ces migrants. Chaque migrant est unique : ce n’est pas un numéro, c’est une personne ; il est unique comme chacun d’entre nous. Chaque migrant est une personne avec sa propre dignité, ses racines, sa culture. Chacun d’eux est porteur d’une richesse infiniment plus grande que les problèmes qu’il apporte. Et n’oublions pas que l’Europe s’est faite par les migrations.

Bien sûr, l’accueil doit être organisé – et ceci est vrai – doit être gouverné, et encore avant, largement plus tôt, il faudrait qu’il soit planifié ensemble, au niveau international. Parce que le phénomène migratoire ne peut être réduit à une urgence, c’est un signe de notre temps. Et il doit être lu et interprété comme tel. Il peut devenir un signe de conflit, ou un signe de paix. Cela dépend de la façon dont nous le prenons, cela dépend de nous. Ceux qui créé le Centre Jean XXIII à Malte ont fait le choix chrétien et c’est pourquoi ils l’ont appelé « Peace Lab » : laboratoire de la paix. Mais je tiens à dire que Malte dans son ensemble est un laboratoire de la paix ! La nation entière, avec son attitude, avec son attitude propre est un laboratoire de la paix. Et Malte peut accomplir sa mission si elle puise dans ses racines la sève de la fraternité, de la compassion et de la solidarité. Le peuple maltais a reçu ces valeurs en même temps que l’Évangile, et grâce à l’Évangile, il pourra les garder vivantes.

C’est pourquoi, comme évêque de Rome, je suis allé confirmer ce peuple dans la foi et la communion. En effet – troisième aspect – Malte est également un lieu-clé du point de vue de l’évangélisation. De Malte et de Gozo, les deux diocèses du pays, de nombreux prêtres et religieux, ainsi que des fidèles laïcs, sont partis, portant le témoignage chrétien dans le monde entier. Comme si le passage de saint Paul avait laissé la mission dans l’ADN des Maltais ! C’est pourquoi ma visite était avant tout un acte de gratitude, de reconnaissance envers Dieu et envers son peuple saint et fidèle qui est à Malte et à Gozo.

Cependant, là aussi souffle le vent du sécularisme et de la pseudo-culture mondialisée à base de consumérisme, de néo-capitalisme et de relativisme. Là aussi, est donc venu le temps d’une nouvelle évangélisation. Ma visite à la Grotte de Saint-Paul, comme celle de mes Prédécesseurs, a été comme un retour à la source, pour que l’Évangile jaillisse à Malte avec la fraîcheur des origines et ravive son grand patrimoine de religiosité populaire. Ceci est symbolisé par le Sanctuaire marial national de Ta’ Pinu, sur l’île de Gozo, où nous avons célébré une intense rencontre de prière. Là, j’ai senti battre le cœur du peuple maltais, qui a tant confiance en sa Sainte Mère. Marie nous ramène toujours à l’essentiel, au Christ crucifié et ressuscité, et ceci pour nous, à son amour miséricordieux. Marie nous aide à raviver la flamme de la foi en puisant dans le feu de l’Esprit Saint, qui anime la joyeuse annonce de l’Évangile de génération en génération, car la joie de l’Église est d’évangéliser ! N’oublions pas cette phrase de saint Paul VI : la vocation de l’Église est d’évangéliser, la joie de l’Église est d’évangéliser. Ne l’oublions plus : c’est la plus belle définition de l’Église.

Je saisis cette occasion pour renouveler mes remerciements à Monsieur le Président de la République de Malte si courtois et si fraternel : merci à lui et à sa famille ; à Monsieur le Premier Ministre et aux autres autorités civiles, qui m’ont accueilli avec tant de gentillesse ; ainsi qu’aux évêques et à tous les membres de la communauté ecclésiale, aux volontaires et à ceux qui m’ont accompagné dans la prière. Je ne voudrais pas omettre de mentionner le centre d’accueil Jean XXIII pour les migrants : là, ce frère franciscain [le père Dionisio Mintoff] qui le dirige, a 91 ans et il continue à travailler ainsi, avec des collaborateurs du diocèse. C’est un exemple de zèle apostolique et d’amour pour les migrants, dont on a tant besoin aujourd’hui. En effet avec cette visite, nous semons, mais c’est le Seigneur qui fait pousser. Que son infinie bonté accorde des fruits abondants de paix et de tout bien au cher peuple maltais ! Merci au peuple maltais pour son accueil tellement humain et ainsi chrétien. Merci beaucoup.


Je salue cordialement les pèlerins de langue française, en particulier l’Office International de l’Enseignement Catholique et les jeunes venus de France et de Belgique.

Frères et sœurs, en ces moments où le monde fait face à de grands phénomènes migratoires, apprenons, à l’exemple des Maltais, à vaincre l’indifférence et la peur de l’autre afin de construire des sociétés fondées sur l’accueil et la solidarité.

Sur chacune de vos personnes, j’invoque la Bénédiction de Dieu.




Audience Générale du Mercredi 30 Mars 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 30  Mars 2022


Catéchèse sur la vieillesse – 5. Fidélité à la visite de Dieu pour la génération future

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans notre itinéraire catéchétique sur le thème de la vieillesse, nous contemplons aujourd’hui le tableau de tendresse dépeint par l’évangéliste Saint Luc, qui met en scène deux figures d’anciens, Siméon et Anne. Leur raison de vivre, avant de prendre congé de ce monde, est l’attente de la visite de Dieu. Ils étaient dans l’attente que Dieu vienne les visiter, c’est-à-dire Jésus. Siméon sait, par une prémonition de l’Esprit Saint, qu’il ne mourra pas avant d’avoir vu le Messie. Anne fréquente le temple tous les jours, en se consacrant à son service. Tous deux reconnaissent la présence du Seigneur dans l’enfant Jésus, qui comble de consolation leur longue attente et donne sérénité à leur fin de vie. C’est une scène de rencontre avec Jésus, et d’adieu.

Que pouvons-nous apprendre de ces deux figures d’anciens pleins de vitalité spirituelle ?

En même temps, nous apprenons que la fidélité de l’attente affine les sens. Du reste, nous le savons, c’est exactement ce que fait le Saint-Esprit : il illumine les sens. Dans l’ancien hymne Veni Creator Spiritus, avec lequel nous invoquons encore aujourd’hui l’Esprit Saint, nous disons : « Accende lumen sensibus », mets en nous ta clarté, embrase-nous, illumine nos sens. L’Esprit est capable de faire cela : il aiguise les sens de l’âme, malgré les limites et les blessures des sens du corps. La vieillesse affaiblit, d’une manière ou d’une autre, le corps dans sa matérialité : l’un est plus aveugle, l’autre plus sourd…. Cependant, une vieillesse qui s’est préparée dans l’attente de la visite de Dieu ne manquera pas son passage : mieux elle sera même plus prompte à l’accueillir, elle aura plus de sensibilité pour accueillir le Seigneur quand il passe. Rappelons-nous que l’attitude du chrétien est d’être attentif aux visites du Seigneur, parce que le Seigneur passe, dans notre vie, avec des inspirations, avec l’invitation à être meilleur. Et Saint Augustin disait :  » J’ai peur de Dieu quand il passe  » –  » Mais comment, tu as peur ? « . – « Oui, j’ai peur de ne pas m’en rendre compte et de le laisser passer ». C’est l’Esprit Saint qui prépare nos sens pour comprendre quand le Seigneur nous rend visite, comme il l’a fait avec Siméon et Anne.

Aujourd’hui, nous en avons plus que jamais besoin : nous avons besoin d’une vieillesse dotée de sens spirituels vifs et capable de reconnaître les signes de Dieu, voire le Signe de Dieu, qui est Jésus. Un signe qui nous met en crise, toujours : Jésus nous met en crise parce qu’il est « signe de contradiction » (Lc 2,34) – mais qui nous remplit d’allégresse. Parce que la crise ne t’apporte pas nécessairement la tristesse, non : être en crise tout en servant le Seigneur te donne une paix et une joie, bien souvent. L’anesthésie des sens spirituels – et c’est malheureux – l’anesthésie des sens spirituels, dans l’excitation et l’étourdissement de ceux du corps, est un syndrome répandu dans une société qui cultive l’illusion de l’éternelle jeunesse, et son trait le plus dangereux est qu’elle n’en a même pas conscience. On ne se rend pas compte d’être anesthésié. Et ça arrive. Ça arrive. Cela arrive depuis toujours et cela arrive à notre époque. Les sens anesthésiés, ne comprenant pas ce qui se passe ; les sens intérieurs, les sens de l’Esprit pour comprendre la présence de Dieu ou la présence du mal, anesthésiés, ne distinguent pas.

Quand tu perds la sensibilité du toucher ou du goût, tu t’en rends compte immédiatement. Au contraire, celle de l’âme, cette sensibilité de l’âme, tu peux l’ignorer pendant longtemps, vivre sans t’apercevoir que tu as perdu la sensibilité de l’âme. Il ne s’agit pas simplement de la pensée de Dieu ou de la religion. L’insensibilité des sens spirituels concerne la compassion et la pitié, la honte et le remords, la fidélité et le dévouement, la tendresse et l’honneur, la responsabilité envers soi-même et le souci pour autrui. C’est curieux : l’insensibilité ne te fait pas saisir la compassion, elle ne te fait pas saisir la pitié, elle ne te fait pas sentir la honte ou le remords d’avoir fait une mauvaise chose… C’est comme ça. Les sens spirituels anesthésiés confondent tout et on ne ressent pas, spirituellement, de telles choses. Et la vieillesse devient, pour ainsi dire, la première perte, la première victime de cette perte de sensibilité. Dans une société qui exerce surtout la sensibilité pour le plaisir, l’attention envers les personnes fragiles s’amoindrit et prévaut la compétition des vainqueurs. Et ainsi se perd la sensibilité. Bien sûr, la rhétorique de l’inclusion est la formule rituelle de tout discours politiquement correct. Mais elle n’entraîne pas encore une véritable correction des pratiques de la vie commune normale : une culture de la tendresse sociale peine à se développer. Non : l’esprit de la fraternité humaine – que j’ai senti la nécessité de relancer avec force – est comme un vêtement qu’on ne porte plus, à admirer, certes, mais… dans un musée. Nous perdons la sensibilité humaine, ces mouvements de l’Esprit qui nous rendent humains.

Il est vrai que, dans la vie réelle, nous pouvons observer avec gratitude le témoignage émouvant de tant de jeunes qui honorent pleinement cette fraternité. Mais c’est là que le bât blesse : il y a un fossé, un fossé coupable, entre le témoignage de cette sève de tendresse sociale et le conformisme qui oblige la jeunesse à se raconter d’une toute autre manière. Que pouvons-nous faire pour combler ce fossé ?

De l’histoire de Siméon et Anne, mais aussi d’autres récits bibliques de la vieillesse sensible à l’Esprit, découle une indication cachée qui mérite d’être mise en évidence. En quoi consiste concrètement la révélation qui embrase la sensibilité de Siméon et d’Anne ? Elle consiste à reconnaître dans un enfant, qu’ils n’ont pas engendré et qu’ils voient pour la première fois, le signe certain de la visite de Dieu. Ils acceptent de ne pas être des protagonistes, mais seulement des témoins. Et quand on accepte de ne pas être protagoniste, mais de s’impliquer comme témoin, c’est bien : cet homme ou cette femme mûrit bien. Mais si toujours cette personne a le désir d’être protagoniste ou rien, jamais ne parviendra à maturité ce chemin vers la plénitude de la vieillesse. La visite de Dieu ne s’incarne pas dans leur vie, la vie de ceux qui veulent être protagonistes et jamais témoins, elle ne les porte pas sur la scène comme des sauveurs : Dieu ne prend pas chair dans leur génération, mais dans la génération future. Ils perdent l’esprit, ils perdent la volonté de vivre avec maturité et, comme on le dit habituellement, ils vivent de manière superficielle. C’est la grande génération des superficiels, qui ne se permettent pas de ressentir les choses avec la sensibilité de l’Esprit. Mais pourquoi ne se le permettent-ils pas ? En partie par paresse, et en partie parce qu’ils ne le peuvent déjà plus : ils l’ont perdu. C’est malheureux qu’une civilisation perde la sensibilité de l’Esprit. Au contraire, c’est beau quand nous trouvons des anciens comme Siméon et Anne qui conservent cette sensibilité de l’Esprit et sont capables de comprendre les diverses situations, comme ces deux ont compris cette situation qui se présentait à eux et qui était la manifestation du Messie. Aucun ressentiment ni aucune récrimination, d’ailleurs, lorsqu’ils sont dans cet état de néant, de constance [statique], dans leur assurance. Au contraire, grande émotion et grande consolation lorsque les sens spirituels sont vivants, encore. L’émotion et la consolation de pouvoir voir et annoncer que l’histoire de leur génération n’est pas perdue ou gâchée, précisément à cause d’un événement qui prend chair et se manifeste dans la génération qui suit. Et c’est ce que ressent une personne âgée lorsque ses petits-enfants, ses neveux et nièces vont parler avec elles [à elle] : elles se sentent revivre. « Ah, ma vie est toujours là ». C’est très important d’aller vers les anciens, c’est si important de les écouter. C’est tellement important de parler avec eux, parce que […] il y a cet échange de civilisation, cet échange de maturité entre jeunes et vieux. Et ainsi, notre civilisation avance de manière mature.

Seule la vieillesse spirituelle peut donner ce témoignage, humble et éblouissant, en lui conférant autorité et exemplarité pour tous. La vieillesse qui a cultivé la sensibilité de l’âme fait disparaitre toute jalousie entre les générations, tout ressentiment, toute récrimination pour un avènement de Dieu dans la génération qui suit, qui arrive comme pour accompagner sa propre fin. Et c’est ce qui arrive à un vieux ouvert avec un jeune ouvert : il fait ses adieux à la vie mais en transmettant – entre guillemets – sa vie à la nouvelle génération. Et tel est l’adieu de Siméon et d’Anne : « Maintenant, je peux m’en aller en paix ». La sensibilité spirituelle de la vieillesse est capable de briser la compétition et le conflit entre les générations de manière crédible et définitive. Elle se surpasse, cette sensibilité : les personnes âgées, avec cette sensibilité, surpassent le conflit, elles vont au-delà, elles vont vers l’unité, pas vers le conflit. C’est certes impossible pour les hommes, mais c’est possible pour Dieu. Et aujourd’hui nous en avons tant besoin, la sensibilité de l’esprit, la maturité de l’esprit, nous avons besoin de vieux sages, mûrs en esprit, qui nous donnent l’espérance pour la vie ! Merci.


Je salue cordialement les pèlerins de langue française présents à cette audience, en particulier les membres du Groupe d’Amitié France-Italie.

En reconnaissant l’Enfant qu’ils voient pour la première fois et qu’ils n’ont pas engendrés, Syméon et Anne acceptent de n’être pas des protagonistes mais des témoins discrets et fidèles de l’avènement du Messie. Seule la sensibilité spirituelle de la vieillesse peut donner ce témoignage humble et exemplaire et abattre les compétitions ou les conflits entre les générations. Que Dieu vous bénisse !




Audience Générale du Mercredi 23 Mars 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 23  Mars 2022


Catéchèse sur la vieillesse

– 4. L’adieu et l’héritage : mémoire et témoignage 

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans la Bible, le récit de la mort du vieux Moïse est précédé de son testament spirituel, appelé « Cantique de Moïse ». Ce Cantique est avant tout une très belle confession de foi, et dit ainsi : « C’est le nom du Seigneur que j’invoque ; / à notre Dieu, reportez la grandeur. / Il est le Rocher : son œuvre est parfaite ; / tous ses chemins ne sont que justice. / Dieu de vérité, non pas de perfidie, il est juste, il est droit. » (Dt 32, 3-4). Mais c’est aussi la mémoire de l’histoire vécue avec Dieu, des aventures du peuple qui s’est formé à partir de la foi au Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob. Ainsi, Moïse rappelle aussi les amertumes et les désillusions de Dieu lui-même, et il l’exprime avec ceci : Sa fidélité mise continuellement à l’épreuve par les infidélités de son peuple. Le Dieu fidèle et la réponse du peuple infidèle : comme si le peuple voulait mettre à l’épreuve la fidélité de Dieu. Et Lui reste toujours fidèle, proche de son peuple. C’est précisément le cœur du Cantique de Moïse : la fidélité de Dieu qui nous accompagne durant toute la vie.

Lorsque Moïse prononce cette confession de foi, il est au seuil de la terre promise, et aussi de la fin de sa vie. Il avait cent vingt ans, note le récit, « sa vue n’avait pas baissé » (Dt 34, 7). Cette capacité de voir, de voir réellement, même de voir symboliquement, comme le font les personnes âgées, qui savent voir les choses, le sens profond des choses. La vitalité de son regard est un don précieux : elle lui permet de transmettre l’héritage de sa longue expérience de vie et de foi, avec la lucidité nécessaire. Moïse voit l’histoire et retransmet l’histoire ; les vieillards voient l’histoire et retransmettent l’histoire.

Une vieillesse à laquelle est accordée cette lucidité est un don précieux pour la génération future. L’écoute personnelle et directe du récit de l’histoire de la foi vécue, avec tous ses hauts et ses bas, est irremplaçable. Le lire dans des livres, le regarder dans des films, le consulter sur internet, aussi utile soit-il, ne sera jamais la même chose. Cette transmission – qui est la vraie tradition, la transmission concrète du vieux au jeune ! – cette transmission manque beaucoup aujourd’hui, et toujours plus aux nouvelles générations. Pourquoi ? Parce que cette nouvelle civilisation a l’idée que les personnes âgées sont du matériel de déchèterie, que les personnes âgées doivent être mises au rebut. Ceci est une brutalité ! Non, ça ne va pas comme ça. Le récit direct, de personne à personne, a des tonalités et modes de communication qu’aucun autre moyen ne peut substituer. Un vieil homme qui a vécu longtemps et obtient le don d’un témoignage lucide et passionné de son histoire est une bénédiction irremplaçable. Sommes-nous capables de reconnaître et d’honorer ce don des personnes âgées ? La transmission de la foi – et du sens de la vie – suit-elle aujourd’hui ce chemin, de l’écoute des personnes âgées ? Je peux donner un témoignage personnel. La haine et la colère contre la guerre m’ont été transmises par mon grand-père qui a combattu sur le Piave en 1914, et il m’a transmis cette colère contre la guerre. Parce qu’il m’a raconté les souffrances d’une guerre. Et ça on ne l’apprend pas dans les livres ni d’une autre manière… on l’apprend de cette façon, en le transmettant des grands-parents aux petits-enfants. Et cela est irremplaçable. La transmission de l’expérience de vie des grands-parents aux petits-enfants. Aujourd’hui, malheureusement, ce n’est pas le cas et nous pensons que les grands-parents sont du matériel de déchèterie : non ! Non ! Ils sont la mémoire vivante d’un peuple, et les jeunes et les enfants ont besoin d’entendre leurs grands-parents.

Dans notre culture, si « politiquement correcte », ce chemin semble entravé de nombreuses manières : dans la famille, dans la société, même dans la communauté chrétienne. Certains proposent même d’abolir l’enseignement de l’histoire, comme d’une information superflue sur des mondes qui n’ont plus de pertinence, qui soustraient des ressources à la connaissance du présent. Comme si nous étions nés hier, non ?

La transmission de la foi, en revanche, manque souvent de la passion d’une « histoire vécue ». Transmettre la foi, ce n’est pas dire des choses  » blablabla  » : non. C’est raconter l’expérience de la foi. Et alors difficilement peut attirer à choisir l’amour pour toujours, la fidélité à la parole donnée, la persévérance dans le dévouement, la compassion pour les visages blessés et avilis ? Bien sûr, les récits de la vie doivent être transformés en témoignage, et le témoignage doit être loyal. L’idéologie qui plie l’histoire à ses propres schémas n’est certainement pas loyale ; la propagande qui adapte l’histoire pour promouvoir son propre groupe n’est pas loyale ; ce n’est pas loyal de transformer l’histoire en un tribunal où l’on condamne tout le passé et l’on décourage tout avenir. Non. Être loyal, c’est raconter l’histoire telle qu’elle est, et seuls peuvent la relater fidèlement ceux qui l’ont vécue. C’est pourquoi c’est très important d’écouter les vieux, d’écouter les grands-parents : que les enfants puissent échanger avec eux.

Les Evangiles eux-mêmes racontent honnêtement l’histoire bénie de Jésus sans dissimuler les erreurs, les malentendus et même les trahisons des disciples. Ça, c’est l’histoire, c’est la vérité, ça, c’est le témoignage. Ça, c’est le don de la mémoire que les « anciens » de l’Église transmettent, depuis le début, en le passant « de main en main » à la génération suivante. Ça nous fera du bien de nous demander : combien valorisons-nous cette façon de transmettre la foi, dans le passage de témoin entre les anciens de la communauté et les jeunes qui s’ouvrent à l’avenir ? Et là, il me vient à l’esprit une chose que j’ai dite à plusieurs reprises, mais que je voudrais répéter. Comment transmet-on la foi ? « Ah, voici un livre, étudie-le » : non. On ne peut transmettre la foi ainsi. La foi se transmet dans le dialecte, c’est-à-dire dans la langue familière, entre grands-parents et petits-enfants, entre parents et petits-enfants. La foi est toujours transmise dans le dialecte, dans ce dialecte familier et expérientiel des années. C’est pourquoi le dialogue est si important dans une famille, le dialogue des enfants avec leurs grands-parents, qui sont ceux qui ont la sagesse de la foi.

Parfois, il m’arrive de réfléchir à cette étrange anomalie. La catéchèse de l’initiation chrétienne s’appuie aujourd’hui généreusement sur la Parole de Dieu et transmet des informations précises sur les dogmes, sur la morale de la foi et les sacrements. Ce qui fait souvent défaut, en revanche, c’est une connaissance de l’Église qui vient de l’écoute et du témoignage de l’histoire réelle de la foi et de la vie de la communauté ecclésiale, depuis les origines jusqu’à nos jours. Enfants, nous apprenons la Parole de Dieu dans les cours de catéchisme ; mais l’Église – l’Église – les jeunes ils la « connaissent » dans les salles de classe et dans les médias de l’information globale.

Le récit de l’histoire de foi devrait être comme le Cantique de Moïse, comme le témoignage des Évangiles et des Actes des Apôtres. C’est-à-dire un récit capable de rappeler avec émotion les bénédictions de Dieu et avec loyauté nos manquements. Il serait bien que dès le début, les itinéraires de catéchèse prévoient également l’habitude d’écouter, à partir de l’expérience vécue des personnes âgées, la confession lucide des bénédictions reçues de Dieu, que nous devons conserver et le témoignage loyal de nos propres infidélités, que nous devons réparer et corriger. Les personnes âgées entrent dans la terre promise, que Dieu désire pour chaque génération, lorsqu’elles offrent aux jeunes la belle initiation de leur témoignage et transmettent l’histoire de la foi, la foi dans le dialecte, ce dialecte familier, ce dialecte des anciens aux jeunes. Alors, guidés par le Seigneur Jésus, les personnes âgées et les jeunes entrent ensemble dans son Royaume de vie et d’amour. Mais tous ensemble. Tous en famille, avec ce grand trésor qu’est la foi transmise dans le dialecte. Merci.


Je salue cordialement les personnes de langue française, en particulier le “Mouvement International d’Apostolat des Milieux Sociaux Indépendants”, les pèlerins venus de Suisse, les jeunes venus de France et les Frères du Sacré Cœur.

Frères et sœurs, apprenons à découvrir en chaque personne âgée un don de Dieu et une source de sagesse. Mettons-nous avec amour à leur écoute afin d’acquérir la connaissance et l’expérience nécessaires pour faire face aux défis actuels.

Sur chacune, j’invoque la Bénédiction de Dieu.