« Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ » (D. Alexandre ROGALA – M.E.P.)
À l’époque de Jésus, il y avait de nombreux pillards et les banques n’existaient pas. Donc, lorsque quelqu’un avait de l’argent, il était courant qu’il le mette dans une caisse et de l’enterrer pour le cacher.
Au début des vacances, j’ai animé un camp avec des enfants et des adolescents de la ville de Saint-Denis (93). À la fin de ce camp, nous avons célébré l’eucharistie ensemble. Le prêtre qui présidait la célébration a eu l’idée de faire intervenir les enfants pendant l’homélie. Au début de l’homélie, les jeunes n’intervenaient pas beaucoup et je me disais que la tentative du prêtre de faire participer les enfants était un échec. Mais au bout de quelques minutes, l’un des enfants a parlé de l’argent. Et à partir de ce moment là, tout a changé. Les enfants ont tous levé la main pour participer et donner leur opinion.
L’argent est un sujet qui déchaîne les passions. L’argent permet de faire beaucoup de choses. Il permet d’acheter à manger, de payer ses factures, de voyager, de faire des cadeaux etc. Bref, l’argent est indispensable pour vivre dans notre société. Toutefois, il existe des richesses bien supérieures à l’argent.
Les lectures de ce dimanche nous en parlent…
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Dans la première lecture tirée du Premier Livre des Rois, il est question du don de la sagesse que Dieu accorde à Salomon en réponse à son humble prière. La sagesse est assurément un don bien supérieur à l’argent puisqu’il est un des dons du Saint-Esprit.
Au Ier siècle avant notre ère, un juif pétri de culture grecque vivant à Alexandrie, a écrit un livre qu’on appelle le Livre de la Sagesse. À cette époque, Alexandrie était un grand centre intellectuel. Il y avait non seulement une immense bibliothèque, mais aussi une école de philosophie dans laquelle ont étudié et enseigné des philosophes et théologiens célèbres: Ammonius Saccas, Plotin, Clément d’Alexandrie, Origène…
S’il est permis de mentionner le Livre de la Sagesse alors que la première lecture est tirée du Premier Livre des Rois, c’est parce que l’auteur du Livre de la Sagesse a écrit son œuvre sous l’autorité de Salomon. Il l’a écrite à la première personne comme s’il était lui-même le roi Salomon. C’est ce qu’on appelle une pseudépigraphie. Puisqu’il écrit sous l’autorité de Salomon, l’auteur du Livre de la Sagesse connait la valeur inestimable de la sagesse. Écoutez ces magnifiques lignes:
« la Sagesse est pour les hommes un trésor inépuisable, ceux qui l’acquièrent gagnent l’amitié de Dieu (…) Elle est plus belle que le soleil, elle surpasse toutes les constellations ; si on la compare à la lumière du jour, on la trouve bien supérieure car le jour s’efface devant la nuit, mais contre la Sagesse le mal ne peut rien » (Sg 7, 14 ; 29-30).
Depuis les origines de l’humanité, l’homme a recherché cette sagesse. Dans le troisième chapitre du Livre de la Genèse, trompés par le serpent, l’homme et la femme pensent pouvoir acquérir par eux-mêmes cette sagesse en saisissant et en dévorant le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
Or, comme l’enseignent plusieurs textes bibliques, la véritable sagesse est celle qui « commence avec la crainte de Dieu » (cf. Pr 9; Ps 110 (111); Jb 28). Par conséquent, pour nous qui sommes croyants, la vraie sagesse ne peut en aucun cas être acquise par nos propres forces. La véritable sagesse ne peut être que reçue comme un don.
L’auteur du Livre de la Sagesse qui, comme on l’a dit, écrit sous l’autorité de Salomon, relit l’épisode du songe de Salomon à Gabaon (1 R 3) et écrit:
« je savais que je ne pourrais jamais obtenir la sagesse si Dieu ne me la donnait, et il me fallait déjà du discernement pour savoir de qui viendrait ce bienfait. Je me tournai donc vers le Seigneur et lui fis cette prière… » (Sg 8, 21)
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Dans la deuxième lecture tirée du chapitre 8 de la Lettre aux Romains, saint Paul nous parle de la Grâce, qui est évidemment elle-aussi, bien supérieure à l’argent. Dans l’Église nous employons souvent le mot « grâce » pour parler d’un bienfait reçu du Seigneur. Et nous avons raison de le faire, car par nature, la Grâce est un don totalement gratuit de Dieu.
Mais la Grâce avec un « G » majuscule dont nous parle saint Paul dans la Lettre aux Romains, désigne l’action de Dieu dans notre vie de croyant.
Saint Paul écrit: « Ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes et ceux qu’il a rendu justes, il leur a donné sa gloire ». Ou encore, « ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils ».
En lisant ces lignes de l’Apôtre, nous comprenons que par la Grâce, Dieu non seulement nous justifie, c’est à dire qu’il nous soigne du mal qu’est le péché ; mais Dieu nous divinise aussi en nous donnant sa gloire, et en nous configurant à l’image de son Fils.
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Dans l’évangile de ce dimanche, nous poursuivons la lecture du chapitre 13 de l’évangile de Matthieu commencée depuis deux semaines. Il s’agit du troisième discours de Jésus. Dans le premier, que l’on a l’habitude d’appeler « sermon sur la montagne », Jésus a parlé à la foule de la justice du Royaume des Cieux. Puis, avant d’envoyer ses apôtres en mission proclamer le Royaume des Cieux, il leur a exposé tout ce qu’implique la proclamation du Royaume. Enfin, depuis deux dimanches, dans son troisième discours Jésus nous parle du mystère de ce Royaume.
Le Royaume (ou le Règne) de Dieu est la réalisation des promesses que Dieu a faites à son peuple par les prophètes:
« Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles…vous, vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu… (Ez 36) « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple….je ne me rappellerai plus lors péchés (Jr 31); je répandrai mon esprit sur tout être de chair (Jl 3) ».[1]
Si le Royaume de Dieu qui est l’objet principal du message de Jésus et des apôtres, est la concrétisation de ces promesses que nous venons d’évoquer, le Royaume a évidemment infiniment plus de valeur que l’argent. Par ailleurs, comme nous le constatons dans les paraboles proposées par Jésus ce dimanche, le Royaume des Cieux implique la grâce et le don de la sagesse.
Avant de dire quelques mots sur les paraboles, commençons par une petite remarque sur le chapitre 13 de l’évangile de Matthieu. Le fait que Jésus ne définisse pas clairement ce qu’est le Royaume des Cieux, mais qu’il choisisse d’en parler à travers différentes paraboles dévoilant chacune un aspect particulier du Royaume, suggère que celui-ci est déjà là, mais qu’en même temps, il n’est pas encore achevé. Cet achèvement du Royaume aura lieu à la fin des temps.
Que disent les paraboles que nous avons entendues ?
La première parabole est la parabole du trésor caché. Le trésor caché est une image de la Grâce, car celui qui trouve un trésor n’a rien fait pour le mériter. Et comme nous l’avons vu avec le texte de saint Paul, la grâce est un don gratuit de Dieu fait à l’humanité, alors que celle-ci n’a rien fait pour la mériter. Le texte nous dit à propos de celui qui a trouvé le trésor que « Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ ».
Le Royaume des cieux suscite la joie, et appelle une réponse de la part de l’homme. Dans la parabole, celui qui a trouvé le trésor vend tout ce qu’il possède pour acheter le champ. Ce que Jésus veut nous dire, c’est qu’une fois qu’il a trouvé le Royaume, l’homme doit faire de celui-ci sa priorité.
Alors que dans la parabole du trésor caché le Royaume est immérité, dans la parabole de la perle, le Royaume est une quête, donc quelque chose qui dépend de notre responsabilité.
Nous avons vu dans la première lecture l’exemple de Salomon. Même s’il avait déjà un bon discernement, il a su dans l’humilité demander à Dieu dans la prière de lui accorder le don de la sagesse. De même nous-aussi, même si nous avons tout reçu de Dieu le jour de notre baptême, puisque Dieu s’est donné lui-même à nous, nous devons continuellement le solliciter pour lui demander son aide tout au long de notre vie.
Bref, si l’initiative première vient de Dieu et que l’homme n’a aucun mérite, celui-ci ne doit en revanche jamais se lasser de chercher Dieu.
Dans la dernière parabole, il est question d’un « filet que l’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons ». Le premier enseignement de cette parabole est évident. Tout le monde est invité à faire partie du peuple de Dieu, à l’aimer, et à le laisser régner dans nos cœurs.
Dans la deuxième lecture, nous avons appris que nous sommes appelés à être configurés à l’image du Fils de Dieu. Cette configuration n’est malheureusement pas instantanée. C’est un processus qui prend du temps. Ceux qui sont plus avancés dans ce processus de configuration, ou plutôt ceux qui se croient plus avancés, peuvent avoir la tentation de vouloir faire le tri ; de vouloir purifier l’Église de tous ceux qu’ils pensent être plus mauvais qu’eux. Comme dans la parabole du bon grain et de l’ivraie que nous avons entendue dimanche dernier, Jésus nous rappelle qu’il ne nous appartient pas de faire ce tri, il ne nous appartient pas « de recueillir ce qui est bon et de rejeter ce qui est mauvais ». Le tri sera fait. Le texte est clair. Mais il ne sera pas fait par nous, mais par les anges à la fin des temps.
Notre mission en tant que disciples-missionnaires est de jeter encore et encore nos filets dans la mer, symbole des forces du mal, pour tirer d’autres hommes sur le rivage et les amener au Christ.
À l’exemple de Salomon, demandons le don de la sagesse véritable pour qu’elle nous aide à discerner en toute situation comment travailler plus efficacement à l’avènement du Royaume de Dieu. Amen !
[1] Nous pourrions encore citer encore bien d’autres textes.
« Les ouvriers sont peu nombreux » (Mt 9, 36 – 10, 8); d’après la réflexion du Père Luis CASASUS, Président des Missionnaires Identes.
« Jésus appela ses douze disciples et les envoya en mission » (Mt 9, 36 – 10, 8)
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » Alors Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon, nommé Pierre ; André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra. Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. »
Mosaïque de la Basilique de Lisieux
Ce texte ne laisse pas une très grande place à des interprétations sophistiquées : les ouvriers sont peu nombreux. Il s’agit d’une affirmation quantitative, arithmétique. Ce qui est pénible et constitue un défi. Personne ne conteste le fait que le nombre de vocations à la vie sacerdotale et religieuse diminue presque partout dans le monde. Ce qui est encore plus compliqué c’est que dans des régions où le nombre de vocations n’a pas chuté de façon spectaculaire, elles ne sont pas toutes authentiques et pures.
Déjà au temps du Christ, la situation était difficile. Il ne put envoyer que 12 disciples et ne réussit à en préparer 72 autres que plus tard. Visiter toutes les villes et villages de Galilée pour annoncer la Bonne Nouvelle était déjà une tâche écrasante, compte tenu de la taille de la population. Mais c’est un peu surprenant : Jésus lui-même n’a-t-il pas dit qu’il pouvait faire appel à son Père qui lui enverrait aussitôt douze légions d’anges pour l’aider (Mt 26, 53) ? S’il y a insuffisance d’ouvriers et qu’Il est capable d’en obtenir en demandant tout simplement l’aide du Père, comment se plaint-il en disant que les ouvriers sont peu nombreux ? Il semble y avoir quelque chose d’étrange.
Comme nous l’a dit un jour Fernando Rielo, il suffirait d’avoir un missionnaire authentique et zélé sur chaque continent pour déclencher une intense révolution spirituelle. Ce qui nous donne déjà un indice pour mieux comprendre ce que Jésus nous demande de faire : demander au propriétaire de la moisson d’envoyer davantage d’ouvriers pour sa moisson.
Cette demande ne signifie pas le simple fait de lever les yeux au ciel et de dire : « Père, il faut faire quelque chose ; il faut envoyer plus d’ouvriers, car le travail nous accable ». Le dialogue que nous devons entreprendre avec le Père peut se résumer en ces mots : « Père, la journée se termine. Je pense avoir tout donné aujourd’hui. Si ce n’est pas le cas, je te prie de me le faire savoir, puisqu’il me semble n’avoir rien d’autre à donner. Pardonne-moi si jamais je me trompe en croyant pouvoir te demander maintenant de toucher le cœur d’autres personnes meilleures que moi afin de se battre pour ton Règne. Je te promets que demain je continuerai à faire tout ce qui m’est possible ». Ces paroles sont un dialogue de faits et de mots. Je présente à Dieu le Père non seulement mes désirs, mais aussi les efforts réalisés. C’est l’aveu, audacieux mais sincère, du fait que je crois avoir fait le maximum possible.
C’est que pour son Royaume, Dieu a une logique autre que la nôtre. Pour émouvoir les cœurs, il attend de ses ouvriers qu’ils atteignent les frontières de leurs possibilités, comme cela s’est produit dans le miracle des cinq pains et des deux poissons ou encore, il y a de nombreuses années, dans la vie d’une jeune fille :
Alors que cette petite fille sanglotait à la porte d’une église, le prêtre la vit et lui demanda pourquoi elle pleurait. Elle lui dit : je ne peux pas aller au catéchisme aujourd’hui parce qu’il n’y a plus de places. Voyant que la jeune fille était échevelée et vêtue de haillons, le prêtre compris immédiatement la situation. La prenant par la main, il la conduisit dans la salle de classe et lui trouva une place. Dans l’après-midi, la fillette se souvint qu’elle avait pu assister au catéchisme en matinée et en fut très reconnaissante. Mais en pensant aux nombreux enfants qui n’ont pas pu venir rencontrer Jésus parce que l’église était trop petite, elle décida dans son cœur d’aider à construire une église plus grande. Après deux ans, elle tomba malade et mourut. Sa famille demanda au prêtre d’officier aux funérailles. Ils découvrirent qu’elle portait une bourse avec une note. La jeune fille y avait écrit : « C’est pour le Seigneur, pour agrandir notre petite église, afin que plus d’enfants puissent venir à l’église connaître et adorer Jésus ».
À l’intérieur de la bourse se trouvaient 57 cents. La jeune fille les collectionnait depuis deux ans. En lisant la note, le prêtre pleura. Pendant le culte, il raconta l’histoire de la bourse de la fillette et de son désir, puis encouragea les paroissiens à réaliser son vœu. Un journal eu vent de l’histoire de la jeune fille et la publia. Ayant lu l’article, un riche citoyen fut ému par l’histoire de la fillette et vendit à la paroisse un terrain au prix de 57 cents.
Pendant 5 ans, les paroissiens firent des dons et tous ceux qui étaient touchés par l’histoire envoyèrent de l’argent. Ses 57 cents devinrent une grosse somme d’argent et firent que l’on trouve aujourd’hui à Philadelphie une église de 3 300 places assises avec la photo d’une jeune fille souriante et de son offrande de 57 cents.
Seuls les ouvriers qui sont comme cette fille sont capables de rapprocher n’importe quel être humain de Dieu, émouvant même les plus indifférents ou les plus égoïstes. Elle est vraie, cette parole de Jésus qui dit que Son Royaume n’est pas de ce monde…
Cette méditation se clôture par un passage de l’Ancien Testament (Juges 6-8) qui permet de comprendre davantage le fait que les vrais apôtres ne sont pas simplement ceux qui travaillent dur, mais ceux qui se donnent complètement. Avant la bataille contre les Madianites, Yahveh dit au juge Gédéon qu’il avait trop de soldats et finit par lui en faire choisir seulement 300. Comprenons-nous de quel genre d’ouvriers manque l’Église ?
Emmanuel POLA, Missionnaire Identes, Yaoundé (Cameroun)
Tous créés pour accueillir gratuitement, par amour, le Don de l’Esprit Saint (D. Jacques Fournier)
Un jour, Jésus disait à ses disciples (Luc 11,5-13) :
« Si l’un de vous, ayant un ami,
s’en va le trouver au milieu de la nuit, pour lui dire:
Mon ami, prête – moi trois pains,
(6) parce qu’un de mes amis m’est arrivé de voyage
et je n’ai rien à lui offrir,
(7) et que de l’intérieur l’autre réponde:
Ne me cause pas de tracas;
maintenant la porte est fermée,
et mes enfants et moi sommes au lit;
je ne puis me lever pour te les donner
(8) je vous le dis,
même s’il ne se lève pas pour les lui donner en qualité d’ami,
il se lèvera du moins à cause de son impudence
et lui donnera tout ce dont il a besoin.
(9) « Et moi, je vous dis:(a) demandez et l’on vous donnera;(b) cherchez et vous trouverez;(c) frappez et l’on vous ouvrira.(10) (a’) Car quiconque demande reçoit;(b’) qui cherche trouve;(c’) et à qui frappe on ouvrira. |
(11) Quel est d’entre vous le père auquel son fils demandera un poisson,
et qui, à la place du poisson, lui remettra (ἐπιδίδωμι) un serpent?
(12) Ou encore s’il demande un oeuf,
lui remettra-t-il un scorpion?
(13) Si donc vous, qui êtes mauvais,
vous savez donner de bonnes choses à vos enfants,
combien plus le Père du ciel
donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent! »
Jésus va donc prendre des exemples de la vie quotidienne, au niveau des différentes relations entre les hommes, pour mieux introduire ses disciples dans une relation la plus confiante possible vis à vis de leur Père qui est au ciel. Remarquer d’ailleurs l’alternance significative entre les réalités de la « terre » et celles du « ciel » en 11,1-13.
Les v.5-8 nous présentent donc le premier exemple. Nous sommes dans le cadre « ami – ami », mais le contexte général va déjà nous introduire dans celui du v.13 où Jésus déclare tous ses auditeurs, et donc tous les hommes de tous les temps, comme étant « mauvais, méchants » :
1 – « L’un de vous », face à une visite imprévue, n’hésite pas à aller déranger en plein milieu de la nuit, et donc en plein milieu de son sommeil, un de ses amis. Luc décrit une telle attitude par le terme assez péjoratif de ἀναίδεια: « absence de pudeur, de retenue; insistance déplacée » (Carrez), « impudence, manque de pitié, ressentiment implacable » (Bailly). Néanmoins, la nécessité (éventuelle!) d’offrir à manger à son visiteur nous pousse à lui accorder quelques circonstances atténuantes…
2 – Son « ami », réveillé, semble lui répondre de son lit même, et il « rouspète », il rechigne à se déranger, à se lever, une réaction qui nous est bien commune… Si l’un est « impudent », l’autre est peu serviable et assez égoïste…
Néanmoins, face à l’insistance (supposée) de son « ami impudent », il va finir par se lever « afin de lui donner tout ce dont il a besoin », non pas par amitié, mais pour qu’il arrête de lui ‘casser les pieds’ ! La demande du premier est donc exaucée, malgré le climat général peu favorable du fait de l’égoïsme du second, c’est à dire du fait qu’il est « mauvais » pour reprendre ce terme que Jésus utilisera plus tard…
Ce contexte sert donc de contraste pour inviter à une prière confiante… En effet, si la demande précédente a été exaucée dans un tel contexte qui n’est pas celui d’un amour pur et sincère, combien plus (formule ici sous entendue, qui résulte du contraste et que Jésus emploiera explicitement au v.13) celle adressée à Dieu obtiendra-t-elle satisfaction, du fait de l’indéfectible bonté de Dieu, Lui qui est vraiment « L’ami des hommes »…
Remarquons au passage que le v.8c ne reprend pas explicitement la mention des « trois pains » mais emploie l’expression « donner tout ce dont il a besoin ». Reprenons le contraste évoqué précédemment: si « l’ami égoïste » a donné à son « ami impudent » « tout ce dont il a besoin », combien plus Dieu donnera « tout ce dont il a besoin » à celui qui le prie… et nous sommes ici dans le contexte très concret d’une demande de pain… Cette situation fait écho à une demande du Notre Père (11,3): « Donne-nous chaque jour notre pain quotidien« , et Dieu le donnera bien à celui qui le lui demande… Nous retrouvons et l’expression et la même idée dans l’invitation à s’abandonner à la Providence en 12,30, où il était aussi très concrètement question de nourriture et de vêtements, le nécessaire pour toute vie… :
Lc 12,29-32 : « Ne cherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez ; ne vous tourmentez pas. Car ce sont là toutes choses dont les païens de ce monde sont en quête; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Aussi bien, cherchez son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît. Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume. »
La première partie, 9 (a), du principe général des versets 11,9-10, « demandez et il vous sera donné » est donc en lien direct avec la parabole précédente… Noter l’universalité chère à Luc, qui ouvre la perspective à « tout (homme) » en 9 (a’): « quiconque demande reçoit », au présent…
La deuxième partie, 9 (b), s’inscrit dans le cadre identique d’une confiance sans limite envers Dieu, mais il s’agit de « chercher », sans aucune précision… Devons‑nous chercher « nourriture et vêtement »? Non, d’après 12,29-31, car Dieu sait que nous en avons besoin pour vivre, et il assure à ceux qui lui obéissent qu’ils auront toujours le nécessaire en ce domaine. Ces mêmes versets nous renseignent sur ce qu’il faut chercher avant tout: « cherchez le Royaume de Dieu », et 12,32 affirme qu’il est déjà donné…
Ce thème de la recherche est d’ailleurs très important pour St Luc. En effet:
Mt |
Mc |
Lc |
Jn |
Ac |
|
ζητέω, chercher |
14 |
10 |
25 |
34 |
10 |
ἀναζητέω, chercher, rechercher |
– |
– |
2 |
– |
1 |
συζητέω, chercher ensemble, discuter(Marc: se demander) |
– |
6 |
2 |
– |
2 |
On peut classer les différents usages du verbe « chercher » en trois catégories principales:
1 – Le premier à chercher, c’est Dieu. En effet, en Lc 19,10 Jésus résume toute sa mission de sauveur en ces quelques mots : « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ».
Ce terme « perdu », n’intervient, dans l’Evangile de Luc, qu’ici, en 19,10, et en Lc 15, dans deux des « trois paraboles de la miséricorde »:
– Le berger recherche sa brebis perdue (15,4.6).
– Le Père de l’enfant prodigue se réjouit car son fils qui était mort est revenu à la vie, il était perdu, il est retrouvé (15,24.32).
Dans la parabole de la drachme, on retrouve deux fois le même verbe conjugué, en 15,8 et 15,9, et il est dit que cette femme « cherchait avec soin » sa drachme perdue jusqu’à ce qu’elle la retrouve…
Telle est donc l’attitude de Dieu vis à vis de tout homme pêcheur : Il le cherche avec soin jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvé…
2 – La majorité des autres emplois du verbe « chercher » concerne une recherche en lien avec le Christ. Outre Lc 11,9-10 et Lc 12,29-31, nous avons:
Lc 2,44.45.48.49 où, retournant de Jérusalem à Nazareth à l’occasion d’une fête de Pâque, Marie et Joseph recherchent Jésus âgé de 12 ans… Ne le trouvant pas dans la caravane des parents et des amis, ils reviennent à Jérusalem et le découvrent dans la maison de son Père… Qui cherche Jésus le trouve…
Lc 4,42: Jésus est dans un endroit désert… Les foules le cherchent… et le trouvent, tant et si bien qu’elles veulent le retenir… Mais Jésus a été envoyé (sous entendu par Dieu) pour annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu… Il doit partir, car les autres villes doivent bénéficier « aussi » de cette Bonne Nouvelle… Qui cherche Jésus le trouve donc, et avec Lui le Royaume de Dieu…
Lc 5,18: les porteurs du paralytique cherchent à l’introduire auprès de Jésus, et ils y parviennent… Qui cherche Jésus le trouve… et qui demande la guérison du corps, reçoit celle de tout son être par le pardon des péchés… Qui demande à Jésus le pardon de ses fautes le recevra de fait effectivement: Jésus est venu pour cela…
Lc 6,19 : « Toute la foule cherchait à toucher Jésus, et la fin du verset suggère que tous y parvinrent, car Luc ajoute: « … parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous« … Qui cherche Jésus le trouve…
Lc 9,9, Luc nous dit qu’Hérode cherchait à voir Jésus. En 23,8 « Hérode, en voyant Jésus, fut tout joyeux, car depuis assez longtempsil désirait le voir pour ce qu’il entendait dire de lui ». Mais sa recherche n’est pas pure… Hérode cherche un magicien, un prestidigitateur, il veut voir du merveilleux, « il espérait lui voir faire quelque miracle » (23,8), mais Jésus ne répond rien à toutes ses paroles… Qui cherche Jésus le trouve, mais qui cherche en Jésus ce que Jésus n’est pas ne trouve rien…
Lc 11,16, où l’on retrouve une attitude identique à la précédente: certaines personnes présentes dans la foule « réclamaient de lui un signe venant du ciel pour le mettre à l’épreuve »… Réponse en 11,29:
« Cette génération est une génération mauvaise; elle demande un signe, et il ne lui sera donné que le signe de Jonas. Car, tout comme Jonas devint un signe pour les Ninivites, de même le Fils de l’Homme en sera (futur : certainement une allusion à la résurrection) un pour cette génération ».
Comme le précise une note de la TOB, la Personne même de Jésus et son action est toute entière « signe » de la Présence de Dieu au milieu des hommes. S’ils ne croient pas en écoutant les Paroles de Jésus ou à la vue des signes qu’il a déjà opérés, quoiqu’il fasse, ils ne croiront pas davantage… Jésus est donc tout entier « signe »… Ils demandent à Jésus un signe? Qui demande reçoit: ils l’ont en Jésus présent devant eux… Sauront‑ils reconnaître en Jésus le signe que Dieu leur donne, et qui est bien différent de ce à quoi ils s’attendaient?
Lc 13,24 : à l’occasion d’une question portant sur le nombre de personnes qui seront sauvées, Jésus répond par l’image de la porte étroite:
« Luttez pour entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne pourront pas ».
La perspective est essentiellement eschatologique. Le v.25 fait allusion à la résurrection : « Dès que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, et que, restés dehors, vous vous serez mis à frapper à la porte en disant : Seigneur, ouvre-nous , il vous répondra : Je ne sais d’où vous êtes. »
Tout le temps après la résurrection est donc envisagé ici, et tout spécialement celui où chacun, au dernier jour, frappera à la porte du Royaume en demandant d’entrer… Le Seigneur répond, mais il est impossible à ceux qui font le mal d’entrer dans le Royaume de l’Amour où Dieu sera tout en tous… Si eux « commettent l’injustice », c’est qu’ils sont séparés de Dieu, étrangers à sa vie qui est communion dans l’Esprit, communion à son être même, d’où la réponse de Jésus: « Je ne sais d’où vous êtes »…
Pour entrer dans le Royaume des cieux, il est donc nécessaire de rejeter tout ce qui porte la trace d’une injustice, de se détourner du mal et de se tourner vers Dieu, c’est à dire de se convertir en mettant effectivement en pratique la Parole de Jésus, ce qui suppose de l’avoir accueilli et d’avoir cru en lui…
La porte étroite est bien celle du Royaume de Dieu, qui est aussi le Royaume de Jésus: il est bien le « maître de maison » qui répond à ceux qui frappent à la porte, eux qui lui disent qu’ils ont mangé et bu devant lui, et entendu son enseignement sur les places (13,26). Nous rejoignons dans cette parabole la troisième partie de notre principe, 11,9 (c) sur laquelle nous reviendrons juste après…
Le mélange des temps des verbes, présent et futur, laisse entendre qu’il faut chercher dès maintenant à entrer dans le Royaume de Dieu, déjà présent au milieu des hommes, par la porte étroite, c’est à dire en essayant de ne pas commettre l’injustice, le mal étant incompatible avec le Royaume.
Relisons Lc 18,24-27 qui fait aussi allusion à une porte étroite, en faisant spécialement attention à la finale:
« En le voyant, Jésus dit : Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses de pénétrer dans le Royaume de Dieu! Oui, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu! Ceux qui entendaient dirent : Et qui peut être sauvé? Il dit : Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu. »
La conversion n’est possible que par la force de Dieu… Il ne s’agit pas de multiplier les efforts de volonté pour se débarrasser définitivement de toute injustice, et avoir ainsi accès au Royaume de Dieu… Ceci est impossible à l’homme. Il s’agit plutôt de reconnaître sa faiblesse, d’accepter de ne pas arriver tout seul à pratiquer la justice, et de se présenter ainsi à Dieu tel qu’on est… C’est l’Esprit Saint qui a relevé Jésus d’entre les morts, et c’est ce même Esprit qui remportera en nous la victoire sur tous nos penchants mauvais, nous entraînant dans son dynamisme en nous offrant la possibilité d’agir selon la justice…
Lc 19,3 nous présente Zachée « qui cherchait à voir qui était Jésus »… Or qui cherche Jésus de tout son coeur le trouve… Zachée petit de taille monte sur un sycomore pour apercevoir Jésus malgré la foule… et Jésus le voit et lui parle : « Zachée, descend-vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi ». Et vite il descendit et le reçut avec joie (19,5-6).
Zachée s’est ouvert à Jésus, il a obéi à sa Parole, il l’a accueilli chez lui et aussi dans son coeur; son désir de partager ses biens avec les pauvres et de rendre le quadruple à celui à qui il aurait pu avoir extorqué quelque chose le prouve. Notons bien que tout ceci est dit après la mention de l’accueil de Jésus chez Zachée, et c’est debout, dans l’attitude de la résurrection, que Zachée fait cette déclaration solennelle au Seigneur. Jésus ne peut que constater que « le salut est arrivé aujourd’hui pour cette maison » (19,9).
Ainsi, qui cherche Jésus le trouve, et qui l’accueille trouve en lui le salut qu’il est venu apporter aux hommes: salut qui est pardon des fautes passées et dynamisme d’amour et de partage qui va infiltrer toute la vie du croyant…
Lc 24,5: la découverte du tombeau vide par les femmes: elles cherchent le corps de Jésus, elles cherchent ce Jésus qu’elles ont vu mourir sur la croix, mais cette fois-çi, elles ne trouveront rien (24,3). Par contre, elles vont trouver ce qu’elles ne cherchaient pas, deux hommes en habits éblouissants qui vont leur annoncer la résurrection du Christ (24,5-6): « Et tandis que, saisies d’effroi, elles tenaient leur visage incliné vers le sol, ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts? Il n’est pas ici; mais il est ressuscité. »
Maintenant, seule la foi leur permettra de trouver sa présence dans leur vie…
Le verbe « chercher » avec Jésus pour objet apparaît encore quatre fois dans les récits précédents la passion, en 19,47; 20,19; 22,2 pour décrire les Grands Prêtres, et les scribes qui « cherchaient » à porter la main sur Jésus afin de le tuer. Lc 22,6 montrera enfin Judas « cherchant » une occasion favorable pour le livrer…
3 – Deux textes utilisent enfin le verbe « chercher » appliqué à Dieu, mais cette fois vis à vis de la réponse qu’Il attend, avec une infinie patience, de la part l’homme:
Lc 12,48 : « Quant à celui qui, sans la connaître, aura par sa conduite mérité des coups, il n’en recevra qu’un petit nombre. À qui on aura donné beaucoup il sera beaucoup demandé, et à qui on aura confié beaucoup on réclamera davantage. »
Lc 13,6-9: « Il disait encore la parabole que voici : Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher des fruits et n’en trouva pas. Il dit alors au vigneron : Voilà trois ans que je viens chercher des fruits sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le; pourquoi donc use-t-il la terre pour rien? L’autre lui répondit : Maître, laisse-le cette année encore, le temps que je creuse tout autour et que je mette du fumier. Peut-être donnera-t-il des fruits à l’avenir… Sinon tu le couperas . »
L’étude de ce verbe « chercher » en St Luc nous a ainsi conduit à découvrir trois étapes successives et complémentaires dans l’Histoire du Salut:
1 – C’est tout d’abord Dieu Lui-même en Jésus Christ qui part à la recherche de l’homme perdu, jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvé. Ces retrouvailles entre Dieu et l’homme constituent pour ce dernier « le salut », le passage de la mort à la vie (cf Lc 6,9), une joie et une fête pour son Dieu et Père (Lc 15)…
2 – Le bien réel et suprême de tout homme est alors Jésus Christ Lui‑même, « venu pour chercher et sauver ce qui était perdu ». La recherche par excellence est donc celle qui se focalise sur la Personne de Jésus, et la certitude de le trouver s’enracine dans le fait que c’est Dieu qui le premier est « parti », avec Lui et en Lui, à notre recherche. Qui cherche Jésus de tout son coeur ne peut donc que le trouver… Il est impossible qu’il en soit autrement…
En trouvant Jésus, il trouvera le salut, c’est à dire le pardon de ses péchés, la restauration de sa relation avec Dieu qui est en fait un retour à la vie et qui peut être décrite en terme d’entrée dans le Royaume de Dieu… d’où l’appel à chercher le Royaume (12,31)…
3 – Accueillir le Christ, son salut, le Royaume de Dieu, c’est donc vivre en relation avec ce Dieu qui ne peut commettre l’injustice… L’accueil de Dieu en son coeur est ainsi simultanément et nécessairement un rejet de tout mal pour une vie tournée vers le bien, et telle est l’aventure de notre conversion quotidienne : « L’homme bon, du bon trésor de son coeur, tire ce qui est bon » (Lc 6,45) Cette nécessité est décrite en St Luc en terme d’attente, d’espérance et de recherche de la part Dieu d’une réponse (l’éthique) de l’homme qui s’inscrive petit à petit et toujours davantage dans la dynamique des dons reçus, à l’exemple de Zachée…
La troisième partie de notre texte, Lc 11,9 (c), invite à frapper (sous entendu, à la porte) dans la certitude que celle-çi s’ouvrira… Le contexte de la relation à Dieu invite donc, dans les termes mêmes de l’image, à comprendre cette porte comme étant celle de la maison de Dieu (Jn 14,2), c’est à dire du Royaume de Dieu (Mc 1,15)… Nous retrouvons par ce parallélisme l’équivalence entre la recherche de Jésus et la recherche du Royaume, le seul bien véritable débouchant sur la vie éternelle (10,25; 18,18.30). L’image du « Royaume de Dieu » en effet renvoie à un Mystère de Communion avec Lui dans l’unité d’un même Esprit (Rm 14,17; Ep 4,3), et donc d’une même vie (Jn 6,63; 2Co 3,6; Mc 9,43.45.47).
Le verset 10 reprend en parallèle le verset 9 avec une précision supplémentaire: outre l’insistance, les verbes du v.10 sont au présent, évoquant le « déjà là » du Royaume:
9 « Demandez et l’on vous donnera… » 10 « Le demandant reçoit »…
« Cherchez et vous trouverez… » »Le cherchant trouve… »
« Frappez et on vous ouvrira… » »Au frappant on ouvre… »
Les versets 11 et suivant développent une nouvelle image, celle d’un père et de son fils. Ce dernier lui demande de la nourriture, poisson ou oeuf, c’est à dire ce qui lui permettra de vivre… A travers le poisson ou l’oeuf, c’est la vie qui est visée. Son père va-t-il répondre à sa demande en lui offrant ce qui pourrait le conduire à la mort, un serpent ou un scorpion? Certainement pas… Or tout homme étant pêcheur, c’est à dire « mauvais », c’est à dire encore peu préoccupé du bien de celles et ceux qui l’entourent, malgré cela, le père se préoccupe de la vie de son enfant… Combien plus le Père du ciel qui Lui est bon (6,35 ; 18,19), donnera-t-il lui aussi ce qui conduit à la Vie, à la Vie éternelle: l’Esprit Saint « qui vivifie » (Jn 6,63; 4,10-14; 7,37-39; 2Co 3,6; Rm 8,2; Ga 5,25).
Luc a ainsi compris que Dieu ne pouvait pas nous donner plus que l’Esprit Saint, car avec ce don, Dieu offre à l’homme ce que l’homme lui-même n’aurait certainement jamais osé demander: toutes les richesses et toutes les virtualités de son être (cf. 2P 1,4), ainsi que la possibilité concrète de réaliser sa vocation: vivre uni à Lui dans la paix et l’amour. L’Esprit Saint résume, englobe tous les dons que Dieu veut faire à l’homme… En nous donnant l’Esprit Saint, Dieu nous donne tout… Et ce n’est que dans l’accueil de ce Don que nous trouverons le seul vrai bonheur qui dure : nous avons tous été créés pour cela…
Demandez l’Esprit Saint, et il vous sera donné, car le Père du ciel donne l’Esprit Saint à tout homme qui le lui demande (11,13)… Cherchez le Christ et vous le trouverez, car le Père a envoyé (4,18; 4,43) le Fils de l’Homme chercher et sauver ce qui était perdu (19,10)… Frappez à la porte du Royaume de Dieu, et elle s’ouvrira, var votre Père du ciel s’est complu à vous donner ce Royaume (12,32). Le Royaume de Dieu est en effet arrivé jusqu’à nous en la personne de Jésus Christ, car ce dernier chasse les esprits mauvais par le doigt de Dieu, c’est à dire l’Esprit de Dieu (11,20), et ce même Esprit nous est donné…
D. Jacques Fournier
L’Esprit Saint au coeur de la Mission du Christ et de l’Eglise (D. Jacques Fournier)
L’Esprit donné au Fils par le Père est à la source de sa mission : annoncer à tous les hommes blessés par le péché la Bonne Nouvelle de ce Dieu Amour qui ne cherche et ne poursuit que leur Plénitude. Son premier cadeau sera « le pardon (ἄφεσις, aphésis) des péchés », source chaque jour renouvelée de leur guérison intérieure, profonde…
Lc 4,14-22 : Jésus retourna en Galilée, avec la puissance de l’Esprit,
et une rumeur se répandit par toute la région à son sujet.
(15) Il enseignait dans leurs synagogues, glorifié par tous.
(16) Et il vint à Nazara, où il fut « nourri » (élevé)
A . et il entra, selon son habitude le jour du Sabbat, dans la Synagogue
B . et il se leva pour faire la lecture
C . (17) et on lui présenta le livre du prophète Isaïe
D . et déroulant le livre,
il trouva l’endroit où il était écrit :
E. |
(18) « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a ointpour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.il m’a envoyé,pour proclamer aux prisonniers la délivrance (ἄφεσις),et aux aveugles le retour à la vue,pour renvoyer les opprimés en liberté (ἄφεσις)(19) et proclamer une année favorable du Seigneur ». |
D’ . (20) Et ayant roulé le livre,
C’ . l’ayant rendu au servant,
B’ . il s’assit.
A’ . et tous les yeux dans la synagogue étaient fixés sur lui.
(21) Alors il se mit à leur dire :
« Aujourd’hui s’est accomplie à vos oreilles cette Ecriture ».
(22) Et tous lui rendaient témoignage
et s’étonnaient des paroles de grâce sortant de sa bouche…
« Jésus retourna en Galilée, avec la puissance de l’Esprit » (Lc 4,14) car « celui que Dieu a envoyé » – et il est « l’envoyé du Père » (cf. Jn 5,23.36-37 ; 6,44.57 ; 8,18.42 ; 10,36 ; 12,49 ; 14,24 ; 17,21.25 ; 20,21) – « dit les Paroles de Dieu » – et Jésus ne fait que nous retransmettre les Paroles qu’il a lui-même reçues de son Père (Jn 3,34 ; 7,16-17 ; 8,26.28.40 ; 12,49-50 ; 14,10.24 ; 15,15 ; 17,7-8) – « qui lui donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34 (TOB)). Ce dernier verset, traduit ainsi par la TOB, et il est possible de le comprendre autrement, nous le verrons, renvoie à la génération éternelle du Fils par le Père, Lui qui est « né du Père avant tous les siècles » (Crédo), et donc « avant » le temps : son engendrement par le Père est un acte éternel… Et comment le Père engendre-t-il le Fils en « Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo) ? En se donnant à Lui, gratuitement, par Amour, en tout ce qu’il est, et il « est Esprit » (Jn 4,24) : « le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35), « tout ce qu’il a » (Jn 16,15 ; 17,10), tout ce qu’il est… Ainsi, c’est en donnant au Fils la Plénitude de l’Esprit, la Plénitude de la nature divine, qu’il engendre le Fils en « Dieu né de Dieu », « de même nature que le Père » (Crédo)… Et c’est en étant tout simplement Lui‑même, « tourné vers le sein du Père » (Jn 1,18), accueillant le Don éternel de l’Esprit par lequel le Père ne cesse de l’engendrer en Fils, que Jésus retourne en Galilée. Ce Don sera « force » en lui (Ac 1,8) pour témoigner de l’Amour éternel du Père à son égard, un Amour qu’il est venu manifester dans la chair par son Incarnation (Jn 1,14)…
Et lorsque Jésus, en « témoin fidèle » du Père (Ap 1,5), « dit ce qu’il a vu » (Jn 8,38) et « entendu » (Jn 8,40) auprès du Père, ce qui peut se résumer par « Tu es mon Fils Bien aimé » (Mc 1,11 ; 9,7 ; cf. 5,20 ; 17,24), « je t’aime », et donc « je te donne l’Esprit et t’engendre ainsi en Fils », l’Esprit Saint, troisième Personne de la Trinité, joint son témoignage à celui de Jésus (Jn 15,26)… Ainsi, quiconque ouvre son cœur au témoignage que Jésus rend à son Père par sa Parole, et au témoignage que l’Esprit Saint rend au Fils dans les cœurs, perçoit, en le vivant, que « le Père lui même nous aime » (Jn 16,27) « comme » il aime le Fils (Jn 17,23) de toute éternité… Son Amour est donc pour tout homme sur cette terre proposition du Don de l’Esprit. Si nous acceptons de nous repentir, de nous détourner du mal avec l’aide de Dieu Lui-même, ce Don accomplira en chacun d’entre nous ce qu’il accomplit dans le Fils de toute éternité : il nous engendrera à la Plénitude même de Dieu. Nous deviendrons alors pleinement ce que nous sommes déjà aux yeux de notre Dieu et Père : des filles et fils « créés à son image et ressemblance » (Gn 1,26-28), tous appelés à « reproduire l’image du Fils » Unique non créé (Rm 8,28-30) en consentant à recevoir nous aussi ce même Don par lequel le Père l’engendre éternellement en Fils…
Tel est le cœur de la Bonne nouvelle à accueillir dès maintenant, par la foi et dans la foi… Ce Don de l’Esprit commence ainsi dans l’instant présent de notre foi à irriguer nos cœurs blessés et fragiles, leur apportant sa Force, sa Paix, sa Vie en attendant cette création nouvelle où le mal sera définitivement vaincu, anéanti…
« La vie est bien mystérieuse. Nous ne savons rien, nous ne voyons rien, et pourtant, Jésus a déjà découvert à nos âmes ce que l’œil de l’homme n’a pas vu. Oui, notre cœur pressent ce que le cœur ne saurait comprendre, puisque parfois nous sommes sans pensée pour exprimer un « je ne sais quoi » que nous sentons dans notre âme » (Ste Thérèse de Lieux).
Tel est le témoignage que l’Eglise est invitée à donner à l’œuvre de son Seigneur et Sauveur dans son cœur et dans sa vie… Lorsqu’elle agit ainsi, elle est vraiment l’Eglise « Corps du Christ » (1Co 12,27) envoyée dans le monde pour annoncer la Bonne Nouvelle de « l’Amour Inconditionnel » (Pape François, mercredi 14 juin 2017), et donc du « Don gratuit de la vie éternelle » qui est déjà « dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23) en tant que le Père la donne au Fils de toute éternité, l’engendrant ainsi en Fils Unique… « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ », « le Père des Miséricordes » (2Co 1,3), « qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ » (Ep 1,3) et qui nous invite tous à recevoir ces bénédictions déjà données : « À nous donnée avant tous les siècles dans le Christ Jésus, cette grâce a été maintenant manifestée par l’Apparition de notre Sauveur le Christ Jésus, qui a détruit la mort et fait resplendir la vie et l’immortalité par le moyen de l’Évangile » (2Tm 1,9-10). « Recevez donc l’Esprit Saint » (Jn 20,22), « le Don de Dieu » (Ac 8,20)…
Et le Christ le promet, « l’Esprit Saint – Troisième Personne de la Trinité » sera toujours avec l’Eglise, avec chacune et chacun d’entre nous, et cela à sa prière, une prière qui, bien sûr, ne peut qu’être exaucée…
Jn 14,15-17 : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements ;
(16) et je prierai le Père
et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu’il soit avec vous à jamais,
(17) l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir,
parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît.
Vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous ;
et en vous il sera. »
« Garder les commandements » de Jésus, c’est avant tout, pour son disciple, « garder le Don de sa vie », veiller à marcher à la suite de Jésus sur la chemin de la vie (Jn 14,6), car « son commandement est vie éternelle » (Jn 12,50). Or, puisque « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), « l’Esprit qui donne la vie » (Rm 8,2), « la lumière de la vie » (Jn 8,12), l’Esprit étant tout à la fois Lumière (Jn 4,24 et 1Jn 1,5) et vie, « garder la vie » revient à « ne pas éteindre l’Esprit » en nous en « se gardant de toute espèce de mal » (1Th 5,14-22). Nous sommes ainsi renvoyés à notre conversion quotidienne : renoncer, avec l’aide de l’Esprit Saint, à toute convoitise, ce qui, pour nous pécheurs, revient à « renoncer à nous‑mêmes » (Mc 8,34), à tout ce qui nous ramène à nous-mêmes, pour entrer dans la logique de l’Amour qui est « don de soi » et… vie éternelle… Insistons sur le fait que cette conversion est Don de Dieu[1] car « hors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5) : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau », et notamment le fardeau de notre misère, « et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école » et à ma suite, « car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes » car « souffrance et angoisse pour toute âme humaine qui s’adonne au mal » (Rm 2,8). « Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger » (Mt 11,28-30) car c’est la Force même de l’Esprit Saint (Ac 1,8 ; 2Tm 1,6-9) qui est communiquée à notre faiblesse pour nous aider à porter nos croix qui, en tant que renoncements à tout ce qui nous tue, « le salaire du péché c’est la mort » (Rm 6,23), sont des chemins de vie…
La suite est entièrement le fruit de la prière de Jésus à son Père : c’est grâce à elle et à elle seule que l’Esprit Saint nous est « envoyé » (Jn 14,26) et « donné » comme Paraclet : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet », sous entendu que moi‑même, « pour qu’il soit avec vous à jamais »… Cette troisième Personne de la Trinité sera donc « Paraclet » pour toutes celles et ceux qui consentiront à l’accueillir dans le renoncement à eux-mêmes… « Paraclet » vient directement du grec « παράκλητος, paraclêtos », un mot qui vient lui-même du participe présent du verbe « παρακαλέω, parakaléô, appeler auprès de soi ». Le Paraclet est ainsi comme « le médecin » (Lc 5,31) appelé auprès du malade, « l’avocat » (1Jn 2,1 ; seule fois dans le NT où le mot Paraclet est appliqué directement au Christ) auprès de celui qui est accusé (cf. Mt 10,19-20), etc… Nous sommes ici dans le registre de l’Amour qui, inlassablement, ne cesse de travailler à notre bien en se proposant de nous offrir ce dont nous avons besoin au moment où nous en avons besoin : Lumière dans nos ténèbres, Force dans notre faiblesse, Paix dans nos soucis, pardon pour nos péchés, guérison pour nos blessures intérieures, etc… Voilà donc l’œuvre inconditionnellement bienfaisante que l’Esprit Saint se propose d’accomplir dans nos vies… Elle est le Trésor de la Bonne Nouvelle (Mt 13,44-46)…
St Jean évoque ensuite très rapidement deux registres différents dans une même phrase :
-
« Il demeure auprès de vous », et là, c’est l’Esprit Saint « Personne divine », nommé ici « l’Esprit de Vérité », qui demeure auprès de nous, personnes humaines créées, deux personnes ne pouvant qu’être en face à face, ou en côte à côte, toujours « l’une auprès de l’autre » et jamais, en tant que « personnes » « l’une dans l’autre »…
-
« Et en vous il sera » : là, par contre, il s’agit du Don de grâce que l’Esprit Saint « Personne divine » propose gratuitement, instant après instant, à nos cœurs, la grâce de « l’Esprit Saint nature divine », c’est-à-dire ce que Dieu est en Lui-même…
Nous retrouvons ainsi les fondements de notre Crédo : « Je crois en l’Esprit Saint (Troisième Personne de la Trinité) qui est Seigneur et qui donne la vie » en donnant « l’Esprit Saint nature divine », cet « Esprit » (Jn 4,24) et qui est tout à la fois « Lumière » (1Jn 1,5) et « vie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6 ; Rm 8,2 ; Ga 5,25)… Ainsi, ce qui « remplit » le cœur du Fils (Lc 4,1) en tant qu’il le reçoit du Père de toute éternité, est destiné à « remplir » le cœur de « tous les hommes qu’il aime » (Lc 2,14 ; cf. Lc 1,15.41.67 ; Ac 2,4 ; 4,8.31 ; 6,3.5 ; 7,55 ; 9,17 ; 11,24…) car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4-6)…
Et c’est en donnant cet « Esprit Saint nature divine », et donc avec lui la vie, une vie nouvelle et éternelle, synonyme de Plénitude et de Paix, que l’Esprit Saint (Troisième Personne de la Trinité) « donne de la voix », fait « entendre sa voix » de telle sorte que celles et ceux qui l’auront entendue « vivront » (cf. Jn 5,24-25)…
Jn 3,6-8 : « Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit.
(7) Ne t’étonne pas, si je t’ai dit : Il vous faut naître à nouveau.
(8) Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix,
mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va.
Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. »
Ainsi l’Esprit Saint nous « enseigne » par sa « voix » qui est « vie » :
Jn 14,26 : « Le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom,
lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. »
Et cette « vie » qu’il nous « communique », il la reçoit Lui-même du Don éternel que le Père et le Fils font d’eux-mêmes, Lui qui « procède du Père et du Fils » (Crédo).
Jn 16,12-15 : J’ai encore beaucoup à vous dire,
mais vous ne pouvez pas le porter à présent.
(13) Mais quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité,
il vous introduira dans la vérité tout entière ;
car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira
et il vous expliquera les choses à venir (TOB : et il vous communiquera tout ce qui doit venir).
(14) Lui me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il recevra
et il vous le dévoilera (TOB : et il vous le communiquera).
(15) Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’il reçoit
et qu’il vous le dévoilera (TOB : il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi).
Ainsi, « l’Esprit Saint » enseigne « tout » en communiquant au croyant « tout » ce « Bien » que le Fils reçoit du Père de toute éternité : cette « nature divine » (2P 1,4) par laquelle il est engendré en Fils avant tous les siècles et qui Est tout à la fois « Amour » (1Jn 4,8.16), « Esprit » (Jn 4,24), « Lumière » (1Jn 1,5) et « Vie » (Jn 8,12 ; 6,63 ; Ga 5,25 ; 2Co 3,6). En nous communiquant cette « vie » dès à présent, dans la foi, il nous donne ainsi « quelque chose » qui est de l’ordre même de ce qui sera, nous l’espérons, notre éternité : une vie Pleine, Comblée, Heureuse, et cela pour toujours… « En vérité, en vérité, je vous le dis », nous dit très solennellement Jésus, « celui qui croit a la vie éternelle » (Jn 6,47). Et il emploie un « présent ». « La vie éternelle » commence donc dès maintenant, par la foi, et dans la foi… Et l’enseignement de l’Esprit est de cet ordre : nous l’avons vu, « sa voix » est « vie »… Lorsque Jésus rend témoignage à cette vie éternelle qu’il reçoit du Père depuis toujours et pour toujours, « je vis par le Père » (Jn 6,57), l’Esprit lui rend témoignage en communiquant aux cœurs qui s’ouvrent à sa Parole la vie même dont il nous parle…
Relisons 1Jn 5,5-13 : « Quel est le vainqueur du monde,
sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?
6 – C’est lui qui est venu par l’eau et par le sang : Jésus Christ,
non avec l’eau seulement mais avec l’eau et avec le sang.
Et c’est l’Esprit qui rend témoignage, parce que l’Esprit est la Vérité.
7 – Il y en a ainsi trois à témoigner :
8 – l’Esprit, l’eau, le sang, et ces trois tendent au même but.
9 – Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand.
Car c’est le témoignage de Dieu, le témoignage que Dieu a rendu à son Fils.
10 – Celui qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage en lui.
Celui qui ne croit pas en Dieu fait de lui un menteur,
puisqu’il ne croit pas au témoignage que Dieu a rendu à son Fils.
11 – Et voici ce témoignage : c’est que Dieu nous a donné la vie éternelle
et que cette vie est dans son Fils.
12 – Qui a le Fils a la vie ; qui n’a pas le Fils n’a pas la vie.
13 – Je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au nom du Fils de Dieu,
pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle.
Ainsi, l’Esprit de Vérité « rend témoignage » à Jésus Christ, vrai homme et vrai Dieu, « chemin, vérité et vie » (Jn 14,6). C’est d’ailleurs toute son œuvre vis-à-vis du Fils : « Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage » (Jn 15,26). Et c’est par ce témoignage de l’Esprit de Vérité que Dieu le Père rend témoignage à son Fils (1Jn 5,9). Ce témoignage est « en nous », au cœur de chacun d’entre nous (1Jn 5,10). Et de quel ordre est-il, quel est son contenu ? « Et voici ce témoignage : c’est que Dieu nous a donné la vie éternelle ». Ce témoignage est donc « vie », « vie éternelle ». Lorsque l’Eglise annonce le Christ « Chemin, vérité et vie » (Jn 14,6), le Christ « Résurrection et vie » (Jn 11,25), le Christ « Pain de Vie » par sa Parole et par sa chair offerte (Jn 6,35.48), lorsque l’Eglise, reprenant les mots de Jésus déclare, « Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 10,10), l’Esprit Saint rend témoignage au Christ et à sa Parole en communiquant aux cœurs de bonne volonté le Don de la vie éternelle, c’est-à-dire la réalité même évoquée par la Parole de Jésus… Ainsi Dieu parle en silence à nos cœurs, en nous communiquant sa Vie… A nous de faire attention à ce qu’il nous est donné de vivre… C’est à cette Vie accueillie et reconnue, que St Jean a rendu témoignage :
1 Jn 1,2-3 : « La Vie s’est manifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage
et nous vous annonçons cette Vie éternelle,
qui était tournée vers le Père
et qui nous est apparue ;
ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons,
afin que vous aussi soyez en communion avec nous.
Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. »
Telle est la sagesse chrétienne dont la Source est l’Esprit Saint, car l’Esprit est tout à la fois « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6) et « l’Esprit de sagesse » qui, par sa simple Présence, « illumine les yeux du cœur ». Et cette « Lumière » permet de « voir », dans la foi « la Lumière de la Vie » (Jn 8,12), même si c’est « pour l’instant comme dans un miroir, en énigme » (1Co 13,12)…
Ep 1,15-17 : C’est pourquoi moi-même , Paul,
ayant appris votre foi dans le Seigneur Jésus et votre charité à l’égard de tous les saints,
(16) je ne cesse de rendre grâces à votre sujet et de faire mémoire de vous dans mes prières.
(17) Daigne le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père de la gloire,
vous donner un Esprit de sagesse et de révélation, qui vous le fasse vraiment connaître !
(18) Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur
pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel,
quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints,
(19) et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous, les croyants,
selon la vigueur de sa force, (20) qu’il a déployée en la personne du Christ,
le ressuscitant d’entre les morts
et le faisant siéger à sa droite, dans les cieux…
1Co 2,6-13 : C’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits (les chrétiens),
mais non d’une sagesse de ce monde ni des princes de ce monde, voués à la destruction.
(7) Ce dont nous parlons, au contraire, c’est d’une sagesse de Dieu,
mystérieuse, demeurée cachée,
celle que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour notre gloire,
(8) celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue – s’ils l’avaient connue, en effet,
ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire –
(9) mais, selon qu’il est écrit, nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu,
ce que l’oreille n’a pas entendu,
ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme,
tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment.
(10) Car c’est à nous que Dieu l’a révélé par l’Esprit ;
l’Esprit en effet sonde tout, jusqu’aux profondeurs de Dieu.
(11) Qui donc entre les hommes sait ce qui concerne l’homme,
sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ?
De même, nul ne connaît ce qui concerne Dieu, sinon l’Esprit de Dieu.
(12) Or, nous n’avons pas reçu, nous, l’esprit du monde,
mais l’Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits,
ἀλλὰ τὸ πνεῦμα τὸ ἐκ τοῦ θεοῦ, ἵνα εἰδῶμεν τὰ ὑπὸ τοῦ θεοῦ χαρισθέντα ἡμῖν·
« χαρισθέντα, kharisthenta » est le participe du verbe « χαρίζομαι, kharizomai » qui signifie « donner par grâce ». Si le texte grec a littéralement « les (choses) données par grâce », la Bible de Jérusalem a traduit « les dons gracieux ». Ce verbe « χαρίζομαι, kharizomai » est de même racine que « χάρις, kharis, grâce » et « χάρισμα, kharisma, grâce accordée, don, charisme »…
L’Esprit, qui est « le Don de Dieu » (Jn 4,10 ; Ac 2,38 ; 8,20 ; 10,45 ; 1Th 4,8 ; Hb 6,4) par excellence, permet ainsi au chrétien de « connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits ». C’est donc en recevant ce Don par la foi qu’il est possible de « connaître » le Don de Dieu… Dans ce domaine, les mots seuls et les plus beaux discours ne sont que des instruments au service de la grâce qui, seule, peut permettre de pressentir la réalité spirituelle que les mots ne peuvent qu’évoquer… Nous retrouvons la nécessité d’une conversion sincère, qui engage toute la vie, pour se tourner de tout cœur vers Dieu en renonçant au même moment, avec son aide, à tout ce qui lui est contraire… Alors, le Don reçu, qui est Lumière et Vie, permet de connaître Celui qui Est Lui-même Lumière et Vie, une Vie sans cesse donnée, par Amour, pour notre Vie… « En toi est la Source de Vie ; par ta Lumière, nous voyons la Lumière » (Ps 36,10), « la Lumière de la Vie » (Jn 8,12)…
Ep 3,1-6 : Moi, Paul, prisonnier du Christ à cause de vous, païens…
(2) Vous avez appris, je pense,
comment m’a été dispensée la grâce de Dieu qui m’a été donnée pour vous,
τὴν οἰκονομίαν τῆς χάριτος τοῦ θεοῦ τῆς δοθείσης μοι εἰς ὑμᾶς,
(3) m’accordant par révélation la connaissance du Mystère,
tel que je viens de l’exposer en peu de mots :
(4) à me lire, vous pouvez vous rendre compte
de l’intelligence que j’ai du Mystère du Christ.
(5) Ce Mystère n’avait pas été communiqué aux hommes des temps passés
comme il vient d’être révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes, dans l’Esprit :
ἀπεκαλύφθη τοῖς ἁγίοις ἀποστόλοις αὐτοῦ καὶ προφήταις ἐν πνεύματι
(6) les païens sont admis au même héritage, membres du même Corps,
bénéficiaires de la même Promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l’Évangile.
« La grâce de Dieu qui m’a été donnée pour vous » : St Paul est le premier bénéficiaire de cette grâce de l’Esprit, mais il a bien conscience qu’il ne peut se replier sur elle dans cette attitude égoïste qui ne consisterait qu’à se rechercher soi-même : ‘son’ bonheur, ‘sa’ paix, ‘sa’ tranquillité… Cette grâce qui lui a été dispensée est tout à la fois « pour lui » et « pour les autres ». Bénéficiaire de l’Amour (1Tm 1,12-17), il a fait l’expérience du salut gratuitement offert avec « le pardon des péchés » grâce « aux entrailles de miséricorde de notre Dieu dans lesquelles nous a visités » Jésus, « l’Astre d’en Haut » (Lc 1,76‑79), Lui qui est « la Lumière du monde » (Jn 8,12). Mais puisque cette grâce est justement de l’ordre de l’Amour, il ne peut que se lancer dans l’aventure de l’Amour de Dieu et du prochain, cette dynamique où l’on reçoit dans la mesure où l’on consent à se donner… Car c’est en acceptant de s’ouvrir de cœur à Dieu et à son prochain (c’est un même mouvement intérieur) que la Lumière de Dieu pourra faire irruption au plus profond du cœur, habiter la relation, nourrir et fortifier le don de soi qui est ouverture plus grande encore à Dieu et à l’autre, ce qui permettra de recevoir plus encore, etc… « Donnez, et l’on vous donnera ; c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans votre sein ; car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour » (Lc 6,38). St Paul a reçu « la grâce de Dieu », mais ce Don est en même temps Appel à donner et Force pour se donner, et cela selon le Don reçu c’est-à-dire en obéissance à Celui qui donne… Ni plus, ni moins… C’est pourquoi il écrit tout à la fois :
1Co 15,9-10 : « Je suis le moindre des apôtres ;
je ne mérite pas d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu.
(10) C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis,
et sa grâce à mon égard n’a pas été stérile.
Loin de là, j’ai travaillé plus qu’eux tous :
oh! non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. »
Et 1Co 9,16 : « Annoncer l’Évangile n’est pas pour moi un titre de gloire ;
c’est une nécessité qui m’incombe. Oui, malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! »
En effet, si Paul refusait de s’ouvrir et de se donner aux autres pour rendre témoignage de ce qu’il a reçu, il ne recevrait plus rien de Celui qui est Eternel Don de Lui-même. La mission pour un chrétien n’est donc pas une réalité accessoire : c’est « une nécessité qui lui incombe » s’il désire vraiment entrer dans cette dynamique de l’Amour où c’est en se donnant qu’on se trouve soi-même… Une foi vivante, qui est avant tout accueil du Don de Dieu, ne peut donc se vivre que dans l’engagement, d’une manière ou d’une autre, dans l’unique Mission de l’Eglise, un engagement qui sera don de soi sur la base du Don reçu, don de soi qui permettra d’accueillir en vérité le Don reçu, don de soi qui produira des fruits pour la vie éternelle (Jn 6,27) de ce monde que Dieu veut sauver à tout prix : « Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime. Aussi je livre des hommes à ta place et des peuples en rançon de ta vie » (Is 43,4). Cette prophétie d’Isaïe s’accomplira avec le Christ : par amour, il se livrera entre les mains des pécheurs pour le salut des pécheurs… Et le prix qu’il n’hésitera pas « à payer » « en rançon » de notre vie ne sera rien de moins que sa vie elle-même…
Ap 5,9 : A l’Agneau immolé, « ils chantaient un cantique nouveau : Tu es digne de prendre le livre et d’en ouvrir les sceaux, car tu fus égorgé et tu rachetas pour Dieu, au prix de ton sang, des hommes de toute race, langue, peuple et nation »…
1P 1,18-19 : « Vous avez été affranchis de la vaine conduite héritée de vos pères, par un sang précieux, comme d’un agneau sans reproche et sans tache, le Christ »…
Alors quiconque acceptera de laisser Dieu déployer dans son cœur et dans sa vie la Toute Puissance de « ses entrailles de Miséricordes » (Lc 1,76-79), ne pourra que faire l’expérience de la joie du salut… Mais au même moment, si cette rencontre est authentique, il ne pourra qu’être entrainé dans cette dynamique de l’Amour qu’il a reçu et dont il a été le premier bénéficiaire… « L’Amour de Dieu a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5), notamment lorsque Dieu nous a lavés, purifiés de toutes nos souillures par l’Eau Pure de son Esprit (Ez 36,24-28 ; 1Co 6,11), une « Eau Pure » qui est en même temps « Eau vive » (Jn 4,10-17 ; 7,37-39), Eau Vive de l’Esprit transmettant la Vie du Dieu Amour (« C’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63)). Or la Vie de l’Amour ne peut qu’être Don de soi pour le bien de tous…
Jc 2,14 : « À quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu’un dise : « J’ai la foi »,
s’il n’a pas les œuvres ? La foi peut-elle le sauver ?
(15) Si un frère ou une sœur sont nus, s’ils manquent de leur nourriture quotidienne,
(16) et que l’un d’entre vous leur dise : « Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous »,
sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ?
(17) Ainsi en est-il de la foi : si elle n’a pas les œuvres, elle est tout à fait morte…
(18) Moi, c’est par les œuvres que je te montrerai ma foi.
(19) Toi, tu crois qu’il y a un seul Dieu ? Tu fais bien.
Les démons le croient aussi, et ils tremblent.
(20) Veux-tu savoir, homme insensé, que la foi sans les œuvres est stérile ?
Répétons-nous, si la foi est « Oui » à Dieu, réelle ouverture de cœur à Dieu, sincère, loyale, dans la vérité de notre misère reconnue et offerte, l’Amour de Miséricorde sera ce qu’Il Est de toute éternité : Don pur et gratuit de Soi pour le seul bien de celle ou celui qui consent à l’accueillir… « Je ne cesserai pas de les suivre pour leur faire du bien… Je trouverai ma joie à leur faire du bien de tout mon cœur et de toute mon âme » (Jr 32,37-42). Cette Parole s’est accomplie avec Jésus, Bon Pasteur, qui « cherche sa brebis perdue », c’est-à-dire chacun d’entre nous, « jusqu’à ce qu’il la retrouve », et cela inlassablement, jour après jour… « Et lorsqu’il l’a retrouvée » (Lc 15,4-7), il est pour elle « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29)… « Lorsque nous sommes infidèles, Dieu, Lui, reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même » (2Tm 2,13), et Il Est Amour pur et gratuit… Le péché nous prive de la Plénitude de ses Dons, de sa Paix, de sa Joie, du seul vrai Bonheur ? Son seul désir est de nous les pardonner, de nous les enlever, pour nous permettre de retrouver ce vrai Bonheur, cette Plénitude qui, de son côté, n’a jamais cessé de nous être donnée. « Jusqu’à toi vient toute chair avec son poids de péché ; nos fautes ont dominé sur nous : toi, tu les pardonnes » (Ps 65(64),3-4)… « Alors, « bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être ! Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ! Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse… Il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint ; aussi loin qu’est l’orient de l’occident, il met loin de nous nos péchés » (Ps 103(102)), il les « enlève », dans un présent éternel, instant après instant… « Il n’y a qu’un mouvement au cœur du Christ : enlever le péché et emmener l’âme à Dieu » (Ste Elisabeth de la Trinité).
La dynamique est identique pour « ce Pain de Vie » que nous ne sommes pas dignes de recevoir (Mt 8,5-13), et qui se donne encore et encore aux pécheurs blessés à mort par suite de leurs fautes dans le seul but qu’ils vivent eux aussi de cette Vie du Dieu Amour, transmise par « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Et si tel est vraiment le cas, l’Esprit reçu, l’Esprit d’Amour ne pourra que pousser à se donner pour le seul bien des autres… « Le fruit de l’Esprit est amour » (Ga 5,22)… Et ce sera l’engagement, par amour du Christ et grâce au Don de l’amour, dans la Mission de l’Eglise, aidés et soutenus par l’Esprit Saint et la multitude de ses dons, de ses charismes…
La belle-mère de Simon Pierre guérie par Jésus, passe ainsi, en le laissant faire, par le simple contact qu’il établit avec elle, de la mort, symbolisée par sa position allongée, à la vie, debout… Et cette vie, qui est participation plus intense à la vie du Dieu Amour se manifeste aussitôt par le service des autres, gratuitement, par amour (Mc 1,29-31) : « Et aussitôt, sortant de la synagogue, il vint dans la maison de Simon et d’André, avec Jacques et Jean. Or la belle-mère de Simon était au lit avec la fièvre, et aussitôt ils lui parlent à son sujet. S’approchant, il la fit se lever en la prenant par la main. Et la fièvre la quitta, et elle les servait. » Souvenons-nous de ce que Jésus dira à ses disciples après leur avoir lavé les pieds : « Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites » (Jn 13,12-17).
Alors, en recevant vraiment l’Esprit de Lumière et d’Amour, une attitude d’accueil qui est obéissance vis-à-vis de Celui qui ne sait que donner[2], le disciple de Jésus ne pourra que continuer à vivre cette obéissance en répondant à l’appel que le Seigneur lui lance : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,21-22), l’Esprit d’Amour qui lui donnera de pouvoir se donner pour le seul bien de tous ceux et celles qu’il rencontrera sur les chemins du monde, et cela « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Et en agissant ainsi, il goûtera à la seule vraie joie qui demeure, celle de Dieu Lui-même… « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn 15,11). « Tu mets dans mon cœur plus de joie que toutes leurs vendanges et leurs moissons » (Ps 4,8).
Le disciple de Jésus annoncera donc la Bonne Nouvelle de ce Dieu Amour avec l’Esprit d’Amour qui lui est sans cesse donné (1Th 4,8 ; Rm 5,5). Comme pour le Christ, il pourra dire lui aussi, à sa mesure : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a oint pour annoncer la Bonne Nouvelle »…
Cet Esprit permettra à l’Eglise de rendre témoignage à son Seigneur pour que le plus possible d’entre les hommes puisse reconnaître en Lui la Lumière de l’Amour venue nous arracher à nos ténèbres pour nous donner d’avoir part à la Plénitude de sa Vie (Ac 1,8) : « Vous allez recevoir une Force », dit le Christ Ressuscité à ses disciples,
« celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous.
Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie,
et jusqu’aux extrémités de la terre ».
1Co 2,13 : « Et nous en parlons non pas avec des discours enseignés par l’humaine sagesse, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, exprimant en termes spirituels des réalités spirituelles. »
Mt 10,19-20 : « Lorsqu’on vous livrera, ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment, car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. »
Ac 4,23.27-31 : « Une fois relâchés, Pierre et Jean se rendirent auprès des leurs (et ils dirent) :
(27) Oui vraiment, ils se sont rassemblés dans cette ville contre ton saint serviteur Jésus,
que tu as oint, Hérode et Ponce Pilate avec les nations païennes et les peuples d’Israël,
(28) pour accomplir tout ce que, dans ta puissance et ta sagesse,
tu avais déterminé par avance.
(29) À présent donc, Seigneur, considère leurs menaces
et, afin de permettre à tes serviteurs d’annoncer ta parole en toute assurance,
(30) étends la main pour opérer des guérisons, signes et prodiges
par le nom de ton saint serviteur Jésus.
(31) Tandis qu’ils priaient, l’endroit où ils se trouvaient réunis trembla ;
tous furent alors remplis du Saint Esprit
et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance.
Et c’est toujours ce même Esprit Saint qui agira dans le cœur de tous ceux et celles qui écouteront la proclamation de l’Evangile avec bonne volonté pour leur donner de reconnaître ce Christ Lumière que l’Eglise annonce, et donc de croire en Lui. Le grand travail de « l’Esprit de Vérité » est ainsi de rendre témoignage à la Vérité proclamée par le Christ et par l’Eglise. Et seul ce témoignage intérieur de l’Esprit peut amener à dire : « Je crois ! »
Jn 15,26 : « Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père,
l’Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage. »
1Co 12,3 : « Nul ne peut dire : «Jésus est Seigneur», s’il n’est avec l’Esprit Saint ».
« Le Don de l’Esprit annoncé pour les derniers temps a été répandu dans les cœurs (Rm 5,5 ; 1Th 4,8) et y fait naître la certitude intime de ce que les apôtres annoncent extérieurement » (Note de la Bible de Jérusalem pour 1Jn 4,13).
Née de l’Esprit, vivifiée jour après jour par l’Esprit, soutenue par ce même Esprit, l’Eglise compte toujours sur Lui et sur son action dans les cœurs pour que l’Evangile qu’elle annonce puisse être accueilli. Sa proclamation de l’Evangile est donc une liturgie où, dans la prière, elle reçoit la Force et la Lumière de l’Esprit pour accomplir ce que le Seigneur lui demande : « Proclamer l’Evangile à toute la création » (Mc 16,15). Le reste ne lui appartient pas : « Pour exister, la foi requiert la grâce prévenante et aidante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint Esprit qui touche le cœur et le tourne vers Dieu (Ac 16,14s), ouvre les yeux de l’esprit et donne « à tous la douceur de consentir à la vérité » » (Dei Verbum & 5).
[1] Ac 5,31 : « C’est lui », le Christ, « que Dieu a exalté par sa droite, le faisant Chef et Sauveur, afin d’accorder par lui à Israël la repentance et la rémission des péchés ».
Ac 11,18 : « Ainsi donc aux païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie ! »
[2] Face à l’Amour, la foi est obéissance (Rm 1,5 ; 16,26) dans la certitude que l’Amour ne cherche et ne poursuit que notre Bien le plus profond… Dieu, en Jésus Christ, s’est révélé comme le Serviteur de notre Vie (Jn 13,1-17)… Pécheurs pardonnés, sans cesse arrachés à nos ténèbres, le Christ nous invite à le suivre en nous faisant nous aussi, avec Lui, les serviteurs de la Vie de tous ceux et celles que nous rencontrerons… Et dans toutes ces relations, le Christ Ressuscité sera là, en acteur principal, puisqu’il est le seul à pouvoir nous communiquer ce qu’il reçoit du Père de toute éternité : la Plénitude de sa Vie (Jn 17,1-2 avec Jn 3,16-17 ; 4,42…). Et il le fera par Celui à qui il se donne depuis toujours et pour toujours, « l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la Vie » (Crédo)…
D. Jacques Fournier
Initiation à la prière du temps présent
Initiation à la liturgie des Heures
Les samedis :
22 et 29 Avril / 10 juin
de 8h à 11h00
à Ste Suzanne Bagatelle
« La prière du Temps Présent est une école de prière pour prier continuellement avec l’église Universelle »
Trois rencontres sont nécessaires pour comprendre le déroulement de la prière du Temps Présent.
Il est important de se munir du livre du Temps Présent ou d’un téléphone connecté.
Thèmes abordés durant la session :
-
Connaitre le livre et son contenu, et comment l’utiliser
-
Le cycle liturgique
-
Célébrer les offices en temps ordinaires, temps privilégiés
-
Célébrer les Saints, les fêtes de Jésus et les mémoires
-
Comment chanter les psaumes, hymnes et cantiques
Vous pouvez vous inscrire dès à présent :
Email : secretariat@sedifop.com – Tel 0262 90 78 24 Ou
Email : yolain.itema@gmail.com – Tel 0692 38 94 00
Apprendre la louange avec les psaumes, c’est apprendre à se tenir devant Dieu en toutes circonstances (santé ou maladie, richesse ou pauvreté, honneur ou déshonneur, joie, émerveillement adoration, tristesse, combat…). C’est apprendre à orienter vers Dieu sa plainte ou sa supplication quand on est dans l’épreuve, c’est aussi apprendre à nommer Dieu quand on est dans le bonheur, pour le bénir ou lui rendre grâce.
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Initiation au chant des Psaumes
Le samedi
13 mai
de 8h à 11h00
à la salle du Pèlerin, Etang Salé les Hauts
par Yolain ITEMA
Entrée libre…
Dieu est « Source de Vie », offert à tous pour le bonheur de tous (D. Jacques FOURNIER)
« Dieu est Esprit » nous dit St Jean (Jn 4,24) et il a créé l’homme « esprit » pour lui donner de pouvoir participer à ce qu’Il Est Lui-même. Notre « esprit » peut ainsi être comparé à une « capacité spirituelle » que Dieu désire « remplir » de ce qu’Il Est Lui‑même : son Esprit qui est Vie…
Le prophète Jérémie présente ainsi deux fois « Dieu » comme étant « une Source d’Eau Vive » :
Jr 2,13 : « Mon peuple a commis deux crimes : ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive
pour se creuser des citernes, citernes lézardées qui ne tiennent pas l’eau. »
Jr 17,13 : « Espoir d’Israël, Yahvé, tous ceux qui t’abandonnent seront honteux,
ceux qui se détournent de toi seront inscrits dans la terre,
car ils ont abandonné la source d’eaux vives, Yahvé. »
Le Psaume 36 présente également Dieu comme une Source :
Ps 36,10 : « En toi (Seigneur) est la source de vie,
par ta lumière nous voyons la lumière. »
St Jean reprendra l’image de l’Eau Vive en expliquant qu’elle représente l’Esprit de Dieu, et donc ce que Dieu Est en Lui-même :
Jn 7,37-39 : « Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, s’écria :
Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi !
selon le mot de l’Écriture : De son sein couleront des fleuves d’eau vive.
Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui »…
Et puisque Dieu nous a tous créés pour être remplis de l’Eau Vive de son Esprit, tous les hommes ont un désir spirituel, une faim spirituelle, une soif spirituelle… Comme image, nous pouvons prendre notre corps qui a été créé pour vivre de ce qu’il reçoit : nourriture et boisson… Pour cela il dispose d’un « estomac » qui est « capacité corporelle » destinée à être remplie de ce pour quoi elle a été faite… Et lorsque notre « estomac » est vide, tout le corps réclame de la nourriture : nous avons faim, nous ne pouvons plus vivre pleinement, nous expérimentons une souffrance, un mal-être général… Par contre, quand il est plein, nous ressentons une impression de bien-être. Il en est de même de notre dimension spirituelle… Lorsque notre esprit ou notre cœur est vide des réalités spirituelles pour lesquelles il a été créé, nous expérimentons un manque, une faim, une soif de plénitude, le désir d’un bonheur profond qui n’est pas au rendez-vous, un mal-être difficile à exprimer, une tristesse générale mêlée de souffrance et d’angoisse : « Souffrance et angoisse pour toute âme humaine qui fait le mal » (Rm 2,9)… Et pourtant, Dieu n’a qu’un seul désir : nous « remplir », car il nous a tous créés pour cela…
C’est pourquoi le psalmiste exprime ce désir avec l’image de « la soif de Dieu », car il est une révélation indirecte de ce pour quoi nous avons tous été créés : pour être remplis par l’Esprit de Dieu, cette « Eau Vive » qui est Plénitude de Vie, de Paix et donc Bonheur profond, la seule qui peut vraiment combler notre soif…
Ps 42,2-3 : « Comme un cerf altéré cherche l’eau vive,
ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu.
Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant.
Quand pourrai-je m’avancer, paraître face à Dieu ? »
Or, comme le disait le prophète Jérémie, en abandonnant Dieu « Source d’Eau Vive », l’homme se prive par lui-même de la Plénitude de cette Eau Vive, la Plénitude de la Vie éternelle… Mais comme nous avons tous été créés pour être comblés, pour être heureux, l’homme va se lancer dans une quête éperdue de bonheur… Et il le cherchera dans une quête effrénée des plaisirs de la vie, du pouvoir, de l’argent, des réalités matérielles… Mais s’il est sincère avec lui-même, il ne pourra que constater que le vrai bonheur n’est toujours pas au rendez-vous… Alors, faut-il « avoir » plus ? Il essaiera, sans résultat… Peut-être faut-il être plus haut placé dans la société ? Il essaiera, sans résultat… Toutes ces quêtes sont comme des citernes qu’il prend beaucoup de peine à creuser en espérant qu’un jour elles seront pleines d’eau, et donc de vie, de promesses de vie, de rassasiement, de bonheur… Mais comme l’écrit Jérémie, elles sont fissurées dès le départ … Elles ne peuvent retenir l’eau et offrir le vrai bonheur, la vraie vie… L’espérance de plénitude ne peut qu’être déçue… Pire, le fait qu’elles soient à sec est synonyme de mort…
« Le salaire du péché, c’est la mort, mais le Don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus » (Rm 6,23). « Dis-leur : Par ma vie, oracle du Seigneur Dieu, je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais à la conversion du méchant qui change de conduite pour avoir la vie. Convertissez-vous, revenez de votre voie mauvaise. Pourquoi mourir, maison d’Israël ? » (Ez 33,11). Le Père va donc envoyer le Fils dans le monde pour chercher toutes les brebis perdues, c’est-à-dire, tous les hommes, et cela « jusqu’à ce qu’il les retrouve ». Car, nous dit Jésus en parlant comme le prophète Ezéchiel, « il y a plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion » (Lc 15,4-7). Et cela est vrai pour tout homme, quel qu’il soit, tout homme « créé à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-28), et donc enfant d’un Père Unique, « Notre Père » à tous,
qui veut le salut pour tous ses enfants : « Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous » (1Tm 2,3-6). « Dieu », en effet, « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique-Engendré, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par son entremise » (Jn 3,16-17). Toute la mission de Jésus consiste donc à nous proposer le pardon de nos péchés et à nous permettre de retrouver gratuitement, avec lui, tout ce que nous avions perdu par suite de nos fautes. Tel est l’Amour qui ne cherche et ne poursuit que le bien de l’être aimé, et Dieu aime tout homme du même Amour : « Je vais les rassembler de tous les pays où » ils ont été dispersés par suite de leurs fautes. « En ce lieu », c’est-à-dire près de moi, unis à moi dans la communion d’un même Esprit, « je les ramènerai et les ferai demeurer en sécurité », dans la paix du cœur. « Alors ils seront mon peuple et moi, je serai leur Dieu. Je leur donnerai un seul cœur et une seule manière d’agir, de façon qu’ils soient toujours tournés vers moi, pour leur bien et celui de leurs enfants après eux. Je conclurai avec eux une alliance éternelle : je ne cesserai pas de les suivre pour leur faire du bien et je ferai en sorte que leur cœur reste tourné vers moi pour qu’ils ne s’écartent plus de moi. » Je pourrai alors les combler pour leur seul bien, leur joie, leur bonheur… Car « je trouverai ma joie à leur faire du bien et je les planterai solidement en ce pays », c’est-à-dire tout près de moi, « de tout mon cœur et de toute mon âme », et Dieu est infini ! « Oui, je leur amènerai tout le bien que je leur promets » (Jr 32,37-43).
Telle est donc toute la mission de Jésus, le Fils Unique : donner aux hommes de pouvoir retrouver avec Lui le chemin qui conduit à Dieu et donc à l’Eau Vive de l’Esprit qui ne cesse de jaillir de Lui pour combler ses créatures… « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi », disait St Augustin. Le Christ est ainsi venu offrir aux hommes, gratuitement, par amour, cette Plénitude d’Esprit et donc de Vie pour laquelle nous avons tous été créés… En effet, « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et le propre de l’Amour est d’être Don de soi, Don de ce qu’Il Est en Lui-même, gratuitement, par amour. C’est ce que le Père fait vis-à-vis du Fils, et cela de toute éternité : « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 5,26). Tout, tout ce qu’Il Est, tout ce qu’il a, toute la Plénitude de sa Vie, et c’est ainsi qu’il l’engendre en Fils « né du Père avant tous les siècles », lui donnant d’être « Dieu né de Dieu, Lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo), et cela gratuitement, par amour… « Tout ce qu’a le Père est à moi »… Ainsi, « comme le Père a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même… Je vis par le Père » (Jn 17,10 ; 5,26 ; 6,57), en recevant du Père, gratuitement, par amour, la Plénitude de son Esprit, un Esprit qui est vie, un « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), un Esprit qui est « Eau vive ».
Dans l’Evangile selon St Jean, au chapitre 4, Jésus est ainsi présenté comme étant assis près d’un puits… Cette image visible est la révélation invisible de ce qu’Il Est de toute éternité : le Fils qui est tourné vers le Père « Source d’Eau Vive ». Voilà ce qu’il reçoit de Lui depuis toujours et pour toujours : l’Eau Vive de l’Esprit. Jésus assis près du puits est donc une image d’une réalité éternelle : le Fils près du Père, toujours tourné de cœur vers le Père (Jn 1,18), recevant du Père la Vie que le Père a en lui-même (Jn 5,26). Et il va dire « J’ai soif » à une femme samaritaine pour entamer la conversation avec elle, son seul but étant de faire en sorte qu’elle aussi reçoive gratuitement, par amour, ce que Lui reçoit du Père, gratuitement, par amour… Il va donc l’inviter à se tourner elle aussi de tout cœur vers le Père, tout comme Lui est toujours tourné de tout cœur vers Lui, recevant de Lui cette Plénitude d’Eau Vive qui l’engendre en Fils de toute éternité… Et Jésus se moque des obstacles. Son seul souci est le bien profond de cette femme. La Loi en effet interdisait à un homme d’aborder une femme seule, et les Juifs n’entretenaient pas de relations avec les Samaritains, leurs ennemis « héréditaires ». Mais Jésus fait tomber toutes ces barrières car son seul désir est de partager avec elle ce Don de la Plénitude de l’Eau Vive de l’Esprit qu’il ne cesse de recevoir de son Père et qui comble son cœur… Alors, il va lui mettre « l’eau à la bouche » et lui parler de cette Eau Vive en espérant que viendra le moment où elle aussi lui dira « J’ai soif » de recevoir cette Vie dont tu me parles…
Jn 4,10 : Jésus lui dit :
A – Si tu savais le don de Dieu Le Don de Dieu est évoqué
B – et qui est celui qui te dit : Jésus demande à la femme
C – Donne-moi à boire, Donne-moi à boire
B’ – c’est toi qui l’aurais prié La femme aurait demandé à Jésus
A’ – et il t’aurait donné de l’eau vive. Le Don de Dieu est précisé : l’Eau Vive
Le texte est très bien construit : Jésus dit à la Samaritaine « Donne-moi à boire » pour qu’un jour la Samaritaine lui dise « Donne-moi à boire »… Jésus lui révèle ainsi le Don qu’il est venu offrir à tous les hommes : l’Eau Vive de l’Esprit, la seule réalité capable de remplir nos cœurs et donc de nous offrir la vraie Vie, le vrai Bonheur… Souvenons-nous de Jn 7,37-39 lu au tout début.
Et c’est aussi la raison pour laquelle il nous invite en St Luc à demander cet Esprit avec une incroyable insistance :
Lc 11,9-13 : « Et moi, je vous dis :
demandez et l’on vous donnera ;
cherchez et vous trouverez ;
frappez et l’on vous ouvrira.
(10) Car quiconque demande reçoit ;
qui cherche trouve ;
et à qui frappe on ouvrira.
(11) Quel est d’entre vous le père auquel son fils demandera un poisson,
et qui, à la place du poisson, lui remettra un serpent ?
(12) Ou encore s’il demande un œuf, lui remettra-t-il un scorpion ?
(13) Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants,
combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »
Demander, librement, manifestera alors notre désir de recevoir… Et nous ne pourrons qu’être exaucés car « Dieu Est Amour » (1Jn 4,8.16) de toute éternité, il ne cesse de « donner » gratuitement par Amour « l’Eau Vive de l’Esprit », le Père la donnant au Fils de toute éternité, le Père et le Fils la donnant à l’Esprit Saint de toute éternité, l’Esprit Saint ne cessant de la proposer à tout homme, Lui qui « Est Seigneur et qui donne la vie » (Crédo) en donnant l’Eau Vive de l’Esprit… La Source d’Eau Vive n’a donc pas attendu notre demande pour couler : elle coule de toute éternité… Alors, quiconque demande de tout cœur ne peut que recevoir… Demander exprimera en fait notre désir libre de recevoir… C’est ce que Dieu attend, Lui qui, dans son Amour, ne veut contraindre personne, forcer personne, n’obliger personne, alors même qu’il sait bien que ce Don de l’Esprit fera notre bonheur éternel, dès maintenant, dans la foi, et au ciel pour l’éternité… Nous avons été créés pour cela… Mais l’Amour respecte infiniment notre liberté… Il ne fera rien pour nous sans notre consentement…
Le Psalmiste exprime également ce Mystère de l’Amour de Dieu avec l’image du Soleil… Dieu est un Soleil, il ne cesse de briller, il ne cesse de donner la Lumière et il « Est Lumière » (1Jn 1,5)… Autrement dit, il ne cesse de donner ce qu’il est en Lui‑même… Nous retrouvons ce principe vu avec l’image de la Source : « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Eau Vive de l’Esprit » ? Il est Source, et ne cesse de donner cette Eau Vive de l’Esprit, gratuitement, par amour… Se tourner de tout cœur vers Lui, c’est donc déjà recevoir, gratuitement dans l’amour, en acceptant de nous laisser aimer tels que nous sommes… Nous retrouvons cette phrase de Ste Thérèse de Lisieux, à appliquer littéralement à Dieu qui est Amour : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ». « Dieu est Esprit » ? Il donne l’Eau Vive de l’Esprit… « Dieu est Lumière », Soleil ? Il donne la Lumière, une Lumière qui est Vie, la Lumière de la Vie…
Ps 84,12 : « Le Seigneur Dieu est un Soleil…
Il donne la grâce, il donne la gloire »…
Jn 8,12 : « Je Suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres,
mais il aura la lumière de la vie ».
Alors, si nous répondons à l’appel de Dieu, « repentez-vous, tournez-vous vers moi et vous serez sauvés, tous les lointains de la terre » (Is 45,22), en tournant notre cœur vers la Source d’Eau Vive, nous recevrons cette Eau Vive qui donne la vie, et qui est au même moment l’eau pure qui nous purifie de toutes nos fautes. C’est ainsi que nous comprenons que la Miséricorde est le visage de l’Amour face à notre misère. Notre misère en effet ne l’empêche pas de nous aimer, bien au contraire. Puisque cette misère nous plonge dans un état de misère, de ténèbres, de tristesse, de mort spirituelle, voilà justement ce que Dieu ne supporte pas pour ses enfants, tous les hommes qu’il aime… Et leur état misérable le poussera à nous aimer encore plus, à se donner encore plus, pour nous guérir, nous purifier, nous sauver, nous combler et voie enfin sa Joie rayonner sur nos visages. Et notre joie fera sa Joie… Tout simplement parce qu’il ne cesse de nous aimer, et donc de désirer notre bien, notre bonheur profond…
Ez 36,24-28 : « Je vous prendrai parmi les nations,
je vous rassemblerai de tous les pays étrangers et je vous ramènerai vers votre sol.
(25) Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ;
de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai.
(26) Et je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau,
j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair.
(27) Je mettrai mon Esprit en vous
et je ferai que vous marchiez selon mes lois
et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes.
(28) Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères.
Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu. »
Ce « pays » donné, c’est « le Royaume des Cieux » donné, un Royaume qui est Mystère de Communion avec Dieu dans « l’unité d’un même Esprit » (Ep 4,3), Dieu le donnant gratuitement par Amour, l’homme étant invité à le recevoir de tout cœur, gratuitement, dans l’Amour, en se détournant bien sûr au même moment, avec l’aide de Dieu, de tout ce qui lui est contraire…
Lc 12,32 : « Sois sans crainte, petit troupeau,
car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume ».
Rm 14,17 : « Le règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture ou de boisson,
il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint ».
Jn 20,22 : « Recevez l’Esprit Saint. »
Ga 5,22 : « Le fruit de l’Esprit », l’Eau Vive de l’Esprit,
« est amour, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres »…
Alors, tous ceux et celles qui consentent à se laisser ainsi aimer par Celui qui, de son côté, ne désire que leur bien seront intérieurement comme un jardin tout irrigué par « l’Eau Vive de l’Esprit » :
Is 58,11 : « Le Seigneur sans cesse te conduira,
il te rassasiera dans les lieux arides,
il donnera la vigueur à tes os,
et tu seras comme un jardin arrosé,
comme une source jaillissante dont les eaux ne tarissent pas. »
C’est ce que dit Jésus à la Samaritaine :
Jn 4,13-14 : « Jésus lui dit :
Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ;
mais qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ;
l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle. »
Et comme « un homme ne peut rien recevoir si cela ne lui a été donné du ciel » (Jn 3,27), celui qui a, c’est qu’il a reçu… S’il a reçu, c’est qu’il est tourné vers Dieu et ouvert à Dieu. Et comme Dieu est Source, il recevra et recevra encore : « C’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans votre sein » (Lc 6,38)…
Et le Christ va mourir sur la croix pour que nous puissions recevoir cette Eau Vive de l’Esprit. Là encore, le corporel est signe visible du spirituel. Un soldat romain va transpercer son cœur de chair d’où s’écouleront sur la terre toute « l’eau et le sang » qui le remplissaient (Jn 19,33-35). Or dans la Bible, les deux sont symbole de vie. Ainsi, tout comme le cœur de chair est dorénavant ouvert, tout ce qui le remplissait étant versé sur la terre, donné aux hommes, en surabondance, le cœur « spirituel » de Jésus est lui aussi ouvert à tout homme, ce qui le remplit étant aussi donné à tout homme, en surabondance : « Je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante » (Jn 10,10). Et qu’est-ce qui remplit le cœur de Jésus ? L’Eau Vive de l’Esprit qu’il reçoit du Père de toute éternité, un Don par lequel le Père l’engendre à la Vie en Fils « né du Père avant tous les siècles, Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo). Et si nous recevons à notre tour, par notre foi en Jésus, ce même Don, ce Don nous engendrera nous aussi à la Plénitude de la vie de Dieu, « à l’image du Fils » (Rm 8,29)…
Col 1,18-20 + 2,9-10 : « Jésus, le Fils, « est le Principe, Premier-Né d’entre les morts,
il fallait qu’il obtînt en tout la primauté,
(19) car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude
(20) et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui,
aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix.
(2,9) Car en lui habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité,
(10) et vous vous trouvez en lui associés à sa Plénitude »…
Telle est la vocation de tout homme : participer, gratuitement, par Amour, à la Plénitude même de Dieu, une Plénitude de Vie, de Paix, de Joie… Et tout ceci se réalise par le Don de l’Eau Vive de l’Esprit…
Jn 14,27 : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix »…
Jn 15,11 : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. »
Lc 5,31-32 : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin,
mais les malades; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir. »
Jn 20,22 : « Recevez l’Esprit Saint », et avec lui, le pardon et la Vie…
D. Jacques Fournier
Le Père des Miséricordes est Source de Vie : en cliquant sur le titre précédent, vous accédez à l’article en format PDF pour lecture ou éventuelle impression.
Carême 2023 : l’appel de Dieu au repentir en Is 1,1-6 et la prophétie du Christ Sauveur prenant sur lui nos fautes (D. J. FOURNIER)…
Pour des raisons de mise en page, et notamment de polices d’écritures, ce texte vous est proposé en format PDF, ce qui permet de présenter plus facilement les quelques citations en hébreu de l’Ancien Testament… Pour y accéder, il suffit de cliquer sur le lien suivant :
Is 1,1-6 – le péché dénoncé, la prophétie du Christ Sauveur…
Fête de St Timothée et St Tite : la vocation de tout être humain à être « fils » à l’image du Fils.
LECTURES DE LA MESSE de ce Jeudi 26 janvier 2023
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée (2 Tm 1, 1-8)
Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu,
selon la promesse de la vie que nous avons dans le Christ Jésus,
à Timothée, mon enfant bien-aimé.
À toi, la grâce, la miséricorde et la paix
de la part de Dieu le Père et du Christ Jésus notre Seigneur.
Je suis plein de gratitude envers Dieu,
à qui je rends un culte avec une conscience pure, à la suite de mes ancêtres,
je lui rends grâce en me souvenant continuellement de toi dans mes prières, nuit et jour.
Me rappelant tes larmes, j’ai un très vif désir de te revoir pour être rempli de joie.
J’ai souvenir de la foi sincère qui est en toi :
c’était celle qui habitait d’abord Loïs, ta grand-mère, et celle d’Eunice, ta mère,
et j’ai la conviction que c’est aussi la tienne.
Voilà pourquoi, je te le rappelle,
ravive le don gratuit de Dieu,
ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains.
Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné,
mais un esprit de force, d’amour et de pondération.
N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur,
et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ;
mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile.
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 4, 21-25)
En ce temps-là, Jésus disait à la foule :
« Est-ce que la lampe est apportée pour être mise sous le boisseau ou sous le lit ?
N’est-ce pas pour être mise sur le lampadaire ?
Car rien n’est caché, sinon pour être manifesté ;
rien n’a été gardé secret, sinon pour venir à la clarté.
Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »
Il leur disait encore :
« Faites attention à ce que vous entendez !
La mesure que vous utilisez sera utilisée aussi pour vous,
et il vous sera donné encore plus.
Car celui qui a, on lui donnera ;
celui qui n’a pas, on lui enlèvera même ce qu’il a. »
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« Est-ce que la lampe est apportée pour être mise sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour être mise sur le lampadaire ? »
Cette lampe, par excellence, c’est le Christ. « Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12,46). « Je Suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie » (Jn 8,12).
« La lumière de la vie »… En effet, cette « lumière » est « vie » : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1,4). Or cette « vie », sa « vie », le Christ la reçoit de son Père de toute éternité : « Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la vie en lui-même » (Jn 5,26). Et cette réalité est éternelle… Pour nous qui sommes dans le temps, elle est vraie ‘instant présent après instant présent’… « Je vis par le Père », nous dit Jésus (Jn 6,57).
Et si le Père lui donne la vie, s’il l’engendre en lui donnant la vie, c’est uniquement par amour, dans une totale gratuité : « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35). « La main » est ici l’image que St Jean emploie pour évoquer le fait de recevoir… Nous l’avons noté, le verbe « aimer » est conjugué au présent : « le Père aime le Fils », maintenant, et cela est vrai depuis toujours et pour toujours. Et cet amour du Père pour le Fils est la raison pour laquelle il lui donne tout, tout ce qu’il a : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15), nous dit Jésus. Et juste avant de vivre sa Passion il priera en disant : « Père, tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17,10). « Le Père a la vie en lui-même » ? Gratuitement, par amour, il donne au Fils d’avoir la vie en lui‑même, de telle sorte que le Fils reçoit la vie du Père, sa vie, depuis toujours et pour toujours. C’est ce que nous proclamons dans notre Crédo. En donnant la vie au Fils, le Père engendre le Fils; en recevant la vie du Père, le Fils naît du Père… Il est ainsi celui qui est « né du Père avant tous les siècles, engendré non pas créé, consubstantiel au Père, Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu »… Nous l’avons noté, cet engendrement éternel à la vie éternelle est évoqué en termes de « Lumière »… Nous retrouvons ce que St Jean nous dit dans son Evangile : cette « vie » est « lumière », cette « lumière » est « vie », elle est « la lumière de la vie »…
Voilà le Mystère qui se révèle dans le Fils, « la lumière de sa vie » qui est venue briller dans nos ténèbres (cf. Lc 1,76-79) : « La Vie s’est manifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue » (1Jn 1,2)… Et cette « vie », répétons-nous, le Fils la reçoit gratuitement du Père de toute éternité, par amour et dans l’amour… En effet « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et, nous dit le Pape François, « le propre de l’Amour est de se répandre, de se donner » (Audience du mercredi 14 juin 2017). C’est ainsi que le Père se donne au Fils de toute éternité, par amour, lui donnant d’être lui aussi tout ce qu’il est… Le Père est Dieu ? Le Père est Lumière ? Le Fils est « Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu »… Le Père est Amour ? Le Père n’a qu’une seule Parole à dire au Fils : « Je t’aime… Tu es mon Fils Bien Aimé »… Cette Parole est un Acte : le Don de tout ce que le Père est en Lui-même… C’est ce qui se révèle en St Marc au moment où Jésus reçoit le baptême de Jean Baptiste : « Tu es mon Fils Bien Aimé, en toi j’ai mis tout mon Amour » (Mc 1,11, ancienne traduction liturgique), tout ce que Je Suis (cf. Ex 3,14), tout ce que j’ai…
A ce titre, le Fils est « l’héritier » du Père, car tout ce qu’a le Père est à lui… Et en nous révélant son Mystère de Fils, il nous révèle quelle est notre vocation à tous :
Rm 8,28-30 : « Nous savons qu’avec ceux qui l’aiment,
Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu’il a appelés selon son dessein.
Car ceux que d’avance il a discernés,
il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils,
afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères ;
et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ;
ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ;
ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés ».
Car nous sommes tous aimés comme le Fils est aimé :
Jn 17,22-23 : Père, « je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée,
pour qu’ils soient un comme nous sommes un :
moi en eux et toi en moi,
afin qu’ils soient parfaits dans l’unité,
et que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé
et que tu les as aimés comme tu m’as aimé ».
Autrement dit, tout ce qui est « dans le Christ », tout ce qui nous est révélé, tout ce qui a été manifesté, tout cela nous est aussi destiné…
Et le Don de Dieu, le Don gratuit de l’Amour du Père au Fils, ce Don même que nous sommes tous invités à recevoir, accomplira en nous aussi la même œuvre qu’il accomplit dans le Christ de toute éternité : il nous engendrera nous aussi, comme Lui, à la Plénitude de la vie…
St Paul parle ainsi de cette « promesse de la vie que nous avons dans le Christ Jésus » (2Tm 1,1). Et il évoque ensuite « le don gratuit de Dieu » : « Ravive le don gratuit de Dieu » (1,6). Il emploie exactement le même terme grec, « kharisma », qu’en Rm 6,23 : « Le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur. » Ce Don gratuit, c’est « la grâce », fruit de « la miséricorde » de Dieu à notre égard, et dont la conséquence première en nos cœurs est « la paix » : « À toi, la grâce, la miséricorde et la paix de la part de Dieu le Père et du Christ Jésus notre Seigneur » (2Tm 1,2).
Et cette « promesse de la vie » devient concrètement actuelle dans nos cœurs et dans nos vies par le Don de « l’Esprit de la Promesse », l’Esprit promis :
Ep 1,13-14 : « Après avoir entendu la Parole de vérité,
l’Évangile de votre salut, et y avoir cru,
vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse,
cet Esprit Saint qui constitue les arrhes de notre héritage,
et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis,
pour la louange de sa gloire. »
Tel est « le Don de Dieu » par excellence (Jn 4,10-14), ce Don de l’Esprit qui est Lumière et vie, et que le Père, par amour, donne au Fils de toute éternité, l’engendrant ainsi en Fils « consubstantiel au Père »… « J’ai vu l’Esprit descendre et demeurer sur lui », dit Jean Baptiste en St Jean (Jn 1,32-34)…
Père, « tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17,23)… « Le Père lui-même vous aime » (Jn 16,27)… L’entendons-nous ? Y croyons-nous ? Acceptons-nous de tout cœur qu’il en soit ainsi ? C’est l’appel que nous lance Jésus : « Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » Il leur disait encore : « Faites attention à ce que vous entendez ! » Car notre vocation à tous est « d’être cohéritiers du Christ », autrement dit, de recevoir, dans notre condition de créatures, ce que le Fils reçoit du Père de toute éternité, ce Don de l’Esprit par lequel le Père l’engendre en Fils… Et c’est par ce même Don que nous sommes tous appelés à devenir pleinement des « fils à l’image du Fils » :
Rm 8,15-17 : « Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclaves (2Tm 1,7 : « esprit de peur »)
pour retomber dans la crainte ;
vous avez reçu un esprit de fils adoptifs (2Tm 1,7 : « un esprit de force, d’amour et de pondération »)
qui nous fait nous écrier : Abba ! Père !
L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu.
Enfants, et donc héritiers ;
héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ,
puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui. »
1Co 6,11 : « Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés
par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu. »
Voilà ce qui « dans le Fils » a été révélé, manifesté : « Car rien n’est caché, sinon pour être manifesté ; rien n’a été gardé secret, sinon pour venir à la clarté » (Mc 4,22).
Rm 16,25-27 : « J’annonce l’Évangile en prêchant Jésus Christ,
révélation d’un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels,
mais aujourd’hui manifesté,
et par des Écritures qui le prédisent selon l’ordre du Dieu éternel,
porté à la connaissance de toutes les nations
pour les amener à l’obéissance de la foi »…
Ep 3,5-7 : « Ce Mystère n’avait pas été communiqué aux hommes des temps passés
comme il vient d’être révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes,
dans l’Esprit :
les païens sont admis au même héritage,
membres du même Corps,
bénéficiaires de la même Promesse,
dans le Christ Jésus, par le moyen de l’Évangile ».
« Les païens« , autrement dit, dans le contexte de l’époque, « tout être humain », est « admis au même héritage« , c’est-à-dire appelé, invité à recevoir le même « Don de Dieu », le même Esprit. En accueillant ce Don, il sera uni à Dieu dans la communion d’un même Esprit, dans « l’unité de l’Esprit » (Ep 4,3), pour « former ainsi un seul Corps » avec tous ceux et celles qui, comme lui, « auront été abreuvés d’un seul Esprit » (1Co 12,13), un Corps dont le Christ est la Tête (Ep 1,22). Et toutes celles et ceux qui auront consenti à ce Don gratuit de l’Amour, « l’Esprit de la Promesse » (Ep 1,13) se découvriront, en le vivant, les heureux « bénéficiaires de la même Promesse« …
1Co 2,7 – 9 : « Ce dont nous parlons,
c’est d’une sagesse de Dieu, mystérieuse, demeurée cachée,
celle que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour notre gloire,
celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue
– s’ils l’avaient connue, en effet, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire –
mais, selon qu’il est écrit, nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu,
ce que l’oreille n’a pas entendu,
ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme,
tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment »…
Et puisque « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés« , tous, sans aucune exception, « et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4), en consentant à accueillir ce « Don gratuit » de l’Amour, puisse cette volonté de Dieu s’accomplir pour chacun d’entre nous par la mise en oeuvre de « sa Miséricorde » « Toute Puissante » (Lc 1,49-50) qui jour après jour vient « frapper à la porte » de nos coeurs (Ap 3,20) jusqu’à ce qu’ils s’ouvrent…
D. Jacques Fournier
La naissance du Christ Sauveur (Lc 2,1-20)
« Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité » (Lc 2,1). Avec ce recensement, St Luc a voulu relier la naissance du Christ à « un événement de portée mondiale… pour démontrer l’importance mondiale de la naissance de Jésus »[1]. En effet, « tout le monde habité » (Lc 2,1) est concerné, à une époque où l’expression renvoyait en fait au vaste territoire occupé par l’empire romain. « Rome » était ainsi considéré comme « la capitale du monde »…
De plus avec ce recensement décidé par un empereur païen non chrétien, Luc veut montrer à quel point Dieu accomplit son projet avec tous les évènements de l’histoire profane. C’est en effet en obéissant à l’autorité de l’époque que Joseph et Marie arriveront à Bethléem, ville où selon le prophète Michée, devait naître celui qui était appelé à régner sur Israël. Ainsi, « l’action divine se sert du décret de César. Dans les Actes, Dieu se servira encore des mêmes lois romaines pour conduire Paul à Rome annoncer l’Evangile »[2].
Par un recensement, « le monarque voulait connaître le nombre de ses sujets pour les plier à ses exigences militaires et fiscales… L’ἀπογραφὴ (apographé) est l’enregistrement de chaque habitant (âge, profession, état civil, enfants) qui permet de déterminer les obligations militaires et l’impôt personnel[3].
Les sources profanes rapportent qu’Auguste a voulu plus d’une fois faire recenser certaines provinces ou évaluer ses biens propres. Il semble que ces recensements aient eu lieu à périodes fixes (tous les quatorze ans), du moins en Egypte. Mais il n’y a jamais eu de recensement unique pour tout l’Empire. Luc se trompe sur les faits précis, mais rend bien la tendance historique de l’époque, de l’empereur en particulier et de l’effet sur le peuple ».
L’empereur romain Jules César était décédé en 48 av JC. Son nom était ensuite devenu un titre. Auguste sera empereur en 27 av JC et il règnera jusqu’au 19 août 14 ap JC, date de sa mort.
De son côté, Publius Sulpicius Quirinius est bien connu de l’histoire ; il était consul dès 12 av JC, et chargé de la politique romaine dans le Proche Orient. D’après Josèphe, il est légat de Syrie à partir de 6 ap JC. Le premier recensement romain connu en Palestine eut d’ailleurs lieu cette année-là, à l ‘occasion de l’incorporation de la Judée dans la province romaine de Syrie, après la démission d’Archélaüs et son remplacement par un procurateur romain[4]. Ce recensement déclencha l’insurrection de Judas le Galiléen contre ce signe de dépendance des provinces à l’égard de Rome (cf. Ac 5,37).
Luc signale donc un recensement qui, en 7-6 av JC, aurait amené Joseph et Marie à Bethléem ; il l’attribue à Quirinius, peut-être parce que l’opération de 6-7 ap. JC était la seule connue, peut-être aussi parce que Quirinius, consul dès 12 av JC, avait reçu de fréquentes missions en Orient et a donc pu être chargé d’un recensement[5].
D’après Tertullien, mort en 220 ap JC à Carthage, ce serait Sentius Saturninus, légat de Syrie de 9 à 6 av JC qui aurait procédé au recensement de la Judée. Quirinius, alors en exercice, a pu lui être lié d’une façon ou d’une autre…
Quoiqu’il en soit, lisons cet extrait du prophète Michée. Il était lu à l’époque de Jésus dans le contexte de l’attente du Messie promis.
Mi 5,1 (Littéralement, d’après le texte hébreu) : Et toi, Bethléem Ephrata[6],
(trop) petite pour être parmi les clans de Juda
de toi pour moi sortira pour être le dirigeant en Israël
et ses origines d’avant des jours d’autrefois.
TOB : De toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël.
Ses origines remontent à l’antiquité, aux jours d’autrefois.
Bethléem était la cité de David (voir aussi Jn 7,42), et St Luc insiste sur la parenté de Joseph avec David : « il était de la maison et de la lignée de David » (2,4)…
1S 16,1 : Yahvé dit à Samuel : « Jusques à quand resteras-tu à pleurer Saül,
alors que moi je l’ai rejeté et qu’il n’est plus roi sur Israël ?
Emplis d’huile ta corne et va !
Je t’envoie chez Jessé le Bethléemite, car j’ai vu parmi ses fils le roi que je veux.
1S 17,12-15 : David était le fils d’un Éphratéen, celui de Bethléem de Juda,
qui s’appelait Jessé et qui avait huit fils.
Cet homme, au temps de Saül, était vieux et considéré parmi les hommes.
(13) Les trois fils aînés de Jessé s’en étaient allés. Ils avaient suivi Saül à la guerre.
Les trois fils qui étaient à la guerre s’appelaient, l’aîné Éliab, le second Abinadab
et le troisième Shamma.
(14) David était le plus jeune et les trois aînés avaient suivi Saül.
(15) Mais David allait chez Saül
et en revenait pour faire paître le troupeau de son père à Bethléem.
1S 20,5-6 : David dit à Jonathan :
«C’est demain la nouvelle lune et je devrais m’asseoir avec le roi pour manger,
mais tu me laisseras partir et je me cacherai dans la campagne jusqu’au soir.
(6) Si ton père remarque mon absence, tu diras :
“David m’a demandé avec instance d’aller à Bethléem, sa ville,
car c’est là qu’a lieu le sacrifice annuel pour tout le clan.”
Comme l’indique la Bible de Jérusalem en note, « Michée pense aux origines anciennes de la lignée de David (1S 17,12s ; Rt 4,11.17.18-22) » ; tel est ce que l’on pourrait appeler « le sens littéral ». Mais en son « sens spirituel », le Christ accomplit pleinement ces lignes au sens où « fils de David lui-même », ses origines remontent… au-delà de tout commencement (Jn 1,1-5).
Jésus est donc bien ce Messie, mais avec la mention du recensement romain, il n’accomplit pas seulement pour St Luc l’attente des Juifs : il est né pour le monde entier… La perspective universelle est présente dès le début de l’Evangile…
Et de fait Jésus sera appelé par la suite « Sauveur » et « Seigneur », deux titres fréquemment employés par les souverains, et notamment les empereurs romains qui n’hésitaient pas à se faire rendre un culte comme à un Dieu… « La théologie politique d’Auguste, renforcée, surtout en Orient, par la vénération religieuse pour le monarque, est ici démasquée et ravalée par l’affirmation christologique »[7]. Désormais, tous les hommes, « objets de la bienveillance de Dieu » (Lc 2,14) auront un seul Seigneur, un seul Sauveur : le Christ.
Marie, enceinte, suit… Le thème du recensement, avec obligation d’inscription des personnes peut avoir donné à Luc la raison de sa présence…
En 2,6, St Luc emploie la notion « d’accomplissement » pour décrire Marie désormais prête à enfanter. Avec ce verbe, St Luc suggère que le projet de Dieu « s’accomplit » dans l’histoire, étape après étape…
Lc 24,44-48 : (Le Christ ressuscité dit à ses disciples) :
«Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous :
il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi,
dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.»
(45) Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures,
(46) et il leur dit : «Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait
et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
(47) et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés
serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
(48) De cela vous êtes témoins ».
Basilique du Rosaire, Lourdes
La naissance est ensuite décrite avec une grande sobriété, mais attention, tous les mots ici sont importants :
(2,7) « Et elle enfanta son fils premier né,
et elle l’enveloppa de langes et elle le coucha dans une mangeoire
car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle. »
En appelant Jésus « premier né », St Luc prépare l’épisode de la présentation de Jésus au Temple :
Lc 2,22-24 : Et lorsque furent accomplis les jours pour leur purification,
selon la loi de Moïse, ils l’emmenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur,
(23) selon qu’il est écrit dans la Loi du Seigneur :
Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur,
(Litt. : Tout mâle ouvrant le sein maternel sera appelé saint pour (ou par) le Seigneur)
(24) et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la Loi du Seigneur,
un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes.
Telle était en effet la prescription de la Loi citée ici par St Luc :
Ex 13,2 (LXX) : Consacre-moi tout premier-né,
le premier né (ou « le plus ancien ») ouvrant tout sein maternel parmi les fils d’Israël depuis l’homme jusqu’au bétail ; ils sont à moi.
Jésus, « premier né de Marie », « mâle ouvrant le sein maternel », sera donc « consacré » au Seigneur, « appelé saint pour (ou par) le Seigneur… De fait, l’Ange avait déclaré à Marie :
Lc 1,35 : L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre ;
c’est pourquoi « le étant enfanté (engendré) saint sera appelé fils de Dieu ».
« le saint engendré sera appelé fils de Dieu »[8].
St Luc, en 2,23, fait très certainement une double allusion : à cette déclaration de l’Ange d’une part, et à la Loi d’autre part… Mais les hommes considéreront comme consacré au Seigneur un être qui l’est de puis toujours et pour toujours : Jésus, le Fils Unique, Celui qui est tout à la fois vrai homme et vrai Dieu, Celui en qui Dieu est Tout…
Crèche, Notre Dame de Paris
Jésus reprendra pour lui-même cette notion de consécration : il est Celui qui se donne totalement à Dieu pour qu’un jour nous soyons tous comme lui, des femmes et des hommes qui auront mis Dieu au cœur de leur vie, et dont le seul souci sera de l’aimer de tout leur cœur, de toute leur âme et de toutes leurs forces en se donnant à Lui ; et cela encore, c’est Dieu qui le fera, par cette grâce baptismale qui nous a unis à son Fils, « configurés à lui »…
Jn 17,17 -19 : Sanctifie-les (consacre-les) dans la vérité, ta parole est vérité.
(18) Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
(19) Pour eux je me sanctifie (consacre) moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité.
Crèche, Notre Dame de Paris
1Th 5,23-24 : Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ.
(24) Il est fidèle, celui qui vous appelle : c’est encore lui qui fera cela.
Ga 2,20 : Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi.
Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu
qui m’a aimé et s’est livré pour moi.
Les expressions suivantes de St Luc en 2,7 annoncent justement la Passion que le Christ vivra par amour à la fin de sa vie terrestre pour que nous puissions tous être des « consacrés à Dieu », des « vivants pour Dieu » (Rm 6,11), arrachés aux ténèbres et transférés dans son Royaume de Lumière (Col 1,13-14), enfin libres (Jn 8,31-32)…
Crèche, Notre Dame de Paris
Marie en effet « enveloppa Jésus de langes », comme plus tard il sera enveloppé dans un linceul lorsqu’il sera mis au tombeau…
Lc 23,50-54 : Et voici un homme nommé Joseph,
membre du Conseil, homme droit et juste.
(51) Celui-là n’avait pas donné son assentiment au dessein ni à l’acte des autres.
Il était d’Arimathie, ville juive, et il attendait le Royaume de Dieu.
(52) Il alla trouver Pilate et réclama le corps de Jésus.
(53) Il le descendit,
le roula dans un linceul
et le mit dans une tombe taillée dans le roc, où personne encore n’avait été placé.
(54) C’était le jour de la Préparation, et le sabbat commençait à poindre.
Puis, Marie le coucha dans une mangeoire… Le verbe grec traduit ici par « coucher » n’intervient que trois fois dans l’Evangile de Luc, ici et en Lc 12,37 et 13,29. Le contexte est toujours celui d’un repas, pris « à la romaine », étendu sur un divan ou à terre sur des tapis et des coussins :
Lc 12,35-38 : «Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées.
(36) Soyez semblables, vous, à des gens qui attendent leur maître à son retour de noces, pour lui ouvrir dès qu’il viendra et frappera.
(37) Heureux ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller !
En vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table et, passant de l’un à l’autre, il les servira.
(38) Qu’il vienne à la deuxième ou à la troisième veille,
s’il trouve les choses ainsi, heureux seront-ils!
Lc 13,29 : Et l’on viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, prendre place au festin dans le Royaume de Dieu.
Jésus est donc « étendu » dans « la mangeoire » (Lc 2,7.12.16 ; 13,15 : « chacun de vous, le sabbat, ne délie-t-il pas de la crèche son bœuf ou son âne pour le mener boire ? ») comme on est étendu à l’occasion d’un repas… Mais il s’agit moins ici pour lui de manger que de se donner en nourriture… Jésus est ainsi déjà présenté comme le Pain de Vie offert à tous les hommes (Jn 6,35.48), un Pain qui sera sa Chair « donnée pour la vie du monde » (Jn 6,51) lors de son sacrifice librement consenti, par amour, sur la Croix…
Enfin, St Luc précise qu’il n’y avait pas de place pour eux dans « la salle », un terme qui n’intervient que deux fois dans tout l’Evangile, ici et en Lc 22,11 où ce même mot[9] désigne « la salle, la pièce » où Jésus vivra son dernier repas avec ses disciples, repas où il instituera l’Eucharistie juste avant sa Passion :
Lc 22,7-20 : Vint le jour des Azymes, où devait être immolée la pâque,
(8) et il envoya Pierre et Jean en disant :
« Allez nous préparer la pâque, que nous la mangions. »
(9) Ils lui dirent : «Où veux-tu que nous préparions ? »
(10) Il leur dit : « Voici qu’en entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme
portant une cruche d’eau.
Suivez-le dans la maison où il pénétrera,
(11) et vous direz au propriétaire de la maison :
“ Le Maître te fait dire : Où est la salle
où je pourrai manger la pâque avec mes disciples ? ”
(12) Et celui-ci vous montrera, à l’étage, une grande pièce garnie de coussins ;
faites-y les préparatifs. »
(13) S’en étant donc allés, ils trouvèrent comme il leur avait dit,
et ils préparèrent la pâque.
(14) Lorsque l’heure fut venue, il se mit à table, et les apôtres avec lui.
(15) Et il leur dit : « J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir ;
(16) car je vous le dis, jamais plus je ne la mangerai
jusqu’à ce qu’elle s’accomplisse dans le Royaume de Dieu. »
(17) Puis, ayant reçu une coupe, il rendit grâces
et dit : «Prenez ceci et partagez entre vous ;
(18) car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit de la vigne
jusqu’à ce que le Royaume de Dieu soit venu. »
(19) Puis, prenant du pain, il rendit grâces,
le rompit et le leur donna, en disant :
« Ceci est mon corps, donné pour vous ;
faites cela en mémoire de moi. »
(20) Il fit de même pour la coupe après le repas, disant :
« Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous ».
Notons enfin que Bethléem, en hébreu, signifie « la maison du pain ».
Ainsi, Jésus, né à Bethléem, enveloppé de langes, couché comme pour un repas dans une mangeoire[10], préfigure-t-il pour St Luc ce Jésus « Pain de Vie », comme l’appellera St Jean, qui s’offrira lui-même en nourriture pour le salut du monde, se laissera coucher sur une croix, mourra, sera enveloppé dans un linceul puis mis au tombeau… Ainsi, cette « salle » où il vient de naître annonce-t-elle déjà cette « salle » où, quelques heures avant de mourir, il instituera l’Eucharistie, nous donnant à manger « son corps et son sang » pour que nous puissions tous vivre de sa vie. A peine né, Jésus apparaît donc déjà comme celui que le Père donne au monde en nourriture (Jn 6,32-33) pour le sauver de la mort et l’introduire, dès maintenant, par la foi, dans sa vie éternelle et bienheureuse…
Crèche, Notre Dame de Paris
Les bergers
Cette figure des bergers est ambivalente. Aux yeux des Pharisiens, ils appartenaient au groupe des pécheurs. Certains, lorsqu’ils étaient seuls dans les pâturages avec le troupeau qui leur avait été confié, devaient en effet en profiter d’une manière ou d’une autre pour leur propre avantage… Ils avaient donc « une mauvaise réputation en Palestine où on les tenait souvent pour malhonnêtes et voleurs. Le Talmud de Babylone les range dans une catégorie significative : « Il est difficile pour des bergers, des collecteurs d’impôts et des publicains de faire pénitence » », car si quelqu’un voulait se repentir, il se devait de dédommager tous ceux qu’il avait lésés, une mission humainement impossible pour les professions citées précédemment : trop de personnes à retrouver, à indemniser…
Mais si l’on tient compte de ce contexte général, la manifestation de l’Ange du Seigneur à leur égard n’en est que plus belle. Jésus, en effet, n’est pas venu pour ceux qui se croient justes ou qui sont considérés comme tels dans la société, mais pour les pécheurs comme il le dira souvent lui-même dans l’évangile :
Lc 5,8-11 (Jésus se choisit des pécheurs) :
Une fois les filets remplis de poissons, en obéissance à la Parole du Christ,
« Simon-Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant :
« Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur!»
(9) La frayeur en effet l’avait envahi, lui et tous ceux qui étaient avec lui,
à cause du coup de filet qu’ils venaient de faire ;
(10) pareillement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon.
Mais Jésus dit à Simon :
« Sois sans crainte ; désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
(11) Et ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent.
Lc 5,30-32 : Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient à ses disciples :
« Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? »
(31) Et, prenant la parole, Jésus leur dit :
« Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades ;
(32) je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir. »
Lc 7, 33-35 : Jésus disait :
« Jean le Baptiste est venu, ne mangeant pas de pain ni ne buvant de vin,
et vous dites : “ Il est possédé ! ”
(34) Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites :
“ Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs ! ”
(35) Et la Sagesse a été justifiée par tous ses enfants. »
Lc 15,1-7: « Tous les publicains et les pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’entendre.
(2) Et les Pharisiens et les scribes de murmurer :
« Cet homme, disaient-ils, fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! »
(3) Il leur dit alors cette parabole :
(4) «Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis et vient à en perdre une,
n’abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert
pour s’en aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée?
(5) Et, quand il l’a retrouvée, il la met, tout joyeux, sur ses épaules
(6) et, de retour chez lui, il assemble amis et voisins et leur dit :
“Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, ma brebis qui était perdue!”
(7) C’est ainsi, je vous le dis,
qu’il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent
que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n’ont pas besoin de repentir ».
Dans un tel contexte, la manifestation de la gloire de Dieu aux bergers apparaît comme un acte révélateur de la Miséricorde de ce Dieu qui a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui :
Jn 3,14-17 : Comme Moïse éleva le serpent dans le désert,
ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme,
15 – afin que quiconque croit ait en lui la vie éternelle.
16 – Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique-Engendré,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle.
17 – Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde,
mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 – Qui croit en lui n’est pas jugé ;
qui ne croit pas est déjà jugé,
parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils Unique de Dieu ».
Les bergers sont les premiers bénéficiaires de la Révélation de cette Miséricorde de Dieu qui est venu se manifester à nous en Jésus Christ. Oui, Jésus est bien cet Astre d’En Haut qui a visité les hommes « dans les entrailles de miséricorde de notre Dieu » pour leur donner de « connaître le salut par la rémission de leurs péchés » (Lc 1,76-79)… D’ailleurs, le premier mot qui apparaîtra dans la bouche de l’Ange pour qualifier Jésus sera celui de « Sauveur »… Alors quelle joie pour ceux et celles qui reconnaîtront leur besoin d’être sauvés : ils sont fait pour « le Sauveur du monde » (Jn 4,42)… Avec Lui et par Lui, Dieu le Père vient sauver tous les hommes (cf. Lc 1,47) en leur offrant le pardon de toutes leurs fautes.
Ac 5,30-31 (Pierre à ceux qui avaient contribué à la mort de Jésus en le livrant aux Romains) :
« Le Dieu de nos pères a ressuscité ce Jésus
que vous, vous aviez fait mourir en le suspendant au gibet.
31 – C’est lui que Dieu a exalté par sa droite,
le faisant Chef et Sauveur,
afin d’accorder par lui à Israël la repentance et la rémission des péchés ».
Avec ce dernier texte, « se repentir » apparaît même comme un Don de Dieu et de sa Grâce. En effet, lui « qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6) ne cesse, avec son Fils et par Lui, de frapper à la porte de tous les cœurs :
Ap 3,20 : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi ».
Et le premier cadeau que Dieu offre, un cadeau renouvelé jour après jour, instant après instant, avec une infinie patience, est le pardon de toutes nos fautes, et la possibilité de retrouver le chemin d’une communion vraie et profonde avec Lui… Aussi, disait St Paul, « nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2Co 5,20), acceptez de recevoir son Pardon, et de repartir avec Lui sur des routes nouvelles : celles de sa Vie, de sa Plénitude et de sa Paix… « Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis, heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense, et dont l’esprit est sans fraude » (Ps 32(31),1-2). Alors, il bénira le Seigneur pour la Paix du Cœur, et la Plénitude de Vie qui lui est à nouveau offerte…
1 – Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 – Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !
3 – Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 – il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse »…
Ainsi, grâce à Dieu, de pardon en pardon, nous pourrons arriver là où il nous attend tous : en sa Maison, auprès de Lui, dans sa Lumière et son Amour… Prions les uns pour les autres pour qu’il en soit effectivement ainsi…
Avec le Christ et par le Christ, Dieu est donc le « Pasteur d’Israël »(Ps 80,2). Cette notion de « pasteur » étant ambivalente, comme nous l’avons vu, il est cependant intéressant de noter que ce titre intervient explicitement quatre fois pour Dieu dans tout l’Ancien Testament (Gn 48,15 ; 49,24 ; Ps 23,1 ; 80,2). « Quatre » étant un symbole d’universalité (les quatre points cardinaux : le nord, le sud, l’est, l’ouest), nous avons peut-être ici un clin d’œil de l’Esprit Saint pour suggérer que le Dieu qui commence à se révéler dans l’Ancien Testament est bien le Créateur de tous les hommes (Gn 1-2) qui désire que tous soient comblés de sa bénédiction (Gn 12,3), de sa Lumière et de sa Vie…
Cette image du Pasteur est très vivante dans l’expérience et la piété d’Israël. Elle est souvent reprise pour décrire le soin attentif de Dieu, « gardien d’Israël » (Ps 121,4), vis à vis de son peuple, « troupeau de son bercail » (Ps 79,13; 95,7; 100,3): il marche devant lui (Ps 68,8), le conduit (Ps 28,9) par la main de Moïse et d’Aaron (Ps 77,21), l’amène vers son saint territoire (Ps 78,52s), se met en colère contre lui quand il est infidèle et rebelle (Ps 74,1).
Le mouvement prophétique reprendra ce thème en des textes où transparaît toute la tendresse de Dieu :
Is 40,10-11 : Voici le Seigneur, il vient avec puissance…
(11) Comme un pasteur, il paîtra son troupeau ; par son bras, il rassemblera les agneaux et réconfortera les brebis qui doivent mettre bas.
Le prophète Jérémie avait déjà employé cette image (23,3 ; cf 31,10) et dénoncé les pasteurs qui avaient reçu comme vocation de paître le peuple d’Israël. Hélas, ils ne se sont pas occupés du troupeau qui leur avait été confié ; pire, ils ont chassé les brebis et les ont dispersées (Jr 23,2) ; Ezéchiel reprendra et développera cette critique sévère et annoncera que le Seigneur va leur reprendre son troupeau : il va arracher ses brebis de leur bouche afin qu’elles ne soient plus pour eux une proie (34,7-10). Désormais, déclare le Seigneur (34,11-16) :
Ez 34,11-16 : Voici que je rechercherai moi-même mes brebis et je leur porterai secours.
(12) Comme un pasteur cherche son troupeau dans le désert,
alors que les ténèbres et la nuée étaient au milieu des brebis dispersées,
ainsi, je rechercherai mes brebis et je les pousserai hors de tous les lieux
où elles furent dispersées au jour de nuée et de ténèbres.
(13) Je les ferai sortir des peuples où ils sont, je les rassemblerai des pays étrangers
et je les conduirai dans leur terre ; je les ferai paître sur les montagnes d’Israël,
dans les ravins et dans tous les lieux habités du pays;
(14) dans un bon pâturage, je les ferai paître et leurs étables seront sur la plus haute des montagnes d’Israël ; là, ils se reposeront, là ils se coucheront dans un bien-être total
et, sur les montagnes d’Israël, ils se repaîtront dans un gras pâturage.
(15) C’est moi qui ferai paître mes brebis et c’est moi qui les ferai reposer,
et elles connaîtront que je suis le Seigneur, oracle du Seigneur Dieu.
(16) Je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée,
je banderai celle qui est blessée, je fortifierai celle qui défaille,
je veillerai sur celle qui est forte (ou bien portante),
je les ferai paître avec justice.
Ainsi, « les textes rabbiniques, critiques à l’égard des bergers, n’ont pas assez de poids pour compenser le rôle positif que les écrits bibliques leur accordent. D’une part, Israël se comprend comme un peuple de bergers, en opposition à ses voisins citadins ou paysans sédentaires. Comme les grands peuples voisins, il s’est d’autre part servi du titre de berger aussi bien pour désigner son Dieu que son roi ou son Messie ». Et François Bovon cite en note Philon d’Alexandrie, juif contemporain du Christ, qui écrit : « En vérité, la tâche du berger est si haute que l’on attribue justement non seulement aux rois, aux sages, aux âmes d’une pureté parfaite, mais encore au Dieu souverain ». « Et Philon » ajoute-t-il « trouve dans le Ps 22(23),1 la preuve scripturaire de son affirmation »[11].
Notons néanmoins avec le prophète Ezéchiel que Dieu parle de « ces ténèbres » où se retrouvent les brebis dispersées… Et dans St Luc, les bergers étaient en train de garder les brebis « dans les veilles de la nuit », dans les ténèbres… Et c’est au cœur de ces ténèbres qu’ils vont voir jaillir la beauté et la lumière de la gloire de Dieu, une situation qui peut rappeler ces paroles d’Isaïe, chantées par l’église à Noël :
Is 9,1-6 : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière,
sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi.
(2) Tu as multiplié la nation, tu as fait croître sa joie ; ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit à la moisson, comme on exulte au partage du butin.
(3) Car le joug qui pesait sur elle, la barre posée sur ses épaules, le bâton de son oppresseur, tu les as brisés comme au jour de Madiân.
(4) Car toute chaussure qui résonne sur le sol, tout manteau roulé dans le sang,
seront mis à brûler, dévorés par le feu.
(5) Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom : Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-paix,
(6) pour que s’étende le pouvoir dans une paix sans fin sur le trône de David et sur son royaume, pour l’établir et pour l’affermir dans le droit et la justice.
Dès maintenant et à jamais, l’amour jaloux de Yahvé Sabaot fera cela.
Telle est bien « la Bonne Nouvelle » annoncée par les Anges :
« N’ayez pas peur, car voici que je vous annonce la Bonne Nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple…
Ce verbe « annoncer une Bonne Nouvelle » intervient dix fois en St Luc : 1,19 (l’Ange à Zacharie) ; 2,10 ; 3,18 (Jean-Baptiste) ; 4,18 (Jésus citant Isaïe) ; 4,43 (Jésus envoyé pour annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux) ; 7,22 (Jésus aux disciples de Jean-Baptiste : la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres) ; 8,1 (Jésus annonce la Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux) ; 9,6 (Les Douze envoyés annoncer la Bonne Nouvelle) ; 16,16 ; 20,1 (Jésus annonce la Bonne Nouvelle dans le Temple).
La Bonne Nouvelle est directement ici celle d’une grande joie qui sera offerte, destinée à tous, et elle commence dès « aujourd’hui » :
Lc 2,11 : « Aujourd’hui a été enfanté pour vous dans la cité de David
un Sauveur qui est le Christ Seigneur »…
« Khristos » intervient ici pour la première fois dans l’Evangile de Luc. On le retrouvera en 2,26 ; 3,15 ; 4,41 ; 9,20 ; 20,41 ; 22,67 ; 23,2 ; 23,35 ; 23,39 ; 24,26 ; 24,46 (12 fois en tout). Jésus est ainsi clairement désigné par Dieu lui-même, à travers ses anges, comme étant le Messie promis, celui sur qui reposera la Plénitude de l’Onction de Dieu (« Khriô, oindre) qui lui donnera, comme nul autre ne l’a fait et ne le fera, d’annoncer en paroles et en actes la Bonne Nouvelle du salut aux pauvres (Lc 4,18-19).
« Iésous » est d’ailleurs l’équivalent grec de l’hébreu Yeshua, forme plus courte de Yehôsua, ou Josué (Jos 1,1), nom pris par le successeur de Moïse, et qui veut dire originellement « Le Seigneur (Yahvé) aide » ou « Seigneur, au secours » ; mais une étymologie populaire a relié, par assonance, la forme courte au verbe « sauver », et au nom « salut », d’où le sens de « Le Seigneur sauve ». Si Luc n’y fait pas allusion, Matthieu ne manque pas de le souligner :
Lc 1,31 : « Et voici que tu concevras en (ton) sein et tu enfanteras un fils
et tu l’appelleras du nom de Jésus ».
Mt 1,21: « Elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus
Car (c’est) lui (qui) sauvera son peuple de ses péchés. »
« Loin d’être une désignation conventionnelle, le nom exprime pour les anciens le rôle d’un être dans l’univers. » Pour les hommes, « le nom donné à la naissance exprime ordinairement l’activité ou la destinée de celui qui le porte »[12].
La mission de Jésus consiste donc à « sauver »… et, pour reprendre l’expression de Matthieu, à « sauver » son peuple de ses péchés, une conviction qui habite constamment St Luc comme en témoigne le vocabulaire même qu’il emploie :
Mt |
Mc |
Lc |
Jn |
Ac |
|
« Sauver » |
15 |
15 |
17 |
6 |
13 |
« Sauver (à travers) » |
1 |
– |
1 |
– |
5 |
« Sauveur » |
– |
– |
2 |
1 |
2 |
« Salut » |
– |
– |
4 |
1 |
6 |
« Salut » (synonyme) |
– |
– |
2 |
– |
1 |
Total pour le vocabulaire du salut |
16 |
15 |
26 |
8 |
27 |
Regardons rapidement la notion de salut en St Luc.
– Sens profane
Il s’agit alors d’évoquer un salut opéré par des hommes ou, dans une forme impersonnelle, de décrire l’action d’échapper à un danger, quel qu’il soit (maladie, naufrage, combat…). Ainsi en Lc 9,24a: « Qui veut sauver sa vie la perdra ».
« Vouloir sauver sa vie » ici, c’est vouloir la préserver, c’est refuser de la risquer, plus encore de la donner : c’est vouloir la garder pour soi…
De même en 23,35 (cf 23,39), dans les railleries des chefs du peuple, à l’heure où Jésus est sur la croix : « Il (en) a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même, si celui-là est le Christ de Dieu, l’Elu! »
Pour eux, si Jésus était vraiment le Messie attendu, il aurait la puissance d’échapper, par ses propres forces, au danger suprême d’une mort prochaine…
– Sens « eschatologique », tourné vers ce salut futur encore à venir. Ainsi en Lc 9,24b (cf Lc 13,23; 18,26; 21,19.22-23) : … « mais celui qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera ».
Le futur du verbe, le caractère radical et universel de l’affirmation, le contexte du doublet de ce verset en 17,33, qui évoque le retour du Fils de l’Homme au dernier Jour (17,30), tous ces éléments tournent le regard vers le monde à venir…
– Dans les récits de guérison
Luc emploie aussi le verbe « sauver »:
– En accord avec Marc et/ou Matthieu pour l’hémorroïsse guérie (8,48 : « Femme, ta foi t’a sauvée » ; Mt 9,22; Mc 5,34) et l’aveugle de Jéricho (18,42 : « Vois de nouveau! Ta foi t’a sauvé »), la petite fille de Jaïre (8,50 : « N’aie pas peur, crois seulement et elle sera sauvée » ; Mc 5,23), la question sur la légitimité de Jésus à « sauver » ou non un jour de Sabbat (6,9 : « Je vous le demande: « Est-il permis le jour du Sabbat de faire du bien ou de faire du mal, de sauver une vie ou de la perdre? » » ; Mc 3,4).
– Dans des passages propres (7,3 ; 8,36 ; Ac 4,9 : « Comment celui-çi – le mendiant de la Belle Porte – a été sauvé; 14,9).
En Ac 4,12, Luc lui‑même explique comment interpréter ce « salut ». Dans ce passage, Pierre explique comment le mendiant de la Belle Porte a été guéri/sauvé : « par le Nom de Jésus Christ le Nazôréen », et, en conclusion de son discours, il déclare solennellement :
« Et le salut n’est en aucun autre, car il n’y a pas d’autre nom sous le ciel donné aux hommes par qui nous devons être sauvés ».
Les Juifs considérant la personne comme un tout indissociable, la « guérison » du corps ne pouvait qu’être un aspect de la guérison totale : « Aux yeux de Luc, le salut ne se ramène pas à une guérison ou à un rétablissement physiques. Même s’il exprime de tels secours par le verbe sauver, Luc entend témoigner dans son oeuvre d’un salut aux dimensions d’une tout autre ampleur. Les cas de salut physique ont une fonction symbolique : ils illustrent le salut éternel… »[13], ils en sont les signes visibles…
– Le salut « déjà là »
St Luc emploie alors le vocabulaire du salut, non pas dans le cadre d’une guérison physique, mais dans celui d’une intervention de Dieu qui atteint le cœur de la personne croyante et la sauve. Jésus déclare ainsi à la pécheresse pardonnée et aimante :
Lc 7,48 : « Tes péchés sont pardonnés ».
Lc 7,50 : « Ta foi t’a sauvée ; va en paix ».
Le salut est donc d’abord ici le pardon des péchés, accueilli dans la foi et qui permet à cette femme d’accéder à une vie nouvelle, dans l’amour et la paix.
Notons que le Christ emploie pour elle une formule identique à celle rencontrée dans les guérisons de l’hémorroïsse et de l’aveugle de Jéricho : « Ta foi t’a sauvé ». Nous retrouvons par ce parallèle l’unicité de ce salut offert, un salut qui devient efficace au moment de l’acte de foi… Dieu n’attend que le « oui » de notre foi pour agir et déployer en nous, comme pour Marie, toute la puissance de son amour. Cet acte de foi devient aussi l’instant où toute notre vie bascule pour devenir une vie de « sauvés », c’est à dire une vie en communion avec Dieu, dans la paix… Cette union à Dieu peut dorénavant durer toujours car elle est toujours offerte, instant après instant…
Tel est le sens du temps employé ici en grec, un « parfait » qui décrit une action passée dont les répercussions se font encore sentir dans le présent du texte : « Ta foi t’a sauvée (dans le passé, à l’instant où tu n’as pas refusé de me donner ta confiance) – et cet état de « sauvé » demeure maintenant, à l’instant où je te parle »…

Notons que la guérison physique seule n’est pas « automatiquement » un signe de salut : il faut la foi qui reconnaît en Jésus la présence agissante de Dieu. Tel est le sens de Lc 17,11-19 où nous voyons Jésus guérir dix lépreux qui l’avaient supplié… Le texte nous dit alors qu’ils furent tous purifiés, mais un seul revint à Jésus :
Lc 17,15-16 : « Un d’entre eux, voyant qu’il était guéri, retourna en glorifiant Dieu d’une voix forte
(16) et il tomba sur la face à ses pieds en lui rendant grâces ; et lui était Samaritain. »
On pourrait penser que ce lépreux chante la puissance de Jésus pour sa guérison, mais non… Il a reconnu en elle une œuvre de Dieu, et c’est Lui qu’il glorifie d’une voix forte… Va-t-il alors se diriger vers le Temple de Jérusalem, ou pour les Samaritains vers celui du Mont Garizim, pour se prosterner devant le Saint des Saints, là où Dieu habitait, pour lui rendre grâces ? Non… Il se dirige vers Jésus, et c’est devant lui qu’il tombe sur la face à ses pieds, en signe d’humilité et de profond respect[14] et c’est à lui qu’il rend grâces. Nous avons ici le seul exemple de tout le Nouveau Testament où le verbe « rendre grâces », est appliqué à Jésus… En effet, sur les 38 cas où il intervient, à l’exception de la finale aux Romains (16,4) où Paul « est reconnaissant à » Prisca et Aquilas d’avoir risquer leur tête pour lui sauver la vie, il est toujours appliqué à Dieu (36 fois)… La conjonction des deux expressions, « tomber la face contre terre » et « rendre grâces », appliquées à Jésus pointe donc très fortement ici vers le mystère du Christ, vrai Dieu et vrai homme[15]…
Enfin, c’est à ce lépreux revenu à lui en louant Dieu et à lui seul que Jésus va déclarer : « Ta foi t’a sauvé » (Lc 17,19). Le « salut » ne consiste donc pas simplement en une guérison physique, puisque celle-ci a été accordée aussi aux neuf autres. Seul est dit « sauvé » celui qui a su lire, avec les yeux de la foi, le signe de sa guérison, pour reconnaître en elle le salut de Dieu offert par le Christ…
Enfin, lorsque Zachée, après avoir accueilli Jésus avec joie dans sa maison, décide de renoncer à tout ce qu’il aurait pu faire de mal dans sa vie, réparant au quadruple les torts commis et partageant ses biens avec les pauvres, Jésus lui déclare qu’aujourd’hui le salut est arrivé pour lui :
Lc 19,9-10 : Jésus lui dit: « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison parce que lui aussi est un fils d’Abraham.
(10) Le Fils de l’Homme est en effet venu chercher et sauver ce qui était perdu ».
Le terme « perdu », n’intervient en St Luc qu’ici et dans la parabole de la brebis perdue (Lc 15,4.6) et du Fils prodigue (Lc 15,24.34)…
« Ce salut présent est la tâche de Jésus. Il s’opère par la conversion de celui qui « était perdu » et suscite en lui la justice et la charité »[16]. On retrouve ce salut « déjà donné », « déjà présent », dans le Livre des Actes des Apôtres, et notamment en 2,47b :
Le Seigneur ajoutait les « étant sauvés » chaque jour à la communauté.
Ce participe présent passif, indique une action en train de se réaliser. Il a pour sujet sous entendu « Dieu » (passif « théologique ») qui sauve par le don de l’Esprit, accomplissant ainsi les prophéties et inaugurant « les derniers jours ».
Remarquons avec F. Bovon[17] qu’en Ac 2,14-21, St Luc poursuit la citation du prophète Joël évoquant la venue du Jour du Seigneur, avec tous les bouleversements cosmiques qui devaient l’accompagner, uniquement pour arriver à la première partie du verset 5 de Jl 3, ce qui lui permet d’ouvrir la perspective du salut universel :
« Et il sera tout (homme) qui invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ».
Cette citation partielle de Jl 3,5 révèle bien le souci de St Luc de montrer que le salut de Dieu en et par Jésus Christ est offert à l’humanité tout entière, car la suite de Jl 3,5 ne mentionne que les habitants de Jérusalem:
Jl 3,5 (LXX) : Et il sera tout (homme) qui invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.
car sur le mont Sion et à Jérusalem il y aura un salut[18] (il sera « étant sauvé »)…
Mais c’est justement cette mention de Jérusalem, restrictive maintenant à ses yeux, que St Luc ne cite pas… Jésus est vraiment le Sauveur de tous les hommes, sans exception…
St Luc agit exactement de la même façon au début de son Evangile en 3,4-6 : comme Marc et Matthieu, il cite Is 40 pour éclairer la mission de Jean‑Baptiste, mais lui seul va jusqu’à Is 40,5 qui évoque un salut universel :
Mt 3,3b |
Mc 1,3 |
Lc 3,4-6 |
Voix du criant dans le désertPréparez le chemin du SeigneurRendez droitsses sentiers. |
Voix du criant dans le désertPréparez le chemin du SeigneurRendez droitsses sentiers. |
Voix du criant dans le désertPréparez le chemin du SeigneurRendez droitsses sentiers.(5) (…)(6) Et toute chair verrale salut de Dieu. |
j Dieu Sauveur en Lc 1-2
Jésus, pour St Luc, est donc « le Sauveur », « venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10), en Israël et dans toutes les nations (24,47)… Cette présentation de Jésus comme Sauveur d’Israël et du monde entier est particulièrement présente dans les deux premiers chapitres de l’Evangile :
1 – En Lc 1,47, Marie, la première, chante Dieu comme « son Sauveur »:
Mon âme célèbre (glorifie; magnifie; exalte) le Seigneur et mon esprit jubile (est rempli d’allégresse) à cause de Dieu mon Sauveur…
Le verbe employé exprime une réaction face à l’action de quelqu’un qui de son côté a « rendu grand » quelque chose… Ce même verbe apparaît à nouveau en 1,58 pour exprimer que Dieu a « rendu grand » sa miséricorde à l’égard d’Elisabeth en lui permettant d’avoir un enfant… il disparaît ensuite de l’Evangile pour réapparaître seulement dans les Actes des Apôtres[19]…
Notons bien qu’ici c’est Dieu qui est « Seigneur » et « Sauveur »…
2 – En Lc 1,69.71.77, c’est au tour de Zacharie de bénir le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui « a délivré son peuple et lui a suscité une puissance de salut » (faire se lever, ériger, dresser une corne de salut) « le sauvant de ses ennemis », (un salut de nos ennemis) « pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon de ses péchés ».
3 – En Lc 2,11, l’Ange du Seigneur annonce aux bergers une grande joie, qui sera aussi celle de tout le peuple: « Aujourd’hui vous est né, dans la cité de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur… »
En 1,47, Marie chantait Dieu comme son Seigneur et son Sauveur… Ici, c’est Jésus qui est appelé « Seigneur » et « Sauveur »… Quelque chose de Jn 10,30, « Moi et le Père nous sommes un[20] » se laisse ici pressentir… tout comme dans le nom donné à Jésus lors de l’Annonciation à Joseph en Mt 1,23 : « Dieu avec nous… ».
4 – Enfin, en Lc 2,28-32 Syméon loue à son tour le Seigneur Dieu, son Maître Souverain, car ses yeux « ont vu son salut », c’est à dire Jésus, « préparé à la face de tous les peuples », « lumière pour une révélation aux nations », « et gloire de ton peuple Israël »… Nous retrouvons ici, indirectement, l’étymologie populaire du nom de Jésus, « Dieu sauve » : Jésus est « le salut de Dieu »… en tant que Dieu sauve par Lui, à travers Lui, en Lui « tous les hommes »: la mission universelle de Jésus est ici fortement soulignée: Israël et « les nations », « tous les peuples »…
Ce salut offert par Dieu en et par Jésus Christ n’a d’autre source que sa miséricorde, c’est-à-dire son amour têtu, fidèle, obstiné, inébranlable pour tous les hommes… Tout jaillit de cette miséricorde, de cet amour indéfectible qui constitue notre seule vraie joie… Et Luc, toujours dans ces deux premiers chapitres de son Evangile, en parallèle avec la présentation de Jésus comme Sauveur, va employer 5 fois sur un total de 6 ce terme de « miséricorde » :
1 – En 1,50, Marie, la première, « tressaille de joie » (1,47) en constatant que « la miséricorde de Dieu » s’étend vraiment de génération en génération sur tous ceux qui le craignent ». Noter à nouveau l’ouverture « sous entendue » de ce texte, après le v.48 où Marie disait que « désormais, toutes les générations » la diront bienheureuse…
2 – En 1,54, dans ce même contexte de joie qui éclaire toute sa louange, Marie chante à nouveau « la miséricorde de Dieu » en précisant cette fois le bénéficiaire : Israël, son serviteur… « Il a secouru Israël son serviteur, en souvenir de (sa) miséricorde »…
3 – En 1,58, Elisabeth la stérile est devenue féconde par la miséricorde de Dieu, et tous ses voisins et tous les membres de sa famille se réjouissaient avec elle…
4 – En 1,72, c’est au tour de Zacharie de bénir Dieu pour sa miséricorde envers les Pères du peuple d’Israël…
5 – Enfin, en 1,78, Zacharie à nouveau affirme haut et fort que la connaissance du salut jaillit de l’expérience du pardon de Dieu rendue possible « grâce aux entrailles de miséricorde de notre Dieu », qui nous a fait passer des ténèbres de la mort à la Lumière et à la Paix d’une Vie en sa présence…
Il faudra ensuite attendre le chapitre 10 de l’Evangile pour retrouver pour la dernière fois ce terme de « miséricorde », en un texte où Jésus nous invite à être le prochain de tout homme, fût-il notre pire ennemi, en exerçant la miséricorde à son égard :
Lc 10:37 : Et lui dit: « Celui qui « a fait miséricorde » à son égard ».
Jésus lui dit alors: « Va, et toi, fais de même ».
Cette invitation est une illustration de Lc 6,36 où Luc invite de façon générale à la miséricorde avec un synonyme de la notion de « miséricorde », synonyme qui n’intervient qu’ici dans toute son œuvre :
Lc 6,36 : Soyez (devenez) miséricordieux comme votre Père est miséricordieux…
Dieu Sauveur et Miséricordieux : telle est la source de la Paix offerte à tous les hommes « qui ont sa faveur » (de Dieu ; Osty), « aux hommes objets de sa complaisance » (BJ)… Notons que ce texte grec peut se traduire par « les hommes de bonne volonté », « les hommes bienveillants »… Tel fut le choix de St Jérôme (Vulgate) : « gloria in altissimis Deo et in terra pax in hominibus bonae voluntatis, gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ».
Mais la grande majorité de nos traductions ont :
BJ : Paix aux hommes objets de sa complaisance.
TOB : paix pour ses bien-aimés.
CNPL : Paix sur la terre aux hommes qu’il aime.
Et en Lc 2,12, « le signe » qui sera donné aux hommes de cette action miséricordieuse décisive de Dieu à leur égard sera le Christ lui-même en son humanité, ici celle d’un petit bébé couché dans une mangeoire, qui, plus tard, sera « un signe en butte à la contradiction » (Lc 2,34). On mesure à la lecture de ces quelques versets l’aveuglement spirituel de certains scribes et pharisiens qui, face à Jésus, lui demandait un signe :
Lc 11,16 : D’autres, pour le mettre à l’épreuve, réclamaient de lui un signe venant du ciel.
Lc 11,29-32 Comme les foules se pressaient en masse, il se mit à dire :
«Cette génération est une génération mauvaise;
elle demande un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas.
(30) Car, tout comme Jonas devint un signe pour les Ninivites,
de même le Fils de l’homme en sera un pour cette génération.
(31) La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec les hommes de cette génération
et elle les condamnera,
car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon,
et il y a ici plus que Salomon!
(32) Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération
et ils la condamneront,
car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas!
« Contrairement à la lecture qu’en fait Mt 12,40[21], le signe de Jonas n’a rien à voir ici avec la Résurrection du Fils de l’Homme au matin de Pâques. Dans l’explication donnée (v. 30), ce signe n’est rien d’autre que l’appel à la conversion lancé par Jonas aux Ninivites – une des populations païennes les plus cruelles de l’Antiquité – ; il déboucha sur une réussite totale : le roi, les hommes et même les bêtes firent pénitence en jeûnant et en se couvrant de sacs. De même cette génération n’aura pas d’autre signe que le Fils de l’Homme et sa prédication ; le seul signe, c’est l’invitation à la conversion. N’allons pas trop vite juger que Dieu et son Christ ont été avares de signes. La parabole du riche et de Lazare soulignera justement que celui qui ne se convertit pas en écoutant la Parole de Dieu ne le ferait pas plus en voyant un mort ressusciter »[22]…
Enfin, notons combien la fin du texte insiste sur la réalisation de la Parole de Dieu, conformément à tout ce qu’avaient dit les Anges… Tout ce que dit le Seigneur, il le fait.
Jacques Fournier