Fête de St Timothée et St Tite : la vocation de tout être humain à être « fils » à l’image du Fils.
LECTURES DE LA MESSE de ce Jeudi 26 janvier 2023
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée (2 Tm 1, 1-8)
Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu,
selon la promesse de la vie que nous avons dans le Christ Jésus,
à Timothée, mon enfant bien-aimé.
À toi, la grâce, la miséricorde et la paix
de la part de Dieu le Père et du Christ Jésus notre Seigneur.
Je suis plein de gratitude envers Dieu,
à qui je rends un culte avec une conscience pure, à la suite de mes ancêtres,
je lui rends grâce en me souvenant continuellement de toi dans mes prières, nuit et jour.
Me rappelant tes larmes, j’ai un très vif désir de te revoir pour être rempli de joie.
J’ai souvenir de la foi sincère qui est en toi :
c’était celle qui habitait d’abord Loïs, ta grand-mère, et celle d’Eunice, ta mère,
et j’ai la conviction que c’est aussi la tienne.
Voilà pourquoi, je te le rappelle,
ravive le don gratuit de Dieu,
ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains.
Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné,
mais un esprit de force, d’amour et de pondération.
N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur,
et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ;
mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile.
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 4, 21-25)
En ce temps-là, Jésus disait à la foule :
« Est-ce que la lampe est apportée pour être mise sous le boisseau ou sous le lit ?
N’est-ce pas pour être mise sur le lampadaire ?
Car rien n’est caché, sinon pour être manifesté ;
rien n’a été gardé secret, sinon pour venir à la clarté.
Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »
Il leur disait encore :
« Faites attention à ce que vous entendez !
La mesure que vous utilisez sera utilisée aussi pour vous,
et il vous sera donné encore plus.
Car celui qui a, on lui donnera ;
celui qui n’a pas, on lui enlèvera même ce qu’il a. »
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« Est-ce que la lampe est apportée pour être mise sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour être mise sur le lampadaire ? »
Cette lampe, par excellence, c’est le Christ. « Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12,46). « Je Suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie » (Jn 8,12).
« La lumière de la vie »… En effet, cette « lumière » est « vie » : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1,4). Or cette « vie », sa « vie », le Christ la reçoit de son Père de toute éternité : « Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la vie en lui-même » (Jn 5,26). Et cette réalité est éternelle… Pour nous qui sommes dans le temps, elle est vraie ‘instant présent après instant présent’… « Je vis par le Père », nous dit Jésus (Jn 6,57).
Et si le Père lui donne la vie, s’il l’engendre en lui donnant la vie, c’est uniquement par amour, dans une totale gratuité : « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35). « La main » est ici l’image que St Jean emploie pour évoquer le fait de recevoir… Nous l’avons noté, le verbe « aimer » est conjugué au présent : « le Père aime le Fils », maintenant, et cela est vrai depuis toujours et pour toujours. Et cet amour du Père pour le Fils est la raison pour laquelle il lui donne tout, tout ce qu’il a : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15), nous dit Jésus. Et juste avant de vivre sa Passion il priera en disant : « Père, tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17,10). « Le Père a la vie en lui-même » ? Gratuitement, par amour, il donne au Fils d’avoir la vie en lui‑même, de telle sorte que le Fils reçoit la vie du Père, sa vie, depuis toujours et pour toujours. C’est ce que nous proclamons dans notre Crédo. En donnant la vie au Fils, le Père engendre le Fils; en recevant la vie du Père, le Fils naît du Père… Il est ainsi celui qui est « né du Père avant tous les siècles, engendré non pas créé, consubstantiel au Père, Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu »… Nous l’avons noté, cet engendrement éternel à la vie éternelle est évoqué en termes de « Lumière »… Nous retrouvons ce que St Jean nous dit dans son Evangile : cette « vie » est « lumière », cette « lumière » est « vie », elle est « la lumière de la vie »…
Voilà le Mystère qui se révèle dans le Fils, « la lumière de sa vie » qui est venue briller dans nos ténèbres (cf. Lc 1,76-79) : « La Vie s’est manifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue » (1Jn 1,2)… Et cette « vie », répétons-nous, le Fils la reçoit gratuitement du Père de toute éternité, par amour et dans l’amour… En effet « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et, nous dit le Pape François, « le propre de l’Amour est de se répandre, de se donner » (Audience du mercredi 14 juin 2017). C’est ainsi que le Père se donne au Fils de toute éternité, par amour, lui donnant d’être lui aussi tout ce qu’il est… Le Père est Dieu ? Le Père est Lumière ? Le Fils est « Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu »… Le Père est Amour ? Le Père n’a qu’une seule Parole à dire au Fils : « Je t’aime… Tu es mon Fils Bien Aimé »… Cette Parole est un Acte : le Don de tout ce que le Père est en Lui-même… C’est ce qui se révèle en St Marc au moment où Jésus reçoit le baptême de Jean Baptiste : « Tu es mon Fils Bien Aimé, en toi j’ai mis tout mon Amour » (Mc 1,11, ancienne traduction liturgique), tout ce que Je Suis (cf. Ex 3,14), tout ce que j’ai…
A ce titre, le Fils est « l’héritier » du Père, car tout ce qu’a le Père est à lui… Et en nous révélant son Mystère de Fils, il nous révèle quelle est notre vocation à tous :
Rm 8,28-30 : « Nous savons qu’avec ceux qui l’aiment,
Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu’il a appelés selon son dessein.
Car ceux que d’avance il a discernés,
il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils,
afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères ;
et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ;
ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ;
ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés ».
Car nous sommes tous aimés comme le Fils est aimé :
Jn 17,22-23 : Père, « je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée,
pour qu’ils soient un comme nous sommes un :
moi en eux et toi en moi,
afin qu’ils soient parfaits dans l’unité,
et que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé
et que tu les as aimés comme tu m’as aimé ».
Autrement dit, tout ce qui est « dans le Christ », tout ce qui nous est révélé, tout ce qui a été manifesté, tout cela nous est aussi destiné…
Et le Don de Dieu, le Don gratuit de l’Amour du Père au Fils, ce Don même que nous sommes tous invités à recevoir, accomplira en nous aussi la même œuvre qu’il accomplit dans le Christ de toute éternité : il nous engendrera nous aussi, comme Lui, à la Plénitude de la vie…
St Paul parle ainsi de cette « promesse de la vie que nous avons dans le Christ Jésus » (2Tm 1,1). Et il évoque ensuite « le don gratuit de Dieu » : « Ravive le don gratuit de Dieu » (1,6). Il emploie exactement le même terme grec, « kharisma », qu’en Rm 6,23 : « Le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur. » Ce Don gratuit, c’est « la grâce », fruit de « la miséricorde » de Dieu à notre égard, et dont la conséquence première en nos cœurs est « la paix » : « À toi, la grâce, la miséricorde et la paix de la part de Dieu le Père et du Christ Jésus notre Seigneur » (2Tm 1,2).
Et cette « promesse de la vie » devient concrètement actuelle dans nos cœurs et dans nos vies par le Don de « l’Esprit de la Promesse », l’Esprit promis :
Ep 1,13-14 : « Après avoir entendu la Parole de vérité,
l’Évangile de votre salut, et y avoir cru,
vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse,
cet Esprit Saint qui constitue les arrhes de notre héritage,
et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis,
pour la louange de sa gloire. »
Tel est « le Don de Dieu » par excellence (Jn 4,10-14), ce Don de l’Esprit qui est Lumière et vie, et que le Père, par amour, donne au Fils de toute éternité, l’engendrant ainsi en Fils « consubstantiel au Père »… « J’ai vu l’Esprit descendre et demeurer sur lui », dit Jean Baptiste en St Jean (Jn 1,32-34)…
Père, « tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17,23)… « Le Père lui-même vous aime » (Jn 16,27)… L’entendons-nous ? Y croyons-nous ? Acceptons-nous de tout cœur qu’il en soit ainsi ? C’est l’appel que nous lance Jésus : « Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » Il leur disait encore : « Faites attention à ce que vous entendez ! » Car notre vocation à tous est « d’être cohéritiers du Christ », autrement dit, de recevoir, dans notre condition de créatures, ce que le Fils reçoit du Père de toute éternité, ce Don de l’Esprit par lequel le Père l’engendre en Fils… Et c’est par ce même Don que nous sommes tous appelés à devenir pleinement des « fils à l’image du Fils » :
Rm 8,15-17 : « Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclaves (2Tm 1,7 : « esprit de peur »)
pour retomber dans la crainte ;
vous avez reçu un esprit de fils adoptifs (2Tm 1,7 : « un esprit de force, d’amour et de pondération »)
qui nous fait nous écrier : Abba ! Père !
L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu.
Enfants, et donc héritiers ;
héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ,
puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui. »
1Co 6,11 : « Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés
par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu. »
Voilà ce qui « dans le Fils » a été révélé, manifesté : « Car rien n’est caché, sinon pour être manifesté ; rien n’a été gardé secret, sinon pour venir à la clarté » (Mc 4,22).
Rm 16,25-27 : « J’annonce l’Évangile en prêchant Jésus Christ,
révélation d’un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels,
mais aujourd’hui manifesté,
et par des Écritures qui le prédisent selon l’ordre du Dieu éternel,
porté à la connaissance de toutes les nations
pour les amener à l’obéissance de la foi »…
Ep 3,5-7 : « Ce Mystère n’avait pas été communiqué aux hommes des temps passés
comme il vient d’être révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes,
dans l’Esprit :
les païens sont admis au même héritage,
membres du même Corps,
bénéficiaires de la même Promesse,
dans le Christ Jésus, par le moyen de l’Évangile ».
« Les païens« , autrement dit, dans le contexte de l’époque, « tout être humain », est « admis au même héritage« , c’est-à-dire appelé, invité à recevoir le même « Don de Dieu », le même Esprit. En accueillant ce Don, il sera uni à Dieu dans la communion d’un même Esprit, dans « l’unité de l’Esprit » (Ep 4,3), pour « former ainsi un seul Corps » avec tous ceux et celles qui, comme lui, « auront été abreuvés d’un seul Esprit » (1Co 12,13), un Corps dont le Christ est la Tête (Ep 1,22). Et toutes celles et ceux qui auront consenti à ce Don gratuit de l’Amour, « l’Esprit de la Promesse » (Ep 1,13) se découvriront, en le vivant, les heureux « bénéficiaires de la même Promesse« …
1Co 2,7 – 9 : « Ce dont nous parlons,
c’est d’une sagesse de Dieu, mystérieuse, demeurée cachée,
celle que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour notre gloire,
celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue
– s’ils l’avaient connue, en effet, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire –
mais, selon qu’il est écrit, nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu,
ce que l’oreille n’a pas entendu,
ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme,
tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment »…
Et puisque « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés« , tous, sans aucune exception, « et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4), en consentant à accueillir ce « Don gratuit » de l’Amour, puisse cette volonté de Dieu s’accomplir pour chacun d’entre nous par la mise en oeuvre de « sa Miséricorde » « Toute Puissante » (Lc 1,49-50) qui jour après jour vient « frapper à la porte » de nos coeurs (Ap 3,20) jusqu’à ce qu’ils s’ouvrent…
D. Jacques Fournier
La naissance du Christ Sauveur (Lc 2,1-20)
« Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité » (Lc 2,1). Avec ce recensement, St Luc a voulu relier la naissance du Christ à « un événement de portée mondiale… pour démontrer l’importance mondiale de la naissance de Jésus »[1]. En effet, « tout le monde habité » (Lc 2,1) est concerné, à une époque où l’expression renvoyait en fait au vaste territoire occupé par l’empire romain. « Rome » était ainsi considéré comme « la capitale du monde »…
De plus avec ce recensement décidé par un empereur païen non chrétien, Luc veut montrer à quel point Dieu accomplit son projet avec tous les évènements de l’histoire profane. C’est en effet en obéissant à l’autorité de l’époque que Joseph et Marie arriveront à Bethléem, ville où selon le prophète Michée, devait naître celui qui était appelé à régner sur Israël. Ainsi, « l’action divine se sert du décret de César. Dans les Actes, Dieu se servira encore des mêmes lois romaines pour conduire Paul à Rome annoncer l’Evangile »[2].
Par un recensement, « le monarque voulait connaître le nombre de ses sujets pour les plier à ses exigences militaires et fiscales… L’ἀπογραφὴ (apographé) est l’enregistrement de chaque habitant (âge, profession, état civil, enfants) qui permet de déterminer les obligations militaires et l’impôt personnel[3].
Les sources profanes rapportent qu’Auguste a voulu plus d’une fois faire recenser certaines provinces ou évaluer ses biens propres. Il semble que ces recensements aient eu lieu à périodes fixes (tous les quatorze ans), du moins en Egypte. Mais il n’y a jamais eu de recensement unique pour tout l’Empire. Luc se trompe sur les faits précis, mais rend bien la tendance historique de l’époque, de l’empereur en particulier et de l’effet sur le peuple ».
L’empereur romain Jules César était décédé en 48 av JC. Son nom était ensuite devenu un titre. Auguste sera empereur en 27 av JC et il règnera jusqu’au 19 août 14 ap JC, date de sa mort.
De son côté, Publius Sulpicius Quirinius est bien connu de l’histoire ; il était consul dès 12 av JC, et chargé de la politique romaine dans le Proche Orient. D’après Josèphe, il est légat de Syrie à partir de 6 ap JC. Le premier recensement romain connu en Palestine eut d’ailleurs lieu cette année-là, à l ‘occasion de l’incorporation de la Judée dans la province romaine de Syrie, après la démission d’Archélaüs et son remplacement par un procurateur romain[4]. Ce recensement déclencha l’insurrection de Judas le Galiléen contre ce signe de dépendance des provinces à l’égard de Rome (cf. Ac 5,37).
Luc signale donc un recensement qui, en 7-6 av JC, aurait amené Joseph et Marie à Bethléem ; il l’attribue à Quirinius, peut-être parce que l’opération de 6-7 ap. JC était la seule connue, peut-être aussi parce que Quirinius, consul dès 12 av JC, avait reçu de fréquentes missions en Orient et a donc pu être chargé d’un recensement[5].
D’après Tertullien, mort en 220 ap JC à Carthage, ce serait Sentius Saturninus, légat de Syrie de 9 à 6 av JC qui aurait procédé au recensement de la Judée. Quirinius, alors en exercice, a pu lui être lié d’une façon ou d’une autre…
Quoiqu’il en soit, lisons cet extrait du prophète Michée. Il était lu à l’époque de Jésus dans le contexte de l’attente du Messie promis.
Mi 5,1 (Littéralement, d’après le texte hébreu) : Et toi, Bethléem Ephrata[6],
(trop) petite pour être parmi les clans de Juda
de toi pour moi sortira pour être le dirigeant en Israël
et ses origines d’avant des jours d’autrefois.
TOB : De toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël.
Ses origines remontent à l’antiquité, aux jours d’autrefois.
Bethléem était la cité de David (voir aussi Jn 7,42), et St Luc insiste sur la parenté de Joseph avec David : « il était de la maison et de la lignée de David » (2,4)…
1S 16,1 : Yahvé dit à Samuel : « Jusques à quand resteras-tu à pleurer Saül,
alors que moi je l’ai rejeté et qu’il n’est plus roi sur Israël ?
Emplis d’huile ta corne et va !
Je t’envoie chez Jessé le Bethléemite, car j’ai vu parmi ses fils le roi que je veux.
1S 17,12-15 : David était le fils d’un Éphratéen, celui de Bethléem de Juda,
qui s’appelait Jessé et qui avait huit fils.
Cet homme, au temps de Saül, était vieux et considéré parmi les hommes.
(13) Les trois fils aînés de Jessé s’en étaient allés. Ils avaient suivi Saül à la guerre.
Les trois fils qui étaient à la guerre s’appelaient, l’aîné Éliab, le second Abinadab
et le troisième Shamma.
(14) David était le plus jeune et les trois aînés avaient suivi Saül.
(15) Mais David allait chez Saül
et en revenait pour faire paître le troupeau de son père à Bethléem.
1S 20,5-6 : David dit à Jonathan :
«C’est demain la nouvelle lune et je devrais m’asseoir avec le roi pour manger,
mais tu me laisseras partir et je me cacherai dans la campagne jusqu’au soir.
(6) Si ton père remarque mon absence, tu diras :
“David m’a demandé avec instance d’aller à Bethléem, sa ville,
car c’est là qu’a lieu le sacrifice annuel pour tout le clan.”
Comme l’indique la Bible de Jérusalem en note, « Michée pense aux origines anciennes de la lignée de David (1S 17,12s ; Rt 4,11.17.18-22) » ; tel est ce que l’on pourrait appeler « le sens littéral ». Mais en son « sens spirituel », le Christ accomplit pleinement ces lignes au sens où « fils de David lui-même », ses origines remontent… au-delà de tout commencement (Jn 1,1-5).
Jésus est donc bien ce Messie, mais avec la mention du recensement romain, il n’accomplit pas seulement pour St Luc l’attente des Juifs : il est né pour le monde entier… La perspective universelle est présente dès le début de l’Evangile…
Et de fait Jésus sera appelé par la suite « Sauveur » et « Seigneur », deux titres fréquemment employés par les souverains, et notamment les empereurs romains qui n’hésitaient pas à se faire rendre un culte comme à un Dieu… « La théologie politique d’Auguste, renforcée, surtout en Orient, par la vénération religieuse pour le monarque, est ici démasquée et ravalée par l’affirmation christologique »[7]. Désormais, tous les hommes, « objets de la bienveillance de Dieu » (Lc 2,14) auront un seul Seigneur, un seul Sauveur : le Christ.
Marie, enceinte, suit… Le thème du recensement, avec obligation d’inscription des personnes peut avoir donné à Luc la raison de sa présence…
En 2,6, St Luc emploie la notion « d’accomplissement » pour décrire Marie désormais prête à enfanter. Avec ce verbe, St Luc suggère que le projet de Dieu « s’accomplit » dans l’histoire, étape après étape…
Lc 24,44-48 : (Le Christ ressuscité dit à ses disciples) :
«Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous :
il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi,
dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.»
(45) Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures,
(46) et il leur dit : «Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait
et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
(47) et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés
serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
(48) De cela vous êtes témoins ».
Basilique du Rosaire, Lourdes
La naissance est ensuite décrite avec une grande sobriété, mais attention, tous les mots ici sont importants :
(2,7) « Et elle enfanta son fils premier né,
et elle l’enveloppa de langes et elle le coucha dans une mangeoire
car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle. »
En appelant Jésus « premier né », St Luc prépare l’épisode de la présentation de Jésus au Temple :
Lc 2,22-24 : Et lorsque furent accomplis les jours pour leur purification,
selon la loi de Moïse, ils l’emmenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur,
(23) selon qu’il est écrit dans la Loi du Seigneur :
Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur,
(Litt. : Tout mâle ouvrant le sein maternel sera appelé saint pour (ou par) le Seigneur)
(24) et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la Loi du Seigneur,
un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes.
Telle était en effet la prescription de la Loi citée ici par St Luc :
Ex 13,2 (LXX) : Consacre-moi tout premier-né,
le premier né (ou « le plus ancien ») ouvrant tout sein maternel parmi les fils d’Israël depuis l’homme jusqu’au bétail ; ils sont à moi.
Jésus, « premier né de Marie », « mâle ouvrant le sein maternel », sera donc « consacré » au Seigneur, « appelé saint pour (ou par) le Seigneur… De fait, l’Ange avait déclaré à Marie :
Lc 1,35 : L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre ;
c’est pourquoi « le étant enfanté (engendré) saint sera appelé fils de Dieu ».
« le saint engendré sera appelé fils de Dieu »[8].
St Luc, en 2,23, fait très certainement une double allusion : à cette déclaration de l’Ange d’une part, et à la Loi d’autre part… Mais les hommes considéreront comme consacré au Seigneur un être qui l’est de puis toujours et pour toujours : Jésus, le Fils Unique, Celui qui est tout à la fois vrai homme et vrai Dieu, Celui en qui Dieu est Tout…
Crèche, Notre Dame de Paris
Jésus reprendra pour lui-même cette notion de consécration : il est Celui qui se donne totalement à Dieu pour qu’un jour nous soyons tous comme lui, des femmes et des hommes qui auront mis Dieu au cœur de leur vie, et dont le seul souci sera de l’aimer de tout leur cœur, de toute leur âme et de toutes leurs forces en se donnant à Lui ; et cela encore, c’est Dieu qui le fera, par cette grâce baptismale qui nous a unis à son Fils, « configurés à lui »…
Jn 17,17 -19 : Sanctifie-les (consacre-les) dans la vérité, ta parole est vérité.
(18) Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
(19) Pour eux je me sanctifie (consacre) moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité.
Crèche, Notre Dame de Paris
1Th 5,23-24 : Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ.
(24) Il est fidèle, celui qui vous appelle : c’est encore lui qui fera cela.
Ga 2,20 : Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi.
Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu
qui m’a aimé et s’est livré pour moi.
Les expressions suivantes de St Luc en 2,7 annoncent justement la Passion que le Christ vivra par amour à la fin de sa vie terrestre pour que nous puissions tous être des « consacrés à Dieu », des « vivants pour Dieu » (Rm 6,11), arrachés aux ténèbres et transférés dans son Royaume de Lumière (Col 1,13-14), enfin libres (Jn 8,31-32)…
Crèche, Notre Dame de Paris
Marie en effet « enveloppa Jésus de langes », comme plus tard il sera enveloppé dans un linceul lorsqu’il sera mis au tombeau…
Lc 23,50-54 : Et voici un homme nommé Joseph,
membre du Conseil, homme droit et juste.
(51) Celui-là n’avait pas donné son assentiment au dessein ni à l’acte des autres.
Il était d’Arimathie, ville juive, et il attendait le Royaume de Dieu.
(52) Il alla trouver Pilate et réclama le corps de Jésus.
(53) Il le descendit,
le roula dans un linceul
et le mit dans une tombe taillée dans le roc, où personne encore n’avait été placé.
(54) C’était le jour de la Préparation, et le sabbat commençait à poindre.
Puis, Marie le coucha dans une mangeoire… Le verbe grec traduit ici par « coucher » n’intervient que trois fois dans l’Evangile de Luc, ici et en Lc 12,37 et 13,29. Le contexte est toujours celui d’un repas, pris « à la romaine », étendu sur un divan ou à terre sur des tapis et des coussins :
Lc 12,35-38 : «Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées.
(36) Soyez semblables, vous, à des gens qui attendent leur maître à son retour de noces, pour lui ouvrir dès qu’il viendra et frappera.
(37) Heureux ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller !
En vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table et, passant de l’un à l’autre, il les servira.
(38) Qu’il vienne à la deuxième ou à la troisième veille,
s’il trouve les choses ainsi, heureux seront-ils!
Lc 13,29 : Et l’on viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, prendre place au festin dans le Royaume de Dieu.
Jésus est donc « étendu » dans « la mangeoire » (Lc 2,7.12.16 ; 13,15 : « chacun de vous, le sabbat, ne délie-t-il pas de la crèche son bœuf ou son âne pour le mener boire ? ») comme on est étendu à l’occasion d’un repas… Mais il s’agit moins ici pour lui de manger que de se donner en nourriture… Jésus est ainsi déjà présenté comme le Pain de Vie offert à tous les hommes (Jn 6,35.48), un Pain qui sera sa Chair « donnée pour la vie du monde » (Jn 6,51) lors de son sacrifice librement consenti, par amour, sur la Croix…
Enfin, St Luc précise qu’il n’y avait pas de place pour eux dans « la salle », un terme qui n’intervient que deux fois dans tout l’Evangile, ici et en Lc 22,11 où ce même mot[9] désigne « la salle, la pièce » où Jésus vivra son dernier repas avec ses disciples, repas où il instituera l’Eucharistie juste avant sa Passion :
Lc 22,7-20 : Vint le jour des Azymes, où devait être immolée la pâque,
(8) et il envoya Pierre et Jean en disant :
« Allez nous préparer la pâque, que nous la mangions. »
(9) Ils lui dirent : «Où veux-tu que nous préparions ? »
(10) Il leur dit : « Voici qu’en entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme
portant une cruche d’eau.
Suivez-le dans la maison où il pénétrera,
(11) et vous direz au propriétaire de la maison :
“ Le Maître te fait dire : Où est la salle
où je pourrai manger la pâque avec mes disciples ? ”
(12) Et celui-ci vous montrera, à l’étage, une grande pièce garnie de coussins ;
faites-y les préparatifs. »
(13) S’en étant donc allés, ils trouvèrent comme il leur avait dit,
et ils préparèrent la pâque.
(14) Lorsque l’heure fut venue, il se mit à table, et les apôtres avec lui.
(15) Et il leur dit : « J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir ;
(16) car je vous le dis, jamais plus je ne la mangerai
jusqu’à ce qu’elle s’accomplisse dans le Royaume de Dieu. »
(17) Puis, ayant reçu une coupe, il rendit grâces
et dit : «Prenez ceci et partagez entre vous ;
(18) car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit de la vigne
jusqu’à ce que le Royaume de Dieu soit venu. »
(19) Puis, prenant du pain, il rendit grâces,
le rompit et le leur donna, en disant :
« Ceci est mon corps, donné pour vous ;
faites cela en mémoire de moi. »
(20) Il fit de même pour la coupe après le repas, disant :
« Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous ».
Notons enfin que Bethléem, en hébreu, signifie « la maison du pain ».
Ainsi, Jésus, né à Bethléem, enveloppé de langes, couché comme pour un repas dans une mangeoire[10], préfigure-t-il pour St Luc ce Jésus « Pain de Vie », comme l’appellera St Jean, qui s’offrira lui-même en nourriture pour le salut du monde, se laissera coucher sur une croix, mourra, sera enveloppé dans un linceul puis mis au tombeau… Ainsi, cette « salle » où il vient de naître annonce-t-elle déjà cette « salle » où, quelques heures avant de mourir, il instituera l’Eucharistie, nous donnant à manger « son corps et son sang » pour que nous puissions tous vivre de sa vie. A peine né, Jésus apparaît donc déjà comme celui que le Père donne au monde en nourriture (Jn 6,32-33) pour le sauver de la mort et l’introduire, dès maintenant, par la foi, dans sa vie éternelle et bienheureuse…
Crèche, Notre Dame de Paris
Les bergers
Cette figure des bergers est ambivalente. Aux yeux des Pharisiens, ils appartenaient au groupe des pécheurs. Certains, lorsqu’ils étaient seuls dans les pâturages avec le troupeau qui leur avait été confié, devaient en effet en profiter d’une manière ou d’une autre pour leur propre avantage… Ils avaient donc « une mauvaise réputation en Palestine où on les tenait souvent pour malhonnêtes et voleurs. Le Talmud de Babylone les range dans une catégorie significative : « Il est difficile pour des bergers, des collecteurs d’impôts et des publicains de faire pénitence » », car si quelqu’un voulait se repentir, il se devait de dédommager tous ceux qu’il avait lésés, une mission humainement impossible pour les professions citées précédemment : trop de personnes à retrouver, à indemniser…
Mais si l’on tient compte de ce contexte général, la manifestation de l’Ange du Seigneur à leur égard n’en est que plus belle. Jésus, en effet, n’est pas venu pour ceux qui se croient justes ou qui sont considérés comme tels dans la société, mais pour les pécheurs comme il le dira souvent lui-même dans l’évangile :
Lc 5,8-11 (Jésus se choisit des pécheurs) :
Une fois les filets remplis de poissons, en obéissance à la Parole du Christ,
« Simon-Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant :
« Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur!»
(9) La frayeur en effet l’avait envahi, lui et tous ceux qui étaient avec lui,
à cause du coup de filet qu’ils venaient de faire ;
(10) pareillement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon.
Mais Jésus dit à Simon :
« Sois sans crainte ; désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
(11) Et ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent.
Lc 5,30-32 : Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient à ses disciples :
« Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? »
(31) Et, prenant la parole, Jésus leur dit :
« Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades ;
(32) je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir. »
Lc 7, 33-35 : Jésus disait :
« Jean le Baptiste est venu, ne mangeant pas de pain ni ne buvant de vin,
et vous dites : “ Il est possédé ! ”
(34) Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites :
“ Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs ! ”
(35) Et la Sagesse a été justifiée par tous ses enfants. »
Lc 15,1-7: « Tous les publicains et les pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’entendre.
(2) Et les Pharisiens et les scribes de murmurer :
« Cet homme, disaient-ils, fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! »
(3) Il leur dit alors cette parabole :
(4) «Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis et vient à en perdre une,
n’abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert
pour s’en aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée?
(5) Et, quand il l’a retrouvée, il la met, tout joyeux, sur ses épaules
(6) et, de retour chez lui, il assemble amis et voisins et leur dit :
“Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, ma brebis qui était perdue!”
(7) C’est ainsi, je vous le dis,
qu’il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent
que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n’ont pas besoin de repentir ».
Dans un tel contexte, la manifestation de la gloire de Dieu aux bergers apparaît comme un acte révélateur de la Miséricorde de ce Dieu qui a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui :
Jn 3,14-17 : Comme Moïse éleva le serpent dans le désert,
ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme,
15 – afin que quiconque croit ait en lui la vie éternelle.
16 – Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique-Engendré,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle.
17 – Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde,
mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 – Qui croit en lui n’est pas jugé ;
qui ne croit pas est déjà jugé,
parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils Unique de Dieu ».
Les bergers sont les premiers bénéficiaires de la Révélation de cette Miséricorde de Dieu qui est venu se manifester à nous en Jésus Christ. Oui, Jésus est bien cet Astre d’En Haut qui a visité les hommes « dans les entrailles de miséricorde de notre Dieu » pour leur donner de « connaître le salut par la rémission de leurs péchés » (Lc 1,76-79)… D’ailleurs, le premier mot qui apparaîtra dans la bouche de l’Ange pour qualifier Jésus sera celui de « Sauveur »… Alors quelle joie pour ceux et celles qui reconnaîtront leur besoin d’être sauvés : ils sont fait pour « le Sauveur du monde » (Jn 4,42)… Avec Lui et par Lui, Dieu le Père vient sauver tous les hommes (cf. Lc 1,47) en leur offrant le pardon de toutes leurs fautes.
Ac 5,30-31 (Pierre à ceux qui avaient contribué à la mort de Jésus en le livrant aux Romains) :
« Le Dieu de nos pères a ressuscité ce Jésus
que vous, vous aviez fait mourir en le suspendant au gibet.
31 – C’est lui que Dieu a exalté par sa droite,
le faisant Chef et Sauveur,
afin d’accorder par lui à Israël la repentance et la rémission des péchés ».
Avec ce dernier texte, « se repentir » apparaît même comme un Don de Dieu et de sa Grâce. En effet, lui « qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6) ne cesse, avec son Fils et par Lui, de frapper à la porte de tous les cœurs :
Ap 3,20 : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi ».
Et le premier cadeau que Dieu offre, un cadeau renouvelé jour après jour, instant après instant, avec une infinie patience, est le pardon de toutes nos fautes, et la possibilité de retrouver le chemin d’une communion vraie et profonde avec Lui… Aussi, disait St Paul, « nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2Co 5,20), acceptez de recevoir son Pardon, et de repartir avec Lui sur des routes nouvelles : celles de sa Vie, de sa Plénitude et de sa Paix… « Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis, heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense, et dont l’esprit est sans fraude » (Ps 32(31),1-2). Alors, il bénira le Seigneur pour la Paix du Cœur, et la Plénitude de Vie qui lui est à nouveau offerte…
1 – Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 – Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !
3 – Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 – il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse »…
Ainsi, grâce à Dieu, de pardon en pardon, nous pourrons arriver là où il nous attend tous : en sa Maison, auprès de Lui, dans sa Lumière et son Amour… Prions les uns pour les autres pour qu’il en soit effectivement ainsi…
Avec le Christ et par le Christ, Dieu est donc le « Pasteur d’Israël »(Ps 80,2). Cette notion de « pasteur » étant ambivalente, comme nous l’avons vu, il est cependant intéressant de noter que ce titre intervient explicitement quatre fois pour Dieu dans tout l’Ancien Testament (Gn 48,15 ; 49,24 ; Ps 23,1 ; 80,2). « Quatre » étant un symbole d’universalité (les quatre points cardinaux : le nord, le sud, l’est, l’ouest), nous avons peut-être ici un clin d’œil de l’Esprit Saint pour suggérer que le Dieu qui commence à se révéler dans l’Ancien Testament est bien le Créateur de tous les hommes (Gn 1-2) qui désire que tous soient comblés de sa bénédiction (Gn 12,3), de sa Lumière et de sa Vie…
Cette image du Pasteur est très vivante dans l’expérience et la piété d’Israël. Elle est souvent reprise pour décrire le soin attentif de Dieu, « gardien d’Israël » (Ps 121,4), vis à vis de son peuple, « troupeau de son bercail » (Ps 79,13; 95,7; 100,3): il marche devant lui (Ps 68,8), le conduit (Ps 28,9) par la main de Moïse et d’Aaron (Ps 77,21), l’amène vers son saint territoire (Ps 78,52s), se met en colère contre lui quand il est infidèle et rebelle (Ps 74,1).
Le mouvement prophétique reprendra ce thème en des textes où transparaît toute la tendresse de Dieu :
Is 40,10-11 : Voici le Seigneur, il vient avec puissance…
(11) Comme un pasteur, il paîtra son troupeau ; par son bras, il rassemblera les agneaux et réconfortera les brebis qui doivent mettre bas.
Le prophète Jérémie avait déjà employé cette image (23,3 ; cf 31,10) et dénoncé les pasteurs qui avaient reçu comme vocation de paître le peuple d’Israël. Hélas, ils ne se sont pas occupés du troupeau qui leur avait été confié ; pire, ils ont chassé les brebis et les ont dispersées (Jr 23,2) ; Ezéchiel reprendra et développera cette critique sévère et annoncera que le Seigneur va leur reprendre son troupeau : il va arracher ses brebis de leur bouche afin qu’elles ne soient plus pour eux une proie (34,7-10). Désormais, déclare le Seigneur (34,11-16) :
Ez 34,11-16 : Voici que je rechercherai moi-même mes brebis et je leur porterai secours.
(12) Comme un pasteur cherche son troupeau dans le désert,
alors que les ténèbres et la nuée étaient au milieu des brebis dispersées,
ainsi, je rechercherai mes brebis et je les pousserai hors de tous les lieux
où elles furent dispersées au jour de nuée et de ténèbres.
(13) Je les ferai sortir des peuples où ils sont, je les rassemblerai des pays étrangers
et je les conduirai dans leur terre ; je les ferai paître sur les montagnes d’Israël,
dans les ravins et dans tous les lieux habités du pays;
(14) dans un bon pâturage, je les ferai paître et leurs étables seront sur la plus haute des montagnes d’Israël ; là, ils se reposeront, là ils se coucheront dans un bien-être total
et, sur les montagnes d’Israël, ils se repaîtront dans un gras pâturage.
(15) C’est moi qui ferai paître mes brebis et c’est moi qui les ferai reposer,
et elles connaîtront que je suis le Seigneur, oracle du Seigneur Dieu.
(16) Je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée,
je banderai celle qui est blessée, je fortifierai celle qui défaille,
je veillerai sur celle qui est forte (ou bien portante),
je les ferai paître avec justice.
Ainsi, « les textes rabbiniques, critiques à l’égard des bergers, n’ont pas assez de poids pour compenser le rôle positif que les écrits bibliques leur accordent. D’une part, Israël se comprend comme un peuple de bergers, en opposition à ses voisins citadins ou paysans sédentaires. Comme les grands peuples voisins, il s’est d’autre part servi du titre de berger aussi bien pour désigner son Dieu que son roi ou son Messie ». Et François Bovon cite en note Philon d’Alexandrie, juif contemporain du Christ, qui écrit : « En vérité, la tâche du berger est si haute que l’on attribue justement non seulement aux rois, aux sages, aux âmes d’une pureté parfaite, mais encore au Dieu souverain ». « Et Philon » ajoute-t-il « trouve dans le Ps 22(23),1 la preuve scripturaire de son affirmation »[11].
Notons néanmoins avec le prophète Ezéchiel que Dieu parle de « ces ténèbres » où se retrouvent les brebis dispersées… Et dans St Luc, les bergers étaient en train de garder les brebis « dans les veilles de la nuit », dans les ténèbres… Et c’est au cœur de ces ténèbres qu’ils vont voir jaillir la beauté et la lumière de la gloire de Dieu, une situation qui peut rappeler ces paroles d’Isaïe, chantées par l’église à Noël :
Is 9,1-6 : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière,
sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi.
(2) Tu as multiplié la nation, tu as fait croître sa joie ; ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit à la moisson, comme on exulte au partage du butin.
(3) Car le joug qui pesait sur elle, la barre posée sur ses épaules, le bâton de son oppresseur, tu les as brisés comme au jour de Madiân.
(4) Car toute chaussure qui résonne sur le sol, tout manteau roulé dans le sang,
seront mis à brûler, dévorés par le feu.
(5) Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom : Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-paix,
(6) pour que s’étende le pouvoir dans une paix sans fin sur le trône de David et sur son royaume, pour l’établir et pour l’affermir dans le droit et la justice.
Dès maintenant et à jamais, l’amour jaloux de Yahvé Sabaot fera cela.
Telle est bien « la Bonne Nouvelle » annoncée par les Anges :
« N’ayez pas peur, car voici que je vous annonce la Bonne Nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple…
Ce verbe « annoncer une Bonne Nouvelle » intervient dix fois en St Luc : 1,19 (l’Ange à Zacharie) ; 2,10 ; 3,18 (Jean-Baptiste) ; 4,18 (Jésus citant Isaïe) ; 4,43 (Jésus envoyé pour annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux) ; 7,22 (Jésus aux disciples de Jean-Baptiste : la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres) ; 8,1 (Jésus annonce la Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux) ; 9,6 (Les Douze envoyés annoncer la Bonne Nouvelle) ; 16,16 ; 20,1 (Jésus annonce la Bonne Nouvelle dans le Temple).
La Bonne Nouvelle est directement ici celle d’une grande joie qui sera offerte, destinée à tous, et elle commence dès « aujourd’hui » :
Lc 2,11 : « Aujourd’hui a été enfanté pour vous dans la cité de David
un Sauveur qui est le Christ Seigneur »…
« Khristos » intervient ici pour la première fois dans l’Evangile de Luc. On le retrouvera en 2,26 ; 3,15 ; 4,41 ; 9,20 ; 20,41 ; 22,67 ; 23,2 ; 23,35 ; 23,39 ; 24,26 ; 24,46 (12 fois en tout). Jésus est ainsi clairement désigné par Dieu lui-même, à travers ses anges, comme étant le Messie promis, celui sur qui reposera la Plénitude de l’Onction de Dieu (« Khriô, oindre) qui lui donnera, comme nul autre ne l’a fait et ne le fera, d’annoncer en paroles et en actes la Bonne Nouvelle du salut aux pauvres (Lc 4,18-19).
« Iésous » est d’ailleurs l’équivalent grec de l’hébreu Yeshua, forme plus courte de Yehôsua, ou Josué (Jos 1,1), nom pris par le successeur de Moïse, et qui veut dire originellement « Le Seigneur (Yahvé) aide » ou « Seigneur, au secours » ; mais une étymologie populaire a relié, par assonance, la forme courte au verbe « sauver », et au nom « salut », d’où le sens de « Le Seigneur sauve ». Si Luc n’y fait pas allusion, Matthieu ne manque pas de le souligner :
Lc 1,31 : « Et voici que tu concevras en (ton) sein et tu enfanteras un fils
et tu l’appelleras du nom de Jésus ».
Mt 1,21: « Elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus
Car (c’est) lui (qui) sauvera son peuple de ses péchés. »
« Loin d’être une désignation conventionnelle, le nom exprime pour les anciens le rôle d’un être dans l’univers. » Pour les hommes, « le nom donné à la naissance exprime ordinairement l’activité ou la destinée de celui qui le porte »[12].
La mission de Jésus consiste donc à « sauver »… et, pour reprendre l’expression de Matthieu, à « sauver » son peuple de ses péchés, une conviction qui habite constamment St Luc comme en témoigne le vocabulaire même qu’il emploie :
Mt |
Mc |
Lc |
Jn |
Ac |
|
« Sauver » |
15 |
15 |
17 |
6 |
13 |
« Sauver (à travers) » |
1 |
– |
1 |
– |
5 |
« Sauveur » |
– |
– |
2 |
1 |
2 |
« Salut » |
– |
– |
4 |
1 |
6 |
« Salut » (synonyme) |
– |
– |
2 |
– |
1 |
Total pour le vocabulaire du salut |
16 |
15 |
26 |
8 |
27 |
Regardons rapidement la notion de salut en St Luc.
– Sens profane
Il s’agit alors d’évoquer un salut opéré par des hommes ou, dans une forme impersonnelle, de décrire l’action d’échapper à un danger, quel qu’il soit (maladie, naufrage, combat…). Ainsi en Lc 9,24a: « Qui veut sauver sa vie la perdra ».
« Vouloir sauver sa vie » ici, c’est vouloir la préserver, c’est refuser de la risquer, plus encore de la donner : c’est vouloir la garder pour soi…
De même en 23,35 (cf 23,39), dans les railleries des chefs du peuple, à l’heure où Jésus est sur la croix : « Il (en) a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même, si celui-là est le Christ de Dieu, l’Elu! »
Pour eux, si Jésus était vraiment le Messie attendu, il aurait la puissance d’échapper, par ses propres forces, au danger suprême d’une mort prochaine…
– Sens « eschatologique », tourné vers ce salut futur encore à venir. Ainsi en Lc 9,24b (cf Lc 13,23; 18,26; 21,19.22-23) : … « mais celui qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera ».
Le futur du verbe, le caractère radical et universel de l’affirmation, le contexte du doublet de ce verset en 17,33, qui évoque le retour du Fils de l’Homme au dernier Jour (17,30), tous ces éléments tournent le regard vers le monde à venir…
– Dans les récits de guérison
Luc emploie aussi le verbe « sauver »:
– En accord avec Marc et/ou Matthieu pour l’hémorroïsse guérie (8,48 : « Femme, ta foi t’a sauvée » ; Mt 9,22; Mc 5,34) et l’aveugle de Jéricho (18,42 : « Vois de nouveau! Ta foi t’a sauvé »), la petite fille de Jaïre (8,50 : « N’aie pas peur, crois seulement et elle sera sauvée » ; Mc 5,23), la question sur la légitimité de Jésus à « sauver » ou non un jour de Sabbat (6,9 : « Je vous le demande: « Est-il permis le jour du Sabbat de faire du bien ou de faire du mal, de sauver une vie ou de la perdre? » » ; Mc 3,4).
– Dans des passages propres (7,3 ; 8,36 ; Ac 4,9 : « Comment celui-çi – le mendiant de la Belle Porte – a été sauvé; 14,9).
En Ac 4,12, Luc lui‑même explique comment interpréter ce « salut ». Dans ce passage, Pierre explique comment le mendiant de la Belle Porte a été guéri/sauvé : « par le Nom de Jésus Christ le Nazôréen », et, en conclusion de son discours, il déclare solennellement :
« Et le salut n’est en aucun autre, car il n’y a pas d’autre nom sous le ciel donné aux hommes par qui nous devons être sauvés ».
Les Juifs considérant la personne comme un tout indissociable, la « guérison » du corps ne pouvait qu’être un aspect de la guérison totale : « Aux yeux de Luc, le salut ne se ramène pas à une guérison ou à un rétablissement physiques. Même s’il exprime de tels secours par le verbe sauver, Luc entend témoigner dans son oeuvre d’un salut aux dimensions d’une tout autre ampleur. Les cas de salut physique ont une fonction symbolique : ils illustrent le salut éternel… »[13], ils en sont les signes visibles…
– Le salut « déjà là »
St Luc emploie alors le vocabulaire du salut, non pas dans le cadre d’une guérison physique, mais dans celui d’une intervention de Dieu qui atteint le cœur de la personne croyante et la sauve. Jésus déclare ainsi à la pécheresse pardonnée et aimante :
Lc 7,48 : « Tes péchés sont pardonnés ».
Lc 7,50 : « Ta foi t’a sauvée ; va en paix ».
Le salut est donc d’abord ici le pardon des péchés, accueilli dans la foi et qui permet à cette femme d’accéder à une vie nouvelle, dans l’amour et la paix.
Notons que le Christ emploie pour elle une formule identique à celle rencontrée dans les guérisons de l’hémorroïsse et de l’aveugle de Jéricho : « Ta foi t’a sauvé ». Nous retrouvons par ce parallèle l’unicité de ce salut offert, un salut qui devient efficace au moment de l’acte de foi… Dieu n’attend que le « oui » de notre foi pour agir et déployer en nous, comme pour Marie, toute la puissance de son amour. Cet acte de foi devient aussi l’instant où toute notre vie bascule pour devenir une vie de « sauvés », c’est à dire une vie en communion avec Dieu, dans la paix… Cette union à Dieu peut dorénavant durer toujours car elle est toujours offerte, instant après instant…
Tel est le sens du temps employé ici en grec, un « parfait » qui décrit une action passée dont les répercussions se font encore sentir dans le présent du texte : « Ta foi t’a sauvée (dans le passé, à l’instant où tu n’as pas refusé de me donner ta confiance) – et cet état de « sauvé » demeure maintenant, à l’instant où je te parle »…

Notons que la guérison physique seule n’est pas « automatiquement » un signe de salut : il faut la foi qui reconnaît en Jésus la présence agissante de Dieu. Tel est le sens de Lc 17,11-19 où nous voyons Jésus guérir dix lépreux qui l’avaient supplié… Le texte nous dit alors qu’ils furent tous purifiés, mais un seul revint à Jésus :
Lc 17,15-16 : « Un d’entre eux, voyant qu’il était guéri, retourna en glorifiant Dieu d’une voix forte
(16) et il tomba sur la face à ses pieds en lui rendant grâces ; et lui était Samaritain. »
On pourrait penser que ce lépreux chante la puissance de Jésus pour sa guérison, mais non… Il a reconnu en elle une œuvre de Dieu, et c’est Lui qu’il glorifie d’une voix forte… Va-t-il alors se diriger vers le Temple de Jérusalem, ou pour les Samaritains vers celui du Mont Garizim, pour se prosterner devant le Saint des Saints, là où Dieu habitait, pour lui rendre grâces ? Non… Il se dirige vers Jésus, et c’est devant lui qu’il tombe sur la face à ses pieds, en signe d’humilité et de profond respect[14] et c’est à lui qu’il rend grâces. Nous avons ici le seul exemple de tout le Nouveau Testament où le verbe « rendre grâces », est appliqué à Jésus… En effet, sur les 38 cas où il intervient, à l’exception de la finale aux Romains (16,4) où Paul « est reconnaissant à » Prisca et Aquilas d’avoir risquer leur tête pour lui sauver la vie, il est toujours appliqué à Dieu (36 fois)… La conjonction des deux expressions, « tomber la face contre terre » et « rendre grâces », appliquées à Jésus pointe donc très fortement ici vers le mystère du Christ, vrai Dieu et vrai homme[15]…
Enfin, c’est à ce lépreux revenu à lui en louant Dieu et à lui seul que Jésus va déclarer : « Ta foi t’a sauvé » (Lc 17,19). Le « salut » ne consiste donc pas simplement en une guérison physique, puisque celle-ci a été accordée aussi aux neuf autres. Seul est dit « sauvé » celui qui a su lire, avec les yeux de la foi, le signe de sa guérison, pour reconnaître en elle le salut de Dieu offert par le Christ…
Enfin, lorsque Zachée, après avoir accueilli Jésus avec joie dans sa maison, décide de renoncer à tout ce qu’il aurait pu faire de mal dans sa vie, réparant au quadruple les torts commis et partageant ses biens avec les pauvres, Jésus lui déclare qu’aujourd’hui le salut est arrivé pour lui :
Lc 19,9-10 : Jésus lui dit: « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison parce que lui aussi est un fils d’Abraham.
(10) Le Fils de l’Homme est en effet venu chercher et sauver ce qui était perdu ».
Le terme « perdu », n’intervient en St Luc qu’ici et dans la parabole de la brebis perdue (Lc 15,4.6) et du Fils prodigue (Lc 15,24.34)…
« Ce salut présent est la tâche de Jésus. Il s’opère par la conversion de celui qui « était perdu » et suscite en lui la justice et la charité »[16]. On retrouve ce salut « déjà donné », « déjà présent », dans le Livre des Actes des Apôtres, et notamment en 2,47b :
Le Seigneur ajoutait les « étant sauvés » chaque jour à la communauté.
Ce participe présent passif, indique une action en train de se réaliser. Il a pour sujet sous entendu « Dieu » (passif « théologique ») qui sauve par le don de l’Esprit, accomplissant ainsi les prophéties et inaugurant « les derniers jours ».
Remarquons avec F. Bovon[17] qu’en Ac 2,14-21, St Luc poursuit la citation du prophète Joël évoquant la venue du Jour du Seigneur, avec tous les bouleversements cosmiques qui devaient l’accompagner, uniquement pour arriver à la première partie du verset 5 de Jl 3, ce qui lui permet d’ouvrir la perspective du salut universel :
« Et il sera tout (homme) qui invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ».
Cette citation partielle de Jl 3,5 révèle bien le souci de St Luc de montrer que le salut de Dieu en et par Jésus Christ est offert à l’humanité tout entière, car la suite de Jl 3,5 ne mentionne que les habitants de Jérusalem:
Jl 3,5 (LXX) : Et il sera tout (homme) qui invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.
car sur le mont Sion et à Jérusalem il y aura un salut[18] (il sera « étant sauvé »)…
Mais c’est justement cette mention de Jérusalem, restrictive maintenant à ses yeux, que St Luc ne cite pas… Jésus est vraiment le Sauveur de tous les hommes, sans exception…
St Luc agit exactement de la même façon au début de son Evangile en 3,4-6 : comme Marc et Matthieu, il cite Is 40 pour éclairer la mission de Jean‑Baptiste, mais lui seul va jusqu’à Is 40,5 qui évoque un salut universel :
Mt 3,3b |
Mc 1,3 |
Lc 3,4-6 |
Voix du criant dans le désertPréparez le chemin du SeigneurRendez droitsses sentiers. |
Voix du criant dans le désertPréparez le chemin du SeigneurRendez droitsses sentiers. |
Voix du criant dans le désertPréparez le chemin du SeigneurRendez droitsses sentiers.(5) (…)(6) Et toute chair verrale salut de Dieu. |
j Dieu Sauveur en Lc 1-2
Jésus, pour St Luc, est donc « le Sauveur », « venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10), en Israël et dans toutes les nations (24,47)… Cette présentation de Jésus comme Sauveur d’Israël et du monde entier est particulièrement présente dans les deux premiers chapitres de l’Evangile :
1 – En Lc 1,47, Marie, la première, chante Dieu comme « son Sauveur »:
Mon âme célèbre (glorifie; magnifie; exalte) le Seigneur et mon esprit jubile (est rempli d’allégresse) à cause de Dieu mon Sauveur…
Le verbe employé exprime une réaction face à l’action de quelqu’un qui de son côté a « rendu grand » quelque chose… Ce même verbe apparaît à nouveau en 1,58 pour exprimer que Dieu a « rendu grand » sa miséricorde à l’égard d’Elisabeth en lui permettant d’avoir un enfant… il disparaît ensuite de l’Evangile pour réapparaître seulement dans les Actes des Apôtres[19]…
Notons bien qu’ici c’est Dieu qui est « Seigneur » et « Sauveur »…
2 – En Lc 1,69.71.77, c’est au tour de Zacharie de bénir le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui « a délivré son peuple et lui a suscité une puissance de salut » (faire se lever, ériger, dresser une corne de salut) « le sauvant de ses ennemis », (un salut de nos ennemis) « pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon de ses péchés ».
3 – En Lc 2,11, l’Ange du Seigneur annonce aux bergers une grande joie, qui sera aussi celle de tout le peuple: « Aujourd’hui vous est né, dans la cité de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur… »
En 1,47, Marie chantait Dieu comme son Seigneur et son Sauveur… Ici, c’est Jésus qui est appelé « Seigneur » et « Sauveur »… Quelque chose de Jn 10,30, « Moi et le Père nous sommes un[20] » se laisse ici pressentir… tout comme dans le nom donné à Jésus lors de l’Annonciation à Joseph en Mt 1,23 : « Dieu avec nous… ».
4 – Enfin, en Lc 2,28-32 Syméon loue à son tour le Seigneur Dieu, son Maître Souverain, car ses yeux « ont vu son salut », c’est à dire Jésus, « préparé à la face de tous les peuples », « lumière pour une révélation aux nations », « et gloire de ton peuple Israël »… Nous retrouvons ici, indirectement, l’étymologie populaire du nom de Jésus, « Dieu sauve » : Jésus est « le salut de Dieu »… en tant que Dieu sauve par Lui, à travers Lui, en Lui « tous les hommes »: la mission universelle de Jésus est ici fortement soulignée: Israël et « les nations », « tous les peuples »…
Ce salut offert par Dieu en et par Jésus Christ n’a d’autre source que sa miséricorde, c’est-à-dire son amour têtu, fidèle, obstiné, inébranlable pour tous les hommes… Tout jaillit de cette miséricorde, de cet amour indéfectible qui constitue notre seule vraie joie… Et Luc, toujours dans ces deux premiers chapitres de son Evangile, en parallèle avec la présentation de Jésus comme Sauveur, va employer 5 fois sur un total de 6 ce terme de « miséricorde » :
1 – En 1,50, Marie, la première, « tressaille de joie » (1,47) en constatant que « la miséricorde de Dieu » s’étend vraiment de génération en génération sur tous ceux qui le craignent ». Noter à nouveau l’ouverture « sous entendue » de ce texte, après le v.48 où Marie disait que « désormais, toutes les générations » la diront bienheureuse…
2 – En 1,54, dans ce même contexte de joie qui éclaire toute sa louange, Marie chante à nouveau « la miséricorde de Dieu » en précisant cette fois le bénéficiaire : Israël, son serviteur… « Il a secouru Israël son serviteur, en souvenir de (sa) miséricorde »…
3 – En 1,58, Elisabeth la stérile est devenue féconde par la miséricorde de Dieu, et tous ses voisins et tous les membres de sa famille se réjouissaient avec elle…
4 – En 1,72, c’est au tour de Zacharie de bénir Dieu pour sa miséricorde envers les Pères du peuple d’Israël…
5 – Enfin, en 1,78, Zacharie à nouveau affirme haut et fort que la connaissance du salut jaillit de l’expérience du pardon de Dieu rendue possible « grâce aux entrailles de miséricorde de notre Dieu », qui nous a fait passer des ténèbres de la mort à la Lumière et à la Paix d’une Vie en sa présence…
Il faudra ensuite attendre le chapitre 10 de l’Evangile pour retrouver pour la dernière fois ce terme de « miséricorde », en un texte où Jésus nous invite à être le prochain de tout homme, fût-il notre pire ennemi, en exerçant la miséricorde à son égard :
Lc 10:37 : Et lui dit: « Celui qui « a fait miséricorde » à son égard ».
Jésus lui dit alors: « Va, et toi, fais de même ».
Cette invitation est une illustration de Lc 6,36 où Luc invite de façon générale à la miséricorde avec un synonyme de la notion de « miséricorde », synonyme qui n’intervient qu’ici dans toute son œuvre :
Lc 6,36 : Soyez (devenez) miséricordieux comme votre Père est miséricordieux…
Dieu Sauveur et Miséricordieux : telle est la source de la Paix offerte à tous les hommes « qui ont sa faveur » (de Dieu ; Osty), « aux hommes objets de sa complaisance » (BJ)… Notons que ce texte grec peut se traduire par « les hommes de bonne volonté », « les hommes bienveillants »… Tel fut le choix de St Jérôme (Vulgate) : « gloria in altissimis Deo et in terra pax in hominibus bonae voluntatis, gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ».
Mais la grande majorité de nos traductions ont :
BJ : Paix aux hommes objets de sa complaisance.
TOB : paix pour ses bien-aimés.
CNPL : Paix sur la terre aux hommes qu’il aime.
Et en Lc 2,12, « le signe » qui sera donné aux hommes de cette action miséricordieuse décisive de Dieu à leur égard sera le Christ lui-même en son humanité, ici celle d’un petit bébé couché dans une mangeoire, qui, plus tard, sera « un signe en butte à la contradiction » (Lc 2,34). On mesure à la lecture de ces quelques versets l’aveuglement spirituel de certains scribes et pharisiens qui, face à Jésus, lui demandait un signe :
Lc 11,16 : D’autres, pour le mettre à l’épreuve, réclamaient de lui un signe venant du ciel.
Lc 11,29-32 Comme les foules se pressaient en masse, il se mit à dire :
«Cette génération est une génération mauvaise;
elle demande un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas.
(30) Car, tout comme Jonas devint un signe pour les Ninivites,
de même le Fils de l’homme en sera un pour cette génération.
(31) La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec les hommes de cette génération
et elle les condamnera,
car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon,
et il y a ici plus que Salomon!
(32) Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération
et ils la condamneront,
car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas!
« Contrairement à la lecture qu’en fait Mt 12,40[21], le signe de Jonas n’a rien à voir ici avec la Résurrection du Fils de l’Homme au matin de Pâques. Dans l’explication donnée (v. 30), ce signe n’est rien d’autre que l’appel à la conversion lancé par Jonas aux Ninivites – une des populations païennes les plus cruelles de l’Antiquité – ; il déboucha sur une réussite totale : le roi, les hommes et même les bêtes firent pénitence en jeûnant et en se couvrant de sacs. De même cette génération n’aura pas d’autre signe que le Fils de l’Homme et sa prédication ; le seul signe, c’est l’invitation à la conversion. N’allons pas trop vite juger que Dieu et son Christ ont été avares de signes. La parabole du riche et de Lazare soulignera justement que celui qui ne se convertit pas en écoutant la Parole de Dieu ne le ferait pas plus en voyant un mort ressusciter »[22]…
Enfin, notons combien la fin du texte insiste sur la réalisation de la Parole de Dieu, conformément à tout ce qu’avaient dit les Anges… Tout ce que dit le Seigneur, il le fait.
Jacques Fournier
[1] SCHÜRMANN H., Luca (Vol. I ; Brescia 1983) p. 212-213.
[2] COUSIN H., « L’Evangile de Luc », dans Les Evangiles, textes et commentaires (Bayard Compact ; Paris 2001) p. 570.
[3] BOVON F., L’Evangile selon St Luc 1-9 (Genève 1991) p. 117-118.
[4] GÉRARD A.-M., Dictionnaire de la Bible (Paris 1989) p. 1167.
[5] LÉON-DUFOUR X., Dictionnaire du Nouveau Testament (Manchecourt 2001) p. 465-466.
[6] La Bible de Jérusalem écrit en note : « Ephrata (auquel Michée semble attacher le sens étymologique de “ féconde ” en rapport avec la naissance du Messie) a désigné d’abord un clan allié à Caleb, (1Ch 2,19.24.50), et installé dans la région de Bethléem, (1S 17,12 ; Rt 1,2). Le nom est passé ensuite à la cité, (Gn 35,19 ; 48,7 ; Jos 15,59 ; Rt 4,11), d’où la glose du texte ».
[7] BOVON F., L’Evangile selon St Luc 1-9 p. 117.
[8] Cette formule pourrait également s’appliquer à l’engendrement éternel du Fils par le Père, dans l’action de l’Esprit Saint. Le mystère de l’Incarnation, dans lequel Marie est intimement associée, s’inscrit dans ce même mouvement…
[9] Le Bailly donne pour « kataluma » « 1 – endroit où l’on délie son attelage ou ses bagages, c’est à dire hôtellerie, auberge ; 2 – séjour, résidence ».
Le BAGD précise que ce sens est ici possible. Mais en Lc 10,34, St Luc utilise le terme plus spécifique de « pandokhéion »pour désigner l’auberge où le bon Samaritain mène l’homme blessé par les brigands. Aussi propose-t-il ici « lodging, logement » ou « guest-room, chambre d’ami ».
La traduction « salle » ou « pièce » reprend en fait le sens donné par ce même mot en Lc 22,11.
[10] Ce mot apparaît trois fois en ce récit, et « trois » est souvent dans la Bible le chiffre qui renvoie à Dieu en tant qu’il agit. Avons-nous ici un clin d’œil vers ce Jésus, « pain de Dieu » offert au monde en nourriture, « agir » par excellence de Dieu pour le monde et pour notre salut ?
COUSIN H., « L’Evangile de Luc », LES EVANGILES, textes et commentaires (Paris 2001) p. 570 : « Le nouveau-né va être couché dans une mangeoire ; l’expression sera utilisée trois fois (v. 7,12 et 16) et cela indique que c’est là le fruit de l’initiative divine ».
[11] BOVON F., L’Evangile selon St Luc 1-9 p. 122, avec la note 49.
[12] CAZELLES H., « Nom », Vocabulaire de Théologie Biblique (Paris 1995) col. 827.
[13] BOVON F., L’œuvre de Luc (Lectio Divina 130, Paris 1987) p. 173-174. Voir aussi:
GEORGE A., « Le vocabulaire de salut », Etudes sur l’œuvre de Luc (Paris 1978) p. 307-320.
[14] Si l’Ancien Testament emploie l’expression « tomber face contre terre devant quelqu’un » en signe de respect, de soumission… (1R1,31: Bethsabée devant le roi David; 18,7: Obadyahu, maître du palais d’Achab, devant Elie; 1Sm 24,9: David devant le roi Saül; 25,23: Abigayil devant David, son futur mari; 28,14: Saül devant Samuel…) et bien sûr d’adoration (1Ch 21,16; 1R 18,39; 1M 4,40.55; 1Sm 5,34…), le Nouveau Testament, à l’exception d’une expression évoquant « la face de la terre » (Lc 21,35) ne l’applique qu’à Dieu (Mt 17,6; 26,39; 1Co 14,25) et au Christ (Lc 5,12; 17,16).
[15] Ap 11,16-17: les 24 vieillards assis devant Dieu se prosternent devant Lui et Lui rendent grâces…
[16] GEORGE A., « Le vocabulaire de salut », Etudes sur l’œuvre de Luc p. 313.
[17] BOVON F., L’œuvre de Luc p. 168-169: « Pierre cite Joël pour expliquer la diffusion d’Esprit Saint sur les disciples réunis. Il poursuit pourtant la citation de Joël au-delà de ce qui est nécessaire: la mention de phénomènes apocalyptiques (soleil transformé en ténèbres et lune en sang) ne contient pas à la situation. Il accepte cette incohérence pour parvenir au verset 5a de Joël 3: « Et quiconque invoquera le Nom du Seigneur sera sauvé ». Il s’arrête alors à cette phrase qui lui tient à cœur en excluant le verset 5b de Joël 3 dont la résonance est trop particulariste.
[18] Les notes de la Bible de Jérusalem aident à comprendre quel est le salut visé ici par le prophète Joël: il s’agit de la restauration définitive du peuple d’Israël trop souvent malmené par les nations voisines. Ce salut implique donc un jugement des peuples environnants (note g), qui « ont dispersé Israël parmi les nations et partagé mon pays » (4,2). Joël fait ici allusion à l’exil de 597 et de 586 (note k)…
[19] Ac 5,13: De nombreux signes et prodiges se faisaient par les mains des Apôtres… aussi le peuple « célèbre-t-il leurs louanges » (BJ), « fait leur éloge » (TOB).
Ac 10,46: L’Esprit Saint tombe sur Corneille, le centurion romain de la cohorte Italique (10,1), et sur tous ceux qui, avec lui, écoutaient la parole de Pierre. Ils se mettent alors à « magnifier » (BJ), à « célébrer la grandeur de » Dieu…
Ac 19,17: Dieu opérait par les mains de Paul des miracles peu banals… et quelques exorcistes juifs se mettent eux aussi à prononcer le Nom de Jésus de façon « magique » sur des possédés qui… en retour… se mettent à les rouer de coups… Tous les habitants d’Ephèse surent la chose, la crainte s’empara de tous et le Nom du Seigneur Jésus « fut glorifié » (BJ; TOB: « on célébrait la grandeur » du Nom du Seigneur Jésus »).
[20] « Un, én », est ici, non au masculin, qui désignerait alors une personne, mais au neutre : il s’agit non pas d’une unité-identité de personne entre Jésus et son Père, mais d’une unité de nature entre les deux : Jésus est Dieu en tant qu’il possède la nature divine, tout comme son Père…
[21] Cf Mt 12,38-42 ; Mt 12,40 : « De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits ».
[22] COUSIN H., « L’Evangile de Luc », LES EVANGILES, testes et commentaires (Paris 2001) p. 694.
Fiche 2M n°8 – Lc 2,1-20 : Cliquer sur le titre précédent pour accéder au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.
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« Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur,
lui qui veut que tous les hommes soient sauvés
et parviennent à la connaissance de la vérité.
Car Dieu est unique,
unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes,
le Christ Jésus, homme lui-même,
qui s’est livré en rançon pour tous » (1Tm 2,3-6).
Retraite en ligne sur jevismafoi.com pour l’Avent 2022
Pour le temps de l’Avent et les quelques jours qui suivront la fête de Noël, c’est-à-dire du Dimanche 27 novembre au Dimanche 8 janvier, nous vous proposons un temps de retraite en ligne sur jevismafoi.com. Elle sera animée par une équipe de prêtres, diacres, religieuses, laïcs. Chaque jour, une méditation vous est proposée sous deux formats : par écrit et par audio… Son thème général sera : « L’Amour a fait le premier pas. »
Pour les recevoir, il suffit d’aller sur http://www.jevismafoi.com/ ; une petite enveloppe apparaît alors devant vous, enveloppe sur laquelle il vous suffit d’écrire votre adresse mail. Ces informations resteront bien sûr strictement confidentielles… Toute l’équipe vous souhaite un bon et heureux temps de l’Avent dans l’accueil de cet Amour qui, invisiblement, certes, mais bien concrètement, frappe chaque jour à la porte de nos coeurs pour nous communiquer le meilleur : sa Plénitude d’Être, de Lumière, de Vie et de Paix…
D. Jacques Fournier
LES APÔTRES, CES ILLUSTRES INCONNUS par Yannick LEROY
PROPOSITION DE CONFÉRENCE EXCEPTIONNELLE
(second semestre 2022)
S’il est un fait paradoxal dans l’Histoire des origines du Christianisme, c’est que nous sommes bien mieux renseignés sur le parcours de Jésus de Nazareth que sur celui de ses plus proches, les douze apôtres. Ces derniers, considérés comme les fondements essentiels de l’Église en devenir, demeurent pourtant largement un mystère insondable aux yeux de l’historien.
En dehors de quelques figures éminentes telles que Pierre ou Jean, il faut bien reconnaître que nous savons peu de choses concernant ces hommes dont cependant de nombreux Pères de l’Église se réclameront par la suite. Qui peut en effet se targuer de connaître parfaitement les itinéraires de Matthieu, Simon le Zélote, Thaddée ou encore Thomas ? Qui – en dehors de son nom – sait exactement qui fut Matthias, le remplaçant de Judas Iscariote ? Barthélémy est-il Nathanaël ? Combien de Jacques pouvons-nous dénombrer ? Autant de questions surgissent auxquelles nous tenterons de répondre par l’étude de sources qui nous emporteront bien largement au-delà du Nouveau Testament et nous plongerons dans l’obscurité des racines profondes du christianisme.
A la Maison Diocésaine
36 rue de Paris à Saint Denis
Le samedi 5 novembre 2022
de 14h 30 à 17h 30
Entrée libre
« Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ? » La vocation d’Isaïe (Is 6,1-13). D. Jacques Fournier
Nous sommes l’année de la mort du roi Ozias, et donc « probablement en 740 av JC » précise en note la Bible de Jérusalem. Il régna en effet de 781 à 740 av JC, sur le Royaume de Juda, au sud d’Israël, avec comme capitale Jérusalem. Le prophète Isaïe quant à lui est né aux environs de 765 av JC. Il a donc ici 25 ans, et il est en prière dans le Temple de Jérusalem…
Dieu va se manifester à lui… « Je vis le Seigneur, assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire », « ha-hê-ḵāl », salle qui précédait le Debir ou « Saint des Saints » » précise encore en note la Bible de Jérusalem. Le Saint des Saints était la pièce la plus sacrée du Temple, où seul le Grand Prêtre pouvait entrer une fois par an pour accomplir les rites d’aspersion de la fête du Grand Pardon, « Yom Kippour ». Dieu y siégeait, assis sur son Trône, l’Arche d’Alliance, un trône coffre où avaient été disposées les deux Tables de la Loi ainsi qu’un peu de cette manne que le peuple hébreu récolta tous les matins dans sa longue marche au désert avec Moïse… Elle était séparée du « Saint » par un grand rideau… Celui-ci semble donc devenir comme transparent pour Isaïe : « Je vis le Seigneur, assis sur un trône grandiose et surélevé »… Autrement dit, il voit le Seigneur alors même qu’il exerce sa fonction royale, « assis sur son trône grandiose et surélevé »…
Or, dans cette sa Lumière, nous y reviendrons, il prend conscience qu’il est « un homme aux lèvres impures », « habitant au sein d’un peuple aux lèvres impures »… Autrement dit, il est pécheur, et ce qui sera dit plus tard s’applique bien à lui : son cœur est « appesanti », et ses yeux « englués » ne peuvent « voir »… A lui pourrait s’appliquer ce qui sera dit en Is 42,19 : « Qui est aveugle si ce n’est mon serviteur ? Qui est sourd comme le messager que j’envoie ? » et il habite au milieu « d’un peuple aveugle qui a des yeux » (Is 43,8)… Spirituellement parlant, « nous tâtonnons comme des aveugles cherchant un mur, comme privés d’yeux nous tâtonnons. Nous trébuchons en plein midi comme au crépuscule, parmi les bien-portants nous sommes comme des morts » (Is 59,10 ; cf. Dt 28,29). Et pourquoi ? « Ils iront comme des aveugles, parce qu’ils ont péché contre le Seigneur » (So 1,17). Cet aveuglement est donc la conséquence du péché qui, de cœur, sépare l’homme de ce « Dieu » qui « est Lumière » (1Jn 1,5) et le plonge ainsi dans les ténèbres… « Ils n’ont pas rendu à Dieu gloire ou actions de grâces, ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur cœur inintelligent s’est enténébré » (Rm 1,21).
Isaïe, pécheur, et donc aveugle de cœur ne pouvait donc pas voir Dieu… Et pourtant, ici, il le voit… Et ce simple fait qu’il commence à « voir » est déjà la mise en œuvre, dans son cœur et dans sa vie, de ce dont il va prendre conscience en le voyant : le Mystère de la Royauté de ce Dieu « siégeant sur un trône grandiose et surélevé »…
Et quelle est-elle ? Elle est la royauté de la Lumière sur les ténèbres… « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) ? « La Lumière a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1,5). Elle règne sur elles, victorieuse… Et grâce à elle, « les yeux du cœur illuminés » (Ep 1,17) peuvent voir ce que par eux mêmes, englués, blessés, ils ne pourraient pas voir : « En toi est la source de vie, par ta lumière, nous voyons la lumière » (Ps 36,10).
Telle est l’expérience que vivra St Paul… Il pensait pourtant être sur le bon chemin, vivant la vraie foi au Dieu unique, et il avait du caractère et de la volonté puisqu’il obéissait parfaitement aux 613 commandements à mettre en pratique tous les jours : « Je suis Juif. Né à Tarse en Cilicie » (Ac 22,3). « Circoncis dès le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreux » (Ph 3,5). « J’ai été élevé ici dans cette ville » de Jérusalem, « et c’est aux pieds de Gamaliel que j’ai été formé à l’exacte observance de la Loi de nos pères, et j’étais rempli du zèle de Dieu » (Ac 22,3)… Vous avez entendu parler « de mes progrès dans le judaïsme, où je surpassais bien des compatriotes de mon âge, en partisan acharné des traditions de mes pères » (Ga 1,14). « Quant à la justice que peut donner la Loi, j’étais un homme irréprochable » (Ph 3,6). Et « j’ai vécu suivant le parti le plus strict de notre religion, en Pharisien » (Ac 26,5 ; Ph 3,5)…
Et pourtant, sans le savoir, il était dans le légalisme et dans l’orgueil, et donc dans les ténèbres… Mais « le Dieu qui a dit : Que des ténèbres resplendisse la lumière, est Celui qui a resplendi dans nos cœurs, pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ » (2Co 4,6). Voilà ce qu’il a vécu sur la route de Damas, alors qu’il s’y rendait avec ses compagnons pour persécuter la toute jeune communauté chrétienne qui venait d’y naître… « Il faisait route et approchait de Damas, quand soudain une lumière venue du ciel l’enveloppa de sa clarté. Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait : Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu? – Qui es-tu, Seigneur ? demanda-t-il. Et lui : Je suis Jésus que tu persécutes. Mais relève-toi, entre dans la ville, et l’on te dira ce que tu dois faire. Ses compagnons de route s’étaient arrêtés, muets de stupeur : ils entendaient bien la voix, mais sans voir personne. Saul se releva de terre, mais, quoiqu’il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien. On le conduisit par la main pour le faire entrer à Damas. Trois jours durant, il resta sans voir, ne mangeant et ne buvant rien » (Ac 9,3-9). La lumière du Christ a ainsi conduit St Paul à prendre conscience, comme Isaïe, qu’il était « aveugle » de cœur, dans les ténèbres, lui qui pensait être dans la Lumière… « Il avait les yeux ouverts », mais en fait, « il ne voyait rien »… Ananie va venir à sa rencontre et lui proposer le baptême : « Saoul, mon frère, celui qui m’envoie, c’est le Seigneur, ce Jésus qui t’est apparu sur le chemin par où tu venais ; et c’est afin que tu recouvres la vue et sois rempli de l’Esprit Saint », l’Esprit de Dieu, l’Esprit de Lumière (Jn 4,24 et 1Jn 1,5) et de vie (Jn 6,63 ; 2Co 3,6). « Aussitôt il lui tomba des yeux comme des écailles, et il recouvra la vue. Sur-le-champ il fut baptisé ; puis il prit de la nourriture, et les forces lui revinrent » (Ac 9,17-18).
St Pierre lui aussi a vécu quelque chose de semblable… Alors que Jésus lui avait demandé de pouvoir monter dans sa barque pour qu’il puisse s’adresser à la foule qui s’était rassemblée au bord du rivage du lac de Tibériade, « quand il eut cessé de parler, il dit à Simon : Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche. Simon répondit : Maître, nous avons peiné toute une nuit sans rien prendre, mais sur ta parole je vais lâcher les filets. Et l’ayant fait, ils capturèrent une grande multitude de poissons, et leurs filets se rompaient… À cette vue, Simon-Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur ! » (Lc 5,1-11). Comme pour Isaïe, dès qu’il commence à « voir » ‘quelque chose’ du Mystère de Jésus, aussitôt, il perçoit à quel point il est « un homme pécheur », et donc « aveugle de cœur », « enténébré »… Et pourtant, peu après, il verra lui aussi, comme Isaïe, le Seigneur dans sa gloire : « Prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, Jésus gravit la montagne pour prier. Et il advint, comme il priait, que l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement, d’une blancheur fulgurante… Pierre et ses compagnons (…) virent sa gloire » (Lc 9,28-36).
Ainsi, Isaïe, Paul, Pierre, Jean et Jacques sont des exemples de ce que Dieu fait vis-à-vis de nous tous : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous as aimés » (1Jn 4,10). Or, « aimer » pour Dieu est synonyme de « donner », gratuitement, par amour, tout ce qu’il est… Tel est le Mystère qui s’est pleinement révélé en Jésus Christ, Lui qui est ce Fils « né du Père avant tous les siècles » (Crédo) en tant que le Père lui donne d’être ce qu’il est, depuis toujours et pour toujours, en un acte éternel d’amour : « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35), tout ce qu’il est, « tout ce qui est à toi », Père, « est à moi » (Jn 17,10), tout ce qu’il a, « tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15). « Le Père, qui est vivant » (Jn 6,57), « a la vie en lui-même » (Jn 5,26) ? Ainsi « a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la vie en lui-même » (Jn 5,26), et cela en un acte d’amour, éternel, de telle sorte que le Fils peut dire : « Je vis par le Père » (Jn 6,57). Ainsi, « le Fils, né du Père avant tous les siècles » est l’éternel « engendré, non pas créé », « Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, de même nature que le Père » (Crédo). Le Père l’engendre en effet à sa vie de toute éternité en lui donnant, gratuitement, par amour, depuis toujours et pour toujours, la Plénitude de son Être et de sa vie, un Être qui « est Amour » (1Jn 4,8.16), « Esprit » (Jn 4,24), « Lumière » (1Jn 1,5), « vie » (Jn 1,4)…
C’est ce même Don qui a rejoint Isaïe dans le Temple de Jérusalem, Paul sur la route de Damas, Pierre sur le lac de Tibériade, Jacques et Jean au sommet du Mont Thabor, un Don qui est offert, gratuitement, par amour, à tout homme, et qui, tôt ou tard, sait trouver le chemin des cœurs de bonne volonté pour permettre cette magnifique découverte, cette prise de conscience que Dieu, de fait, est là, depuis toujours et pour toujours, à côté de chacun d’entre nous, nous aimant tous « le premier », et se donnant donc déjà à tous pour le meilleur de chacun d’entre nous. « Votre Père des Cieux fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45). Et « le Verbe », quant à lui, l’Unique éternel Engendré, « le Fils Unique » (Jn 1,14 TOB), « Dieu Fils Unique » (Jn 1,18 TOB) est la Lumière véritable qui éclaire tout homme » (Jn 1,9). Il donne donc cet Esprit de Lumière et de Vie qu’il reçoit du Père de toute éternité à tout homme…
Ainsi, lorsque l’Evangile fut annoncé pour la première fois aux païens de la ville d’Ephèse, St Paul écrit : « C’est en lui – dans le Christ – que vous aussi, après avoir entendu la Parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et y avoir cru, vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse, cet Esprit Saint qui constitue les arrhes de notre héritage, et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis, pour la louange de sa gloire » (Ep 1,14-15). Autrement dit, quand les païens ont entendu pour la première fois « la Parole de vérité, l’Evangile du salut », avant même de répondre à cette proclamation par un acte de foi, suivi ensuite du baptême où ils furent marqués du « sceau par l’Esprit de la Promesse », autrement dit le Don de « l’Esprit Saint », ils étaient déjà « en lui », dans le Christ, unis au Christ dans la communion d’un même Esprit, ce qui est présenté d’habitude comme étant les conséquences du baptême… Tout était déjà là, tout était déjà donné, ils étaient déjà en communion avec le Christ, le Don de l’Esprit Saint s’unissant à leur esprit pour leur apporter cette Lumière nouvelle de la Vie qui leur a permis ensuite de dire « Oui, je crois » à ce qu’ils entendaient pour la première fois… Et de fait, « nul ne peut dire « Jésus est Seigneur » si ce n’est par l’Esprit Saint » (1Co 12,3 ; TOB), « s’il n’est avec l’Esprit Saint » (BJ), « sinon dans l’Esprit Saint » (CNPL), c’est-à-dire uni au Christ dans la communion d’un même Esprit… Le Don de l’Esprit nous précède donc toujours… Du côté de Dieu, il nous est déjà donné. Du côté des hommes, il habite déjà le cœur de tous, car n’oublions pas que nous avons tous été créés par le Don que Dieu nous a faits de son « souffle » de vie (Gn 2,4b-7), un Don qui nous rejoints instant après instant pour nous maintenir dans la vie (Job 34,14-15), Don de l’Esprit grâce auquel nous sommes tous « esprit, âme et corps » (1Th 5,23). Tout acte de bonne volonté est donc ouverture à la vérité, la justice, la droiture et donc ouverture à Dieu qui est Vérité, Justice, Droiture… « Dieu de vérité non pas de perfidie, il est juste, il est droit » (Dt 32,4). Mais Dieu est avant tout « Amour » et donc Don gratuit de tout ce qu’il est en lui-même… Cette ouverture à Dieu ne peut donc qu’être au même moment accueil du Don de Dieu qui guidera pour aller toujours plus loin dans la découverte de son « insondable richesse » (Ep 3,8)… Alors, « gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté » (« Gloria in altissimis Deo et in terra pax in hominibus bonae voluntatis », Lc 2,14). En effet, le fruit de cet Esprit qu’ils accueillent par leur bonne volonté, sans en être peut-être encore conscients, « est amour, joie, paix » (Ga 5,25)…
Isaïe, de bonne volonté, pécheur comme nous le sommes tous ici-bas (Rm 3,9‑20), a donc été l’heureux bénéficiaire de cet Amour gratuit et déjà donné du Père qui l’a rejoint par sa Lumière dans ses ténèbres et lui a donné de le voir… Et il pourrait dire avec St Paul : « S’il m’a été fait miséricorde, c’est pour qu’en moi, le premier, Jésus Christ », et donc Dieu avec lui et par lui, « manifestât toute sa patience, faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle » (1Tm 1,16).
« Rempli de l’Esprit Saint » (cf. Lc 1,15.41.67 ; 4,1 ; Ac 2,4 ; 4,8.31 ; 6,3.5 ; 7,55 ; 9,17…) Isaïe voit donc le Roi des rois, Celui donc « le Nom est au dessus de tout nom » (Ph 2,9), « assis sur son trône grandiose et surélevé »… Et « sa Traîne emplissait le sanctuaire », le hékal, la pièce où les prêtres et les serviteurs de la liturgie pouvaient entrer, se retrouvant alors juste en face de la pièce de Dieu, le « Debir » ou « Saint des Saints »… Mais le fait que cette Traîne, attachée aux épaules de Dieu, pour continuer de coller à l’image, soit présente dans la pièce des hommes, est une façon d’affirmer sa Présence au milieu d’eux, sa proximité… Tout dit d’ailleurs cette Présence : « Et le Temple était plein de fumée » (Is 6,4). Et la note de la Bible de Jérusalem précise : « Signe de la présence de Dieu au Sinaï (Ex 19,16), dans la Tente du désert (Ex 40,34‑35), et dans le Temple de Jérusalem (1R 8,10,12 ; Ez 10,4) ».
Une petite différence de traduction entre la Septante[1] et le texte hébreu va encore redire, en des termes semblables, la Présence de Dieu, mais en élargissant encore la perspective… L’auteur emploie cette fois non pas la notion de « fumée » mais celle de « gloire, δόξα, doxa », la Gloire de Dieu renvoyant toujours, d’une manière ou d’une autre, à Dieu Lui-même, présent et agissant[2] :
Is 6,2 : πλήρης ὁ οἶκος τῆς δόξης αὐτοῦ,
plêrês o oikos tês doxês autou
pleine la maison de sa gloire.
Or, nous lisons un peu plus loin, dans la louange des Séraphins :
Is 6,3 : πλήρης πᾶσα ἡ γῆ τῆς δόξης αὐτοῦ,
plêrês pasa ê gê tês doxês autou
pleine toute la terre de sa gloire.
Les deux expressions sont identiques à une exception près : la localisation « géographique » de cette gloire : d’un côté, dans « la maison » (de Dieu), le Temple, et de l’autre, sur « toute la terre »… Autrement dit le Temple est rempli de la Gloire de Dieu comme l’est toute la terre : Dieu est présent partout à tout homme, comme il est présent à tous ceux qui sont dans le Temple de Jérusalem… Nos lieux de prière, en nous séparant de nos activités habituelles, en nous isolant de tout ce qui, dans le monde, est synonyme de bruits, de mouvements, de distractions, etc… nous permettent donc de revenir de tout cœur à Celui qui, de son côté, ne nous a jamais quittés… Nous nous remettons en sa Présence, nous la retrouvons ou plutôt nous nous laissons retrouver par Lui, pour ensuite revenir dans le monde, avec nos proches, nos activités, notre travail, etc… et cela dans cette même Lumière, en nous attachant désormais à éviter tout ce qui pourrait nous détourner d’elle, un combat à reprendre tous les jours, d’où le besoin de ces pauses régulières où nous sommes exclusivement tournés, de cœur, vers Lui…
« Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16) ? « La terre est remplie de son amour » (Ps 33(32),5), un Amour qui est Don de tout ce qu’il est en Lui-même et il est Tout Puissant au sens où rien ni personne ne peut le mettre en échec, sinon bien sûr, le refus, en toute conscience et en toute connaissance de cause, de l’accueillir et de le laisser agir selon ce qu’il est… Ainsi, cet Amour fidèle, éternel, nous rejoint sans cesse au cœur même de notre misère ; il prend alors le visage d’une Miséricorde Toute Puissante que rien, absolument rien, ne peut mettre en échec… Avec elle et par elle, Dieu se propose alors de remporter la victoire dans nos cœurs et dans nos vies sur tout ce qui, en nous, est ténèbres…
Ps 51(50), 3-6 : « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
(Septante : Ἐλέησόν με, ὁ θεός, κατὰ τὸ μέγα ἔλεός σου
Èléêson me, o théos, kata to méga éleos sou
Fais-moi miséricorde, oh Dieu, selon ta grande miséricorde
καὶ κατὰ τὸ πλῆθος τῶν οἰκτιρμῶν σου ἐξάλειψον τὸ ἀνόμημά μου·
kai kata to plêthos tôn oiktirmôn sou éxaleipson to avomêma mou ;
et selon la Plénitude de tes compassions, efface mon péché)
Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Ainsi, tu peux parler et montrer ta justice, être juge et montrer ta victoire ».
Telle est la victoire de la Lumière dans le cœur d’Isaïe, de Paul, de Pierre, de Jacques et de Jean, et de nous tous si nous y consentons, une Lumière qui règne dans les ténèbres, et qui, frappant à la porte de tous les cœurs de bonne volonté, leur permettent de voir « le Seigneur » (Is 6,1), « le Roi, Dieu Sabaoth » (Is 6,5)…
Mais cet « Esprit » de « Lumière » que Dieu donne, et qui est ce par quoi il vit et s’exprime depuis toujours et pour toujours (Jn 4,24 ; 1Jn 1,5), est souvent comparé dans la Bible à un feu… Ainsi, quand Dieu conclut une Alliance avec Abraham, il lui apparut sous la forme d’un « brandon de feu » (Gn 15,17). Puis, lorsqu’il se manifesta à Moïse, il lui apparut « dans une flamme de feu, du milieu d’un buisson » (Ex 3,1s)… « Ton Dieu est un feu dévorant » (Dt 5,25)… « Dieu est Esprit » (Jn 4,24) ? Il est donc aussi « feu » et Jean Baptiste résume ainsi toute la mission de Jésus à notre égard : « Pour moi, je vous baptise dans de l’eau en vue du repentir ; mais celui qui vient derrière moi (…), lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » (Mt 3,11 ; cf. Ac 2,1-4). Ce feu purifie les cœurs, de telle sorte que s’ils acceptent de le laisser agir, ils pourront vivre cette Béatitude : « Heureux les cœurs purs », car purifiés ; « ils verront Dieu » (Mt 5,8)…
C’est ce qu’a vécu ici Isaïe puisque, malgré ses « lèvres impures », « je vis le Seigneur », dit-il. Oui, « mes yeux ont vu le Roi, Dieu Sabaot » (Is 6,1.5). Mais il va pourtant vivre tout un rituel qui lui permettra en fait de prendre conscience de ce que Dieu a déjà réalisé dans son cœur…
Ce rituel va être accompli par un « Séraphim », littéralement, en hébreu, « un brûlant », mystérieuse créature spirituelle qui participe pleinement à ce que Dieu seul est en Lui-même, et il est « feu »… « L’un des Séraphims vola vers moi », « fut envoyé vers moi, d’après la Septante (« ἀπεστάλη πρὸς μὲ, apestalên pros mè »), « tenant dans sa main une braise qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel. » Or l’autel symbolise la Présence de Dieu au milieu de son peuple. Cette « braise » va donc évoquer à son tour ce que Dieu est en Lui-même, et il est « feu »… Isaïe venait de déclarer : « Je suis un homme aux lèvres impures » ? Le Séraphim « me toucha la bouche » avec « la braise » « et dit : Voici, ceci a touché tes lèvres, ta faute est effacée, ton péché est pardonné. » Il suffit donc d’un contact, un seul, bref, rapide, entre Dieu et l’homme pour que tout ce qui faisait obstacle entre lui et nous, avec leurs inévitables conséquences, disparaisse… Et Dieu le réalise par le Don de son Esprit de Lumière et de Feu qui accomplit alors en nous des merveilles de restauration, de salut, de guérison intérieure et de vie…
La maladie était comprise à l’époque comme la conséquence du péché ? La lèpre apparaissait alors comme le fruit le plus grave du péché, un lépreux étant comme un « mort vivant », la lèpre rongeant son corps de son vivant comme le fait la mort dans le tombeau… Un jour, « il y avait un homme plein de lèpre », qui représente donc, dans les croyances de l’époque, un grand pécheur. « À la vue de Jésus, il tomba sur la face et le pria en disant : Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier. Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : Je le veux, sois purifié. Et aussitôt la lèpre le quitta » (Lc 5,12-13). Comme pour Isaïe, un contact a suffi… Purifié de sa lèpre, il reste alors l’homme, pleinement homme, pleinement lui-même, « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-28), c’est-à-dire « participant l’être et la vie du Dieu vivant » (P. Ceslas Spicq)… Nous avons tous été créés pour cela : vivre de la vie même de Dieu, en étant nous aussi, par grâce, par suite de la Miséricorde Toute Puissante de Dieu, ce que Dieu Est de toute éternité : « Par elles », la Gloire et la Puissance du Christ, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), « les précieuses, les plus grandes promesses nous ont été données, afin que vous deveniez ainsi participants de la divine nature, vous étant arrachés à la corruption qui est dans le monde, dans la convoitise » (2P 1,4). Et tout cela n’est possible que par l’action de Dieu Lui‑même, au cœur de notre misère, au cœur de notre faiblesse : « Vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien‑aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés » (Col 1,12-14).
C’est ce qu’a vécu le prophète Isaïe au jour de son appel par Dieu dans le Temple de Jérusalem. « Par ta lumière, nous voyons la lumière » (Ps 36,10). Par la Lumière reçue, gratuitement, par amour, une Lumière victorieuse de toute forme de ténèbres, nous voyons la Lumière, c’est-à-dire Dieu Lui-même puisque « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5)… « Je vis le Seigneur… Mes yeux ont vu le Roi, Dieu Sabaoth » (Is 6,1.5). Et tout le rituel de purification que le Séraphim a ensuite accompli à son égard n’a été réalisé que pour lui permettre de comprendre ce que Dieu avait déjà fait en lui et pour lui…
Nous pourrions redire la même chose avec l’image de l’eau, appliquée souvent elle aussi à l’Esprit Saint, le Don de Dieu… Avec cette image, Dieu est alors présenté comme celui qui lave « les cœurs englués », et les abreuve de son eau (Jn 4,10‑14 ; 7,37-39 ; 19,34 ; 20,22), permettant ainsi à la vie de s’épanouir pleinement… Lisons ce passage du prophète Ezéchiel qui commence par souligner l’infidélité d’Israël, et qui insiste sur le fait que si Dieu agit ainsi à leur égard, ce n’est vraiment pas parce qu’ils le méritent, bien au contraire… Non, l’action de Dieu est totalement gratuite, et elle va manifester « sa sainteté », c’est‑à-dire « qui » il est, car cette notion de « sainteté » renvoie dans la Bible à ce que Dieu est en lui-même[3]… « Saint, saint, saint est le Seigneur Sabaoth », proclament les Séraphins en Is 6,3. Et c’est bien parce qu’il est Saint, c’est-à-dire le seul à être ce qu’il est, et il est Amour (1Jn 4,8.16), Pur Amour qui ne cesse de se donner pour notre bien à tous, que Dieu va agir ainsi à l’égard d’Isaïe, une action qu’il se propose d’accomplir pour nous tous, comme il le promettra d’ailleurs plus tard par le prophète Ézéchiel (6° siècle av JC) :
Ez 36,22-28 : « Eh bien ! dis à la maison d’Israël : Ainsi parle le Seigneur Dieu.
Ce n’est pas à cause de vous que j’agis de la sorte, maison d’Israël,
mais c’est pour mon saint nom,
que vous avez profané parmi les nations où vous êtes venus.
Je sanctifierai mon grand nom
qui a été profané parmi les nations au milieu desquelles vous l’avez profané.
Et les nations sauront que je suis le Seigneur – oracle du Seigneur Dieu –
quand je ferai éclater ma sainteté, à votre sujet, sous leurs yeux.
Alors je vous prendrai parmi les nations,
je vous rassemblerai de tous les pays étrangers et je vous ramènerai vers votre sol.
Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ;
de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai.
Et JE VOUS DONNERAI un cœur nouveau,
je mettrai en vous (litt. JE DONNERAI en vous) un esprit nouveau,
j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et JE VOUS DONNERAI un cœur de chair.
Je mettrai mon Esprit en vous ((litt. jJE DONNERAI mon Esprit en vous)
et je ferai que vous marchiez selon mes lois
et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes.
Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères.
Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu. »
Autrement dit, c’est parce que Dieu est Saint, parce qu’il est le seul à être ce qu’il est, qu’il va agir de la sorte envers Israël infidèle et pécheur… En effet, la sainteté de Dieu est de l’ordre de l’Amour, puisque « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16). « Dieu est saint » (cf. Is 6,3) parce que « Dieu est Amour », et l’Amour est par nature Don de tout ce qu’il est en lui-même : « Le propre de l’Amour est de se répandre, de se donner »[4]. « Dieu est Esprit » (Jn 4,24) ? « Dieu est Saint » (Ps 99(98)) ? Il ne cesse de donner l’Esprit Saint. Israël infidèle et pécheur accepte de le laisser faire ? Alors, gratuitement, par amour, en mettant en œuvre le Don de son Esprit Saint, « en répandant » en leurs cœurs « l’eau pure » de son Esprit, il va les laver, les « purifier de toutes ses souillures et de toutes ses ordures » leur donnant ainsi « un cœur nouveau » par le Don « en lui de son Esprit », cet « Esprit Saint qui sanctifie » le pécheur (2Th 2,13). Et ce qu’il était incapable d’accomplir autrefois, « marcher selon les lois de Dieu, observer et pratiquer ses coutumes », il pourra le faire grâce à la Force de cet Esprit en lui (cf. Ac 1,8 ; 2Tm 1,7)…
Nous le constatons ainsi avec cet exemple : puisque Dieu est ce qu’il est, et donc puisqu’il est Saint, Pur Amour et Don gratuit de tout ce qu’il est en lui-même, et cela pour le seul bien de l’autre, Dieu purifie l’impur, sanctifie le pécheur, justifie l’injuste (Rm 3,21-26), fortifie le faible, transforme en Lumière ce qui est ténèbres, en douceur ce qui est dureté… Avec Lui et grâce à Lui, « les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent » (Mt 11,5). Il suffit de tout lui offrir, de tout cœur, inlassablement, encore et encore, et de le laisser agir…
Isaïe entend ensuite la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ? » La Septante a : « τίς πορεύσεται πρὸς τὸν λαὸν τοῦτον ; tis poreusetai pros ton laon touton ? Qui ira vers ce peuple ? ». Autrement dit, Isaïe est appelé à aller vers ce « peuple aux lèvres impures » « au milieu » duquel « il habite »… « Le Seigneur me dit : Va, et tu diras à ce peuple : Écoutez, écoutez, et ne comprenez pas ; regardez, regardez, et ne discernez pas. Appesantis le cœur de ce peuple, rends-le dur d’oreille, englue-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, qu’il ne se convertisse et ne soit guéri » (Is 6,9-10). La manière dont Dieu s’exprime ici semble sous entendre une action directe pour qu’il en soit ainsi, alors que ce ne sont que les conséquences du péché qui sont décrites… Nous lisons de même dans le Livre de l’Exode, « Dieu endurcit le cœur de Pharaon » (Ex 10,20)… Mais non, telle est encore une de ces imperfections de l’Ancien Testament qui, en cet exemple particulier et en d’autres, offre un regard sur Dieu « imparfait et provisoire »[5]. Et c’est d’ailleurs ce même Livre de l’Exode qui affirme quatre fois : « Le cœur de Pharaon s’endurcit et il ne les écouta pas, comme l’avait prédit le Seigneur » (Ex 7,13.22 ; 8,15 ; 9,35).
Isaïe doit donc s’adresser à un peuple « dur d’oreille », avec des « oreilles qui n’entendent pas » : ce sont « des sourds qui ont des oreilles » (Is 43,8), avec en plus « un cœur qui ne comprend pas »… La mission ne sera donc pas facile… Elle semble même par avance vouée à l’échec… Pourtant, qu’Isaïe n’oublie pas ce qu’il a lui‑même vécu… Dieu a frappé à la porte de sa bonne volonté (Ap 3,20), et il n’a pas refusé d’ouvrir les yeux, « je vis le Seigneur… » et d’entendre ce qui lui était dit, « j’entendis la voix du Seigneur qui disait… », contrairement par exemple aux adversaires d’Etienne qui, eux, n’ont pas voulu entendre ce qu’il disait :
Ac 7,55-58 : « Tout rempli de l’Esprit Saint », cet Esprit de Lumière (Jn 4,24 et 1Jn 1,5) qui permet de voir la Lumière (Ps 36,10), Etienne « fixa son regard vers le ciel ; il vit alors la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Ah! dit-il, je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. Jetant alors de grands cris, ils se bouchèrent les oreilles et, comme un seul homme, se précipitèrent sur lui, le poussèrent hors de la ville et se mirent à le lapider. »
La possibilité d’un refus existe donc toujours mais l’œuvre de Dieu, Isaïe l’a lui-même vécu, consiste justement à « ouvrir les oreilles et les yeux » de celles et ceux qui sont de bonne volonté et cherchent sincèrement la vérité… Recevant le même Esprit, ils vivront alors eux aussi ce que lui-même a vécu :
« En ce jour-là, les sourds entendront les paroles du livre et, délivrés de l’ombre et des ténèbres, les yeux des aveugles verront » car ce jour sera « le jour du Seigneur Sabaoth » (Is 2,12 ; 30,26 ; 49,8), le jour où ce sera avant tout Dieu Lui-même qui sera à l’œuvre avec et par la Toute Puissance de sa Miséricorde agissant au cœur même de la mission de ses envoyés… Ce jour-là, « les malheureux trouveront toujours plus de joie dans le Seigneur, les plus pauvres des hommes exulteront à cause du Saint d’Israël » (Is 29,18-19). « Que soient pleins d’allégresse désert et terre aride, que la steppe exulte et fleurisse ; comme l’asphodèle, qu’elle se couvre de fleurs, qu’elle exulte de joie et pousse des cris, la gloire du Liban lui a été donnée, la splendeur du Carmel et de Saron. C’est eux qui verront la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu. Fortifiez les mains affaiblies, affermissez les genoux qui chancellent », car en effet « le péché m’a fait perdre mes forces » (Ps 31(30),11)… « Dites aux cœurs défaillants : Soyez forts, ne craignez pas ; voici votre Dieu. C’est la vengeance qui vient », Dieu se vengeant du mal et de toutes ses conséquences en remportant sur lui la victoire, « enlevant » (Jn 1,29) nos ténèbres pour nous donner sa Lumière (Jn 12,46), enlevant la mort pour nous donner la vie (Rm 6,23), car « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20). Telle est cette « rétribution divine qui vient », prophétisait Isaïe. « C’est lui qui vient vous sauver. Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds s’ouvriront. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la langue du muet criera sa joie », une phrase que Jésus reprendra pour répondre à Jean Baptiste qui, emprisonné, avait « envoyé de ses disciples pour lui demander : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11,2-6). Et tout cela se réalisera par le Don de l’Esprit, le Don gratuit de l’Amour, Eau pure qui purifie, Eau vive qui vivifie : « Parce qu’auront jailli les eaux dans le désert et les torrents dans la steppe. La terre brûlée deviendra un marécage, et le pays de la soif, des eaux jaillissantes… Ceux qu’a libérés le Seigneur reviendront, ils arriveront à Sion criant de joie, portant avec eux une joie éternelle. La joie et l’allégresse les accompagneront, la douleur et les plaintes cesseront » (Is 35 ; cf. Ap 21,4).
Telle sera toute la mission de ce mystérieux serviteur, une figure accomplie par le Christ et toujours actuelle par son Eglise « Corps du Christ » (1Co 12,12-13), blessée, certes, ayant besoin elle aussi de guérison, certes, mais servante elle aussi à la suite du Christ Serviteur… « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît » (cf. Mc 1,11). « J’ai mis sur lui mon Esprit, il présentera aux nations le droit. Il ne crie pas, il n’élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue ; il ne brise pas le roseau froissé, il n’éteint pas la mèche qui faiblit », deux images qui renvoient au pécheur blessé… « Fidèlement, il présente le droit ; il ne faiblira ni ne cédera jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre, et les îles attendent son enseignement. Ainsi parle le Seigneur Dieu, qui a créé les cieux et les a déployés, qui a affermi la terre et ce qu’elle produit, qui a donné le souffle au peuple qui l’habite, et l’esprit à ceux qui la parcourent » (cf. Gn 2,4b-7). « Moi, le Seigneur, je t’ai appelé dans la justice, je t’ai saisi par la main, et je t’ai modelé, j’ai fait de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour extraire du cachot le prisonnier, et de la prison ceux qui habitent les ténèbres » (Is 42,1-7)… « Je conduirai les aveugles par un chemin qu’ils ne connaissent pas, par des sentiers qu’ils ne connaissent pas je les ferai cheminer, devant eux je changerai l’obscurité en lumière et les fondrières en surface unie. Cela, je le ferai, je n’y manquerai pas » (Is 42,16). Alors, si autrefois « nous tâtonnions tous comme des aveugles cherchant un mur, comme privés d’yeux nous tâtonnions », si autrefois « nous trébuchions en plein midi comme au crépuscule », si autrefois « parmi les bien-portants nous étions comme des morts » (Is 59,10) maintenant, « sourds, entendez ! Aveugles, regardez et voyez ! » (Is 42,18) car « elle est venue ta lumière et sur toi resplendit la gloire du Seigneur… Le Seigneur sera pour toi une lumière éternelle, et ton Dieu sera ta splendeur… Le Seigneur sera pour toi une lumière éternelle, et les jours de ton deuil seront accomplis » (Is 60,1.19-20)…
La mission d’Isaïe consistera donc à faire en sorte que tous ceux et celles qu’il rencontrera puissent vivre eux aussi ce que lui-même a vécu… Et il en est en fait de même pour toute personne ayant rencontré le Christ Sauveur, avec ce Trésor de Miséricorde et de Vie qu’il est venu offrir à tous… Paul était dans les ténèbres ? Le Christ lui a ouvert les yeux (Ac 9) ? Comme Isaïe, voici la mission qu’il reçut : « relève-toi et tiens-toi debout. Car voici pourquoi je te suis apparu : pour t’établir serviteur et témoin de la vision dans laquelle tu viens de me voir et de celles où je me montrerai encore à toi. C’est pour cela que je te délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je t’envoie, moi (cf. Is 6,8), pour leur ouvrir les yeux, afin qu’elles reviennent des ténèbres à la lumière et de l’empire de Satan à Dieu, et qu’elles obtiennent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et une part d’héritage avec les sanctifiés » (Ac 26,16-18).
Cette « part d’héritage » est ce Don de l’Esprit Saint, donné gratuitement par l’Amour dont « le propre est de se répandre, de se donner » (Pape François)[6]… C’est par ce Don gratuit et « inconditionnel » (Pape François)[7] que tout s’accomplit, par lequel tout est donné, même si, bien sûr, « tout don, pour être tel, doit avoir quelqu’un disposé à le recevoir »[8]… Souvenons-nous d’Ep 1,13 : « Après avoir entendu la Parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et y avoir cru, vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse, cet Esprit Saint qui constitue les arrhes de notre héritage, et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis, pour la louange de sa gloire » (Ep 1,13-14). La foi est confiance, ouverture de cœur à Dieu, abandon, le laissant accomplir en nous ce qu’il désire… Ressuscité, le Christ « vint » à ses disciples, « se tint au milieu et leur dit : « La paix soit avec vous »… Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint » » (Jn 20,19-23). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24) ? « Dieu est Saint » (Ps 98) ? Avec et par ce Don gratuit de l’Amour, le projet du Dieu créateur s’accomplit pour quiconque y consent : « Que Dieu soit tout en tous » (1Co 15,28)…
D. Jacques Fournier
[1] Traduction grecque du texte hébreu de l’Ancien Testament, réalisée par la communauté juive d’Alexandrie à partir du 3° s. av JC.
[2] Voir une synthèse sur la notion de gloire en annexe.
[3] Voir une synthèse sur la notion de sainteté en annexe.
[4] Pape François, audience du mercredi 14 juin 2017. : «
[5] Concile Vatican II, « Dei Verbum », & 15.
[6] Pape François, audience du mercredi 14 juin 2017 (cf. note 4).
[7] Id.
[8] Pape François, « Lettre apostolique DESIDERIO DESIDERAVI » du 29 juin 2022, & 3.
EXCURSUS :
1 – NOTION DE GLOIRE : cliquer sur le titre ci-après : Gloire de Dieu
2 – NOTION DE SAINTETÉ : cliquer sur le titre ci-après : Sainteté de Dieu
Fête du Saint Sacrement avec Jn 6 : Jésus « Pain de Vie » (DJF).
Dans le chapitre 6 de l’Evangile selon St Jean, Jésus se présente comme étant « Pain de Vie » par sa Parole et par sa chair offerte. Cet ensemble est superbement écrit… Avec la multiplication des pains, que Jésus distribue lui-même à chaque personne présente, il se révèle, en acte, comme étant « le pain« , une nourriture qui est toujours destinée à nourrir la vie de celles et ceux qui acceptent de le recevoir. Puis, il rejoint la barque de ses disciples, en plein milieu du lac de Tibériade, en marchant sur la mer, une mer où, croyait-on à l’époque, habitaient les démons. En agissant ainsi il manifeste sa victoire sur le mal, mais surtout, il fait ce que Dieu seul peut faire : « Lui seul« , en effet, « a foulé le dosse la mer » (Job 9,8). De plus, en reprenant la forme grammaticale particulière du Nom divin révélé à Moïse dans le buissons ardent, « Egô, eimi, Je Suis » (Ex 3,14), il dit à ses disciples ce que Dieu seul peut dire. Il leur révèle donc en cet épisode le Mystère de sa divinité… Récapitulons : « Je Suis » (marche sur la mer) « le pain qui donne la vie » (multiplication des pains) : nous avons là, en actes, l’affirmation avec laquelle il commencera chacune des deux parties du discours qu’il donnera par la suite dans la Synagogue de Capharnaüm : « Je Suis le pain de vie » (Jn 6,35 et Jn 6,48). Dans la première, il se présentera comme « Pain de vie par sa Parole« , dans la seconde comme « Pain de vie par sa chair offerte« . Et il donnera un peu plus loin la clé d’interprétation de l’ensemble (Jn 6,63) : « La chair ne sert de rien (2° partie), c’est l’Esprit qui vivifie. Les Paroles (1° partie) que je vous ai dites, son Esprit et elles sont Vie« .
Autrement dit, dans le cadre d’une relation de coeur avec Lui, Jésus se présente comme nous communiquant sa propre vie, cette vie éternelle qu’il reçoit de toute éternité de son Père en Unique Engendré. Avec Lui et par Lui, Dieu tout entier, dans la richesse de son Être (« Je Suis ») se présente à nous comme étant « le Pain de Vie« . Mais le Pain n’existe pas pour lui-même… Dès qu’il sort du four, il est appelé à disparaître pour nourrir la vie de ceux qui le recevront… Ainsi, avec le Christ et par le Christ, Dieu Lui-même se révèle comme « Pain » : il va se donner Lui-même, il va nous donner son « Je Suis« , la Plénitude de son Être, pour que nous aussi, selon notre condition de créature, nous puissions dire à notre tour: « Je Suis!« . Telle est l’incroyable aventure de la vocation humaine : participer, dans l’Amour, gratuitement, par Amour, à la Plénitude même de Celui qui nous a tous créés « à son image et ressemblance », une expression dans la Bible caractéristique de la paternité… Dieu Père de tout homme a créé tout homme pour qu’il participe à la Plénitude de son Être, qui, de toute éternité, Est Amour, Lumière, Vie, Paix, Joie… Voilà ce que nous révèle ici Jésus en ce discours superbement écrit et construit… un véritable trésor… En fin d’article, vous trouverez ce document en format PDF, ce qui permet de conserver la mise en page. La lecture sur grand écran en est alors facilité, et il est aussi toujours possible de l’imprimer… Bonne lecture à vous, et surtout beaucoup de bonheur à vivre, dès maintenant, par la foi et dans la foi, en accueillant de tout coeur cette parole de Jésus, ce « quelque chose » de sa Vie qui nous est déjà donné… « Tu mets dans mon coeur plus de joie, que toutes leurs vendanges et leurs moissons » (Ps 4,8)… Le vrai Bonheur est là, et il est possible d’y goûter dès maintenant, grâce « aux entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,78).
I- La multiplication des pains (Jean 6,1-15) :
Jésus se présente en actes comme étant « le pain ».
1 – « Une grande foule le suivait à la vue des signes qu’il opérait sur les malades ».
« Dieu est Esprit » (Jn 4,24) et donc par nature invisible à nos seuls yeux de chair. Et pourtant, « le Royaume des Cieux est là, au milieu de nous » (Lc 17,21)… Dieu est présent à la vie des hommes depuis que l’humanité existe, il vit en Alliance avec eux tous (Gn 9,8-17)… « Le Verbe était la lumière véritable qui éclaire tout homme » (Jn 1,9). Pour nous aider à reconnaître sa Présence et à croire en Lui, Jésus a accompli des signes visibles (Jn 4,48 ; 20,30‑31 ; Lc 7,18-23) pour bien nous montrer que le Père l’avait vraiment envoyé dans le monde (Jn 5,36 ; 10,36-38 ; 14,10-11) pour nous sauver (Jn 3,16-17). Le but de ces miracles est donc de nous introduire dans une relation de foi avec Lui : il s’agira de passer du visible à l’invisible. Ces actions dont l’origine nous dépasse nous aideront à nous poser la vraie question : mais qui donc est Jésus ? Nous serons alors invités à poser sur lui un regard différent de celui que nous pouvons posons habituellement sur ceux et celles qui nous entourent : nous le regarderons de tout cœur pour reconnaître en Lui cette Présence invisible à nos yeux de chair, une Présence pourtant bien réelle… Mais seule la foi peut l’accueillir, la reconnaître, la percevoir… Les signes visibles nous sont donc donnés pour nous aider à vivre une relation authentique avec Celui qui, invisiblement, est sans cesse présent à notre cœur et à notre vie (Mt 28,20 ; 6,6 ; Jn 14,15-20).
C’est ainsi que le Christ Ressuscité s’est manifesté à deux de ses disciples qui, après sa mort et sa résurrection, quittaient Jérusalem pour se rendre à Emmaüs (Lc 24,13‑35). Au début, il leur est apparu sous une forme visible à leurs yeux de chair, mais leur regard intérieur, le regard de foi, le regard du cœur qui, seul, peut reconnaître la Présence de ce Dieu « Esprit », n’était pas encore éveillé… « Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître », écrit St Luc (Lc 24,16). Ils le prennent d’ailleurs pour un habitant quelconque de Jérusalem. Mais en chemin, Jésus se met à leur expliquer les Ecritures, et l’Esprit de Vérité vient alors rendre témoignage à sa Parole de Vérité (Jn 15,26) : leur cœur devient tout brûlant (Lc 24,32). Puis, au cours d’un repas partagé avec lui, « il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna » (Lc 24,30 ; 22,19-20). Voilà un geste qu’ils reconnaissent tout de suite, car ils étaient très certainement présents au moment de l’institution de l’Eucharistie (Lc 22,11) : le déclic se fait… Cet homme qu’ils ont là devant eux, c’est Lui, c’est le Christ ! « Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent » (Lc 24,31)… Mais à ce moment-là, leurs yeux de chair sont bien ouverts ! Et ils voient bien cet homme sous la forme visible que Dieu a voulu lui donner en cet instant, une forme certainement différente de celle qu’il avait habituellement autrefois… Ces « yeux » qui « s’ouvrent » renvoient donc non pas aux yeux de chair mais à ce regard du cœur, regard intérieur, regard de foi qui sait reconnaître désormais la Lumière de l’Esprit, invisible aux seuls yeux de chair… Voilà où Jésus voulait les conduire… C’est pourquoi il disparaît aussitôt à leurs yeux sous cette forme visible qu’il avait en cet instant… « Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent… mais il avait disparu de devant eux. » Les yeux de chair ne voient plus rien, mais les yeux du cœur désormais ouverts continuent de voir, de percevoir cette réalité spirituelle qui, désormais, ne les abandonnera jamais… « Le Seigneur Dieu en effet est un Soleil » (Ps 84,12), sa « Lumière » (1Jn 1,5) brille sans cesse, elle « remplit » l’univers… « La Gloire du Seigneur remplit toute la terre » (Nb 14,21 ; Is 6,3 ; Ez 43,2 ; Ha 3,3).
Telle est la Révélation qui nous est advenue par le Christ, révélation d’une réalité qui existe depuis que le monde existe : Dieu est là, tout proche de chacun d’entre nous, vivant en Alliance avec tout homme, Présence fidèle qui ne désire et ne cherche que son seul bien (Jr 32,37-41)… Sa toute première parole en St Marc est d’ailleurs : « Le Royaume de Dieu est tout proche » (Mc 1,15). Et il suffit de mettre ensemble ces deux versets de Jean et de Matthieu pour retrouver, avec Lui et par Lui, ce que nous venons de voir à l’instant avec l’Ancien Testament : « Je Suis la Lumière du monde » (Jn 8,12)… « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20)… Nous ne pouvons donc qu’être dans la Lumière, une Lumière qui est tout en même temps Vie, Paix… « Moi, Lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. Je Suis la Lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie… Je vous laisse la Paix, je vous donne ma Paix » (Jn 12,46 ; 8,12 ; 14,27).
La Lumière à laquelle Dieu nous appelle tous est donc spirituelle, invisible à nos seuls yeux de chair… « Dieu Est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu Est Lumière » (1Jn 1,5). Les signes visibles que Jésus accomplit ont pour but d’éveiller notre regard intérieur, le regard du cœur, à cette réalité spirituelle… Et ce regard est « Vie », car « l’Esprit vivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6), l’Esprit est appelé à devenir notre vie (Ga 5,25). Ce ‘voir’ est donc un ‘vivre’, et la vie ne se voit pas, elle se vit. Telle est la réalité que nous avons à reconnaître en la vivant… Ste Thérèse de Lisieux écrivait : « La vie est bien mystérieuse. Nous ne savons rien, nous ne voyons rien et pourtant, Jésus a découvert à nos âmes ce que l’œil de l’homme n’a pas vu. Oui, notre cœur pressent ce que le cœur ne saurait comprendre puisque, parfois, nous sommes sans pensée pour exprimer un je-ne-sais-quoi que nous sentons dans notre âme ».
Le Christ ressuscité a donc disparu sous sa forme visible aux deux disciples d’Emmaüs, à nous tous, et il les a laissés, il nous a laissés, à ce regard de foi où désormais il ne s’agit plus de le voir de manière visible. Mais, à partir de maintenant, nous le retrouverons par la prière, le recueillement, et ce regard du cœur qui, seul, saura discerner sa Présence et son action au cœur des réalités les plus humbles de notre vie quotidienne. Si, autrefois, disait St Paul, certains ont pu « connaître le Christ selon la chair », comme nous pouvons nous connaître les uns les autres, « maintenant, ce n’est plus ainsi que nous le connaissons » (2Co 5,16‑21). L’Esprit Saint envoyé par le Christ et que nous avons tous reçu au jour de notre baptême, nous a introduits dans un mystère de Communion avec Lui, nous donnant de vivre de sa Vie… Un regard de foi nous permet alors, de tout cœur, d’accueillir et de reconnaître la Présence de cette Vie dans la mesure même où il nous est donné de la vivre… Certes, nous ne voyons pas le Christ, mais nous savons qu’il est là, tout proche, présent à nos côtés, uni à chacun de nous dans cette Communion de Vie, une Vie qui remplit son cœur et commence à remplir le nôtre. Et c’est ainsi qu’invisiblement, le Christ, notre Bon Pasteur, s’occupe très concrètement de chacun d’entre nous. Il se fait Lui‑même « le Chemin » qui, dans « la Vérité » de sa Miséricorde toujours offerte à la vérité de notre misère, nous conduit à « la Vie » (Jn 14,5 ; Lc 1,76-79)… Cette Vie est celle de « l’Esprit qui vivifie », un « Esprit » qui est « Lumière », une Lumière qui « illumine les yeux du cœur » et leur donne de « voir » « ce que l’œil ne voit pas » (Jn 6,63 ; 4,24 ; 1Jn 1,5 ; Ep 1,17-20 ; 1Co 2,9-12)…
« Je Suis le Chemin, la Vérité et la Vie… Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements ; et je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur, pour qu’il soit avec vous à jamais, l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît. Vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous ; et en vous il sera. Je ne vous laisserai pas orphelins. Je viendrai vers vous. Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous verrez que je vis et vous aussi, vous vivrez. Ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous » (Jean 14,6.15-20).
Voilà donc la réalité de foi où le Christ veut nous conduire. Les signes visibles ne nous sont donnés que pour nous aider à mieux l’accueillir. Il ne faut donc pas s’arrêter aux seuls signes : avec eux et par eux, Jésus nous invite à aller toujours plus loin, en ce mystère de communion avec Lui et avec le Père, en un seul Esprit (Ep 2,18). C’est là que Dieu nous attend tous. Une foi qui ne s’arrêterait qu’aux seuls signes serait donc encore imparfaite et fragile : « Comme il était à Jérusalem durant la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il faisait. Mais Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous et qu’il n’avait pas besoin d’un témoignage sur l’homme : car lui-même connaissait ce qu’il y avait dans l’homme » (Jn 2,23-25).
Mais Jésus sait bien que notre foi a besoin de signes pour s’épanouir et grandir. En Jean 6, « les foules viennent à lui à la vue des signes qu’il opérait sur les malades ». Certes, leur foi est encore imparfaite, mais Jésus, comme toujours, va les accueillir tels qu’ils sont, avec bienveillance et bonté. Une fois de plus, il ne cherchera que leur bien. Et si, pour l’instant, ils ne sont attirés que par les signes, Jésus va leur donner un nouveau signe dans l’espoir qu’avec lui, ils sauront cette fois aller plus loin : des réalités visibles aux réalités invisibles (Col 3,1-4)… Mais hélas, il faudra encore attendre… Ces foules en resteront à nouveau au seul aspect visible et matériel. Certes, elles reconnaîtront en lui « le prophète qui doit venir dans le monde », et c’est un premier pas… Mais elles n’en voudront pas moins s’emparer de lui pour le contraindre à devenir leur roi, un roi terrestre semblable à tous les autres rois terrestres, mais un roi exceptionnel par sa bonté : ne vient-il pas de leur donner à manger gratuitement et en surabondance ?
2 – Jésus est le nouveau Moïse.
« Jésus gravit la montagne et là, il s’assit avec ses disciples. Or la Pâque, la fête des Juifs était proche »… Les parallèles avec Moïse se multiplient en ces lignes :
– 1 – « Jésus gravit la montagne »… Allusion à la montagne du Sinaï où Dieu, après la sortie d’Egypte, donna la Loi à son Peuple (Ex 19-20). Dans la Bible, la montagne, avec son sommet plus proche du ciel, est une image « physique » qui renvoie à une intimité toute particulière avec Dieu… Et de fait, c’est bien le Père, avec son Fils et par son Fils, qui agira…
– 2 – Jésus « s’assit avec ses disciples » est assis, comme autrefois Moïse pouvait l’être lorsqu’il enseignait la Loi ou siégeait en juge de son peuple (Ex 18,13). Et ses successeurs, les scribes et les Pharisiens, le feront également à sa suite (Mt 23,2).
– 3 – « La Pâque, la fête des Juifs était proche », cette fête où Israël célébrait la libération de l’esclavage de l’Egypte que Dieu avait accomplie autrefois avec et par son serviteur Moïse.
– 4 – Comme nous venons de le voir, les foules à la fin de la multiplication des pains, étaient prêtes à reconnaître en Jésus « le prophète qui devait venir dans le monde », ce prophète que Moïse avait jadis annoncé comme étant ce successeur à qui Dieu donnera sa Parole, et que tous écouteront :
Dt 18,15-19 : « Le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi, que vous écouterez… Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi (Moïse), je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. »
Et c’est bien ce qui s’est pleinement accompli avec Jésus, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), vrai homme et vrai « Dieu Fils unique » :
Jn 17,7-8 : « Les paroles que tu m’as données, je les leur ai données, et ils les ont accueillies et ils ont vraiment reconnu que je suis sorti d’auprès de toi »…
– 5 – Puis le parallèle se poursuivra dans le discours que Jésus donnera dans la synagogue de Capharnaüm lorsqu’il évoquera par trois fois cette manne que les Pères ont mangée pendant quarante ans au désert (Exode 16 ; Jean 6,31-32 ; 6,49-50 ; 6,58).
Jésus est donc le Nouveau Moïse, Celui avec qui et par qui Dieu veut nous arracher à l’esclavage du péché et à son cortège de « souffrances » et de « ténèbres » pour nous conduire dans « la Liberté de la Gloire des enfants de Dieu », tous « remplis de son Esprit » qui sera notre Lumière, notre Vie, la Source de ce vrai Bonheur et de cette vraie Joie à laquelle il appelle tous les hommes (Rm 2,9 ; Jn 8,31-36 ; 8,12 ; 12,46 ; Gal 5,1 ; 5,13 ; Jn 10,10 ; Mt 5,1‑11 ; Jn 15,11 ; Col 1,13-14 ; Ac 26,15-18 ; 1Tm 2,3-6).
Mais si Jésus est bien un prophète de la stature de Moïse, il est bien plus qu’un prophète : vrai homme, il est aussi vrai Dieu. Lui aussi peut donc dire en vérité « Je Suis » (Jn 8,24.28.58) comme Dieu autrefois l’a dit à Moïse dans le Buisson ardent (Ex 3,13‑15). Il est ce « Dieu Unique Engendré » (Jn 1,18 ; cf. 1,1) qui se reçoit du Père de toute éternité (Jn 1,14) et que Thomas appellera, dans la Lumière de sa Résurrection, « mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20,28 ; cf. Tt 2,11-14 ; Col 2,9 ; Ph 2,6 et 2,9-11). « Engendré, non pas créé, il est de même nature que le Père » (Crédo), il est Dieu comme le Père aussi est Dieu…
3 – Jésus voit nos besoins et agit…
« Levant les yeux et voyant qu’une grande foule venait à lui »… La foule ne demandera rien à Jésus… C’est Lui qui, en la regardant, saura comprendre son besoin, et, de sa propre initiative, il interviendra et les comblera… Pensons que le Christ ressuscité « est le même, hier et aujourd’hui, et il le sera pour l’éternité » (Hb 13,8). Comme Dieu son Père et notre Père (Jn 20,17), il sait de quoi nous avons besoin avant même que nous lui ayons demandé quoi que ce soit (Mt 6,7-8), et il est hors de question qu’il ne fasse pas tout son possible pour venir à notre aide (Lc 12,22-31) : « Ne cherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez ; ne vous tourmentez pas. Car ce sont là toutes choses dont les païens de ce monde sont en quête ; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Aussi bien, cherchez son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît ».
Et c’est bien ce qu’il s’est passé ici : les foules en suivant Jésus ont cherché avant tout ce Royaume des Cieux qu’il ne cessait de leur annoncer en paroles et en actes… Mais ils ont aussi besoin de manger et de boire : Dieu le leur donnera en abondance, avec son Fils et par Lui…
En nous invitant ainsi à la confiance, Jésus nous partageait son expérience du Père. Il savait que le Père s’occupait de lui, jusques dans les moindres détails de sa vie, et il savait aussi que nous sommes aimés du même Amour (Jn 16,26-27)… A la lumière d’une telle certitude, il ne s’est jamais préoccupé d’acheter quoi que ce soit… La question qu’il pose à Philippe aurait dû attirer son attention, d’autant plus que l’endroit était désert, sans aucune possibilité de faire des achats, et les disciples n’avaient pas avec eux, bien sûr, la somme nécessaire pour répondre aux besoins d’une telle foule ! « Deux cents deniers de pain ne suffisent pas pour que chacun en reçoive un petit morceau ! » La somme de 200 deniers représentait à l’époque le salaire d’un ouvrier agricole pendant environ huit mois ! De plus, Philippe aurait pu se souvenir de la Parole de Dieu transmise par le prophète Isaïe (55,1-3) :
« Ah ! vous tous qui avez soif, venez vers l’eau, même si vous n’avez pas d’argent, venez, achetez et mangez ; venez, achetez sans argent, sans payer, du vin et du lait. Pourquoi dépenser de l’argent pour autre chose que du pain, et ce que vous avez gagné, pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez, écoutez-moi et mangez ce qui est bon ; vous vous délecterez de mets succulents. Prêtez l’oreille et venez vers moi, écoutez et vous vivrez. Je conclurai avec vous une alliance éternelle, réalisant les faveurs promises à David »…
Et la nourriture qu’il s’agit ici, en Isaïe, « d’acheter sans argent » se mangera en écoutant : il s’agit donc de la Parole de Dieu, vrai Pain de Vie, qui communique la Vie même de Dieu à quiconque l’écoute avec foi, dans la simplicité et la confiance… Dieu vient alors combler ce cœur ouvert par la Plénitude de sa Vie, grâce à l’action de l’Esprit Saint, cet « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63) et qui se joint toujours à sa Parole. C’est ainsi qu’il lui rend témoignage par sa simple Présence « vivifiante » dans les cœurs (Jn 16,26). En effet, Jean-Baptiste déclare à propos de Jésus : « Celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34). Accueillir avec foi, avec confiance cette Parole, c’est donc recevoir au même moment en son cœur l’Esprit qui est toujours donné avec elle, un Esprit qui est Vie.
C’est ainsi que Jésus, nous le verrons, commencera à se présenter comme étant « Pain de Vie » en tant qu’il nous donne la Parole qui vient du Père, et avec elle l’Esprit qui vient lui aussi du Père… Lui, il reçoit de toute éternité cet Esprit qui jaillit du Père et qui l’engendre en Fils vivant de la Vie même du Père… « Comme le Père, en effet, a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui‑même… Je vis par le Père » (Jn 5,26 ; 6,57). Et Jésus ne cesse de rendre témoignage à cette Vie qu’il reçoit gratuitement du Père, par amour, pour que nous aussi, nous puissions la recevoir à notre tour. Mais croirons-nous en son témoignage ? Accepterons-nous de lui offrir notre foi ? Consentirons-nous à le laisser agir en nos cœurs en Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, jour après jour, instant après instant, pour que nous soyons remplis de sa Vie, en surabondance (Jn 10,10) ? Tel est le but de toute sa mission, et telle est notre vocation à tous. « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle » (Jn 6,47)… Et nous retrouverons à nouveau dans la symbolique des chiffres utilisée lors de la multiplication des pains cette Parole de Dieu présentée comme « Pain de Vie »…
4 – Le passage de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance…
« Un enfant » se propose ici de donner à Jésus le peu qu’il a, « cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde » ? D’un point de vue humain, ce geste est fou et bien peu réaliste. Si chacun ne peut en recevoir qu’une miette, il aurait mieux valu qu’il garde ces pains pour lui et qu’il les mange en cachette : lui, au moins, il aurait été rassasié… Mais non, l’amour invite à la folie et cet enfant va offrir à Jésus le peu qu’il a… Et dans les mains de Jésus, ce « peu » sera multiplié jusqu’à nourrir une foule immense… Et nous, aurons-nous cette même spontanéité et ce même regard de foi pour offrir à Jésus le peu que nous avons, le peu que nous savons, le peu que nous sommes pour que Jésus puisse faire avec ce peu des merveilles ? Car le Créateur de l’univers infini qui nous entoure a voulu avoir besoin de notre « petit peu » pour que ceux et celles qui nous entourent puissent être à leur tour comblés de ses dons… Oserons-nous donc nous lancer dans cette aventure, en offrant nous aussi à Jésus, à l’exemple de cet enfant, notre « petit peu » et en nous engageant ainsi dans l’Eglise au service de nos frères et de l’annonce de l’Evangile ?
En précisant par deux fois (Jean 6,9 ; 6,13) que ces pains sont « des pains d’orge » (seules fois avec Ap 6,6 où le mot « orge » apparaît dans le Nouveau Testament), St Jean fait allusion à la multiplication des pains que Dieu réalisa autrefois par son prophète Elisée. Les ressemblances avec ce texte sont nombreuses (2R 4,42‑44) :
« Un homme vint de Baal-Shalisha et apporta à l’homme de Dieu du pain de prémices, vingt pains d’orge et du grain frais dans sa besace. Celui-ci ordonna : « Offre aux gens et qu’ils mangent », mais son serviteur répondit : « Comment servirai-je cela à cent personnes ? » Il reprit : « Offre aux gens et qu’ils mangent, car ainsi a parlé le Seigneur : “On mangera et on en aura de reste.”» Il leur servit, ils mangèrent et en eurent de reste, selon la parole du Seigneur ».
Nous constatons que, dans ce texte, ce pain est « du pain de prémices », c’est-à-dire du pain fabriqué avec la farine obtenue à partir des tout premiers grains de la nouvelle récolte d’orge. Une fois cuit, il était ensuite porté au Temple de Jérusalem où on l’offrait à Dieu en « action de grâces » (Lv 23,17 ; 2,14 ; « rendre grâces », en grec, se dit « eÙcarist™w, eucharistéo »). Il s’agit donc ici d’un pain liturgique offert au Seigneur en obéissance aux prescriptions contenues dans la Loi de Moïse. Pour St Jean, ce pain va symboliser toute l’ancienne Alliance que Dieu a conclue autrefois avec Israël sur la base des Dix Paroles qu’il avait données à Moïse au sommet du Mont Sinaï (Ex 24,1‑11). Et Jésus va prendre ce pain de l’Ancienne Alliance pour le transformer en pain de la Nouvelle Alliance, cette Alliance Nouvelle et Eternelle qu’il est venu conclure en faveur de tous les hommes en s’offrant lui-même sur le bois de la Croix… Avec le Christ et par Lui, nous assistons donc ici au passage de l’Ancienne Alliance à la Nouvelle Alliance… L’Eucharistie en sera le sacrement par excellence par lequel Dieu nous introduira au cœur de son mystère de communion et d’amour (Mt 26,26-28) : « Tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » Puis, prenant une coupe, il rendit grâces (εὐχαριστήσας, eucharistésas) et la leur donna en disant : « Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés ». En St Luc, il dira : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous » (Lc 22,20)…
La symbolique des chiffres traduit également cette notion d’accomplissement de l’Ancienne Alliance. « Cinq » renvoie en effet « aux cinq premiers livres » de la Bible, un ensemble que les juifs appellent « la Torah, la Loi », car ils renferment tous les textes de loi qui régissaient la vie d’Israël dans tous les domaines : religieux, familial, civil… Et cette Loi a pour cœur les « Dix Paroles » de Dieu données à Moïse. « Cinq » renvoie donc à la Parole de Dieu telle qu’on la trouvait à l’époque de Jésus dans ce que nous appelons aujourd’hui « l’Ancien Testament ». Le chiffre « mille » évoque, quant à lui, une multitude innombrable, la notion d’infini n’existant pas en hébreu… Les « cinq mille hommes » représentent donc ici l’ensemble du Peuple d’Israël qui a reçu de Dieu comme chemin de vie la Loi centrée sur les Dix Paroles. Pour nourrir ce Peuple, Jésus prendra « cinq pains », une nouvelle allusion à ces « cinq Livres », mais ils deviendront en ses mains ce « Pain de Vie » donné, multiplié à l’infini, que précisera son discours dans la synagogue de Capharnaüm. Et de fait, dans un premier temps, Jésus sera « Pain de Vie » par sa Parole. La référence de l’Alliance Nouvelle n’est donc plus constituée par « les Dix Paroles » de Dieu transmises par Moïse au Peuple d’Israël, mais par « la Parole de Dieu le Père » transmise directement par son Fils Unique, Jésus Christ, au monde entier (Jn 17,7-8 ; 12,49-50 ; 8,28 ; 7,16-17 ; cf. Rm 13,8-10). « Vous avez entendu qu’il a été dit », et Jésus cite alors une des Dix Paroles. « Eh bien, moi je vous dis » (Mt 5,20-48)… Désormais la Parole qu’il a lui-même reçue du Père (Jn 17,7-8 ; 12,49-50 ; 8,28 ; 7,16-17) est la référence ultime… Mais les deux ne s’opposent pas, car elles ont une seule et même Source : le Père ! Jésus n’est pas venu pour abolir la Loi mais pour l’accomplir (Mt 5,17-19)… Avec Lui et par Lui, nous arrivons au cœur même de la Révélation : Dieu est Pur Amour (1Jn 4,8.16), toujours offert, toujours bienveillant… Où que nous soyons, quoique nous fassions, son seul désir est de nous communiquer ce « meilleur » qu’il nous sait capables de recevoir, pour nous conduire ensuite vers un « meilleur » toujours plus grand… La Loi disait « tu ne commettras pas d’adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas »… Jésus nous dit : « Aime gratuitement comme Dieu aime, en puisant en Lui la force d’aimer » jusqu’à tes « ennemis », tes « persécuteurs ». Alors, tu seras vraiment un fils du Père, car c’est ainsi qu’aime le Père, « lui qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et les injustes » (Mt 5,43-48 ; Rm 13,8-10).
Enfin, les « douze » corbeilles restantes sont un clin d’œil vers les Douze tribus d’Israël, le Peuple de Dieu, déjà évoqué symboliquement avec le chiffre des « cinq mille hommes ». Mais à la fin de cette multiplication des pains, ces douze corbeilles restent et ne demandent qu’à être distribuées elles aussi. Telle sera la mission des Douze Apôtres, colonnes du Peuple de la Nouvelle Alliance, et avec eux de l’Eglise toute entière « afin que rien ne soit perdu » (Jn 6,12 ; voir plus loin), afin que le monde entier soit sauvé et que s’accomplisse ainsi la volonté de Dieu Lui « qui veut que tous les hommes soient sauvés. Voilà ce qui est bon à ses yeux » (1Tm 2,3-6). Symboliquement, chaque Apôtre reçoit donc à la fin de cette multiplication des pains une corbeille, de telle sorte qu’il pourra distribuer cette « nourriture qui demeure en vie éternelle » (Jn 6,27) jusqu’aux extrémités de la terre (Mc 16,15 ; Lc 24,46-48 ; Mt 28,18-20)… En lisant ce texte, les premiers chrétiens disaient aussi que Jésus avait multiplié assez de pains pour que l’Eglise puisse en donner à tous les hommes jusqu’à la fin du monde…
5 – Les allusions au récit de l’institution de l’Eucharistie
« Jésus prit les pains, et ayant rendu grâces, il les distribua aux convives » (Jn 6,11).
St Jean fait manifestement allusion ici à l’institution de l’Eucharistie telle qu’elle nous est rapportée par St Matthieu (26,26-29), St Marc (14,22-25) et St Luc (22,19-20). Prenons par exemple Mt 26,26-28 : « Tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit ¬ du pain, le bénit, le rompit et le donna ® aux disciples en disant : Prenez, mangez, ceci est mon corps. Puis, prenant une coupe, il rendit grâces ¯ et la leur donna en disant : Buvez‑en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés. » Nous retrouvons dans notre récit de la multiplication des pains les mêmes verbes :
« Prendre, lambanô », qui peut aussi se traduire par « recevoir »…
« Rompre, klaô » se retrouve dans le mot « morceaux », un mot de même racine, klasma…
« Donner », didômi, qui se retrouve dans « distribuer » qui, en grec, se dit dia‑didômi, soit littéralement « donner à travers ».
« Rendre grâces, eucharistéô » qui a donné notre ‘eucharistie’.
St Jean ne rapporte pas explicitement le récit de l’Institution de l’Eucharistie. Mais du dernier repas, il sera le seul à nous transmettre le souvenir du lavement des pieds. Il nous montre ainsi qu’une Eucharistie authentiquement vécue ne peut que déboucher sur l’humble service, par amour, de nos frères (Jn 13,1-17)…
La multiplication des pains renvoie donc clairement à l’Eucharistie. On peut noter aussi que le verbe « s’étendre » (à l’époque, on mangeait très souvent « étendu », comme le faisaient les Romains) employé au verset 10, « Faites s’étendre les gens », apparaît quatre fois dans l’Evangile de Jean. Et il est un nouveau clin d’œil en direction du repas eucharistique, car il intervient toujours en lien avec ce dernier repas où Jésus institua l’Eucharistie : ainsi en Jean 13,12 où Jésus « se remit à table » (littéralement : s’étendit de nouveau), ou en Jean 13,25 et 21,20 où l’on parle du disciple bien-aimé, celui qui était « étendu » tout contre Jésus lors de son dernier repas…
Notons aussi qu’en cette multiplication des pains Jésus agit comme il le fit lorsqu’il institua l’Eucharistie. En effet, il ne donne pas le pain multiplié à ses disciples pour qu’ils le distribuent ensuite à la foule : c’est lui-même qui, en personne, donne généreusement à chacun le pain et le poisson, « autant qu’ils en voulaient »… Il se présentait déjà ainsi, par ce geste, comme le seul et unique vrai Pain donné aux hommes pour leur Vie et leur salut… « Je Suis le Pain Vivant descendu du ciel » (Jn 6,51)… Ainsi, à chaque Eucharistie, c’est Jésus Lui-même qui se donne à chacun d’entre nous par les mains de ses serviteurs et de ses servantes. Et il se donne tout entier pour qu’un jour nous puissions à notre tour nous donner tout entier à Dieu et à nos frères, et entrer ainsi avec le Christ dans la Plénitude de l’Amour et de sa Vie… Tel sera notre bonheur éternel !
Cette nourriture, donnée « en surabondance » (Jn 10,10), évoque tout à la fois et l’incroyable générosité de Dieu envers les pécheurs que nous sommes et l’insondable richesse de la grâce qui nous est communiquée par ce Pain de Vie (Ep 3,8 ; 2Co 8,9). Pour décrire le rassasiement des foules, St Jean n’emploie pas d’ailleurs le verbe utilisé par Matthieu, Marc et Luc dans leurs textes parallèles, un verbe qui renvoie avant tout aux estomacs bien remplis. Il utilise, lui, un terme apparenté à la notion de Plénitude. Il sous entend ainsi que nous recevons à travers chaque Eucharistie de pouvoir participer à la Plénitude même du Christ. « Le Verbe fait chair » est en effet celui qui est « plein de grâce et de vérité » (Jn 1,14). Or, il est justement venu nous rejoindre en notre humanité pour nous donner d’avoir part à cette Plénitude qu’il reçoit Lui-même du Père de toute éternité : « Oui, de sa Plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce. Car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ » (Jn 1,17-18). Nous l’avons remarqué, St Jean fait exprès de reprendre la même expression « grâce et vérité » pour décrire à la fois ce dont le Christ est « rempli » et ce qu’il est venu nous offrir. Jésus désire donc que nous soyons « remplis » nous aussi de la même réalité qui le « remplit », et cette réalité est avant tout de l’ordre de la Vie (Jn 1,4 ; 11,25), une Vie qu’il reçoit du Père de toute éternité (Jn 5,26 ; 6,57) et qui l’engendre en Fils. Et nous sommes tous appelés, selon notre condition de créatures, à nous laisser engendrer à notre tour par le Père, comme le Fils l’est du Père « avant tous les siècles », mais Lui, « c’est en Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu ! » Et pourtant, l’aventure qui nous est proposée est du même ordre… « Qu’est-ce donc que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur » (Ps 8). « Je me disais : Vous m’appellerez Mon Père et vous ne vous séparerez pas de moi » (Jr 3,19).
Si nous acceptons de lui faire confiance, si nous le laissons accomplir en nos vies son œuvre de « Père des Miséricordes » (2Co 1,3) par son Fils « Sauveur » (Jn 4,42) et « Médecin » de nos cœurs blessés (Lc 5,31-32), nous nous découvrirons aussitôt « remplis de Vie », tout comme le Fils est « rempli » par le Père de cette même Vie. « Comme le Père a la Vie en Lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la Vie en lui-même… Je vis par le Père » (Jn 5,26 ; 6,57). Avec Lui et par Lui, nous pourrons donc vraiment devenir ce que nous sommes déjà aux yeux du Père : des « enfants de Dieu » vivants de la Vie même du Père, « à l’image » du Fils (Jn 1,12-13 ; 1Jn 3,1-2 ; Rm 8,29). Et « par notre Plénitude, nous entrerons dans toute la Plénitude de Dieu », une Plénitude qui est « Esprit » (Ep 3,19 ; 5,18) et qui nous est communiquée par le Don de l’Esprit. « Dieu vous a fait le Don de son Esprit Saint » (1Th 4,8) et c’est « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). « Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir » (Ga 5,25) !
Nous retrouvons d’ailleurs, avec cette expression « Esprit Saint » et l’Evangéliste St Luc, tout ce que nous disions précédemment en parlant de « Vie ». En effet, nous dit St Jean, « c’est l’Esprit qui vivifie »… « Esprit » nature divine et « Vie » sont donc, en Dieu, deux expressions synonymes… Jésus recevant sa Vie du Père « avant tous les siècles » est ainsi « rempli d’Esprit Saint » (Lc 4,1) par le Père. Et toute sa mission consiste à nous partager ce « Don de Dieu » (Jn 4,10) qu’il reçoit Lui-même de l’Amour du Père de toute éternité. « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22), dit-il ainsi, Ressuscité, à ses disciples, cet Esprit qui jaillit en Fleuves du Père et qui, depuis toujours et pour toujours, l’engendre en Fils. « Comme le Père m’a aimé » et comblé du Don de l’Esprit, « moi aussi je vous ai aimés » et comblés du même Don (Jn 15,9)… S’ils consentent à recevoir ce Don de Dieu par leur foi, ils en seront eux-mêmes « remplis », comme le Fils. C’est ce qui arriva au jour de la Pentecôte : « Tous furent remplis de l’Esprit Saint » (Ac 2,4), « l’Esprit qui vivifie », l’Esprit qui communique la Vie du Père et comble les cœurs, l’Esprit qui engendre Jésus en Fils depuis toujours et pour toujours, l’Esprit qui nous engendre à notre tour à la Plénitude de la Vie éternelle, nous donnant ainsi de « reproduire l’image du Fils » (Rm 8,29)… Tel est le Don par excellence, un Don que le Père ne cesse d’offrir au Fils, un Don que le Fils Lui-même nous partage, un Don qui n’attend que notre plein assentiment de cœur pour être reçu puisque, du côté de Dieu, il est déjà donné ! C’est pour cela que « quiconque demande reçoit », car du côté de Dieu, tout est déjà donné… « Demander » devient alors tout simplement de notre côté l’expression de notre libre consentement à recevoir (Lc 11,9-13)…
Cet « Esprit » est le Don qui nous rejoint notamment par tous les sacrements. « Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le Don du Saint Esprit » (Ac 2,38). Et St Paul décrit les conséquences du baptême en ces termes : « En lui », le Christ, « habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité, et vous vous trouvez en lui associés à sa Plénitude » (Col 2,9-10). L’Eucharistie contribue à nourrir cette Plénitude. « Je Suis le Pain de Vie. Qui vient à moi n’aura jamais faim ; qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jn 6,35). Tous nos désirs de « vraie Vie » et de « vrai Bonheur » ne peuvent, avec Lui, qu’être comblés au-delà de nos attentes les plus folles (Ep 3,20-21)… Et nous sommes invités, dans la foi et par notre foi, dès aujourd’hui, à y goûter (Jn 20,29)…
6 – « Rassemblez les morceaux en surplus afin que rien ne soit perdu »
A première vue, Jésus nous apprend ici le respect pour la nourriture, et de fait il ne pourrait en être autrement. Mais l’expression prend une tout autre portée si l’on regarde comment St Jean utilise le verbe « perdre » dans son Evangile. Il apparaît en Jn 3,16 ; 6,27 ; 6,37-40 ; 10,10 ; 10,27-28 ; 11,50 ; 12,25 ; 17,11-12, traduit parfois par « périr » car il renvoie toujours à ce qui s’oppose à la vie éternelle, ou à ce qui en est privé.
Le Pain multiplié symbolise donc ici « la nourriture qui demeure en Vie éternelle » (Jn 6,27), celle que le Père donne en surabondance au monde entier pour que « rien ni personne ne soit perdu » (Jn 6,12). L’Eucharistie est donc la nourriture par excellence du salut. Avec elle et par elle s’accomplit la volonté de Dieu, lui qui « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (1Tm 2,4). Le Père a ainsi donné à son Fils le monde à sauver (Jn 3,16‑17), et le Fils de son côté s’offrira en Pain de Vie pour que cette volonté du Père s’accomplisse (Jn 6,37‑39) : « Tout ce que me donne le Père viendra à moi, et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors ; car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or c’est la volonté de celui qui m’a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour ». Et une fois élevé de terre, c’est-à-dire une fois mort et ressuscité, le Christ « attirera à lui tous les hommes » (Jn 12,32) pour leur donner de « connaître le salut par le pardon de toutes leurs fautes, grâce aux entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,76-79)… Il est en effet ce « Bon Pasteur qui part à la recherche de sa brebis perdue jusqu’à ce qu’il la retrouve » (Lc 15,4-7)… Un détail nous suggère ici que c’est bien ce Bon Pasteur qui nourrit les foules. En effet, juste après l’invitation lancée par Jésus, « Faites s’étendre les gens », St Jean précise : « Il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu »… Or, nous lisons au Psaume 23(22) :
« Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre;
il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis;
tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours ».
Ainsi, avec le Christ et par le Christ, la volonté universelle de salut du Père s’accomplira… L’Eucharistie est « la » nourriture par excellence que le Bon Pasteur (cf. Jn 6,10) donne aux pécheurs pour leur salut : « Vous péchez tous les jours : communiez tous les jours » disait St Augustin, même si cette manière de parler ne peut bien sûr être comprise comme une invitation à pécher. « Pécher », en effet, c’est se détourner de cœur du Dieu Source de Vie, et donc se priver soi-même du Don de la seule Plénitude qui peut nous combler et nous apporter le vrai Bonheur. Un pécheur est donc un souffrant que Dieu regarde avec compassion : « Souffrance et angoisse à toute âme humaine qui s’adonne au mal » (Rm 2,9). Il ne peut « être bien » puisqu’il lui manque l’essentiel, ce Don de Dieu synonyme de « Plénitude de Vie » pour lequel nous avons tous été créés… Par rapport à cette Vie, il est donc spirituellement comme un « mort », puisqu’il en est privé : « Le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23). En se souvenant de Jn 6,63, « c’est l’Esprit qui vivifie », nous retrouvons ainsi : « le don gratuit de Dieu », c’est l’Esprit Saint, « l’Esprit qui vivifie » et qui communique « la vie éternelle », celle qui est de toute éternité « dans le Christ Jésus notre Seigneur » en tant qu’il la reçoit du Père en Fils Unique « né du Père avant tous les siècles ». Et c’est cette même Vie que le Père et le Fils veulent voir régner en Plénitude dans nos cœurs. Tel est le Royaume des Cieux…
St Paul affirme donc avec force la seule et unique préoccupation de Dieu à l’égard de tous les hommes : qu’ils soient libérés de tout ce qui les empêche de recevoir sa Plénitude, de goûter à la vraie Joie, de connaître la vraie Vie. Jésus est donc « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), jour après jour, instant après instant, pour que nous soyons tous comblés de tout ce dont ce péché nous privait… « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rm 3,23) ? « Père, je leur ai donné la gloire que tu m’as donné pour qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi » (Jn 17,22-23). « Le salaire du péché, c’est la mort ? » « Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 10,10). L’expérience du mal nous plonge dans la tristesse ? « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11). L’Eucharistie s’inscrit dans cette dynamique. Elle est le remède que le Christ Médecin donne aux malades que nous sommes (Mt 9,12-13), la nourriture par excellence de la Vie donnée en surabondance à tous ceux et celles qui habitent les tombeaux. Jésus, en effet, est « Pain de Vie » par sa Parole ? « En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient – et c’est maintenant – où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront » (Jn 5,25). « Tous sont soumis au péché, tous sont dévoyés, ensemble pervertis » (Rm 3,9-20) ? « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance Nouvelle et éternelle, versé pour la multitude en rémission des péchés » (Mt 26,28 ; Lc 22,20). Ainsi, « le sang du Christ purifie notre conscience des œuvres mortes » que nous avons pu accomplir (Hb 9,14)… Si nous demeurons dans la Lumière de l’Amour et de la Vérité, Vérité de la Miséricorde sans cesse offerte à la vérité de notre misère, alors, « nous marchons dans la Lumière et le sang de Jésus nous purifie de tout péché » (1Jn 1,5-7).
7 – « Jésus s’enfuit à nouveau dans la montagne, tout seul »…
Après ce nouveau signe, Jésus demeurera incompris… Les foules chercheront à s’emparer de lui par la force, pour le faire roi, mais il n’est pas venu pour cela… Il leur échappera, et remontera au sommet de la montagne, pour trouver force et réconfort auprès de Celui qui l’a envoyé et qui est toujours avec lui (Jn 6,28-29)…
Jn 8,29 : « Celui qui m’a envoyé est avec moi, il ne m’a pas laissé seul »…
II – La marche sur la mer (Jn 6,16-21) : Jésus se présente en actes comme étant Dieu, « JE SUIS ».
Alors que Jésus remonte dans la montagne, ses disciples, eux, descendent vers la mer et très certainement à son invitation, ils entreprennent de la traverser sans l’attendre (cf. Mt 14,22 ; Mc 6,45).
La mer était considérée autrefois comme le lieu d’habitation des démons. C’est pourquoi, lorsqu’en St Luc Jésus rencontre un homme possédé, il l’interrogera : « « Quel est ton nom ? » Il répondit : « Légion », car beaucoup de démons étaient entrés en lui. Et ils le suppliaient de ne pas leur commander de s’en aller dans l’abîme. Or il y avait là un troupeau considérable de porcs en train de paître dans la montagne. Les démons supplièrent Jésus de leur permettre d’entrer dans les porcs. Et il le leur permit. Sortant alors de l’homme, les démons entrèrent dans les porcs et le troupeau se précipita du haut de l’escarpement dans le lac et se noya » (Luc 8,30-33). Ils reviennent dans la mer, leur « lieu » d’habitation, ce lieu d’où ils n’auraient jamais dû sortir…
La mer est donc dans la Bible le domaine et le symbole des puissances mauvaises. Et elles apparaissent ici avec force grâce à une image supplémentaire, celle de la nuit. C’est ainsi que lorsque le démon entrera dans le cœur de Judas, fils de Simon Iscariote, il le poussera à quitter Jésus pour le trahir. Et quand il sortit pour aller le livrer, « il faisait nuit », écrit St Jean (Jn 13,21-30). C’était « l’heure des ténèbres », un mot qui dans son Evangile renvoie toujours au Prince de ce monde (cf. Jn 1,5 ; 3,19 ; 6,17 ; 8,12 ; 12,35 ; 12,46 ; 20,1 à lire à la lumière de 1Jn 2,8). Le Christ Ressuscité parlera de même à St Paul lorsqu’il lui précisera sa mission : « Je te délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je t’envoie, moi, pour leur ouvrir les yeux, afin qu’elles reviennent des ténèbres à la Lumière et de l’empire de Satan à Dieu, et qu’elles obtiennent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et une part d’héritage avec les sanctifiés » (Ac 26,17-18).
Dans la Bible, Dieu est le seul qui puisse vaincre le mal. On peut ainsi lire dans le Livre de Job : « Lui seul a foulé les hauteurs de la mer » (Jb 9,8 ; cf. Ps 77,20). Or, à l’époque, lorsqu’un roi remportait la victoire sur son ennemi, ce dernier devait se coucher à terre, et son vainqueur posait sur lui le pied en signe de sa victoire. En ‘marchant’ sur la mer, Dieu se révèle ainsi comme le vainqueur absolu des forces du mal.
Lorsque Jésus « marchera » sur la mer, il se présentera donc à ses disciples comme le vainqueur de tout mal. Et de fait, « sur lui, le Prince de ce monde n’a aucun pouvoir » (Jn 14,30). Avec Lui, « la Lumière a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1,5) : le Christ est sorti libre et vainqueur de l’obscurité du tombeau. Après s’être déchaîné contre lui de toutes ses forces, jusqu’à le faire mourir sur une croix, Satan, apparemment victorieux est de fait vaincu : la résurrection manifeste la victoire ultime et totale de Dieu sur toutes les puissances du mal et sur toutes leurs conséquences dans la vie des hommes. Rien, absolument rien n’aura pu l’empêcher d’aimer, pas même ceux qui le tuaient… « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 24,34). « Son amour envers nous s’est montré le plus fort » (Ps 117(116))… Et il en sera de même pour tous ceux et celles qui accueilleront le Christ dans leur cœur et dans leur vie. Ils pourront s’en remettre à lui en toute confiance : le Seigneur combattra avec eux et pour eux et il leur donnera de participer à sa victoire (Ap 2,7.11.17.26 ; 3,5.12.21 ; 12,10-12 ; 21,7)… Plus rien ne pourra désormais leur interdire d’atteindre le bon port, « la Maison du Père » (Jn 14,1-4)… C’est pourquoi St Jean écrira : « Ils étaient disposés à le prendre dans le bateau, mais aussitôt le bateau toucha terre là où ils se rendaient ». Ils étaient disposés à le prendre de tout cœur dans le bateau de leur vie, et aussitôt, ils arrivèrent là où Dieu nous attend tous pour l’éternité : « au port » de cette Communion avec Lui dans l’unité d’un même Esprit. Avec et par son Fils, Dieu les a donc conduits « au port de leur désir » (cf. Ps 107(106),23-30), là où le désir de vrai bonheur sera enfin comblé…
Mais lorsque Jésus marche sur la mer, il fait ce que Dieu seul peut faire. Et ses premiers mots seront, littéralement, « Je Suis ». La formule grecque employée ici, est exactement la même que celle utilisée dans la traduction grecque du Livre de l’Exode, lorsque Dieu révèle son Nom à Moïse dans le Buisson ardent : « « Je Suis Celui qui est » et Dieu dit : « Voici ce que tu diras aux Israélites : ‘Je Suis’ m’a envoyé vers vous » » (Ex 3,13-15). La Bible de Jérusalem écrit ainsi en note pour Jn 6,20 : « cette formule » utilisée par St Jean « évoque le Nom divin qui réside en Jésus. C’est en vertu de ce Nom que Jésus est capable de vaincre les puissances du mal symbolisées par la mer déchaînée ». Et la TOB précise de son côté : « L’utilisation particulièrement développée chez Jean du Nom divin de l’Exode, « Je Suis », met en lumière la divinité de Jésus ».
En marchant sur la mer, c’est-à-dire en faisant ce que Dieu seul peut faire, et en reprenant au même instant ce que Dieu seul peut dire, le Nom divin révélé à Moïse, Jésus révèle donc à ses disciples le mystère de sa divinité… Il est Dieu comme le Père est Dieu…
Cette révélation atteindra son sommet au chapitre 8 :
– Jn 8,24 : « Si vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés »…
– Jn 8,28 : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’Homme,alors vous saurez que Je Suis »…
– Jn 8,58 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham existât, Je Suis. »
Jésus est donc vrai Dieu et vrai homme, et le mystère de sa divinité apparaît ici en pleine Lumière aux yeux de ses disciples effrayés. C’est d’ailleurs la seule fois dans l’Evangile de Jean où les disciples ont peur de leur Maître. La formule est encore choisie à dessein pour renvoyer à toutes ces manifestations de Dieu dans l’Ancien Testament qui déclenchaient en Israël la peur et l’effroi (Ex 20,18-21 ; 3,6 ; Gn 28,17…). Et le Christ sur la mer prononcera les mêmes paroles que Dieu lors de ces théophanies : « N’ayez pas peur ! » (Gn 15,1 ; 26,24 ; Jg 6,22-24 ; Dn 10,7-12)…
La marche de Jésus sur la mer manifeste donc le mystère de sa divinité. Il est ce Fils Unique Engendré qui, avant tout commencement, était auprès du Père (Jn 1,1), partageant sa Gloire (Jn 17,5)[1]. Il est l’Emmanuel, « Dieu avec nous » (Mt 1,23), celui que Thomas confessera comme « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20,28). Cette révélation du mystère de Jésus, « Je Suis », associée à celle de la multiplication des pains, « le Pain », donnera la clé de voûte du discours de Jésus dans la Synagogue de Capharnaüm : « Je Suis le Pain de Vie ». Avec le Fils et par Lui, Dieu se révèle comme Celui qui se donne Lui-même en partage pour nous permettre d’avoir part, nous aussi, à ce qu’Il Est ! « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (St Irénée). Le Fils s’offre ainsi à nous comme notre « Pain » pour qu’il nous soit donné, en le recevant, de vivre de sa Vie (Jn 6,47), de partager sa Paix (14,27), sa Gloire (17,22), sa Lumière (8,12), en un mot, son Esprit (20,22)… Avec Lui et par Lui, « Je Suis » se donne tout entier pour que tous ceux et celles qui accepteront de le recevoir puissent dire eux aussi, à leur mesure de créature, « Je Suis »…
« Le lendemain, la foule qui se tenait de l’autre côté de la mer vit qu’il n’y avait eu là qu’une barque et que Jésus n’était pas monté dans le bateau avec ses disciples, mais que seuls ses disciples s’en étaient allés. Cependant, de Tibériade des bateaux vinrent près du lieu où l’on avait mangé le pain. Quand donc la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples non plus, les gens s’embarquèrent et vinrent à Capharnaüm à la recherche de Jésus. L’ayant trouvé de l’autre côté de la mer, ils lui dirent : Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » (Jn 6,22-25).
Quand Jésus avait multiplié le pain et les poissons, la foule était au nombre de « cinq mille hommes » (Jn 6,10), sans compter les femmes et les enfants. Et tous avaient été les heureux bénéficiaires de cette spectaculaire distribution gratuite… Ils avaient bien constaté que Jésus et ses disciples étaient venus dans une seule barque, et que seuls les disciples étaient ensuite repartis… Alors, où donc est Jésus ? A ce moment là, d’autres barques arrivent de Tibériade, de l’autre côté du lac, mais tous ne peuvent que constater que Jésus n’est pas là. Cependant, quelques uns savent où il loge d’habitude, chez Simon, le pécheur, à Capharnaüm (Mt 4,12-17 ; Mc 2,1-2 ; 9,33 ; Lc 4,38‑39). Aussi, tout le monde s’embarque et accoste à ce petit port. Et là, surprise, ils trouvent Jésus ! Mais comment a-t-il fait pour arriver là ? Il n’était pas parti en barque avec ses disciples, et il faut beaucoup plus de temps, à pied, pour faire le tour du lac… « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Et Jésus ne répondra pas… Ils ne l’auraient pas cru s’il leur avait dit ce qui est arrivé… Mais les disciples et le lecteur savent, eux, que Jésus a marché sur la mer, et qu’il les a rejoints alors que la mer se soulevait (6,18) et les mettait tous en péril. Et avant même que Jésus ne monte dans la barque, tous s’étaient mystérieusement retrouvés à bon port…
III – Les préliminaires au discours de Jésus
1 – L’appel de Jésus à se tourner vers les réalités d’en haut (Jn 6,26-27).
Jésus se retrouve donc face à beaucoup de ceux qui étaient là lors de la multiplication des pains. Mais il sait bien pourquoi ils le cherchent avec tant d’empressement : grâce à lui, ils ont mangé à satiété et gratuitement (Jn 6,26). A l’exception de ses disciples, aucun d’entre eux, semble-t-il, n’a vraiment compris ce qui s’était passé. Personne n’a réalisé que tout ce pain et ce poisson avait surgi des mains de Jésus, alors qu’il les rompait pour les distribuer ensuite à la foule. Durant son ministère terrestre, Jésus a été un grand ‘incompris’ (Jn 8,27 ; 10,6) même par les membres de sa famille (Lc 2,41-50 ; Jn 7,2-5) et ses disciples (Mc 9,30-35 ; Lc 18,31‑34 ; Jn 13,1-7 ; Mc 8,17-21)… Certes, ces derniers avaient commencé à pressentir « quelque chose » de son mystère (Mt 16,13-17 ; Jn 6,67-69), mais ils étaient loin de connaître cet homme qu’ils auront pourtant suivi pendant des années sur les routes de Palestine. Il faudra sa mort et sa résurrection suivies de ses multiples apparitions, et le don de l’Esprit Saint pour que leur cœur s’ouvre enfin à cette Révélation qui leur était destinée (Lc 24,25-27 ; 24,44-48 ; Jn 12,16 ; 16,12-15)…
Jésus reproche donc ici à cette foule sa recherche intéressée. Ce qu’ils attendent avant tout de lui, c’est du pain et des poissons… Si encore ils avaient perçu que cette multiplication était un signe de Dieu qui les invitait ainsi à aller plus loin dans la découverte et la perception du Mystère de son Fils (Jn 6,26). Mais non ! Aussi Jésus va-t-il les inviter à tourner leur regard, non pas vers « la nourriture qui se perd », mais vers celle qui « demeure en vie éternelle » (cf. Col 3,1-4), « celle que vous donnera le Fils de l’Homme, car c’est Lui que le Père, Dieu, a marqué de son sceau » (6,27). « Marquer du sceau » signifie « authentifier par l’apposition de sa signature personnelle ». Et de fait le Père a authentifié la mission du Fils :
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par tous les signes qu’il a accomplis par la Puissance de l’Esprit Saint (Jn 5,36-37 ; Lc 4,14 avec 5,17). La TOB écrit en note pour Jn 6,27 : « Les signes qu’il accomplit sont des actes à travers lesquels Dieu garantit l’authenticité de sa mission (3,3), ainsi que la possibilité pour les hommes d’obtenir par lui la vie éternelle ».
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par cette voix qui parfois « venait du ciel » (Mt 3,16-17 ; 17,5-6 ; Jn 12,28-30).
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et par l’action Toute Puissante de ce même Esprit Saint au cœur de ceux et celles qui écoutaient la Parole de son Fils (Jn 15,26 ; 1Co 2,1-5 ; 1Th 1,4-6).
Nous voyons ainsi affleurer en Jean 6,27 le mystère de la Trinité : Dieu le Père authentifie la mission de son Fils par l’action de l’Esprit Saint.
2 – La Foi : œuvre de Dieu et réponse de l’homme (Jn 6,28-31)
« Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » (Jn 6,28). A l’époque de Jésus, la foi en Israël était avant tout un « faire » ou « ne pas faire » selon les 613 commandements qui étaient alors en vigueur (365 interdictions et 248 exhortations). Beaucoup d’entre eux n’étaient que préceptes humains rajoutés les uns aux autres au fil des siècles et souvent contraires à la volonté de Dieu (Mc 7,1-13) ! De plus, il fallait tout mettre en pratique, toujours et partout, sous peine d’être maudit (Ga 3,10 ; tel est le langage des hommes, car Dieu ne maudit jamais, il ne sait que bénir). Pour Jésus, tout ceci était un fardeau inhumain, impossible à porter (Mt 11,28-30), et il s’élèvera contre les scribes, les Pharisiens, les Docteurs de la Loi qui, par leur enseignement, « liaient sur les épaules des gens de pesants fardeaux » en se gardant bien de les mettre eux-mêmes en pratique (Mt 23,1-4 ; 23,13).
Mais à ce pluriel des multiples choses « à faire », « les œuvres de Dieu », Jésus va opposer un singulier : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qui l’a envoyé ». Cette phrase peut être comprise de deux façons, et puisque les deux sont vraies, inutile de choisir, il faudra les garder toutes les deux…
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Le premier sens est le suivant : « l’œuvre de Dieu », l’œuvre que Dieu accomplit, « c’est que vous croyiez en celui qui l’a envoyé». Ainsi, avant d’évoquer « un faire » de l’homme, Jésus révèle le « faire » de Dieu : au moment où il leur parle, Dieu est là, présent, tout proche, invisible à leurs seuls yeux de chair, mais il agit avec la Puissance de l’Esprit Saint pour leur permettre de reconnaître de tout cœur en cet homme qui leur fait face son Fils Unique, Celui qu’il a envoyé dans le monde non pas pour le condamner mais pour le sauver (Jn 3,16-18 ; 1Co 12,3). Jésus le redira par deux fois : « Personne ne peut venir à moi », c’est-à-dire « croire en moi »[2], « si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44) par la douceur et le feu de l’Esprit Saint (Lc 24,32 ; Mt 3,11). « Nul ne peut dire Jésus est Seigneur sinon par l’Esprit Saint » (1Co 12,3), « l’Esprit de vérité qui vient du Père et qui rend témoignage au Fils » (Jn 15,26)… C’est ainsi que « croire en Jésus » est en fait « donné par le Père » (Jn 6,65 ; 6,37 ; 17,6) : « Reconnaître Jésus, c’est aux yeux de Jean, entrer dans le mystère divin, et cela ne peut se faire sans que Dieu en ouvre l’accès » (Xavier Léon Dufour). « Croire », pour lui, c’est donc « accueillir », « vivre » et ensuite reconnaître un mystère de communion avec le Christ (Jn 14,18-20), un « vivre » reçu de Dieu le Père (Jn 3,16) par la foi au Fils (Jn 10,10) et l’action de l’Esprit Saint, « l’Esprit qui est Seigneur et qui donne la vie » (Crédo), « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Et cette Vie donnée invite ensuite toute la personne à un « vivre » nouveau, un comportement nouveau en accord avec cette Vie reçue (Ep 4,17-24 ; 5,8-9).
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Le deuxième sens de Jn 6,29 pointe d’ailleurs sur cette réponse indispensable et libre de l’homme : « L’œuvre de Dieu », ce que Dieu attend de chacun d’entre nous, « c’est que vous croyiez en celui qui l’a envoyé ». « L’œuvre qui plaira à Dieu » sera donc de consentir à « l’œuvre que Lui-même accomplit » en accueillant le témoignage qu’il donne à son Fils par l’action de l’Esprit Saint, un témoignage qui est « Vie » (cf. 1Jn 5,5-13). Celui ou celle qui lui dira « oui » le plus simplement possible en lui offrant son cœur et sa vie, tels qu’ils sont, recevra au plus profond de lui-même le Don de l’Esprit. Cet Esprit est donné gratuitement aux pécheurs que nous sommes, car nous en avons besoin. « Sans lui, notre vie tombe en ruine », disons-nous dans la liturgie. Il nous apporte sans cesse le pardon de Dieu, la réconciliation avec Lui, la guérison de nos blessures profondes, la Force pour nous convertir, la Paix et la Vie… En acceptant d’être ainsi « vivifié de l’intérieur », le croyant commencera et recommencera chaque jour une vie nouvelle grâce à cette Force et cette Présence Miséricordieuse toujours positive, encourageante et réconfortante qui ne l’abandonnera jamais (Jn 14,15-17 ; cf. Mt 9,12-13)…
3 – La manne : symbole de la Loi
A l’époque de Jésus, la manne « en était venue à désigner la Loi qui vient du ciel » (Xavier Léon Dufour, Lecture de l’Evangile selon St Jean (Tome II) p. 132). St Jean emploie d’ailleurs en 6,32 un temps grec particulier dont la nuance pourrait être exprimée ainsi : « Non, ce n’est pas Moïse qui vous a donné et qui vous donne le pain qui vient du ciel »… Cette possibilité de traduire par un présent exclut donc pour le mot « manne » son sens premier, celui d’une mystérieuse nourriture donnée autrefois par Dieu à son Peuple alors qu’il marchait au désert vers la Terre promise (Ex 16 ; vers 1250 av JC). Jésus reprend donc ici pour le mot « manne » le sens qu’il avait très souvent à son époque : la Loi, dont le cœur était constitué par « les Dix Paroles » données par Dieu à Moïse au sommet du Mont Sinaï (cf. Ex 20,1-17). Cette comparaison (la Loi, vraie Manne) s’était imposée petit à petit face à la certitude que la Loi divine est un chemin de vie pour ceux et celles qui s’y engagent ; elle est la « Loi de la vie » (Si 17,11; 45,5). Moïse affirme ainsi dans le Livre du Deutéronome (8,1-3) :
« Vous garderez tous les commandements que je vous ordonne aujourd’hui de mettre en pratique, afin que vous viviez, que vous multipliiez et que vous entriez dans le pays que le Seigneur a promis par serment à vos pères et le possédiez. (2) Souviens-toi de tout le chemin que le Seigneur ton Dieu t’a fait faire pendant 40 ans dans le désert, afin de t’humilier, de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur : allais-tu ou non garder ses commandements ? (3) Il t’a humilié, il t’a fait sentir la faim, il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères n’aviez connue, pour te montrer que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais que l’homme vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur ».
La Parole de Dieu, et donc « les Dix Paroles », la Loi de Moïse, est présentée indirectement ici comme « le vrai pain qui fait vivre », la vraie manne descendue du ciel pour que les hommes puissent choisir, à sa lumière, le chemin de la vie (Dt 30,15-20 ; cf. 4,1 ; 5,33 ; 6,24 ; 8,1). Et la note de la Bible de Jérusalem précise : « Le Seigneur, qui peut tout créer par sa parole, fait vivre les Israélites par les commandements qui sortent de sa bouche » (cf. Proverbes 9,1-5).
Or, à cette « manne – Parole de Dieu », Jésus va opposer « le pain de Dieu », « le pain qui vient du ciel », « le vrai », un pain qu’il précisera aussitôt en disant : « Je Suis le Pain de Vie ». Jésus Lui-même est donc le pain que Dieu nous donne, et nous pouvons remarquer que tous les verbes employés sont au présent : aujourd’hui encore, le Père nous donne son Fils pour qu’à son tour « il donne la vie au monde »… Plus tard, Jésus promettra en effet à ses disciples qu’une fois mort et ressuscité, il viendra vers eux (Jn 14,3.18.23.28) pour être avec eux tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20 ; 18,20) ; dans la foi et par leur foi, il les prendra auprès de Lui (Jn 14,1-3) afin de les introduire dans son mystère de communion avec le Père (Ep 2,18 ; Jn 17,20-24). Telle est la réalité de foi que nous avons à reconnaître au cœur de notre existence, réalité vivante et spirituelle qui est Vie pour chacun d’entre nous et qui se manifeste à notre foi dans la mesure même où il nous est donné de la vivre (Jn 14,18-21 ; 17,26 avec 17,3)…
Enfin, Jésus est bien conscient qu’il est « le Pain de Vie » que « le Père donne » au monde, et lui-même adhèrera totalement à ce projet de Miséricorde et de Salut en se donnant totalement (Jn 6,48-51) par amour du Père (Jn 14,30-31) et par amour des hommes (Jn 15,13-17 ; 13,1 ; 10,11). Et lorsque Jésus se donne, il sait qu’il est en même temps un « donné » : le Père est là pour lui donner de se donner… Jésus reçoit donc du Père de pouvoir se donner, il vit par le Père (Jn 6,57 ; 5,26)… Pour Lui, aimer, c’est vraiment se recevoir du Père et se donner au Père et aux hommes pour que la volonté du Père soit parfaitement accomplie, c’est-à-dire, que tous les hommes soient sauvés (1Tm 2,3-7). Ce mystère nous concerne également dans la mesure où nous sommes invités à notre tour à nous recevoir du Christ (Jn 6,57) pour ensuite pouvoir nous donner au Christ et à nos frères… St Paul ne cessera de rendre témoignage tout au long de ses écrits à Celui qui lui a donné d’être ce qu’il est (1Co 15,9-10 ; 2Co 3,4-6) : un apôtre du Christ, au service de tous (1Co 3,5-9 ; 2Co 4,5-6) pour le salut et la vie de tous (2Co 4,12 ; 1Co 9,19‑22)… Et tout ceci n’est qu’une aventure de miséricorde (Rm 9,16) : miséricorde reçue et reconnue (1Tm 1,12-17) pour ensuite témoigner de cette miséricorde infinie offerte à tous, sans exception (2Co 4,1 ; 5,17-21).
IV – Le discours : Jésus Pain de Vie par sa Parole (Jn 6,35-47)
1 – Dieu Lui-même en Jésus Christ est « Pain » : il se donne tout entier pour notre vie.
Dans la continuité avec l’image de la manne – Parole de Dieu, Jésus va donc se présenter dans un premier temps comme « Pain de Vie » par sa Parole.
Lorsque Jésus dit ici pour la première fois, « Je Suis le Pain de Vie », il fait allusion au Nom divin « Je Suis », tel que Dieu l’a révélé à Moïse dans le Buisson ardent. Nous l’avons vu lors de l’épisode de la marche sur la mer… Pour dire « je suis », εἰμι en grec suffit… Ici, nous avons Ἐγώ εἰμι, avec le prénom « moi, je », comme en Ex 3,14, une formule d’insistance qui évoque, dans ce contexte, l’intensité unique de l’Être divin, de ce que Dieu et Dieu seul Est en Lui-même, Plénitude d’Être et de Vie…
Ἐγώ εἰμι ὁ ἄρτος τῆς ζωῆς
Je Suis le Pain de Vie…
En Jésus Christ, Dieu Lui-même, tout entier, se présente comme étant notre Pain, tout entier donné à chacun de nous pour que nous puissions ainsi participer à notre tour, selon notre condition de créature, à ce qu’Il Est… « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne ‘Dieu’ » (St Irénée)… Mystère de notre vocation à tous… St Pierre l’évoque en termes de participation à la nature divine qui Est Amour (1Jn 4,8.16), Lumière (1Jn 1,5), Esprit (Jn 4,24) et Vie (Jn 1,4)…
2P 1,3-4 : Sa divine puissance nous a donné tout ce qui concerne la vie et la piété: elle nous a fait connaître Celui qui nous a appelés par sa propre gloire et vertu. Par elles, les précieuses, les plus grandes promesses nous ont été données, afin que vous deveniez ainsi participants de la divine nature, vous étant arrachés à la corruption qui est dans le monde, dans la convoitise.
Et seule cette participation à ce que Dieu Est en Lui-même pourra vraiment combler nos cœurs, puisque « tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne demeure en toi » (St Augustin). Jésus l’évoque avec l’image de la faim comblée, de la soif comblée, qui renvoient à ce désir profond qui habite le cœur de tout homme : être pleinement heureux…
Jn 6,35 : « Je Suis le pain de vie.
Qui vient à moi n’aura jamais faim ;
qui croit en moi n’aura jamais soif. »
Nous retrouvons avec ce parallèle que « venir à » Jésus, en St Jean, c’est « croire en lui »…
2 – « Croire » en sa Parole pour recevoir avec elle la Vie éternelle
Dans cette première partie du discours, Jésus se présente donc comme « Pain de Vie » par sa Parole. En effet, les verbes « venir à » et « croire en » sont ceux qui interviennent le plus souvent, huit fois en tout (« croire » : 6,35.36.40.47 ; et « venir à » : 6,35.37.44.45)… Et « croire en » Jésus, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), c’est croire en sa Parole, en l’accueillant avec confiance et simplicité, de tout son cœur, tels que nous sommes, blessés, pécheurs, malades de cœur… Mais, Jésus le sait bien : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir » (Lc 5,31).
Et cette foi en Lui est un Don du « Père des Miséricordes » (2Co 1,3) qui nous attire par son Esprit à Jésus, et nous confie ainsi à son Fils, l’unique « Sauveur du monde » (Jn 4,42 ; 1Tm 2,4-6)… « Tout ce que me donne le Père viendra à moi », c’est-à-dire, à la lumière du parallèle précédent « croira en moi », « et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors, car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or c’est la volonté de celui qui m’a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour. » Et le Père a donné à son Fils le monde à sauver, l’humanité tout entière… « Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique-Engendré, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils Unique-Engendré de Dieu » (Jn 3,16-18).
Notons que le Don de la vie éternelle par le Don de l’Esprit qui vivifie (Jn 6,63 ; Ac 3,37-41 ; 1Th 4,8) est pour l’aujourd’hui de notre foi. Par contre, la Résurrection est pour plus tard, le verbe est au futur… Et Jésus insiste… A nous maintenant de reconnaître, dans la foi, la Présence de cette Vie, en la vivant, selon qu’il nous sera donné de la vivre…
Jn 6,40.47 : « Oui, telle est la volonté de mon Père,
que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle,
et je le ressusciterai au dernier jour.
En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle. »
Jésus, « le Verbe fait chair », « la Parole faite chair » (Jn 1,14), est donc « le Verbe de Vie » par qui « la Vie de Dieu s’est manifestée » pour être reconnue et accueillie (1Jn 1,1-4). Ainsi, Jésus « donne la vie, et il la donne en parlant » (Jacques Guillet, Jésus Christ dans l’Evangile de Jean (Cahiers Evangile 31) p. 10)…
3 – La Parole donnée par Jésus, le Fils, est une Parole qui vient du Père
Cette Parole de Vie que Jésus nous transmet est Parole du Père. Il est d’ailleurs remarquable que la seule citation de l’Ancien Testament dans cette première partie du discours concerne « la Parole de Dieu » : « Ils seront tous enseignés par Dieu » (Jn 6,45 ; Is 54,13). Mais le prophète Isaïe a écrit littéralement : « Tous tes enfants seront enseignés par Dieu, et grand sera le bonheur de tes enfants ». Or « les enfants » en question sont, dans le prophète Isaïe, « les enfants de Jérusalem », c’est-à-dire les Israélites, le Peuple choisi, le Peuple élu… Or St Jean, Israélite lui-même, a supprimé cette notion « d’enfants » pour ne laisser que le « tous », car il a bien compris qu’avec le Christ, ce sont tous les hommes, tous, sans aucune exception, Juifs comme païens, qui sont appelés à partager la Plénitude de la Vie divine…
« Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous enseignés par Dieu. Quiconque s’est mis à l’écoute du Père et à son école vient à moi. » Ainsi, « être enseigné par Dieu », « se mettre à l’écoute du Père et à son école », en mettant cette Parole en pratique, « c’est venir à Jésus », et non au Père comme la logique du texte le demanderait. En effet, Jésus vit avec son Père un mystère de communion dans l’Amour, de telle sorte qu’il peut dire, bien qu’il n’est pas le Père : « Moi et le Père nous sommes un » (Jn 10,30), unis l’un à l’autre par un même Esprit qui est Amour, Lumière et Vie. Ainsi, toutes les Paroles de Jésus sont en même temps Paroles du Père, et toutes les actions de Jésus sont en même temps actions du Père. Et la communion en un unique Esprit « nature divine » (Jn 4,24) est la seule raison de ce mystère : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même : mais le Père demeurant en moi fait ses œuvres. Croyez-m’en ! Je suis dans le Père et le Père est en moi. Croyez du moins à cause des œuvres mêmes » (Jn 14,10-11). Ainsi, « ce n’est pas de moi-même que j’ai parlé, mais le Père qui m’a envoyé m’a lui-même commandé ce que j’avais à dire et à faire connaître ; et je sais que son commandement est vie éternelle. Ainsi donc ce que je dis, tel que le Père me l’a dit, je le dis » (Jn 12,49-50; cf. 7,16-17 ; 8,28 ; 14,24 ; 17,7-8). Avec le Christ, c’est donc toujours « la Parole de Dieu » qui est « Pain de Vie » pour les hommes, mais cette fois, c’est le Père Lui-même qui nous l’adresse par son Fils…
4 – La Parole de Jésus est vie par l’Esprit qui vivifie…
Et « celui que Dieu (le Père) a envoyé », Jésus, le Fils, « prononce les Parole de Dieu », le Père, « car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34) et « l’Esprit vivifie » (Jn 6,63). Ainsi, quiconque accueille en son cœur la Parole de Dieu accueille avec elle l’Esprit qui se joint toujours à elle… Nous pourrions prendre l’image physique d’une parole humaine. Lorsqu’une personne parle, elle émet au même moment un souffle qui est à l’origine, grâce aux cordes vocales, de ces sons que nous appelons « la voix ». Nous pouvons donc entendre ces paroles grâce à ce souffle qui se joint toujours à elles et qui engendre une « voix ». Il en est spirituellement de même pour Dieu. Dieu dit sa Parole en émettant au même moment un Souffle, le Souffle de l’Esprit, à l’origine lui aussi de cette « voix » que seul « le cœur » peut « reconnaître », « entendre »… Et cette « voix » est de l’ordre de la vie, elle est intensité de vie, paix… Reprenons nos deux versets de départ en y ajoutant deux autres :
« Celui que Dieu a envoyé », Jésus, le Fils, « prononce les Parole de Dieu », le Père, « car il donne l’Esprit sans mesure ». « L’Esprit souffle, et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas ni d’où il vient, ni où il va » (Jn 3,8). « L’Esprit vivifie », « l’Esprit est Vie » (Ga 5,25). « Seigneur, tu as les Paroles de la Vie éternelle » (Jn 6,68). Pierre et les disciples, en écoutant Jésus, vivaient « quelque chose » d’unique avec lui, « quelque chose » de l’ordre de la Vie, d’une Plénitude de Vie qui les comblait…
Les disciples d’Emmaüs ont vécu eux aussi « quelque chose » d’unique en écoutant Jésus, et ils en ont parlé en termes de « feu », une brûlure de l’ordre de l’Amour qu’ils n’oublieront jamais. « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures ? » (Lc 24,32). Et ce « feu » qu’ils ont expérimenté, qu’ils ont vécu, renvoie à nouveau à la Présence et à l’action de l’Esprit dans leur cœur : « Moi, je vous baptise dans l’eau en vue du repentir », disait Jean‑Baptiste. « Lui », Jésus, « il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » (Mt 3,11).
5 – Les Trois Personnes divines toujours à l’œuvre pour nous donner la Vie…
Si nous parlons maintenant en termes de Personnes divines, le Fils, Personne divine unique, nous donne les Paroles du Père, Personne divine unique, et l’Esprit Saint, Personne divine unique, rend témoignage à cette Parole du Père donnée par le Fils. « Esprit Saint » est alors employé ici comme un nom propre. St Jean peut l’appeler aussi « le Paraclet » (Celui qui est appelé auprès de…, avocat, défenseur), « l’Esprit de Vérité » :
Jn 15,26 : « Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage. »
L’expression « Esprit Saint » peut donc être employée comme un nom propre pour désigner une Personne divine unique. Mais quand nous lisons « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), et Dieu « est Saint » (Ps 99(98),3.5.9), les deux mots ‘Esprit’ et ‘Saint’ sont alors un nom commun et un adjectif pour décrire ce que les Personnes divines sont en elles‑mêmes, ce que nous appelons leur « nature divine » (2P 1,4). La notion de « nature » renvoie en effet à ce qui constitue un être, ce par quoi il vit et s’exprime. Le mot « Dieu » peut aussi être employé de manière impersonnelle pour évoquer cette nature divine. Ainsi, le Père est Dieu, il est Esprit et il est Saint. Le Fils lui aussi est « Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo), il est Esprit et il est Saint. Et de même, l’Esprit Saint est Dieu, en tant qu’il « procède du Père et du Fils » (Crédo), il est Esprit et il est Saint…
Il importe donc de bien faire la distinction entre le Don de Dieu, « l’Esprit Saint » nature divine, et la Personne divine qui nous le communique, par exemple « l’Esprit Saint » Troisième Personne de la Trinité… Deux personnes en effet sont toujours en face à face, chacune étant la seule à être la personne qu’elle est. Seul le Père est le Père, seul le Fils est le Fils, seul l’Esprit Saint est l’Esprit Saint. Et les Trois sont en face à face, les uns tournés vers les autres… Par contre, ces Trois Personnes divines bien distinctes vivent et s’expriment par une seule et même nature divine, qui est tout à la fois « Esprit » (Jn 4,24), « Amour » (1Jn 4,8.16), « Lumière » (1Jn 1,5), et bien sûr une réalité ‘Sainte’.
Or Dieu nous a tous créés pour que « nous participions » nous aussi, selon notre condition de créature, à sa « nature divine » (2P 1,4). L’Esprit Saint Personne divine, toujours en face à face avec nous, nous donne ainsi, dans nos cœurs, au plus profond de notre être, l’Esprit Saint nature divine, cet « Esprit » qui est « Vie » (Ga 5,25). « Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie », disons-nous dans notre crédo. « Il donne la vie » en donnant « l’Esprit qui vivifie », l’Esprit « nature divine »… Ainsi, alors même que les Trois Personnes divines nous font toujours « face », Dieu est « en nous » par le Don de son Esprit Saint « nature divine »…
Lorsque le Fils nous donne les Paroles du Père, l’Esprit Saint Personne divine rend témoignage à ces Paroles (Jn 16,26) en donnant à celles et ceux qui les accueillent de tout cœur l’Esprit Saint « nature divine », « l’Esprit qui est Vie » (Ga 5,25), « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; Rm 8,2 ; 2Co 3,6). Son témoignage est donc de l’ordre de la vie (1Jn 5,5-12). L’Esprit Saint « nature divine » est donc toujours donné avec la Parole pour communiquer à celui qui l’écoute avec foi cette Vie promise. C’est pourquoi Jésus promet le Don de la Vie éternelle à quiconque l’écoute avec foi : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle » (Jn 6,47). Notons bien que tous les verbes sont au présent ! A nous maintenant de reconnaître la Présence de cette Vie au cœur de notre vie. Faisons donc attention à ce que nous vivons lorsque nous écoutons la Parole de Dieu. Souvenons-nous, Pierre et les disciples l’ont reconnu : « A qui irions-nous, Seigneur, tu as les Paroles de la Vie éternelle » (Jn 6,68), tout comme les gardes qui plus tard viendront l’arrêter, même si c’était encore d’une manière confuse : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme » (Jn 7,46).
Pour permettre aux hommes d’accueillir cette Vie, le Père va les attirer à son Fils par l’action douce et brûlante de l’Esprit Saint (Jn 6,44 ; 6,37 ; Lc 2,22-32). Et Jésus, uni à son Père dans la communion d’un même Esprit, ne va pas les jeter « dehors ». Bien au contraire, il leur fera toujours bon accueil pour les inviter à entrer « dedans », en cette communion dans « l’unité de l’Esprit » « nature divine » (Ep 4,3). C’est pourquoi il leur donnera ces Paroles du Père auxquelles se joint toujours le Don de l’Esprit qui vivifie. Grâce à ces Paroles et à l’action de l’Esprit Saint, ces hommes pourront reconnaître enfin ce pour quoi ils ont été créés, en commençant à le vivre, dans la foi et par leur foi : vivre de la Vie de Dieu, en sa Présence, dans l’Amour, la Lumière et la Paix de sa « Maison » (Jn 14,2). C’est « là », dans ce mystère de communion en un seul Esprit, que se trouvent le vrai Bonheur, la vraie Vie et la vraie Joie. L’ont-ils reconnu ? Alors, « heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car je vous le dis : beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu ! » (Lc 10,23-24). Oui, « heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3). Essayons donc d’être assez simples pour recevoir avec reconnaissance ce qui nous est gratuitement donné. En effet, « petit troupeau, votre Père s’est complu à vous donner le Royaume » (Lc 12,32), un Royaume qui est « Justice, Paix et Joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17), cet Esprit qui vivifie…
6 – Jésus est le pain « descendu du ciel » pour donner ‘la vie du ciel’…
Tel est le pain « descendu du ciel » pour donner la Vie au monde… L’expression « descendre du ciel » intervient sept fois dans le discours de Jésus (Jn 6,33.38.41.42.50.51.58), un chiffre qui, dans la Bible, est symbole de perfection et de plénitude. Jésus est ainsi le seul parmi les hommes à « être descendu du ciel », et St Jean emploie en 6,38 une préposition grecque particulière pour souligner que non seulement Jésus descend du ciel, mais qu’il est aussi originaire du ciel (Jn 1,1-2). Ses interlocuteurs ne s’y trompent pas, et ils reprennent par deux fois dans leur murmure cette déclaration de Jésus. Mais c’est justement parce qu’il est « du ciel » et « des hommes », par la Vierge Marie et l’action de l’Esprit Saint, qu’il peut « témoigner » auprès des hommes « de ce qu’il a vu et entendu » (Jn 3,31-32) au ciel pour que tous les hommes puissent devenir eux aussi « des fils » du ciel (Jean 1,12)… Hélas, pour l’instant, beaucoup s’arrêtent à ce Jésus terrestre, qu’ils croient bien connaître : « Celui-là n’est-il pas Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère » (Jn 6,42) ? Mais en fait, ils se trompent, car Joseph n’est intervenu en rien dans la conception de Jésus. Et comme ils refusent de se convertir, le mystère du Fils leur demeure étranger. Ils ne peuvent accéder à ce que la foi seule peut accueillir : « Là où je suis », uni à mon Père dans la communion d’un même Esprit, « vous ne pouvez pas venir » (Jn 7,34 ; cf. 3,3-8 ; 8,23-24)…
Quoiqu’il en soit, Dieu, de son côté, nous a donné son Fils (Jn 6,32) et il ne cesse de nous donner à son Fils, de nous inviter à aller à lui pour qu’Il nous sauve (Jn 17,6). Et pour celui qui consentira à l’accueillir, Jésus sera « le Chemin, la Vérité et la Vie », (Jn 14,6), « la Porte » qui conduit à la Vie (Jn 10,9), « la Résurrection et la Vie » pour nous qui sommes blessés à mort par le péché (Jn 11,25-26), « la vraie Vigne » par qui le sarment reçoit la Vie (Jn 15,1-5). Et cette Vie est offerte dès maintenant à notre foi pour être le levain enfoui au cœur de notre pâte humaine (Mt 13,33). Avec elle et grâce à elle, nous sommes tous invités à nous lever, à nous convertir, à changer nos comportements, pour bâtir ensemble un monde plus humain et plus fraternel (Ep 2,4‑10 ; 4,17-24 ; 5,8-9)…
V – Le discours : Jésus Pain de Vie par sa chair offerte (Jn 6,48-58)
1 – Jn 6,48-51 : un nouveau commencement dans le discours…
L’expression « Je Suis le Pain de Vie » n’apparaît que deux fois dans le discours de Jésus : au début de la première partie (Jn 6,35) où il se présente comme Pain de Vie par sa Parole, et au début de cette seconde partie où il sera également Pain de Vie par sa chair offerte. Nous retrouvons donc ici une nouvelle allusion au Mystère de la divinité du Fils, avec l’emploi du Nom divin révélé à Moïse dans le Buisson ardent. Avec et par le Fils, Dieu se donne Lui-même tout entier pour nous permettre de participer, selon notre condition de créature, à ce qu’Il Est Lui-même tout entier ! Telle est la vocation de tout homme sur cette terre !
Puis il fait de nouveau allusion à cette manne qui avait servi d’introduction à tout son discours (Jn 6,31-33). Le mot « pain » réapparaît ensuite quatre fois (Jn 6,50-51) après une longue absence (Jn 6,35). Et l’expression « descendre du ciel », si importante dans la première partie du discours, revient par deux fois pour souligner l’unicité de ce pain dont il est question. Nous sommes donc bien ici à un nouveau commencement de ce discours de Jésus, qui s’oriente cette fois sur « Jésus Pain de Vie » par sa « chair » offerte. En effet, le mot « chair » intervient pour la première fois en 6,51[3] : « Et même le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde ». Et il apparaîtra sept fois en tout en Jn 6 (6,51.52.53.54.55.56.63), un chiffre symbole de Plénitude, pour souligner l’unicité et la perfection de ce pain « chair du Fils de l’homme » par lequel tout nous est donné…
2 – En nous donnant sa « chair », Jésus se donne tout entier
Les interlocuteurs de Jésus vont comprendre ce mot « chair » d’une façon très réaliste, et ils se demandent, certainement avec horreur, comment « celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » (Jn 6,52). Mais le sens que Jésus attribue ici à ce mot est celui qu’il a habituellement dans la Bible : il renvoie à l’homme tout entier en tant qu’il vit et s’exprime dans une condition humaine de chair et de sang. En effet, pour la Bible l’homme n’a pas un corps, il est corps ; il n’a pas une âme, il est âme ; il n’a pas un esprit, il est esprit. Il est ainsi tout à la fois corps, âme et esprit (cf. 1Th 5,23), et ceci d’une manière indissociable. Ces trois mots ne font qu’évoquer les différents aspects d’un seul et unique mystère : l’homme, créature spirituelle de chair et de sang créé à l’image et ressemblance de ce Dieu qui est Esprit. Il a en effet « soufflé » en sa « poussière » et l’homme s’est mis à vivre (Gn 1,26-27 ; 2,4b-7 ; Jn 4,24) ! Or l’expression « souffle de Dieu » renvoie dans la Bible à « l’Esprit Saint » (Ez 37,9 ; Mi 3,8 avec 2Tm 1,7 ; Jn 3,8). Chacun possède donc au plus profond de lui-même une Source qui est à l’origine du mystère de sa vie. Mais elle est le plus souvent comme oubliée, engluée par la boue du péché. Jésus, en se présentant comme l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn 1,29), est venu en fait révéler l’homme à lui-même. Et il nous invite tous à venir nous laver « à la piscine de Siloé » (« L’Envoyé », en hébreu ; Jn 9,1-7) pour que cette Source de Vie qui nous habite puisse enfin donner sa pleine mesure et devenir vraiment ce que Dieu voulait qu’elle soit depuis toujours : la Vie de notre vie…
Et pour que ce projet puisse s’accomplir, le Verbe fait chair s’offrira tout entier sur la Croix. Les soldats romains « perceront ses mains et ses pieds », « ils lui donneront à boire du vinaigre », et « tireront au sort ses habits » (Ps 22(21),17-19 ; 69(68),22 avec Mt 27,32-36). Puis, une fois mort, « l’un des soldats, de sa lance, lui percera le côté, et il sortira aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19,34). Or, le sang dans la Bible symbolise la vie, puisque les anciens croyaient que la vie est dans le sang (Lv 17,14). Ce sang qui coule du côté ouvert de Jésus symbolise donc le don de sa Vie qui ne cessera désormais de se répandre sur le monde et de se proposer aux hommes de « toutes races, langues, peuples et nations » (Ap 5,9-10 ; 7,9-17). Jésus est mort de notre mort pour que nous puissions vivre de sa Vie. Et ressuscité, il soufflera sur ses disciples (Jn 19,34 ; 20,22 ; allusion à Gn 2,4b-7) pour que le projet créateur de Dieu puisse pleinement s’accomplir : que l’homme Vive en surabondance de la Vie de Dieu (Jn 10,10), une Vie qui nous est communiquée par l’action du Souffle de Dieu, l’Esprit Saint… Tel est « le » cadeau que le Christ est venu offrir à chacun d’entre nous : l’Esprit Saint, « Souffle de Dieu », « Eau Vivante » qui vivifie (Jn 4,10-14 ; 7,37-39).
Ainsi, lorsque Jésus déclare : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde », il évoque sa passion prochaine où il se donnera tout entier, en sa condition humaine de chair et de sang, pour que nous puissions vivre de sa Vie en notre condition humaine de chair et de sang. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13). Et ce mystère commence dès maintenant dans la foi, car c’est Lui tout entier que nous sommes invités à recevoir à chaque Eucharistie, pour qu’il nous soit donné de « devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12) en participant à notre mesure de créature à cette Vie qui l’habite en Plénitude (Jn 5,26). Et le Christ nous établira ainsi dans un mystère de communion où nous lui serons tous unis de cœur par un même Esprit et une même Vie… « Celui qui s’unit au Seigneur » par le ‘oui’ de sa foi « n’est avec lui qu’un seul Esprit » (1Co 6,17).
3 – Par cette chair reçue avec foi, c’est l’Esprit qui vivifie…
Et Jésus va longuement insister sur la nécessité de recevoir sa chair et de boire son sang pour vivre de sa Vie :
Jn 6,53-56 : Alors Jésus leur dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis,
si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang,
vous n’aurez pas la vie en vous.
Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle
et je le ressusciterai au dernier jour.
Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson.
Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui »…
Remarquons une fois de plus à quel point tous les verbes au présent : cette Vie est pour l’aujourd’hui de notre foi… Jésus insiste donc énormément sur le « manger sa chair » et « boire son sang », et il explique ensuite : « La chair ne sert de rien, c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63, TOB). Ainsi, recevoir la chair de Jésus et boire son sang est la réponse très concrète de foi que le Christ attend de chacun d’entre nous. Par cette démarche qui engage tout notre corps, nous lui disons tout simplement et sans un mot : « Je crois en toi, en ta Parole, et je te le prouve par la démarche concrète que je fais en tout mon être, corps, âme et esprit : je viens recevoir le Pain de Vie de ta chair et le manger »… Et lui, de son côté, accomplira sa Parole : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ». « Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange lui aussi vivra par moi » (Jn 6,54.57). Nous sommes ainsi invités à participer à cette Vie que le Fils reçoit du Père de toute éternité (Jn 5,26), une Vie qui l’engendre et le constitue en Fils « né du Père avant tous les siècles ». Et en recevant à notre tour, selon notre condition de créature, ce que le Fils reçoit du Père, nous deviendrons comme Lui, des fils et des filles de Dieu (Jn 1,12), « à l’image du Fils » (Rm 8,29), vivants nous aussi de la Vie du Père…
Et c’est l’Esprit Saint Personne divine qui, en nous donnant « l’Esprit Saint nature divine », « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), mettra en œuvre dans nos cœurs et dans nos vies ce que le pain et le sang ne font que signifier. Le pain, en effet, est une nourriture pour la vie, et le sang, dans la Bible, nous l’avons vu, symbolise la vie (Lv 17,11.14). Ainsi, recevoir et manger Jésus « Pain de Vie » et boire « le Sang du Christ », c’est dire « Oui ! » à cette Vie que Jésus veut nous offrir, une Vie qui est la sienne et qu’il reçoit lui-même de son Père par le Don de l’Esprit qui vivifie… Et nous la recevrons à notre tour par ce même Esprit qui vivifie…
Remarquer à quel point la logique est la même qu’en ce passage de l’Evangile selon St Luc où Jésus disait à ses disciples (Lc 11,9-13) :
« Demandez et l’on vous donnera ;
cherchez et vous trouverez ;
frappez et l’on vous ouvrira.
Car quiconque demande reçoit ;
qui cherche trouve ;
et à qui frappe on ouvrira.
Quel est d’entre vous le père auquel son fils demandera un poisson,
et qui, à la place du poisson, lui remettra un serpent ?
Ou encore s’il demande un œuf, lui remettra-t-il un scorpion ?
Si donc vous, qui êtes mauvais,
vous savez donner de bonnes choses à vos enfants,
combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint
à ceux qui le lui demandent ! »
Les papas de la terre, pécheurs, savent donner à leurs enfants la nourriture nécessaire à l’épanouissement de leur vie. Combien plus le Père du Ciel agit-il ainsi ! Et il le fait en donnant « la nourriture par excellence pour la Vie », « l’Esprit qui vivifie »…
Nous sommes donc invités à vivre avec le Christ une relation de communion semblable à celle qu’Il vit Lui-même avec son Père de toute éternité…
4 – Par cette chair reçue avec foi, Jésus demeure en nous et nous en lui…
« Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi,
et moi, je demeure en lui » (Jn 6,56).
Voilà ce qu’il réalise très concrètement à chaque Eucharistie (Jn 6,56) par le Don de « l’Esprit nature divine », cet Esprit qui vient remplir nos cœurs, ce même Esprit qui remplit le sien (Lc 4,1) en tant qu’il le reçoit du Père depuis toujours et pour toujours. « Cherchez votre Plénitude dans l’Esprit… Vous connaîtrez l’Amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre Plénitude dans toute la Plénitude de Dieu » (Ep 5,18 ; 3,19).
Jésus, le Fils, en tant que Personne divine, demeure en face à face avec nous. Mais quiconque lui offre le ‘oui’ de sa confiance et de sa foi reçoit d’avoir part à l’Esprit qui le remplit, le constitue, cet Esprit qui est à l’origine éternelle du Mystère de son Être et de sa Vie, un Esprit qu’il reçoit du Père « avant tous les siècles ». Par cet Esprit, présent en Plénitude en Jésus, et accueilli avec foi par le disciple de Jésus, Jésus est ‘dans’ le croyant, et le croyant est ‘dans’ Jésus, et les deux sont toujours en ‘face à face’, bien ouverts de cœur l’un à l’autre, et donc, au même moment, les uns aux autres… L’ouverture de cœur à Jésus ne peut qu’être au même moment ouverture de cœur aux autres, à tous les autres, amis et ennemis (Mt 5,43-48)… Et la vie de l’Amour reçue de Jésus (Rm 5,5), une vie qui nous pousse à l’aimer, à « vivre pour lui », ne peut qu’être au même moment une vie qui nous pousse à aimer celles et ceux qui nous entourent, à « vivre pour celles et ceux qui nous entourent »… Souvenons-nous de ce beau texte de St Paul qui évoque l’amour pour le Seigneur, pour dénoncer ensuite juste après celui qui juge ou méprise son frère :
Rm 14,7-10 : « Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même : (8) si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur. (9) Car, si le Christ a connu la mort, puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants. (10) Alors toi, pourquoi juger ton frère ? Toi, pourquoi mépriser ton frère ? »
Aimer Dieu, aimer le prochain sont bien un seul et même commandement :
Mt 22,37-38 : « Jésus dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. (38) Voilà le grand, le premier commandement. (39) Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
1Jn 4,20 : « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu » et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas. »
Mt 25,34-40 : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. (35) Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; (36) j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !” (37) Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? (38) tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? (39) tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?” (40) Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” »
Voilà « la vie d’amour » que l’Eucharistie ne cesse de nourrir en nous, de pardon en pardon, une miséricorde reçue pour nous-mêmes qui ne peut que nous pousser à vivre cette même miséricorde dans nos relations avec les autres…
Tous les pécheurs que nous sommes sont ainsi les bienvenus à la célébration de l’Eucharistie. Certes, pour telle ou telle raison, l’Eglise peut nous inviter à nous abstenir de recevoir le pain consacré à l’autel. Obéissons-lui humblement, en sachant que c’est la Miséricorde qui nous accueille. Dieu connaît notre cœur mieux que nous-mêmes. Si nous venons à lui avec bonne volonté, si nous désirons marcher sur ses chemins, avec son aide, du mieux que nous pouvons, le Christ nous donnera sa Vie, à tous, sans aucune exception… Et nous sommes d’autant plus aimés que nous avons pu connaître des souffrances douloureuses, des déceptions, des échecs… « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau », nous dit-il, « et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger » (Mt 11,28-30).
Lui se fera donc toujours pour nous « Pain de Vie » par sa Parole, et il répondra avec joie au désir de notre cœur de le recevoir dans la foi… Et c’est la même Vie qui est donnée par ‘le Pain Parole’ et ‘le Pain Chair’ ! Jésus nous l’affirme lui-même en répondant aux objections de ceux qui trouvaient que ces paroles, « manger sa chair, boire son sang », étaient dures à entendre ! « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et elles sont Vie » (Jn 6,63) leur dit-il. Lui‑même se fera ensuite notre Bon Pasteur (Jn 10,11) : il nous guidera et nous aidera au cœur des circonstances très concrètes qui sont les nôtres, et cela quelles qu’elles soient, pour que nous puissions correspondre le mieux possible à son attente … « C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour… Oui, je le sens, Jésus veut nous faire les mêmes grâces, il veut nous donner gratuitement son Ciel » (Ste Thérèse de Lisieux).
Ainsi, « demeurer en nous et nous en lui », c’est aussi « demeurer en son Amour de Miséricorde », et l’aventure est toujours possible car c’est justement Dieu, dans sa Miséricorde infinie, qui ne cesse de frapper à la porte de nos cœurs et de nos vies (Ap 3,20) pour nous offrir le meilleur, gratuitement, par amour… Quoique nous ayons pu faire, nous n’arriverons jamais à épuiser l’infini de cette Miséricorde ! « On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent » (Ste Thérèse de Lisieux).
La seule chose que Jésus nous demande est de repartir et de repartir encore, instant après instant, avec lui, en essayant de nous appuyer toujours davantage sur lui pour vivre le mieux possible selon sa Parole…
« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour. Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. Voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,9-12).
Et « aimer », pour Dieu, « c’est tout donner et se donner soi‑même » (Ste Thérèse de Lisieux), tout entier, en tout ce qu’Il Est… Dieu Est Esprit ? Il aime et donne l’Esprit. Dieu est Lumière ? Il aime et donne la Lumière. Dieu est Amour ? Il aime et donne l’amour… C’est ainsi que le Père engendre le Fils de toute éternité, par amour, en se donnant tout entier à Lui, en tout ce qu’Il Est… Et le Fils, engendré par le Père, Est Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu… « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35). « Tout m’a été donné par le Père » (Lc 10,22)… Oui, Père, « tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17,10)…
Et lorsque, pécheurs, nous échouerons à vivre comme nous le devrions, nous continuerons à garder sa Parole envers et contre tout en nous rappelant à nouveau qu’il n’est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs. « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades » (Lc 5,31). Aussi se fera-t-il une fois de plus en cet instant « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), notre médecin dont le seul but est de nous guérir, nous pardonner, et nous encourager à nous relever pour repartir à sa suite…
A la question : « Que veut dire « rester petit enfant devant le bon Dieu ? » », Ste Thérèse de Lisieux répondait : « C’est reconnaître son néant, attendre tout du bon Dieu, comme un petit enfant attend tout de son Père ; c’est ne s’inquiéter de rien »… « Enfin, c’est ne pas se décourager de ses fautes, car les enfants tombent souvent, mais ils sont trop petits pour se faire beaucoup de mal ».
« Voyez les petits enfants : ils ne cessent de casser, de déchirer, de tomber, tout en aimant beaucoup, beaucoup leurs parents. Quand je tombe ainsi, cela me fait voir encore plus mon néant et je me dis : « Qu’est-ce que je ferais, qu’est-ce que je deviendrais si je m’appuyais sur mes propres forces ? » »
5 – Par cette chair reçue avec foi, Jésus nous invite à le « connaître » comme lui-même connaît le Père…
« Connaître Dieu » est un don qui nous est offert par le pardon gratuit de toutes nos fautes (Jr 31,33-34) et par l’Eucharistie, source d’une vie de communion avec le Christ et avec son Père : « Je Suis le bon pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père, et je donne ma vie pour mes brebis » (Jn 10,14-15). Et la Bible de Jérusalem explique en note : « Dans la Bible, la “ connaissance ” procède, non d’une démarche purement intellectuelle, mais d’une “ expérience ”, d’une présence ; elle s’épanouit nécessairement en amour ». Ce verbe « connaître » renvoie en fait à ce mystère de communion qu’il nous est donné de vivre par notre foi au Christ : « La vie éternelle, Père, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3).
Ste Thérèse de Lisieux parlait ainsi de cette « connaissance de foi » qui est avant tout de l’ordre de la « vie » : « La vie est bien mystérieuse. Nous ne savons rien, nous ne voyons rien, et pourtant, Jésus a déjà découvert à nos âmes ce que l’œil de l’homme n’a pas vu. Oui, notre cœur pressent ce que le cœur ne saurait comprendre, puisque parfois nous sommes sans pensée pour exprimer un « je ne sais quoi » que nous sentons dans notre âme ».
6 – Par cette chair reçue avec foi, devenir un « instrument de Jésus »…
A chaque Eucharistie, c’est l’Esprit du Christ Serviteur du Père et des hommes que nous recevons, un Esprit qui ne peut donc que nous pousser à nous mettre à notre tour, comme Jésus, au service de Dieu et de tous nos frères les hommes…
Jésus disait en effet à ses disciples : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui même, qu’il ne le voie faire au Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5,19-20). Et ce qui est vrai du Christ vis-à-vis de son Père l’est aussi pour le disciple vis-à-vis du Christ : « Je Suis la vigne ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5). Avant toute action pour Jésus (témoignage, évangélisation, catéchisme…), nous sommes ainsi invités à prier, à remettre entièrement notre vie entre ses mains en lui demandant de nous aider à changer ce qui doit l’être. Dans ce désir de nous engager vraiment à sa suite par toute notre vie, nous lui demanderons l’Esprit Saint (Lc 11,9-13) pour que sa Paix règne dans nos cœurs (Jn 14,27 ; Ga 5,22 ; Col 3,15 ; Ph 4,4-7) et nous donne ainsi d’accomplir sa volonté. Telle est, à l’Eucharistie, la prière de l’Eglise juste avant la communion : « Seigneur Jésus Christ, tu as dit à tes apôtres : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » ; ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Eglise ; pour que ta volonté s’accomplisse, donne-lui toujours cette paix, et conduis la vers l’unité parfaite, toi qui règnes pour les siècles des siècles. Amen ! »
Il s’agira alors d’être envoyé par le Christ en témoin dans le monde comme le Christ Lui‑même fut envoyé par le Père : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20,21). Et de même que le Père était toujours avec Jésus (Jn 8,28‑29), agissant avec Lui et par Lui (Jn 14,10-11), le Christ ressuscité a promis d’être toujours présent à son Eglise, agissant avec elle et par elle : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,18-20). Le Père a ainsi donné à son Fils « tout pouvoir » (Jn 3,35 ; 17,2), de telle sorte que le Christ ressuscité continue d’agir par la Toute Puissance de l’Esprit Saint avec son Eglise et par elle. Toute l’Eglise est ainsi « servante du Christ », et cela d’autant plus que ses membres vivront effectivement en communion avec Lui. Mais nous recevons sans cesse cette « vie d’union avec le Christ » de la Miséricorde avec laquelle nous sommes aimés. La Bienheureuse Elisabeth de la Trinité a ainsi écrit : « Le Christ ne veut point qu’il y ait de tristesse en notre âme en regardant ce qui n’a pas été fait uniquement pour Lui. Il est Sauveur, sa mission est de pardonner… Il n’y a en effet qu’un mouvement au cœur du Christ : effacer le péché et emmener l’âme à Dieu. Je me sens enveloppée dans ce mystère de « la charité du Christ », et lorsque je regarde en arrière, je vois comme une divine poursuite sur mon âme[4]. Oh ! Que d’amour. Je suis comme écrasée sous ce poids. Alors je me tais et j’adore »…
Tel est le Christ et l’amour qu’il nous témoigne, instant après instant… Et cet amour se donne avec une intensité toute particulière à chaque Eucharistie pour nous purifier (Hb 9,14 ; Ap 1,4-6 ; 1Jn 2,1-2 ; 3,18-20), nous reprendre auprès de Lui en son mystère de communion (1Jn 1,1-4) et nous envoyer dans le monde pour témoigner de sa Miséricorde (1Tm 1,12-17), de sa Vie et de sa Paix. L’Esprit Consolateur se fera alors notre Lumière, notre Force et notre Joie (Ac 1,8)…
Diacre Jacques Fournier
[1] La Gloire, dans la Bible, est la manifestation de la nature divine : Lumière, Beauté, Puissance… Pas de « Gloire » sans la nature divine qui lui corresponde… Lorsque Jésus évoque la Gloire que son Père lui a donnée, la formule est identique à celle qui affirmerait que Dieu le Père donne à son Fils de toute éternité d’être Dieu comme lui-même est Dieu… C’est ainsi qu’Il l’engendre, par Amour et dans l’Amour…
[2] Pour St Jean, « venir à » Jésus c’est « croire en lui ». Le parallèle en Jn 6,35 le montre bien : « Je Suis le pain de vie. Qui vient à moi n’aura jamais faim ; qui croit en moi n’aura jamais soif. »
[3] Il était seulement apparu jusque là en 1,13-14 pour évoquer l’Incarnation du Verbe, et en 3,6 pour souligner pour chacun d’entre nous la nécessité d’une nouvelle naissance, celle de l’Esprit…
[4] Cf. Luc 15,4-7.
Jn 6 – Jésus Pain de Vie (2014) : Cliquer sur le titre précédent pour accéder au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.
Dimanche 31 juillet à Saint Paul : rencontre commune de tous les groupes Cycle Long
Bonjour à tous…
Chaque année, avant la crise sanitaire, nous organisions une journée commune de tous les groupes Cycle Long au Collège Saint Michel début juillet, une fois le parcours biblique terminé… Cette année, avec les deux cyclones qui ont frappé notre ile en février, certains groupes vont récupérer autant que possible leurs journées perdues en se retrouvant notamment début juillet. De plus, les conditions sanitaires, qui se sont grandement améliorées, nous invitent néanmoins toujours à la prudence… Je vous propose donc, si vous le pouvez, de tous nous retrouver Dimanche 31 juillet à la Paroisse de Saint Paul Centre (Paroisse de la Conversion de Saint Paul, 38 bis Chaussée Royale). Nous vivrons la messe avec la communauté paroissiale à 9h 30, tout simplement.
Puis, nous nous rassemblerons en plein air, juste à côté de l’esplanade de la Grotte de Notre Dame de Lourdes, à qui nous confions tout de suite cette rencontre… S’il fait beau, nous pourrons nous installer sur l’herbe et sous les arbres, devant la salle Saint Michel. Autrement, nous trouverons refuge dans cette grande salle pour pouvoir nous mettre à l’abri. Entre la fin de la messe et le repas de midi, nous pourrons échanger tranquillement sur ce que nous avons vécu jusqu’à maintenant et vers midi et demi, nous vivrons un repas partage où nous mettrons ensemble tout ce que nous aurons apporté. Et nous terminerons notre journée au plus tard vers 16h, ce qui nous permettra de rentrer tranquillement à la maison avant la nuit…
Un grand merci de nous dire si vous pourrez vous joindre à nous : cela nous permettra de nous organiser au mieux…
Ces journées communes appartiennent pleinement à l’aventure du Cycle Long, à notre vivre ensemble, en Eglise. Elles nous aident à mieux prendre conscience de la Présence du Christ Ressuscité au milieu de nous (Mt 18,20 ; 28,20)… C’est Lui qui construit l’Eglise que nous formons (Mt 16,18-19). Nous sommes son Corps, Il est la Tête (Ep 1,22), travaillant avec nous tous pour que la Bonne Nouvelle puisse rayonner le plus largement possible : Dieu est le Père de tout homme, et il « veut », de tout son être (et il est infini !) que « tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4-6), présents à ses côtés (Jn 17,24-26 ; Ap 3,20-21), dans sa Maison (Jn 14,1-3). Et tout ce que veut le Seigneur, il est le premier à le faire (Ps 135,6 ; Lc 15)… « Heureux » alors ceux qui l’accueillent, « ceux qui croient sans avoir vu » (Jn 20,29)…
Toute l’équipe du Cycle Long se joint à moi pour vous dire « à très bientôt »…
Bien cordialement,
D.Jacques Fournier
Le Mystère de la Trinité : coeur de la foi chrétienne… (DJF)
I – « Le Père et le Fils, en face à face, unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit. »
« Si Dieu était votre Père », dit Jésus à ses adversaires, « vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne viens pas de moi-même ; mais lui m’a envoyé » (Jn 8,42), « et celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,29). « Celui qui ma envoyé », le Père, « est avec moi », dit Jésus, et cela « toujours », car Jésus « fait toujours ce qui lui plaît ». Accueillir le Fils, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), celui que les hommes pouvaient voir avec leurs yeux de chair, « c’est donc au même moment accueillir le Père », « toujours » avec le Fils, mais invisible à nos yeux de chair, car « Dieu est Esprit », dit Jésus à la Samaritaine (Jn 4,24).
Nicodème avait reconnu que Jésus n’était pas seul : « Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n’est pas avec lui » (Jn 3,2). C’était Dieu le Père, en effet, qui, avec lui et par lui, accomplissait des miracles, signes et prodiges pour aider les foules à croire en son Fils : « Jésus le Nazôréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous », dit St Pierre à la foule (Ac 2,22). Et Jésus lui-même disait : « Les œuvres que le Père m’a donné à mener à bonne fin, ces œuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père m’a envoyé » (Jn 5,35). En effet, « le Père demeurant en moi fait ses œuvres » (Jn 14,10), car « le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père ; ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5,19‑20).
Le Fils est donc tout d’abord entièrement « tourné vers le sein du Père » (Jn 1,18). Dans la foi, en « Verbe fait chair », vrai Dieu (Jn 1,1 ; 20,28) mais aussi vrai homme, « Fils de l’homme » (Mc 9,31), il le regarde, il le voit, il l’écoute. En serviteur du Père, il fait ce qu’il voit faire au Père, il dit ce qu’il a vu auprès du Père, et aussi ce que le Père lui dit : « Je dis ce que j’ai vu chez mon Père » (Jn 8,38), « je dis ce que le Père m’a enseigné » (Jn 8,28).
Le compagnonnage de Jésus avec son Père est donc au cœur de son Mystère. Jésus est tout entier tourné vers le Père, il ne cesse de le regarder, de l’écouter, il est tout entier à son service, ne cherchant qu’une seule chose : accomplir sa volonté, dans une obéissance parfaite… « Et Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6)…
Mais ce Mystère d’un « être avec… », « d’un être auprès de… », « d’un être tourné vers » un Autre que Lui-même, Jésus en parle aussi avec d’autres expressions qui peuvent sembler incompatibles avec les premières. En effet, Jésus le Fils, « l’Unique Engendré » (Jn 1,18), est le seul à être « qui » il est. Le Fils n’est pas le Père, et le Père n’est pas le Fils. A ce titre, le Père et le Fils, en tant que Personnes divines uniques, sont toujours en face à face. De ce point de vue, le Père n’est pas dans le Fils, et le Fils n’est pas dans le Père : le Père, lui qui est le seul à être le Père, est face à face avec un autre que Lui-même, le Fils, qui, de son côté, est lui aussi le seul à être le Fils. Et pourtant, Jésus nous dit : « Le Père », ce Père que je ne suis pas, ce Père qui est un autre que moi-même, « est en moi et moi, je suis dans le Père ». C’est ce qu’il affirme par deux fois à Philippe après lui avoir déclaré : « Nul ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père ; dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu. Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit. » Jésus lui dit : Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père ! ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même : mais le Père demeurant en moi fait ses œuvres. Croyez-m’en ! je suis dans le Père et le Père est en moi. Croyez du moins à cause des œuvres mêmes » (Jn 14,6-11).
Le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père ; à ce titre, ils sont toujours en face à face… Et pourtant, « le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père », nous dit Jésus plusieurs fois. Comment donc harmoniser ce qui semble si contradictoire ? Nous touchons ici aux conséquences éternelles de l’engendrement éternel du Père par le Fils, « dès avant la fondation du monde » (Jn 17,24), « avant tous les siècles » (Crédo), et donc avant que le temps n’existe… « Comme le Père a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même… Ainsi, je vis par le Père » (Jn 5,26 ; 6,57), nous dit Jésus. Et pourquoi ? « Car le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35), tout, tout ce qu’il est, tout ce qu’il a : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15 ; 17,10). Le Père est Dieu ? Le Père aime le Fils, et de toute éternité, il se donne à lui, lui donnant ainsi gratuitement, par amour, d’être « Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo). « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) ? Le Père aime le Fils, se donne totalement à lui, en tout ce qu’Il Est, lui donnant ainsi, gratuitement, par amour, d’être « Lumière née de la Lumière » (Crédo). Qui voit la Lumière du Fils voit donc la Lumière du Père, car il s’agit dans les deux cas de la même réalité spirituelle. C’est ainsi que Jésus peut dire : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9), alors même que le Père n’est pas le Fils et que le Fils n’est pas le Père… « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16) ? « Tu es mon Fils Bien Aimé », lui dit le Père, « en toi j’ai mis tout mon amour » (Mc 1,11), tout ce que Je Suis. Ainsi, par ce Don total que le Père ne cesse de faire au Fils, tout ce qu’Est le Père, le Fils l’Est aussi en tant qu’il le reçoit du Père. Jésus peut alors dire : tout ce qui Est « en moi », tout ce qui me constitue, ma Plénitude d’Être et de Vie, tout cela Est aussi « en toi », Père, puisque le Fils reçoit tout du Père en « Unique Engendré » (Jn 1,18), « engendré non pas créé, né du Père avant tous les siècles » (Crédo). A ce titre, même si le Père n’est pas le Fils, et si le Fils n’est pas le Père, tout ce qui Est dans le Père Est dans le Fils, en tant que le Père le donne au Fils de toute éternité. Et tout ce qui Est dans le Fils Est dans le Père, en tant que le Fils le reçoit du Père de toute éternité… En considérant donc cette Plénitude d’Être et de Vie qui le constitue tout entier, le Fils peut dire qu’il Est dans le Père et que le Père Est en Lui, alors même qu’ils sont toujours tous les deux en face à face…
Le talent de St Jean est tel qu’il n’a besoin que de quelques mots pour exprimer ce Mystère de Communion du Père et du Fils, bien distincts l’un de l’autre, mais dans l’unité d’un même Esprit (cf Ep 4,3) : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30). En français, nous avons deux genres : le masculin et le féminin. En grec, il en existe trois : le masculin, le féminin et le neutre. Le masculin renvoie à des personnes de sexe masculin, avec énormément d’exceptions… Le féminin renvoie à des personnes de sexe féminin, avec énormément d’exceptions… Le neutre renvoie au domaine des choses, des réalités non personnifiées, avec énormément d’exceptions… Et en Jn 10,30, pour écrire « un », St Jean n’a pas utilisé le masculin, ce qui aurait voulu dire que le Père et le Fils n’auraient en fait été qu’une seule et même Personne, mais un neutre qui renvoie donc à une réalité non personnifiée, ici, ce que sont le Père et le Fils de toute éternité : « Amour » (1Jn 4,8.16), « Esprit » (Jn 4,24), « Lumière » (1Jn 1,5). Le Père et le Fils sont « un » en tant qu’ils sont unis l’un à l’autre dans la Communion d’un même Esprit, d’une même Lumière, d’un même Amour, en un mot d’une même Plénitude divine d’Être et de Vie, le Père la donnant au Fils de toute éternité, le Fils la recevant du Père de toute éternité…
Ainsi, le Père et le Fils sont bien l’un en face de l’autre, l’un auprès de l’autre, l’un avec l’autre, bien distincts l’un de l’autre, et pourtant, ils sont unis au niveau de leur Être même dans la communion d’une même Plénitude spirituelle (« Dieu est Esprit » (Jn 4,24), le Père la donnant au Fils, gratuitement, par Amour, l’engendrant ainsi en Fils, le Fils la recevant gratuitement du Père, dans l’Amour. La relation qui existe ainsi entre les deux est vitale, existentielle, le Fils n’étant rien sans le Père…
Alors, si, à un instant du temps, le Fils a assumé notre nature humaine, « corps, âme et esprit » (1Th 5,23), son esprit d’homme était pleinement uni à sa Plénitude spirituelle éternelle, mais cette réalité, invisible par nature à nos yeux de chair, ne se laisse percevoir qu’au regard du cœur, au regard de la foi… Et bien sûr, là où est le Fils, là est le Père, avec lui, auprès de lui, uni à lui dans la communion d’un même Esprit… Ainsi, « celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille mais celui qui m’a envoyé »…
II – Le Père fait tout par le Fils ; le Fils est le Serviteur du Père
De toute éternité, le Père et le Fils sont en face à face, le Père, dans l’Amour, se donnant en tout ce qu’Il Est au Fils, l’engendrant ainsi en Fils ; le Fils, dans l’Amour, se recevant en tout ce qu’Il Est du Père, dans l’action de grâce. Et puisque « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), et que « Dieu est Saint » (Lv 19,2), « Jésus tressaille de joie dans l’Esprit Saint », « le Don de Dieu », « et il dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du Ciel et de la terre » (Lc 10,21 ; Jn 4,10)… Chacun possède donc une seule et même Plénitude d’Être et de Vie, le Père la donnant au Fils, gratuitement, par amour, le Fils la recevant du Père, gratuitement, dans l’amour. Le Père et le Fils, en face à face, sont ainsi unis l’un à l’autre dans la communion d’un même « Amour » (1Jn 4,8.16), d’un même « Esprit » (Jn 4,24), d’une même « Lumière » (1Jn 1,5), d’une même Vie (Jn 5,26). Et cet Amour, en Dieu, fait l’union des volontés. Le Fils n’a ainsi qu’un seul désir : accomplir le plus parfaitement possible la volonté du Père. Et le Père, de son côté, fait tout par et pour son Fils : « Le Seigneur fait tout pour moi. Seigneur, éternel est ton amour, n’arrête pas l’œuvre de tes mains » (Ps 138(137),8).
Ainsi lorsque nous disons dans notre Crédo « Je crois en un seul Dieu, le Père Tout‑Puissant, Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible », St Jean précise en parlant du Fils, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14) : « Tout fut par lui et sans lui rien ne fut » (Jn 1,3). La Lettre aux Hébreux commence quant à elle par ces lignes : « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes » (Hb 1,2). La Lettre aux Colossiens nous dit de son côté de ce Fils qui a assumé notre condition humaine, « devenant ainsi semblable aux hommes » (Ph 2,7) : « Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles (la formulation de notre Crédo), Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui » (Co 1,15-17).
Si le Père a créé tous les hommes, gratuitement, par amour et par le Fils, ce même Père veut sauver tous les hommes gratuitement, par amour et par ce même Fils : « Dieu notre Sauveur, veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. En effet, il n’y a qu’un seul Dieu ; il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous » (1Tm 2,3-6). St Jean écrit de son côté : « Dieu », le Père, « a tant aimé le monde », c’est‑à‑dire tous les hommes, sans absolument aucune exception, « qu’il a donné son Fils Unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu », le Père, « n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde », au sens de condamner, « mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,16-17). St Jean appelle ainsi Jésus « le Sauveur du monde », et lui, de son côté, n’a qu’un seul désir : accomplir la volonté du Père, et donc tout faire pour que tous les hommes soient effectivement sauvés : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre », la création qu’il a lancée dans l’aventure de la vie et au cœur de laquelle il ne cesse d’agir pour son salut, « à bonne fin… Tout ce que me donne le Père », et le Père a donné au Fils le monde à sauver, « viendra à moi, et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors ; car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or c’est la volonté de celui qui m’a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour » (Jn 4,34 ; 6,37-39).
En tant que le seul de désir de Jésus est l’accomplissement de la volonté du Père, nous pouvons donc l’appeler « le Serviteur » du Père. Et c’est bien ainsi que St Luc nous le présente plusieurs fois dans son Livre des Actes des Apôtres : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob a glorifié son Serviteur Jésus que vous, vous avez livré… Vous avez fait mourir le Prince de la vie, mais Dieu l’a ressuscité des morts ; nous en sommes témoins… Et c’est pour vous d’abord que Dieu a ressuscité son Serviteur et il l’a envoyé vous bénir », le Père nous bénit donc par son Fils, « du moment que chacun de vous se détourne de ses perversités » (Ac 3,11-26 ; cf. Ac 4,27.30). Le Fils est donc tout entier au Service du Père, dans l’accomplissement de sa volonté. Mais dans cette communion d’Être et de Vie qui unit le Père et le Fils, une communion qui est de l’ordre de l’Amour, tout ce que veut le Père dans l’Amour, pour notre seul bien, le Fils le veut lui aussi de tout son Être, dans ce même Amour et toujours pour notre seul bien. Et le Père apparaît alors comme étant lui aussi le Serviteur du Fils dans l’accomplissement de leur volonté commune, pour notre seul bien… C’est ainsi que le Père est tout entier au service du Fils pour que les hommes viennent à lui, croient en lui et puissent donc ainsi être sauvés par lui, l’unique « Sauveur du monde », « l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes » (1Tm 2,3-6).
Le Père va ainsi se mettre au service du Fils en attirant tous les hommes à lui. Nous l’avons vu, « tout ce que me donne le Père viendra à moi ». En effet, « nul ne peut venir à moi », dit Jésus, « si cela ne lui est donné par le Père ». Oui, « nul ne peut venir à moi », dit-il encore, « si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,37.65.44). Et « venir à » Jésus en St Jean est synonyme de « croire en lui », comme nous le montre ce parallèle en Jn 6,35 : « Je Suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » Le Père attire ainsi tous les hommes au Fils et il fait tout pour leur donner de croire en lui… C’est ainsi, notamment, qu’il lui rend témoignage, par une voix qui jaillit du ciel : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, j’ai mis tout mon amour » (Mc 1,11)… Et si, disait Jésus, « ma parole n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé » (Jn 14,24), de telle sorte que « ce que je dis, tel que le Père me l’a dit, je le dis » (Jn 12,50), le Père de son côté déclare, lors de la Transfiguration de Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez‑le » (Mc 9,7)… Et lorsque Jésus demande :« Père, glorifie-ton nom », aussitôt, « du ciel vint une voix : « Je l’ai glorifié et de nouveau je le glorifierai » (Jn 12,28). Ainsi, « le Père qui m’a envoyé », dit Jésus, « lui, me rend témoignage » (Jn 5,37). Et il le fait encore par « les guérisons, signes et prodiges qu’il opère par son saint serviteur Jésus » (cf. Ac 4,30). Oui, dit St Pierre, « Jésus, le Nazôréen, est bien cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, signes et prodiges qu’il a opérés par lui au milieu de vous » (Ac 2,22). Et Jésus en était bien conscient : « Les œuvres que le Père m’a donné à mener à bonne fin, ces œuvres mêmes que je fais, me rendent témoignage que le Père m’envoie » (Jn 5,36).
Le Père a donc tout créé par le Fils, et il veut tout sauver par le Fils. Dans sa mission, il agit pour lui, il est entièrement à son service, pour aider les hommes à venir à Jésus, à croire qu’il est vraiment « le Sauveur du monde », ce qui leur permettra de recevoir le pardon de toutes leurs fautes, offert en surabondance par leur Dieu et Père qui, avec son Fils, ne cherche et ne poursuit que leur bien. C’est donc bien encore avec et par son Fils que le Père travaille à se réconcilier à lui tous les hommes. Car ce n’est que dans cette relation en cœur à cœur avec leur Père qu’ils trouveront, en tant qu’ils la recevront gratuitement, par amour, cette Plénitude d’Être et de Vie que le Père veut leur communiquer à eux aussi, car c’est pour qu’ils en soient comblés qu’il les a tous créés. Et ce Don sera le même que celui qu’il offre à son Fils de toute éternité, l’engendrant ainsi en Fils « vrai Dieu né du vrai Dieu »… Il aura donc au cœur de tous ceux et celles qui accepteront de le recevoir les mêmes effets que pour le Fils : l’engendrement à la Plénitude même de la Vie de Dieu, « à l’image du Fils » (Rm 8,29). En effet, « Dieu », le Père, « s’est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix ». Oui, « en lui habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité, et vous vous trouvez, en lui, associés à sa Plénitude » (Col 1,19-20 ; 2,9-10) ! Et dans sa seconde Lettre aux Corinthiens, St Paul écrit : « Dieu », le Père, « nous a réconciliés avec lui par le Christ et il nous a confié le ministère de la réconciliation. Car c’était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes et mettant en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc en ambassade pour le Christ ; c’est comme si Dieu exhortait par nous. Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2Co 5,18-20) en accueillant la Vérité de son Amour. Et dans cette même Vérité où nous sommes déjà enveloppés par sa Tendresse, nous sommes invités à reconnaître en vérité notre péché, nos misères, et à tout lui offrir. « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne mérite plus d’être appelé ton fils » (Lc 15,21). Alors, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) les fera vite disparaître par « l’Eau Pure qui purifie » (Ez 36,24-28), « l’Eau Vive qui vivifie », « l’Eau Vive de l’Esprit Saint », « le Don de Dieu » (Jn 4,10-14 ; 6,63 ; 7,37-39). Ainsi, « celui qui fait la vérité vient à la lumière » (Jn 3,21), et « si nous marchons dans la lumière, comme Dieu est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres et le sang de Jésus, son Fils, nous purifie de tout péché » (1Jn 1,7-9). Et par la médiation de son sang versé, de sa chair offerte, c’est toujours le Don de l’Esprit qui accomplit son œuvre en nous. En effet, si le sang de Jésus est bien « le sang de l’Alliance versé pour la multitude en rémission des péchés » (Mt 26,28), la réalité qui accomplit cette œuvre en nous, c’est bien l’Esprit qui purifie, « l’Esprit qui vivifie » : « La chair ne sert de rien, c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63).
Alors, si nous acceptons de nous présenter devant lui tels que nous sommes en vérité, pécheurs, remplis de misères et de faiblesses de toutes sorte, « lui, fidèle et juste, pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité ». « Si notre cœur venait à nous condamner, devant lui nous apaiserons notre cœur, car Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout » (1Jn 3,19-20)… Et ce Dieu « Miséricorde Toute Puissante » (Lc 1,49-50), ce « Père des Miséricordes » (2Co 1,3), Lui qui a créé l’infini de l’univers visible qui nous entoure, Lui qui est aussi infini en Amour, agira envers nous selon l’infini de son Amour et nous ne pourrons que constater, en expérimentant son pardon, que « là où le péché à abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20)…
« Il ne s’agit donc pas de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9,16). Ainsi, grâce au salut du monde « accompli » (Jn 19,30) par Jésus, le Fils, le projet créateur du Père pourra lui aussi pleinement s’accomplir : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. Ainsi l’a voulu sa bonté, à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé. En lui, par son sang, nous avons la rédemption, le pardon de nos fautes. C’est la richesse de la grâce que Dieu a fait déborder jusqu’à nous en toute sagesse et intelligence »… Ainsi, « après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu est une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire… Le Christ a en effet aimé l’Eglise », et à travers elle, l’humanité tout entière. « Il s’est livré pour elle afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l’eau baptismale, accompagné d’une parole ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église », cette humanité, « resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée » (Ep 1,3‑14 ; 5,25-27). Et « tout ce que veut le Seigneur, il le fait au ciel et sur la terre, dans les mers et jusqu’au fond des abîmes » (Ps 135(134),6). Telle est la volonté du Père accomplie par le Fils et qui commence à se réaliser très concrètement dans nos cœurs et dans nos vies par le Don gratuit de l’Amour, le Don de l’Esprit Saint… « Heureux » alors, dès maintenant, dans la foi, « ceux qui croient sans avoir vu » (Jn 20,29)…
III – « L’Esprit Saint procède du Père et du Fils… Il est Seigneur, et il donne la vie » (Crédo)…
Nous avons vu précédemment que depuis toujours et pour toujours, le Père et le Fils sont en face à face, le Père, dans l’Amour, se donnant en tout ce qu’Il Est au Fils, l’engendrant ainsi en Fils « né du Père avant tous les siècles » (Crédo) ; le Fils, dans l’Amour, se recevant en tout ce qu’Il Est du Père, dans l’action de grâce.
« Dieu » en effet « Est Amour » (1Jn4,8.16), et le propre de l’Amour, en Dieu, est de se donner, totalement, pour la seule Plénitude de l’autre. C’est ce que déclare le Pape François dans son audience donnée à Rome le mercredi 14 juin 2017 : « Le premier pas que Dieu accomplit vers nous est celui d’un amour donné à l’avance et inconditionnel. Dieu nous aime parce qu’il est amour, et l’amour tend de nature à se répandre, à se donner ». C’est ainsi que St Jean écrit : « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35). En grec, le temps employé pour le verbe « donner » pourrait aussi être traduit par un présent : « Le Père aime le Fils et il donne tout en sa main » (Jn 3,35). Autrement dit, c’est parce que « le Père aime le Fils », un présent qui a ici valeur d’éternité, « qu’il lui donne tout », tout ce qu’il Est, tout ce qu’il a. « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15)…
« « Aimer », pour Dieu, c’est donc « donner » ce qu’Il Est en Lui-même, sa Plénitude spirituelle d’Être et de Vie, et cela gratuitement, par amour. Et rien, absolument rien ne peut empêcher Dieu d’Être ce qu’Il est, Amour, Pur Amour, toujours donné, gratuitement, pour le seul bien de tous… Et puisque nous avons tous été « créés à son image et ressemblance » (Gn 1,26-28), Jésus nous invitera à agir « comme » lui, une attitude qui n’est possible, pour nous pécheurs, qu’avec le secours de sa grâce : « Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 44-45). Autrement dit, le Père « Amour » aime d’un Amour Pur aussi bien « les méchants et les bons », « les justes et les injustes » : à tous, il donne gratuitement, par Amour, en surabondance, ce qu’Il Est en Lui-même, et Il Est Esprit (Jn 4,24), et Il est Lumière (1Jn 1,5). « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu… Le Verbe était la lumière véritable qui éclaire tout homme » (Jn 1,1.9)…« Il fait donc lever son soleil » sur tous en donnant à tous la Lumière de son Esprit, et « il fait tomber la pluie » sur tous en donnant l’Eau Vive de son Esprit (cf. Jn 4,10-14 ; 7,37-39). Pour « les justes » et « les bons », c’est-à-dire les pécheurs repentants ouverts en vérité à la surabondance de cet Amour, qui prendra alors pour eux le visage d’une incroyable Miséricorde, cet Esprit sera Lumière, Vie, Paix, Joie, Douceur, Tendresse dans une purification et une sanctification toujours en œuvre ici-bas… Pour « les méchants » et « les injustes », c’est-à-dire les pécheurs qui n’ont pas encore pris conscience de leurs misères, aveuglés par leur orgueil et la convoitise des biens de ce monde, le Don de la Lumière de l’Esprit, de l’Eau Vive de l’Esprit sera douce invitation à ouvrir la porte de leur cœur (Ap 3,20), à faire la vérité dans leur vie, à se repentir, pour passer enfin des ténèbres à la Lumière, d’une privation de Plénitude (Rm 3,23) à un avant goût de cette Plénitude, dès maintenant, dans la foi, en leurs cœurs… Ils commenceront alors à pressentir dès ici-bas « où » se cache le vrai Bonheur… « C’est si bon cette Présence de Dieu ! C’est là, tout au fond, dans le Ciel de mon âme, que j’aime le trouver puisqu’Il ne me quitte jamais… J’ai trouvé le ciel sur la terre puisque le ciel c’est Dieu et Dieu est dans mon âme » (Elisabeth de la Trinité)…
« Né du Père avant tous les siècles », le Fils est donc « engendré » par le Père (Crédo), qui accomplit à son égard un acte d’amour éternel, totalement gratuit : il se donne à Lui en tout ce qu’Il Est, l’engendrant ainsi en « Dieu né de Dieu »… « Dieu Est Amour » ? Le Père Est Amour ? En se donnant au Fils, il va lui donner à lui aussi d’Être Amour, totalement, pleinement, tout comme Lui, et cela en ‘Amour né de l’Amour’…
Mais si le propre de l’Amour en Dieu est de se donner, le Fils lui aussi, « engendré » par le Père, Amour né de l’Amour avant tous les siècles, va pouvoir se donner comme Dieu seul se donne, de tout son Être… Ainsi, en tant que le Fils se reçoit du Père en tout ce qu’il est, cette capacité à se donner sera encore pour lui un Don du Père. Nous le pressentons en Jn 17,2, lorsqu’il prie son Père juste avant sa Passion et lui dit : « Père, glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie, et que selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés ». Jésus est donc bien conscient que « donner la vie » est un « pouvoir », une capacité, qu’il a reçue du Père…
Répétons-nous : depuis toujours et pour toujours, le Père est Amour et il se donne entièrement, en tout son Être, au Fils, lui donnant d’être Amour lui aussi, tout comme le Père. Le Fils, Amour, est donc lui aussi Don total de lui‑même, entièrement, tout comme le Père… Et c’est ainsi que, de toute éternité, du Don du Père et du Fils « procède » l’Esprit Saint, la Troisième Personne de la Trinité. Autrement dit, lui aussi se reçoit en tout ce qu’Il Est du Don total et éternel du Père et du Fils…
Il importe maintenant de faire une précision au niveau du vocabulaire que nous employons. « Dieu Est Esprit » (Jn 4,24) dit Jésus à la Samaritaine. Le mot « Esprit », employé ici sous la forme d’un nom commun, suffit donc à décrire tout ce que Dieu Est en Lui-même, l’infinie richesse de sa Plénitude spirituelle, qui est aussi, nous l’avons vu, « Amour », et cela en tous ses aspects. Ainsi, lorsque St Jean écrit « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5), la Lumière dont nous parlons est une réalité spirituelle de l’ordre de l’Amour… Tout en Dieu « Est Amour »…
Nous disons aussi souvent que « Dieu est Saint » (cf. Lv 19,2), et là aussi l’adjectif « Saint » suffit à caractériser tout ce que Dieu est en lui-même… Et cela d’autant plus qu’il vient d’un verbe, « qadash », qui, en hébreu, a comme sens premier : « couper, séparer, mettre à part ». Dieu est donc « Saint » en tant qu’il est le seul à être ce qu’il est. A ce titre, il est à part, incomparable. « A qui me comparerez-vous dont je sois l’égal, dit le Saint (Is 40,25) ? » Réponse : à personne… Il est le seul à être ce qu’il est, Dieu unique…
Le nom commun « Esprit » et l’adjectif « Saint » peuvent donc être employés, ensemble ou séparément, pour évoquer ce que Dieu est en Lui-même, sa Plénitude d’Être et de Vie… Ainsi, le Père est Esprit, le Père est Saint, le Père est Esprit Saint. Le Fils est Esprit, le Fils est Saint, le Fils est Esprit Saint.
Mais lorsque nous évoquons la Troisième Personne de la Trinité, nous allons reprendre ces deux mêmes mots « Esprit » et « Saint » mais cette fois d’une manière différente et donc avec un sens différent : « Esprit Saint » ou « Saint Esprit » devient alors un nom propre pour évoquer « Quelqu’un » d’unique, cette Personne divine qui n’est ni le Père, ni le Fils, mais qui, tout comme le Père et le Fils, est la seule à être « qui » elle est… Le Père, le Fils et l’Esprit Saint sont alors trois Personnes divines qui existent de toute éternité, en face à face les unes avec les autres, bien distinctes l’une de l’autre, leur différence étant à la base de leurs relations éternelles… Et dans le Mystère de ces relations, le Fils, en face à face avec le Père, se reçoit du Père en tout ce qu’il Est, et cela de toute éternité, gratuitement, par amour… Et l’Esprit Saint, en face à face avec le Père et le Fils, se reçoit lui aussi du Père et du Fils en tout ce qu’il Est, et cela de toute éternité, gratuitement, par amour. Alors, si « Dieu est Esprit », et si « Dieu est Saint », l’Esprit Saint, Troisième Personne de la Trinité, est donc lui aussi « Esprit » et lui aussi « Saint » en tout son Être…
Il s’agit donc simplement, lorsque nous employons l’expression « Esprit Saint », de bien faire attention à ce que nous évoquons :
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Soit « l’Esprit Saint » nom propre, qui renvoie à une Personne divine, la seule à être « qui » elle est. A ce titre, en tant que Personne, elle ne peut qu’être en face à face avec le Père, et en face à face avec le Fils.
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« Esprit Saint », nom commun et adjectif, qui renvoient tous les deux à ce que Dieu Est en lui-même… Alors, ces deux mots peuvent s’appliquer à chacune des trois Personnes divines, soit séparément, soit tous les deux ensemble, et cela pour évoquer ce qu’elles sont toutes les trois en elles‑mêmes, ce par quoi elles vivent et s’expriment. Cette Plénitude spirituelle est ainsi tout à la fois « dans le Père », « dans le Fils » en tant que le Fils la reçoit du Père de toute éternité, et « dans l’Esprit Saint », en tant que l’Esprit Saint la reçoit du Père et du Fils de toute éternité. C’est dans ce cadre que Jésus peut évoquer le fait sa Plénitude d’Être et de Vie est aussi celle du Père, elle est aussi « dans le Père », alors même que le Père et le Fils sont toujours en face à face. Il dira alors en St Jean : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14,10-11), ce qui équivaut à dire : tout ce qu’Est le Fils, le Père l’Est lui aussi, alors même que le Père n’est pas le Fils et que le Fils n’est pas le Père…
Et maintenant, puisque « Dieu est Amour », la troisième Personne de la Trinité est elle aussi « Amour », et donc Don d’elle-même, puisque le propre de l’Amour en Dieu est de se donner en tout ce qu’il Est… L’Esprit Saint « Seigneur » est donc lui aussi Don de ce qu’il Est en lui-même, tout comme le Père et le Fils. Puisque « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), l’Esprit Saint « Seigneur » donne cet Esprit, gratuitement, par amour. Et comme nous pouvons dire aussi « Dieu est Esprit Saint », l’Esprit Saint « Seigneur » ne cessera de donner l’Esprit Saint, Plénitude d’Être et de Vie, car « l’Esprit est vie » (Rm 8,10 ; cf. Ga 5,25)… Tout cela, nous pouvons le formuler avec notre Crédo : « Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie », en donnant cet Esprit qui est vie. Toute l’œuvre de l’Esprit Saint, troisième Personne de la Trinité, « Amour », consiste donc à nous donner gratuitement, par amour, « l’Esprit Saint », Plénitude d’Être et de Vie, qui est appelée à s’unir à notre esprit pour nous donner d’avoir part nous aussi, à la Plénitude même de Dieu. Et puisque « le fruit de l’Esprit est Paix » (Ga 5,22), « Paix alors sur la terre à tous les hommes que Dieu aime » (Lc 2,14), « Paix aux hommes de bonne volonté » (« In terra pax in hominibus bonae voluntatis » (Traduction latine de St Jérôme) qui, par leur bonne volonté, accueillent le Don gratuit de l’Amour, sans en être, peut-être, conscients…
Nous avons vu précédemment que le Père fait tout par le Fils, par Celui à qui il se donne de toute éternité l’engendrant ainsi en Fils. Nous pouvons maintenant compléter et dire que le Père fait tout par le Fils et par l’Esprit Saint, qui « procède du Père (et du Fils) » de toute éternité. Le Fils et l’Esprit Saint sont ainsi comme « les deux mains du Père », selon l’image de St Irénée (Deuxième Evêque de Lyon, entre 177 et 202, date de sa mort). Le Père se donne ainsi à nous par ces deux Personnes divines à qui il se donne de toute éternité, car en se donnant à elles, il leur donne à leur tour de pouvoir se donner… Le Père nous donne ainsi la vie par son Fils, « le Pain de vie » (Jn 6,35) et par « l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie » (Crédo). En effet, nous dit Jésus, « c’est mon Père qui vous le donne, le pain qui vient du ciel, le vrai ; car le pain de Dieu, c’est le pain qui descend du ciel et donne la vie au monde… Je suis venu en effet pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 6,32-33 ; 10,10). Ainsi, « comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » (Jn 6,57). Nous recevons donc la vie de Dieu, la vie du Père, par le Fils. Et cette vie nous est transmise, nous dit encore Jésus, non pas par sa chair et son sang, mais par « l’Esprit qui vivifie », c’est-à-dire par le Don de l’Esprit Saint « Seigneur », Troisième Personne de la Trinité, qui en se donnant lui-même, en nous donnant ce qu’Il Est en lui-même, nous donne sa Plénitude d’Être et de Vie, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). C’est ce que Jésus affirme après avoir insisté de manière incroyable sur l’accueil par la foi et dans la foi de « sa chair donnée pour la vie du monde » (Jn 6,51), et de « son sang versé pour la multitude en rémission des péchés » (Mt 26,28) : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui » (Jn 6,53-56). Et après une telle insistance, devant la réaction de certains, « mais comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? », « elle est dure cette parole ! Qui peut l’entendre ? » (Jn 6,52.60), Jésus leur dit : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » (Jn 6,63)…
Nous le constatons donc avec cet exemple de l’Eucharistie : si le Père fait tout pour nous par le Fils et par l’Esprit Saint, c’est-à-dire s’il se donne à nous par le Fils et par l’Esprit Saint à qui il se donne de toute éternité, le Fils lui aussi fait tout pour nous par l’Esprit Saint, à qui il se donne lui aussi de toute éternité, lui donnant de pouvoir se donner. Le Fils se donne alors à nous par le Don que l’Esprit Saint « Seigneur » ne cesse de faire de Lui-même, gratuitement, par amour… « En vérité, en vérité je vous le dis », déclare Jésus, « celui qui croit » en sa Parole « a la vie éternelle » (Jn 6,47) par « l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie » (Crédo)…
« Heureux alors ceux qui croient sans avoir vu » (Jn 20,29), car cette Plénitude d’Être et de Vie est bonheur profond pour quiconque accepte de la recevoir dans la vérité de sa misère reconnue et offerte au « Père des Miséricordes » (2Co 1,3), à Jésus « Sauveur du monde » (Jn 4,42), à l’Esprit Saint « Consolateur » (Jn 14,16.26 ; 15,26 ; 16,7), au Dieu Unique, Amour, Don pur et gratuit de Lui-même pour le seul bien de tous…
IV – « L’œuvre de l’Esprit Saint, Troisième Personne de la Trinité »