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Le Père, le Fils et le Saint Esprit : Trois Personnes, un seul Dieu.

Nous sommes ici au coeur de notre foi. Nous commencerons par voir le Crédo d’Israël en un Dieu Unique (Dt 6,4-9), repris bien sûr par le Nouveau Testament. Mais dès le début de son Evangile, St Jean nous présente deux Personnes divines : le Père et le Fils. Et pourtant, nous ne sommes pas face à deux Dieux : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30). Comment pouvons-nous donc rendre compte de ce Mystère? Nous nous appuierons avant tout sur les textes bibliques, tout en commençant par bien préciser le vocabulaire que nous emploierons, avec les notions de « nature » et de « personne ». 

Pour des questions de présentation, et donc pour facilitervotre lecture, nous vous invitons à cliquer sur le document PDF ci-joint. Vous constaterez que chaque fois que nous avons cité ou l’hébreu de l’AT, ou le grec du NT, nous y avons toujours joint une traduction littérale. Rien ne devrait donc être « compliqué », et si tel était le cas, il faudrait y remédier car le Dieu infiniment riche est tout en même temps infiniment simple… Bonne lecture à vous, et surtout beaucoup de joie dans l’approfondissement de son Mystère, Lui dont l’Amour nous invite tous à la Plénitude du Bonheur et de la Paix, et cela pour l’éternité !

D. Jacques Fournier

Crédo Biblique (3)-2015 : Cliquer sur ce titre pour télécharger le document PDF, pour lecture et éventuelle impression…




La vision de l’homme d’après la Bible (Anthropologie biblique)

La Bible nous présente l’homme comme étant « un ». Ainsi, il serait plus juste de dire, non pas « l’homme a un corps », mais il est corps; non pas « l’homme a une âme », mais il est âme; non pas « l’homme a un esprit », mais il est esprit. Il est ainsi tout à la fois corps, âme et esprit. Ces trois termes renvoient ainsi à trois points de vue différents d’une seule et même réalité : l’homme. Notons que seul St Paul nous présente ces trois termes à la fois: « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ. Il est fidèle, celui qui vous appelle : c’est encore lui qui fera cela » (1Th 5,23-24).

Nous verrons que le coeur ultime de l’homme, ce qui fait que l’homme est homme, est sa réalité spirituelle. Il est la seule créature en Gn 2 pour laquelle la vie a été suscitée par le Souffle de Vie que Dieu lui a communiqué. Or cette image évoque souvent l’Esprit Saint: Dieu est Esprit (Jn 4,24), Dieu est Saint (Lv 19,2). Et il va susciter l’homme dans l’existence en lui donnant, à lui aussi, d’être « Esprit Saint », c’est-à-dire de participer à ce que Dieu Est en Lui-même… Et l’Esprit de Dieu est Vie !

Pour des raisons pratiques, nous vous invitons à cliquer sur le document PDF ci-joint, ce qui permettra d’afficher ces trois mots hébreux principaux que l’Ancien Testament utilise pour parler de l’homme.

La vision de l’homme d’après la Bible – Document PDF




Le Livre de l’Apocalypse : Introduction

jésus christ 1.

Dans la Bible, nous allons le voir, le Livre de l’Apocalypse n’a pas pour sujet la fin du monde, mais la Révélation du Mystère du Christ, vrai Dieu et vrai homme, mort et ressuscité pour le salut de tous les hommes… « Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 6,38), et « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4)…

Introduction générale au Livre de l’Apocalypse

 

             A l’exception de l’Evangile selon St Matthieu qui avait peut-être un original en araméen, tous les Livres du Nouveau Testament ont été rédigés en grec et le titre « Livre de l’Apocalypse » ne fait que reprendre le premier mot grec de cet ouvrage : « Apocalypse de Jésus Christ ». Or, « apokalupsis » en grec ne renvoie pas à des catastrophes ou à des bouleversements, mais il signifie : « Révélation »…

            Le « Livre de l’Apocalypse » est donc une « Révélation de Jésus Christ », de son Mystère, de son œuvre universelle de Salut par sa Mort et sa Résurrection. Le premier bénéficiaire de cette « Révélation » fut son auteur lui-même qui raconte au tout début « la vision » qu’il eut du Christ Ressuscité « le Jour du Seigneur », c’est-à-dire un Dimanche. Et toute la suite du Livre ne fera que raconter les conséquences de cette Présence du Ressuscité au cœur de son Eglise, et donc au cœur du monde… L’auteur en parlera immédiatement en termes de bonheur : « Heureux » celui ou celle qui accueillera dans son cœur et dans sa vie le Mystère de ce Fils Ressuscité qui désire nous rejoindre au plus profond de nous-mêmes pour nous communiquer sa Vie et vivre tout simplement notre vie « avec nous »…

             Et pourtant, le Livre de l’Apocalypse a été écrit dans un contexte de persécution des chrétiens, pour soutenir leur foi, leur espérance et les aider dans leur combat. Ils avaient déjà connu la souffrance avec l’empereur romain Néron (54-68 après J.C.). C’est lui en effet qui décida de la mort de St Pierre et de St Paul dans les années 64-67. Mais il s’agit très probablement ici de la persécution qui éclata sous l’empereur Domitien (90-95 après JC). C’est ainsi que « La Bête » désigne avant tout dans l’Apocalypse l’Empire Romain avec Rome, sa capitale, que l’auteur nomme « Babylone la Grande », en référence à l’Ancien Testament. Ses « sept Têtes » font allusion aux « sept collines » sur lesquelles la ville était construite. Et 666, « le chiffre de la Bête », renvoie, selon le langage codé de l’époque ou bien à des surnoms de l’empire romain, « Latin », « Titan », ou bien, (616 selon certains manuscrits) à l’empereur Caligula ou à tout empereur divinisé.

            Les circonstances difficiles dans lesquelles ce Livre a été écrit ont déterminé son style, avec l’emploi continuel d’images et de symboles… En effet, « en période de persécution, Jean se doit de faire appel à un langage codé, qui pourra ranimer l’espérance des chrétiens sans les exposer ouvertement à la tyrannie du pouvoir impérial romain. Jean fait donc usage d’un langage que seuls les chrétiens pourront décoder et comprendre pleinement »[1]. L’auteur utilise ainsi :

1 – des symboles universels, comme par exemple le chiffre 4, qui renvoie aux quatre points cardinaux et souligne justement la dimension d’universalité ; ou encore l’épée, symbole de violence qui n’hésite pas à répandre le sang…

2 – des symboles déjà utilisés dans l’Ancien Testament,  facilement compréhensibles par ceux-là seuls qui connaissent les Saintes Ecritures. On trouve ainsi « le Fils de l’Homme » du Livre de Daniel, « l’arbre de vie » du Livre de la Genèse, « la manne cachée » qui renvoie au Livre de l’Exode…

 3 – des symboles dévoilés par l’auteur lui-même que seule une lecture attentive et assidue permet de comprendre : ainsi « les étoiles » qui renvoient au mystère des différentes Eglises locales…

 4 – des symboles créés par l’auteur à interpréter à la lumière de l’ensemble du Livre, et il est parfois difficile de choisir entre plusieurs possibilités… Mais si elles sont toutes en cohérence avec l’ensemble, pourquoi choisir ?… Le sens n’en est alors que plus riche…

             Selon Justin (+150) et Irénée de Lyon (+180), l’auteur du Livre de l’Apocalypse, qui se nomme lui-même « Jean », serait St Jean l’Evangéliste. Mais beaucoup pensent à un disciple qui, selon la tradition de l’époque, aurait repris le nom de son Maître pour honorer sa mémoire… Les destinataires sont les chrétiens « des sept Eglises » mentionnées aux chapitres deux et trois. Mais le chiffre sept étant symbole de perfection, c’est toute l’Eglise d’Asie Mineure, et même l’Eglise Universelle, qui est concernée.

                                                                                                                                  D. Jacques Fournier

 Tenture Apocalypse Angers 14°s

Tenture de l’Apocalypse exposée à Angers (14° s)

Introduction proposée par la nouvelle Traduction Liturgique (CNPL)

 Heureux lecteur !

 L’Apocalypse est un livre à lire. Jean, qui se présente comme son auteur, y promet du bonheur : “ Heureux celui qui lit, heureux ceux qui écoutent les paroles de la prophétie et gardent ce qui est écrit en elle, car le temps est proche ” (1,3). Cest que ce livre-prophétie porte le beau nom grec d’apokalupsis (Ἀποκάλυψις) qui ne signifie nullement malheur ou catastrophe, mais révélation, dévoilement. Et il s’agit, selon les premiers mots du livre, de la “ révélation de Jésus Christ ” (1,1). Cette révélation est confiée à la lettre du texte, que Jean présente comme l’aboutissement d’une chaîne de transmission qui part de Dieu et aboutit au livre. Entre deux, les relais-témoins nécessaires ont été Jésus Christ lui-même, mais aussi l’ange et finalement Jean, qui atteste “ comme parole de Dieu et témoignage de Jésus Christ tout ce qu’il a vu ” (1,2).

 Apostolicité, inspiration, canonicité. La question de l’auteur

 L’auteur de l’Apocalypse dit s’appeler Jean (1,1.4.9 ; 22,8). Cherchant à l’identifier historiquement, la tradition des deux premiers siècles y voit l’Apôtre Jean des Évangiles, l’un des Douze, à qui est attribué aussi le Quatrième Évangile (hypothèse à laquelle a succédé celle, privilégiée aujourd’hui, du “ disciple bien-aimé ”, maître d’une école johannique). C’est l’interprétation de Justin déjà (Dialogue avec Tryphon, 81,4), puis d’Irénée (Contre les hérésies, IV.20.11) qui n’hésite pas à prêter longue vie à l’Apôtre puisqu’il situe cette révélation sous le règne de Domitien, vers 94-95 ap. J.-C. (hypothèse encore majoritairement suivie aujourd’hui, aux dépens de celle des années 68-70, sous Néron). Durant cette période, en Occident et à Alexandrie, du fait de son apostolicité reconnue, l’Apocalypse est reçue comme livre inspiré, donc canonique. On ne sait trop pourquoi certaines Églises d’Orient par contre ne l’inscrivent que tardivement au canon de leurs Écritures (VIe siècle en Syrie, plus tard encore en Grèce).

C’est pourtant à Rome que le prêtre Caïus, au IIIe siècle déjà, considérant l’Apocalypse comme un écrit gnostique, la fait proscrire comme hérétique et apocryphe. Peu après, Denys, évêque d’Alexandrie de 248 à 264, sans pourtant la rejeter hors du canon, refuse d’y voir la main de l’Apôtre, la différence de style et de thèmes avec le Quatrième Évangile lui paraissant trop marquée. Prolongeant cette quête d’auteur, Eusèbe de Césarée propose d’identifier Jean de Patmos avec le “ presbytre Jean, disciple du Seigneur ” dont il trouve mention dans un écrit de Papias. La question est donc posée: l’auteur est-il Jean l’Apôtre, ou un autre Jean ? L’enquête historienne ne permet pas d’en décider.

S’intéressant, comme Denys déjà, à la question littéraire, l’exégèse critique du XIXe siècle échafaude quant à elle deux hypothèses, perdurant jusqu’à aujourd’hui, qui sont diamétralement opposées. Se basant sur des critères de langue et de style, la première juge impossible qu’une même main s’exprime de manière incorrecte dans l’Apocalypse (au grec truffé d’erreurs) et raffinée dans l’Évangile. Elle renverse donc l’ordonnance chronologique la plus communément postulée, et fait de l’Apocalypse une œuvre antérieure du seul Apôtre Jean (peu cultivé et relégué sur son île de Patmos), et de l’Évangile un écrit plus tardif rédigé à Éphèse par des disciples lettrés. Quant à la seconde, se fondant principalement sur des repérages thématiques, elle juge que la présence dans l’Apocalypse de figures johanniques caractéristiques (l’Agneau, l’eau de la vie, etc.) permet de postuler une identité d’auteur. Nouvelle énigme, donc.

Mais qu’en dit le texte de Jean lui-même ? À y regarder de près, l’on découvre que l’auteur, qui parle des Apôtres (18,20) et du groupe des “ douze Apôtres de l’Agneau ” (21,14), ne se présente jamais lui-même comme tel. Il ne s’attribue pas plus le titre d’Ancien, alors qu’il fait des vingt-quatre Anciens une figure majeure de son livre (4,4.10 ; 5,8 ; 11,16 ; 19,4 ; sans le chiffre : 5,5.6.11.14 ; 7,11.13 ; 14,3). De plus, en déclinant son nom à plusieurs reprises (“ moi, Jean ”), il ne se cache derrière aucun pseudonyme, à la différence notamment de nombreuses apocalypses juives contemporaines, ou de Daniel dans le Premier Testament. D’où tire-t-il dès lors son autorité ? Il l’indique lui-même dans le récit de sa vision inaugurale (1,9-20). Le Vivant, mort mais désormais vivant pour les siècles des siècles, lui apparaît sur l’île de Patmos et lui dit : “ Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises ” (1,11, ordre réitéré en 1,19). Cette parole donne à Jean mission d’écrivain. Sans identité historique précise, il n’en est ainsi pas moins investi d’une solide identité et autorité littéraire. Les nombreux “ j’entendis ” et “ je vis ” qui ponctuent sa prophétie le rappellent au lecteur : c’est de la parole d’un autre et d’une vision qui lui advient qu’il est le témoin, autorisé.

Structure du livre

Qu’en est-il de la structure du livre ? Les multiples détours, ruptures et répétitions du texte ont fait émettre l’hypothèse, invérifiable, de plusieurs manuscrits ou rédactions successives. Ce qui est sûr, par contre, c’est que le livre, en son état final, ne se laisse enfermer dans aucune logique d’évidence. De multiples propositions de plan ont été suggérées, dont certaines, se fondant sur des critères chronologiques, veulent rapporter au présent des Églises les chapitres 1 à 3, puis à l’avenir du monde les chapitre 4 à 21. Cette proposition ne prend pas en compte le fait que l’Apocalypse brouille du début à la fin tout repère temporel par des allers-retours incessants entre présent, passé et futur. D’autres lectures optent dès lors pour l’observation de critères formels d’ordre littéraire, parmi lesquels sont patents, sur fond d’enchaînement continu des visions, la récurrence de l’expression “ je fus saisi (ou transporté) en esprit ” (1,10, puis 4,2 et 17,3) ainsi que quatre séries de sept éléments nommés “ septénaires ”. Prenant notamment en compte ces indices, la Table proposée ci-après permet au lecteur qui se risque à une lecture suivie du livre de ne pas s’égarer en chemin. Quelques remarques suffiront à en expliciter les principaux axes signifiants.

                   I – Le lecteur est tout d’abord invité à passer par le porche monumental que constitue la Vision inaugurale et les Lettres aux sept Églises d’Asie (1,9 à 3,22).

Christ - Angers

 

Vision inaugurale du Christ ressuscité, au milieu des sept candélabres, les sept Eglises… 

« De sa bouche sort une épée acérée à double tranchant », la Parole de Dieu (Angers)

 – Dans l’île de Patmos, Jean est gratifié de la vision d’un “ être qui semblait un fils d’homme ” (1,13) mais dont l’aspect et les attributs revêtent un caractère glorieux et transcendant (1,9-20).

 – Se manifestant à lui comme le Vivant, ce personnage majestueux lui intime l’ordre d’écrire aux sept Églises d’Asie, pour lesquelles il lui dicte le contenu de sept lettres (ch. 2–3). Chacun de ces messages, destiné à la lecture de toutes les Églises, est nommément adressé à chacune d’elles, et déployé dans une structure récurrente d’une Lettre à l’autre. Ce premier septénaire, de facture moins apocalyptique que la suite, présente ainsi les sept Églises d’Asie comme les destinataires internes du livre. Il permet aussi au lecteur de s’apprivoiser à l’univers apocalyptique étonnant qui s’offre à lui. 

7 Eglises-Angers

Les sept Eglises (Angers)

                   II – Une première série de visions s’ouvre alors, qui se déploie de 4,1 à 11,19.

 – Elle s’inaugure par l’immense liturgie des ch. 4–5. Celle-ci met en place les acteurs qui organiseront bientôt la dynamique du septénaire des sceaux : Trône divin, Siégeant, Vivants, Anciens du ch. 4, Livre scellé et Agneau du ch. 5. Tous ces acteurs sont d’abord positionnés de manière statique, puis progressivement articulés les uns aux autres quand la scène s’anime en liturgie d’adoration et de louange. Vient alors la séquence du deuxième septénaire, celui des sept sceaux (6,1–8,5). Le rythme d’ouverture des sceaux du Livre y est d’abord rapide (succession des quatre premiers éléments), puis ralenti. Les cinquième, sixième et septième sceaux sont détachés les uns des autres, et surtout un long intermède vient s’intercaler entre le sixième et le septième, avec les épisodes des 144.000 protégés et de la foule immense au ciel (ch. 7). C’est dire que le texte éprouve la patience du lecteur : réjoui d’abord, celui-ci est ensuite déçu par le parcours des visions, qui s’achève, avec l’ouverture du septième sceau, non sur la révélation de la Fin, mais sur “ un silence d’environ une demi-heure ” qui précède une petite liturgie céleste (8,1-5). Le lecteur reste étonné : qu’est-ce qui se révèle là, en fait de signe à lire et de parole à entendre ?

 – Heureusement pour lui, le troisième septénaire, celui des trompettes (8,6 à 11,19) qui s’ouvre alors, ne succède pas chronologiquement à celui des sceaux, comme si l’Apocalypse consistait en une suite continue d’événements allant jusqu’à la parousie prochaine. Mettant en œuvre le principe dit de la “ récapitulation ”, ce nouveau septénaire reprend et reparcourt ce qui a été raconté ou annoncé plus ou moins explicitement dans le précédent. On y retrouve la même dynamique. Après la sonnerie des quatre premières trompettes, la cinquième ouvre un épisode plus long, et entre la sixième et la septième s’insère un nouvel intermède : l’évocation de la manducation d’un petit livre par Jean, ainsi instauré prophète d’un temps nouveau (ch. 10) et celle de la destinée de deux témoins prophètes (ch. 11).

                   III – Une deuxième série de visions s’étend de 12,1 à 22,5. Au cœur de cette longue plage textuelle se donne à lire le quatrième et dernier septénaire, celui des coupes (ch. 16).

 – Cette série s’ouvre à nouveau par une grande vision céleste, celle de la Femme couronnée d’étoiles et du Dragon, avec le combat qui les oppose (ch. 12). Elle est suivie de la vision, sur terre, d’un autre combat : celui que mènent deux Bêtes, celle de la mer, puis celle de la terre (nommée “ faux prophète ” en 16,13 ; 19,20 et 20,10), qui, se mettant au service du Dragon, égarent les habitants de la terre, les fourvoient dans l’idolâtrie et mettent à mort ceux qui leur résistent (ch. 13). Le ciel ne reste pourtant pas inactif, puisqu’on y célèbre, comme en contrepoint à ce désastre et pour en révéler l’issue lumineuse, la victoire de l’Agneau et de ses 144.000 compagnons (14,1-5).

 – Vient alors une séquence organisée autour du septénaire des coupes (14,6 à 16,21) : on y annonce et prépare le Jugement (14,6-20), y résonne déjà le Cantique des vainqueurs (15,1-4) et se déploie la série de déversements des sept coupes de la colère de Dieu, selon un rythme déjà connu (six premiers éléments, puis intermède, puis septième élément).

 Le Jugement et la chute de Babylone la Grande, la prostituée, “ mère des prostitutions et des abominations de la terre ” (17,5) sont ensuite montrés au visionnaire et présentés au lecteur dans une série de tableaux impressionnants (ch. 17–18). Au terme, et en contraste avec les lamentations de ceux qui, peu avant, pleurent sur Babylone dévastée, un grand “ alléluia ” s’élève dans le ciel (19,1-10) : il associe foule nombreuse, Anciens et Vivants dans la même acclamation du Dieu qui a jugé la grande prostituée.

Chute de Babylone - Angers

Chute de Babylone (Angers)

 – C’est l’heure désormais où les ennemis de Dieu et de son règne sont l’un après l’autre neutralisés. Se succèdent : la victoire du Cavalier sur la Bête, le faux prophète et les rois (19,11-21) ; l’enchaînement du Dragon et le règne de mille ans avec le Christ (le millénaire de 20,1-6) ; le combat final et la victoire sur Satan (20,7-10) ; le jugement des morts et la neutralisation de la Mort et du Séjour des morts (20,11-15).

 – Le lecteur est ainsi acheminé vers la vision de l’avènement du monde nouveau (21,1–22,5) : ciel nouveau et terre nouvelle ; Jérusalem nouvelle, qui descend du ciel pour devenir la demeure de Dieu parmi les hommes. 

                   IV – Reste l’écrin de l’Apocalypse, son prélude et son final.

 – Au début, nous l’avons indiqué déjà, un prélude (1,1-8) offre au livre de se présenter lui-même à son lecteur comme porteur de “ la révélation de Jésus Christ ” au travers de paroles prophétiques écrites pour son bonheur (1,1-3). Une adresse (1,4-8) précise ensuite qui parle à qui. La voix du texte y délègue d’abord la parole à Jean, qui souhaite grâce et paix aux Églises “ de la part de Celui qui est, qui était et qui vient, de la part des sept esprits qui sont devant son trône, de la part de Jésus Christ… ”, dont l’œuvre libératrice est ensuite solennellement déployée (1,4-5). Y répond comme la voix d’une assemblée qui donne, par son “ amen ”, plein accord aux paroles proférées (1,6). Résonne alors une autre voix, anonyme, annonçant : “ Voici qu’il vient avec les nuées… ” (1,7), puis une voix présentée comme parole du “ Seigneur Dieu ” : “ Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’univers ” (1,8). Le “ nous ” que Jean introduit à trois reprises en ces versets invite le lecteur à s’associer lui aussi à ce dialogue. Le Christ y est acclamé, en son amour sauveur : “ À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen ” (1,5-6).

 – Tout à la fin du livre et comme en écho à ce prélude se retrouvent, dans le final (22,6‑21), des expressions et surtout le ton du début, comme si tout le livre se présentait comme une longue lettre. C’est là que le souffle qui l’anime d’un bout à l’autre trouve à s’exprimer avec le plus de force, dans l’intensité d’un nouveau dialogue liturgique où le désir de la venue de Jésus se dit sur ses lèvres (“ Oui, je viens sans tarder ”) et dans la demande de son partenaire (“ Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! ”, 22,20). Le désir parlé, échangé, entre l’Église-Épouse et son Époux, aux derniers versets de la Bible chrétienne, dit clairement que ces réalités sont à disposition des lecteurs, maintenant.

 La structure de l’Apocalypse porte ainsi en elle un dynamisme d’épiphanie vocale qui trouve sa pleine force d’expression dans l’échange des voix du final. L’irréductible et l’indomptable de la parole qui porte la prophétie y manifeste toute sa vigueur. L’alternance entre récits en prose et poèmes liturgiques (cf. les cantiques des chapitres 4–5, 11–12, 15 et 19, repris et chantés dans la Liturgie des Heures) convie comme tout naturellement le lecteur à joindre sa voix à celles qui y célèbrent le triomphe de la vie sur les puissances du mal et de la mort.

Agneauimmole

« Gloire à l’Agneau Immolé ! »

Apocalypse et littérature de crise

 Peut-on dès lors trouver issue à l’une des énigmes auxquelles est affrontée l’exégèse du livre : s’agit-il d’une littérature évoquant une situation réelle de persécution plus ou moins active de certaines communautés chrétiennes dans l’empire romain idolâtre de la fin du Ier siècle (hypothèse longtemps privilégiée) ? Ou d’une fiction dans laquelle l’écriture apocalyptique a pour fonction de faire naître la crise au sein même de ces communautés, de les provoquer à un regard critique en dénonçant leur trop facile compromission avec le milieu ambiant (hypothèse nouvellement soutenue) ? Sans doute, ces deux interprétations ne se contredisent-elles pas, dans la mesure où l’orientation du livre convie bel et bien son lecteur à discerner, pour s’en distancer, toute forme d’asservissement à des pensées ou comportements idolâtres, qu’ils soient individuels ou collectifs. À plusieurs reprises, le lecteur est invité à faire preuve de sagesse et d’intelligence (cf. 13,18 ; 17,9) pour interpréter sa vie et le fonctionnement des institutions sociales, politiques et religieuses à la lumière du vrai, et non de l’illusion ou du mensonge. Les chapitres 12 et 13 sont à ce titre exemplaires, qui mettent en scène le processus idolâtrique, au sein duquel blasphème divin et meurtre des frères s’enchaînent et s’appellent comme deux formes de la même perversion.

Pluralité des lectures

             L’Apocalypse est un livre aux richesses aussi étonnantes que foisonnantes. Aucune des méthodes de lecture mises en œuvre au cours des siècles pour le lire n’en épuise la signification. Et toutes y trouvent de quoi s’y exercer : lecture historico-critique (questions d’auteur, de rédaction, de milieu de production, de cadre socio-historique des communautés d’Asie Mineure du Ier siècle, de données archéologiques, etc.), lecture féministe (l’Apocalypse figure la Femme enfantant un fils, puis l’Épouse de l’Agneau, mais aussi, en contraste, la grande prostituée, et Jézabel, la femme qui se dit prophétesse, etc.), lecture écologiste (figuration du cosmos, des astres, de la terre et du ciel, des arbres, de l’eau, des fleuves…), libérationniste (sociologique et politique, qui exploite la critique apocalyptique du pouvoir mondial de l’argent et du commerce), spirituelle (son langage amoureux fait écho à celui du Cantique des Cantiques), etc. Recevant l’Apocalypse dans toute sa force d’œuvre littéraire et s’appliquant à la lire en son statut synchronique final, l’exégèse des dernières décennies s’est quant à elle enrichie des outils fournis par les sciences du langage (narratologie et sémiotique notamment) et les sciences humaines (psychologie et psychanalyse entre autres).

             En résulte, pour la lecture de l’Apocalypse, une capacité nouvelle de prêter attention à la parole qui cherche à se faire entendre entre Jean et ses destinataires du Ier siècle (les sept Églises d’Asie mineure) et qui continue à se dire, en tout lieu et toute époque, entre le texte et ses lecteurs. Car l’actualité du livre prend source aux questionnements humains fondamentaux qu’il met en travail : vie et mort, au-delà et jugement, salut et rétribution, bien et mal, injustices sociales et pouvoirs totalitaires… L’Apocalypse, qui clôture la Bible chrétienne, n’achève donc en rien sa lecture mais la stimule. Elle convie, plus qu’aucun autre livre, à l’incessant labeur d’interprétation qui incombe à chaque génération et à tout lecteur. Si celle-ci a pu donner lieu à des dérives sectaires, teintées de fanatisme et d’illuminisme, (et cela se trouve parfois aujourd’hui encore), elle contribue surtout à nourrir la foi des communautés chrétiennes en la conduisant au lieu de la plus grande contemplation et de la plus vive action : celle de l’Alliance entre Dieu et les hommes, en sa forme nuptiale, dans les noces de l’Agneau et de l’Église (21,2).

 En clôture du Livre chrétien : place à la parole, dans la chair

 L’Apocalypse renouvelle le langage de la foi chrétienne. Elle permet une exploration du mystère qui sous-tend tout le Nouveau Testament, celui de Jésus Christ crucifié, relevé d’entre les morts et devenu participant de la royauté souveraine de Dieu. Tout au long du livre se donne à entendre le lien qui unit les fidèles (saints, élus, martyrs aussi) à Jésus, Christ, Agneau immolé debout (5,6), Cavalier triomphant nommé “ Parole de Dieu ” (19,13), le Vivant (1,18) loué comme “ Roi des rois et Seigneur des seigneurs ” (17,14 ; 19,16). Éminemment christologique, l’Apocalypse mérite bien, ne serait-ce qu’à ce titre, la qualification de “ Cinquième Évangile ” qui lui est parfois attribuée.

Elle déploie de plus une théologie des Églises et de l’Église (chandeliers et étoiles du ch. 1 ; messages des ch. 2-3 ; Femme mère d’un enfant mâle et d’une nombreuse descendance du ch. 12 ; Femme Épouse de l’Agneau de 21,9…) et une admirable évocation, tout au long du livre, du témoignage de ceux qui partagent avec Jean “ la détresse, la royauté et la patience en Jésus ” (1,9). Elle ouvre l’espace et le temps terrestres aux horizons du ciel et de l’éternité, avec l’espérance que fonde, pour les morts, la résurrection du Christ. La “ première résurrection ” (ch. 20) rend participant chaque être créé de l’actuelle puissance de la résurrection.

On peut regretter, sans doute, qu’un tel ferment d’espérance ne s’élève que trop peu au cœur des liturgies de l’Église (catholique). En dehors du temps pascal (chaque deux ans, en semaine), où en sont proposés de larges extraits, le cycle liturgique ne prévoit de lire l’Apocalypse qu’en la solennité du Christ Roi (1,9-20), de l’Assomption de Marie (ch. 12) et en la fête de tous les Saints (ch. 7).

 Reste que cette parole de Dieu attestée en Jésus Christ retentit jusqu’en la pierre des tympans des cathédrales, dans la lumière de leurs vitraux, dans les lettres vivaces et les couleurs de chaudes enluminures, et qu’elle se donne aujourd’hui encore à lire, écouter, garder en ce livre toujours disponible à la lecture. Là commence, pour chacun, la vraie “ apocalypse ” : quand se joue, dans la chair, l’écoute de la parole et sa pratique. Jean n’a-t-il pas lui-même mangé le petit livre que lui tendait l’ange descendu du ciel (ch. 10), éprouvant en lui douceur et amertume, et figurant par cette manducation le trajet de la parole jusqu’au plus intime du corps de l’homme ? L’Apocalypse, écriture de la Fin et fin de l’Écriture, clôt la Bible chrétienne. Réécrivant l’histoire, elle réinterprète tout. Le Livre complet, achevé, définitif, laisse place au Christ Vivant et au travail de la parole en la chair des humains. Lisant le Livre, sachant qu’il n’y a rien à y ajouter ou retrancher désormais (22,18-19), le lecteur peut librement en sortir pour vivre en régime d’incarnation. Ce travail d’humanisation prolonge l’œuvre du Verbe dans la chair des hommes, pour la joie d’une vie sauve. Le lecteur est ainsi convié à laisser place en lui, ici et maintenant, à une “ apocalypse ” désirée : “ Viens, Seigneur Jésus ”, toi qui te tiens à la porte (2,20) !

                                                                                                                     D. Jacques Fournier

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[1] « L’APOCALYPSE », Jean-Pierre PRÉVOST (Bayard Editions/Centurion » ; Collection Commentaires ; Paris 1995) p. 17.




Chemin de Croix avec Marie

« Nous vous adorons, ô Christ dans toutes les églises du monde entier, et nous vous bénissons parce que vous avez racheté le monde par votre sainte croix! ». (Saint François d’Assise, Legenda Major 4: 3)

Chemin de Croix avec Marie

Texte fr. Manuel Rivero O.P.

Introduction

Marie, célébrée par la liturgie comme Notre Dame des douleurs, a accompagné son fils Jésus sur le chemin du Calvaire. Dans la chapelle du Rosaire de Vence (Alpes-Maritimes), l’artiste Matisse présente dans son Chemin de croix Marie qui marche devant son fils. Marie n’a pas ressenti uniquement la souffrance de son enfant comme toute mère peut l’éprouver dans ses entrailles maternelles. À la suite de Jésus, Marie priait méditant dans son cœur les paroles et les événements de la vie de son fils. Fille d’Israël, pleinement juive, Marie faisait aussi mémoire des paroles des prophètes qui avaient annoncé la venue du Messie Serviteur souffrant (Isaïe 52, 13 ; 53, 12). Dans les rues de Jérusalem, le vendredi saint, Marie communie à la Passion de Jésus tout en demeurant ancrée dans le mystère du Père que son propre fils lui a fait comprendre à travers ses prédications et la prière du Notre Père. La spiritualité mariale ne consiste pas à dire « Marie, Marie » mais à croire en Jésus. Marie ne nous demande pas de la regarder mais elle oriente notre cœur vers son fils : « Faites tout ce qu’il dira » (Jean 2, 5). La mort de Jésus élevé sur la croix conduit l’humanité au zénith de son histoire par son amour plus puissant que les puissances de mort. Avec Marie, guide et modèle des chrétiens, mettons nos pas dans les pas de Jésus qui avance librement vers la mort pour nous réconcilier avec son Père et notre Père, son Dieu et notre Dieu.

Première station : Jésus est condamné à mort

chemindecroix1De l’évangile selon saint Jean : « Pilate prend Jésus et le fait flagellé. Les soldats, tressant une couronne avec des épines, la lui posent sur la tête, et ils le revêtent d’un manteau de pourpre ; et ils s’avancent vers lui et disent : « Salut, roi des Juifs !  » Et lui donnent des coups. De nouveau, Pilate sort dehors et leur dit : « Voyez, je vous l’amène dehors, pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » Jésus sort donc dehors, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre ; et Pilate leur dit : « Voici l’homme ! » Lorsqu’ils le voient, les grands prêtres et les gardes vocifèrent, disant : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Prenez-le, vous, et crucifiez-le ; car moi, je ne trouve pas en lui de motif de condamnation. » Les Juifs lui répliquent : « Nous avons une loi et d’après cette loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu » » (Jean 19, 1-7). D’après les autorités juives Jésus est condamné à mort pour blasphème. De son côté, Pilate craint la réaction de la foule manipulée par les grands prêtres et la mauvaise image de marque auprès de César qui découlerait d’une éventuelle agitation politique à Jérusalem. Sa carrière pourrait être compromise. Il s’agit d’un procès truqué où les responsables juifs et romains se renvoient mutuellement la balle. Pilate publiquement se lave les mains : « Je ne suis pas responsable de ce sang ; à vous de voir » (Matthieu 27, 24). « Voici l’homme ! », voici l’homme parfait sans idée du mal, conduit à la mort comme un agneau à l’abattoir. Seigneur Jésus, par les souffrances de ta Passion, nous te prions de nous délivrer de l’aveuglement, de l’orgueil et de la jalousie. Accorde-nous le discernement, la droiture et la force nécessaire pour vaincre le mal par le bien même dans la persécution.

Deuxième station : Jésus est chargé de sa croix

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Du prophète Isaïe : « Objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu’un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n’en faisions aucun cas. Or ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié. Mais il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison » (Isaïe 53, 3-5).Il y a le poids de la croix en bois, il y a le poids du péché de chaque homme. Jésus souffre dans son corps et dans son âme. Souffrance infinie à la mesure de son amour infini pour l’humanité. Seigneur Jésus, fils de David, aie pitié de nous, pécheurs.

Troisième station : Jésus tombe pour la première fois

 

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De l’évangile selon saint Jean : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd » (Jean 12, 24-25). Jésus qui a dit « sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jean 15, 5) tombe maintenant par terre sans forces. Lui, de condition divine, s’est dépouillé de la gloire qui était la sienne dès avant la fondation du monde. Devenu semblable aux hommes, il s’est abaissé jusqu’à porter une croix. Donnez-moi quelqu’un qui aime et il comprendra ce que Jésus fait ! Seigneur Jésus, apprends-nous à aimer comme toi. Délivre-nous de la volonté de puissance et de domination ! Fais-nous passer de l’amour qui prend à l’amour qui donne.

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Quatrième station : Jésus rencontre sa mère

chemindecroix4De l’évangile selon saint Luc : à Jérusalem, lors de la présentation de Jésus au temple, Syméon avait dit à Marie : « Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, – et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! – afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs » (Luc 2, 34-35). Sur le chemin du Calvaire, les hurlements de la foule et la souffrance de Jésus transpercent le cœur de Marie, sa mère. Il ne s’agit pas de se lamenter devant l’injustice. Il faut choisir et agir. Les uns injurient Jésus, Judas l’a trahi, Pierre l’a renié, d’autres l’ont oublié. Il y a débat en Israël : qui est cet homme, Jésus ? Les réponses apportées sont contradictoires. Dans les ténèbres du vendredi saint, la foi de Marie comme une petite flamme résiste aux vents contraires. Le cœur aimant et lumineux de Marie attire notre regard. Jésus pose son regard sur sa mère fidèle. En elle il peut contempler l’humanité telle que Dieu son Père l’a voulue. Aujourd’hui encore nous contemplons en Marie comme dans un miroir très pur l’humanité réussie, épanouie, en état de grâce, comblée de l’amour de Dieu à la mesure de sa foi. Seigneur Jésus, nous te prions pour les condamnés sans foi ni espoir ; nous te prions aussi pour leurs mères, remuées dans leurs entrailles, lors de leur emprisonnement ou de leur mort. Nous te confions ceux qui sont seuls dans la détresse. Fais de nous des artisans d’amitié. Accorde à chacun le regard aimant des proches dont il a besoin pour continuer à vivre et à espérer.

 

Cinquième station : Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix

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De l’évangile selon saint Luc : « Les soldats mettent la main sur un certain Simon de Cyrène qui revient des champs, et le chargent de la croix pour la porter derrière Jésus » (Luc 23, 26). Simon de Cyrène n’a pas demandé à porter la croix. Il rentrait fatigué d’une journée de travail aux champs. Il méritait le repos à la maison. Nous pouvons imaginer les murmures de Simon qui se voit imposer une corvée : aider un condamné sur le chemin de la mort. Mais nous pouvons aussi imaginer Simon en train de découvrir le mystère de Jésus aidé par la proximité physique et le partage du poids de la croix. Il a pu alors changer d’avis transformé par l’amour si proche du Fils de Dieu fait homme et considérer ce vendredi saint comme le jour le plus important de son existence. Seigneur Jésus, apprends-nous à être généreux, à servir Dieu et les autres, à donner sans compter, à travailler sans chercher le repos, à nous dépenser pour les autres, sans attendre d’autre récompense que d’accomplir ta Volonté. (Saint Ignace de Loyola)

 

Sixième station : Véronique essuie la face de Jésus

chemindecroix6De l’épître aux Colossiens : « Jésus Christ est l’image du Dieu invisible, premier-né de toute créature » (Colossiens 1, 15). Nul n’a jamais vu Dieu. Jésus est l’image du Dieu invisible. Qui voit Jésus voit le Père. Celui qui entend la parole de Jésus entrevoit le mystère caché du Père. La Parole de Jésus fait voir Dieu. D’après une pieuse tradition, une femme nommée Véronique aurait essuyé le visage ensanglanté de Jésus dont les traits seraient restés gravés sur le linge en signe de la reconnaissance divine envers ce geste de compassion. L’étymologie de Véronique, « véritable image », fait bien penser au sens de cet événement : le visage de Jésus – Dieu fait homme – nous révèle le visage invisible du Père. Pour les chrétiens Dieu est Esprit et nulle image ne saurait le représenter correctement. En revanche, à la lumière du mystère de l’Incarnation, les artistes ont peint le visage humain, image de Dieu, qui rappelle le visage de Jésus. La connaissance de Dieu passe par des médiations terrestres dont la plus belle est celle du visage de l’homme, sommet et but de toute la création. Véronique nous rappelle que le moindre geste d’amour accompli envers quelqu’un concerne Jésus lui-même qui s’identifie à tout homme sans distinction de race ni de religion : « Ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les hommes c’est à moi que vous l’avez fait », dit Jésus (Matthieu 25,45). Pardon, Seigneur Jésus, de n’avoir pas voulu te reconnaître en chaque homme.

 

Septième station : Jésus tombe pour la deuxième fois

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Du psaume 90 : « Le malheur ne pourra te toucher, ni le danger approcher de ta demeure : Dieu donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Les anges te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres ; tu marcheras sur la vipère et le scorpion, tu écraseras le lion et le dragon. » À la synagogue Jésus a chanté ce psaume. Et pourtant Jésus tombe pour la deuxième fois. Où est Dieu ? Que fait-il ? Pourquoi le saint subit-il des outrages alors que le méchant prospère ? Dans sa chair d’homme, semblable à la nôtre, Jésus fait l’expérience de la faiblesse et du découragement. Il continue de faire confiance à son Père. Parole donnée à son Père jamais reprise : « Voici, je suis venu pour faire ta volonté » (Hébreux 10, 9). Seigneur Jésus, délivre-nous du découragement qui est la tentation préférée du diable.

 

Huitième station : Jésus parle aux femmes qui le suivent

chemindecroix8De l’évangile selon saint Luc : « Le peuple, en grande foule, suit Jésus, ainsi que des femmes qui se frappent la poitrine et se lamentent sur lui. Se retournant vers elles, Jésus dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! » » (Luc 23, 26-28). Jésus ne cherche pas à nous apitoyer sur son sort mais à éveiller notre conscience. Ce n’est pas celui qui pleure ou qui s’exclame « Seigneur, Seigneur » qui entrera dans le Royaume des cieux mais celui qui se reconnaît pécheur et qui change de mentalité et de conduite. Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où il y a la haine que je mette l’amour. Là où il y a l’offense que je mette le pardon. Là où il y a la discorde que je mette l’union. Là où il y a l’erreur que je mette la vérité. Là où il y a le désespoir que je mette l’espérance. Là où il y a les ténèbres que je mette la lumière. Là où il y a la tristesse que je mette la joie. Fais que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer. (Saint François d’Assise)

 

Neuvième station : Jésus tombe pour la troisième fois

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Du psaume 34 : « Des gens se rient de ma chute, ils s’attroupent contre moi, ils m’éprouvent, moquerie sur moquerie, grinçant des dents contre moi. »

Par trois fois Jésus tombe, par trois fois il pardonne dans son cœur. C’est par ignorance qu’ils torturent Jésus. Ils ne l’auraient jamais fait s’ils avaient reconnu en lui le Saint d’Israël, le Seigneur de gloire (Actes des Apôtres 3, 17).

Seigneur Jésus, accorde-nous la grâce de ne faire à personne ce que nous redoutons pour nous.

 

Dixième station : Jésus est dépouillé de ses vêtements

chemindecroix10De l’évangile selon saint Jean : « Les soldats prennent les vêtements de Jésus dont ils font quatre parts, une pour chaque soldat, et la tunique. Cette tunique était sans couture, tissée d’une pièce de haut en bas, ils se disent entre eux : « Ne la déchirons pas, mais tirons au sort qui l’aura » » (Jean 19, 23-24). Jésus n’a pas révélé le mystère de son Père en déployant la puissance des armées ou la séduction de l’argent. Il a fait resplendir l’amour de Dieu par la folie de la croix. Jésus parle avec autorité car il fait ce qu’il dit. Doux et humble de cœur, il prêche par la parole et par l’exemple. En lui point d’égocentrisme ou de narcissisme. Né à Bethléem dans la pauvreté, Jésus va mourir sur le Calvaire dépouillé de sa réputation, de ses vêtements, de sa gloire divine tenue cachée sous le voile de sa chair. En danger de mort, il ne retire pas ses billes : « Aimer c’est tout donner et se donner soi-même » (sainte Thérèse de l’Enfant Jésus). Les paroles de l’Eucharistie s’accomplissent au cours de la Passion : « Voici mon corps livré pour vous ; voici mon sang versé pour vous ». Jésus donne sa vie pour le salut du monde dans un acte d’amour absolu et parfait : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15, 13). Sa tunique sans couture symbolise la vocation de l’Église appelée à vivre l’unité par la charité : « Que tous soient un, Père, comme tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jean 17, 21). L’apôtre Paul exhorte les chrétiens à offrir leur existence en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu, à la suite du Christ qui offre sa vie et sa mort au Père. Seigneur Jésus, accorde-nous la grâce de t’offrir toute notre vie par amour sans partage.

Onzième station : Jésus est crucifié

chemindecroix11De l’évangile selon saint Matthieu : « Au Golgotha, les soldats donnent à boire à Jésus du vin mêlé de fiel. L’ayant goûté, il ne voulut pas boire […] Les passants l’insultaient hochant la tête et disant : « Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix ! » » (Matthieu 27, 40). « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter cela ? » disent certains au moment de la maladie, de l’échec ou du deuil. Nous avons à passer d’une image de Dieu qui peut tout et qui n’agirait pas par mollesse ou distraction au véritable visage de Dieu manifesté par Jésus. Autrement nous resterions déistes mais pas chrétiens. Par la grâce de la foi, le disciple de Jésus croit que Dieu est venu habiter la souffrance et la mort de manière à les vaincre par l’énergie de sa résurrection. Ceux qui aiment entrevoient le sens de la Passion de Jésus. Il faut aller au-delà des apparences pour rejoindre le cœur – le Sacré Cœur – de Jésus. Seigneur Jésus, quand les gens se moquent de notre foi chrétienne, donne-nous la grâce de l’humilité et de la parole juste.

Douzième station : Jésus meurt sur la croix

chemindecroix12Accueillons dans notre âme les sept paroles du Christ en croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27, 46) ; « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34) ; « J’ai soif » (Jean 19, 28) ; à sa mère lui montrant son disciple bien-aimé, Jean : « Femme, voici ton fils », au disciple : « Voici ta mère » (Jean 19, 26-27) ; au bon larron qui lui demandait « Souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume », Jésus répondit : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23, 43) ; « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23, 46) ; « Tout est accompli » (Jean 19,30). Pitié, Seigneur, car nous avons péché !

Treizième station : Jésus est descendu de la croix et mis au tombeau

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« Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Pilate le permit. Ils vinrent donc et enlevèrent son corps. Nicodème – celui qui précédemment était venu, de nuit, trouver Jésus – vint aussi, apportant un mélange de myrrhe et d’aloès, d’environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus et le lièrent de bandelettes, avec des aromates, selon le mode de sépulture en usage chez les Juifs » (Jean 19, 38-40). Jésus est mort pour le salut de tous les hommes : Juifs et païens. Nicodème, notable juif de la secte des Pharisiens, est là sur le Calvaire. Le centurion romain, symbole des païens, s’est exclamé en voyant Jésus mourir : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu » (Marc 15, 39). Seigneur Jésus, nous te prions pour tous les hommes afin qu’ils parviennent à la connaissance de ta Vérité et au salut par la foi.

Quatorzième station : Le tombeau vide…

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Au matin de Pâques, les apôtres et Marie-Madeleine trouvent le tombeau de Jésus vide. Dans la nuit, le tombeau est devenu le berceau du premier-né d’entre les morts (Colossiens 1, 18). Là où le péché avait abondé la grâce a surabondé (Romains 5, 20). Là où la mort avait abondé la Vie et la Résurrection ont surabondé. Comme la chrysalide se transforme en papillon, Jésus abaissé et enseveli a été relevé par l’énergie du Saint-Esprit. À l’image du grain de blé semé en terre qui devient épi, Jésus répand la grâce de la résurrection à la multitude de sœurs et de frères qui croient en lui. « Je te dis que si tu crois tu verras la gloire de Dieu » (Jean 11, 40).

 

 

 

Le Christ est ressuscité !

 

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La Résurrection du Christ, à la lumière des textes du Nouveau Testament

En 1993, la Commission Théologique Internationale a publié une étude intitulée : « Quelques questions actuelles concernant l’Eschatologie », c’est à dire « les fins dernières »… C’est à partir de ce travail que nous allons regarder le Mystère de la Résurrection du Christ, en nous basant essentiellement sur les témoignages de celles et ceux qui l’ont vu Ressuscité, tels qu’ils nous sont rapportés dans le Nouveau Testament…

Pour des raisons pratiques de mise en page du document, et donc pour vous faciliter la lecture, nous vous invitons à cliquer sur le document PDF ci-joint… Plein de bonnes choses à vous…

D. Jacques Fournier

La Résurrection du Christ : document PDF pour lecture et éventuelle impression.




Mc 10,32-52 : Jésus marche vers Jérusalem, vers sa Passion…

Troisième annonce de la Passion (Mc 10,32-34)

 

Le chiffre « trois » dans la Bible renvoie souvent à « Dieu en tant qu’il agit ». Jonas « demeura ainsi dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits », et ce n’est que le troisième jour que « le Seigneur commanda au poisson qui vomit Jonas sur le rivage » (Jon 2,1.11). « Venez, retournons vers le Seigneur. Il a déchiré[1], il nous guérira ; il a frappé, il pansera nos plaies ; après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence » (Os 6,1-2). « Le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures », écrira St Paul, « il a été mis au tombeau, il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures » (1Co 15,4)… « Dieu l’a ressuscité le troisième jour et lui a donné de se manifester » (Ac 10,40). C’est du moins le troisième jour après sa mort que le tombeau a été retrouvé vide… Mais ce chiffre « trois » renvoie pour le Fils à « Dieu le Père en tant qu’il a agi en son Fils avec la Toute Puissance de l’Esprit Saint pour le ressusciter d’entre les morts » (Ga 1,1 ; Rm 1,4 ; 8,11 ; 10,9 ; Ac 2,24.32 ; 3,15.26 ; 4,10 ; 5,30 ; 13,30.33.34.37 ; 1Co 6,14 ; 15,15 ; 2Co 4,14 ; Col 2,12 ; 1Th 1,10).

Ce même chiffre « trois » présent indirectement dans ces « trois » annonces de la Passion suggère que le premier acteur en tous ces évènements dramatiques n’est pas l’homme, mais Dieu… « Je dépose ma vie », dira Jésus, « pour la recevoir de nouveau. Personne ne me l’enlève ; mais je la dépose de moi-même. J’ai pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la recevoir de nouveau ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » (Jn 10,17-18). Le Père va donc donner à son Fils de pouvoir être le témoin de l’Amour jusqu’au bout, en aimant et en donnant sa vie notamment pour ceux-là mêmes qui vont le tuer. Le premier acteur de la Passion, acceptée, vécue et offerte pour le salut de tous les hommes, est donc Dieu Lui-même… Ainsi, lors de son arrestation « Judas, menant la cohorte et des gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens, vient » dans « le jardin » qui était « de l’autre côté du torrent du Cédron », « avec des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui advenir, sortit et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Jésus le Nazôréen. » Il leur dit : « C’est moi » (On pourrait aussi traduire : « Je Suis » (cf. Ex 3,13-15)). Or Judas, qui le livrait, se tenait là, lui aussi, avec eux. Quand Jésus leur eut dit : « C’est moi » (Ou « Je Suis »), ils reculèrent et tombèrent à terre. De nouveau il leur demanda : « Qui cherchez-vous ? »   Ils dirent : « Jésus le Nazôréen. » Jésus répondit : « Je vous ai dit que c’est moi (Ou « Je Suis »). Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez ceux-là s’en aller » (Jn 18,1-9). Ainsi, ce ne sont pas les hommes qui ont mis la main sur Jésus pour l’arrêter, mais c’est Jésus, et avec lui Dieu Lui-même, qui s’est donné librement… St Jean, une fois de plus, emploie ici la formule grecque « ᾽Εγώ εἰμι » qui apparaît dans l’épisode du buisson ardent, lorsque Dieu révèle son Nom à Moïse : « Je Suis ». Et, nous l’avons remarqué, St Jean l’emploie trois fois ! Cette arrestation de Jésus est donc avant tout « action de Dieu » et révélation de son Mystère, de sa Gloire et de sa Majesté Souveraine… Face à Lui, l’homme ne peut qu’expérimenter sa faiblesse, sa petitesse, son impuissance à « mettre la main sur Lui »… « La cohorte et les gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens reculèrent et tombèrent à terre. » Ainsi, le premier acteur dans la Passion n’est pas l’homme, mais Dieu qui, librement, par amour, se donne entièrement et jusqu’au bout entre les mains des pécheurs, pour leur salut…

 

Au début de notre passage, Jésus monte donc à Jérusalem, « il prend résolument le chemin de Jérusalem » (Lc 9,51). Il sera le témoin de l’Amour jusqu’au bout, « jusqu’à l’extrême de l’amour » (Jn 13,1) : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin ».

Les disciples « étaient dans la stupeur, et ceux qui suivaient étaient effrayés ». « Ils lui dirent : Rabbi, tout récemment », les grands Prêtres et les scribes « cherchaient à te lapider, et tu retournes là-bas ! » (Jn 11,8). Ils savaient bien qu’ils « cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer » (Mt 12,14 ; Mc 3,6 ; 14,1 ; Lc 22,2 ; Jn 5,18).

Jésus prend alors « de nouveau les Douze avec lui ». Il va travailler à affermir leur foi car ce sont eux qui, après sa mort et sa résurrection, seront tout spécialement chargés d’affermir à leur tour tous les disciples dans la foi. « Je vous le dis maintenant avant que cela n’arrive, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez » (Jn 14,29). Pierre, « j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères ». (Lc 22,32). Et plus tard, aidés et soutenus par « l’Esprit Saint qui leur rappellera tout ce que Jésus leur a dit » (Jn 14,26), ils se souviendront qu’il leur avait effectivement annoncé à l’avance ses souffrances, sa mort et sa résurrection, et ils croiront que tous ces évènements qu’ils ont vécu appartenaient bien à ce plan de Salut, déroutant pour nous les hommes (cf. 1Co 1,17-2,16), que Dieu est venu mettre en œuvre en ce monde avec son Fils et par Lui… « Aussi, quand il fut relevé d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à l’Écriture et à la parole qu’il avait dite » (Jn 2,22).

« Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens »… Marc emploie deux fois ici le verbe « livrer », parad…dwmi dans le grec des Evangiles. La préposition par£ a comme sens premier « auprès de » et le verbe d…dwmi signifie « donner ». Le Fils est donc « donné » « auprès » des pécheurs, tout « contre » les pécheurs et pour eux… Par amour, il s’est uni à leur condition humaine en se faisant homme, vrai homme (Ph 2,6-11)… Et par amour, il ira encore plus loin en prenant sur lui toutes les conséquences du péché des hommes. Il s’unira de cœur à leurs ténèbres pour leur donner, s’ils l’acceptent, s’ils y consentent, d’être unis à sa Lumière (2Co 5,21), la Lumière de l’Amour qui brille dans les ténèbres et que les ténèbres n’ont pu étouffer (Jn 1,4-5).

Tous les hommes sont ici visés par ce double emploi du verbe « livrer » : « livré aux grands prêtres et aux scribes », c’est-à-dire aux Juifs, et « livré aux païens »… Or à l’époque, si l’on n’était pas Juif, on était païen. Et si Marc emploie ce verbe « livrer » pour nous raconter les faits, St Paul le reprendra pour nous en donner le sens profond. Jésus, en effet, s’est « livré en rançon pour tous » (1Tm 2,6). Donné à tous les pécheurs, Jésus, par amour, s’est fait proche de tous les pécheurs, tout « contre » eux, pour leur salut… « Nous croyons en celui qui ressuscita d’entre les morts Jésus notre Seigneur, livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification » (Rm 4,25). « Il s’est livré pour nos péchés afin de nous arracher à ce monde actuel et mauvais, selon la volonté de Dieu notre Père » (Ga 1,4) Lui « qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4). Et ce Père « qui n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur ? » (Rm 8,32). Et Paul le constatait par lui-même : grâce à ce Don de l’Esprit qu’il avait accueilli par sa foi, il pouvait dire : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,20). Aussi, « suivez la voie de l’amour, à l’exemple du Christ qui vous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur » (Ep 5,2). « Il s’est livré pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne en propre, zélé pour les belles œuvres » (Tt 2,14). « Le Christ a aimé l’Église », cette communauté de pécheurs qu’il est venu rassembler dans l’Unité de l’Esprit (Jn 11,52 ; Ep 4,1-6). Et maintenant, à travers elle et par elle, il appelle l’humanité tout entière à vivre de sa Vie, gratuitement, par amour, « dans l’Esprit » (Ep 2,18) « qui vivifie » (Jn 6,63 ; Ga 5,25) : « Il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne » (Ep 5,25), le baptême où l’Eau Vive de l’Esprit est donnée en surabondance pour laver, purifier (1Co 6,11) et donner en partage cette Plénitude de Dieu qui Est Vie, Paix, Joie (Jn 10,10 ; 14,27 ; 15,11)…

A la lumière de l’Ancien Testament, Jésus savait ce qui l’attendait, même s’il ne connaissait pas toutes les circonstances exactes. Notons quelques parallèles :

  • « Ils le bafoueront »… Et le Psalmiste, qui nourrissait chaque jour sa prière (Mc 14,26 ; Lc 20,42 ; 24,44), écrit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (…) Tous ceux qui me voient me bafouent» (Ps 22(21))

 

  • « Des chiens me cernent, une bande de malfaiteurs m’entoure ; ils m’ont percé les mains et les pieds », écrit-il encore (Ps 22(21), une peine de mort que seuls les Romains appliquaient. Les Juifs, eux, lapidaient… Aussi, Jésus pouvait-il dire qu’une fois « condamné à mort », il sera « livré aux païens ».

 

  • « Ils cracheront sur lui, ils le flagelleront »… Le prophète Isaïe, le plus souvent cité par le Christ, écrivait : « J’ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, et les joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ; je n’ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats. Le Seigneur Dieu va me venir en aide, c’est pourquoi je ne me suis pas laissé abattre, c’est pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme la pierre, et je sais que je ne serai pas confondu » (Is 50,5-6).

 

  • « Ils le tueront et après trois jours, il ressuscitera »… Souvenons-nous du prophète Osée : « Après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence» (Os 6,2). Mais d’autres textes suggéraient une issue heureuse : « À la suite de l’épreuve endurée par son âme, (le juste, mon serviteur) verra la lumière et sera comblé » (Is 53,11 ; cf. Is 52,13-53,12). Le Psalmiste, lui, écrivait : « Ma vigueur a séché comme l’argile, ma langue colle à mon palais. Tu me mènes à la poussière de la mort. »… Mais un peu plus loin : « Sauve-moi de la gueule du lion et de la corne des buffles. Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le Seigneur, glorifiez-le, vous tous, descendants de Jacob, vous tous, redoutez-le, descendants d’Israël. Car il n’a pas rejeté, il n’a pas réprouvé le malheureux dans sa misère ; il ne s’est pas voilé la face devant lui, mais il entend sa plainte. Tu seras ma louange dans la grande assemblée ; devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses. Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ; ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent : « A vous, toujours, la vie et la joie ! » La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, chaque famille de nations se prosternera devant lui : « Oui, au Seigneur la royauté, le pouvoir sur les nations ! » (Ps 22(21),16.22-29 ; traduction liturgique). Et on peut lire au Ps 69(68),22.30-35) : « Quand j’avais soif, ils m’ont donné du vinaigre (cf. Mc 15,36)… Et moi, humilié, meurtri, que ton salut, Dieu, me redresse. Et je louerai le nom de Dieu par un cantique, je vais le magnifier, lui rendre grâce. Cela plaît au Seigneur plus qu’un taureau, plus qu’une bête ayant cornes et sabots. Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! » Car le Seigneur écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés. Que le ciel et la terre le célèbrent, les mers et tout leur peuplement !»

La demande des fils de Zébédée et l’invitation de Jésus à servir

                                                                                                      (Mc 10,35-45)

 

« De quoi discutiez-vous en chemin ? », demanda un jour Jésus à ses disciples ? « Eux se taisaient, car en chemin ils avaient discuté entre eux qui était le plus grand. » Ils se taisent, ils ont honte, mais Jésus sait bien ce qu’ils disaient… Il aurait aimé l’entendre de leur bouche, ce qui les aurait aidé à recevoir son pardon, et avec lui, à progresser… Mais il est patient. Il va donc les « reprendre » une fois de plus : « Alors, s’étant assis, il appela les Douze et leur dit : Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9,33-35). « Puis, prenant un petit enfant, il le plaça au milieu d’eux et, l’ayant embrassé, il leur dit : Quiconque accueille un petit enfant comme celui-ci à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille; et quiconque m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé » (Mc 9,36-37). Et peu après, il avait à nouveau pris l’exemple de « petits enfants » : « C’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n’y entrera pas » (Mc 10,13-16). Et ici, « Jacques et Jean, les fils de Zébédée, avancent vers lui et lui disent : Maître, nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander. Il leur dit : Que voulez-vous que je fasse pour vous ? Accorde-nous, lui dirent-ils, de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire ».

Comme l’enseignement de Jésus a du mal à passer dans nos cœurs et dans nos vies ! Et nous sommes bien tous ainsi, chacun plus particulièrement avec tel ou tel « travers » qui nous colle à la peau… Mais l’attitude de Jésus manifeste une fois de plus ici l’incroyable patience de Dieu qui, inlassablement, nous reprend, nous relève, « redresse nos pas au chemin de la paix » (Lc 1,79)… Telle est bien « l’insondable richesse du Christ » (Ep 3,8), « richesse de sa bonté, de sa patience et de sa générosité » (Rm 2,4), une richesse qui rend possible notre aventure chrétienne et nous laisse espérer qu’un jour, sa volonté s’accomplira, envers et contre tout : « Père, je veux que là où je suis », avec toi, dans ta Lumière et dans ta Gloire, « eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma Gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. » Et juste avant de prier ainsi, il a déjà fait très concrètement, par le Don de « l’Esprit de Gloire, l’Esprit de Dieu » (1P 4,14), ce qui permet à son désir d’être réalisable : « Je leur ai donné la Gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité, et que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17,22-24). A nous maintenant d’oser nous tourner de tout cœur vers le Seigneur, encore et encore, avec tous nos manques, toutes nos failles, toutes nos misères… Elles n’arriveront jamais à épuiser l’infini de sa Miséricorde. Inlassablement il se révèlera à nos cœurs et à nos vies comme étant bien « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), le mot « péché » dans la culture hébraïque visant aussi bien l’acte commis que ses conséquences. Son pardon balaiera l’acte de nos consciences, et sa Miséricorde nous communiquera bien vite tout ce que nous avions perdu par suite de nos fautes : la Plénitude de sa Vie (Rm 6,23), de sa Lumière, de sa Paix…

Les disciples croyaient que Jésus serait roi en Israël, mais un roi terrestre comme tous les autres rois de ce monde… Et « Jacques et Jean » désirent avoir les places d’honneur… Orgueil… Mais les autres ne sont pas mieux : « Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean » (Mc 10,41). Pourquoi, en effet, s’indigneraient-ils s’ils ne convoitaient pas eux aussi ces mêmes places ? Voilà encore l’orgueil, avec comme premier fruit la jalousie et donc « les grincements de dents ». Ils veulent participer à la gloire du Christ Roi, mais leur attitude est contraire à la logique de son Royaume ! « Heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des Cieux est à eux. Heureux les doux… Heureux les artisans de paix » (Mt 5,3‑12). Et Jésus en est le premier et le plus bel exemple parmi les hommes : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11,29). Et « les grincements de dents » vont de pair avec « les pleurs » et « les ténèbres extérieures » (Mt 8,12), ce « dehors » (Mt 25,30) par opposition au « dedans » du Royaume, avec sa Lumière et sa Joie (Jn 15,11). Dans ces ténèbres, point de plénitude mais le feu de la jalousie qui ronge et consume (Mt 13,42 ; 13,50), point de liberté, celle « de la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,21), mais les liens du mal qui paralysent et emprisonnent (Mt 22,13).

Jésus aime ses disciples, comme il aime tout homme. Il ne peut les laisser dans une telle situation… Il va donc, pour leur bien, les inviter à renoncer à leurs illusions, à leurs rêves de grandeur, à leur soif de pouvoir et de domination. « Les ayant appelés près de lui, il leur dit : Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir ». Et Marc emploie deux verbes : « katakurieÚw, se rendre maître de, réduire en son pouvoir, mettre sous le joug » et « katexousi£zw, exercer son pouvoir sur ». Ainsi, celui qui est lui-même enchaîné et esclave de l’orgueil, ne cherche-t-il qu’à « se rendre maître » à son tour de l’autre, le réduisant en son pouvoir, lui imposant le joug de sa domination… Mais celui qui suit le Christ Serviteur adoptera à son exemple une attitude contraire : il se fera le serviteur de ses frères, cherchant non pas son propre intérêt mais leur seul bien, obéissant à leurs besoins pour tenter d’y répondre autant qu’il lui est possible, cherchant à les libérer de tous ces jougs qui écrasent et emprisonnent… Et celui qui agit ainsi expérimentera en lui-même une liberté sans égale, celle de Dieu lui-même : « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive, et où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera » (Jn 12,26). Et après leur avoir lavé les pieds, Jésus leur dira : « C’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous… Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites » (Jn 13,15-17). « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète ».

Et le but de tout service du Christ est la vie de celles et ceux qu’il sert… « Le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude ». « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis. » « Le voleur ne vient que pour voler, égorger et faire périr. Moi, je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante » (Mc 10,45 ; Jn 15,13 ; 10,10)…

L’aveugle de la sortie de Jéricho (Mc 10,46-52)

 

Bartimée, le fils (Bar, en araméen) de Timée, est devenu aveugle et mendiant… Assis au bord du chemin, il apprend que « Jésus le Nazarénien », dont il a certainement déjà entendu parler, passe… Alors, il se met à crier, et il l’interpelle en tant que Messie, ce Roi promis qui devait être un descendant de David (cf. 2Sm 7). Littéralement, il lui dit : « Fils de David, Jésus, ἐλέησόν με ». Or le verbe ἐλεέω signifie certes « avoir pitié de quelqu’un », mais le mot correspondant ἔλεος se traduit par « miséricorde, compassion, pitié ». Cet homme en appelle donc à la Miséricorde de Dieu : il ne peut être déçu… « C’est en toi que nos pères espéraient, ils espéraient et tu les délivrais. Quand ils criaient vers toi, ils échappaient ; en toi ils espéraient et n’étaient pas déçus » (Ps 22(21),5-6). Des obstacles se dressent entre lui et Jésus… Il n’est pas correct, surtout pour un mendiant, un va-nu-pieds, de crier ainsi… « Beaucoup le rabrouaient pour lui imposer silence », mais lui ne va pas se décourager, perdre cœur, abandonner. Il a la force de surmonter le « quand dira-t-on », le « politiquement correct ». Ce désir jaillit du plus profond de son cœur comme une demande de justice, irrépressible : « Mais lui criait de plus belle : Fils de David, aie compassion de moi, fais-moi miséricorde ! »

Ce cri de détresse et cette force qui l’habite jaillissent d’un cœur pur, d’un cœur sincère et ouvert à Dieu… Dieu lui-même n’est certainement pas étranger à sa démarche : « L’Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables, et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu » (Rm 8,26-27). L’Esprit inspire sa prière… Il le pousse à demander ce que Dieu veut lui donner…

Or « moi et le Père, nous sommes un », dit Jésus (Jn 10,30). Bien différents l’un de l’autre, ils sont unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit, d’un même Amour (Jn 4,24 ; 1Jn 4,8.16). Et dans ce Mystère de Communion, ce que dit le Fils est Parole du Père (Jn 12,49-50 ; 17,8), une Parole à laquelle l’Esprit de Vérité ne cesse de rendre témoignage au cœur de celui ou celle qui l’accueille (Jn 15,26). La demande de ce mendiant est inspirée par l’Esprit, soutenue par la force de l’Esprit ? L’Esprit ne peut que lui rendre témoignage au cœur de Jésus, ce cœur pur entièrement tourné au Père, habité par le seul désir d’accomplir sa volonté (Jn 1,18 ; 4,34 ; 5,30 ; 6,38). Jésus perçoit dans sa demande cette Présence de l’Esprit. Aussitôt, il s’arrête, car à travers cet homme, c’est le Père en fait qui lui adresse un appel, et Jésus fait toujours ce qui plaît au Père (Jn 8,28-29), par amour…

« Jésus s’arrêta et dit : « Appelez-le » »… Mais avec le Fils, cette Parole est elle aussi Parole de Dieu : elle a tout le poids de l’Esprit qui se joint à elle pour la dire aux cœurs de bonne volonté : « En effet, celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu car il donne », au même moment, « l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34). Et Bartimée est un homme de bonne volonté, ouvert, disponible, attentif, spontané… Marc met alors dans la bouche des disciples une phrase que nous devrions toujours garder en nos cœurs : « Aie confiance ! Lève-toi, il t’appelle. »

« Aie confiance »… « C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour »… « O Jésus !… je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie… On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent  » (Ste Thérèse de Lisieux)…

« Lève-toi, ἔγειρε ! » Or, ce verbe, ἔγειρω, est celui de la résurrection : « Eveiller, réveiller, s’éveiller, faire se lever, ressusciter ». « Lève-toi, il t’appelle. » Et quand Dieu appelle à faire quelque chose, il donne toujours la grâce qui permet d’accomplir ce qu’il demande. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », nous demande Jésus (Jn 15,12) ? « L’Amour de Dieu », l’Amour avec lequel Dieu nous aime, précise en note la Bible de Jérusalem, « a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). L’appel devient alors révélation indirecte de la grâce donnée. Ce mendiant aveugle a vraiment le cœur ouvert à Dieu : « il bondit aussitôt et vint à Jésus ». Derrière cette spontanéité, cette promptitude à obéir à l’appel lancé, se cache une nouvelle fois l’œuvre de l’Esprit, l’Esprit par lequel le Père ressuscitera son Fils (Rm 1,4), l’Esprit qui communique la Vie même de Dieu (Jn 6,63 ; Ga 5,25) et avec elle, enthousiasme, fraicheur, simplicité… « Et si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Rm 8,11). Voilà ce qui se passe déjà au cœur de Bartimée… L’Esprit de la Résurrection remplit son cœur et lui donne de « se lever », de « s’éveiller » à une Vie nouvelle…

Mais St Marc, qui s’adresse à des lecteurs invités à lire la Bible à la lumière de tous ses symboles, précise qu’il « rejeta son manteau ». Il est mendiant, aveugle… Ce manteau est son unique richesse, ce qui le protège des nuits très froides de la Palestine. La Loi prévoyait d’ailleurs que si un pauvre avait donné son manteau en gage d’un emprunt, « tu le lui rendras au coucher du soleil : il se couchera dans son manteau, il te bénira et ce sera une bonne action aux yeux du Seigneur ton Dieu » (Dt 24,13). Mais le manteau, dans la Bible, dit quelque chose du mystère de celui qui le porte… Dieu Lui-même apparaît ainsi comme « vêtu de faste et d’éclat, drapé de Lumière comme d’un manteau » (Ps 104(103),1 ; 93(92),1). Et Isaïe écrit, en pensant à Israël, ce Peuple de Dieu dont il fait partie : « Je suis plein d’allégresse dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu, car il m’a revêtu de vêtements de salut, il m’a drapé dans un manteau de justice » (Is 61,10), c’est-à-dire « il m’a sauvé, il a fait de moi un homme juste »… « Vous êtes tous fils de Dieu », écrira St Paul, « par la foi, dans le Christ Jésus. Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,26-28), unis l’un à l’autre dans la communion de cet Unique Esprit que vous avez tous reçus par votre foi. « Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d’un seul Esprit » (1Co 12,13). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24)… Avec le Don de l’Esprit, nous avons donc tous part à cette « insondable richesse du Christ » (Ep 3,8) qu’il est venu offrir dès maintenant à tout homme de bonne volonté, dans la foi et par notre foi. « Car en lui habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité, et vous vous trouvez en lui associés à sa Plénitude… Ensevelis avec lui lors du baptême, vous en êtes aussi ressuscités avec lui, parce que vous avez cru en la Force de Dieu qui l’a ressuscité des morts. Vous qui étiez morts du fait de vos fautes, Il vous a fait revivre avec lui ! Il nous a pardonné toutes nos fautes ! » (Col 2,9‑13). Voilà ce que Bartimée expérimente déjà… Aussi, abandonne-t-il sur le bord du chemin son unique richesse : il commence à découvrir le Trésor du Royaume (Mt 13,44-46)…

Assis, blessé au bord du chemin de la vie, il rencontre celui qui est venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. « Car ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades » (Lc 5,31-32). Un pécheur voyant Bartimée « rejeter son manteau » pensera aussitôt à cette vie de péché que nous devons rejeter si nous désirons accueillir le Christ, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) et donne gratuitement, par amour, la Plénitude de Vie dont nous étions tous privés par suite de nos fautes… « Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le Don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23). Et ce Don est celui de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), l’Esprit de la Résurrection, l’Esprit qui communique la Vie nouvelle et éternelle…

 

« Alors Jésus lui adressa la parole : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » » Ainsi est Dieu dans son Amour, toujours respectueux de notre liberté, ne faisant rien pour nous – et avec lui, c’est toujours « le meilleur » – sans notre consentement… Voilà pourquoi St Bernard disait : « Consentir, c’est être sauvé. » A l’homme qui était infirme depuis trente huit ans, et qui gisait au bord d’une piscine que l’on croyait magique, espérant jour après jour sa guérison, Jésus s’approcha et lui dit : « Veux-tu devenir sain ? » (Jn 5,1-9). Qui ne le voudrait pas ! Mais cette question va bien au-delà de la seule réalité physique. Les guérisons corporelles, dans les Evangiles, sont les signes visibles d’une guérison, elle, invisible : celle des cœurs que Dieu veut libérer par son pardon. Le péché les maintenait dans l’obscurité du cachot intérieur, les chaînes de l’esclavage, opprimés et souffrants (Lc 4,18-19 ; Jn 8,31-36 ; Gal 5,1 ; Rm 2,9) ? Le Christ, si nous l’acceptons de tout cœur, est venu nous libérer de ces chaines et nous donner de « devenir sain » : « à tous ceux qui l’ont accueilli, à ceux qui croient en lui, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12), vivants de la Vie même de Dieu, et telle est notre vocation à tous. «  Père, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés ! » « Je suis venu » en effet « pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante » (Jn 17,1-2 ; 10,10). « Veux-tu devenir sain ? »  « Veux-tu devenir » ce que Dieu veut que tu sois, ce que tu es déjà à ses yeux puisqu’il t’a créé, « un enfant de Dieu » appelé à partager la Plénitude de sa Vie ? Mais cette volonté de Dieu à notre égard ne s’accomplira pas sans notre « Oui ! » libre, conscient, responsable (cf. Ap 3,20)…

« Veux-tu devenir sain ? » Mais cette question s’adresse à nous pécheurs, blessés, à la volonté si souvent défaillante. Ne voulons-nous pas à certains jours le mal plus que le bien ? St Paul, pécheur comme nous tous, a écrit à ce sujet des lignes magnifiques : « Moi, je suis un être de chair, vendu au pouvoir du péché. Vraiment ce que je fais je ne le comprends pas: car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais… En réalité ce n’est plus moi qui accomplis l’action, mais le péché qui habite en moi… Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir puisque je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas… Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ? Grâces soient à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ! » (Rm 7,14-25). Il faudra donc toute la Force de l’Esprit pour que, petit à petit, jour après jour, de miséricorde en miséricorde, d’affermissement en affermissement, le pécheur puisse arriver à renoncer à ce mal qui le tue pour choisir le bien, et avec lui, cette Plénitude de Vie que Dieu veut voir régner en nous par le Don de l’Esprit…

« L’aveugle lui répondit : Rabbouni, que je recouvre la vue ! » Une fois de plus, ce que va vivre Bartimée est signe visible, révélation visible de ce que Dieu veut réaliser de manière invisible dans tous les cœurs… Nos cœurs se sont détournés de la Source d’Eau Vive (Jr 2,13 ; 17,13 ; Jn 7,37-39), de ce Seigneur qui est « un Soleil, et qui donne la grâce, donne la Gloire » (Ps 84(83,12) ? Privés de sa Lumière, ils sont dans les ténèbres ? Mais si « Dieu Est Lumière » (1Jn 1,5), Il Est aussi « Esprit » (Jn 4,24) et « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Etre dans les ténèbres, c’est donc aussi être privé de la Plénitude de sa Vie. « Va, ta foi t’a sauvé », dit Jésus à Bartimée. Sa confiance, son abandon de cœur a permis à Dieu d’accomplir en lui sa volonté : qu’il soit vraiment son enfant, vivant de sa Vie par « l’Esprit qui vivifie », « l’Esprit » qui est Lumière, « la Lumière de la Vie » (Jn 8,12)… « Aussitôt, il recouvra la vue, et il cheminait à sa suite »… « Les yeux » de son cœur se sont « ouverts » (Lc 24,31)… « Illuminés par l’Esprit » (Ep 1,18), ils peuvent désormais percevoir, dans la foi, le Christ « Lumière du monde », Lui qui est « avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Désormais, Bartimée s’efforcera de le suivre, jour après jour, en comptant sur le soutien de sa grâce et en essayant de « ne jamais désespérer de la Miséricorde de Dieu » (St Benoît). Il vivra dans l’obéissance vis-à-vis de Celui dont il vient d’expérimenter l’Amour, Lui qui n’est que recherche inlassable du meilleur pour chacun d’entre nous. Et Jésus le sait, ce meilleur est de vivre ce qu’il vit de toute éternité. C’est pour cela qu’il nous a rejoints dans notre condition humaine, pour nous révéler le Père, sa volonté, ce que nous sommes tous appelés à devenir : des enfants de Dieu vivants de sa Vie, cette Vie que le Fils reçoit du Père de toute éternité. Jésus est ainsi « le Chemin, la Vérité et la Vie », le Chemin qui, par la Vérité, conduit à la Vie. D. J. Fournier

[1] Nous sommes bien ici dans l’Ancien Testament qui, très souvent, renvoie tout à Dieu, le bien comme le mal. Cette manière de voir les choses correspond à une perception encore imparfaite du Mystère de Dieu et de sa Toute Puissance. Le Nouveau Testament présentera bien « la Miséricorde Toute Puissante » de Dieu (Lc 1,49-50), mais avec le Christ, c’est un Dieu Amour qui se révèlera, prêt à supporter les pires souffrances pour la conversion et le salut de ceux-là mêmes qui le font souffrir. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Et Pierre, en s’adressant à eux, leur dira : « C’est pour vous d’abord que Dieu a ressuscité son Serviteur et l’a envoyé vous bénir, du moment que chacun de vous se détourne de ses perversités » (Ac 3,26). « Dieu », qui « Est Amour » (1Jn 4,8.16), ne peut donc répondre au mal par le mal : son éternelle Bienveillance continuera à poursuivre, envers et contre tout, le bien de ceux-là mêmes qui pourraient lui vouloir ou lui faire, en Jésus Christ, du mal… Il faut donc lire ici non pas « il a déchiré », « il a frappé », mais « le péché a déchiré », « le péché a frappé », ce péché étant soit le mal que nous mêmes nous commettons, et qui nous blesse toujours profondément en premier (cf. Rm 2,9 ; 3,23), soit le mal que nous pouvons subir de la part d’autrui…

                                                                                                                                                       D. Jacques Fournier

Fiche n°19 (Mc 10,32-52) Document PDF pour une éventuelle impression




Mc 10,1-31 : le Dieu Amour nous appelle tous à l’Amour et à la Vie.

Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni (Mc 9,30-32)

 

Le voyage de Jésus vers Jérusalem se poursuit… En Mc 9,33 il était encore au Nord de la Palestine, à Capharnaüm en Galilée, au bord du lac de Tibériade… Le voici maintenant bientôt arrivé : « il vient dans le territoire de la Judée », là où est Jérusalem et, précise St Marc, il vient aussi « au-delà du Jourdain », en Pérée, l’actuelle Jordanie. Jésus va donc également à la rencontre des païens… Le salut qu’il propose est donc pour tous les hommes de bonne volonté qui accepteront de faire la vérité dans leur vie à la Lumière de son Amour… Comme l’écrit St Luc dans le Cantique de Zacharie, ils feront alors l’expérience du salut en faisant celle du pardon de leurs péchés : « Et toi, petit enfant (Jean-Baptiste), tu seras appelé prophète du Très‑Haut ; car tu marcheras devant le Seigneur, pour lui préparer les voies, pour donner à son peuple la connaissance du salut par la rémission de ses péchés ; grâce aux entrailles de miséricorde de notre Dieu, dans lesquelles nous a visités l’Astre d’en haut, pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, afin de redresser nos pas dans le chemin de la paix » (Lc 1,76-79). Ainsi, tout en Jésus est « expression, manifestation, révélation » des « entrailles de miséricorde de notre Dieu » qui ne poursuit à notre égard qu’un seul but : notre Bien le plus profond qui est participation plénière, selon notre condition de créature, à sa Plénitude de Vie, de Paix, de Lumière et de Joie… Les hommes l’abandonnent, et en se détournant de cœur de la Lumière se retrouvent dans les ténèbres ? Son seul désir sera de leur permettre de retrouver, grâce au pardon de leurs péchés, ce qu’ils ont perdu par suite de leurs fautes. Aussi est-il venu en Jésus Christ à la rencontre de tous « ceux qui demeurent dans les ténèbres », pour les « illuminer »… « Moi Lumière, je suis venu dans le monde pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres… Je Suis en effet la Lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais il aura, gratuitement, par amour, la Lumière de la Vie » (Jn 8,12 ; 12,46). « Le salaire du péché, c’est la mort », au sens de privation de la Plénitude de la Vie de Dieu ? « Ceux qui demeurent dans l’ombre de la mort » retrouveront avec le Christ qui vient à leur rencontre, l’accès à la Plénitude de Vie : « Le Don gratuit de Dieu, c’est la Vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23). A nous maintenant de retrouver avec Lui le chemin de notre cœur pour y découvrir une Source de Vie qui ne demande qu’à jaillir (Jn 4,10-14), pour peu que nous acceptions de nous abandonner à l’infini de sa Miséricorde… Et avec elle, nous expérimenterons déjà ici bas, dans la foi, « quelque chose » de cette Plénitude promise qui nous dira, par sa simple Présence, dans quelle direction chercher le Vrai Bonheur… « Heureux sommes-nous, Israël : ce qui plaît à Dieu nous fut révélé ! » (Ba 4,4). « Que nous puissions mener une vie calme et paisible », dans sa Paix qui est Plénitude d’Être et de Vie, « voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur » (1Tm 2,2-3). Autrement dit, notre bonheur profond lui plaît ! « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11). « Heureux » alors « ceux qui croient sans avoir vu » (Jn 20,29)…

 

Jésus vient donc à la rencontre des Juifs de Judée et des païens de Pérée, autrement dit, il vient à la rencontre de tout homme… Cette initiative est toujours d’actualité, et Dieu seul peut ainsi frapper à la porte de tous les cœurs (Ap 3,20) en regardant chacun d’entre nous comme étant unique à ses yeux… « Et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32). Et les foules, aujourd’hui encore, d’une manière ou d’une autre, « se rassemblent auprès de lui, et, selon sa coutume, de nouveau, il les enseigne » (Mc 10,1). Il continue d’agir ainsi par sa Parole qui nous « ouvre » à Lui lorsque nous acceptons de prendre du temps pour « ouvrir » ce Livre de Vie. Alors, il nous envoie « d’auprès du Père, l’Esprit de Vérité qui procède du Père » et qui, par le don de la grâce en nos cœurs, « nous introduira dans la Vérité tout entière » (Jn 15,26 ; 16,13). Et quelle est-elle ? Riens de moins que ce que Dieu Est en Lui‑même, et Il Est Esprit (Jn 4,24), Lumière (1Jn 1,5) et Vie (Jn 1,4 ; 8,12). Nous découvrirons ainsi cette Vérité en la vivant grâce à cette mission de l’Esprit Saint, Troisième Personne de la Trinité, qui consiste à nous communiquer la réalité même qui remplit le cœur du Christ. Or, nous dit St Luc, Jésus est « rempli de l’Esprit Saint » (Lc 4,1), « Esprit Saint » compris ici au sens de « nature divine » (2P 1,4), une expression qui renvoie à ce que Dieu Est en Lui-même et « Dieu Est Esprit » (Jn 4,24) et « Dieu Est Saint » (Lv 11,45 ; 19,2). Ainsi, l’Esprit Saint Personne Divine « recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera » (Jn 16,14), il recevra « l’Esprit Saint » nature divine et il vous le communiquera. Or « tout ce qui est à » Jésus ne vient pas de Jésus mais du Père. Tout ce qu’il a, tout ce qu’Il Est, il le reçoit du Père de toute éternité… « Père, tout ce qui est à toi est à moi »  (Jn 17,10), nous dit-il, car « le Père aime le Fils et lui donne tout en sa main » (Jn 3,35). C’est pourquoi, « comme le Père a la Vie en lui‑même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la Vie en Lui-même » (Jn 5,26). « Je vis par le Père » (Jn 6,57) et c’est « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Or « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), le Père est Esprit. Voilà donc la Plénitude d’Esprit et de Vie que le Père communique au Fils de toute éternité… C’est ainsi qu’il « l’engendre » en Fils « né du Père avant tous les siècles » (Crédo). Et toute la mission de l’Esprit Saint Personne Divine consiste à nous transmettre à nous aussi cette Plénitude d’Esprit Saint « nature divine » que le Fils reçoit du Père depuis toujours et pour toujours… « Il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera » (Jn 16,14). Et c’est en accueillant jour après jour ce « Don de Dieu » (Jn 4,10 ; Ac 2,38 ; 8,20 ; 10,45 ; 1Th 4,8 ; Hb 6,4) que nous pourrons entrer dans une connaissance toujours plus profonde de son Mystère. « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5). Cette Lumière de l’Esprit, Vie en nos cœurs, sera au même moment Lumière pour notre intelligence. « En Toi est la Source de Vie, par ta Lumière, nous voyons la Lumière » (Ps 36,10), la Lumière du Christ, le seul à Être « Lumière du monde », car le seul à Être vrai Dieu et vrai homme, et « Dieu est Lumière » (Jn 8,12 ; 12,46 ; 1Jn 1,5 ; Lc 1,78). Grâce à cette Lumière, nous pourrons découvrir toujours davantage « Qui » est ce Dieu de Lumière et de Vie en vivant au même moment avec Lui une relation qui engagera toute notre vie dans la vérité de ce que nous sommes, des êtres blessés, dans la Vérité de ce qu’Il Est, un Amour et une Miséricorde sans limites… Car si « Dieu Est Lumière » (1Jn 1,5), Il Est aussi Amour (1Jn 4,8.16), et c’est cet Amour qui Est Lumière… Il s’agit donc de laisser Dieu ouvrir nos cœurs par la Puissance de sa Miséricorde et de nous laisser entrainer dans cette relation avec Lui. Et c’est en vivant cette relation, cette ouverture, que nous découvrirons toujours davantage, en le vivant, que « Dieu est Lumière »… Il Est « Soleil » et ne cesse de donner sa Lumière, « sa grâce et sa gloire » (Ps 84,12 ; Jn 17,22). Il Est Amour et donc éternel Don de Soi (Jn 3,35), et « Dieu Est Esprit » et « Dieu Est Lumière »… Il Est Dieu « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13 ; 17,13 ; Ps 42-43 ; Jn 4,10-14), « l’Eau Vive de l’Esprit » (Jn 7,37-39)… Laisser Dieu ouvrir nos cœurs, consentir à sa Présence et à son action, c’est donc accueillir ce Don que Dieu ne cesse de faire de Lui-même et que nous appelons tour à tour Lumière, grâce, gloire, Esprit, un Esprit qui est Vie et qui nous donne de participer à la Vie de Dieu en face à face avec Lui. Tel est « le Royaume des Cieux », Mystère de Communion (1Jn 1,1-4 ; 1Co 1,9 ; 2Co 13,13 ; Rm 14,17) avec Dieu dans l’unité d’un « Esprit » (Ep 4,3) qui « est Vie » (Rm 8,10 ; 8,2 ; 2Co 3,7 ; Jn 6,63 ; Ga 5,25) et ne cesse de jaillir de Lui pour combler tous ceux et celles qui accepteront de s’ouvrir à Lui dans la vérité de leur cœur blessé… Cette réalité est offerte dès maintenant à notre foi, non pas comme « quelque chose » qui se voit mais comme « quelque chose » qui se vit…

Voilà la Vérité d’Amour que Jésus vit avec le Père, de toute éternité, et qu’il nous enseigne pour que nous puissions nous aussi l’accueillir en pleine liberté… Tout homme en effet a été créé « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-27), et plus particulièrement du Fils Unique (Rm 8,29). Nous sommes ainsi invités à nous tourner de tout cœur vers le Père, comme l’est Jésus de toute éternité (Jn 1,18), pour nous laisser combler nous aussi par tout ce que le Fils reçoit du Père « avant tous les siècles ». Et ce qu’il reçoit est Esprit, Amour, Lumière et Vie… Et l’Amour reçu sera nourriture pour vivre l’amour donné dans toutes nos relations humaines… « Ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de Force, d’Amour et de Maîtrise de soi » (2Tm 1,7)… « L’Amour de Dieu a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5)… « Le fruit de l’Esprit est amour » (Ga 5,22)…

Des Pharisiens s’approchent alors de Jésus pour « le mettre à l’épreuve ». « Il faut se souvenir que derrière ces mots, l’évangéliste évoque l’attitude des israélites qui, au désert de l’Exode, exprimaient leur incrédulité envers Moïse et Dieu Lui-même : « Ils mirent le Seigneur à l’épreuve en disant : Dieu est-il au milieu de nous ou non ? » (Ex 17,7) » (Jacques Hervieux ; « L’Evangile de Marc » (Dans ‘Les Evangiles, textes et commentaires’, Bayard Compact p. 436). Ces Pharisiens lui demandent donc : « Est-il permis à un mari de répudier sa femme ? ». Jésus sait à quoi ils font allusion : « Qu’est-ce que Moïse vous a prescrit ? Moïse, dirent-ils, a permis de rédiger un acte de divorce et de répudier ». Le texte de référence est Dt 24,1 : « Soit un homme qui a pris une femme et consommé son mariage ; mais cette femme n’a pas trouvé grâce à ses yeux, et il a découvert une tare à lui imputer ; il a donc rédigé pour elle un acte de répudiation et le lui a remis, puis il l’a renvoyée de chez lui ». A l’époque, deux interprétations principales dominaient dans le milieu pharisien :

1 – Celle de Hillel qui disait : « Un homme peut divorcer d’avec sa femme même si elle n’a abîmé qu’une de ses assiettes, car il est écrit : « Il a trouvé en elle une indécence en quelque chose » ».

2 – Et celle de Shammaï : « Un homme ne peut divorcer d’avec sa femme tant qu’il ne trouve en elle de l’indécence en toute chose ». Avec lui, la séparation était donc très difficile. Cette seconde tendance protégeait en fait la situation des femmes dans une société où elles n’avaient aucun droit…

 

Alors, de quel bord Jésus est-il ? Les Pharisiens aimeraient bien l’enfermer dans telle ou telle tendance pour pouvoir ensuite le critiquer, le discréditer. Mais lui ne se laissera pas prendre au piège. Il va revenir à la source même du projet de Dieu sur l’homme « créé à son image et ressemblance », pour être comblé par son Esprit, par son Amour… Et dans le cadre de la relation fondatrice homme – femme, socle de la famille « source de vie », c’est de l’Amour reçu de Dieu que l’homme aimera sa femme, c’est de l’Amour reçu de Dieu que la femme aimera son mari… « Dès l’origine de la création Il les fit homme et femme. Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère, et les deux ne feront qu’une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mc 10,6-8 ; Gn 1,27 ; 2,24). L’homme et la femme, unis dans la communion d’un même Esprit, d’un même Amour, sont donc appelés à vivre une réalité semblable à ce que vivent le Père et le Fils, bien différents l’un de l’autre, mais unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit, d’un même Amour : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30). Et Jésus priera pour ses disciples en disant : « Père, que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi » par l’Esprit, « et moi en toi » par ce même Esprit, « qu’eux aussi soient en nous » en participant à cet unique Esprit. « Je leur ai donnée la gloire que tu m’as donnée », cette Gloire qui renvoie en Dieu au « poids » de ce qu’Il Est en Lui-même, et Il Est Esprit, au rayonnement de ce qu’Il Est en Lui-même et Il Est Lumière… Le mot « gloire » peut donc être remplacé ici par ce qui est à la Source de la Gloire, l’Esprit de ce Dieu qui Est Lumière… « Je leur ai donné l’Esprit que tu m’as donné pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité » de l’Amour. Cette réalité concerne à un degré tout particulier le mari et sa femme unis par Dieu dans la communion d’un même Esprit, d’un même Amour, ce que le Livre de la Genèse évoque par l’expression « ils seront une seule chair », une seule communauté de vie. Et c’est de l’union de leurs corps différents, complémentaires, union qui exprimera leur amour, que naîtra la vie… Ce principe d’unité dans l’Amour de personnes pourtant bien différentes est également valable dans le cadre de toute communauté humaine : « Aimez vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés » (Jn 15,12), de cet Amour reçu du Père de toute éternité… En effet, « l’Amour de Dieu a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). Alors, si Dieu est éternel (Is 9,5 ; 40,28 ; Jr 10,10 ; Dn 13,42 ; Ba 4,8.24 ; 5,2 ; Rm 16,26), l’Amour vrai ne peut qu’être éternel lui aussi (Ps 136,2.26 ; 1Ch 16,41).… « Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer »… L’exigence est totale, car elle a pour principe et pour horizon Dieu Lui‑même, ce Dieu infini qui Est de toute éternité Don total et définitif de Lui-même. Et il nous a tous créés pour que nous soyons à son image et ressemblance, don total et définitif de nous‑mêmes… On comprend la stupeur des disciples qui, une fois rentrés à la maison, l’interrogent à nouveau sur ce sujet. Et Jésus sera tout aussi entier : « Et il leur dit : Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère à son égard ; et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère ». Notons en passant qu’il n’était pas possible à une femme israélite de répudier son mari. Cette possibilité existait par contre dans le droit romain. Nous retrouvons ainsi, indirectement, que St Marc a écrit son Evangile à Rome, en retranscrivant le plus fidèlement possible le témoignage de Pierre…

Voilà donc ce que Jésus ne peut que dire du projet de Dieu sur l’homme et sur la femme appelés à s’aimer de son Amour, un Amour Eternel. Et c’est cet Amour et cet Amour seul qui peut rendre compte de cette aventure à laquelle ils sont appelés… « Pour les hommes », laissés à leurs seules forces d’homme, « c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible » (Mt 19,26). C’est pourquoi le Christ nous invite à construite toute notre vie sur le Roc (Mt 7,21-27), une image qui, dans l’Ancien Testament, renvoie à Dieu Lui-même :

 

2Sm 22,32 : Qui donc est Dieu hormis Yahvé ? Qui est un roc hormis notre Dieu ?

 

Ps 18,3 : Yahvé est mon roc et ma forteresse, mon libérateur, c’est mon Dieu.

Je m’abrite en lui, mon rocher,… ma force de salut, ma citadelle.

 

Ps 31,3 : (Yahvé), tends l’oreille vers moi, hâte-toi !

Sois pour moi un roc de force, une maison fortifiée qui me sauve…

 

Ps 71,3 : (Yahvé), sois pour moi un roc hospitalier, toujours accessible ;

tu as décidé de me sauver, car mon rocher, mon rempart, c’est toi.

 

Ps 73,26 : Ma chair et mon cœur sont consumés :

roc de mon cœur, ma part, Dieu à jamais !

 

Et ce Roc est Celui d’où jaillit l’Eau Vive pour nous abreuver dans le désert de ce monde et nourrir cette vie d’amour à laquelle Dieu nous appelle tous…

 

Ex 17,5-6 : Yahvé dit à Moïse : « Passe en tête du peuple et prends avec toi quelques anciens d’Israël ; prends en main ton bâton, celui dont tu as frappé le Fleuve et va. (6) Voici que je vais me tenir devant toi, là sur le rocher (en Horeb), tu frapperas le rocher, l’eau en sortira et le peuple boira. C’est ce que fit Moïse, aux yeux des anciens d’Israël.

 

Nb 20,6-11 : Quittant l’assemblée, Moïse et Aaron vinrent à l’entrée de la Tente du Rendez-vous. Ils tombèrent face contre terre, et la gloire de Yahvé leur apparut. (7) Yahvé parla à Moïse et dit : (8) « Prends le rameau et rassemble la communauté, toi et ton frère Aaron. Puis, sous leurs yeux, dites à ce rocher qu’il donne ses eaux. Tu feras jaillir pour eux de l’eau de ce rocher et tu feras boire la communauté et son bétail. » (9) Moïse prit le rameau de devant Yahvé, comme il le lui avait commandé. (10) Moïse et Aaron convoquèrent l’assemblée devant le rocher, puis il leur dit : « Ecoutez donc, rebelles. Ferons-nous jaillir pour vous de l’eau de ce rocher ? » (11) Moïse leva la main et, avec le rameau, frappa le rocher par deux fois : l’eau jaillit en abondance, la communauté et son bétail purent boire.

 

Dt 8,15 : Lui qui dans un lieu sans eau a fait pour toi jaillir l’eau de la roche la plus dure.

 

Sg 11,4 : Dans leur soif, ils t’invoquèrent : de l’eau leur fut donnée d’un rocher escarpé et, d’une pierre dure, un remède à leur soif.

Ne 9,15 : Du roc tu fis jaillir l’eau pour leur soif.

 

Ps105,41 (cf Ps 78,15.16.20) : Il ouvrit le rocher, les eaux jaillirent, dans le lieu sec elles coulaient comme un fleuve.

 

Is 48,21 : Ils n’ont pas eu soif quand il les menait dans les déserts, il a fait couler pour eux l’eau du rocher, il a fendu le rocher et l’eau a jailli.

 

St Paul écrira que ce rocher auquel le peuple s’abreuvait était déjà « le Christ » : « Tous (nos pères, cf 10,1) ont bu le même breuvage spirituel ; ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c’était le Christ » (1Co 10,4). Et St Jean nous le présentera mort sur la Croix, frappé d’un coup de lance par un soldat, et de son cœur ouvert jaillira « de l’eau et du sang » : « Venus à Jésus, quand ils virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage – son témoignage est véritable, et celui-là sait qu’il dit vrai – pour que vous aussi vous croyiez » (Jn 19,33-35). « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive celui qui croit en moi ! », avait crié un jour Jésus, « selon le mot de l’Écriture : De son sein couleront des fleuves d’eau vive. Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui » (Jn 7,37-39)…

Construire sa vie sur le Roc, c’est donc construire sa Vie sur Dieu « Source d’Eau Vive » qui, en Jésus Christ, est venu nous offrir gratuitement, par amour, cette Eau Vive de l’Esprit qui « remplit » son cœur de toute éternité (Lc 4,1). « En lui habite en effet corporellement toute la Plénitude de la Divinité, et vous vous trouvez en lui associés à sa Plénitude » (Col 2,9-10). Cette réalité invisible sera révélée de manière visible par cette « eau » et ce « sang » qui remplissaient le cœur de chair de Jésus et qui seront totalement versés sur la terre, donnés à tous les hommes de chair et de sang… « La vie est dans le sang », croyait-on autrefois (cf. Lv 17,11). Ce sang versé est donc le signe visible de cette Vie donnée, la Vie de l’Esprit, cet « Esprit » qui « Est Vie » (Rm 8,10) et qu’il reçoit du Père de toute éternité (Jn 5,26). L’eau versée renvoie elle aussi  à « l’Eau Vive de l’Esprit » (Lc 4,1 ; Jn 7,39)… Le Don de l’Esprit, fruit de la Passion et de la Résurrection du Christ, n’est donc rien de moins que Dieu tout entier qui se donne aux hommes pour qu’ils puissent participer à ce qu’Il Est, et Dieu Est Esprit, et Dieu Est Amour. C’est donc sur la base de cet Esprit reçu, l’Esprit éternel du Dieu éternel, l’Esprit d’Amour, que l’homme est invité à « ne pas séparer ce que Dieu a uni »…

Pour l’homme laissé à ses seules forces, « c’est impossible, mais pas pour Dieu car tout est possible à Dieu  » (Mc 10,27). Dieu, en effet, l’a créé pour qu’il vive de Lui. Jésus ne peut que présenter ce qui est inhérent à ce projet… Dieu n’a pas voulu la séparation, il n’a pas voulu le péché, il n’appartient pas au projet de Dieu que l’homme soit seul, loin de Lui, sans le secours de sa Présence, de son Amour et de sa Force… Ce caractère entier et intransigeant de Jésus en ce passage est l’expression du Mystère même de Dieu et de son projet Créateur sur l’homme : il ne peut que parler ainsi. Qu’un homme et une femme soient ensemble, lancés par Dieu dans l’aventure de l’amour et de la vie, Jésus ne peut que les inviter à continuer, à rester debout en s’appuyant sur Dieu, ce Roc qui ne leur fera jamais défaut. Si tant est que leur amour est vrai, c’est Lui qui les a unis et c’est toujours Lui qui continue de les unir par ce Don de l’Amour qui vient de Lui, et l’Amour est éternel…

Si le péché a introduit son lot de fractures et de divisions, l’invitation lancée ne pourra qu’être celle de la réconciliation, en s’appuyant encore et toujours sur l’Amour de Dieu. Et si la rupture est consommée, le Père des Miséricordes ne pourra que continuer à chercher le meilleur pour ses enfants, selon « le possible » propre à chaque situation… Nul n’est exclu… « Le Pain de la Parole » (Jn 6,35-47) est donnée gratuitement et en surabondance à tous, sans aucune exception, et avec lui, nous recevons ce Cadeau qui s’offre également par le pain et le vin consacrés : « l’Esprit qui Est Vie. » « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les Paroles que je vous ai dites son Esprit et elles sont Vie » (Jn 6,63). St Pierre a bien écouté, d’un cœur ouvert et vrai (cf. Lc 5,8), dans un réel désir de se repentir (cf. Lc 5,29-32) : il ne peut que constater cette Vie nouvelle qui l’envahit et qui, déjà, dans la foi et par sa foi, fait tout son Bonheur : « Tu as les Paroles de la Vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6,68-69). Ce que Jésus vient de dire en conclusion de son discours sur sa Parole « Pain de Vie » s’accomplit pour lui : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle » (Jn 6,47), dès maintenant, dans le présent de sa foi…

 

La fermeté de Jésus sur l’Eternel de l’Amour auquel tous les hommes sont appelés ne s’oppose donc en rien à l’infini de la Tendresse du Dieu de « grande Miséricorde » (Né 13,22). L’homme est debout ? Qu’il veille donc à rester debout, par la prière, en s’appuyant sur le Roc qui ne cesse de s’offrir à sa foi. L’homme est tombé ? Il s’est fait mal, il s’est blessé dans sa chute, il en souffre profondément. C’est ce que Dieu voulait éviter à tout prix en le pressant de lui rester fidèle. Mais qu’il ne désespère jamais de sa Miséricorde. Il est toujours avec lui, pour lui, toujours totalement offert à sa foi pour reconstruire avec lui ce qui peut l’être…

« La ferme pensée sur le divorce a été appliquée par l’Eglise primitive dans des situations nouvelles. Il n’est donc pas étonnant qu’il en soit de même aujourd’hui. L’Eglise se trouve toujours confrontée à des unions conjugales rompues et reformées. En tous ces cas, on se souviendra que la pensée de Jésus n’est pas fondée sur un point de vue « légaliste » et qu’il a toujours pratiqué un large accueil des exclus et des pécheurs » (Jacques Hervieux).

« Étant sorti, Jésus vit, en passant, un homme assis au bureau de la douane, appelé Matthieu, et il lui dit : Suis-moi ! Et, se levant, il le suivit. Comme il était à table dans la maison, voici que beaucoup de publicains et de pécheurs vinrent se mettre à table avec Jésus et ses disciples. Ce qu’ayant vu, les Pharisiens disaient à ses disciples : Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? Mais lui, qui avait entendu, dit : Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » (Mt 9,9-13). Et nous sommes tous pécheurs, d’une manière ou d’une autre… Mais Dieu ne renoncera jamais à son projet. Un Père tel que Lui ne peut cesser d’aimer ses enfants… Envers et contre tout, il nous regarde toujours comme des « vases de Miséricorde qu’il a d’avance préparés pour la gloire » (Rm 9,23) et il s’est donné tout entier en Jésus Christ, dans l’infini de ce qu’Il Est, pour qu’il en soit effectivement ainsi. Voilà ce qu’il a déposé sur le plateau de la balance… Et nous, qui sommes sur l’autre plateau, pensons-nous vraiment que le poids de nos misères, aussi énorme soit-il, pourrait l’emporter ? « Tous ont péché et sont privés de la Gloire de Dieu » (Rm 3,23) ? « Père, je veux que là où Je Suis eux aussi soient avec moi ». C’est pourquoi, « je leur ai donné la Gloire que tu m’as donné pour qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17,22 ; 17,24). Alors, oui, « que ta volonté soit faite »…

 

Jésus et les petits enfants (Mc 10,13-16)

 

Nous avons déjà rencontré en Mc 9,36-37 la situation des « petits enfants » dans la société de l’époque. « Au temps de Jésus, les enfants sont en effet objet de mépris de la part des adultes. Cette marmaille qui grouille et qui fait tant de bouches affamées à nourrir n’est pas en grande considération dans un monde où règne la pauvreté. De plus, tous ces gosses qui pullulent dans la communauté juive sont encore ignorants de la Loi de Moïse. On les traite comme des « hors la Loi ». Ils sont mis au rang des « exclus » comme les malades, les femmes et les esclaves, etc… Ce mépris que manifestent à l’égard des enfants ses propres amis heurte profondément le Maître : « Voyant cela, Jésus se fâcha ». Marc a déjà relevé le regard de colère de Jésus (Mc 3,5), mais jamais encore il ne nous a montré la raison profonde de son irascibilité. La voilà : les enfants, comme les autres « exclus », ont leur place dans le Royaume » (Jacques Hervieux).

« Laissez les petits enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n’y entrera pas ». En effet, « petit troupeau, votre Père s’est complu à vous donner le Royaume » (Lc 12,32). Il s’agit donc d’accueillir avec la simplicité et la confiance que peut avoir un petit enfant vis-à-vis de son Père, ce Royaume de Dieu donné gratuitement, par amour, à quiconque acceptera de le recevoir… Nous l’avons vu, « le Règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture ou de boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17). Autrement dit, il est Mystère de Communion dans « l’unité de l’Esprit » (Ep 4,3), cet Esprit que le Père donne éternellement au Fils et qui l’engendre en Fils, cet Esprit qui nous est donné tout aussi gratuitement pour accomplir en nous notre vocation commune à devenir des fils et des filles de Dieu « à l’image du Fils » unique (Rm 8,29).

« Redisons-le, à l’époque de Jésus, l’enfant est avant tout « un pauvre » : un être totalement dépendant d’autrui ». Et Jésus a proclamé « heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des Cieux est à eux » (Mt 5,3). Ils ont su accueillir le Don de Dieu… L’enfant « est aussi le signe vivant d’une grande capacité d’écoute et de confiance : ce que les adultes ont largement perdu ! C’est la disponibilité foncière de l’enfant qui en fait un exemple pour les croyants. Jésus l’affirme avec toute la solennité voulue. On reconnaît bien là le souci que Jésus a de rectifier sans cesse le point de vue de ses disciples, qu’il est en train de former à leur tâche de responsabilité dans l’Eglise. Il leur faut abandonner leurs prétentions de grandeur (Mc 9,33-34), et se faire « petits » pour accueillir le Règne de Dieu avec un maximum d’humilité et d’ouverture. » « Puis Jésus les embrassa et les bénit ». « L’étreinte affectueuse de ces petits mal aimés et rejetés est hautement significative. La « bénédiction » qui l’accompagne est dans la Bible la communication en acte du Don de Dieu » (Jacques Hervieux), de ce Dieu qui ne cesse de donner, qui est éternellement Don en acte de ce qu’Il Est Lui-même et Il Est Esprit… Noter en ce texte d’Isaïe le parallèle entre « bénédiction » et « Esprit », et l’image de l’eau employée une nouvelle fois pour évoquer le Don de l’Esprit en nos cœurs desséchés, assoiffés : « Je vais répandre de l’eau sur le sol assoiffé », dit le Seigneur, « et des ruisseaux sur la terre desséchée ; je répandrai mon Esprit sur ta race et ma bénédiction sur tes descendants » (Is 44,3). Et dans la Lettre aux Galates, St Paul évoque « la bénédiction d’Abraham » en termes « d’Esprit de la Promesse » (Bible de Jérusalem), « l’Esprit, objet de la promesse » (TOB) : « Tous ceux qui se réclament de la pratique de la Loi encourent une malédiction. Car il est écrit: Maudit soit quiconque ne s’attache pas à tous les préceptes écrits dans le livre de la Loi pour les pratiquer… Le Christ nous a rachetés de cette malédiction de la Loi, devenu lui-même malédiction pour nous, car il est écrit : Maudit quiconque pend au gibet, afin qu’aux païens passe dans le Christ Jésus la bénédiction d’Abraham et que par la foi nous recevions l’Esprit de la promesse » (Ga 3,10-14). Autrement dit, il est mort sur la Croix pour que nous puissions tous recevoir le Don de l’Esprit, l’Esprit promis dans l’Ancien Testament, l’éternelle Bénédiction que le Dieu Créateur ne cesse de répandre sur sa création depuis qu’il l’a créée… Avec le Christ, la Révélation de Dieu est arrivée à son terme, la vocation d’Abraham est pleinement accomplie : « Par toi se béniront toutes les familles de la terre » (Gn 12,3). « Je répandrai mon Esprit sur toute chair » (Jl 3,1-5 ; Ac 2,1-41).

 

L’homme riche, le danger des richesses, le trésor promis au détachement (Mc 10,17-31)

 

Sur la route, Jésus rencontre un homme de bonne volonté, qui sait reconnaître qu’il est un « bon Maître » : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? ». Mais il est encore dans la logique Pharisienne : « faire pour avoir ». Le Don de Dieu apparaît alors comme un salaire ou une récompense. L’Amour de Dieu et sa totale gratuité arrivent en second. Ce n’est pas l’homme qui répond à Dieu mais l’inverse ; lui et ses œuvres occupent la première place, avec tous les risques d’orgueil et d’amour propre que l’on imagine… Non, la vie chrétienne n’est pas ainsi, et Paul, l’ancien Pharisien, le proclame avec force : « C’est par grâce que vous êtes sauvés… Ce salut ne vient pas de nous, il est un don de Dieu ; il ne vient pas des œuvres, car nul ne doit pouvoir se glorifier. Nous sommes en effet son ouvrage, créés dans le Christ Jésus en vue des bonnes œuvres que Dieu a préparées d’avance pour que nous les pratiquions » (Ep 2,5.8-10 ; cf. texte en fin de document). Ces œuvres seront les fruits de « l’Amour de Dieu qui a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). Et, d’une manière ou d’une autre, « le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi » (Ga 5,22)…

St Paul, qui « surpassait bien des compatriotes de son âge, en partisan acharné des traditions des pères » (Ga 1,14), lui qui était « irréprochable » vis-à-vis de son obéissance de la Loi (Ph 3,6), a bien compris, en l’expérimentant lui-même sur la route de Damas, l’Amour Miséricordieux dont nous sommes tous appelés à devenir les heureux bénéficiaires. A la première place, il mettra non pas l’homme, ses œuvres, son « faire », mais le Don de Dieu, gratuit, offert par amour, en surabondance… Pour l’accueillir vraiment, il s’agit jour après jour de se repentir vraiment en comptant sur l’aide, le soutien, la fidélité de Celui qui « demeure fidèle lorsque nous, nous sommes infidèles » (2Tm 2,13). Et le Don accueilli par ce repentir sincère sera tout en même temps pardon, purification, Plénitude et Force pour agir comme Dieu le désire, autant qu’il nous est possible. Les œuvres arrivent en dernier… Elles ne sont que les fruits inévitables du Don reçu, s’il a été effectivement reçu… St Jacques ne dira pas le contraire : « C’est par les œuvres que je te montrerai ma foi », une foi qui est accueil effectif du Don de Dieu (Jc 2,18), l’Esprit Saint. On reconnaît l’arbre à ses fruits (Mt 7,15-20)…

« Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Sans arrières pensées, cet homme a mis Jésus à la première place. Mais non, Jésus, Lui, n’est pas à la première place dans son cœur. Le premier dans sa vie, Celui dont il ne cesse de parler, Celui vers lequel il tourne les regards, c’est son Père… Dans l’Amour, c’est toujours l’autre qui compte d’abord… « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul »…

Et comme dans la discussion sur le divorce, Jésus revient aux fondamentaux de la foi en Israël, les Dix Paroles données par Dieu à Moïse (Ex 20,1-17 ; Dt 5,6-22) : « Ne tue pas, ne commets pas d’adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère » (Mc 10,19). « Maître, lui dit-il, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse ». Et il est sincère, il le dit de tout cœur… « Alors Jésus fixa sur lui son regard et l’aima. Et il lui dit : Une seule chose te manque : va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens, suis-moi ».

« Jésus fixa sur lui son regard et l’aima »… Or « aimer c’est tout donner et se donner soi‑même » (Ste Thérèse de Lisieux), un principe que Dieu vit infiniment, parfaitement, littéralement et de toute éternité… Dans son Amour, Dieu est Don de Lui-même… Ce Mystère, toujours en acte, se révèle pleinement en Jésus Christ… « Jésus l’aima »… En cet instant, la Plénitude de sa Lumière, de sa Vie, de sa Paix, de sa Joie éternellement donnée se manifeste en frappant, d’une manière que lui seul connaît, à la porte de son cœur… Un Trésor d’Être lui est offert, gratuitement, par amour… Que va-t-il choisir ?

Un détachement doit s’opérer… « Va, ce que tu as vends le »… Jésus a touché le point sensible : l’avoir… « Que dois-je faire pour avoir… », lui avait-il demandé ? Cet homme est dans la logique de l’avoir, et sa fortune le prouve… Jusqu’à présent, il a accordé une grande importance à cet avoir qui est pour lui sécurité, assurance pour l’avenir, promesse de bien-être… Et Jésus l’invite ici à lâcher tout ce qu’il a accumulé par lui-même et pour lui-même, afin d’entrer dans la logique de l’Amour qui est Don : « Ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres ». Il s’agira dès lors de mettre sa confiance non plus en son avoir mais en ce Dieu Père qui, dans son Amour, « sait bien ce qu’il nous faut », jusques dans les moindres détails de la nourriture et du vêtement, bref, tout ce qui est nécessaire à notre vie (Mt 6,8 ; Lc 12,22-32). Que va-t-il choisir : l’avoir pour soi, ou bien Être d’un Autre pour les autres ? « Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens »… Son avoir a encore trop de prix à ses yeux… Son cœur n’a pas réussi à se détacher des richesses de ce monde… Il a choisi les réalités périssables et leur incapacité à combler profondément et durablement le cœur de l’homme, aux réalités impérissables qui n’abondent qu’en Dieu seul : il est « sombre » pour n’avoir pas su dire « Oui ! » à la Lumière de l’Esprit qui s’offrait à lui en Jésus Christ « Lumière du monde » (Jn 8,12 ; 12,46), il est « tout triste » car il n’a pas su « accueillir la Parole avec la joie de l’Esprit Saint » (1Th 1,6)… « Malheur à vous, les riches, car vous avez votre consolation », incomparable à Celle qui vient de Dieu… Ce n’est pas une malédiction, c’est une constatation, et Jésus est triste de les voir tristes, Lui qui leur a parlé « pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11). Aux chrétiens de Thessalonique, Paul écrira : « Que notre Seigneur Jésus Christ lui-même, ainsi que Dieu notre Père, qui nous a aimés et nous a donné, par grâce, consolation éternelle et heureuse espérance, consolent vos cœurs et les affermissent en toute bonne œuvre et parole » (2Th 2,16‑17). Et tout cela s’accomplit par le Don du Saint Esprit : « Les Églises jouissaient de la paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie; elles s’édifiaient et vivaient dans la crainte du Seigneur, et elles étaient comblées de la consolation du Saint Esprit » (Ac 9,31). Et « l’heureuse espérance » d’un Bonheur éternel est encore un fruit du Saint Esprit : « Que le Dieu de l’espérance vous donne en plénitude dans votre acte de foi la joie et la paix, afin que l’espérance surabonde en vous par la puissance de l’Esprit Saint » (Rm 15,13).

 

Cet homme riche a pour l’instant dit « Non ! » à Jésus qui comprend la difficulté qu’il peut y avoir à se détacher de ses richesses : « Alors Jésus, regardant autour de lui, dit à ses disciples : Comme il sera difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles », car, dans l’Ancien Testament, la richesse est souvent présentée comme étant une bénédiction de Dieu (cf. Abraham, Gn 13,2 ; Isaac, Gn 26,12-14 ; Jacob, Gn 30,43) ! « Mais Jésus reprit et leur dit : Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou de l’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ! » (Mc 10,23-25).

« Ils restèrent interdits à l’excès et se disaient les uns aux autres : Et qui peut être sauvé? Fixant sur eux son regard, Jésus dit : Pour les hommes, impossible, mais non pour Dieu : car tout est possible pour Dieu » (Mc 10,26-27). Il est donc impossible pour un riche de se détacher de ses richesses par lui-même… Il ne pourra le faire qu’avec l’aide, le soutien, le secours, l’attirance de Dieu qui, d’une manière ou d’une autre, au moment voulu, lui fera goûter une joie jusqu’alors inconnue… « Tu mets dans mon cœur plus de joie que toutes leurs vendanges et leurs moissons » (Ps 4,8). Ces dernières apparaîtront alors bien ternes par rapport à cette joie nouvelle, incomparable… Et le détachement sera une évidence, ou du moins plus facile…

Manifestement, l’heure n’était pas encore venue pour cet homme riche… Mais Dieu continuera de le suivre, prêt à s’engouffrer dans son cœur dès que la porte acceptera de s’ouvrir, même timidement, du bout des lèvres… Alors s’accomplira pour lui ce qui est dit du premier enfant de la parabole : « Un homme avait deux enfants. S’adressant au premier, il dit : Mon enfant, va t’en aujourd’hui travailler à la vigne. Je ne veux pas, répondit-il ; ensuite pris de remords, il y alla. S’adressant au second, il dit la même chose ; l’autre répondit : Entendu, Seigneur, et il n’y alla point. Lequel des deux a fait la volonté du père ? – Le premier, disent les Grands Prêtres et les Anciens du Peuple. Jésus leur dit : En vérité je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu » (Mt 21,28-31 et 21,23).

Dieu l’aura suivi, il l’aura cherché « jusqu’à ce qu’il le retrouve » (Lc 15,4-7), et lorsqu’il l’aura retrouvé, c’est lui qui, soutenu, porté par le Don de l’Esprit, se mettra à le suivre en son Royaume de Vie, de Paix et de Joie… C’est ce que firent les disciples à l’appel de Jésus, un appel qui fut pour eux Plénitude de Vie, de Douceur et de Paix, Bonheur indescriptible (Jn 6,68)… Et ils ont tout lâché pour Lui… Un jour, « comme il passait sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient l’épervier dans la mer; car c’étaient des pêcheurs. Et Jésus leur dit : Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. Et aussitôt, laissant les filets, ils le suivirent » (Mc 1,16-18). Jean, lui, a perçu en Jésus « la Lumière de la Vie » (Jn 8,12), et il a lui aussi tout lâché pour elle… « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie ; – car la Vie s’est manifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue – ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. Tout ceci, nous vous l’écrivons pour que notre joie soit complète » (1Jn 1,1-4). Paul a vu sur la route de Damas cette même Lumière, il a vécu cette Plénitude de Vie, et lui aussi a fait comme tous les autres… « Tous ces avantages dont j’étais pourvu, je les ai considérés comme un désavantage, à cause du Christ. Bien plus, désormais je considère tout comme désavantageux à cause de la supériorité de la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. À cause de lui j’ai accepté de tout perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ, et d’être trouvé en lui », uni à Lui dans la communion d’un même Esprit, cet Esprit qui est Plénitude de Vie (Ph 3,7-9)… Désormais, pour lui, « la vie c’est le Christ » (Ph 1,21)…

« Pierre se mit à lui dire : Voici que nous, nous avons tout laissé et nous t’avons suivi ». Faisons bien attention à la réponse de Jésus : « En vérité, je vous le dis, nul n’aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l’Évangile, qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle » (Mc 10,29-30). Dans cette liste qu’il donne des proches de ses disciples, il manque le mot « femme ». Jésus, en effet, a appelé aussi des hommes mariés à le suivre, Pierre le premier (cf. Mc 1,29-31). Et il est bien sûr le premier à « ne pas séparer ce que Dieu a uni » (Mc 10,9). La vocation de l’un sera aussi vocation de l’autre, et ils pourront effectivement, lorsqu’ils seront devenus grands, « laisser » leurs « enfants », qui de toute façon se seraient envolés de leurs propres ailes pour faire leur vie comme nous tous nous l’avons fait… Alors ils vivront, avec une intensité toute particulière, cet envoi « deux par deux » (Lc 10,1) pour témoigner, ensemble, de cet Amour offert à tout homme, quel qu’il soit, un Amour qu’ils ont eux-mêmes reçus, reconnus, un Amour qui est à la source de leur amour et qui ne cessera de se donner à eux pour les soutenir dans leur mission.

Et cet Amour est Miséricorde… « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20). Les grands pécheurs, eux qui sont le plus à même d’être rejetés par ceux qui croient être « des gens biens, respectables », mobilisent toute l’attention du « Père des Miséricordes ». S’ils acceptent de reconnaître humblement leurs misères, ces grands malades recevront les plus grands remèdes. Dans le Royaume des Cieux, « beaucoup de premiers » aux yeux des hommes « seront alors derniers, et les derniers seront les premiers ». Puissions-nous tous être de ceux-là en offrant jour après jour notre péché à « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde »…

                                                                                                                                              D. Jacques Fournier

La petite voie de Ste Thérèse de l’Enfant Jésus

 


20

 

L’unique désir de Thérèse

La science d’Amour, ah oui! cette parole résonne doucement à l’oreille de mon âme, je ne désire que cette science-là. Pour elle, ayant donné toutes mes richesses, j’estime comme l’épouse des sacrés cantiques n’avoir rien donné… Ct 8,7  Je comprends si bien qu’il n’y a que l’amour qui puisse nous rendre agréables au Bon Dieu que cet amour est le seul bien que j’ambitionne.  

 

Définition de la petite voie

Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c’est l’abandon du petit enfant  qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père…

 

La parole de Dieu, fondement de la confiance

« Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi. » a dit l’Esprit Saint par la bouche de Salomon et ce même Esprit d’Amour a dit encore que « La miséricorde est accordée aux petits » (Pr 9,4; Sg 6,7). En son nom, le prophète Isaïe nous révèle qu’au dernier jour « le Seigneur conduira son troupeau dans les pâturages, qu’il rassemblera les petits agneaux et les pressera sur son sein » (Is 40,11) et comme si toutes ces promesses ne suffisaient pas, le même prophète dont le regard inspiré plongeait déjà dans les profondeurs éternelles, s’écrie au nom du Seigneur : « Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous caresserai sur mes genoux » (Is 66,12-13). O Marraine chérie ! après un pareil langage, il n’y a plus qu’à se taire, à pleurer de reconnaissance et d’amour…

 

Souhait pour les âmes faibles et imparfaites

Ah ! si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l’âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la montagne de l’Amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon et la reconnaissance, puisqu’il a dit dans le Psaume 50(49) : « Je n’ai nul besoin des boucs de vos troupeaux, parce que toutes les bêtes des forêts m’appartiennent et les milliers d’animaux qui paissent sur les collines, je connais tous les oiseaux des montagnes… Si j’avais faim, ce n’est pas à vous que je le dirais : car la terre et tout ce qu’elle contient est à moi. Est-ce que je dois manger la chair des taureaux et boire le sang des boucs ?…  

 

La soif d’amour

« IMMOLEZ A DIEU des SACRIFICES de LOUANGES et d’ACTIONS DE GRÂCES » (Ps 50 (49),14). Voilà donc tout ce que Jésus réclame de nous, il n’a point besoin de nos œuvres, mais seulement de notre amour, car ce même Dieu qui déclare n’avoir pas besoin de nous dire s’il a faim, n’a pas craint de mendier un peu d’eau à la Samaritaine. Il avait soif… Mais en disant: « Donne moi à boire » (Jn 4,6-13) c’était l’amour de sa pauvre créature que le Créateur de l’univers réclamait. Il avait soif d’amour… Ah ! je le sens plus que jamais Jésus est altéré, Il ne rencontre que des ingrats et des indifférents parmi les disciples du monde et parmi ses disciples à lui, il trouve, hélas! peu de cœurs qui se livrent à lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse de son Amour infini.

 

                                                                                                            Ste Thérèse de Lisieux, « Histoire d’une Âme ».

Fiche n°18 (Mc 10,1-31) Document PDF pour une éventuelle impression




Mc 9,30-50 : le Christ doux et humble est la Plénitude de la Vie.

La seconde annonce de la Passion (Mc 9,30-32)

 

« Etant partis de là, ils faisaient route à travers la Galilée »… « Le point de départ de Jésus n’est pas précisé. Mais la dernière mention géographique le situait dans l’extrême nord de la Palestine : la région de Césarée de Philippe (8,27). C’est donc dans le sens Nord-Sud que Jésus traverse toute la Galilée avec ses disciples. Il entreprend ici ce que l’on appelle couramment sa « montée à Jérusalem ». Comme Matthieu et Luc, Marc ne connaît qu’un unique voyage de Jésus vers la Judée et la capitale d’Israël (Mc 9,30-11,1).

Césarée de Philippe

« Et il ne voulait pas qu’on le sût »… C’est toujours la loi du « secret messianique ». Les foules galiléennes ont eu de Jésus les paroles et les signes suffisants de sa messianité. Elles ne se sont pas converties. Maintenant, Jésus doit se consacrer tout entier à la formation de ses disciples pour les amener, si possible, à accueillir la perspective d’un Messie rejeté par son Peuple » (Jacques Hervieux, « L’Evangile de Marc » dans « Les Evangiles, textes et commentaires » (Coll. Bayard Compact, Paris, 2001).

 

Et pourtant, Jésus vient d’accomplir un signe étonnant en guérissant un enfant épileptique (Mc 9,14-29), une maladie qui, à l’époque, comme toutes les autres d’ailleurs, était attribuée à l’action du démon. Jésus s’était adapté à ce contexte particulier : « Esprit muet et sourd, je te l’ordonne, sors de lui et n’y rentre plus » (Mc 9,25). En Serviteur du Père, il manifestait une fois de plus la victoire de la Lumière sur les ténèbres, de la Vie sur la mort… « C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors » (Jn 12,31). Notons la forme passive : jeter dehors par qui ? Par Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. Autrement dit, c’est Lui qui remporte la victoire, non pas nous… « Les disciples se disaient les uns aux autres : « Qui donc peut être sauvé ? » Fixant sur eux son regard, Jésus dit : « Pour les hommes, impossible, mais non pour Dieu : car tout est possible pour Dieu » » (Mc 10,26-27). C’est pourquoi « tout est possible à celui qui croit » (Mc 9,23), à celui qui, par sa foi, s’abandonne entre les mains de Dieu pour le laisser faire ce que Lui seul peut faire…. De notre côté, nous n’avons qu’à consentir, en toute liberté, à nous ouvrir à son amour pur qui ne recherche inlassablement que notre bien. Ensuite, nous le laisserons actualiser dans nos cœurs et dans nos vies sa victoire sur le mal, en lui offrant, jour après jour, toutes nos misères, nos ténèbres, nos manques, nos incapacités… « Je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas… Malheureux homme que je suis ! Mais, grâces soient à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 7,14-25) car « dans le Christ, il nous emmène sans cesse dans son triomphe » (2Co 2,14). « Son triomphe », et non pas le nôtre, et ce triomphe est celui de son inépuisable Miséricorde : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20).

prodigue

Cette victoire de l’Amour sur le mal, qui, sous toutes ses formes, blesse, écrase, ligote, fait souffrir (Rm 2,9), fut révélée dans tous les signes accomplis par le Christ. Ici, nous avons un jeune malade, même si cette maladie à l’époque était attribuée au démon. Plus tard, ce sera bien « le diable » qui, au moment de la Passion, tirera les ficelles en tous ceux qui accepteront de lui donner prise : « Le diable avait déjà mis au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer » (Jn 13,2). Et la Bible de Jérusalem de préciser en note : « La Passion est un drame où se trouve engagé le monde invisible : derrière les hommes est à l’œuvre la puissance diabolique »…

Mais Jésus a pris sur lui tout ce qui nous fait souffrir, si nous acceptons bien sûr de tout lui donner… « Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » (Mt 8,17 ; Is 53,4). « C’est pour nous que le Christ a souffert… Par ses blessures, nous sommes guéris… C’étaient nos péchés, avec toutes leurs conséquences, qu’il portait dans son corps, sur le bois, afin que morts à nos péchés nous vivions pour la justice » (1P 2,21-25). Il s’est uni, par amour et dans l’amour, à tout homme qui souffre pour porter avec lui le fardeau de ses peines, quelles qu’elles soient, fussent-elles les conséquences de ses péchés… Et il l’a fait pour que le mal n’ait pas le dernier mot, pour qu’il ne nous écrase pas et que nous puissions finalement en sortir victorieux, avec Lui et grâce à Lui… « Venez à moi vous tous qui peinez et ployez sous le poids du fardeau et vous trouverez le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car mon joug est facile à porter et mon fardeau léger » (Mt 11,28-30). Notre « fardeau », c’est tout ce qui nous tend à nous écraser, à nous plonger dans la souffrance, misères et faiblesses comprises… Dès que nous acceptons de l’offrir au Christ, il devient, par amour, le fardeau du Christ, porté par le Christ, dans la Toute Puissance de l’Esprit. Il est toujours là, mais avec lui et grâce à Lui, il devient « léger » et « facile à porter »…

Jesus_frappe_a_la_porteTel est l’Amour de Celui qui, inlassablement, ne recherche que notre bien… Dans la communion d’un même Esprit, le Christ ne fait alors plus qu’un avec tous ceux et celles, quels qu’ils soient, fussent-ils les plus grands pécheurs, qui auront accepté de se tourner vers Lui de tout cœur et de l’accueillir au plus profond de leur être. « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui », en son cœur, par l’Esprit, et, « uni » à moi « en un seul Esprit » (1Co 6,17), dans « l’unité de l’Esprit » (Ep 4,3), je serai « moi près de lui et lui près de moi » (Ap 3,20).

Par amour, le Christ désire donc s’unir à tous les hommes, et tout spécialement à ceux et celles qui ont le plus besoin de lui, ceux qui souffrent, qui sont rejetés, écrasés, abandonnés… S’ils acceptent cette Présence Bienveillante qui vient, pour eux, frapper à la porte de leur cœur, ils ne feront plus « qu’un » avec le Christ (Jn 17,20-23 ; 11,51-52). La souffrance de l’homme devient la souffrance du Christ pour que la Vie, la Joie et la Paix du Christ deviennent la Vie, la Joie et la Paix de l’homme… En ce sens, le visage de tout homme souffrant devient celui du Christ… L’homme qui souffre, c’est le Christ…

Les multiples parallèles entre Jésus et cet enfant épileptique en Mc 9 sont d’ailleurs étonnants…

  • « Esprit muet et sourd, je te l’ordonne, sors de lui et n’y rentre plus » (Mc 9,25). Il parle d’autorité (Mc 1,22 ; 1,27-28 ; 11,29 ; 11,33), en envoyé du Père, accomplissant en son Nom ce que le Père lui a demandé de faire. Et c’est le Père qui, avec et par Jésus, son Serviteur (Ac 3,13 ; 3,26 ; 4,27), va accomplir ses œuvres (Jn 10,32 ; 10,37-38 ; 14,10-11). La Parole donnée par Jésus ne fait alors que révéler l’action invisible mais souveraine du Père qui agit par « l’Esprit Saint, Puissance du Très Haut » (Lc 1,35 ; 4,14 ; Ac 10,38 ; Rm 1,4 ; 1Co 2,4 ; Ep 3,16 ; 1Th 1,5). C’est ainsi que St Paul appelle la Parole de Dieu, ce « glaive de l’Esprit » (Ep 6,17) qui remporte la victoire dans le combat contre les ténèbres, car Dieu accomplit très concrètement par l’Esprit ce qu’il dit par sa Parole. Et sur la croix, c’est « la Parole faite chair » (Jn 1,14) qui s’offrira pour cette victoire promise. « Jésus dit : « Tout est accompli» (Jn 19,30). En cet instant, cette Parole de Jésus prend tout son sens : « C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant, le Prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,31-32) pour qu’ils passent avec moi et grâce à moi « des ténèbres à la lumière et de l’empire de Satan à Dieu » (Ac 26,17‑18). Et « il remit l’esprit », poursuit St Jean (Jn 19,30). « Comme cette expression pour évoquer la mort est unique, certains pensent ici au don de l’Esprit » (M. Zerwick). Et de fait, puisque le grec ancien n’avait ni ponctuation ni majuscules, on pourrait traduire : « Il remit l’Esprit ». Notons aussi les nuances du verbe ‘paradidômi’ employé ici : « transmettre ; remettre (de la main à la main, par succession ; livrer à la postérité) ; confier. » Elles rejoignent tout à fait le sens de la mort du Christ sur la Croix : il a donné sa vie pour que nous ayons part à sa Vie, cette Vie qu’il reçoit du Père « avant tous les siècles » par le Don de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). « Il remet ainsi son esprit » entre les mains du Père en lui disant : « Tout est accompli ». Et sa mission était justement de nous « transmettre l’Esprit » par lequel le Père l’engendre en Fils, et par lequel nous sommes également tous appelés à devenir des fils « à l’image du Fils » (Rm 8,29). Cet « Esprit de Force et d’Amour » (2Tm 1,7) l’a soutenu pendant les souffrances de sa Passion, lui donnant de pouvoir porter sa croix en répondant à la haine, à la méchanceté, à la cruauté et à la violence par l’amour, et par l’amour uniquement… Il révélait ainsi l’Amour inconditionnel que Dieu porte à tous les hommes ses enfants, quel que soit le mal qu’ils ont pu faire… « Père, pardonne leur » (Lc 24,34) … « Le Seigneur Dieu est un Soleil, il donne la grâce, il donne la gloire… Il fait lever son Soleil sur les méchants et sur les bons » (Ps 84(83),12 ; Mt 5,45). Et bien sûr cette Lumière de l’Esprit qui brille sur les méchants sera tout à la fois Vérité, Tendresse et appel au repentir… Et elle sera pour tous ceux et celles qui souffrent cette « Force » qui viendra porter leur fardeau avec eux pour les libérer, par sa seule Présence, de tout ce qui pourrait les écraser…

 

  • « Après avoir crié et l’avoir violemment secoué, (l’esprit muet et sourd) sortit, et l’enfant devint comme mort, si bien que la plupart disaient : « Il a trépassé ! » » (Mc 9,26). Voilà ce que Marc écrit de l’enfant… Plus tard, il écrira ceci pour Jésus : « A la neuvième heure Jésus clama en un grand cri : « Élôï, Élôï , lema sabachthani », ce qui se traduit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »… Et Jésus, jetant un grand cri, expira » (Mc 15,34‑37).

 

  • « Jésus, prenant l’enfant par la main, le releva et il se tint debout » (Mc 9,27). Et Marc emploie ici, avec les verbes « relever, égéirô » et « se tenir debout, anistémi », les termes mêmes qu’il emploiera pour évoquer la résurrection du Christ : « Ne vous effrayez pas », dit l’ange aux femmes venues au tombeau pour s’occuper du corps de Jésus. « C’est Jésus le Nazarénien que vous cherchez, le Crucifié : il est ressuscité (égéirô), il n’est pas ici. Voici le lieu où on l’avait mis » (Mc 16,6 ; cf. 16,14)… Et à Jérusalem, dans la Basilique du Saint Sépulcre, au lieu qui évoque l’endroit où le Christ était étendu, il est écrit sur un tissu de couleur bleue : « Kristos anêsté », du verbe ‘anistémi’ : « Christ est Ressuscité »…

 Jésus Bon Pasteur

Jésus Bon Pasteur (peinture murale du 3ème s., catacombe de St Calliste à Rome)

Ce parallèle entre le Christ et cet enfant guéri est donc révélateur de toute la mission du Fils de l’Homme : cet enfant souffrant, jeté à terre, blessé, c’est Lui dans la mesure où il a voulu, par amour, être solidaire de toute l’humanité souffrante. Il a même voulu aller plus loin : vivre en son cœur les conséquences les plus graves du péché, Lui, le Fils, comblé de Lumière et de Vie par le Père de toute éternité. Il a ainsi expérimenté les ténèbres, l’aveuglement du péché qui peut faire croire au pécheur, dans sa nuit, que Dieu est lointain, absent, inexistant, alors qu’il n’a jamais cessé d’être tout proche… Le soleil n’existe pas, il ne brille pas, pourrait dire un aveugle qui ne se fierait qu’à sa seule expérience, alors qu’au moment où il parle, il est en plein soleil ! Jésus, « l’agneau sans reproche et sans tache » (1P 1,19), « lui qui n’a jamais commis de faute » (1P 2,22), s’unira, par amour, aux ténèbres des pécheurs et il dira sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Ps 22(21)). « Celui qui n’avait pas connu le péché », celui qui n’avait jamais fait l’expérience du péché, « Dieu l’a fait péché pour nous », il l’a comme « identifié » (TOB) à toutes les conséquences de nos péchés, « pour qu’en lui nous devenions justice de Dieu » (2Co 5,21), des femmes et des hommes ajustés au projet de Dieu qui nous a tous créés pour que nous participions à la Plénitude de sa Vie. « Souffrance et angoisse à toute âme humaine qui s’adonne au mal… Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien » (Rm 2,9-10). Christ a ainsi vécu nos souffrances, nos angoisses (Mc 14,33), nos douleurs et notre mort, pour que nous puissions tous être remplis par cette Plénitude de Vie qu’il reçoit du Père de toute éternité… Désormais, tout homme souffrant, par amour et dans l’amour, c’est Lui… « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,31‑46).

Dans cette seconde annonce de la Passion (Mc 9,30-32), remarquons enfin que le premier verbe est au présent : « Le Fils de l’homme est livré », c’est fait… St Marc emploie ici le même verbe que St Jean en Jn 19,30, ‘paradidômi’ : « transmettre ; remettre (de la main à la main, par succession ; livrer à la postérité) ; confier. » « Le Fils de l’homme », vrai homme et vrai Dieu, est tout entier « livré, remis, confié » entre les mains des hommes, pour leur vie… Il révèle ainsi dans son humanité un mouvement qui existe en Dieu depuis le commencement du monde… Et c’est ainsi que Jésus est né à Bethléem, « la Maison du Pain » en hébreu, dans une mangeoire, déjà offert, déjà livré aux hommes pour leur salut… « Je Suis le Pain de Vie », dira-t-il plus tard en reprenant le Nom divin « Je Suis » (Jn 6,35 ; 6,48) : avec Lui, Dieu est tout entier donné à tous les hommes, quels qu’ils soient, pour que nous ayons tous « la vie en abondance » (Jn 10,10).

 

Qui est le plus grand (Mc 9,33-37)

 

Après avoir marché, Jésus et ses disciples se retrouvent à « Capharnaüm », dans « la maison » de Pierre (Mc 2,1 ; 9,33), une maison que des fouilles archéologiques ont permis de retrouver… Jésus les interroge : « De quoi discutiez-vous en chemin ? Ils se taisaient, car sur la route, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand »… Leurs intentions ne sont pas encore clairement exprimées, mais ils ne répondent pas à la demande de Jésus car ils ont honte… « Ils n’osent dire qu’ils briguent les honneurs alors que Jésus marche vers un avenir d’humilité. Le contraste est flagrant » (Jacques Hervieux). Plus tard, Jacques et Jean demanderont explicitement à Jésus de pouvoir siéger à ses côtés, aux places d’honneur, « dans sa gloire » (Mc 10,35-37)… Dans leur bouche, le mot « gloire » renvoie non pas à la gloire de Dieu mais à la gloire humaine, synonyme de prestige, d’ambition, de carriérisme… « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique », disait Jésus à ses adversaires (Jn 5,44), un reproche qui concerne aussi les disciples… Nous sommes au cœur de ce que nous appelons « le péché »… « Préserve ton serviteur de l’orgueil, qu’il n’ait sur moi nul empire ! Alors je serai irréprochable et pur du grand péché » dit le Psalmiste dans sa prière (Ps 19,14). Il est conscient de ce danger qui menace tout homme, lui le premier… Et il se place ici face à Dieu non pas dans l’attitude de celui qui domine, qui commande, donne des ordres, en impose, mais dans celle du « serviteur » qui n’a qu’un seul désir : accomplir le plus fidèlement possible tout ce que pourra lui demander son Maître…

Jésus serviteur

Telle est l’attitude de cœur de Jésus, le Serviteur du Père : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 4,33). Or « la volonté de celui qui m’a envoyé est que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné » (Jn 6,39), et le Père a donné à son Fils le monde à sauver (Jn 3,16-17). Autrement dit, Jésus apparaît non pas centré sur lui-même, se recherchant lui-même, mais tout entier « tourné vers le Père » (Jn 1,18) pour faire « non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi tu veux », dira-t-il à son Père au moment où cette obéissance sera pour lui humainement difficile (Mc 14,36)… Et puisque « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4), Jésus, tourné de cœur vers le Père pour accomplir sa volonté, sera au même moment entièrement tourné de cœur vers tous les hommes dans la seule recherche de leur vrai bien. Pour lui, être centré sur le Père en Serviteur du Père, c’est donc être centré sur les hommes en Serviteur des hommes. Il n’existe en Jésus aucune trace de recherche de soi, et donc de recherche de gloire humaine… Il n’est pas du tout préoccupé par lui-même ; il s’est entièrement abandonné entre les mains du Père, il a confiance en son Amour, il sait que le Père, de son côté, est totalement centré sur Lui dans la recherche de son seul bien, jusques dans les moindres petits détails de sa vie… Et il aimerait que ses disciples, appelés, comme tous les hommes, à être des fils à l’image du Fils (Rm 8,28-30), aient cette même attitude de cœur en prenant conscience de cet amour du Père à leur égard (cf. Lc 12,22-32), un amour qui se manifeste dans la vie du Fils, avec le Fils et par lui… Et cela fait tant d’années qu’ils marchent à ses côtés…

Tous ces termes « serviteur », « obéissance », « faire la volonté du Père », ne sont donc pas à comprendre dans un contexte de domination d’un côté, et de servilité de l’autre. Il suffit de regarder le comportement de certains « serviteurs » pour deviner la tyrannie que leur maître exerce sur eux… Non, en Dieu tout est vécu dans l’amour de l’Autre et par amour pour l’Autre. « Le Père aime le Fils », dit Jésus, et il en est conscient… Il suffit, pour Lui, de revenir aux racines de son Être, pour retrouver, en Fleuves de Vie et de Paix, le Don du Père à son égard… « Le Père aime le Fils, et il a tout donné en ses mains » (Jn 3,35), jusqu’à son Être même, « l’insondable richesse » (Ep 3,8) de « la Plénitude de la Divinité » (Col 2,9), une Plénitude d’Esprit (Jn 4,24), d’Amour (1Jn 4,8.16), de Vie (Jn 5,26 ; 6,57), de Lumière (1Jn 1,5 ; Jn 1,4 ; 8,12 ; 12,46), de Paix (Jn 14,27), de Douceur (Mt 11,29) et de Joie (Jn 15,11). Jésus est aimé du Père qui est à la Source de sa Vie (Jn 6,57) et qui veille sur lui, le garde, s’occupe de lui jusques dans les moindres petits détails, l’écoute (Jn 11,41-42)… Si le Père lui demande quelque chose, c’est pour son bien et celui de tous ceux et celles qui l’entourent… Jésus le sait… Lui obéir sera synonyme de « recevoir » et débouchera sur l’action de grâces d’un cœur comblé : « Jésus tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint » qui vient du Père et ne cesse de jaillir en Fleuves au plus profond de son Être « et il dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents », à ceux qui sont centrés sur eux‑mêmes et se croient quelque chose par eux-mêmes, « et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Lc 10,21-22). Et ces « tout-petits », ce sont en ces lignes ses disciples, non pas arrivés à la perfection de l’humilité du Christ, mais en marche vers elle… Au moins, en le suivant, ils sont sur le bon chemin, ce qui ne veut pas dire, et on vient de le voir, qu’ils sont arrivés au but ! Loin de là !

« Servir le Père », « obéir au Père », « accomplir la volonté du Père », c’est donc pour Jésus répondre par l’amour à ce Père qui l’aime et ne cesse de le combler… « Tout par amour, rien par force » disait St François de Sales. « Il faut que le monde reconnaisse que j’aime le Père et que je fais comme le Père m’a commandé » (Jn 14,31). Et tout ce qui est fait par amour est « léger et facile à porter » (Mt 11,28-30), car il est porté par l’Amour même… Si le Père demande au Fils d’accomplir une œuvre, il le comblera de « l’Esprit de Force et d’amour » (2Tm 1,7) pour lui permettre de la réaliser effectivement, et c’est « porté » par cette grâce, toujours synonyme de Plénitude et de Paix, que le Fils accomplira cette œuvre, non sans fatigues ! Lorsque Jésus invite ses disciples à se charger de « son joug », il ne fait que les inviter à vivre avec Lui ce qu’il vit avec le Père. Porté par le Père, le Fils accomplit les œuvres du Père… Portés par le Fils, ses disciples accompliront les œuvres du Fils… Et ce sera toute l’histoire de l’Eglise… « Comme le Père m’a aimé », et s’est donné au Fils en le portant, en le comblant, en lui donnant la force d’accomplir ses œuvres, en le consolant parfois (Lc 22,43), « moi aussi je vous ai aimés » en me donnant à vous tout entier par le Don de l’Esprit d’Amour, de Force, de Lumière et de Paix… « Demeurez en mon amour », veillez à vous laisser combler par l’Esprit car « hors de moi » et du Don que je ne cesse de vous transmettre au Nom du Père, « vous ne pouvez rien faire », comme moi « je ne peux rien faire par moi-même », sans le Don qui vient du Père (Jn 15,1-11 ; 5,19).

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Christ souriant

(12°s; bois de noyer)

Le château de Javier se trouve en Espagne, dans la province de Navarre à 52 km à l’est de Pampelune. Il est passé dans l’histoire parce que c’est le lieu de naissance,  le 7 avril 1506, de Saint François-Xavier disciple de Saint Ignace de Loyola.

Toute l’œuvre de Jésus aura été de témoigner auprès des hommes de sa vie de Fils, aimé par le Père, répondant à l’amour par l’amour en se mettant au service de ce Père qui ne cesse de rechercher le meilleur pour tous… Serviteur du Père, il se fera ainsi le serviteur de tous les hommes, qui, eux aussi, sont des fils (Jn 1,12), et donc ses frères. « Va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20,17), dit-il, ressuscité, à Marie Madeleine…

Hélas, l’homme méconnaît souvent la grandeur de sa vocation… Le péché, en le centrant sur lui-même, a obscurci son regard : il ne sait plus « qui » est Dieu, il ne sait plus « qui » il est. Et Jésus, patiemment, formera ses disciples pour qu’ils puissent vivre eux aussi ce qu’il vit dans sa relation à son Père, et pour qu’ils puissent se comporter en fils, répondant à l’amour par l’amour, dans l’obéissance confiante et le service… Alors, pour ceux qui, dans leur orgueil, cherchent avec la première place les honneurs, le prestige et la gloire humaine, il s’agira petit à petit de ne plus adhérer à cette quête égoïste de soi pour choisir de plus en plus l’humilité, la discrétion, la simplicité de l’amour… Pour l’orgueilleux, s’asseoir à la dernière place sera vécu comme une humiliation. Pour un fils, choisir la place que Dieu lui donne, loin des honneurs de ce monde, sera ce trésor que les mots ne peuvent exprimer, un trésor de Vie, de Paix et de Joie profonde (Voir en fin de fiche le témoignage de Ste Thérèse de Lisieux)…

Pour leur apprendre ainsi à se comporter en fils, pour leur plus grand bonheur, Jésus va prendre l’exemple d’un petit enfant. « La société antique ne portait pas de sollicitude particulière à l’égard des enfants. Au contraire, loin d’être traités par les adultes comme de grandes personnes en herbe, on les tenait pour des êtres insignifiants. Ne sont-ils pas incapables de parler, de raisonner vraiment ? L’habitude voulait même qu’on les rejette, les exclue de la communauté religieuse à cause de leur ignorance de la Loi » (Jacques Hervieux). Une telle attitude peut nous sembler dure aujourd’hui, et elle l’est… On imagine le mépris et la rudesse de relations qui nous apparaissent comme inhumaines… La réaction de Jésus sera immédiate. « On lui présentait des petits enfants pour qu’il les touchât, mais les disciples les rabrouèrent. Ce que voyant, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les petits enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n’y entrera pas ». Puis il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains » (Mc 10,13-16).

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Ici, « prenant un petit enfant, il le plaça au milieu d’eux » pour le leur donner en exemple ! Dans la folie et l’illusion de leur orgueil, ses disciples se disputent pour savoir « qui est le plus grand » ? Il prend « un petit enfant » pour leur apprendre à revenir à ce qu’ils sont vraiment aux yeux de leur Père : des « petits enfants » (1Jn 2,1.12.14.18.28 ; 3,7.18 ; 4,4 ; 5,21). Aussi, loin de le mépriser, loin de le rejeter, Jésus va « l’embrasser », comme ce Père qui, voyant son fils prodigue revenir à lui, « courut se jeter à son cou et l’embrassa tendrement » (Lc 15,20)… Telles sont les mœurs divines, mœurs de tendresse et d’amour… « J’enlèverai de votre chair votre cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon Esprit en vous, et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes » (Ez 36,26-27). C’est ce que Jésus se propose de faire avec ses disciples, et il est, dans ses gestes, son comportement, ses attitudes, le plus bel exemple d’accomplissement de ce projet de Dieu sur l’homme…

« Quiconque accueille un petit enfant comme celui-ci à cause de mon nom » aura donc écouté le Christ et choisi d’obéir non pas aux coutumes inhumaines du temps, mais à sa Parole. Il lui aura ouvert son cœur, et puisque le Christ lui demande d’ouvrir également son cœur à ce petit enfant, nous constatons « qu’ouvrir son cœur au Christ » c’est « ouvrir son cœur à ce frère que le Christ nous invite à aimer, quel qu’il soit, fut-il le plus méprisé de ce monde »… Ces deux commandements en sont un seul… Nous retrouvons le grand principe du Christ tel qu’il est exposé en St Matthieu : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit : voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22,37-39). « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu » et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas » (1Jn 4,20).

« Et quiconque m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé » car « ce que je dis, tel que le Père me l’a dit, je le dis » (Jn 12,50). Le principe ici est le même que précédemment : qui ouvre vraiment son cœur au Christ ne peut, au même moment, que l’ouvrir au Père qui est toujours avec le Fils, uni à lui dans la communion d’un même Esprit (Jn 8,29 ; 10,30). C’est pour cela que le Christ mets ses adversaires en face de leurs responsabilités lorsqu’ils disent croire en Moïse et ne pas croire en lui. En effet, Moïse n’a fait que transmettre la Parole de Dieu, et notamment les Dix Paroles (Ex 19-20), et Jésus est « la Parole de Dieu faire chair » (Jn 1,14), car tout ce qu’il dit vient du Père : « Je vous connais: vous n’avez pas en vous l’amour de Dieu ; je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’accueillez pas ; qu’un autre vienne en son propre nom, celui-là, vous l’accueillerez. Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique. Ne pensez pas que je vous accuserai auprès du Père. Votre accusateur, c’est Moïse, en qui vous avez mis votre espoir. Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit » (Jn 5,41-47). Et lorsqu’ils déclarent avoir Abraham pour père alors qu’ils cherchent au même moment à le tuer, ce n’est pas possible. Qui reconnaît vraiment en Abraham un envoyé de Dieu (Gn 12,1-4) ne peut au même moment que reconnaître en Jésus Christ « l’Envoyé de Dieu » par excellence (Jn 3,34 ; 4,34 ; 5,24.30 ; 6,29.38-39…), le Fils envoyé par le Père (Jn 3,17 ; 5,23.36-38 ; 6,44…), Dieu Lui‑même comme le Père est Dieu (Jn 1,1) ! « Ils disaient : « Notre père, c’est Abraham. » Jésus leur dit : « Si vous étiez enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham. Or maintenant vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité, que j’ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l’a pas fait ! » (Jn 8,39-40). Et ce qui est vrai pour quiconque se réclame d’Abraham devrait l’être plus encore pour celui qui appelle Dieu « son Père » ! « Ils lui dirent : « Nous n’avons qu’un seul Père : Dieu. » Jésus leur dit : « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne viens pas de moi-même ; mais lui m’a envoyé » (Jn 8,41-42)…

Ainsi, accueillir « un petit enfant », un méprisé, au Nom de Jésus, c’est accueillir Jésus Lui-même en acceptant de recevoir sa Parole en son cœur et de répondre à l’appel qu’il nous adresse avec elle. Et c’est au même moment accueillir aussi le Père, qui est toujours avec le Fils et qui nous adresse la Parole avec et par son Fils… De plus, nous l’avons vu, Dieu donne toujours la grâce nécessaire qui nous permettra de répondre à l’appel qu’il nous lance. Sa Parole est révélation indirecte de la grâce qui nous est donnée pour pouvoir effectivement la mettre en pratique. Cette grâce est une des facettes de l’insondable richesse de l’Esprit. En effet, l’Esprit Saint se joint toujours à la Parole pour nous aider à l’accueillir en toute confiance, à la comprendre et à la mettre en pratique : « Celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34). Accueillir la Parole, c’est donc avec elle accueillir l’Esprit qui nous introduit toujours plus intensément dans un Mystère de Communion et de Vie avec Dieu que les Evangiles appellent souvent « le Royaume de Dieu ». Accueillir un petit enfant au Nom de Jésus, c’est donc « accueillir le Royaume de Dieu en petit enfant » bien-aimé du Père (Mc 10,14-15). En effet, c’est « là », dans ce Royaume, dans cette Communion, que notre vocation s’accomplit vraiment par l’accueil de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), nous transmet la Vie du Père et nous donne de devenir petit à petit ce que nous sommes déjà aux yeux de notre Père : des enfants de Dieu appelés à vivre de la Plénitude de sa Vie (Jn 1,12). Et dans ce Mystère de Communion, le Dieu Père peut vraiment veiller sur ses enfants, agir pour eux, s’occuper d’eux, leur donner « le pain de chaque jour » dont ils ont besoin (Lc 12,22-32), les protéger du mal (Jn 17,15)…

Usage du nom de Jésus (Mc 9,38-41)

 

Les disciples sont prêts à empêcher quelqu’un d’expulser les démons au nom de Jésus pour la seule raison qu’il ne fait pas partie de leur groupe. « Il ne nous suit pas » disent-ils par deux fois… L’expression est ambiguë… Il s’agit en effet de suivre Jésus et non pas de suivre les disciples… « Il ne te suit pas » aurait été plus juste… Avec ce « nous » qui les associe à Jésus ils s’arrogent un pouvoir, une autorité, qui les met au dessus des autres en donneurs d’ordres… Et pourtant, si quelqu’un utilise le nom de Jésus, c’est bien à Jésus en premier de dire ce qu’il faut faire ! Ici, leur réaction précède la sienne ! « Nous voulions l’empêcher »… De leur côté, la décision est déjà prise… Jésus n’a plus qu’à acquiescer… Mais, alors, qui suit qui, qui obéit à qui ?

Nous nous retrouvons donc dans le même cas de figure que précédemment. Ces disciples qui « avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand » sont toujours dans cette logique du pouvoir et de la domination… Ils sont avec Jésus depuis longtemps, ils ont une certaine « ancienneté », ils le connaissent bien, ils savent qui il est, ou du moins le croient-ils (cf. Jn 14,9), ce qui leur donne à leurs yeux un certain pouvoir sur un nouveau venu, quelqu’un qui n’appartient pas au groupe et qui se permet d’expulser les démons au nom de Jésus ! Pour un peu, ce « jeunot » prendrait leur place ou du moins se mettrait à une place d’honneur qui leur revient de droit ! Non, les gens doivent d’abord se tourner vers eux, « les anciens », avant d’aller vers le premier venu qui n’a pas d’expérience et qui n’y connaît rien ! Eux ils savent ! Et voilà que les disciples se comportent ici comme des Pharisiens (cf. Jn 8,52 ; 9,24.29.40-41). Jésus les avait pourtant mis en garde : « Ouvrez l’œil et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode » (Mc 8,15). Et nous constatons à quel point la jalousie va toujours de pair avec l’orgueil : si quelqu’un veut être à une place d’honneur, il grincera des dents contre quiconque y serait déjà ou tenterait d’y parvenir… C’est ce que les disciples font ici vis-à-vis de ce nouveau venu, c’est ce que les scribes et les Pharisiens feront devant le succès de Jésus : « Vous voyez que vous ne gagnez rien ; voilà le monde parti après lui ! », (Jn 12,19) et non pas après eux ! La logique du pouvoir et de la domination, qui est celle de l’orgueil engendrant la jalousie, est bien celle de l’égoïsme : « Vous ne gagnez rien », pour vous et pour vous seul, sans chercher à reconnaître le bien accompli par l’autre dans le cœur et la vie de tous les autres. Le culte du moi ne peut que pousser à regarder l’autre comme un rival potentiel qu’il faudra éliminer, d’une manière ou d’une autre, pour garder sa place et ses privilèges… Les disciples cherchent à « empêcher » ici le nouveau venu d’agir « au nom » de Jésus, et pourtant, il expulse bien les démons ! Les scribes et les Pharisiens décideront d’empêcher Jésus d’accomplir tous ces signes et pourtant, ils les reconnaissent comme étant bien des signes ! « Les grands prêtres et les Pharisiens réunirent alors un conseil : Que faisons-nous ? disaient-ils, cet homme fait beaucoup de signes… Ce jour-là, ils décidèrent de le tuer » (Jn 11,47-54). « Se convertir », c’est donc passer du « moi » au « toi », et ce principe est valable aussi bien vis-à-vis de Jésus que vis‑à‑vis de tous ceux et celles qui nous entourent…

 

La situation des disciples ne manque pas d’humour : ils sont jaloux de ce nouveau venu qui « expulse les démons » et pourrait recevoir de la foule plus d’honneur qu’eux ? Mais tout récemment, un père est venu leur présenter son fils « qui avait un esprit muet » en leur demandant « de l’expulser », mais « ils n’en ont pas été capables » (Mc 9,18) ! Ne peuvent-ils donc pas reconnaître cela ? Aveuglement de l’orgueil, vis-à-vis de ce nouveau venu qui semble bien en avance sur eux, ce qui ne peut qu’accroître leur jalousie…

 

« Ne l’empêchez pas », dit Jésus, et il va leur donner un critère de discernement, celui des actes. Il est identique à ce que Livre du Deutéronome propose pour les prophètes. L’auteur envisage le cas où « un prophète aurait l’audace de dire au nom du Seigneur une parole qu’il n’aurait pas ordonné de dire »… « Peut-être vas-tu dire en ton cœur : Comment saurons-nous que cette parole, le Seigneur ne l’a pas dite ? Si ce prophète a parlé au nom du Seigneur et que sa parole reste sans effet et ne s’accomplit pas, alors le Seigneur n’a pas dit cette parole-là. Le prophète a parlé avec présomption. Tu n’as pas à le craindre » (Dt 18,20-22). Ici, cet homme « expulse les démons au nom de Jésus », ce qui, dans le contexte de l’époque, revient à accomplir non seulement des exorcismes mais encore des guérisons immédiatement vérifiables, comme celles de Jésus : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent » (Lc 7,22). Autrement dit, les actes sont là et ils authentifient la parole donnée « au nom de Jésus », car Dieu fait toujours ce qu’il dit… Et c’est bien Dieu qui agit et non pas l’homme… Déjà, dans le ministère de Jésus, c’est le Père qui agissait et non Jésus, et ce dernier, en vrai prophète (et il est bien plus qu’un prophète (cf. Mt 12,41) !) donnait une Parole qui vient effectivement de Dieu puisque les actes, les miracles, les guérisons survenaient bien selon la Parole donnée… Et Jésus pouvait dire à ceux qui refusaient de croire en lui : « A celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde vous dites : Tu blasphèmes, parce que j’ai dit : Je suis Fils de Dieu ! Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ; mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres, afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père » (Jn 10,36-38). Et à Philippe, il disait : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même : mais le Père demeurant en moi fait ses œuvres. Croyez-m’en ! Je suis dans le Père et le Père est en moi. Croyez du moins à cause des œuvres mêmes » (Jn 14,10-11). « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui même, qu’il ne le voie faire au Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5,19-20). Si donc le Fils, « le Saint, le Juste » (Ac 3,14) ne peut rien faire de lui-même, combien plus ce principe est-il vrai pour un homme pécheur rempli de faiblesses ! Ainsi en est-il du disciple : Jésus ne peut rien sans son Père ? Le disciple ne peut rien sans Jésus ! Dans la vie de Jésus, c’est le Père qui agit ? Dans la vie du disciple de Jésus, c’est Jésus qui agit (Rm 15,18) ! Jésus est le Serviteur du Père (Ac 3,13.26 ; 4,27.30) ? Le disciple est le serviteur de Jésus (Rm 1,1 ; 1Co 3,5-9 ; Ga 1,10 ; Col 4,12 ; 1Tm 4,6 ; 2Tm 2,24) ! « Je Suis la vigne », disait Jésus à ses disciples, « et vous, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5). Ce nouveau venu expulse les démons au nom de Jésus, et cela arrive effectivement ? C’est Jésus en fait qui agit, et la Parole qu’il prononce vient bien de Jésus… Extérieurement, de corps, il n’est pas dans le groupe de Jésus, il ne le suit pas comme les disciples le suivent ? Intérieurement, de cœur, par sa loyauté, par sa droiture et sa bonne volonté, il est uni à Jésus dans la communion d’un même Esprit (1Co 6,17): par l’Esprit, Jésus est en lui, il l’inspire, lui suggère la Parole à dire, lui révèle l’action que Dieu veut accomplir… « Et tout ce que veut le Seigneur, il le fait, au ciel et sur la terre, dans les mers et jusqu’au fond des abîmes » (Ps 135(134),6). Et il le fait par la Puissance de l’Esprit… Rejeter cet homme reviendrait donc à rejeter Jésus… « Qui vous écoute m’écoute, qui vous rejette me rejette, et qui me rejette rejette Celui qui m’a envoyé » (Lc 10,16), car « moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30), unis l’un à l’autre dans « la communion du Saint Esprit » (2Co 13,13). Et c’est cette même communion qui unit à Jésus ce nouveau venu qui expulse les démons au nom de Jésus… Voilà pourquoi « celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ».

 

Et Jésus conclue : « Qui n’est pas contre nous est pour nous » (Mc 9,40). Les disciples avaient employé le « nous » pour affirmer leur compagnonnage de longue date avec Jésus, ce qui à leurs yeux les mettait « au dessus » des autres, dans une situation d’orgueilleuse domination ? Jésus reprend ce « nous », mais loin de se mettre au-dessus de ses disciples, en chef autoritaire, il partage avec eux son ministère et les associe à son œuvre (cf. Jn 3,11). Il manifeste ainsi son désir de mettre en place une équipe, l’Eglise, où chacun est invité à « se revêtir de sentiments de tendre compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience » (Col 3,12 ; 1P 3,8 ; 5,5 ; Ph 2,3). Et il donne l’exemple, Lui qui, « doux et humble de cœur » (Mt 11,29), « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10,45). Il prendra alors « la dernière place » (Lc 14,7-11) en mourant au milieu des outrages (Mc 15,32) sur une croix « dont il méprisa l’infamie » (Hb 12,2). En effet, « la croix était un supplice romain, réservé pour les esclaves et pour les cas où l’on voulait ajouter à la mort l’aggravation de l’ignominie. En l’appliquant à Jésus, on le traitait comme les voleurs de grand chemin, les brigands, les bandits, ou comme ces ennemis de bas étage auxquels les Romains n’accordaient pas les honneurs de la mort par le glaive » (Ernest Renan).

Soulignons aussi l’ouverture de Jésus lorsqu’il déclare « qui n’est pas contre nous est pour nous. » ! Quelle révélation indirecte de la Présence de Dieu au cœur de tout homme de bonne volonté… « Le Seigneur Dieu est un Soleil, il donne la grâce, il donne la gloire » (Ps 84(83),12). « En Lui était la vie et la Vie était la lumière des hommes… Le Verbe était la lumière véritable qui éclaire tout homme » (Jn 1,4.9). Tout homme, quel qu’il soit, où qu’il soit, est donc « dans »  la Lumière de ce « Dieu » qui « est Lumière » (1Jn 1,5) et dont « la Gloire remplit toute la terre » (Nb 14,21). Aussi, « la lumière se lève pour le juste, et pour l’homme au cœur droit, la joie » (Ps 97(96),11). « La vérité illumine tous les hommes » déclare le Concile Vatican II (Nostra Aetate &2). Tout homme de bonne volonté, droit, juste, sincère sera donc habité par cette Lumière qui, d’une manière ou d’une autre, produira ses fruits… Et le cœur loyal qui lui est ouvert ne pourra que reconnaître la Présence de cette même Lumière, de cette même Vérité, avec une intensité inégalée, dans le Christ « Lumière du monde » (Jn 8,12), « Chemin, Vérité et Vie » (Jn 14,6), vrai homme et vrai Dieu (Jn 1,1 ; 8,58 ; 20,28 ; Ph 2,6). Il est donc la Révélation parfaite de Dieu dans notre condition humaine (Jn 1,18 ; 14,9 ; 1Jn 1,1-4) et l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes (1Tm 2,5)… « Nul ne vient au Père que par moi » (Jn 14,6). C’est ce que vit tout homme droit, même s’il n’a pas encore reconnu explicitement le Christ comme Plénitude de Lumière et de Vérité. Cela se fera au moment de l’ultime et éternelle rencontre… « Nul ne vient au Père que par moi » (Jn 14,6). C’est ce que vit et reconnaît tout homme droit qui a la possibilité de découvrir le Christ par les Ecritures, la proclamation de l’Evangile… Or, la mission première de l’Eglise est justement d’annoncer l’Evangile. Il sera donc toujours « urgent », pour tout disciple de Jésus, de le faire et de répondre ainsi au désir du Christ. « Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création » (Mc 16,15)… Dieu a soif de se donner, pour le Bien, la Plénitude, le Bonheur et la Vie de tout homme qu’il a créé pour qu’il partage avec Lui sa Plénitude… « Ce ne fut pas parce que Dieu avait besoin de l’homme qu’il modela Adam, mais pour avoir quelqu’un en qui déposer ses bienfaits » (St Irénée).

 

Et cet épisode se termine par un exemple précis qui illustre concrètement ce qui vient d’être dit : « Quiconque vous donnera à boire un verre d’eau pour ce motif que vous êtes au Christ, en vérité, je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense ». Nous sommes dans les gestes les plus simples de la vie quotidienne, dans un pays où, ne l’oublions pas, l’eau est rare, précieuse, indispensable pour rester en vie notamment dans les déserts… Dans un tel contexte, donner de l’eau à quelqu’un, c’est vraiment désirer sa vie, son maintien dans la vie, lui qui « est au Christ » et se déclare donc comme tel puisque sa foi est connue et reconnue… A travers lui, c’est donc le Christ qui est accepté, accueilli… « Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé » (Mt 10,40). Or, accueillir le Christ, c’est accueillir avec Lui la Lumière de la Vérité qui est Vie, Plénitude de Vie, Paix et Joie… Cet homme ne peut donc qu’expérimenter « quelque chose » de cette Plénitude : il a déjà sa récompense et il ne la perdra pas, car Dieu est fidèle, ses dons sont sans retour puisqu’Il Est Don en tout ce qu’Il Est, « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13 ; 17,13 ; Jn 4,10-14 ; 7,37-39), « Soleil » qui ne cesse de briller gratuitement, par amour, « sur les méchants et sur les bons » (Mt 5,45). Ainsi, celui qui a, non seulement ne perdra pas ce qu’il a, mais il recevra toujours plus… « A tout homme qui a, l’on donnera et il aura du surplus » (Mt 25,29). Et « c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans votre sein » (Lc 6,38). Car « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16) et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » (Ste Thérèse de Lisieux)… Dieu, en son « insondable richesse » (Ep 3,9), ne cesse ainsi de se donner tout entier à chacun d’entre nous…

 

Mise en garde (Mc 9,42-50)

 

Le verbe grec utilisé au début de ce passage, « σκανδαλίζω, skandalizô » a donné en français notre « scandaliser », et les dictionnaires grec lui donnent comme sens : « faire trébucher, être une occasion de chute, faire pécher », le « σκάνδαλον, skandalon » étant « un piège, un obstacle qui fait trébucher, une occasion de chute, ce qui fait pécher »… « « Ces petits qui croient en moi » sont des chrétiens dont la foi naissante est encore fragile. Tout « scandale », au sens fort de « piège » tendu sous leur pas, serait grandement préjudiciable à leur fidélité. Il faut absolument prévenir tout scandale » (Jacques Hervieux, « L’Evangile de Marc » dans « Les Evangiles, textes et commentaires »), éviter à tout prix ce qui pourrait les déstabiliser dans leur « foi naissante »… L’éventail de sens à donner au verbe « σκανδαλίζω » est donc très large… Le seul critère est « ces petits qui croient en moi » et ce qu’ils ne sont pas encore en mesure de surmonter… Il s’agit donc de s’adapter à eux, quitte à faire des sacrifices si nécessaire. St Paul nous en donne l’exemple… Lui, l’ancien Pharisien, sait bien que le chrétien est libre de toute prescription alimentaire : « Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui, puisse le souiller, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme » (Mc 7,14-23). « Dès lors, que nul ne s’avise de vous critiquer sur des questions de nourriture et de boisson, ou en matière de fêtes annuelles, de nouvelles lunes ou de sabbats. Tout cela n’est que l’ombre des choses à venir… Ne prends pas, ne goûte pas, ne touche pas, tout cela pour des choses vouées à périr par leur usage même ! Voilà bien les prescriptions et doctrines des hommes ! » (Col 2,16‑23). Le chrétien, par sa foi et dans la foi, est déjà « dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,21) où sa seule préoccupation devrait être d’aimer Dieu et son prochain (Mc 12,28-34). Mais justement, l’amour du prochain va l’amener à tenir compte de ce qu’il est. Pour lui et pour son bien, il sera peut-être amené à renoncer à ce qui, pour l’instant, pourrait le choquer, le scandaliser… Certes, « le Christ nous a libérés » du péché (Jn 8,31-36) mais aussi du carcan de toute prescription purement juridique, et notamment de l’obligation de la circoncision et du « fardeau » des 365 préceptes de la Loi (Ga 5,1 ; Mt 11,28-30 ; Ac 15). Mais « prenez garde que cette liberté dont vous usez ne devienne pour les faibles occasion de chute ». Si, par exemple, « un aliment doit causer la chute de mon frère (σκανδαλίζω), je me passerai de viande à tout jamais, afin de ne pas causer la chute de mon frère (σκανδαλίζω) » (1Co 8,13 ; cf. 1Co 8,1‑13). Ainsi, « il ne faut rien mettre devant votre frère qui le fasse buter ou tomber (σκάνδαλον). – Je le sais, j’en suis certain dans le Seigneur Jésus, rien n’est impur en soi, mais seulement pour celui qui estime un aliment impur ; en ce cas il l’est pour lui. – En effet, si pour un aliment ton frère est contristé, tu ne te conduis plus selon la charité. Ne va pas avec ton aliment faire périr celui-là pour qui le Christ est mort ! N’exposez donc pas votre privilège (la liberté chrétienne) à l’outrage. Car le règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture ou de boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint. Celui en effet qui sert le Christ de la sorte est agréable à Dieu et approuvé des hommes. Poursuivons donc ce qui favorise la paix et l’édification mutuelle. Ne va pas pour un aliment détruire l’œuvre de Dieu. Tout est pur assurément, mais devient un mal pour l’homme qui mange en donnant du scandale. Ce qui est bien, c’est de s’abstenir de viande et de vin et de tout ce qui fait buter ou tomber ou faiblir ton frère » (Rm 14,13-21), si la viande et le vin sont, pour l’instant, des occasions de chute pour lui… Plus tard, il comprendra…

« Si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient, il serait mieux pour lui de se voir passer autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être jeté à la mer ». L’exemple est volontairement exagéré, énorme, pour souligner l’importance de cette injonction à ne pas « scandaliser », faire tomber, causer un préjudice, quel qu’il soit, « à l’un de ces petits qui croient ». Cette Parole de Jésus souligne le prix, énorme lui aussi, inimaginable en fait, que « ces petits qui croient » ont aux yeux de Dieu, et donc l’intensité de son Amour à leur égard… « Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » (Is 43,6), à tel point, dira Jésus, que « tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 26,40)… Cette importance que Dieu accorde aux petits sera encore soulignée par l’énormité de ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour éviter tout ce qui pourrait les « scandaliser » , et par l’énormité des conséquences pour celui qui commettrait un tel mal… Mais disons-le tout de suite, les lignes suivantes ne sont pas à prendre au pied de la lettre !

« Si ta main est pour toi une occasion de péché, coupe-la… Si ton pied est pour toi une occasion de pécher, coupe-le… Si ton œil est pour toi une occasion de péché, arrache-le »… « La main, le pied, l’œil, sont les organes majeurs de la communication. Ils engagent, chacun, toute la personne » (Jacques Hervieux). Et la progression du discours intensifie encore l’appel à la conversion. En effet, la main accomplit le mal, les pieds conduisent la personne là où le mal peut être accompli et c’est par les yeux, par ce qui est vu, que l’idée du mal à commettre peut naître et germer dans les cœurs… Au-delà des actes, Jésus descend donc une nouvelle fois au plus profond de la personne, là où naissent les désirs, et c’est « là » qu’il faudra agir, le plus radicalement possible… « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne commettras pas l’adultère. » La Loi parle de l’acte. Jésus va tout de suite aller au cœur, là où naît le désir qui peut conduire cet acte : « Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle » (Mt 5,28). Il s’agit donc, à la Lumière de l’Esprit Saint, de discerner les désirs, dès qu’ils apparaissent, pour garder ceux qui sont bons et rejeter aussitôt, le plus vite possible, ceux qui ne le sont pas. « Restez toujours joyeux. Priez sans cesse. En toute condition soyez dans l’action de grâces. C’est la volonté de Dieu sur vous dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit (…) mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le ; gardez-vous de toute espèce de mal » (1Th 5,16-22). « Priez sans cesse » dit-il ici. Plus tard, il écrira : « Vivez dans la prière et les supplications ; priez en tout temps, dans l’Esprit ; apportez-y une vigilance inlassable » (Ep 6,18). « Veillez » (Mc 13,33.35.37 ; 14,34) disait souvent Jésus, « veillez et priez pour ne pas entrer en tentation, car l’esprit est ardent, mais la chair est faible » (Mc 14,38). Veillez donc à rester de cœur tournés vers le Seigneur, dans sa paix. Alors, vous vivrez dans la prière car Dieu, dans son Amour, n’Est que Don de Lui‑même, de son Esprit, de sa Lumière et de sa Force. « Demeurez donc en mon Amour », nous dit Jésus (cf. Jn 15,9-11). Vous recevrez et recevrez encore le Don de sa grâce, l’Esprit Saint, de telle sorte, qu’ « en toute condition, vous serez dans l’action de grâces ».

« Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) ? L’Esprit reçu sera cette Lumière qui permettra de tout vérifier de l’intérieur : ce qui est bon et qui sera donc retenu, ce qui est mal et qui sera rejeté le plus rapidement possible avec la Force de ce même Esprit. Adhérer à ce mal reviendrait à se détourner de l’Esprit qui le condamne, et donc à « éteindre l’Esprit », à se priver de sa Présence qui, au plus profond du cœur, est Source de Joie, de Paix, de Vie, de Plénitude de Vie (Jn 4,10-14 ; Ga 5,22)… « Tous ont péché et sont privés de la Gloire de Dieu » (Rm 3,23), cette Gloire qui rayonne sans cesse du « Père des Lumières » (Jc 1,17), du  Christ « Lumière du monde » (Jn 8,12), du Dieu Lumière, cette Lumière donnée qui est l’Esprit donné, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Etre privé de sa Présence sera alors synonyme de mort au sens d’absence de Plénitude, de Paix, et puisque nous avons tous été créés pour cela, cette absence sera ressentie comme un manque profond, un mal-être, une souffrance, l’angoisse de ne pas être aimé… « Souffrance et angoisse à toute âme humaine qui s’adonne au mal » (Rm 2,9), « car le salaire du péché, c’est la mort » (Rm 6,23) une situation que Dieu, de tout son Être, ne veut pas. D’où l’invitation pressante lancée ici par Jésus, avec des termes choquants, pour que nous la prenions le plus au sérieux possible, et pour qu’en l’accueillant, nous nous détournions du mal avec ses conséquences dramatiques pour nous tourner avec Lui (Jn 1,18) vers le Père, car « en toi est la source de vie » (Ps 36,10). Nous « entrerons alors dans la Vie » (Mc 9,43.45) car « le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23). Nous vivrons alors « le Royaume de Dieu » (Mc 9,47), car il est « justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17), « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), cet Esprit « Eau Vive » qui ne cesse de jaillir du Dieu Source pour notre Vie (Jn 4,10-14 ; 7,37-39 ; 19,33-34 où le Christ révèle en son Corps Jr 2,13 ; 17,13 ; Ps 36,10 ; en lisant tout d’abord Dt 32,4.15.18 ; 1Sm 2,2 ; 2Sm 22,3.32.47 ; 23,3 ; Ps 18,3.32.47 ; 19,15 ; 28,1 ; 31,4 ; 42,10 ; 73,26 ; 62,8 ; 78,35 ; 89,27 ; 94,22 ; Is 17,10 ; 44,8 voir aussi Ex 17,6 ; Nb 20,11 ; Is 48,21 ; Ps 78,15-16 ; 105,41 ; 114,8 ; Sg 11,4)…

Blessés comme nous pouvons l’être, ce travail de conversion sera le nôtre jusqu’à notre dernier souffle sans crainte excessive ni anxiété permanente, car le Père nous garde du mauvais (Ps 91(90) ; Jn 17,15 ; Mt 6,13 ; Ep 6,11-13), le Christ veille sur nous (Jn 17,12 avec Mt 28,20 ; 1Jn 5,18) et l’Esprit Saint nous aide à demeurer en lui (1Jn 2,27)… Et si quelqu’un venait à tomber, il ne pourra que se blesser, se faire mal… Dieu, dans son amour, ne pourra qu’être bouleversé de compassion (Os 11,7-9 ; Mt 18,27 ; Lc 1,78 ; 7,13 ; 10,33 ; 15,20) et sa tendresse se fera encore plus agissante pour réconforter, soigner, relever son fils de sa chute… Ste Thérèse de Lisieux prenait l’image d’un fils « d’un habile docteur » se cassant une jambe en butant sur une pierre… « Aussitôt son père vient à lui, le relève avec amour, soigne ses blessures, employant à cela toutes les ressources de son art et bientôt son fils complètement guéri lui témoigne sa reconnaissance ». « O ma Mère chérie ! », écrivait-elle à sa Supérieure, « qu’elle est douce la voie de l’amour. Sans doute, on peut bien tomber, on peut commettre des infidélités, mais, l’amour sachant tirer profit de tout, a bien vite consumé tout ce qui peut déplaire à Jésus, ne laissant qu’une humble et profonde paix au fond du cœur »…

Le Livre de l’Exode nous offre en Ex 15,26 un verset magnifique. Il reprend le Nom divin révélé à Moïse en Ex 3,14, littéralement dans la version grecque « Je suis l’étant », autrement dit « Je suis celui qui est », et change le verbe « être » par le verbe « guérir » : « Je suis le guérissant toi », autrement dit « Je suis celui qui te guérit ». Employer ce terme « guérir » suppose bien sûr un besoin de guérison pour retrouver la Plénitude perdue d’Être et de Vie… Quelqu’un en est privé, quelle qu’en soit la raison ? La seule réaction de Dieu sera de « guérir » cette personne pour qu’elle puisse se retrouver elle-même, qu’elle soit pleinement ce que Dieu voulait qu’elle soit lorsqu’il l’a créée « à son image et ressemblance » (Gn 1,26-27), appelée à partager sa Plénitude grâce à la Présence en elle de son Souffle de Vie (Gn 2,4b-7), l’Esprit Saint. Jésus reprendra pour lui-même ce thème de la guérison, en se présentant comme un médecin, mais alors qu’il accomplissait quantité de miracles physiques, il l’appliquera aux blessures spirituelles causées par le péché : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir » (Lc 5,31-32). Les malades concernés sont donc les pécheurs, blessés en leur être profond par le péché, privés de la Paix de Dieu et de la Plénitude de sa Vie, comme nous l’avons vu précédemment. Dieu veut guérir tous ces malades là – et tous les hommes sont pécheurs (Rm 3,9-26) – et il veut le faire dès maintenant, par le Don de l’Esprit Saint et la foi qui saura l’accueillir. Les quelques guérisons physiques que le Christ a accomplies, et qu’il continue d’accomplir parfois aujourd’hui, ne sont que les signes visibles de cette action invisible de Dieu qui s’adresse à tout homme. Tous les malades physiques ne sont pas guéris ici-bas. Ste Thérèse de Lisieux mourra à 24 ans de la tuberculose… Mais tous les pécheurs, ces malades spirituels que nous sommes tous, peuvent accueillir et expérimenter dès maintenant, dans la foi, une guérison profonde, et avec elle « quelque chose » de cette Plénitude d’Être et de Vie que Dieu nous réserve pour l’éternité. Et ce « quelque chose », incomparable à toutes les joies de la terre (Ps 4,8 ; Mt 13,44‑46), fera dès maintenant notre bonheur, un bonheur vrai, durable, stable, car les Dons de Dieu sont sans repentance, sa Paix règne sans retour (Col 3,15)…

« Tout homme sera ainsi salé au feu », purifié, s’il se laisse faire, par le feu de l’Esprit (Mt 3,11 ; Ml 3,2-3 ; 1Co 6,11). Et cela commence dès maintenant, dans la foi et par la foi : « Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût allumé ! » (Lc 12,49), disait Jésus. « Sur la terre », dès aujourd’hui, dès ici-bas… Et ce feu n’est pas destructeur, il n’a d’autre but que de faire disparaître le péché qui asphyxie et paralyse la Vie de Dieu en nous. Il suffit pour s’en convaincre de mettre ce dernier verset en parallèle avec ce que Jésus dit en St Jean : « Je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 10,10). Ce « feu sur la terre » est donc bien celui de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), cet « Esprit » qui est « Lumière » (Jn 4,24 avec 1Jn 1,5), et nous retrouvons bien la Lumière du Feu… « Moi, Lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12,46), mais ait « la Lumière de la Vie » (Jn 8,12).

L’Esprit sera donc au cœur de tous ceux et celles qui acceptent de l’accueillir par un repentir sincère « feu » qui brûle leurs misères, lumière et sel de leur vie. Mais la particularité du feu et du sel est de communiquer toutes leurs propriétés aux réalités avec lesquelles ils sont en contact… Une barre de fer, froide et dure, plongée dans le feu devient rouge, flamboyante, brûlante, susceptible d’embraser à son tour ce qui pourrait la toucher… Le feu l’a transformée en feu… De même le sel transmet son goût à tout aliment qui le reçoit : il devient salé tout entier, il devient sel, communiquant à son tour ce goût du sel s’il venait à être mis en contact avec un autre aliment. Le feu transforme en feu, le sel transforme en sel, la lumière transforme en lumière. Pensons à la lune qui devient « l’astre de la nuit » tout simplement parce qu’elle est éclairée par le soleil… Elle n’est que rocher terne et froid, et pourtant, au contact de la lumière, elle se met à briller dans les ténèbres… Feu, sel, lumière, autant d’images qui renvoient à ce que Dieu veut faire pour chacun d’entre nous si nous acceptons de vivre en relation avec lui : par le Don gratuit de tout ce qu’Il Est, il veut que nous puissions Être ce qu’Il Est… « Depuis que j’en ai l’expérience, l’amour est si puissant en œuvres qu’il sait tirer profit de tout, du bien et du mal qu’il trouve en moi, et transformer mon âme en SOI », écrivait Ste Thérèse de Lisieux… « Qu’elle est douce la voie de l’amour. Sans doute, on peut bien tomber, on peut commettre des infidélités, mais, l’amour sachant tirer profit de tout, a bien vite consumé tout ce qui peut déplaire à Jésus, ne laissant qu’une humble et profonde paix au fond du cœur »… Certes, « je ne suis qu’une enfant, impuissante et faible, cependant c’est ma faiblesse même qui me donne l’audace de m’offrir (…) à ton Amour, ô Jésus ! » Oui, « l’Amour m’a choisie (…) moi, faible et imparfaite créature… Ce choix n’est-il pas digne de l’Amour ?… Oui, pour que l’Amour soit pleinement satisfait, il faut qu’il s’abaisse, qu’il s’abaisse jusqu’au néant et qu’il transforme en feu ce néant »… « Ah ! je sens bien que ce qui plaît au Bon Dieu dans ma petite âme, c’est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c’est l’espérance aveugle que j’ai en sa miséricorde… Voilà mon seul trésor. Marraine chérie, pourquoi ce trésor ne serait-il pas le vôtre ?… O ma sœur chérie, je vous en prie, comprenez votre petite fille, comprenez que pour aimer Jésus, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant… Le seul désir » de tout lui offrir « suffit, mais il faut consentir à rester pauvre et sans force et voilà le difficile… Ah ! restons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse (…), alors nous serons pauvres d’esprit et Jésus viendra nous chercher si loin que nous soyons et il nous transformera en flammes d’amour… Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !… C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour… Oui, je le sens, Jésus veut nous faire (à toutes les deux) les mêmes grâces, il veut nous donner gratuitement son Ciel »….  Et la Bienheureuse Elisabeth de la Trinité écrivait quelques dizaines d’années plus tard : « Nous sommes bien faibles, je dirais même que nous ne sommes que misère, mais Il le sait bien, Il aime tant nous pardonner, nous relever, puis nous emporter en Lui, en sa pureté, en sa sainteté infinie. C’est comme cela qu’Il nous purifiera, par son contact continuel, par des attouchements divins. Il nous veut si pures ! Mais Lui-même sera notre pureté »… « Il a si soif de nous associer à tout ce qu’Il Est, de nous transformer en Lui. Réveillons notre foi, pensons qu’Il est là, au-dedans, et qu’Il nous veut bien fidèles ». « Il me semble qu’au ciel ma mission sera d’attirer les âmes en les aidant à sortir d’elles-mêmes pour adhérer à Dieu par un mouvement tout simple et tout amoureux, de les garder en ce grand silence du dedans qui permet à Dieu de s’imprimer en elles et de les transformer en lui ».

Dieu seul est Sel, Dieu seul est Feu, Dieu seul est Lumière… Mais le sel transforme en sel, le feu transforme en feu, la lumière transforme en lumière tous ceux et celles qui acceptent de l’accueillir. « Jadis, vous étiez ténèbres, mais à présent, vous êtes Lumière dans le Seigneur ; conduisez-vous en enfants de Lumière ; car le fruit de la Lumière consiste en toute bonté, justice et vérité » (Ep 5,8-9 ; cf. Jn 12,36). « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens. Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne se peut cacher, qui est sise au sommet d’un mont. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5,13-17).

S’il se laisse faire, « tout homme sera ainsi salé au feu », purifié par le feu de l’Esprit (Mt 3,11 ; Ml 3,2-3 ; 1Co 6,11). Cet Esprit, gratuitement donné par le Dieu Source, sera en lui la Lumière et le Sel de sa vie. Il donnera un goût d’éternité à toutes choses par sa simple Présence, par sa Paix (Ga 5,22) qui n’est pas de ce monde. Et c’est en puisant à plein cœur dans cette paix, qu’il sera possible de « vivre en paix entre vous » (Mc 9,50), d’être un heureux artisan de paix (Mt 5,9), « sel de la terre et lumière du monde »…

                                                                                                    D. Jacques Fournier

Les fêtes du monde, la fête du ciel…

 

Therese

Ste Thérèse de Lisieux

« Ma Mère bien-aimée, peut-être êtes-vous étonnée que je vous écrive ce petit acte de charité, passé depuis si longtemps. Ah ! si je l’ai fait c’est que je sens qu’il me faut chanter, à cause de lui, les miséricordes du Seigneur, Il a daigné m’en laisser le souvenir, comme un parfum qui me porte à pratiquer la charité (Ps 89,2). Je me souviens parfois de certains détails qui sont pour mon âme comme une brise printanière. En voici un qui se présente à ma mémoire: Un soir d’hiver j’accomplissais comme d’habitude mon petit office, il faisait froid, il faisait nuit… tout à coup j’entendis dans le lointain le son harmonieux d’un instrument de musique, alors je me représentai un salon bien éclairé, tout brillant de dorures, des jeunes filles élégamment vêtues se faisant mutuellement des compliments et des politesses mondaines; puis mon regard se porta sur la pauvre malade que je soutenais; au lieu d’une mélodie j’entendais de temps en temps ses gémissements plaintifs, au lieu de dorures, je voyais les briques de notre cloître austère, à peine éclairé par une faible lueur. Je ne puis exprimer ce qui se passa dans mon âme, ce que je sais c’est que le Seigneur l’illumina des rayons de la vérité qui surpassèrent tellement l’éclat ténébreux des fêtes de la terre, que je ne pouvais croire à mon bonheur… Ah ! pour jouir mille ans des fêtes mondaines, je n’aurais pas donné les dix minutes employées à remplir mon humble office de charité… Si déjà dans la souffrance, au sein du combat, on peut jouir un instant d’un bonheur qui surpasse tous les bonheurs de la terre, en pensant que le bon Dieu nous a retirées du monde, que sera-ce dans le Ciel lorsque nous verrons, au sein d’une allégresse et d’un repos éternels, la grâce incomparable que le Seigneur nous a faite en nous choisissant pour habiter dans sa maison véritable portique des Cieux (Gn 28,17; Ps 27,4) ? »

 

   Ste Thérèse de Lisieux, « Histoire d’une âme ».

Fiche n°17 (Mc 9,30-50) : Fichier PDF pour une éventuelle impression




Sur la base de la conception biblique de l’homme : « Aimer la famille humaine comme Dieu l’aime pour travailler tous ensemble à son bien. »

« De fondement, nul ne peut en poser d’autres que celui qui s’y trouve déjà : Jésus Christ » (1Co 3,11). « Tout fut par lui et sans lui rien ne fut » (Jn 1,3). Et toute son œuvre sera de faire en sorte que le projet créateur s’accomplisse pleinement. Alors, « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14), et avec lui l’humanité a compté enfin un homme « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-27). Il sera « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) car, avec lui et par lui, Dieu veut offrir à tout homme la possibilité de « reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,28-30). Si nous consentons à accueillir Celui qui, le premier, est venu nous rejoindre dans le Fils, nous deviendrons alors, petit à petit, de miséricorde en miséricorde, des « enfants de Dieu » (Jn 1,12) « à l’image du Fils » et donc « à l’image et ressemblance de Dieu »… Et tout ceci adviendra grâce au Don de l’Esprit que le Fils est venu nous communiquer au Nom de son Père… Ressuscité, « il souffla » en effet sur ses disciples, comme Dieu avait soufflé en l’homme au commencement du monde pour « insuffler en lui une haleine de vie » (Gn 2,4b-7). Alors, par le Christ Sauveur et le Don de l’Esprit, l’homme peut devenir pleinement lui-même…

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Nous allons donc revisiter ici un des textes les plus importants de la Bible, le premier chapitre du Livre de la Genèse qui nous présente l’œuvre créatrice de Dieu, et nous nous attarderons tout particulièrement sur les versets concernant l’homme « créé à l’image et ressemblance de Dieu ».

Nous soulignerons la valeur inestimable de tout homme aux yeux de Dieu, une simple constatation qui, pour nous croyants, suffit à mettre l’homme à la première place de toute préoccupation, quelle qu’elle soit … « L’être humain a évidemment une primauté de valeur sur toute la création » (Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix, 1° janvier 2008 (MJMP 2008), &7 ; ).

Puis nous verrons comment l’homme devrait exercer la mission qui est la sienne sur cette terre. Une allusion au second récit de la création et un détour par la lettre de St Paul aux Romains soulignera l’importance du regard fraternel, universel et bienveillant que nous devrions porter sur tous ceux et celles qui nous entourent, quelles que soient leur culture, leur appartenance religieuse ou non, etc… En effet, les valeurs de Dieu, les seules sur lesquelles toute vie personnelle ou communautaire peut vraiment se construire, habitent au cœur de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté. En reconnaissant leur présence par-delà toutes les étiquettes sociales ou religieuses, nous pourrons alors nous engager avec eux, quels qu’ils soient, pour travailler ensemble au bien commun de tous…

Nous vivrons alors le Mystère de l’Eglise, au-delà de toutes frontières…

 

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Le premier récit de la Création que nous reprenons à chaque veillée pascale (Gn 1,1-2,4a) était très certainement autrefois un cantique liturgique en sept strophes, avec un refrain : « Et Dieu vit que cela était bon ; il y eut un soir, il y eut un matin, xème jour ». Toute sa rédaction était tendue vers le dernier jour, le septième, où, après avoir créé l’univers en dix Paroles, Dieu « cessa toute activité », « sabat » en hébreu. L’auteur pouvait ainsi le prendre en exemple dans le Livre de l’Exode pour le 4° commandement juif, le 3° pour nous catholiques, celui du sabbat (Ex 20,8-11), ce jour où l’homme est invité à mettre sa relation à Dieu à la première place dans sa vie…

 

Regardons tout de suite le passage relatif à la création de l’homme (Gn 1,26-28) :

 

Le projet de Dieu :

 

– 1 – « Faisons l’homme »…

A – (26) Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance

 

– 2 – « Qu’ils dominent sur »…

B – et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux, sur toute la terre,

       et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre ».

 

Dieu réalise son projet:

 

– 1 – « Dieu fit l’homme »…

A’ – (27) Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa.

 

                         La bénédiction de Dieu qui permettra à l’homme de réaliser le projet de Dieu :

(28) Et Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la;

 

– 2 – « Dominez sur »…

B’ – Dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et sur tout être vivant qui rampe sur la terre ».

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I – La valeur inestimable de tout homme aux yeux de Dieu.

« Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » (Is 43,4)

 

  • Comme pour les autres créatures, la création de l’homme commence par une Parole de Dieu, mais celle-ci est différente des précédentes. Il ne s’agit pas en effet d’un ordre suivi immédiatement de sa réalisation, « ‘Que la lumière soit’, et la lumière fut » (Gn 1,3), mais d’une Parole exprimant un désir. Dieu semble penser tout haut et il nous révèle ainsi son rêve, son intention la plus profonde : l’homme

 

  • De plus, le verbe « faire » n’intervient pas ici lors de sa création, mais seulement le verbe « créer, bara’ », un verbe qui dans toute la Bible n’a que Dieu pour sujet. Et il apparaît trois fois. Or le chiffre « trois » est souvent un chiffre symbolique qui renvoie à Dieu en tant qu’il agit. Dieu a donc agi pour l’homme avec une intensité toute particulière, comme il ne l’avait encore jamais fait jusqu’à présent. Il a déployé pour lui tous ses talents de Créateur et l’homme est apparu dans l’existence. Le texte ne nous dit rien d’ailleurs sur le « comment » de sa venue au monde : son origine demeure un Mystère que Dieu seul connaît…

 

  • Enfin, et le terme arrive pour la septième fois dans le texte en signe de plénitude, Dieu déclare une fois l’homme créé : « Et voici : cela était très bon ». Or, « tob », « bon » en hébreu, peut aussi se traduire par « bien », « beau »… Nous le retrouverons plus tard dans « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,9) Comme le souligne André Boulet, « littéralement, il faudrait traduire par « Quel bien ! »… Le terme employé pour signifier cette bonté ne se réfère pas d’abord à une catégorie esthétique, mais à une catégorie éthique : la Création est fondamentalement bonne, et, parce que bonne, elle est belle »[1]. Et Dieu regarde l’homme au cœur de la création comme un bien profond…

 

  • Puis, juste après l’avoir créé, Dieu va le bénir, comme il l’avait fait auparavant pour les premiers êtres vivants qui étaient apparus dans la mer et dans le ciel, révélation indirecte de son amour pour la vie. Cette bénédiction est la grâce que Dieu donne à tout homme pour pouvoir pleinement s’accomplir. Elle l’accompagne tout au long de sa vie et ne demande qu’à être accueillie par des cœurs de bonne volonté… Nous percevons déjà ici l’importance de la relation « Créateur-créature », nous y reviendrons. Cette grâce devrait nous inciter à avoir confiance dans la vie, dans l’avenir, car elle sous-entend que Dieu accompagne l’histoire de chacun, l’histoire de l’humanité, pour lui permettre de déboucher sur cet « à venir » qui nous attend tous, par-delà notre mort sur cette terre…

 

  • Pour les animaux, nous avions : « Dieu les bénit en disant : « Soyez féconds, multipliez…» », tandis que pour l’homme nous avons : « Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds, multipliez » »… La différence est minime mais elle est capitale : l’homme est la seule créature à laquelle Dieu adresse la Parole. Nous avons ainsi été créés pour vivre en relation avec lui, pour l’écouter, le comprendre, lui répondre… Tel est le fondement ultime de notre vie.

 

  • Enfin, l’homme est la seule créature à « être à l’image et ressemblance de Dieu ». Il existe donc un lien unique entre l’homme et Dieu, à tel point qu’en regardant l’homme, il est possible de découvrir quelque chose du Mystère de Dieu, et ce n’est qu’en regardant Dieu que l’on comprendra toujours davantage « qui » est l’homme…

Le second récit de la création permet de préciser ce que « être à l’image et ressemblance de Dieu » sous entend. En effet, dans ce second récit, l’homme est la seule créature vivante que Dieu suscite dans l’existence en soufflant en lui : « Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Or, le souffle dans la Bible renvoie à l’Esprit de Dieu, à l’Esprit Saint… Et, nous dit St Jean, « Dieu est Esprit » (Jn 4,24). Le mystère de la vie de chaque être humain s’enracine donc dans la Présence au plus profond de son être d’une réalité qui est de l’ordre de « l’Esprit Saint », c’est-à-dire de l’ordre de ce que Dieu est en Lui-même… Comme l’écrit le P. Ceslas Spicq, « être l’image » c’est « participer l’être » et la vie du « Dieu vivant ».[2] L’idée de « souffle » en en effet inséparable de celle de « vie », le souffle manifestant la présence de la vie. Recevoir le souffle de Dieu, c’est donc recevoir la vie de Dieu. L’Esprit de Dieu est ainsi avant tout une réalité de l’ordre de la vie : « c’est l’Esprit qui vivifie » nous dit Jésus en St Jean (Jn 6,63 ; cf. Ga 5,25)…

Ainsi, le Mystère de la vie de tout homme s’enracine dans le Mystère de sa participation à l’Esprit de Dieu, c’est-à-dire à la Vie de Dieu… Et c’est dans cette perspective que la notion « d’image et de ressemblance » prend toute son intensité…

 

Comme le disait Benoît XVI lors de son discours pour la célébration de la journée mondiale de la paix, le 1° janvier dernier, tout homme est invité à « reconnaître en Dieu la source originaire de sa propre existence comme de celle d’autrui. C’est en remontant à ce Principe suprême que peut être perçue la valeur inconditionnelle de tout être humain » (&6).

 

II – Les conditions de la mise en œuvre de la mission commune des hommes sur la terre

 

  • Nous l’avons vu, l’homme a été créé pour vivre en relation avec Dieu, et cela est bien sûr valable dans la mise en œuvre concrète de sa mission sur cette terre : « la soumettre, la dominer… » En effet, le Seigneur et le Maître de la Création n’est pas l’homme, mais Dieu. L’auteur nous l’a maintes fois répété lorsqu’il nous montrait Dieu nommant les réalités qu’il venait de créer : « Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres nuit » (Gn 1,5). Or, dans la mentalité biblique, « donner un nom » c’est être le Seigneur et le Maître de la réalité que l’on nomme… Si la vocation de l’homme est de « dominer» la terre, elle ne pourra donc que s’exercer dans le cadre plus général de l’unique Seigneurie de Dieu. L’homme apparaît donc ici comme « l’intendant de Dieu », « son mandataire libre et responsable ».
  • De plus, dans ses prises de décisions, il devra toujours se référer à son Seigneur et aux valeurs qui sont les siennes, car c’est Lui et Lui seul qui sait ce qui est bon ou pas, ce qui est bien ou pas… Il est l’unique « Juge » de l’univers, et notre auteur nous l’a aussi souvent présenté ainsi lorsqu’il nous rapportait ses réactions au fur et à mesure de l’avancée de ses travaux : « Et Dieu vit que cela était bon », « bien », « beau»… La recherche du « bien», du « beau », du « bon » ne pourra donc que se réaliser dans le cadre d’une relation avec Celui-là seul qui est à l’origine du « bien », du « beau », du « bon », Dieu lui-même… Ce n’est qu’ainsi que l’homme pourra « cultiver et garder » la terre (Gn 2,15), deux verbes hébreux que l’on pourrait aussi traduire par « servir et protéger »[3]… Alors il sera vraiment « à l’image et ressemblance » de son Créateur et Père…

 

  • Précisons d’ailleurs maintenant le sens de ce mot « homme » en Gn 1,26. Lorsque Dieu dit : « Faisons l’homme, na‘aséh ‘adam », ce singulier « Adam» est aussitôt suivi d’un verbe au pluriel : « et qu’ils dominent ». « Adam» ne renvoie donc pas ici à une personne humaine unique mais à l’humanité tout entière… Chaque personne humaine a donc été créée à « l’image et ressemblance de Dieu » mais c’est aussi l’humanité en son ensemble qui est appelée à être ainsi…

Seul le Nouveau Testament permettra d’approfondir cette perspective en nous révélant que Dieu est Mystère de Communion de Trois Personnes divines distinctes dans l’unité d’un même Esprit. Tous les êtres humains, issus d’un même Père et donc tous frères, sont ainsi appelés par Dieu à ne former qu’une seule et même famille, un seul et même Mystère de Communion dans l’unique Esprit, à l’image et ressemblance de Dieu.

Benoît XVI le souligne très souvent dans son message pour la journée mondiale de la Paix. L’humanité est « une communauté de frères et de sœurs, appelés à former une grande famille » (&6), dit-il au tout début. Tous « les peuples de la terre sont ainsi appelés à instaurer entre eux des relations de solidarité et de collaboration, comme il revient aux membres de l’unique famille humaine : « Tous les peuples — a déclaré le Concile Vatican II (Nostra aetate 1) — forment ensemble une seule communauté, ont une seule origine »… Et il conclut par : « J’invite tous les hommes et toutes les femmes à prendre une conscience plus claire de leur appartenance commune à l’unique famille humaine et à s’employer pour que la convivialité sur la terre soit toujours davantage le reflet de cette conviction, dont dépend l’instauration d’une paix véritable et durable ».

 

Cette perspective d’une humanité « Mystère de communion » à l’image et ressemblance de Dieu « Mystère de Communion » appartient déjà à l’ordre des réalités si l’on se souvient de ce que nous disait le second récit de la création où la vie de l’homme nous était présentée comme prenant sa source dans la Présence au plus profond de son être de l’Esprit Saint, cet « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; cf. Ga 5,25)… Toute l’humanité est donc déjà en communion de vie, par l’unique Esprit qui est à l’origine du Mystère de la vie de chacun d’entre nous, et qui nous est donné instant après instant pour nous maintenir dans l’existence : « Si Dieu tournait vers lui son cœur, s’il concentrait en lui son souffle et son haleine, toute chair expirerait à la fois et l’homme retournerait à la poussière » (Job 34,14-15).

Cette communion de vie unit ainsi chaque être humain à Dieu et à son semblable. Mais puisque nous sommes sur cette terre des êtres en devenir, tout notre travail consiste à faire en sorte que cette potentialité qui nous habite déjà puisse pleinement s’épanouir dans toutes les dimensions de notre être… Ainsi, tout ce qui unit les hommes entre eux, tout ce qui les réunit, tout ce qui contribue à les faire travailler ensemble au bien commun de tous, tout cela appartient au projet de Dieu : une multitude d’êtres différents, dont les différences nourrissent d’ailleurs les relations, unis dans la communion d’une même Vie et travaillant ensemble au bien de tous…

Et ce « bien » est perceptible à tous car c’est la présence de ce souffle de Dieu, de cet Esprit de Dieu à la racine du Mystère de notre Être, qui est à l’origine de ce que nous appelons notre « conscience ». St Paul dit ainsi dans sa Lettre aux Romains que les païens, qui n’ont jamais connu la Loi de Moïse, la mettent quand même en pratique ! « En effet, quand des païens privés de la Loi accomplissent naturellement les prescriptions de la Loi, ces hommes, sans posséder de Loi, se tiennent à eux-mêmes lieu de Loi ; ils montrent la réalité de cette loi inscrite en leur cœur, à preuve le témoignage de leur conscience, ainsi que les jugements intérieurs de blâme ou d’éloge qu’ils portent les uns sur les autres » (Rm 2,14-15). Cette « loi inscrite dans les cœurs », « la loi naturelle inscrite dans le cœur de l’être humain et manifestée à lui par la raison » (Benoît XVI, MJMP 2008 &4), est la conséquence directe de la Présence de l’Esprit de Dieu au plus profond de chacun d’entre nous, un Esprit qui nous donne de participer à l’insondable richesse de Dieu Lui-même. Et cet Esprit apporte avec Lui toutes les valeurs inhérentes au Mystère de Dieu : altruisme, bienveillance, droiture, justice, vérité, patience, respect, tolérance…

Là encore, Benoît XVI fait allusion à ce principe de base inhérent à la nature humaine. Il dit en effet que « la norme juridique, qui régule les rapports entre les personnes, en disciplinant les comportements extérieurs et en prévoyant aussi des sanctions pour ceux qui transgressent ces dispositions, a comme critère la norme morale fondée sur la nature des choses. La raison humaine est en outre capable de la discerner au moins au niveau des exigences fondamentales, en remontant à la Raison créatrice de Dieu, qui est à l’origine de tout… Il faut remonter à la norme morale naturelle, fondement de la norme juridique… La connaissance de la norme morale naturelle n’est pas réservée à l’homme qui rentre en lui-même et qui, face à sa destinée, s’interroge sur la logique interne des aspirations les plus profondes qu’il discerne en lui. Non sans perplexité ni incertitudes, il peut arriver à découvrir, au moins dans ses lignes essentielles, cette loi morale commune qui, au-delà des différences culturelles, permet aux êtres humains de se comprendre entre eux en ce qui concerne les aspects les plus importants du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Il est indispensable de revenir à cette loi fondamentale et de consacrer à cette recherche le meilleur de nos énergies intellectuelles » (MJMP 2008, &12-13). Et dans son discours du 7 janvier 2008 pour les vœux au Corps Diplomatique, il déclarait (& 8-9) : « La liberté humaine n’est pas absolue ; il s’agit d’un bien partagé, dont la responsabilité incombe à tous. En conséquence, l’ordre et le droit en sont des éléments qui la garantissent. Mais le droit ne peut être une force de paix efficace que si ses fondements demeurent solidement ancrés dans le droit naturel, donné par le Créateur. C’est aussi pour cela que l’on ne peut jamais exclure Dieu de l’horizon de l’homme et de l’histoire. Le nom de Dieu est un nom de justice ; il représente un appel pressant à la paix.

Cette prise de conscience pourrait aider, entre autres, à orienter les initiatives de dialogue interculturel et inter-religieux. Ces initiatives sont toujours plus nombreuses et elles peuvent stimuler la collaboration sur des thèmes d’intérêt mutuel, comme la dignité de la personne humaine, la recherche du bien commun, la construction de la paix et le développement ».

 

« Nul n’a jamais vu Dieu », nous dit St Jean. « Le Fils Unique qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1,18). Le Christ est donc venu nous révéler une réalité qui existe depuis toujours et pour toujours : le Mystère de ce Dieu Présent à sa création depuis qu’elle existe, ce Dieu « qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jn 1,9), qui « pétrit et façonne le cœur de chacun », comme dit le Psalmiste (Ps 33(32),13‑15). Le chrétien saura donc reconnaître en tout homme de bonne volonté un frère que Dieu guide, éclaire, soutient, conduit, tout comme lui, même s’il en parle autrement, même s’il n’en a pas conscience… Et il s’attachera à s’engager avec lui pour travailler avec lui au bien de toute la famille humaine…

Cette perspective est d’ailleurs présente dans le premier récit de la Création. En effet, c’est à « Adam » qui, souvenons-nous représente ici l’humanité tout entière, qu’est donnée la mission de « dominer la terre ». Et cette « Adam humanité » se différencie ensuite en deux blocs principaux : « l’Adam mâle » et « l’Adam femelle »… Et bien sûr, chacun de ces blocs est ensuite constitué de la multitude des personnes humaines créées de sexe masculin et de sexe féminin.

De cette simple remarque découlent de nombreuses conséquences, tout aussi révolutionnaires autrefois qu’aujourd’hui :

 

1 – Egalité foncière de toute personne humaine, homme ou femme, en droits et en devoirs, cette égalité étant vécue au sein d’une incroyable diversité. En 1948, déclare Benoît XVI, « l’Organisation des Nations unies rendait solennellement publique la Déclaration universelle des Droits de l’homme (1948-2008). Par ce document, la famille humaine a voulu réagir aux horreurs de la Deuxième Guerre mondiale en reconnaissant son unité fondée sur l’égale dignité de tous les hommes et en mettant au centre de la convivialité humaine le respect des droits fondamentaux de tout individu et de tout peuple: ce fut là un pas décisif sur le difficile et exigeant chemin vers la concorde et la paix » (MJMP 2008, &15).

Travailler au bien de tous sera ainsi notamment faire en sorte que chacun puisse bénéficier d’un espace de liberté où il pourra développer sa diversité et mettre en œuvre les talents qui lui sont propres. Et si tel est vraiment le cas, cette mise en œuvre se fera toujours pour le bien de tous ! Autrement dit, travailler au bien de l’autre, c’est non seulement s’accomplir soi-même mais c’est encore travailler au bien commun, et donc à son propre bien !

 

2 – « Dieu veut créer une humanité. Ce n’est pas à de grandes personnalités que la domination du monde doit être concédée, mais à la communauté humaine… Personne dans l’humanité ne doit être exclu de cette autorité »[4]. Autrement dit, il n’appartient pas au projet de Dieu que certains puissent « posséder » des centaines de milliers d’hectares alors que d’autres n’auraient au mieux qu’une petite parcelle insuffisante à nourrir leurs besoins. La terre est donnée à tous pour subvenir aux besoins de tous, toujours dans le respect de la diversité de chacun (cf. Ps 49(48))… « Il ne faut donc pas que les pauvres soient oubliés, eux qui, en bien des cas, sont exclus de la destination universelle des biens de la création » (MJMP 2008 & 7).

 

3 – La domination de la terre est donnée à toute l’humanité en son ensemble, hommes et femmes, dans le respect de la diversité de chacun. Aucune tâche, aucune fonction ne peut donc être réservée arbitrairement à l’un ou à l’autre…

 

4 – Puisque tous les hommes – hommes et femmes – doivent gérer ensemble la création, la façonner, la transformer, « seul l’homme lui-même ne doit pas être objet de soumission… La domination de l’homme sur l’homme fausse l’image de Dieu »[5]

En Gn 3,16b, on lira (Parole de Dieu à la femme) : « Ton désir te poussera vers ton homme et lui te dominera ». « On s’est souvent servi de ce passage pour justifier, comme voulue par Dieu, la subordination de la femme » à l’homme. « Or, ce texte soutient exactement le contraire : la domination de l’homme sur la femme est une conséquence du péché »[6].

 

5 – Enfin, l’homme et la femme sont également à l’image de Dieu en tant qu’homme et femme : « Les hommes ne peuvent percevoir leur mandat de créatures à l’image de Dieu qu’en étant tournés l’un vers l’autre et en se complétant l’un l’autre »[7].

 

L’homme est donc à l’image de Dieu en tant qu’ « être tourné vers » Dieu pour exercer sa charge d’intendant du monde, en tant qu’ « être tourné vers » sa femme dans l’exercice même de ce mandat commun, en tant qu’ « être tourné vers » ce monde pour le travailler… L’homme apparaît ainsi pleinement en sa qualité d’ « être relationnel », à l’image et ressemblance de Dieu…

Et c’est dans cet « être tourné vers Dieu », recevant de lui cette bénédiction qui lui permettra d’accomplir sa vocation, « tourné vers sa femme » pour une relation créatrice, « tourné vers les autres » pour œuvrer ensemble au bien de tous, que l’homme se construira lui-même en trouvant ainsi le chemin de son épanouissement personnel.

Et si l’humanité est appelée à former ainsi, dans la richesse de la diversité de tous ses membres, une seule et unique famille humaine, soulignons enfin l’importance de la famille qui se construit sur la base de l’amour qui unit un homme et une femme. Le second chapitre du Livre de la Genèse nous présente de manière poétique et très belle la création de la femme à partir d’une « côte » de l’homme, eux qui seront ensuite appelés à marcher « côte à côte ». L’exclamation de l’homme suffit à reconnaître le prix qu’il lui accorde, en utilisant une formule qui souligne l’égalité profonde qui les unit par leur participation à une seule et unique nature humaine : « Pour le coup, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée “femme”, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci ! » « C’est pourquoi », ajoute le Livre de la Genèse, « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair ». Tous les deux seront donc appelés à vivre un Mystère de Communion à l’image et ressemblance de Dieu lui-même… St Paul appliquera d’ailleurs ce texte au Christ et à l’Eglise (cf. Ep 5,31-32) !

 

Benoît XVI évoque ainsi « la famille humaine » comme « la cellule première et vitale de la société », le fondement incontournable pour la construction de « la famille humaine, communauté de paix » : « La famille naturelle, en tant que profonde communion de vie et d’amour, fondée sur le mariage entre un homme et une femme, constitue « le lieu premier d’‘humanisation’ de la personne et de la société », le « berceau de la vie et de l’amour ». Aussi, est-ce avec raison que la famille est qualifiée de première société naturelle, « une institution divine qui constitue le fondement de la vie des personnes, comme le prototype de tout ordre social ».

 

En effet, dans une saine vie familiale, on fait l’expérience de certaines composantes fondamentales de la paix: la justice et l’amour entre frères et sœurs, la fonction d’autorité manifestée par les parents, le service affectueux envers les membres les plus faibles parce que petits, malades ou âgés, l’aide mutuelle devant les nécessités de la vie, la disponibilité à accueillir l’autre et, si nécessaire, à lui pardonner. C’est pourquoi, la famille est la première et irremplaçable éducatrice à la paix. Il n’est donc pas étonnant que la violence, si elle est perpétrée en famille, soit perçue comme particulièrement intolérable. Par conséquent, quand on affirme que la famille est « la cellule première et vitale de la société », on dit quelque chose d’essentiel. La famille est aussi un fondement de la société pour la raison suivante : parce qu’elle permet de faire des expériences déterminantes de paix. Il en découle que la communauté humaine ne peut se passer du service que la famille remplit. Où donc l’être humain en formation pourrait-il apprendre à goûter la « saveur » authentique de la paix mieux que dans le « nid » originel que la nature lui prépare ? » (MJMP 2008 &2-3)

En conclusion…

 

Le Christ est donc venu accomplir le projet de Dieu qui a créé l’humanité pour qu’elle soit « la famille » de ses enfants unis à Lui dans la communion d’un même Esprit, d’une même Vie, dans l’Amour. Ce projet commence à se mettre en œuvre dès maintenant par l’œuvre de Réconciliation accomplie par sa mort et sa résurrection, réconciliation avec Dieu et donc réconciliation des hommes entre eux. Les chrétiens reçoivent ainsi par leur foi la grâce de mourir à tout ce qui sépare pour ressusciter à tout ce qui unit. Et cette grâce est tout en même temps Lumière et Force qui leur permet de collaborer activement, dans l’aujourd’hui de leur histoire, à la construction de cette humanité « famille de Dieu ».

Cette Lumière leur donnera notamment de reconnaître la Présence de cette même Lumière au cœur de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté, quel que soit leur chemin religieux ou même son apparente absence… « Dieu lui-même », en effet, « n’est pas loin d’eux, puisqu’il donne à tous la vie, le souffle et toutes choses (cf. Act. 17, 25-28), et que le Sauveur veut le salut de tous les hommes (cf. I Tim. 2, 4). En effet ceux qui, sans faute de leur part, ignorent l’Evangile du Christ et son Eglise et cependant cherchent Dieu d’un cœur sincère et qui, sous l’influence de la grâce, s’efforcent d’accomplir dans leurs actes sa volonté qu’ils connaissent par les injonctions de leur conscience, ceux-là aussi peuvent obtenir le salut éternel. Et la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires au salut à ceux qui ne sont pas encore parvenus, sans qu’il y ait de leur faute, à la connaissance claire de Dieu et s’efforcent, avec l’aide de la grâce divine, de mener une vie droite. En effet, tout ce que l’on trouve chez eux de bon et de vrai, l’Eglise le considère comme un terrain propice à l’Evangile et un don de Celui qui éclaire tout homme, pour qu’il obtienne finalement la vie » (Concile Vatican II, Lumen Gentium & 16).

Tous les chrétiens sont donc invités à s’engager avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, en responsables actifs de la cité, pour travailler ensemble au bien commun de tous en cultivant les valeurs de droiture, de justice, d’honnêteté, de tolérance, de bienveillance… Ces valeurs, Dieu ne cesse de les insuffler au plus profond de chacun d’entre nous par le Souffle de son Esprit qui est à la racine du Mystère de toute vie humaine sur cette terre… En étant fidèles à leur conscience, c’est bien au Dieu Vivant que les hommes et les femmes de bonne volonté obéissent, peut-être souvent sans le savoir… Mais à la lumière de leur foi, en s’engageant activement avec eux, les chrétiens savent qu’ils travaillent à l’accomplissement de la volonté de Dieu qui ne désire que l’authentique épanouissement de toute la famille humaine…

                                                                                                                                     D. Jacques Fournier

[1]BOULET A., Création et rédemption (Chambray 1995) p. 39.

Sr JEANNE D’ARC, Chemins à travers la Bible   p. 75:  » Toute chose est faite par Dieu belle et bonne. Il faut souligner l’optimisme foncier de cette perspective ».

[2] SPICQ C., « eijkwvn », Lexique théologique du Nouveau Testament (Paris 1991) p. 429-431.

[3] « S’agissant de la famille humaine, cette maison c’est la terre, le milieu que Dieu Créateur nous a donné pour que nous y habitions de manière créative et responsable. Nous devons avoir soin de l’environnement : il a été confié à l’homme pour qu’il le garde et le protège dans une liberté responsable, en ayant toujours en vue, comme critère d’appréciation, le bien de tous » (Benoît XVI, Journée mondiale de la Paix, 1° janvier 200 8, &7).

[4]  WOLFF H.W., Anthropologie de l’Ancien Testament (Genève 1974) p. 141.

[5] Id. p. 143-144.

[6] DEBERGÉ P., Amour et sexualité dans la Bible (Coll. Racines ; Ed. Nouvelle Cité 2001) p. 98

[7] Id p. 142.

Gn 1,26-28 ; Aimer la famille humaine…_ Document PDF pour une éventuelle impression




Mc 9,14-29: la victoire de Jésus sur le mal.

Jésus vient d’annoncer pour la première fois à ses disciples sa Passion prochaine : « Et il commença de leur enseigner : Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours, ressusciter » (Mc 8,31). Dans un premier temps, et c’est bien normal, les disciples refuseront une telle perspective : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » (Mt 16,22). Comme Jésus, vrai homme lui aussi, aurait aimé qu’il en soit ainsi ! Mais non, tel n’est pas le Chemin de l’Amour qui est venu se donner entièrement entre les mains des pécheurs (Mc 14,41 ; Lc 24,7) pour leur salut ! Et ces derniers, dans leur refus de Dieu, de la Vérité et de l’Amour, lui feront tout ce qu’ils voudront… Et Jésus se laissera faire, offrant ces souffrances pour leur guérison spirituelle, leur salut éternel… Qu’ils soient vraiment, par leur repentir et le renouvellement opéré par la grâce, « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-28), et « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et Il n’est qu’Amour ! Jésus le montrera lors de sa Passion, ne répondant au mal que par l’amour… « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Lc 6,27)… Ce qu’il nous demande, il a été le premier à le mettre en pratique…

Mis à mort, le Père va ressusciter son Fils par la Toute Puissance de l’Esprit Saint… Cette victoire de la Lumière de l’Amour sur les ténèbres de la haine, Jésus l’a laissée entrevoir à ses disciples lors de sa Transfiguration (Mc 9,1-8). Et il va continuer à la révéler en guérissant un enfant épileptique dans un contexte social et religieux où l’on attribuait la maladie à l’action du démon. « Maître, je t’ai apporté mon fils qui a un esprit muet. Quand il le saisit, il le jette à terre, et il écume, grince des dents et devient raide » (Mc 9,18). Jésus s’adapte à ce contexte et reprend les mots de ce père de famille pour accomplir un signe qui leur révèlera, d’une manière adaptée à leurs croyances, sa victoire sur le mal et tout ce qui peut blesser la vie de l’homme. « « Esprit muet et sourd, je te l’ordonne, sors de lui et n’y rentre plus. » Après avoir crié et l’avoir violemment secoué, il sortit, et l’enfant devint comme mort, si bien que la plupart disaient : « Il a trépassé ! » Mais Jésus, le prenant par la main, le releva et il se tint debout » (Mc 9,14-29).

Jésus ressuscite Adam et Eve

Et c’est ce que ne cessera de faire le Ressuscité jusqu’à la fin des temps : venir à notre rencontre, frapper à la porte de nos cœurs (Ap 3,20), nous tendre la main pour nous proposer sa victoire sur le mal et sur son cortège de ténèbres qui ne sont avant tout que privation de la Plénitude de la Vie de Dieu. Si nous consentons à nous laisser prendre, dès maintenant, dans la foi et par notre foi, nous passerons avec lui de la mort à la Vie, et nous nous retrouverons debout auprès de Lui, dans la Plénitude sa Lumière et de sa Paix (Ep 2,4-5)… « Je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que là où je suis, vous aussi » (Jn 14,3). Et Jésus est dans la Maison du Père, uni au Père dans la communion d’un même Esprit… Voilà où il désire tous nous entrainer, Lui qui est venu non pas pour les justes mais pour les pécheurs (Lc 5,31-32)…

Juste avant le début de la Passion, St Jean écrit que « le diable avait mis au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer » (Jn 13,2). Et la Bible de Jérusalem explique en note : « La Passion est un drame où se trouve engagé le monde invisible : derrière les hommes est à l’œuvre la puissance diabolique » qui n’est en fait que faiblesse, nous le verrons par la suite… En Mc 9,14-29, Jésus va manifester sa victoire sur elle et nous allons profiter de ce passage pour essayer de préciser ce qu’elle est exactement…

 

Les mots « Satan » et « diable »

 

« Satan » vient d’un mot hébreu qui signifie « traiter en ennemi », « attaquer », « avoir de la malveillance pour… », « accuser » (Za 3,1 ; Ap 12,10). Satan est donc « l’adversaire » (2Th 2,4), « l’ennemi » de Dieu et des hommes (Mt 13,39 ; Lc 10,19 ; Jn 8,44 et 10,10) créés à son « image et ressemblance » (Gn 1,26-28), « l’accusateur » (Ap 12,10), le spécialiste des fausses accusations, des calomnies et du soupçon. Mais il est aussi celui qui invite l’homme à désobéir à Dieu pour ensuite « l’accuser » des péchés qu’il a pu commettre ! En agissant ainsi, il l’enferme dans ses limites, dans sa culpabilité, et le conduit au désespoir… Jésus, au contraire, ne condamne jamais qui que ce soit : « Je ne te condamne pas. Va, désormais, ne pèche plus », dit-il à la femme surprise en flagrant délit d’adultère (Jn 8,1-11). « Si quelqu’un vient à pécher », écrit St Jean, « nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste » (1Jn 2,1)… Contrairement à Satan, la vérité n’est jamais séparée en Lui de la compassion et de la miséricorde (Ps 85(84),9-13 ; 89,15)… Et puisque le péché nous détruit, son Amour n’a inlassablement qu’un seul désir : nous pardonner, nous guérir intérieurement pour que nous puissions retrouver avec Lui le chemin de la Paix, de la Joie, de la Plénitude de la Vie… « Le salaire du péché, c’est la mort, mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23).

« Diable » vient quant à lui du mot grec masculin « diabolos » ; ce même mot, au féminin, exprime « une division », « une brouille, une inimitié », mais aussi ce qui a pu provoquer cette division : « une fausse accusation », c’est-à-dire « une calomnie », « une médisance » qui entraînera un soupçon et brisera la confiance … Le diable est donc « le diviseur », celui qui cherche avant tout à diviser : diviser Dieu et l’homme, en suggérant à l’homme une fausse image de Dieu, en essayant de l’entraîner loin de Lui ; diviser les hommes entre eux ; diviser l’homme lui-même ; diviser l’homme et la création qui l’entoure… Le résultat est la mort, sous toutes ses formes… Le Christ fut ainsi soupçonné d’actes qu’il n’avait jamais commis, il fut calomnié, rejeté, cruellement maltraité et crucifié… Mais le Père l’a ressuscité d’entre les morts (Ac 2,22-24 ; 2,32-33 ; 3,13-15 ; 4,10-12 ; 1Co 6,14 ; 2Co 4,13-14 ; Gal 1,1), une résurrection qui révèle la victoire de Dieu sur toutes les formes de mal, malgré bien souvent les apparences…

Le diable dans la Bible

 Existe-t-il parmi nous quelqu’un qui aurait lu tout l’Ancien Testament ? Il suffit de regarder son épaisseur pour avoir des sueurs froides… Et pourtant, nous pouvons être surpris de la rareté avec laquelle le diable y intervient : dans la Bible de Jérusalem, le mot « Satan » n’apparait que 15 fois, « démon » 12 fois, et « diable » une seule fois ! « Yahvé », par contre, apparaît 6784 fois et « Dieu » 3023 fois… Ces chiffres nous donnent déjà une première leçon : dans nos vies, accordons à Satan la place que l’Ancien Testament lui accorde, c’est-à-dire bien peu de chose ! Occupons-nous par contre de Celui qui, comme un Père, nous accompagne sans cesse, nous regarde avec amour, veille sur nous, s’occupe de nous, combat avec nous et pour nous. C’est Lui qui « nous sauve des filets du chasseur et de la peste maléfique » (Ps 91(90)) …

 

Un regard d’ensemble sur le projet créateur de Dieu

 

La Lettre aux Ephésiens nous en offre, au tout début, un résumé saisissant (Ep 1,3-13).

 

Les bénédictions spirituelles du Père dans le Christ, son Fils

 

(3) Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, 

                   qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles,      aux cieux,

                                                                                                                             dans le Christ.

 

Le contenu de ces bénédictions

                             ( Le Père et son projet dans le Fils)

 

(4) C’est ainsi qu’Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde,

pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour,

(5) déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ.

Tel fut le bon plaisir de sa volonté,

(6) à la louange de gloire de sa grâce, dont Il nous a gratifiés dans le Bien-Aimé.

 

                             (Le Fils par lequel le Père réalise son projet)

 

(7) En lui nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce,

(8) qu’Il nous a prodiguée, en toute sagesse et intelligence:

(9) Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu’Il avait formé en lui par avance,

(10) pour le réaliser quand les temps seraient accomplis: récapituler toutes choses dans le Christ,

                                           les êtres célestes comme les terrestres, en lui.

                             (L’Esprit qui actualise le projet du Père dans l’aujourd’hui de l’histoire…)

 

                                                (… pour les Juifs)

(11) C’est en lui encore que nous avons été mis à part, désignés d’avance,

                   selon le plan préétabli de Celui qui mène toutes choses au gré de sa volonté,

(12)   pour être, à la louange de sa gloire,

                   ceux qui ont par avance espéré dans le Christ.

 

                                                (… et pour les païens)

(13) C’est en lui que vous aussi, vous avez entendu la Parole de vérité, l’Evangile de votre salut;

en lui encore vous avez cru, et vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse,

cet Esprit Saint qui constitue les arrhes de notre héritage, et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis,

                        pour la louange de sa gloire.

 

« Toutes les bénédictions spirituelles » que Dieu le Père désire nous communiquer sont déjà « dans le Christ », son Fils. Or « Dieu est Amour », nous dit St Jean par deux fois (1Jn 4,8.16). Le Père est Amour… Et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » (Ste Thérèse de Lisieux). St Jean ne dit pas autre chose : « Le Père aime le Fils et lui donne tout dans sa main » (Jn 3,35)[1]. Ce principe éternel éclaire non seulement le Mystère du Fils, mais encore le projet de Dieu sur toutes ses créatures… Depuis toujours et pour toujours, « le Père aime le Fils », se donne tout entier au Fils et l’engendre ainsi à la Vie… « Comme le Père a la Vie en Lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la Vie en lui-même » (Jn 5,26). C’est pourquoi, nous dit Jésus, « je vis par le Père » (Jn 6,57). « Né du Père avant tous les siècles, il est Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo). Et comme « l’Esprit » est « Vie » (Jn 6,63 ; Rm 8,2 ; 8,10-11 ; Ga 5,25 ; 6,8), pour le Père, donner la Vie c’est donner l’Esprit, cet Esprit qui le constitue : « Dieu est Esprit » (Jn 4,24). Et l’on peut dire aussi « Dieu est Saint » (Lv 11,44-45). Ainsi, en se donnant totalement au Fils, le Père le ‘remplit-il’ de toute éternité de ce qu’Il Est Lui-même, et Il Est Esprit, Il est Saint, Il Est Vie. Jésus est donc « rempli d’Esprit Saint » par le Père (Lc 4,1) « avant tous les siècles » et pour tous les siècles et c’est comme cela que le Père « l’engendre » à sa Vie, en lui donnant sa Plénitude d’Être et de Vie…

Et dans l’ordre de la création, le Père sera toujours « Source de Vie » (Jr 2,13 ; 17,13 ; Ps 42-43,2-3), « de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom » (Ep 3,14). La Bible de Jérusalem écrit ainsi en note : « L’origine de tout groupement humain, ou même angélique, remonte à Dieu, Père suprême ».

Dieu Père (Giovanni Battista Cima)

Nous, les hommes, ses créatures, nous avons donc tous un seul Père. « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20,17). « Quand vous priez, dites : « Père » » (Lc 11,1-4), comme le Fils le fait lui-même (Jn 17). Nous sommes tous en effet « enfants de Dieu » (Jn 1,12), créés « à l’image du Fils pour qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,29-30), tous appelés à partager la Plénitude de la Vie divine, cette Vie que le Fils reçoit du Père de toute éternité. Le Père « remplit » le Fils « d’Esprit Saint » depuis toujours et pour toujours ? Nous avons tous été créés « à l’image du Fils » pour qu’il en soit de même pour chacun d’entre nous, selon notre condition commune de créature : que nous soyons « remplis » nous aussi du même « Esprit Saint », cet « Esprit » qui est « Vie » (Ga 5,25), cet « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). L’expression « rempli d’Esprit Saint » se trouve ainsi appliquée dans le Nouveau Testament non seulement au Fils, vrai homme et vrai Dieu, mais aussi à Jean‑Baptiste (Lc 1,15), Elisabeth, sa mère (Lc 1,41), Zacharie, son père (Lc 1,67), Pierre (Ac 4,8), Etienne (Ac 6,5 ; 7,55), Paul (Ac 9,17), etc…

Et en nous donnant l’Esprit, Dieu nous donne tout, tout ce qu’Il Est (Jn 4,24), tout ce qu’il a. C’est ce qu’il fait pour son Fils de toute éternité : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15). Et il nous a créés pour que nous participions nous aussi à ce qu’Il donne à son Fils « avant tous les siècles ». A nous maintenant, avec le secours de sa grâce, d’accepter librement et de tout cœur de nous tourner vers Lui et de nous laisser aimer par Lui. Le père, dans la parabole du fils prodigue, un père qui représente Dieu le Père, dit ainsi à son second fils, le fils aîné : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15,31). La formule est identique à celle que Jésus utilise pour lui-même (Jn 16,15)… Père, dira-t-il, « tu les as aimés comme tu m’as aimés » (Jn 17,23)…

« Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5). « L’Esprit » donné par le Père est donc aussi « Lumière »… Et puisqu’il est « l’Esprit » du Dieu « Tout Puissant », il est encore « Puissance » (Lc 1,35 ; 4,14 ; Ac 10,38 ; Rm 1,4 ; 1Co 2,4 ; Ep 3,16 ; 1Th 1,5) et « Force » (Is 11,2 ; Ac 1,8 ; 2Tm 1,7). Or Dieu nous appelle tous à nous tourner vers Lui de tout cœur : « Tournez-vous vers moi et vous serez sauvés, tous les confins de la terre, car Je Suis Dieu, il n’y en a pas d’autre » (Is 45,22). Et Il Est « un Soleil qui donne la Grâce, qui donne la Gloire » (Ps 84(83),12), une « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13 ; 17,13) d’où ne cesse de jaillir « l’Eau Vive de l’Esprit » (Jn 7,37-39) par laquelle il engendre le Fils en Dieu né de Dieu de toute éternité… Quiconque acceptera de répondre à son appel à se tourner vers Lui de tout cœur, ne pourra donc que recevoir par le « Oui ! » de sa foi ce que le Fils reçoit déjà du Père depuis toujours et pour toujours : l’Esprit de Vie, de Lumière et de Force. Et ce Don est fait par Amour, gratuitement, au Fils et aux pécheurs que nous sommes puisque Dieu nous a tous créés pour que nous soyons remplis nous aussi, comme le Fils l’est de toute éternité, de sa Lumière et de sa Vie. Nous sommes pécheurs, nous sommes blessés, nous sommes malades ? « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6). St Paul en est sûr : il l’a expérimenté lui-même sur la route de Damas alors qu’il partait y persécuter la communauté chrétienne qui existait là-bas : « Moi, naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur, il m’a été fait miséricorde parce que j’agissais par ignorance, étranger à la foi ; et la grâce de notre Seigneur a surabondé avec la foi et la charité qui est dans le Christ Jésus. Elle est sûre cette parole et digne d’une entière créance : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier. Et s’il m’a été fait miséricorde, c’est pour qu’en moi, le premier, Jésus Christ manifestât toute sa patience, faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle » (1Tm 1,13-16). « Il n’est donc pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9,16). En effet, « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique-Engendré, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,16-17). Fragile, blessé, marqué par toutes sortes de faiblesses, dès qu’un pécheur répond à l’appel de son Créateur à se tourner vers Lui de tout cœur, il reçoit « le pardon de ses péchés et le Don du Saint Esprit » (Lc 2,37-41 ; 5,29-32 ; 1Th 4,8). « Dieu donne en effet l’Esprit Saint à ceux qui lui obéissent » (Ac 5,32). Il ne peut en être autrement puisqu’Il Est Soleil qui ne cesse de rayonner la Lumière de l’Esprit, Il Est Source qui ne cesse de donner l’Eau Vive de l’Esprit. Et voilà ce que le Fils reçoit du Père de toute éternité puisque Lui, il est toujours « tourné vers le sein du Père » (Jn 1,18) et « fait donc toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,29). Ce qui est déjà donné au Fils, voilà ce qu’il veut que nous recevions à notre tour, et il vient Lui-même nous apprendre à nous tourner vers Lui, à nous repentir et à nous repentir encore pour pouvoir recevoir pleinement le Don de Dieu : « l’Esprit qui vivifie »… « Ainsi donc aux païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie ! » (Ac 11,18 ; 5,31).  C’est Lui qui, petit à petit, nous « rend capable » d’accueillir ses dons ! « Avec joie, vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la Lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés » (Col 1,11-14) !

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Telle fut l’expérience de Paul, non seulement au jour de sa conversion, mais aussi dans l’expérience quotidienne de sa faiblesse (2Co 12,7-10) : « Il m’a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter – pour que je ne m’enorgueillisse pas ! A ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur pour qu’il s’éloigne de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse. » C’est donc de grand cœur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. C’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ ; car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. » Ainsi, Dieu remplit-il de son Esprit de Force quiconque reconnaît en vérité sa faiblesse en acceptant de la lui offrir… Et cet Esprit est aussi Lumière… Aussi, « jadis vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur ; conduisez-vous en enfants de lumière ; car le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité » (Ep 5,8-9).

Mais nous avons vu précédemment que le Père est ce Dieu « de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom » (Ep 3,14). Et la Bible de Jérusalem disait en note : « L’origine de tout groupement humain, ou même angélique, remonte à Dieu, Père suprême ». Dieu le Père est donc aussi Père des anges qu’il a également créés par amour pour leur donner d’avoir part à la Plénitude de son Esprit, de sa Lumière et de sa Vie. Et qui dit « amour » dit aussi « liberté »… Il ne peut y avoir de contrainte dans l’amour… Les anges étaient donc appelés eux aussi à « entrer dans la liberté de la Gloire des enfants de Dieu » (Rm 8,21). Mystérieusement, l’un d’entre eux refusa, « le diable », entraînant avec lui d’autres créatures angéliques, « les démons »… Mais le projet créateur de Dieu est de combler toutes ses créatures, humaines et angéliques, de sa Vie en leur donnant de participer, par leur consentement libre, à la Plénitude de sa nature divine (2P 1,4) qui est « Esprit » (Jn 4,24), « Lumière » (1Jn 1,5), Vie (Ga 5,25) et « Force » (Ac 1,8 ; 2Tm 1,7). De par son refus, « le diable » et « les démons » sont donc « vides » de cette Plénitude de l’Esprit qui est « Vie », « Lumière », « Force »… Leur état est donc celui d’une certaine mort spirituelle, dans les ténèbres et une faiblesse extrême… Face à Dieu, ils ne peuvent donc rien… Que vienne la Lumière du Seigneur ? Ils fuient devant Elle (Jn 1,5 ; 1Jn 2,8). Le Seigneur les commande ? Ils lui obéissent aussitôt (Mc 1,23-28 ; 5,1-13 ; 4,39 ; 9,25). 


Orgueilleux, « menteur et père du mensonge » (Jn 8,44), le diable cherchera à persuader les hommes du contraire pour faire naître en eux la peur… Et ce n’est que par cette peur qu’il aura une influence sur ceux et celles qui lui attribueront un pouvoir qu’il n’a pas. Par contre, quiconque accepte de se tourner de tout cœur vers Dieu, en lui offrant jour après jour sa faiblesse et ses misères, ne pourra que recevoir de ce « Dieu qui est un Soleil, un Bouclier » ((Ps 84(83),12), ce « Père des Lumières » (Jc 1,17) qui est aussi « le Père des Miséricordes » (2Co 1,3), l’Esprit de Lumière et de Vie qu’il donne déjà au Fils de toute éternité. Et par cet Esprit, il règnera dans les cœurs, les délivrant et les protégeant de tout mal… « Notre Père, délivre-nous du mal » (Mt 5,13). En effet, « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5), et la Lumière brille dans les ténèbres sans que celles-ci ne puissent la saisir (Jn 1,4-5). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et l’Amour « a tué la haine » (Ep 2,16). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24) et il est aussi « le Dieu de la Paix » (Ph 4,9). En recevant l’Esprit que le Fils reçoit du Père de toute éternité, « la paix du Christ règnera dans nos cœurs » (Col 3,15) et nous délivrera de tous les tourments, de toutes les angoisses, de tout « l’ivraie » que « l’ennemi sème » pourrait y semer (Mt 13,24-30). « Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22). C’est pourquoi, Jésus nous donne d’avoir part à sa Paix et à sa Joie en nous donnant d’avoir part à son Esprit : « Je vous laisse la paix ; c’est ma paix que je vous donne; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie » (Jn 14,27). « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11). « Je Suis avec vous » et pour vous « jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20 ; Rm 8,31‑39). Aussi, « confiance, n’ayez pas peur » (Mc 6,50 ; Mt 28,20). « C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour » (Ste Thérèse de Lisieux)…

 

Le serpent dans le Livre de la Genèse

 

La création de l’homme, ainsi que son premier péché, nous sont présentés dans le Livre de la Genèse de façon poétique. Mais n’oublions pas que ce poète est inspiré : la Parole qu’il nous transmet est « Parole de Dieu », c’est-à-dire révélation du mystère de Dieu et du mystère de l’homme…

L’homme, dernière créature de Dieu, sommet de la création, est le seul sur cette terre à être « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-27), la seule créature spirituelle dont le mystère de la vie s’enracine dans la présence au plus profond de lui-même d’une réalité de l’ordre du Souffle même de « Yahvé Dieu », symbole de son Esprit (Gn 2,7). En employant ce nom « Yahvé », rendu par le mot SEIGNEUR dans la TOB, notre auteur est en avance : ce n’est que bien plus tard que ce Nom divin sera révélé à Moïse dans l’épisode du Buisson Ardent. Le Dieu des Pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, est l’unique vrai Dieu, Celui-là seul qui peut s’appeler « JE SUIS », ou « Yahvé » (Ex 3,13-15). Il est Celui qui vit, par amour, en Alliance avec tous les hommes (Gn 9,8-17). Ainsi, avec Moïse, « il se souvient de son Alliance » (Ex 2,24) et lui promet d’être avec lui, jour après jour (Ex 3,12 ; 4,12 et 4,15). Pour Dieu, Il ne peut pas en être autrement car Il désire de toute la force de son Cœur que nous vivions tous avec Lui (Mt 28,20) et de Lui, sous le Soleil de son Amour (Mt 5,43-48 ; 1Jn 4,8.16) :

« Le Seigneur Dieu est un soleil, il est un bouclier ; le Seigneur donne la grâce, il donne la gloire.

Jamais il ne refuse le bonheur, à ceux qui vont sans reproche. 

Seigneur, Dieu de l’univers, heureux qui espère en toi ! »

(Ps 84(83),12-13)

 

Tel est le Dieu Créateur : le Dieu de l’Alliance qui veut vivre en alliance avec l’homme, sa créature, pour le combler de sa Lumière, de sa Grâce, de sa Gloire, en un mot, de son Esprit. Et cet Esprit, l’Esprit même de Dieu (Jn 4,24), est Plénitude de Vie (Ga 5,25 ; Jn 6,63), de Lumière (Jn 4,24 avec 1Jn 1,5), d’Amour, de Joie, de Paix (Ga 5,22 ; Rm 5,5 ; Jn 15,11 ; 14,27 ; Col 3,15) et donc de vrai Bonheur ( Jc 1,25 ; Mt 5,1-12 ; 13,16 ; 16,17 ; 17,4). C’est ce que suggère, de manière poétique, le Livre de la Genèse. En effet, juste après avoir créé l’homme, Dieu « planta un jardin en Éden, et il y mit l’homme qu’il avait modelé » (Gn 2,8). Or, « Éden », en hébreu, renvoie à « une abondance de joie ». La traduction grecque le rendra par « paradis » ! Mais attention, le jardin d’Éden, que Dieu confiera à l’homme pour le cultiver et le garder (Gn 2,15), fait partie intégrante de la création… Il est là, sur cette terre, et c’est déjà « là », ici‑bas, dès maintenant, que Dieu veut notre joie (Is 51,3 et 51,11 ; 9,2 ; 29,18-21 ; 35,1-10 ; 44,21-23 ; 48,20-21 ; 49,13-16 ; 52,7-10 ; 54,1-10 ; 55,12-13 ; 56,6-7 ; 61,1-3 ; 61,10-11). Et notre joie fera sa joie (Is 62,1-5 ; So 3,14-18 ; Jr 32,40-41 ; Lc 15,4-7) !

Eden 2

De plus, ce jardin nous est présenté comme « le jardin de Dieu » qu’il aime parcourir « à la brise du jour » (Gn 3,8). « Brise » traduit ici l’hébreu « ruah », le mot employé habituellement pour évoquer « l’Esprit » de Dieu. La notion de « jour » renvoie souvent de son côté à celle de « lumière ». Comment ne pas penser ici à « l’Esprit de Lumière », principe de ce Mystère de Communion qu’est la Sainte Trinité ? « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30), unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit qui est tout en même temps Amour (1Jn 4,8.16), Lumière (1Jn 1,5) et Vie. « Le jardin de Dieu » apparaît ainsi comme une nouvelle expression pour désigner « le Royaume de Dieu » qui est Mystère de Communion dans l’unité d’un même Esprit : « Le Royaume de Dieu est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17). Voilà ce que vit la Trinité « avant tous les siècles »… Et nous avons tous été créés pour participer à ce Mystère de Communion par le Don librement accueilli de l’Esprit Saint : « Père, qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17,20-23), unis avec nous (1Co 6,17) et les uns aux autres dans « l’unité de l’Esprit » (Ep 4,1-6).

Bien loin d’évoquer un lieu précis, « le jardin d’Eden », « le jardin de Dieu » nous renvoie plutôt à la simplicité d’une vie avec Lui, en relation de cœur avec Lui, mystère de communion où il fait bon vivre. L’homme ne s’y retrouve pas par lui-même : c’est Dieu qui, juste après l’avoir créé, le « prend » et le « dépose » dans ce jardin qu’il reçoit comme un Don gratuit de son Amour. Dieu lui offre alors « toutes espèces d’arbres séduisants à voir et bons à manger », avec notamment « l’arbre de vie au milieu du jardin », symbole de la vie éternelle, « de l’immortalité », précise en note la Bible de Jérusalem (Gn 2,9)… En ce jardin, tout a donc été prévu pour une vie donnée en surabondance (Gn 2,16 ; Jn 10,10)… Dans le Nouveau Testament, Jésus, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14) révèlera aux hommes qui l’avaient oublié que ce jardin, ce Royaume de Dieu, est toujours là, invisible à nos yeux de chair mais « tout proche » (Mc 1,14-15 ; Mt 4,17 après Mt 3,2 ; Mt 10,7 ; Lc 10,8-11), offert à notre foi avec le Don de l’Esprit (Mt 12,28 ; Jn 20,22 ; Ac 2,37-39 ; 1Th 4,8) pour notre vie (Jn 3,14-15 ; 5,24 ; 5,39-40) et notre joie (Jn 17,13). Et puisque Dieu, « Source » éternelle de Vie (Jr 2,13 ; 17,13), « Soleil » (Ps 84(83),12) qui ne cesse de donner « la Lumière de la Vie » (Jn 8,12), nous a tous créés pour nous combler de sa Vie, Lui, le premier, ne cessera de nous inviter à lui rester fidèles, pour notre Bonheur, notre Plénitude (Ep 5,18 ; 3,19). Tel est le sens de l’invitation à ne pas « manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », car si nous faisons l’expérience du mal, nous prévient Dieu, « de mort tu mourras » (Gn 2,17). En faisant le mal, ce qui revient à nous détourner de Lui, nous ne pouvons que nous priver nous-mêmes de sa Lumière et de sa Vie. La Bible en parle en termes de « ténèbres » et de « mort », deux mots qui évoquent une seule et même « privation » (Rm 3,23) : celle de la Lumière de son Esprit (Jn 4,24 et 1Jn 1,5), celle de la Vie de son Esprit (Is 38,16 ; Ez 37,10 ; 2M 7,22-23 ; Jn 6,63 ; Rm 8,2 ; 8,10-11 ; Ga 5,25 ; 6,8 ; Jn 4,10 et 7,37-39). Et Dieu, de son côté, ne veut pas que ses créatures vivent cet état de « mort » spirituelle (Rm 6,23), synonyme de souffrances et de mal-être profond (Rm 2,9). Qu’elles cessent donc de faire le mal, qu’elles se tournent vers Lui, qu’elles se convertissent et elles vivront (Lv 19,4 et 19,31 avec Is 45,22 ; Ez 18,23 ; 18,32 ; 33,11 ; Dt 30,15-20 en insistant sur le v. 19) !

 Adam et Eve

Dans un tel contexte, le diable, l’ennemi de Dieu et de l’homme, l’ennemi de leur vraie joie, apparaît sous la figure d’un serpent. Les conséquences d’une telle présentation sont nombreuses :

1 – Après l’Exode, Israël s’était installé en terre promise, « le pays de Canaan ». Or ses habitants vouaient un culte « aux forces souterraines », capables, croyaient-ils, d’exercer une influence sur la vie, la santé, la fertilité, la fécondité… Et ils représentaient ces forces sous la forme d’un serpent ! En reprenant ce symbolisme, notre auteur affirme donc indirectement que ces idoles païennes sont trompeuses : bien loin d’être « sources de vie », elles ne conduisent qu’à la désillusion et à la mort…

2 – Le serpent est une créature « que Yahvé Dieu a faite » (Gn 3,1). Le diable, le tentateur, est donc lui aussi une créature et ses possibilités ne sont que celles d’une créature ! Il n’est pas un dieu du mal qui s’opposerait au Dieu Bon, mais un être limité, tout comme nous… De plus, nous l’avons vu, en se détournant de Dieu, il ne peut qu’être vide du Don de Dieu, vide de sa Lumière, vide de sa Force… Sa faiblesse est donc extrême…

3 – Comment ce « serpent » s’appelle-t-il ? L’auteur ne donne pas son nom… Or le nom, dans la Bible, représente la personne qui le porte. Etre sans nom, c’est être un rien du tout !

4 – De plus, en décrivant le serpent comme étant « le plus rusé de tous les animaux des champs que Dieu avait faits » (Gn 3,1), l’auteur nous le présente comme appartenant au monde animal. Bien sûr, il n’en est pas ainsi, mais ce parallèle nous suggère quel type de relation devrait exister entre l’homme et ce serpent. Dieu a en effet donné à l’homme la mission de « dominer tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1,28), serpent compris… De par la volonté de Dieu, l’homme a donc la capacité de dominer ce serpent, et c’est bien ce qui arrivera lorsque « le lignage de la femme lui écrasera la tête » (Gn 3,15). Si, dans un premier temps, il semble remporter la victoire en poussant les hommes à faire mourir le Christ sur une Croix, le dernier mot appartiendra finalement au « lignage de la femme », Jésus, le Fils du Père, l’enfant de Marie. Ressuscité par le Père grâce à la Toute Puissance de l’Esprit de Lumière et de Vie, il se révèlera finalement comme le grand vainqueur du mal et de la mort. Et tous ceux et celles qui consentiront à croire en lui et à recevoir de lui Marie pour Mère (Jn 19,25-27) appartiendront eux aussi à ce « lignage de la femme » victorieux du mal…

Notons aussi que l’auteur du Livre de la Genèse ne donne aucune explication sur la présence de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » dans la création, comme sur celle de ce serpent trompeur. Jusqu’à présent, toutes les créatures de Dieu étaient belles et bonnes : les fruits nourrissaient la vie de l’homme, et les animaux lui venaient en aide (Gn 2,18‑19). « La séduction apparaît ainsi de façon improvisée, comme quelque chose d’absolument inexplicable, au cœur de la bonne création de Dieu. Pour ce qui est de l’origine du mal, il n’y a pas d’explication » (Claus Westermann). Et nous sommes renvoyés à cette liberté de choisir offerte aussi bien aux anges qu’aux hommes…

 

Le serpent s’attaque en premier lieu à Dieu et à sa Parole. Mais avec lui, il ne s’agit déjà plus de « Yahvé Dieu », le Dieu de l’Alliance qui ne cesse de manifester à son Peuple sa tendresse et sa miséricorde. Lui parle de « Dieu » tout court, un nom qui renvoie à la divinité en général (Gn 3,1). L’aspect central de la Révélation s’efface ; la perspective est beaucoup plus vague… Et telle est bien son œuvre : essayer d’occulter le plus possible le vrai visage de Dieu pour le remplacer par une représentation fausse, mensongère et redoutable, que l’homme s’empressera de repousser ! Mais en agissant ainsi, c’est Dieu qu’il rejettera, et le serpent aura gagné…

HST129516Le serpent s’attaque ensuite à la Parole de Dieu : « Alors, comme ça, Dieu a dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » (Gn 3,1). Il ne retient que la restriction en l’appliquant non pas au seul « arbre de la connaissance du bien et du mal » mais à tous les arbres du jardin, et il laisse de côté l’incroyable générosité de Dieu (Gn 2,16-17). Cette exagération est volontairement énorme. Dieu apparaît alors comme un ennemi déclaré de la vie, un être dominateur et incroyablement sadique : il crée un homme avec des besoins et des désirs, et il lui interdit de les satisfaire alors même qu’une abondance de biens l’entoure ! Il crée un homme vivant et il le condamne à mourir ! La femme va réagir, mais le serpent a atteint son but : semer en elle le doute vis-à-vis des intentions du Créateur… Dieu désire-t-il vraiment la Plénitude de la Vie pour ses créatures ? Est-il vraiment aussi généreux que cela ? Nous cacherait-il quelque part un bonheur qu’il se réserverait pour lui-même ? La réponse de la femme suggère toutes ces questions. En effet, là où Dieu avait dit : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin », elle dit : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin » (Gn 3,2). Le « tout » a disparu : la générosité de Dieu n’est plus aussi évidente ! Puis elle rajoute : « Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort » (Gn 3,3). Et là, que fait-elle ? Elle se trompe d’arbre ! L’arbre qui est au milieu du jardin, c’est « l’arbre de vie » et non « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,9). La réponse de la femme revient donc à affirmer : « Dieu nous a interdit de manger de l’arbre de vie, il ne veut pas que nous croquions dans la vie à pleines dents, nous ne connaîtrons jamais avec Lui la Plénitude du bonheur » ! En plus, elle rajoute un élément que Dieu n’a jamais dit : « Vous n’y toucherez pas ! » Et aucune raison n’est donnée à cet interdit… Le projet de Dieu n’est plus compris ! Il s’agit maintenant non plus « d’écouter pour vivre », mais « d’obéir pour obéir », comme on le fait vis-à-vis d’un tyran ! Et là encore une question peut surgir : mais qui donc est Dieu pour agir ainsi envers nous ? N’a-t-il créé l’homme que pour le maintenir sous sa coupe ?

Le serpent a gagné du terrain, il le sait… Aussi va-t-il attaquer maintenant à visage découvert en affirmant que Dieu est un menteur : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. » (Gn 3,5). Tout est mensonger dans cette phrase :

 1 – « Vous ne mourrez pas ? » Si, ils mourront à la Plénitude de la Vie de Dieu, car « le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort, et ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché » (Rm 5,12 ; Sg 2,23-24). Dieu, de son côté, n’a pas fait la mort, et Lui, l’Amoureux de la vie, ne prend pas plaisir à la perte des vivants (Sg 1,12-14). Il veut que tous les hommes, ses enfants, soient remplis de sa Vie…

 2 – « Vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux » ! Ce sera exactement le contraire. Certes, leurs yeux vont effectivement s’ouvrir (Gn 3,7), mais au lieu d’acquérir une connaissance divine, « comme des dieux », ils vont juste prendre conscience d’une seule chose : ils sont nus ! Ils rêvaient d’être « tout puissants », ils se découvrent faibles et désarmés. Ils voulaient se suffire à eux-mêmes ? Chacun est renvoyé à son état de créature, marqué par la différence, la limite, le manque, la finitude, l’impossibilité de s’accomplir tout seul… A leur désir d’indépendance succède le rappel brutal de leur dépendance mutuelle…

Et maintenant, eux qui voulaient voir ne le veulent plus ; mais comme leurs yeux sont désormais ouverts, c’est la réalité qu’ils vont se cacher en se confectionnant des pagnes…

 3 – « Comme des dieux qui connaissent le bien et le mal »… Mensonge… Dieu ne connaît que le bien, il n’a que l’expérience du bien, il ne sait faire que le bien… Et le serpent, en parlant ainsi, suscite l’attrait du mal : il le fait miroiter comme un « plus », c’est-à-dire comme un bien qui viendrait se surajouter au bien lui-même ! Il invite à penser le mal comme un bien (Is 5,20)… Mais là encore, mensonge : le mal n’a aucune existence propre. Il n’est que la négation et la destruction d’un bien. Il ne peut pas être un « plus ». Au contraire, il est un « moins ». « Faire l’expérience du mal » sera donc « faire l’expérience de l’absence d’un bien », ce qui ne peut qu’être source de déception, d’amertume et de regrets… C’est pourquoi le pécheur est avant tout, et Dieu le regarde ainsi, un malheureux (Is 48,22 ; Jr 2,17‑19), un souffrant (Rm 2,9), un blessé (Ps 69(68),30-31 ; Pr 8,35-36 ; Jr 7,18-19 ; Is 30,26 ; 58,6-8) car il est privé par suite de ses fautes de la Plénitude de la Vie de Dieu. Il a besoin d’une guérison intérieure pour retrouver sa propre intégrité, et avec elle, cette Vie qui seule pourra combler son cœur et lui donner de connaître enfin la vraie joie, le vrai bonheur, car c’est pour elle qu’il a été créé. La fin du récit le présente d’ailleurs comme étant « renvoyé » du « jardin d’Eden », ce jardin où Dieu se promène à la brise du jour (Gn 3,8), une image, nous l’avons vu, qui renvoie à son Mystère de Communion dans l’unité de cet Esprit (Jn 4,24) qui est Lumière (1Jn 1,5) et Vie (Gal 5,25). Privé de cette Plénitude, l’homme se peut donc que se retrouver dans les ténèbres intérieures… Alors, « il aura beau regarder, il ne verra pas » (Mt 13,14). Il sera dans la vie comme quelqu’un qui marche de nuit : « il butera, parce que la Lumière n’est pas en Lui » (Jn 11,9-10).

 4 – Enfin, notons que le serpent tente l’homme sur le mystère de sa propre vocation : « être à l’image et ressemblance de Dieu », c’est-à-dire, quelque part, « être comme un dieu » (1Jn 3,1-2). Mais pour lui, « être comme un dieu », c’est être son égal, c’est s’élever à son niveau, c’est renier son état de créature pour prendre la place du Créateur en décidant tout seul ce qui est bien ou ce qui ne l’est pas… L’expression « image et ressemblance » a d’ailleurs disparu de sa bouche, elle qui insiste sur le lien entre Dieu et l’homme mais rappelle la distance qui existe entre le Créateur et sa créature. Le serpent fait donc tout pour que l’homme mette Dieu de côté : il veut casser la relation qui existe entre les deux. Mais cette relation pour l’homme est vitale : Dieu l’a créé en insufflant en lui son Souffle de Vie, son Esprit Saint (Gn 2,7), et il ne cesse de souffler en lui pour le maintenir dans l’existence (Job 34,14-15). Pour l’homme, mettre Dieu de côté, c’est se détourner de la seule et Unique Source de Vie (Jr 2,13), c’est s’engager sur un chemin de mort, de privation de la seule Plénitude qui peut lui apporter le vrai Bonheur : la Plénitude de la Vie de Dieu pour laquelle il a été créé…

 Le serpent est donc une créature au pouvoir limité, un ange qui, librement, a refusé Dieu et ce Don qu’il ne cesse de faire de Lui-même pour le bien de toutes ses créatures, célestes et terrestres. En le rejetant, il a donc aussi rejeté l’Amour, la Force, la Paix, la Joie qui viennent de Lui pour basculer dans la jalousie et la haine, haine de Dieu et haine des hommes créés à son image et ressemblance. Il est en effet jaloux de ce Bonheur que les créatures qui sont demeurées en relation avec Dieu ne cessent de recevoir de Lui, car il ne peut le saisir, le prendre par lui‑même pour lui-même… Sa main qui se referme sur le vent de l’Esprit (Jn 3,8 ; même mot, en hébreu (AT) comme en grec (NT)), sur la Lumière de l’Esprit ne peut que se retrouver vide des vrais biens de l’Esprit… L’Esprit, en effet, ne se prend pas, il ne s’achète pas (Ac 8,18-24), il se reçoit gratuitement de l’Amour dès lors qu’on accepte de se tourner vers Lui de tout cœur en renonçant au mal et à toutes ses séductions trompeuses…

Rempli de jalousie et de haine, le diable cherchera donc, par sa parole, par ses suggestions, à entraîner les hommes loin de Dieu. Pour cela, il prendra le visage bienveillant du Dieu bienveillant, se préoccupant, semble-t-il, du seul bien être de ceux et celles auxquels il s’adresse. Telle est sa ruse… Et il cherchera à leur faire croire que le mal est un bien… Il est ténèbres, mais il se déguise en Ange de Lumière (2Co 11,14) pour les séparer de Celui-là seul qui est Lumière (1Jn 1,5 ; Jn 8,12 ; 12,46). Il est l’adversaire, mais il leur suggère que l’adversaire de leur vrai bonheur, c’est Dieu. Il est jaloux en fait du bonheur que Dieu veut pour les hommes (Et tout ce qu’Il veut, Il le fait (Ps 115(113B),3 ; 135(134),6), mais il cherche à les persuader que le vrai jaloux, c’est Dieu, Lui qui ne voudrait pas que ses créatures aient part à tout ce qu’Il a (Lc 15,31), à tout ce qu’Il Est (2P 1,4)… Il est égoïste, mais il suggère que le vrai égoïste, c’est Dieu, lui qui en se gardant des biens pour lui-même ne penserait finalement qu’à lui-même. Il est dominateur, mais il leur présentera Dieu comme un dictateur qui ne désire qu’une seule chose : être obéi aveuglément, sans chercher à comprendre… « Ne touche pas »… Il est menteur et père du mensonge (Jn 8,44), mais il déclare ouvertement que le vrai menteur, en fait, c’est Dieu. « Mais non, vous ne mourrez pas »… Et pourtant, c’est bien lui qui « est homicide dès le commencement » (Jn 8,44), lui qui ne vient que pour « voler » la seule vraie Vie de l’homme, et donc « égorger et faire périr » (Jn 10,10)… Et lorsque cette logique de la jalousie, de l’égoïsme et de la haine s’installe parmi les hommes, nous en connaissons tous les fruits : mépris de l’autre, violences de toutes sortes, meurtres…

 

Le diable dans le Nouveau Testament

 

Dans le Nouveau Testament, les mots « démons » (62), « diable » (33), « Satan » (36) interviennent beaucoup plus souvent que dans l’Ancien. Le contexte de l’époque avait en effet tendance à attribuer tout mal, et notamment toute maladie, à une action directe du démon, alors que nous parlerions aujourd’hui d’épilepsie (Mc 9,17-18), de troubles du langage (Lc 11,14) ou de la vue (Mt 12,22)… La médecine n’était pas aussi avancée qu’aujourd’hui… Néanmoins, une telle vision avait le mérite de présenter clairement la maladie et la souffrance comme des réalités que Dieu n’a pas voulues et qu’il s’agit de combattre. Aujourd’hui, il nous faut éviter deux extrêmes : voir le diable partout, ou nier totalement son existence.

Poussé au désert par l’Esprit, Jésus commence sa mission en affrontant le démon (Mt 4,1-11). Mais là où Adam et Eve (symboles de toute l’humanité) avaient échoué, l’Homme Jésus va réussir et inaugurer ainsi ces temps nouveaux où il sera donné à tout homme de pouvoir vaincre le mal par sa foi au Christ Jésus…

St Matthieu présente tout de suite le diable comme « le tentateur » qui essaye de détourner les hommes de Dieu. Aussi va-t-il s’attaquer directement au cœur du mystère de Jésus, Lui qui est « Fils de Dieu » (Mt 4,3), « Dieu Fils Unique » (Jn 1,18 ; 1,14 ; 3,16-18), engendré non pas créé (Crédo) et qui, de toute éternité, reçoit son Être et sa Vie du Père (Jn 5,26 ; 3,36 ; 16,15). Sans Lui, le Fils n’est rien, il ne peut rien (Jn 5,19 ; 5,30 ; 8,28-29). Le démon va donc essayer de casser cette relation qui l’unit à son Père en l’invitant à la désobéissance. Remarquons tout de suite que l’influence du démon sur Jésus n’est que de l’ordre de la parole : il suggère, il invite à agir de telle ou telle manière. Jésus l’entend bien sûr, mais personne ne peut l’obliger à lui obéir. Ce point est très important, car l’influence de Satan sur nous est identique : mauvais désirs, mauvaises pensées auxquelles nous donnerons vie si et seulement si nous leur obéissons. Par contre, l’influence de Dieu sur nous, si nous l’acceptons, est incomparablement plus forte : elle est de l’ordre d’un mystère de communion où Dieu s’unit à nous en nous donnant d’avoir part un Unique Esprit (1Jn 1,1-3 ; 1Th 5,9-10). Elle est donc de l’ordre de l’Être et de la Vie…

 Vitail

Jésus devra donc affronter trois tentations (cf Mt 4,1-11) :

 Pains1 – « Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains ». Jésus va-t-il utiliser son état de « Fils de Dieu » pour son propre intérêt en cherchant dans les biens matériels l’apaisement de ses faims ? Non, car le Fils se reçoit entièrement de son Père et c’est de Lui qu’il attend tout : lorsque l’heure sera venue, les anges le serviront (Mt 4,11 ; Mc 1,13). Aussi, Jésus va-t-il opposer à la parole du serpent la seule Parole à laquelle il obéit : celle du Père. Ecouter sa Parole et la mettre en pratique : voilà la vraie Source de Vie (Dt 8,1-3 cité par Jésus ; Si 17,11 ; 45,5 ; 24,19-21 ; Ne 9,29 ; Sg 16,26 ; Ps 119(118),37 ; v. 93), qui, seule, peut combler le cœur de l’homme (Ps 119(118),1-3 et v. 47, 77) alors même que la faim corporelle le tenaille.

 

Tentation-de-Jésus-3« Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas »… Jésus ne peut rien faire de lui-même, il est le Serviteur du Père (Ac 3,13 ; 3,26 ; 4,26-27 ; 4,29-30). Ce n’est donc pas à Lui de dire au Père ce qu’il doit faire ou de lui imposer quoique ce soit. Jésus est doux et humble de cœur (Mt 11,29) : c’est le Père qui, dans sa vie, a la première place, et non lui-même… Ste Thérèse de Lisieux avait la même attitude intérieure : « Je suis trop petite pour avoir la force par moi-même. Si je demandais des souffrances, ce serait mes souffrances à moi, il faudrait que je les supporte seule, et je n’ai jamais rien pu faire toute seule » (cf. Jn 15,5). Et comme on lui proposait de prier la Sainte Vierge pour qu’elle diminue l’oppression créée par sa tuberculose, elle répondit : « Non, il faut les laisser faire là‑haut ». Elle s’était totalement abandonnée dans les bras de son Dieu…

 

suis-roi-monde-L-AqULjo3 – « Tous les royaumes du monde, je te les donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage ». Le démon suggère à Jésus d’être Roi comme, hélas, les grands de cette terre le sont trop souvent. Mais non, Jésus n’est pas venu pour dominer mais pour servir. Il rejette vigoureusement l’idole du pouvoir pour réaffirmer la primauté de sa relation à son Père : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à lui seul tu rendras un culte » (Dt 6,13).

 

« La victoire de l’homme sur Satan, tel est en effet le but même de la mission du Christ, venu « réduire à l’impuissance celui qui avait l’empire de la mort, le diable » (Hb 2,14), « détruire ses œuvres » (1Jn 3,8), autrement dit substituer le règne de son Père à celui de Satan (1Co 15,24-28 ; Col 1,13-14). Aussi les Evangiles présentent-ils sa vie publique comme un combat contre Satan. La lutte a ainsi commencé avec l’épisode de la tentation où, pour la première fois depuis la scène du paradis, un homme représentant l’humanité, Jésus « fils d’Adam » (Lc 3,38), se trouve face à face avec le diable » et déjoue toutes ses ruses (LYONNET Stanislas, article « Satan », dans le VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE (Edition du Cerf), colonne 1197).

Ce combat entre cet ange Satan et ses complices, les démons, se poursuit tout au long de l’Evangile. Ils savent bien qui est Jésus lorsqu’ils le rencontrent (Mc 1,23-24 ; 5,6-7), mais il les chasse d’une seule Parole, avec une facilité déconcertante (Mc 1,25 ; 5,8 ; 7,29 ; 9,25).

Les ténèbres s’acharnent contre la Lumière, mais elles ne peuvent rien contre elle (Jn 1,5). Sur Jésus, en effet, Satan, le Prince de ce monde, n’a aucun pouvoir (Jn 14,30). Pourtant, il ne va pas cesser de s’attaquer à lui, excitant la haine contre lui (1Jn 2,9-11 ; Jn 15,23-25 ; Tt 3,3 ; Gal 5,19-21 où le mot « chair » est synonyme de péché) pour finalement se déchaîner au moment de la Passion, poussant les hommes qui ne lui résistent pas à trahir Jésus (Jn 13,2 ; 13,27 ; Lc 22,3), à lui faire violence, à mentir à son sujet (Jn 8,44 ; Mt 26,59-61 à comparer avec Jn 2,19), et cela en totale opposition avec la Loi de Moïse (Ex 20,16 ; Dt 5,20)… Mais l’Amour ne répond pas au mal par le mal. Il ne le peut pas. L’Amour (1Jn 4,8 ; 4,16) ne sait faire qu’une chose : aimer. Aussi, face à ses accusateurs, le Christ se tait (Mc 14,61), il accepte tout, supporte tout, offre tout et espère tout (1Co 13,4-7). Personne ne lui prend sa vie: c’est lui qui la donne (Jn 10,18), transformant en bien tout ce mal qu’on lui fait pour ceux-là même qui lui font du mal (1P 2,21‑24 ; Lc 23,34 ; Ac 3,25-26). Ainsi ce sang, que nous les hommes, nous avons fait couler, Christ nous le donne pour notre salut. L’accueillir par la foi sera passer de la culpabilité au pardon et à la paix (Mt 26,28 ; Ep 1,7 ; Col 1,19-20 ; 1Jn 1,7 ; Ap 1,4-5 ; 7,14), de la séparation d’avec Dieu à la communion avec Lui (Jn 6,56 ; Ep 2,13), de l’esclavage du péché à la liberté des enfants de Dieu (1P 1,18-19), de la mort à la vie (Jn 6,53‑54). Grâce à ce sang versé, nous pouvons à nouveau entrer de cœur, par notre foi et dans la foi, dans ce « jardin d’Éden » où le Dieu de l’Alliance aime à venir à la rencontre de ses créatures (Gn 3,8‑9 ; Mt 26,26-28) pour les combler de ses bienfaits (Ep 1,3) et les unir à Lui dans l’Amour.

Croix de Lumière

Christ meurt… Lui qui se disait « Roi » (Jn 18,36-37), le voilà « jeté bas » au regard des hommes. Mais au moment précis où le Prince de ce monde se croyait certain de sa victoire, c’est lui qui est « jeté bas » (Jn 12,31 ; 16,11) ! Le Père ressuscite son Fils et l’exalte au plus haut des cieux, lui donnant le Nom qui est au-dessus de tout nom (Ph 2,6-11), bien au‑dessus de toute Puissance mauvaise (Ep 1,20-22 ; 1Co 15,24-28) : Christ est bien le Roi de l’univers, victorieux de la mort, des ténèbres et du Prince des ténèbres ! Désormais, tous ceux qui se confieront en lui n’auront plus rien à craindre de Satan et de ses anges car Sa Victoire est désormais la leur (Ap 12,10-11 ; Jn 10,27-29) ! Par le baptême, ils ont reçu l’Esprit Saint, l’Esprit du Christ. Unis par l’Esprit et dans l’Amour à Celui-là seul qui est Lumière du monde (Jn 8,12), ils sont devenus des enfants de la Lumière (Ep 5,8-9), et les ténèbres ne peuvent rien contre elle (Jn 1,5 ; 14,30)… Qu’ils travaillent donc à leur salut (Ph 2,12) en laissant jour après jour la victoire du Christ transformer toute leur vie (1Jn 2,13-14 ; 1Co 10,13). La patience de Dieu est infinie et sa Miséricorde est sans limite : grâce à elle, l’impossible peut se réaliser (Mt 19,23-26). « Il n’y a en effet qu’un mouvement au cœur du Christ : effacer le péché et emmener l’âme à Dieu… Nous sommes bien faibles, je dirais même, nous ne sommes que misère, mais Il le sait bien, Il aime tant nous pardonner, nous relever, puis nous emporter en Lui, en sa pureté, en sa sainteté infinie. C’est comme cela qu’il nous purifiera, par son contact continuel » (Elisabeth de la Trinité).

 

Le regard de Ste Thérèse de Lisieux sur le démon.

 

« Je me souviens d’un rêve que j’ai dû faire vers cet âge et qui s’est profondément gravé dans mon imagination. Une nuit, j’ai rêvé que je sortais pour aller me promener seule au jardin. Arrivée au bas des marches qu’il fallait monter pour y arriver, je m’arrêtai saisie d’effroi. Devant moi, auprès de la tonnelle, se trouvait un baril de chaux et sur ce baril deux affreux petits diablotins dansaient avec une agilité surprenante malgré des fers à repasser qu’ils avaient aux pieds ; tout à coup ils jetèrent sur moi leurs yeux flamboyants, puis au même moment, paraissant bien plus effrayés que moi, ils se précipitèrent au bas du baril et allèrent se cacher dans la lingerie qui se trouvait en face. Les voyant si peu braves je voulus savoir ce qu’ils allaient faire et je m’approchai de la fenêtre. Les pauvres diablotins étaient là, courant sur les tables et ne sachant comment faire pour fuir mon regard ; quelquefois ils s’approchaient de la fenêtre, regardant d’un air inquiet si j’étais encore là et me voyant toujours, ils recommençaient à courir comme des désespérés. Sans doute ce rêve n’a rien d’extraordinaire, cependant je crois que le Bon Dieu a permis que je m’en rappelle, afin de me prouver qu’une âme en état de grâce n’a rien à craindre des démons qui sont des lâches, capables de fuir devant le regard d’un enfant »…

 Therese

« Enfin le beau jour de mes noces arriva » (Jour de son engagement définitif envers Dieu), « il fut sans nuages, mais la veille il s’éleva dans mon âme une tempête comme jamais je n’en avais vue… Pas un seul doute sur ma vocation ne m’était encore venu à la pensée, il fallait que je connaisse cette épreuve. Le soir, en faisant mon chemin de la Croix après matines, ma vocation m’apparut comme un rêve, une chimère… je trouvais la vie du Carmel bien belle, mais le démon m’inspirait l’assurance qu’elle n’était pas faite pour moi, que je tromperais les supérieures en avançant dans une voie où je n’étais pas appelée… Mes ténèbres étaient si grandes que je ne voyais ni ne comprenais qu’une chose : Je n’avais pas la vocation !… Ah ! comment dépeindre l’angoisse de mon âme ?… Il me semblait (chose absurde qui montre que cette tentation était du démon) que si je disais mes craintes ma maîtresse elle allait m’empêcher de prononcer mes Saints Vœux ; cependant je voulais faire la volonté du bon Dieu et retourner dans le monde plutôt que rester au Carmel en faisant la mienne ; je fis donc sortir ma maîtresse et remplie de confusion je lui dis l’état de mon âme… Heureusement elle vit plus clair que moi et me rassura complètement ; d’ailleurs l’acte d’humilité que j’avais fait venait de mettre en fuite le démon qui pensait peut-être que je n’allais pas oser avouer ma tentation. Aussitôt que j’eus fini de parler mes doutes s’en allèrent, cependant pour rendre plus complet mon acte d’humilité, je voulus encore confier mon étrange tentation à notre Mère qui se contenta de rire de moi ».  

« Oui je le sens, lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui, plus aussi j’aime toutes mes sœurs. Lorsque je veux augmenter en moi cet amour, lorsque surtout le démon essaie de me mettre devant les yeux de l’âme les défauts de telle ou telle sœur qui m’est moins sympathique, je m’empresse de rechercher ses vertus, ses bons désirs, je me dis que si je l’ai vue tomber une fois elle peut bien avoir remporté un grand nombre de victoires qu’elle cache par humilité, et que même ce qui me paraît une faute peut très bien être à cause de l’intention un acte de vertu. Je n’ai pas de peine à me le persuader, car j’ai fait un jour une petite expérience qui m’a prouvé qu’il ne faut jamais juger. C’était pendant une récréation, la portière sonne deux coups, il fallait ouvrir la grande porte des ouvriers pour faire entrer des arbres destinés à la crèche. La récréation n’était pas gaie, car vous n’étiez pas là, ma Mère chérie, aussi je pensais que si l’on m’envoyait servir de tierce, je serai bien contente ; justement mère Sous-Prieure me dit d’aller en servir, ou bien la sœur qui se trouvait à côté de moi ; aussitôt je commence à défaire notre tablier, mais assez doucement pour que ma compagne ait quitté le sien avant moi, car je pensais lui faire plaisir en la laissant être tierce. La sœur qui remplaçait la dépositaire nous regardait en riant et voyant que je m’étais levée la dernière, elle me dit : «Ah ! j’avais bien pensé que ce n’était pas vous qui alliez gagner une perle à votre couronne, vous alliez trop lentement »…»

 

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« Bien certainement toute la communauté crut que j’avais agi par nature et je ne saurais dire combien une aussi petite chose me fit de bien à l’âme et me rendit indulgente pour les faiblesses des autres. Cela m’empêche aussi d’avoir de la vanité lorsque je suis jugée favorablement car je me dis ceci : Puisqu’on prend mes petits actes de vertus pour des imperfections, on peut tout aussi bien se [13v°] tromper en prenant pour vertu ce qui n’est qu’imperfection. Alors je dis avec Saint Paul : Je me mets fort peu en peine d’être jugé par aucun tribunal humain. Je ne me juge pas moi-même, Celui qui me juge c’est le Seigneur. Aussi pour me rendre ce jugement favorable, ou plutôt afin de n’être pas jugée du tout, je veux toujours avoir des pensées charitables car Jésus a dit : Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ».

 

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« On vient me dire: « Vous aviez raison hier d’être sévère, au commencement cela m’a révoltée, mais après je me suis souvenue de tout et j’ai vu que vous étiez très juste… écoutez: en m’en allant je pensais que c’était fini, je me disais: « Je vais aller trouver notre Mère et lui dire que je n’irai plus avec ma Sœur Thérèse de l’Enfant Jésus. » « Mais j’ai senti que c’était le démon qui m’inspirait cela et puis il m’a semblé que vous priiez pour moi, alors je suis restée tranquille et la lumière a commencé à briller, mais maintenant il faut que vous m’éclairiez tout à fait et c’est pour cela que je viens. » La conversation s’engage bien vite »

                                                                                                                                 D. Jacques Fournier

[1] Le verbe donner, didômi, en grec, est conjugué ici au « parfait », Or, « le parfait représente un état présent résultant d’une action passée » (WENHAM J. W., Initiation au grec du Nouveau Testament p. 143). Autrement dit « le Père a donné » au Fils, dans le passé, et le Fils a toujours, au présent, ce qu’il a reçu du Père… Mais le Père est Dieu, le Fils est Dieu, et cela est vrai de toute éternité. Autrement dit, de toute éternité, le Père donne au Fils tout ce qu’Il Est, et Il Est Dieu, et de toute éternité, le Fils reçoit ce Don du Père qui l’engendre en Fils, « Dieu né de Dieu »…

Fiche n°16 (Mc 9,14-29) Document en PDF pour une éventuelle impression.