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La Résurrection du Christ, à la lumière des textes du Nouveau Testament

En 1993, la Commission Théologique Internationale a publié une étude intitulée : « Quelques questions actuelles concernant l’Eschatologie », c’est à dire « les fins dernières »… C’est à partir de ce travail que nous allons regarder le Mystère de la Résurrection du Christ, en nous basant essentiellement sur les témoignages de celles et ceux qui l’ont vu Ressuscité, tels qu’ils nous sont rapportés dans le Nouveau Testament…

Pour des raisons pratiques de mise en page du document, et donc pour vous faciliter la lecture, nous vous invitons à cliquer sur le document PDF ci-joint… Plein de bonnes choses à vous…

D. Jacques Fournier

La Résurrection du Christ : document PDF pour lecture et éventuelle impression.




Sur la base de la conception biblique de l’homme : « Aimer la famille humaine comme Dieu l’aime pour travailler tous ensemble à son bien. »

« De fondement, nul ne peut en poser d’autres que celui qui s’y trouve déjà : Jésus Christ » (1Co 3,11). « Tout fut par lui et sans lui rien ne fut » (Jn 1,3). Et toute son œuvre sera de faire en sorte que le projet créateur s’accomplisse pleinement. Alors, « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14), et avec lui l’humanité a compté enfin un homme « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-27). Il sera « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) car, avec lui et par lui, Dieu veut offrir à tout homme la possibilité de « reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,28-30). Si nous consentons à accueillir Celui qui, le premier, est venu nous rejoindre dans le Fils, nous deviendrons alors, petit à petit, de miséricorde en miséricorde, des « enfants de Dieu » (Jn 1,12) « à l’image du Fils » et donc « à l’image et ressemblance de Dieu »… Et tout ceci adviendra grâce au Don de l’Esprit que le Fils est venu nous communiquer au Nom de son Père… Ressuscité, « il souffla » en effet sur ses disciples, comme Dieu avait soufflé en l’homme au commencement du monde pour « insuffler en lui une haleine de vie » (Gn 2,4b-7). Alors, par le Christ Sauveur et le Don de l’Esprit, l’homme peut devenir pleinement lui-même…

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Nous allons donc revisiter ici un des textes les plus importants de la Bible, le premier chapitre du Livre de la Genèse qui nous présente l’œuvre créatrice de Dieu, et nous nous attarderons tout particulièrement sur les versets concernant l’homme « créé à l’image et ressemblance de Dieu ».

Nous soulignerons la valeur inestimable de tout homme aux yeux de Dieu, une simple constatation qui, pour nous croyants, suffit à mettre l’homme à la première place de toute préoccupation, quelle qu’elle soit … « L’être humain a évidemment une primauté de valeur sur toute la création » (Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix, 1° janvier 2008 (MJMP 2008), &7 ; ).

Puis nous verrons comment l’homme devrait exercer la mission qui est la sienne sur cette terre. Une allusion au second récit de la création et un détour par la lettre de St Paul aux Romains soulignera l’importance du regard fraternel, universel et bienveillant que nous devrions porter sur tous ceux et celles qui nous entourent, quelles que soient leur culture, leur appartenance religieuse ou non, etc… En effet, les valeurs de Dieu, les seules sur lesquelles toute vie personnelle ou communautaire peut vraiment se construire, habitent au cœur de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté. En reconnaissant leur présence par-delà toutes les étiquettes sociales ou religieuses, nous pourrons alors nous engager avec eux, quels qu’ils soient, pour travailler ensemble au bien commun de tous…

Nous vivrons alors le Mystère de l’Eglise, au-delà de toutes frontières…

 

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Le premier récit de la Création que nous reprenons à chaque veillée pascale (Gn 1,1-2,4a) était très certainement autrefois un cantique liturgique en sept strophes, avec un refrain : « Et Dieu vit que cela était bon ; il y eut un soir, il y eut un matin, xème jour ». Toute sa rédaction était tendue vers le dernier jour, le septième, où, après avoir créé l’univers en dix Paroles, Dieu « cessa toute activité », « sabat » en hébreu. L’auteur pouvait ainsi le prendre en exemple dans le Livre de l’Exode pour le 4° commandement juif, le 3° pour nous catholiques, celui du sabbat (Ex 20,8-11), ce jour où l’homme est invité à mettre sa relation à Dieu à la première place dans sa vie…

 

Regardons tout de suite le passage relatif à la création de l’homme (Gn 1,26-28) :

 

Le projet de Dieu :

 

– 1 – « Faisons l’homme »…

A – (26) Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance

 

– 2 – « Qu’ils dominent sur »…

B – et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux, sur toute la terre,

       et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre ».

 

Dieu réalise son projet:

 

– 1 – « Dieu fit l’homme »…

A’ – (27) Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa.

 

                         La bénédiction de Dieu qui permettra à l’homme de réaliser le projet de Dieu :

(28) Et Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la;

 

– 2 – « Dominez sur »…

B’ – Dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et sur tout être vivant qui rampe sur la terre ».

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I – La valeur inestimable de tout homme aux yeux de Dieu.

« Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » (Is 43,4)

 

  • Comme pour les autres créatures, la création de l’homme commence par une Parole de Dieu, mais celle-ci est différente des précédentes. Il ne s’agit pas en effet d’un ordre suivi immédiatement de sa réalisation, « ‘Que la lumière soit’, et la lumière fut » (Gn 1,3), mais d’une Parole exprimant un désir. Dieu semble penser tout haut et il nous révèle ainsi son rêve, son intention la plus profonde : l’homme

 

  • De plus, le verbe « faire » n’intervient pas ici lors de sa création, mais seulement le verbe « créer, bara’ », un verbe qui dans toute la Bible n’a que Dieu pour sujet. Et il apparaît trois fois. Or le chiffre « trois » est souvent un chiffre symbolique qui renvoie à Dieu en tant qu’il agit. Dieu a donc agi pour l’homme avec une intensité toute particulière, comme il ne l’avait encore jamais fait jusqu’à présent. Il a déployé pour lui tous ses talents de Créateur et l’homme est apparu dans l’existence. Le texte ne nous dit rien d’ailleurs sur le « comment » de sa venue au monde : son origine demeure un Mystère que Dieu seul connaît…

 

  • Enfin, et le terme arrive pour la septième fois dans le texte en signe de plénitude, Dieu déclare une fois l’homme créé : « Et voici : cela était très bon ». Or, « tob », « bon » en hébreu, peut aussi se traduire par « bien », « beau »… Nous le retrouverons plus tard dans « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,9) Comme le souligne André Boulet, « littéralement, il faudrait traduire par « Quel bien ! »… Le terme employé pour signifier cette bonté ne se réfère pas d’abord à une catégorie esthétique, mais à une catégorie éthique : la Création est fondamentalement bonne, et, parce que bonne, elle est belle »[1]. Et Dieu regarde l’homme au cœur de la création comme un bien profond…

 

  • Puis, juste après l’avoir créé, Dieu va le bénir, comme il l’avait fait auparavant pour les premiers êtres vivants qui étaient apparus dans la mer et dans le ciel, révélation indirecte de son amour pour la vie. Cette bénédiction est la grâce que Dieu donne à tout homme pour pouvoir pleinement s’accomplir. Elle l’accompagne tout au long de sa vie et ne demande qu’à être accueillie par des cœurs de bonne volonté… Nous percevons déjà ici l’importance de la relation « Créateur-créature », nous y reviendrons. Cette grâce devrait nous inciter à avoir confiance dans la vie, dans l’avenir, car elle sous-entend que Dieu accompagne l’histoire de chacun, l’histoire de l’humanité, pour lui permettre de déboucher sur cet « à venir » qui nous attend tous, par-delà notre mort sur cette terre…

 

  • Pour les animaux, nous avions : « Dieu les bénit en disant : « Soyez féconds, multipliez…» », tandis que pour l’homme nous avons : « Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds, multipliez » »… La différence est minime mais elle est capitale : l’homme est la seule créature à laquelle Dieu adresse la Parole. Nous avons ainsi été créés pour vivre en relation avec lui, pour l’écouter, le comprendre, lui répondre… Tel est le fondement ultime de notre vie.

 

  • Enfin, l’homme est la seule créature à « être à l’image et ressemblance de Dieu ». Il existe donc un lien unique entre l’homme et Dieu, à tel point qu’en regardant l’homme, il est possible de découvrir quelque chose du Mystère de Dieu, et ce n’est qu’en regardant Dieu que l’on comprendra toujours davantage « qui » est l’homme…

Le second récit de la création permet de préciser ce que « être à l’image et ressemblance de Dieu » sous entend. En effet, dans ce second récit, l’homme est la seule créature vivante que Dieu suscite dans l’existence en soufflant en lui : « Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Or, le souffle dans la Bible renvoie à l’Esprit de Dieu, à l’Esprit Saint… Et, nous dit St Jean, « Dieu est Esprit » (Jn 4,24). Le mystère de la vie de chaque être humain s’enracine donc dans la Présence au plus profond de son être d’une réalité qui est de l’ordre de « l’Esprit Saint », c’est-à-dire de l’ordre de ce que Dieu est en Lui-même… Comme l’écrit le P. Ceslas Spicq, « être l’image » c’est « participer l’être » et la vie du « Dieu vivant ».[2] L’idée de « souffle » en en effet inséparable de celle de « vie », le souffle manifestant la présence de la vie. Recevoir le souffle de Dieu, c’est donc recevoir la vie de Dieu. L’Esprit de Dieu est ainsi avant tout une réalité de l’ordre de la vie : « c’est l’Esprit qui vivifie » nous dit Jésus en St Jean (Jn 6,63 ; cf. Ga 5,25)…

Ainsi, le Mystère de la vie de tout homme s’enracine dans le Mystère de sa participation à l’Esprit de Dieu, c’est-à-dire à la Vie de Dieu… Et c’est dans cette perspective que la notion « d’image et de ressemblance » prend toute son intensité…

 

Comme le disait Benoît XVI lors de son discours pour la célébration de la journée mondiale de la paix, le 1° janvier dernier, tout homme est invité à « reconnaître en Dieu la source originaire de sa propre existence comme de celle d’autrui. C’est en remontant à ce Principe suprême que peut être perçue la valeur inconditionnelle de tout être humain » (&6).

 

II – Les conditions de la mise en œuvre de la mission commune des hommes sur la terre

 

  • Nous l’avons vu, l’homme a été créé pour vivre en relation avec Dieu, et cela est bien sûr valable dans la mise en œuvre concrète de sa mission sur cette terre : « la soumettre, la dominer… » En effet, le Seigneur et le Maître de la Création n’est pas l’homme, mais Dieu. L’auteur nous l’a maintes fois répété lorsqu’il nous montrait Dieu nommant les réalités qu’il venait de créer : « Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres nuit » (Gn 1,5). Or, dans la mentalité biblique, « donner un nom » c’est être le Seigneur et le Maître de la réalité que l’on nomme… Si la vocation de l’homme est de « dominer» la terre, elle ne pourra donc que s’exercer dans le cadre plus général de l’unique Seigneurie de Dieu. L’homme apparaît donc ici comme « l’intendant de Dieu », « son mandataire libre et responsable ».
  • De plus, dans ses prises de décisions, il devra toujours se référer à son Seigneur et aux valeurs qui sont les siennes, car c’est Lui et Lui seul qui sait ce qui est bon ou pas, ce qui est bien ou pas… Il est l’unique « Juge » de l’univers, et notre auteur nous l’a aussi souvent présenté ainsi lorsqu’il nous rapportait ses réactions au fur et à mesure de l’avancée de ses travaux : « Et Dieu vit que cela était bon », « bien », « beau»… La recherche du « bien», du « beau », du « bon » ne pourra donc que se réaliser dans le cadre d’une relation avec Celui-là seul qui est à l’origine du « bien », du « beau », du « bon », Dieu lui-même… Ce n’est qu’ainsi que l’homme pourra « cultiver et garder » la terre (Gn 2,15), deux verbes hébreux que l’on pourrait aussi traduire par « servir et protéger »[3]… Alors il sera vraiment « à l’image et ressemblance » de son Créateur et Père…

 

  • Précisons d’ailleurs maintenant le sens de ce mot « homme » en Gn 1,26. Lorsque Dieu dit : « Faisons l’homme, na‘aséh ‘adam », ce singulier « Adam» est aussitôt suivi d’un verbe au pluriel : « et qu’ils dominent ». « Adam» ne renvoie donc pas ici à une personne humaine unique mais à l’humanité tout entière… Chaque personne humaine a donc été créée à « l’image et ressemblance de Dieu » mais c’est aussi l’humanité en son ensemble qui est appelée à être ainsi…

Seul le Nouveau Testament permettra d’approfondir cette perspective en nous révélant que Dieu est Mystère de Communion de Trois Personnes divines distinctes dans l’unité d’un même Esprit. Tous les êtres humains, issus d’un même Père et donc tous frères, sont ainsi appelés par Dieu à ne former qu’une seule et même famille, un seul et même Mystère de Communion dans l’unique Esprit, à l’image et ressemblance de Dieu.

Benoît XVI le souligne très souvent dans son message pour la journée mondiale de la Paix. L’humanité est « une communauté de frères et de sœurs, appelés à former une grande famille » (&6), dit-il au tout début. Tous « les peuples de la terre sont ainsi appelés à instaurer entre eux des relations de solidarité et de collaboration, comme il revient aux membres de l’unique famille humaine : « Tous les peuples — a déclaré le Concile Vatican II (Nostra aetate 1) — forment ensemble une seule communauté, ont une seule origine »… Et il conclut par : « J’invite tous les hommes et toutes les femmes à prendre une conscience plus claire de leur appartenance commune à l’unique famille humaine et à s’employer pour que la convivialité sur la terre soit toujours davantage le reflet de cette conviction, dont dépend l’instauration d’une paix véritable et durable ».

 

Cette perspective d’une humanité « Mystère de communion » à l’image et ressemblance de Dieu « Mystère de Communion » appartient déjà à l’ordre des réalités si l’on se souvient de ce que nous disait le second récit de la création où la vie de l’homme nous était présentée comme prenant sa source dans la Présence au plus profond de son être de l’Esprit Saint, cet « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; cf. Ga 5,25)… Toute l’humanité est donc déjà en communion de vie, par l’unique Esprit qui est à l’origine du Mystère de la vie de chacun d’entre nous, et qui nous est donné instant après instant pour nous maintenir dans l’existence : « Si Dieu tournait vers lui son cœur, s’il concentrait en lui son souffle et son haleine, toute chair expirerait à la fois et l’homme retournerait à la poussière » (Job 34,14-15).

Cette communion de vie unit ainsi chaque être humain à Dieu et à son semblable. Mais puisque nous sommes sur cette terre des êtres en devenir, tout notre travail consiste à faire en sorte que cette potentialité qui nous habite déjà puisse pleinement s’épanouir dans toutes les dimensions de notre être… Ainsi, tout ce qui unit les hommes entre eux, tout ce qui les réunit, tout ce qui contribue à les faire travailler ensemble au bien commun de tous, tout cela appartient au projet de Dieu : une multitude d’êtres différents, dont les différences nourrissent d’ailleurs les relations, unis dans la communion d’une même Vie et travaillant ensemble au bien de tous…

Et ce « bien » est perceptible à tous car c’est la présence de ce souffle de Dieu, de cet Esprit de Dieu à la racine du Mystère de notre Être, qui est à l’origine de ce que nous appelons notre « conscience ». St Paul dit ainsi dans sa Lettre aux Romains que les païens, qui n’ont jamais connu la Loi de Moïse, la mettent quand même en pratique ! « En effet, quand des païens privés de la Loi accomplissent naturellement les prescriptions de la Loi, ces hommes, sans posséder de Loi, se tiennent à eux-mêmes lieu de Loi ; ils montrent la réalité de cette loi inscrite en leur cœur, à preuve le témoignage de leur conscience, ainsi que les jugements intérieurs de blâme ou d’éloge qu’ils portent les uns sur les autres » (Rm 2,14-15). Cette « loi inscrite dans les cœurs », « la loi naturelle inscrite dans le cœur de l’être humain et manifestée à lui par la raison » (Benoît XVI, MJMP 2008 &4), est la conséquence directe de la Présence de l’Esprit de Dieu au plus profond de chacun d’entre nous, un Esprit qui nous donne de participer à l’insondable richesse de Dieu Lui-même. Et cet Esprit apporte avec Lui toutes les valeurs inhérentes au Mystère de Dieu : altruisme, bienveillance, droiture, justice, vérité, patience, respect, tolérance…

Là encore, Benoît XVI fait allusion à ce principe de base inhérent à la nature humaine. Il dit en effet que « la norme juridique, qui régule les rapports entre les personnes, en disciplinant les comportements extérieurs et en prévoyant aussi des sanctions pour ceux qui transgressent ces dispositions, a comme critère la norme morale fondée sur la nature des choses. La raison humaine est en outre capable de la discerner au moins au niveau des exigences fondamentales, en remontant à la Raison créatrice de Dieu, qui est à l’origine de tout… Il faut remonter à la norme morale naturelle, fondement de la norme juridique… La connaissance de la norme morale naturelle n’est pas réservée à l’homme qui rentre en lui-même et qui, face à sa destinée, s’interroge sur la logique interne des aspirations les plus profondes qu’il discerne en lui. Non sans perplexité ni incertitudes, il peut arriver à découvrir, au moins dans ses lignes essentielles, cette loi morale commune qui, au-delà des différences culturelles, permet aux êtres humains de se comprendre entre eux en ce qui concerne les aspects les plus importants du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Il est indispensable de revenir à cette loi fondamentale et de consacrer à cette recherche le meilleur de nos énergies intellectuelles » (MJMP 2008, &12-13). Et dans son discours du 7 janvier 2008 pour les vœux au Corps Diplomatique, il déclarait (& 8-9) : « La liberté humaine n’est pas absolue ; il s’agit d’un bien partagé, dont la responsabilité incombe à tous. En conséquence, l’ordre et le droit en sont des éléments qui la garantissent. Mais le droit ne peut être une force de paix efficace que si ses fondements demeurent solidement ancrés dans le droit naturel, donné par le Créateur. C’est aussi pour cela que l’on ne peut jamais exclure Dieu de l’horizon de l’homme et de l’histoire. Le nom de Dieu est un nom de justice ; il représente un appel pressant à la paix.

Cette prise de conscience pourrait aider, entre autres, à orienter les initiatives de dialogue interculturel et inter-religieux. Ces initiatives sont toujours plus nombreuses et elles peuvent stimuler la collaboration sur des thèmes d’intérêt mutuel, comme la dignité de la personne humaine, la recherche du bien commun, la construction de la paix et le développement ».

 

« Nul n’a jamais vu Dieu », nous dit St Jean. « Le Fils Unique qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1,18). Le Christ est donc venu nous révéler une réalité qui existe depuis toujours et pour toujours : le Mystère de ce Dieu Présent à sa création depuis qu’elle existe, ce Dieu « qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jn 1,9), qui « pétrit et façonne le cœur de chacun », comme dit le Psalmiste (Ps 33(32),13‑15). Le chrétien saura donc reconnaître en tout homme de bonne volonté un frère que Dieu guide, éclaire, soutient, conduit, tout comme lui, même s’il en parle autrement, même s’il n’en a pas conscience… Et il s’attachera à s’engager avec lui pour travailler avec lui au bien de toute la famille humaine…

Cette perspective est d’ailleurs présente dans le premier récit de la Création. En effet, c’est à « Adam » qui, souvenons-nous représente ici l’humanité tout entière, qu’est donnée la mission de « dominer la terre ». Et cette « Adam humanité » se différencie ensuite en deux blocs principaux : « l’Adam mâle » et « l’Adam femelle »… Et bien sûr, chacun de ces blocs est ensuite constitué de la multitude des personnes humaines créées de sexe masculin et de sexe féminin.

De cette simple remarque découlent de nombreuses conséquences, tout aussi révolutionnaires autrefois qu’aujourd’hui :

 

1 – Egalité foncière de toute personne humaine, homme ou femme, en droits et en devoirs, cette égalité étant vécue au sein d’une incroyable diversité. En 1948, déclare Benoît XVI, « l’Organisation des Nations unies rendait solennellement publique la Déclaration universelle des Droits de l’homme (1948-2008). Par ce document, la famille humaine a voulu réagir aux horreurs de la Deuxième Guerre mondiale en reconnaissant son unité fondée sur l’égale dignité de tous les hommes et en mettant au centre de la convivialité humaine le respect des droits fondamentaux de tout individu et de tout peuple: ce fut là un pas décisif sur le difficile et exigeant chemin vers la concorde et la paix » (MJMP 2008, &15).

Travailler au bien de tous sera ainsi notamment faire en sorte que chacun puisse bénéficier d’un espace de liberté où il pourra développer sa diversité et mettre en œuvre les talents qui lui sont propres. Et si tel est vraiment le cas, cette mise en œuvre se fera toujours pour le bien de tous ! Autrement dit, travailler au bien de l’autre, c’est non seulement s’accomplir soi-même mais c’est encore travailler au bien commun, et donc à son propre bien !

 

2 – « Dieu veut créer une humanité. Ce n’est pas à de grandes personnalités que la domination du monde doit être concédée, mais à la communauté humaine… Personne dans l’humanité ne doit être exclu de cette autorité »[4]. Autrement dit, il n’appartient pas au projet de Dieu que certains puissent « posséder » des centaines de milliers d’hectares alors que d’autres n’auraient au mieux qu’une petite parcelle insuffisante à nourrir leurs besoins. La terre est donnée à tous pour subvenir aux besoins de tous, toujours dans le respect de la diversité de chacun (cf. Ps 49(48))… « Il ne faut donc pas que les pauvres soient oubliés, eux qui, en bien des cas, sont exclus de la destination universelle des biens de la création » (MJMP 2008 & 7).

 

3 – La domination de la terre est donnée à toute l’humanité en son ensemble, hommes et femmes, dans le respect de la diversité de chacun. Aucune tâche, aucune fonction ne peut donc être réservée arbitrairement à l’un ou à l’autre…

 

4 – Puisque tous les hommes – hommes et femmes – doivent gérer ensemble la création, la façonner, la transformer, « seul l’homme lui-même ne doit pas être objet de soumission… La domination de l’homme sur l’homme fausse l’image de Dieu »[5]

En Gn 3,16b, on lira (Parole de Dieu à la femme) : « Ton désir te poussera vers ton homme et lui te dominera ». « On s’est souvent servi de ce passage pour justifier, comme voulue par Dieu, la subordination de la femme » à l’homme. « Or, ce texte soutient exactement le contraire : la domination de l’homme sur la femme est une conséquence du péché »[6].

 

5 – Enfin, l’homme et la femme sont également à l’image de Dieu en tant qu’homme et femme : « Les hommes ne peuvent percevoir leur mandat de créatures à l’image de Dieu qu’en étant tournés l’un vers l’autre et en se complétant l’un l’autre »[7].

 

L’homme est donc à l’image de Dieu en tant qu’ « être tourné vers » Dieu pour exercer sa charge d’intendant du monde, en tant qu’ « être tourné vers » sa femme dans l’exercice même de ce mandat commun, en tant qu’ « être tourné vers » ce monde pour le travailler… L’homme apparaît ainsi pleinement en sa qualité d’ « être relationnel », à l’image et ressemblance de Dieu…

Et c’est dans cet « être tourné vers Dieu », recevant de lui cette bénédiction qui lui permettra d’accomplir sa vocation, « tourné vers sa femme » pour une relation créatrice, « tourné vers les autres » pour œuvrer ensemble au bien de tous, que l’homme se construira lui-même en trouvant ainsi le chemin de son épanouissement personnel.

Et si l’humanité est appelée à former ainsi, dans la richesse de la diversité de tous ses membres, une seule et unique famille humaine, soulignons enfin l’importance de la famille qui se construit sur la base de l’amour qui unit un homme et une femme. Le second chapitre du Livre de la Genèse nous présente de manière poétique et très belle la création de la femme à partir d’une « côte » de l’homme, eux qui seront ensuite appelés à marcher « côte à côte ». L’exclamation de l’homme suffit à reconnaître le prix qu’il lui accorde, en utilisant une formule qui souligne l’égalité profonde qui les unit par leur participation à une seule et unique nature humaine : « Pour le coup, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée “femme”, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci ! » « C’est pourquoi », ajoute le Livre de la Genèse, « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair ». Tous les deux seront donc appelés à vivre un Mystère de Communion à l’image et ressemblance de Dieu lui-même… St Paul appliquera d’ailleurs ce texte au Christ et à l’Eglise (cf. Ep 5,31-32) !

 

Benoît XVI évoque ainsi « la famille humaine » comme « la cellule première et vitale de la société », le fondement incontournable pour la construction de « la famille humaine, communauté de paix » : « La famille naturelle, en tant que profonde communion de vie et d’amour, fondée sur le mariage entre un homme et une femme, constitue « le lieu premier d’‘humanisation’ de la personne et de la société », le « berceau de la vie et de l’amour ». Aussi, est-ce avec raison que la famille est qualifiée de première société naturelle, « une institution divine qui constitue le fondement de la vie des personnes, comme le prototype de tout ordre social ».

 

En effet, dans une saine vie familiale, on fait l’expérience de certaines composantes fondamentales de la paix: la justice et l’amour entre frères et sœurs, la fonction d’autorité manifestée par les parents, le service affectueux envers les membres les plus faibles parce que petits, malades ou âgés, l’aide mutuelle devant les nécessités de la vie, la disponibilité à accueillir l’autre et, si nécessaire, à lui pardonner. C’est pourquoi, la famille est la première et irremplaçable éducatrice à la paix. Il n’est donc pas étonnant que la violence, si elle est perpétrée en famille, soit perçue comme particulièrement intolérable. Par conséquent, quand on affirme que la famille est « la cellule première et vitale de la société », on dit quelque chose d’essentiel. La famille est aussi un fondement de la société pour la raison suivante : parce qu’elle permet de faire des expériences déterminantes de paix. Il en découle que la communauté humaine ne peut se passer du service que la famille remplit. Où donc l’être humain en formation pourrait-il apprendre à goûter la « saveur » authentique de la paix mieux que dans le « nid » originel que la nature lui prépare ? » (MJMP 2008 &2-3)

En conclusion…

 

Le Christ est donc venu accomplir le projet de Dieu qui a créé l’humanité pour qu’elle soit « la famille » de ses enfants unis à Lui dans la communion d’un même Esprit, d’une même Vie, dans l’Amour. Ce projet commence à se mettre en œuvre dès maintenant par l’œuvre de Réconciliation accomplie par sa mort et sa résurrection, réconciliation avec Dieu et donc réconciliation des hommes entre eux. Les chrétiens reçoivent ainsi par leur foi la grâce de mourir à tout ce qui sépare pour ressusciter à tout ce qui unit. Et cette grâce est tout en même temps Lumière et Force qui leur permet de collaborer activement, dans l’aujourd’hui de leur histoire, à la construction de cette humanité « famille de Dieu ».

Cette Lumière leur donnera notamment de reconnaître la Présence de cette même Lumière au cœur de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté, quel que soit leur chemin religieux ou même son apparente absence… « Dieu lui-même », en effet, « n’est pas loin d’eux, puisqu’il donne à tous la vie, le souffle et toutes choses (cf. Act. 17, 25-28), et que le Sauveur veut le salut de tous les hommes (cf. I Tim. 2, 4). En effet ceux qui, sans faute de leur part, ignorent l’Evangile du Christ et son Eglise et cependant cherchent Dieu d’un cœur sincère et qui, sous l’influence de la grâce, s’efforcent d’accomplir dans leurs actes sa volonté qu’ils connaissent par les injonctions de leur conscience, ceux-là aussi peuvent obtenir le salut éternel. Et la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires au salut à ceux qui ne sont pas encore parvenus, sans qu’il y ait de leur faute, à la connaissance claire de Dieu et s’efforcent, avec l’aide de la grâce divine, de mener une vie droite. En effet, tout ce que l’on trouve chez eux de bon et de vrai, l’Eglise le considère comme un terrain propice à l’Evangile et un don de Celui qui éclaire tout homme, pour qu’il obtienne finalement la vie » (Concile Vatican II, Lumen Gentium & 16).

Tous les chrétiens sont donc invités à s’engager avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, en responsables actifs de la cité, pour travailler ensemble au bien commun de tous en cultivant les valeurs de droiture, de justice, d’honnêteté, de tolérance, de bienveillance… Ces valeurs, Dieu ne cesse de les insuffler au plus profond de chacun d’entre nous par le Souffle de son Esprit qui est à la racine du Mystère de toute vie humaine sur cette terre… En étant fidèles à leur conscience, c’est bien au Dieu Vivant que les hommes et les femmes de bonne volonté obéissent, peut-être souvent sans le savoir… Mais à la lumière de leur foi, en s’engageant activement avec eux, les chrétiens savent qu’ils travaillent à l’accomplissement de la volonté de Dieu qui ne désire que l’authentique épanouissement de toute la famille humaine…

                                                                                                                                     D. Jacques Fournier

[1]BOULET A., Création et rédemption (Chambray 1995) p. 39.

Sr JEANNE D’ARC, Chemins à travers la Bible   p. 75:  » Toute chose est faite par Dieu belle et bonne. Il faut souligner l’optimisme foncier de cette perspective ».

[2] SPICQ C., « eijkwvn », Lexique théologique du Nouveau Testament (Paris 1991) p. 429-431.

[3] « S’agissant de la famille humaine, cette maison c’est la terre, le milieu que Dieu Créateur nous a donné pour que nous y habitions de manière créative et responsable. Nous devons avoir soin de l’environnement : il a été confié à l’homme pour qu’il le garde et le protège dans une liberté responsable, en ayant toujours en vue, comme critère d’appréciation, le bien de tous » (Benoît XVI, Journée mondiale de la Paix, 1° janvier 200 8, &7).

[4]  WOLFF H.W., Anthropologie de l’Ancien Testament (Genève 1974) p. 141.

[5] Id. p. 143-144.

[6] DEBERGÉ P., Amour et sexualité dans la Bible (Coll. Racines ; Ed. Nouvelle Cité 2001) p. 98

[7] Id p. 142.

Gn 1,26-28 ; Aimer la famille humaine…_ Document PDF pour une éventuelle impression