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16ieme Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

 « Ecoute » (Lc 10, 32-42) »  

     En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut.
Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »
Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses.
Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

 

dieu parle

Marthe reçoit Jésus chez elle et commence à accomplir son devoir de maîtresse de maison avec toutes les obligations qu’elle pense être indispensables en de telles circonstances. Sa sœur Marie, elle, ne fait rien. « Assise aux pieds du Seigneur, elle écoute sa Parole », ce qui laisse supposer que Jésus parle, et que Marthe ne l’écoute pas… Elle ne le peut pas, elle a trop à faire ! Et elle est scandalisée par l’attitude de sa sœur, scandalisée et surprise que Jésus ne le soit pas lui aussi ! Elle est en effet si sûre de son bon droit qu’elle se permet de lui faire des reproches : « Cela ne te fait rien ? ». Qu’il retrouve donc son bon sens et qu’il corrige avec elle cette Marie insouciante en lui demandant de venir « l’aider » dans « les multiples occupations du service » !

            Mais non ! Ce n’est pas Marie qui se trompe… Et Jésus va interpeler Marthe en l’appelant deux fois par son nom, comme Dieu le fait lorsqu’il invite quelqu’un à le servir : « Marthe, Marthe », « Moïse, Moïse » (Ex 3,4), « Samuel, Samuel » (1Sm 3,10), « Saül, Saül » (Ac 9,4)… 

            Mais Marthe est déjà, semble-t-il, à son service ! Semble-t-il, car ce qu’elle fait pour Jésus correspond-il vraiment à ce qu’il attend d’elle ? « Tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses »… Ces « choses », qui lui a demandé de les faire : le Christ, ou bien elle-même, ou une tradition toute humaine (Mc 7,1-13) ?

            N’aurait-elle pas dû d’abord demander à Jésus ce qu’il attend d’elle ? Qu’aurait-elle « fait » alors ? Elle se serait assise à ses pieds, comme sa sœur Marie,  et elle aurait « écouté sa Parole ». Alors, en se tournant vers lui, elle aurait compris qu’il est lui-même tout entier tourné vers le Père (Jn 1,18), à l’écoute de sa Parole, avec un seul désir : accomplir sa volonté (Jn 4,34 ; Lc 22,42). Et quelle est-elle ? « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4), gratuitement, par Amour…  Aussi, est-il venu les inviter, avec son Fils et par Lui, à manger à sa Table au grand festinde la Vie (Lc 14,15-24), et Lui-même les servira (Lc 12,37) !

            Marie s’est laissée invitée… Que Marthe fasse donc de même ! Alors, en accueillant cette Parole donnée par le Fils (Jn 17,8), elle recevra aussi avec elle« l’Esprit donné sans mesure » (Jn 3,34), « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63) en communiquant « la vie éternelle » (Jn 6,47 ; 6,68), cette Plénitude d’Être et de vie qui est celle de Dieu Lui-même ! Telle est « la meilleure part » qui ne leur sera pas enlevée, car Dieu nous a tous créés pour elle…                                   DJF




15ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Le bon Samaritain

bon samaritain« Mais un Samaritain qui était en voyage le vit, fut saisi de compassion, s’approcha de lui et soigna l’homme qui était tombé aux mains des brigands ». Ce texte du bon Samaritain est un texte que nous croyons connaître, et pourtant il nous dit des choses extrêmement profondes que peut-être nous ne soupçonnons pas, parce qu’elles nous touchent de si près, parce qu’elles révèlent quelque chose de notre cœur qui est si difficile à voir parce que c’est tout simple et tout proche. Nous croyons connaître la parabole et notre sensibilité ou même notre intelligence sont pour ainsi dire blindées à la simplicité même de ce que ce récit et cette parabole du Seigneur veulent nous dire.

Il s’agit d’un voyage. Il s’agit de nous qui sommes en voyage. Quand nous regardons notre propre vie, n’avons-nous pas l’impression que nous sommes toujours sur un chemin, n’avons-nous pas toujours l’impression d’être jetés dans le temps, avec derrière nous le chemin parcouru et avec devant nous le chemin à parcourir ? Nous sommes en voyage et quand nous regardons notre propre vie, n’y a-t-il pas en nous une part de cet homme blessé tombé aux mains des brigands, avec toutes les épreuves et les difficultés qui nous sont tombées dessus, avec tous les malheurs, avec toutes les failles de notre propre existence auxquelles nous avons dû nous confronter et desquelles nous ramenons trop souvent plaies et bosses ? Et quand nous regardons notre existence, n’y a-t-il pas aussi cet homme en voyage qui ne fait pas beaucoup attention à ceux qui sont tombés à côté de lui ? Et puis il y a peut-être aussi, plus discret, plus étonnant, cet homme en voyage qui sait s’arrêter, qui sait se laisser toucher le cœur, ému de compassion, parce qu’il voit son prochain tombé et frappé ? Ce prochain pouvant d’ailleurs être soi-même, tant il est vrai qu’à certains moments nous n’avons pas beaucoup de compassion ou de tendresse pour notre propre existence ou notre propre voyage.

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Nous sommes tous sur le chemin qui va de Jérusalem à Jéricho, nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, sur ce chemin qui descend vers la vallée de la mort. Nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, dans cette solitude du voyageur qui avance pas à pas, aux risques et aux périls de son expérience, aux risques et au défi de ce mal qui sans cesse nous talonne, nous menace et nous tracasse. Simplement, comment vivons-nous ce voyage ? Comment marchons-nous sur ce chemin ? Et d’abord, où nous mène-t-il ? Ce chemin part de Jérusalem, et pour nous tous, nous savons que Jérusalem représente l’Église. Nous savons que, jour après jour, lorsque nous quittons l’assemblée de l’eucharistie, nous nous engageons sur ce chemin dans lequel nous affronterons au cours de la semaine un certain nombre de dangers, de difficultés, d’épreuves et de tentations. Mais nous savons aussi que nos racines sont dans l’Église, que nos racines sont à Jérusalem, que tout notre être est enraciné dans cette présence de Dieu.

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Mais alors, où allons-nous ? C’est vrai que l’on peut dire que nous descendons à Jéricho, que nous descendons vers la mort. C’est vrai cela. Le sens profond de notre existence, ce jour après jour, ce temps qui s’use et ces épreuves qui nous blessent et nous meurtrissent, tout cela est, d’une manière ou d’une autre, la marque de la mort. Le temps nous use et notre pauvre cœur s’use, avec son désir. Mais en même temps, et c’est peut-être là que nous ouvrons les yeux, en même temps que nous marchons jour après jour vers cette mort, il y a quelque chose d’étonnant. Nous marchons aussi, heureusement et c’est là notre foi et notre espérance, nous marchons vers Dieu. Le chemin de Jérusalem à Jéricho n’est pas n’importe quel chemin. C’est un chemin déjà tracé. Nous marchons toujours un peu sur les sentiers battus, c’est comme cela que nous menons notre existence. C’est un chemin déjà tracé parce que Dieu, heureusement, d’une manière nous l’a déjà tracé. Il est « le chemin, la vérité et la vie ». C’est Lui-même qui l’a dit. C’est un chemin de chair et de sang. C’est un chemin de croix. Et c’est aussi un chemin de résurrection.

Curieusement, au bord de ce chemin, à tout moment, il nous est donné de le rencontrer. Dieu n’est pas au bout du chemin. Dieu n’est pas à la fin de notre voyage sur la terre. Dieu est déjà là, sur ce chemin que nous parcourons, sur ce chemin que nous portons, sur ce chemin de notre cœur. Et c’est sans doute l’erreur du lévite et du prêtre d’avoir cru que Dieu était au bout du chemin, et qu’il fallait se dépêcher, se hâter pour ne pas regarder de trop près le cadavre qu’il y avait au bord de la route, de peur de se souiller et de ne pouvoir accomplir les prescriptions rituelles.

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L’erreur du prêtre et du lévite c’est de croire que Dieu est au bout du chemin, alors qu’en réalité, Il était là sur le bord du chemin. La parabole du bon Samaritain est la manière même dont Dieu se fait le plus pauvre, le plus démuni, au bord du chemin. C’est la manière dont Il veut que nous le rencontrions, dès maintenant, de façon souvent impromptue, improvisée, imprévisible. C’est la manière même dont Dieu surgit tout à coup comme celui qui n’est pas attendu et surtout comme celui que, dans un premier mouvement, nous ne voulons pas reconnaître, parce qu’Il porte encore les coups et les stigmates de sa passion.

L’histoire du bon Samaritain, c’est l’histoire d’un Dieu qui s’est fait proche à ses risques et périls, et surtout à nos risques et périls. Risque de ne plus le voir, risque de le méconnaître, risque de passer outre. L’histoire du bon Samaritain c’est précisément Dieu qui se met sur notre chemin pour que nous Le rencontrions, dans la simplicité même de ce geste par lequel nous sommes tout simplement pris de pitié et que nous avons envie de secourir le frère qui est au bord du chemin.

Voyez-vous, nous disons souvent que « Le Verbe s’est fait chair ». Nous disons souvent que Dieu s’est fait homme, mais Il s’est fait l’homme tombé au pouvoir du mal. Il s’est fait celui qui est tombé et mort sur la croix, pour nous relever. Il est dans le cœur du frère qui incarne pour nous, d’une manière ou d’une autre, la présence du Christ qui a besoin de notre amour, de notre attention. Ce que Jésus voulait faire comprendre dans cette parabole, c’est que le visage du prochain n’est pas simplement la misère du monde en général, qu’il faudrait secourir par de grands organismes caritatifs ou philanthropiques. La manière dont Jésus voulait nous faire comprendre le prochain, c’était qu’il y avait comme une surimpression, comme on parle en langage photographique de deux photos qui ont été prises l’une sur l’autre, une sorte de surimpression du visage de Dieu sur le visage de l’homme.

Le bon Samaritain est le moment où nous savons voir dans toute blessure ou toute souffrance humaine, quelque chose du mystère de Dieu qui a souffert pour nous. Le mystère du bon Samaritain est le moment où nous savons deviner qu’Il est là, tout simplement sur le chemin de notre cœur. Alors si nous entrons dans ce chemin de vacances, dans cette route un peu plus détendue où l’on peut flâner, où l’on peut musarder d’un côté ou d’un autre de la route, peut-être qu’il faut que nous laissions s’attarder notre cœur, comme à l’école buissonnière. Peut-être que nous avons à regarder autour de nous, si proche de nous que la plupart du temps nous ne le voyons pas, le visage d’un conjoint, le visage d’un enfant, le visage d’un voisin qui porte en lui les coups de la vie et qui a peut-être besoin que nous nous penchions sur lui, que nous soignions ses plaies, avec un amour qui ne vient pas de nous, parce qu’à ce moment-là, lorsque nous nous penchons sur le visage de l’autre qui est déjà le visage du Christ transfiguré, nos mains déjà, ne sont plus nos mains, mais les mains du Christ Ressuscité.

l'amour de dieuC’est ce mystère profond de la configuration de celui qui souffre et de celui qui aide, par lequel le Christ nous dit le double visage de la pauvreté, du dénuement dans lequel Il est entré pour nous sauver de la mort. Et d’autre part ce visage de la richesse et de l’infinie miséricorde par laquelle Il nous donne les trésors de sa bonté et de sa douceur. Que cela soit notre chemin de vacances. Que les autres ne soient pas seulement ceux qui sont extérieurs à nous, mais ceux que, mystérieusement, Dieu a placés sur le chemin de notre propre vie et de notre propre cœur. Amen.

 

 

 




15ieme Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

 « Aime et tu vivras » (Lc 10, 25-37) »  

     En ce temps-là, voici qu’un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? »
L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »
Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. »
Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »
Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté.
De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.
Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion.
Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.
Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.”
Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? »
Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »

 

envoyés pour servir

Par la question qu’il pose à Jésus, ce Docteur de la Loi révèle son attitude de cœur vis à vis de Dieu : « « Maître, que dois-je faire pour avoir part à la vie éternelle ? ». Il s’agit donc avant tout pour lui de « faire », en obéissant à la Loi religieuse de l’époque. Et s’il « fait » bien, il aura en récompense, comme un dû, comme un salaire, cette vie éternelle qu’il pense mériter, après tous ses efforts ! Dans cette logique, Dieu n’a pas sa place. L’homme peut très bien se débrouiller tout seul et être son propre juge : « J’ai fait ceci et cela ; objectivement, c’est bien. Je suis quelqu’un de juste, un bon croyant. Je mérite donc la vie éternelle »… Dieu n’a rien à dire. Il ne peut qu’acquiescer et s’exécuter en silence en donnant ce qui lui revient : la vie éternelle. Telle est en fin de compte l’attitude de l’orgueilleux, seul avec lui-même.

            Finesse de Jésus. A sa question, il répond par une autre question, sur la Loi, et il sait très bien que ce Docteur de la Loi la connaît par cœur : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Comment lis-tu ? » Et il répond parfaitement bien : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. » Il ne s’agit donc pas de « faire » mais « d’aimer », de tout son être… Et le premier à « aimer », c’est Dieu, Lui qui, de son côté, ne cesse de nous aimer de tout son Être, puisqu’Il Est Amour (1Jn 4,8.16) : « Je trouverai ma joie à leur faire du bien, de tout mon cœur et de toute mon âme » (Jr 32,41). Notons le verbe employé : ici, c’est Dieu qui « fait », par amour, et non pas l’homme… Et que fait-il ? « Il nous a donné de son Esprit » (1Jn 4,13), un « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6), un « Esprit qui est vie » (Ga 5,25), vie éternelle…

            Dans un tel contexte, que faut-il donc faire pour avoir part à la vie éternelle ? Accepter la relation d’Amour que Dieu veut vivre avec chacun d’entre nous, nous laisser aimer tels que nous sommes, dans la vérité de notre être blessé, et le laisser agir en « médecin » (Lc 5,31), en « Bon Pasteur » : « La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. Celle qui est grasse et vigoureuse, je la garderai » (Ez 34,16). Voilà qui est Dieu, et voilà comment « l’homme créé à son image et ressemblance » devrait être (Gn 1,26-28). Et c’est bien l’exemple que donne ici Jésus : un Samaritain, ennemi traditionnel d’Israël, « fut bouleversé de compassion » devant un Israélite blessé par des bandits. « Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin » Alors, « toi aussi : va, et, fais de même !»DJF




14ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

La moisson est abondante

envoyés pour servir« La moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux ! » C’est un refrain, je dirais même un slogan évangélique, qui a servi de leitmotiv à travers l’histoire de l’Église pour encourager les vocations sacerdotales, éventuellement religieuses et surtout missionnaires. Cette phrase a été inscrite des millions de fois sur des images d’ordinations sacerdotales, a été répétée des centaines de fois dans des discours, des sermons ou des retraites pour susciter des vocations au milieu des églises. Je vous le dis comme je le pense, c’est un contre-sens total sur le sens de cette phrase. Le problème n’a rien à voir avec des vocations religieuses. La preuve, c’est que Jésus adresse ce discours non pas aux apôtres qui peuvent figurer les ministres de l’Église, mais à soixante-douze disciples c’est-à-dire des gens qui écoutent la Parole de Dieu comme vous, je ne peux pas dire comme vous et moi puisque précisément je suis prêtre et que vous ne l’êtes pas. La première chose que je voudrais dire c’est que je m’inscris en faux contre une interprétation qui s’est appuyée sur cette parole pour remettre le souci missionnaire à toute l’Église dans sa ‘cléricalité’ pour laisser les laïcs, les baptisés, couler des jours heureux sans se préoccuper de la dimension missionnaire de notre foi.

« La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux ! » Cela s’adresse autant à vous qu’aux frères religieux. Cela s’adresse même d’abord à vous et c’est cela qu’il faut bien comprendre. C’est un appel adressé de la part du Christ à ses disciples comme disciples et non pas d’abord comme prêtres, comme religieux ou comme missionnaires. Ce n’est pas du tout le problème. Alors qu’est-ce que cela veut dire ? C’est précisément là qu’est le contresens. Cela veut dire : le monde est une moisson abondante et les disciples sont peu nombreux, les communautés chrétiennes sont peu nombreuses. Il faut quand même réaliser qu’avant la généralisation de la foi chrétienne dans le bassin méditerranéen, les communautés chrétiennes, surtout au premier siècle, étaient vraiment très peu nombreuses. Par conséquent le Christ et les évangélistes qui nous ont rapporté ses paroles s’adressent à ces tout petits noyaux de communautés qui commençaient la mission en Judée et en Samarie. Mais ce n’était pas uniquement les disciples au sens restreint du terme et qui seraient les apôtres. Ce sont toutes les communautés chrétiennes qui doivent considérer le monde comme la moisson de Dieu.

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Et c’est là qu’il nous faut faire une seconde révision assez déchirante. Le monde n’est pas un ennemi, le monde ne devrait pas faire peur, il est la moisson de Dieu. Voilà la première chose qu’il faut bien réaliser. Pour chacun d’entre nous, ce monde dans lequel nous vivons n’est pas une réalité étrangère dans laquelle nous serions plongés avec le risque perpétuel d’être étouffés. Mais si les premières communautés chrétiennes avaient vécu sur ces peurs obsessionnelles comme on en rencontre dans nos communautés chrétiennes d’aujourd’hui, l’évangélisation n’aurait jamais eu lieu. C’est précisément parce que nous vivons aujourd’hui comme chrétiens dans une espèce de peur du monde comme d’un épouvantail à moineaux que notre christianisme à certains moments, notre foi chrétienne paraît plate, sans intérêt, une religion de timorés, de gens qui ont besoin d’être consolés. Mais ce n’est pas du tout l’attitude fondamentale que nous devons avoir par rapport au mystère du monde. La création est la moisson de Dieu et nous y sommes envoyés. Je n’ai jamais vu de moissonneurs, en tout cas s’ils sont dignes de ce nom, qui en arrivant devant le champ de blé disent : « Oh ! J’ai peur de couper le blé ! J’ai peur de m’approcher du champ ! » Ce serait ridicule. La première chose nécessaire est donc une absence de peur parce que nous l’Église, nous sommes faits pour annoncer au monde le salut et non pas pour nous tenir là, renfermés, frileux, paralysés devant le pouvoir du monde. Voilà la première chose. Je dirais : « Pas de panique ! Pas de peur ». Le monde, qu’on le veuille ou non, est l’élément naturel dans lequel notre foi doit être vécue, doit être célébrée, doit être proclamée. Et si nous vivons dans la peur, nous sommes nous-mêmes les premières victimes de nos peurs et surtout le monde est victime de notre peur.

lumièreMais alors vous me direz : « Comment nous avancer vers le monde ? » Les conseils de Jésus sont clairs : « N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales ! Ne vous attardez pas en chemin ! » Notre attitude vis-à-vis du monde est une attitude de démunis. Voilà une chose très importante. Là encore, que de confusions ! Que de fois nous avons compris la mission comme une conquête ! Je crois que, grâce à Dieu, aujourd’hui la norme de la vie apostolique de l’annonce de la Parole de Dieu n’est pas celle que voudraient nous proposer certains mouvements qui pensent accomplir l’œuvre de Dieu dans une immense entreprise de subversion catholique de nos sociétés modernes. Nous sommes démunis devant le monde. Nous n’avons pas de pouvoir, « ni argent, ni besace, ni même de sandales » et pourtant il faut marcher ! C’est donc que nous sommes devant ce monde littéralement « les mains nues ». C’est là que se mesure notre propre courage devant ce monde. Si nous commençons à nous barder de tout un système, si nous reprenons les valeurs du monde ou certains systèmes par lesquels le monde fonctionne, si bonnes soient-elles, par exemple le travail, c’est que nous avons déjà perdu ce caractère démuni par lequel nous devons nous avancer vers le monde. Et c’est précisément cela que Jésus nous demande. Nous n’avons pas à conquérir le monde, contrairement à ce que l’on a cru parfois. C’est d’ailleurs par un idéal de conquête qu’on pensait devoir députer selon les cas des croisés, des jésuites ou des congrégations missionnaires du dix-neuvième siècle. Mais dans tous les cas, c’est le mauvais instrument ou un instrument qui ne répond pas exactement à l’attitude que Jésus demande dans ce passage, d’aller pieds nus, sans besace, sans argent et d’être là, simplement au cœur de ce monde.

groupe_solidaireMais si nous sommes démunis au cœur de ce monde cela suppose que nous en acceptons un certain nombre de dépendances. Quand les disciples arrivent dans les villes ou les villages, ils doivent « manger ce qui leur est offert ». C’est fondamental. Les communautés chrétiennes n’ont pas à vivre dans une sorte d’angélisme missionnaire par lequel elles se reconstitueraient comme des sociétés autonomes, des espèces de super-sociétés totalement indépendantes du monde. Non, nous avons besoin de tout ce tissu de relations sociales, humaines, de relations d’entraide, de voisinage, de relations familiales qui constituent le monde dans lequel nous vivons notre appartenance au Christ. S’avancer en acceptant ce que le monde nous offre, c’est le début de l’attitude missionnaire. Non pas dire que nous arrivons et allons changer les structures, les manières de penser etc. Non ! Quand le missionnaire arrive, il accepte de manger à la table des païens, de ceux qui ne connaissent pas le Christ et même de recevoir d’eux le gîte et le couvert. L’Église n’a pas peur d’habiter dans le monde. Ceci n’est pas très évident dans la mentalité de nos chrétiens contemporains, reconnaissons-le.

Voilà ce que nous demande Jésus lorsqu’Il nous envoie en mission. Accepter que ce monde soit le lieu même, la création de laquelle nous recevons toute occasion de proclamer la foi, de dire : « La paix soit avec vous ! Le Royaume de Dieu est proche ! » Comment voulez-vous dire que le Royaume de Dieu est proche si vous vous tenez sans cesse à distance de l’interlocuteur ? Cela ne sert à rien, il n’y a pas de communication possible. Enfin le Christ dit que lorsque nous approchons de nos frères pour leur annoncer la paix, pour leur annoncer la joie de la proximité du Royaume, si le monde n’accueille pas, nous devons repartir. Cette phrase signifie fondamentalement que le Royaume s’adresse à la liberté humaine. Tout homme que nous rencontrons, à qui nous annonçons le Royaume, par le seul fait que nous soyons là en face de lui et que nous lui proposons la bonne nouvelle du salut, ne devient pas notre proie ou l’objet possible d’une conquête, mais il en est totalement remis à sa liberté. C’est à lui de choisir. Ce n’est pas à nous de dire : « Désormais, tu es des nôtres et tu vas passer par tel ou tel comportement, mais tu es appelé, dans ta liberté, toi qui fais partie de la moisson de Dieu, à savoir et à vouloir être engrangé pour le Royaume de Dieu ». A ce moment-là, notre simple présence, la présence de l’Église au milieu de ce monde est un appel adressé à ce monde, dans le total et intégral respect de sa liberté, de la liberté de chacun de nos frères, de dire oui ou non au Royaume de Dieu. Le Christ nous dit que s’il y a refus explicite du Royaume, mais ce n’est pas toujours clair, il y a beaucoup de cas où l’indécision est totale, s’il y a refus, on s’en va. Cela veut dire que l’urgence du Royaume est telle qu’il faut aller à ceux qui ne connaissent pas encore cette bonne nouvelle. C’est pour cela que le Christ dit : « Ne vous arrêtez pas de maison en maison ! » Il y a une sorte d’urgence de la proclamation du Royaume.

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Ainsi, si nous appliquons jusqu’au bout cette parole de Jésus, au moment même où Il conclut et où les disciples reviennent tout enchantés d’avoir proclamé le Royaume et chassé les démons, le Christ leur dit en quelque sorte : « Ne vous focalisez pas sur le fait que vous chassez les démons, ne vivez pas dans la peur et dans la crainte de cet ennemi, mais vivez plutôt dans le mystère de ce que, par votre annonce du Royaume de Dieu, vos noms sont inscrits dans les cieux ». C’est le mystère de notre identité baptismale. Chacun de nous a été baptisé, a reçu son nom pour être ce signe de la présence du Royaume au milieu du monde. Il nous faut donc regarder ce monde comme la moisson de Dieu c’est-à-dire un monde qui ne nous fait pas peur, un monde qui est pour nous le milieu naturel de la proclamation de notre foi, un monde vis-à-vis duquel nous avons le devoir d’annoncer le Royaume de Dieu et enfin un monde qui, recevant la Parole de Dieu, voit son nom inscrit dans le ciel, c’est-à-dire reçoit sa destinée plénière de fils grâce à notre parole, grâce à notre goût de vivre de l’évangile et de l’annoncer. Amen.




14ieme Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

 « Le Règne de Dieu est tout proche »

(Lc 10,1-12.17-20) »  

      En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre.
Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin.
Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : “Paix à cette maison.”
S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.
Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté.
Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : “Le règne de Dieu s’est approché de vous.”
Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites :
“Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.”
Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville.
Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. »
Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire.
Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »

 

envoyés pour servir

Peu avant, Jésus avait choisi les Douze parmi ses disciples et il les avait envoyés « proclamer le Règne de Dieu et faire des guérisons » (Lc 9,16). Ici, « il en désigne encore soixante-douze » en leur disant : « Guérissez les malades et dites : « Le Règne de Dieu est tout proche de vous » ». Leur mission est donc identique. Or, les deux chiffres additionnés, douze et soixante douze, font en tout quatre vingt quatre, soit sept fois douze, et « sept » dans la Bible est symbole de Plénitude. C’est donc toute l’Eglise qui est envoyée en mission : ses responsables, les Douze, aujourd’hui nos Evêques et nos prêtres, et avec eux, nous tous ensemble, laïcs, diacres, religieux religieuses…

            Et ils sont envoyés ici « deux par deux » car, à l’époque, il fallait être deux au minimum pour témoigner de quoique ce soit (Dt 19,15 ; Mt 18,16). Jésus nous appelle donc à être les témoins de l’Amour et de la Miséricorde de Dieu, en nous soutenant les uns les autres. Souvenons-nous de St Paul : « Il m’a été fait miséricorde, et la grâce de notre Seigneur a surabondé… Elle est sûre cette parole et digne d’une entière confiance : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier. Et s’il m’a été fait miséricorde, c’est pour qu’en moi, le premier, Jésus Christ manifestât toute sa patience, faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle » (1Tm 1,12-17).

            L’Eglise est donc envoyée en témoin du Pardon de Dieu offert en surabondance à notre foi. Ici, le Christ demande le dépouillement : « Ni argent, ni sac, ni sandales » car il désire voir grandir la foi de ses disciples en cette Présence invisible du Père à leurs côtés, un Père qui sait très bien de quoi nous avons besoin avant même que nous ne lui demandions (Mt 6,8). Et il ne permettra pas que les ouvriers de sa moisson manquent du nécessaire (Lc 12,2232). « Avez-vous manqué de quelque chose », leur demandera Jésus plus tard ? « De rien », répondront-ils, ce qui est un nouveau témoignage de la proximité de Dieu et de son action efficace, par les uns, par les autres (Lc 22,35-38)…

            Puis il les libère de toutes les prescriptions alimentaires en vigueur à l’époque, car une seule chose compte : l’Amour reçu, l’amour donné…  « Messagers de la Paix, la moisson vous attend… Pour réconcilier le monde, n’emportez que l’Amour… A ceux qui vous accueillent, comme à ceux qui vous chassent, annoncez la Nouvelle : le Royaume de Dieu est là, tout près de vous »…                                                                                     DJF




13ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Se reposer ou danser avec le Christ ?

 

jésus au désert4« Le Fils de l’Homme n’a pas une pierre où reposer sa tête ». Frères et sœurs, vous connaissez peut-être cette boutade hélas authentique. A Jérusalem, au début du vingtième siècle, un musée religieux présentait dans une vitrine, un caillou, avec la mention : « La pierre que Jésus n’avait pas pour reposer sa tête » ! C’est une manière comme une autre d’attirer du public.

En réalité, cette parole du Christ m’a toujours étonné. Pourquoi ? Parce qu’elle est vraiment très paradoxale. En effet, si on y réfléchit, ce n’est pas simplement que Jésus ait une sorte de tempérament actif qui l’incite à ne pas tenir en place. Ce n’est pas simplement l’itinérance du ministère de Jésus qui va de Galilée en Samarie, de Samarie en Judée, qui revient en Galilée et passe de l’autre côté du lac de Tibériade. C’est plus profond que cela. Il est question de reposer sa tête, pas seulement le repos de la tête sur l’oreiller, le fait d’être fatigué, bien que ce ne soit pas exclus dans l’image. Mais je crois que c’est reposer sa tête d’une façon beaucoup plus profonde, comme lorsqu’une femme repose sa tête sur l’épaule de celui qu’elle aime. C’est un geste à la fois d’une infinie tendresse et d’une infinie douceur, ce n’est pas simplement la fatigue ou la lassitude à ce moment-là, c’est la plénitude d’une tendresse que l’amoureuse cherche lorsqu’elle vient délicatement appuyer sa tête sur l’épaule de celui qu’elle aime. Or, Jésus dit que toute sa vie, tout son ministère, toute sa présence parmi nous, il n’a jamais pu reposer sa tête. C’est assez incroyable. On aimerait quand même que lorsque le Christ vient chez les hommes, il puisse trouver quelqu’un à la hauteur. Je sais ce que vous allez me dire, il y avait la Vierge Marie, d’accord, mais c’est quand il était petit. On aurait aimé que Jésus trouve des amis et confidents sur lesquels il puisse avoir totalement confiance. Or, Jésus avoue ici, à la fois une certaine solitude et le fait que cela ne se produira jamais. Si je traduis cette chose-là de façon assez radicale, et je crois vraie, Jésus n’a jamais été vraiment à l’aise dans sa création.

« Dieu est venu chez les siens », et l’évangéliste ajoute : « et les siens ne l’ont pas reçu ». Mais c’est vrai que là, dit de façon plus imagée, c’est à peu près la même chose. Jésus n’a jamais trouvé exactement le repos et la paix dans son ministère même au milieu des siens. On pourrait se dire que nous sommes horriblement coupables, que nous n’avons pas su accueillir, que nous sommes de mauvais hôtes, etc. Mais il faut essayer de comprendre pourquoi. C’est vrai que Jésus, le Fils de l’Homme – c’est pour cela qu’il se désigne Fils de l’Homme, c’est-à-dire celui qui est envoyé du haut des cieux –, n’a pas trouvé où reposer sa tête. Le seul moment où il a réussi à reposer sa tête, c’est quand il a incliné la tête sur la croix, et qu’il a remis son Esprit. C’est là que le Christ est entré dans un repos qu’il n’avait pas trouvé auparavant.Christ Forêt de Bélouve Réunion 4

Qu’est-ce que cela veut dire ? Si on le relit à la lumière de l’ensemble des petits événements qui sont racontés dans cet évangile, cela peut devenir assez éclairant. En fait, pourquoi Jésus est-il venu dans le monde ? C’est une phrase qui va dans le même sens que : « Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé » (Luc 7, 32). C’est quand même terrible de la part du Christ. C’est une sorte d’aveu d’échec très déconcertant. Pourquoi n’avons-nous pas dansé ? Pourquoi les hommes autour de lui devant cette parole de liberté, n’ont-ils pas su retrouver immédiatement leur liberté ? Pourquoi ne l’ont-ils pas senti à travers la personnalité du Christ, à quelques exceptions près, car il y en a quelques-uns qui ont dansé avec lui : c’étaient les boiteux, parce qu’ils se remettaient à marcher et sans doute au début de leur rééducation fonctionnelle, ils ne devaient pas être très habiles, ils s’emmêlaient les pieds et cela ressemblait à une danse. Mais en réalité, c’est vrai, nous n’avons pas dansé. Et le monde aujourd’hui, danse-t-il à la parole de l’évangile ? Ce n’est pas si sûr.

personne en méditationAutrement dit, cette parole et celles qui suivent sur les exigences des disciples nous remettent exactement devant le problème central de Jésus. Jésus ne pouvait pas rester en place et ne pouvait pas rester en repos dans sa création. Pourquoi ? Parce que pour lui, la création telle qu’il est venu la visiter ne pouvait pas être un but. Non seulement il était en marche, mais il fallait qu’il mette le monde en marche. Non seulement il ne se reposait pas, mais d’une certaine manière, il fallait qu’il communique à notre monde l’inquiétude, c’est-à-dire la mise en mouvement vers un ailleurs. Le principal défaut de notre création, de notre monde, c’est souvent de nous dire : « On s’arrête là ». Nous trouvons des milliers de pierres pour reposer notre tête, nous en faisons des maisons de quatre cents, cinq cents mètres, un kilomètre de haut. Là, nous sommes en train de vouloir reposer notre tête. C’est parfois un peu d’orgueil, c’est parfois un peu de vanité, quelquefois c’est seulement la nécessité de se loger, mais c’est vrai que nous avons tendance à vouloir accumuler les pierres en croyant pouvoir y reposer notre tête. Mais le monde et la création ne sont pas faits pour rester immobiles dans une sorte de repos de cimetière. Le monde a parfois trop envie d’être mort pour enterrer ses morts. Le monde trop souvent a une sorte de nostalgie et trop souvent il vit d’un passé un peu facile. Mais ce n’est pas cela que nous devons vivre. La création, le monde, ont été redynamisés de l’intérieur par la présence du Christ.

C’est cela qu’il nous dit aujourd’hui. Si vous croyez que vous pouvez considérer le monde comme un point d’arrêt, si vous trouvez que votre lieu de vie est un bien bel endroit pour attendre passivement la fin du monde, non, ce n’est pas vrai. En réalité, attendre, c’est déjà se mettre en mouvement, et il y a des attentes passives qui tuent, qui fossilisent, qui paralysent, mais il y a des attentes vivantes qui s’appellent le désir et la liberté.

Frères et sœurs, par-delà les formules presque provocantes et choquantes que Jésus a utilisées, il nous ramène en réalité devant un des éléments fondamentaux de notre existence de chrétiens : comment vivons-nous comme êtres créés ? Vivons-nous simplement dans l’idée que nous pouvons trouver une sorte de plénitude autosuffisante, autocentrée ? Ou bien croyons-nous que si le Christ est venu pour rencontrer sa création, n’est-il pas venu comme le fiancé qui vient à la rencontre de sa fiancée, qui lui prend la main et qui l’entraîne sur le chemin du bonheur et de la vie ?28 DTO 1

C’est cela que nous devons toujours nous souhaiter les uns aux autres. C’est cela que nous fêtons dans chaque eucharistie, c’est le moment où recevant le corps et le sang du Christ, nous recevons cette nourriture qui nous emmène au-delà de nous-mêmes, main dans la main avec le Seigneur, qui nous dit : « Tant pis si vous n’avez pas où reposer votre tête, tant pis si vous n’avez pas le temps de régler vos comptes avec votre passé, tant pis si vous ne pouvez pas faire tout ce que vous voudriez maintenant en fonction des exigences présentes. Sachez que votre désir et l’amour que j’ai mis dans votre cœur, et ma grâce, et mon Royaume vous attirent hors de vous-mêmes. Et moi, je vous prends par la main sur le vrai chemin du bonheur, le chemin du Royaume ». Amen.




13ieme Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

 « L’Amour des ennemis, illustré par Jésus (Lc 9,51-62) »  

      Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem.
Il envoya, en avant de lui, des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.
Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem.
Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? »
Mais Jésus, se retournant, les réprimanda.
Puis ils partirent pour un autre village.
En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. »
Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
Il dit à un autre : « Suis-moi. »      L’homme répondit :    « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. »
Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. »
Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. »
Jésus lui répondit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »

suis-moi

 En 931 avant JC, à la mort du roi Salomon, le fils de David, Israël se coupa en deux, avec le Royaume du Nord et le Royaume du Sud. Puis, en 721 avant JC, le roi assyrien Sargon II annexa le Royaume du Nord. Beaucoup de païens vinrent alors s’installer au milieu des Juifs, apportant avec eux leurs pratiques idolâtriques qui, petit à petit, s’infiltreront jusques dans le culte rendu au Dieu d’Israël. Le Royaume du Sud, resté partiellement indépendant, se mettra donc à regarder avec beaucoup de méfiance ce Royaume du Nord, ces Samaritains, appelés ainsi du nom de leur capitale « Samarie ». Et à l’époque de Jésus, « les Juifs n’avaient pas de relation avec les Samaritains » (Jn 4,9). Les deux s’évitaient soigneusement… Et pourtant, à l’origine, ils ne formaient qu’un seul Peuple, le Peuple d’Israël, le Peuple de Dieu…
 Mais Jésus est venu réconcilier toute la famille humaine avec Dieu, et donc tous les hommes entre eux… Pour aller à Jérusalem, il n’évite donc pas la Samarie comme le faisaient ses compatriotes qui passaient par la mer ou par la Transjordanie. Il traverse leur territoire, s’approche d’un village et envoie des messagers devant lui. Délicatesse du Christ qui prévient de sa venue et ne s’impose pas. Mais en apprenant qu’il se « dirige vers Jérusalem », ils refusent de l’accueillir. Réaction immédiate et si humaine des disciples : colère, violence, que « le feu tombe du ciel et les détruise ». Mais Jésus les interpelle vivement : pas question… Eux aussi sont ses bien-aimés… Il reviendra plus tard, avec son Eglise « Corps du Christ » (1Co 12), pour leur proposer à nouveau avec elle et par elle son Amour, sa Paix, sa Lumière, sa Vie et sa Joie… Ressuscité, il dira en effet à ses disciples : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Et il est le premier à espérer que cette fois, ils accepteront de l’accueillir, pour leur seul bien. Car « à tous ceux qui l’ont accueilli, il leur a donné de pouvoir devenir » pleinement ce qu’ils sont déjà : « des enfants de Dieu » (Jn 1,12), « créés à son image et ressemblance » (Gn 1,26-28) et appelés à vivre de la Plénitude de sa Vie…
 Jésus va ensuite inviter ses disciples à le suivre avec encore plus de proximité. Qu’ils se dépouillent de tout attachement aux biens matériels, car « le Fils de l’Homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »  Qu’ils veillent avant tout à « annoncer le Règne de Dieu », car « là » est le vrai Trésor. « Le Royaume des Cieux est en effet justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17), « l’Esprit qui vivifie » et apporte avec lui le vrai bonheur… DJF       




12ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

De la confession de foi à la vie dans la foi

 

Pour vous qui suis-je« Pour vous, qui suis-Je ? » Pierre répondit : « Le Christ de Dieu »». Mais lui leur enjoignit et prescrivit de ne le dire à personne. « Le Fils de l’homme, dit-il, doit souffrir beaucoup, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter ».

Je pense qu’il nous est difficile d’imaginer l’éclair de lumière qui a traversé le cœur de Pierre au moment même où il a prononcé ces paroles. Quand Pierre, au nom des apôtres, répond à la question du Christ : « Pour vous, qui suis-je ? » et qu’il Lui dit : « Tu es le Christ de Dieu », il dit ce qui constitue le cœur même de notre foi, il touche pour ainsi dire la réalité la plus profonde et la plus essentielle qu’un homme est capable de dire concernant Celui qui vient nous sauver, concernant le Christ. Cela dépasse infiniment toutes les opinions, toutes les appréhensions que pouvaient en avoir les gens, les foules qui côtoyaient le Christ et qui, sur la base de tel témoignage, de tel miracle ou de telle réflexion assez avisée ou acérée que Jésus renvoyait aux pharisiens, pouvaient juger de ce qu’Il était : un prophète ou un annonciateur éminent du Royaume.

En fait quand Pierre dit : « Tu es le Christ », il entre désormais dans une économie nouvelle et c’est pour cela que Pierre est Pierre, il est le roi et fondateur, il entre dans l’économie du regard même de la foi. Il sait discerner dans Celui-là même qu’il côtoie depuis quelques années, et peut être simplement depuis quelques mois, il sait discerner et confesser le cœur même de Celui qui vient parmi les hommes, pour les sauver.4ième dimanche de paques1

Pourtant, il est tout à fait remarquable que le Christ, à ce moment-là, coupe court en leur demandant de n’en parler à personne. Il y a beaucoup d’hypothèses sur ce silence que le Christ demande à ses disciples de respecter absolument concernant sa propre personne. La plus vraisemblable c’est que si, à ce moment-là, avait commencé à se répandre le bruit que le Christ était le Messie, sa mission risquait de dégénérer dans une aventure politique extrêmement hasardeuse du fait qu’Il vivait dans un contexte particulier : les foules qui le suivaient vivaient dans une ambiance politique et sociale plutôt effervescente, les juifs étaient excités contre le pouvoir romain, enthousiasmés par différents messianismes de restauration d’Israël qui pratiquement chaque fois se soldaient par des révoltes et des bains de sang. Bref Jésus-Christ ne voulait pas entrer dans ce jeu-là. Pourtant, est-ce simplement cela dont il s’agit ? Immédiatement après, Jésus leur dit qu’Il doit aller à Jérusalem, être maltraité, mourir et ressusciter.

Il me semble qu’il y a entre, d’une part, cette attitude du Christ vis-à-vis de la foi de Pierre si droitement, si pleinement et entièrement confessée, et d’autre part, le déploiement réel de sa mission de Sauveur par la mort et la Résurrection, une relation qui, pour comprendre notre foi, est absolument indispensable. Lorsque nous croyons, nous pouvons d’abord confesser, et c’est nécessaire, que le Christ est Fils de Dieu. Mais après ? Après, c’est vrai, nous pouvons en rester là. Nous pouvons nous dire simplement : « Je crois qu’il y a vingt siècles, un homme est mort et qu’Il est le salut du monde ». Mais à quoi cela nous servirait ? Ça serait sans doute, et c’est peut-être encore pour beaucoup d’hommes, une grande consolation et une grande espérance.

Pardon 1Mais fondamentalement, pourquoi est-Il mort ? Pourquoi est-Il venu ? Pourquoi est-Il ressuscité ? Est-ce simplement pour nous « faire voir » ce qu’Il fait en notre faveur, afin que nous l’apprenions et que nous le sachions ? Je ne le crois pas. Même si la foi confessant droitement le Christ comme Messie de Dieu est absolument indispensable, il faut sur ce fondement et sur ce roc, bâtir quelque chose, non pas par nous-mêmes, mais par la grâce du Christ en nous. Et c’est là que commence l’aventure personnelle de chaque croyant, à l’intérieur même et sur la base même de la confession de foi. C’est comme si le Christ disait à Pierre : « Tu as vu juste, mais tu ne peux pas te contenter d’une vue juste. Ce qui dans ton intelligence et ton cœur a été révélé par l’œuvre de la grâce de mon Père en toi, cela constitue le fondement : mais tu ne peux pas en rester là. Il faut désormais que Je t’entraîne dans une aventure où Moi-même, que tu reconnais comme ton Christ et ton Sauveur, Je vais progressivement te faire entrer dans la compréhension de ce que Je suis : Celui qui meurt pour toi et qui ressuscite pour toi ». L’aventure de la grâce est donc cette histoire dans laquelle le Christ s’emparant de celui qui confesse : « Tu es Seigneur », lui fait découvrir dans sa propre existence et dans sa propre chair ce que veut dire : « Jésus est le Seigneur mort et ressuscité pour moi ».

Nous passons du stade de la confession à l’histoire personnelle qui se déploie dans l’économie d’une vie humaine, par laquelle le Christ progressivement s’empare de tout nous-mêmes, dans notre être le plus profond, dans notre intelligence, dans notre désir et dans notre volonté, progressivement Il façonne cela même que nous sommes dans l’économie de sa Mort et de sa Résurrection. Voilà ce que nous voyons petit à petit se réaliser en répondant à ce travail du Christ, de l’Esprit Saint et de la grâce en notre cœur. Nous passons progressivement de ce que nous confessons en toute vérité à une transformation de notre existence même, par l’apprentissage d’une mort et d’une résurrection qui, au lieu de s’accomplir dans la solitude, est entrée dans la mort avec le Christ qui meurt pour nous, dans la résurrection qui, loin d’être simplement une aspiration à une survie et à un bonheur sans fin est une résurrection par laquelle le Christ nous ressaisit dans tout notre être et nous fait participer progressivement à sa vie éternelle.

Logo année de la Miséricorde - détail

Il y aura toujours un décalage entre les deux stades, il y a un décalage entre l’acte par lequel nous confessons la foi et l’œuvre de la grâce qui s’accomplit progressivement en nous. Nous ne pouvons pas dire en vérité et en plénitude que le Christ est Seigneur si nous n’entrons pas progressivement dans un mystère de mort et de résurrection. Si la foi était simplement un accord de notre intelligence à donner, accord nécessaire, ce serait totalement insuffisant. Cette foi-là ne pourrait constituer à elle seule une source de salut. Il faut que la manière même dont le Christ, par sa grâce, s’empare réellement de nous et nous fait réaliser comment, progressivement nous entrons dans une mort à nous-mêmes comme Lui-même est mort pour nous, nous fasse progressivement entrer dans une vie pour Lui, car Lui aussi vit pour nous.

Tel est le chemin de notre foi. Sur la base d’une confession véritable qui est portée par l’Église, qui est portée par tous nos frères, qui est sans cesse gardée par le magistère apostolique du Collège des évêques avec Pierre à sa tête, sur la base de cette foi, c’est une multitude d’aventures personnelles dans lesquelles chacun découvre ce que signifient sa propre mort et sa résurrection par et dans le Christ.

main de dieuCes réflexions rejoignent très concrètement la manière dont nous devons vivre. En effet, pourquoi vivons-nous un certain nombre d’années sur la terre ? Au fond, cela pourrait être beaucoup plus simple si à partir du moment où nous avons confessé droitement la foi de notre baptême, tout rénovés, nous soyons immédiatement sauvés par le Christ dans sa Résurrection. Vous me direz peut-être que vous n’en avez pas tellement envie, mais au fond ce ne serait peut-être pas si mal d’entrer directement dans la vision de la gloire de Dieu immédiatement après avoir confessé la vérité même de la foi.

Pourquoi donc y a-t-il un temps ? Pourquoi Dieu n’a-t-il pas renié ce caractère très progressif de notre existence, ce caractère très lent de l’épanouissement de notre intelligence et de notre cœur et de tout ce que nous sommes ? C’est pour la raison que nous avons dite. Il nous a apporté la vérité même du salut, mais Il veut, et c’est le sens de notre vie chrétienne, que cette vérité même du salut, s’incorpore progressivement à nous-mêmes. Au plan des relations humaines, nous savons bien que, lorsque nous découvrons la réalité même du cœur de quelqu’un, par exemple pour des parents le fait de s’émerveiller devant la naissance de leur enfant, ce premier regard et ce premier instant sont comme une illumination qui doit se déployer au jour le jour lorsque les parents, progressivement, façonneront le cœur de l’enfant pour que s’épanouisse en lui la plénitude de sa vie humaine, de sa pensée et de son désir. De la même façon, quand le Christ nous saisit par la grâce de la foi, il pose le fondement et ensuite Il nous dit : « Il faut que tu suives mon chemin à Jérusalem, il faut que tu entres dans le mystère même de ma Résurrection ». Cet itinéraire n’est pas à opposer aux grandes vérités de la foi, il est fondé en elles, mais la plupart du temps nous avons un peu tendance à nous « endormir » sur ces grandes vérités et à nous dire que puisque nous avons le minimum vital et essentiel, cela nous suffit. Et nous ne savons pas laisser faire en nous le travail de la grâce de Dieu qui, progressivement, fait que les grandes vérités fondatrices de notre foi et de notre existence, deviennent notre propre chair, notre propre cœur et notre propre intelligence tournés vers Dieu dans et par le Christ. Amen.jesus-christ-0305




12ieme Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

 « Mourir à soi-même pour vivre de Dieu (Lc 9,18-24) ! »  

      En ce jour-là, Jésus était en prière à l’écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : « Au dire des foules, qui suis-je ? »
Ils répondirent : « Jean le Baptiste ; mais pour d’autres, Élie ; et pour d’autres, un prophète d’autrefois qui serait ressuscité. »
Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Pierre prit la parole et dit : « Le Christ, le Messie de Dieu. »
Mais Jésus, avec autorité, leur défendit vivement de le dire à personne,
et déclara : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. »
Il leur disait à tous : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. »

Pour vous qui suis-je

Jésus va bientôt prendre « avec courage la route de Jérusalem » (Lc 9,51), et il connaît les souffrances qui l’attendent. Mais il va les accueillir librement, et continuer de manifester à travers elles, et cela avec une intensité unique, que « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16) et qu’il n’est qu’Amour. A tout ce mal que lui feront les hommes, il ne répondra en effet que par l’Amour, offrant silencieusement sa vie pour notre salut à tous, et notamment pour ceux là mêmes qui s’acharneront sur lui… « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34).

            L’heure est donc venue de faire le point avec ses disciples. Si les foules n’ont qu’une connaissance très vague de son Mystère, eux, que disent-ils ? Tu es « le Messie de Dieu », « l’Oint de Dieu »… La réponse est bonne, car Jésus est bien ce Fils Unique qui reçoit du Père, de toute éternité, cette Onction de l’Esprit par laquelle il est engendré en Fils. Mais eux pensent encore « le Messie » en termes politiques. Ils le voient comme celui qui restaurera la royauté en Israël (Ac 1,6) en chassant l’envahisseur romain… Aussi Jésus leur annonce-t-il ici sans détours ses souffrances prochaines. Il sera « rejeté par les Anciens, les Chefs des Prêtres », les responsables d’Israël. La perspective humaine qu’il leur offre est donc celle d’un échec apparent qui, pourtant, manifestera le triomphe de l’Amour…

            Bien plus, si quelqu’un veut le suivre, Jésus l’invite à « renoncer à lui-même ». Mais « nous avons déjà tout laissé », « maison, frères, sœurs, mère, père, enfants et champs », « et nous t’avons suivi » (Mc 10,28-30 ; Ac 4,34)… Le renoncement est déjà grand, mais Jésus invite à aller encore plus loin. Il s’agit ici de « prendre sa croix chaque jour », de « le suivre », de « perdre sa vie » et cela afin de « la sauver ».

            Heureusement, le but est bien de vivre, et de vivre pleinement… Jésus nous appelle en fait ici à mourir à tout ce qui nous empêche de participer à la Plénitude de sa Vie : notre orgueil, notre amour propre, notre égoïsme et toute forme de recherche de nous-mêmes. En effet, « le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23).

            Il s’agit donc de « renoncer » au « péché » qui nous tue spirituellement pour pouvoir accueillir « le don de la vie éternelle », par « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63) ! Mais quel combat ! « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu, car tout est possible à Dieu. » Alors heureux qui lui offre sa confiance, il ne sera pas déçu (Ps 22(21)). L’Amour, petit à petit, sera aussi en lui vainqueur de tout mal et la Vie de Dieu finira par triompher !                           DJF




11ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Un geste provocant, appel au pardon…

pardon force qui libére

Frères et sœurs, nous nous trouvons là, même si notre habitude et nos réflexes un peu polis ont complètement érodé la rudesse de ce texte, nous sommes là devant un des textes les plus provocants du Nouveau Testament. La plupart du temps on pense à la scène de la fille d’Hérodiade qui danse devant le roi Hérode pour obtenir la tête de Jean-Baptiste, ici, nous avons quasiment une scène de séduction qu’on pourrait qualifier de provocante !

Aujourd’hui tout cela nous paraît très lointain, et peut-être que notre culture actuelle est devenue beaucoup plus libre en matière de conventions sur les relations affectives entre les hommes et les femmes, mais à cette époque-là, être le témoin de la scène qui vient de nous être décrite dans l’évangile de Luc, était proprement insupportable. D’abord, une chose qui ne se faisait pas : quand on est dans une réunion d’hommes, de savants, il ne convient pas qu’une femme si éduquée soit-elle, si savante soit-elle en matière de Loi, puisse entrer dans le milieu que constitue cette convivialité du repas. Cela ne se fait pas… A plus forte raison quand cette femme a une certaine réputation comme on nous le dit dès le début du texte puisqu’on nous signale que c’est une femme de la ville, cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas rustique, c’est une femme publique.

pecheresse-chez-simonDéjà ce détail est très choquant. Jamais, au grand jamais dans un repas, une réunion publique, une femme n’aurait fait ce qu’a fait cette femme. En effet, et Jésus d’ailleurs compare les deux rituels de rencontre et d’accueil, celui du pharisien comme il aurait dû le faire et la femme comme elle l’a fait, et il tient à noter toutes les différences et les oppositions radicales qui existent entre les deux comportements. Quand quelqu’un arrive dans une maison, habituellement on peut lui laver les pieds avec de l’eau, et surtout pas avec du parfum, et le plus qu’on puisse faire avec le parfum, c’est le répandre sur la tête. Or cette femme prend exactement le contre-pied. Elle arrive, va vers Jésus (c’est un repas à la romaine et manifestement les convives sont allongés sur des divans), la femme survient à l’improviste, en cachette, peut-être même que les serviteurs n’ont pas pu l’empêcher d’entrer, elle se met près du divan sur lequel était étendu Jésus, elle commence une scène qu’on pourrait interpréter comme étant une scène de séduction. C’est d’ailleurs ce que pense Simon : « S’il savait qui est cette femme et ce qu’elle est en train de faire ! » Il n’arrive même pas à penser que Jésus se rende compte de la situation. Or, que fait cette femme ? Elle fait ce qui est au maximum de la séduction érotique de l’époque, elle délie sa chevelure, ce qui est le summum de la provocation, elle commence à verser le parfum sur les pieds de Jésus, ce qui ne se passait peut-être que dans des maisons closes ! Il fallait vraiment une sorte de volonté de séduction pour verser du parfum sur les pieds de quelqu’un. Le parfum sur les pieds, accompagné de larmes, qui sont interprétables dans les deux sens, ou bien les larmes de l’amoureuse éperdue ou bien les larmes de la pécheresse, c’est un signe ambigu, et sacrifier son brushing en essuyant le parfum huileux avec ses cheveux, c’est très cher comme séduction.

De l’avis de tous les exégètes, ce texte a certainement fait du bruit dans le petit territoire de la Galilée autour de la maison de Simon le pharisien. Ce geste est vraiment une provocation érotique qui est inadmissible en public. Normalement, Jésus aurait dû mourir de honte. C’est ce que le pharisien s’empresse de dire de façon voilée : « S’il savait… il ne pourrait pas rester à table ». Ce genre de situation aurait dû mettre Jésus dans l’embarras, et c’est le paradoxe, Jésus n’est pas du tout gêné ! Il est parfaitement à l’aise, il laisse faire la femme, il est accueillant à ce geste, et du côté des convives qui sont tous des docteurs de la Loi, petit à petit cela crée un froid est c’est peut-être dans ce sens que la réaction de Simon nous est rapportée. On veut bien que cela ait eu lieu, mais on va s’empresser d’oublier et de continuer à discuter des choses plus sérieuses, sur la Loi.

A ce  moment-là, Jésus renverse la situation de façon assez étonnante. Pourquoi ? Luc dans son récit prend un malin plaisir à souligner l’ignorance de Jésus. « S’il savait ! » Il n’est sûrement pas un prophète, sûrement pas un docteur, sûrement même pas un homme ordinaire puisqu’il n’a pas la perspicacité des gens ordinaires qui pourraient se rendre compte de la signification du geste de la femme. L’impression qu’a Simon au fond de son cœur, c’est que Jésus est complètement ignare. Le pharisien prend soin de souligner l’ignorance de Jésus et son mauvais comportement qui laisse faire face au comportement de la femme. Pardon 1La parabole que Jésus propose à ce moment-là est une parabole où d’une part Jésus commence à faire comprendre à Simon non seulement qu’il a compris le geste de la femme, mais qu’il a compris ce que Simon avait dans son cœur. Il a deviné la réflexion de mépris et d’embarras du pharisien par rapport à la scène. Il a compris sans explication, l’attitude de Simon, mais petit à petit il va montrer que le sens même de la scène est totalement l’inverse de ce que le pharisien croyait avoir perçu.

Autrement dit, cette scène commence par une sorte d’affirmation massive de l’ignorance de Jésus face à l’incongruité de la scène, et à travers la parabole des deux débiteurs Jésus montre que la situation était tout autre. Désormais c’est celui qu’on croyait ignorant qui a compris ce qui se passait, et que c’est celui qui croyait savoir qui en réalité n’a rien compris. C’est ce qui fait le côté saisissant du récit de Luc. On n’en a pas autant dans le récit de Jean et des autres synoptiques. Luc souligne vraiment que Jésus qu’on tenait pour celui qui ne sait pas, celui qui ne comprend pas, celui qui se comporte mal et à la limite est complice avec le geste de la femme, est en réalité celui qui a compris le jugement du pharisien et lui a montré qu’il ne comprenait rien.

Qu’est-ce que Jésus a compris ? Une chose assez simple mais très belle. Il a compris que cette femme l’aimait. Cela demandait déjà de la part de Jésus une véritable perspicacité. Reconnaissez-le, cette femme a voulu manifester son amour à Jésus avec ses moyens personnels. Comme c’était une femme « de métier », elle a cru qu’en en rajoutant un peu, ce serait d’autant plus touchant. Jésus voit bien qu’elle se comporte vis-à-vis de lui comme une prostituée. Mais il conseille au pharisien de ne pas la juger pour cela, elle fait ce qu’elle peut.amour du christ Le comportement de cette femme vis-à-vis de Jésus si ambigu soit-il ne manifeste qu’une chose : « Elle a beaucoup aimé ». Et à l’inverse Jésus dit à Simon qu’il avait tout ce qu’il fallait pour l’honorer selon les rites qui sont les siens, plus convenables et beaucoup moins chers, mais il ne l’a pas fait ! Il n’a même pas fait les rites qui auraient pu être ceux de l’accueil étant donné sa condition et s’il avait vraiment voulu l’honorer. Autrement dit, il ne l’a jamais vraiment aimé ! Il n’a même pas respecté les rites normaux d’accueil à ta table. Il a invité Jésus sans l’honorer, alors que cette femme l’a honoré avec des moyens sans doute contestables et discutables, mais elle a essayé de faire le maximum pour l’honorer.

C’est le ressort profond de cette parabole. C’est le retournement à partir de la perspicacité pardonnante de Jésus, c’est à partir de cette perspicacité, de cette capacité de lire au fond du cœur du pharisien que Jésus retourne complètement la situation. Il montre que ceux qui croyaient savoir, interpréter les signes et les gestes étaient à côté, et ceux qui ne savaient pas se servir exactement des gestes comme il l’aurait fallu, en réalité à cause de leur désir et de leur besoin de pardon étaient exactement dans la démarche qu’il fallait pour obtenir la miséricorde.

Frères et sœurs, il est étonnant que ce texte soit entré dans la tradition et qu’il ait pu trouver cette formulation dans l’évangile de Luc. Je pense que cela nous donne quelques repères. Il est vrai que toutes les religions et tous nos comportements sociaux, culturels, religieux sont des comportements dont la signification est généralement admise et comprise par tous. Mais il arrive que dans l’histoire des personnes, des signes soient posés qui sont complètement à l’envers. Cela veut-il dire à partir du moment où la personne ne rentre pas dans le cadre exact du comportement religieux qu’elle doit être rejetée du festin du Royaume ? Rien n’est moins sûr. En fait, ce que Jésus, à travers cet évangile, nous demande, c’est une fois de plus de comprendre comment fonctionnent les signes du Royaume. Certes, pour beaucoup d’entre eux ils rentrent dans notre manière d’être, notre culture, mais il ne faudrait pas que l’habitude des signes religieux ferme notre cœur aux gestes les plus étonnants, les plus contrariants, et aux signes les plus provocants qui pourtant manifestent en vérité la venue du Royaume dans le cœur de cette femme. AmenDieu est amour 2