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Le Saint Sacrement par P. Claude Tassin (29 Mai 2016)

 

Genèse14, 18-20 (Melkisédek offre à Dieu le pain et le vin)

Étoile filante dans le livre de la Genèse, *Melkisédek est roi de (Jéru-) « salem », ville païenne en ce temps-là. Son nom signifie « roi de justice », comme Jérusalem porte le surnom de « cité de justice » (Isaïe 1, 26). Comme d’autres rois orientaux, il est aussi prêtre; il sert le « dieu Très Haut », un dieu cananéen ici identifié au Dieu d’Israël.

Cette légende semble tardive et viendrait du temps où, après l’exil, le grand prêtre remplaçait le roi. Elle explique pourquoi le peuple juif (= Abraham) paie la dîme (« le dixième ») au Temple. C’est que le grand prêtre offre au nom du peuple les sacrifices (« le pain et le vin ») et exerce la bénédiction en son double sens : transmettre à tous les bienfaits de Dieu (« Béni soit Abraham ») et louer Dieu pour ses hauts faits (« béni soit Dieu… »). C’est déjà le double mouvement de l’eucharistie.

Parce que Melkisédek tombe de nues dans le récit, certains cercles juifs anciens virent en lui la figure d’un Messie qui viendra du ciel où il exerce la fonction de grand prêtre. La Lettre aux Hébreux (7, 4-10) identifiera le personnage à Jésus. Puis, avec la mention du pain et du vin, les Pères de l’Église verront en Melkisédek Jésus, prêtre du sacrifice nouveau de l’eucharistie.

Melkisédek… à Reims. Heureux les Rémois qui voient, au fond de leur cathédrale, une sublime illustration sculptée de Genèse 14, 18-20 ! Abraham porte une armure, puisque, selon le texte biblique, il revient de guerre. Une ample chasuble gothique revêt Melkisédek. C’est une hostie qu’il montre à Abraham, chevalier aux mains jointes et au buste incliné. La sculpture atteste la force de l’interprétation eucharistique du récit biblique, au point que, traditionnellement, cette partie du haut-relief est intitulée « la communion du chevalier ».

 

1 Corinthiens 11, 23-26 (« Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez vette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur »)

Écrite avant les évangiles, la première Lettre aux Corinthiens offre le récit le plus ancien de l’institution de l’Eucharistie. Paul le présente comme une tradition reçue ; il l’a sans doute recueilli dans l’Église d’Antioche et il partage cette tradition avec l’évangile de Luc. Marc et Matthieu représentent une autre tradition.

Le pain

Le Seigneur accomplit d’abord les rites de bénédiction de la table juive. Ces gestes signifient que l’on voit dans ce pain le don de Dieu pour subsister et vivre ensemble. Mais Jésus ajoute : ce don de Dieu, c’est « *mon corps, qui est pour vous ». Prenant ce pain comme étant le corps du Christ, nous faisons l’expérience que sa mort est pour nous source de vie.

Le vin

Chez les Juifs, la coupe est signe de la fête, surtout celle de Pâques. Elle est ici comprise comme celle de l’Alliance nouvelle annoncée par Jérémie 31, 31-34, nouvelle manière de vivre ensemble et avec Dieu. Elle est fondée sur le sang, non plus celui du sacrifice du Sinaï (Exode 24, 8), mais le sang versé par celui qui « a goûté la coupe de la mort », comme on disait alors (cf. Marc 10, 38).

Le mémorial

Accomplir ce mémorial (« faites cela en mémoire de moi »), c’est proclamer devant Dieu le sens de « la mort du Seigneur », dans l’espérance qu’il vienne accomplir en plénitude le mystère d’une communion universelle.

* « Mon corps », dit Jésus. S’exprimant en araméen, dans la culture juive, il évoque ainsi son être périssable, fragile. « Communier », c’est nous unir à la mort du Christ comme à une source de vie. Paul, lui, parle dans le milieu gréco-romain où « le corps » évoquait entre autres réalités les corporations professionnelles. « Communier », c’est faire corps ensemble dans le Christ, par delà nos différences. Et nous, au 21ième siècle, que mettons-nous sous cette expression « mon corps » ? Car l’histoire de l’Eucharistie continue…

Luc 9, 11b-17 (« Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés »)

*La multiplication des pains, dernier geste de Jésus en Galilée, révèle aux apôtres son identité profonde, puisque, aussitôt après, Pierre déclare : Tu es « le Christ de Dieu » (Luc 9, 20). Après quoi Jésus annonce la nécessité de son passage par la croix. Ce don des pains offre une triple révélation :

Jésus nouvel Élie/Élisée

Chez le roi Hérode Antipas (cf. Luc 9, 7-9), on s’interrogeait : Jésus est-il Élie ou quelque prophète ressuscité ? Pour Luc, Jésus est bien le nouvel Élie, ce qui inclut aussi les œuvres de son disciple Elisée. Or, 2 Rois 4, 42-44 attribue à Élisée la multiplication de vingt pains pour cent personnes. Ici, le rapport est plus frappant : cinq pains pour cinq mille personnes. Comme le serviteur d’Élisée faisait la distribution, de même ici les disciples de Jésus. Élisée avait annoncé qu’il y aurait du surplus, « et il en resta, selon la parole du Seigneur ». Ici, à la fin, douze pleins paniers. On songe au symbole des douze tribus d’Israël : Jésus nourrit tout son peuple.

Une annonce de l’Eucharistie, la «fraction du pain»

Jésus « prend » les pains, « les bénit » (verbe juif), « les fractionne » et « les donne ». Ce sont les mots de la Cène en Luc 22, 19 où, cependant, le verbe « rendre grâce », plus grec, remplace le terme « bénir » (Comparer avec la 2e lecture). Ce sont aussi les mots de l’épisode d’Emmaüs (voir Luc 24, 30), avec deux autres analogies :

1) « le jour commençait à baisser » (= l’heure de la Cène : comparer Luc 24, 29) ;

2) au geste de Jésus « fractionnant » les pains correspond l’aveu des disciples d’Emmaüs : ils ont reconnu le Seigneur « à la fraction du pain ». Cette expression désigne l’eucharistie chez Luc (comparer Actes 2, 42 et 20, 7).

« Tous mangèrent à leur faim »… En cette scène, l’évangéliste songe tellement à l’eucharistie qu’il en oublie le reste de poissons (comparer Marc 6, 43) !

Ainsi Jésus, le prophète, ne se contente pas « d’enseigner » et de « guérir », selon l’introduction de l’épisode : il nourrit. Mais il nourrit du don de sa personne. Il faudra donc attendre la Croix pour que se réalise le sacrement qui, en outre, n’adviendra pas sans le concours des Douze.

Le ministère du partage

Ces apôtres viennent de partager le ministère de Jésus. Comme lui, ils ont annoncé « le règne de Dieu » et opéré des guérisons (cf. Luc 9, 1-2 & 6). Fatigués de leur mission, ils n’ont qu’une hâte : que la foule parte se loger dans les environs ! Non, dit Jésus, « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Avec le peu dont ils disposent, il fera merveille, et c’est de leurs mains qu’ils « distribueront » son abondance.

De la manne à l’Eucharistie

Pour l’heure, le don du pain est accordé à Israël. Ainsi doit-on comprendre la mention des cinq mille et des groupes de cinquante, reflétant l’organisation d’Israël au désert (voir Exode 18, 21-25), de même que les douze corbeilles rappellent les douze tribus.

Après la Croix, les disciples enseigneront et guériront. Mais ils devront aussi nourrir les affamés, au sens matériel; car avec le peu qu’ils ont, le Christ fera des miracles. Les nourrir aussi, sans distinction d’origine, par le rite de la « fraction du pain ». Charité concrète et sacrement de la communion sont les « pile et face » inséparables de l’Eucharistie.

* Combien de multiplications des pains ? Six ! deux en Marc + deux en Matthieu + une chez Luc + une chez Jean. Mais ces textes se réduisent à deux manières de raconter un même événement. Laissons de côté Jean 6, 1-15 qui fait des récits de ses prédécesseurs un préambule au discours sur « le Pain de Vie » (Jean 6, 22-66).

1) Marc et Matthieu ont deux récits :

a) Marc 6, 30-44 et Matthieu 14, 13-21 se rejoignent : Jésus « bénit » les pains (expression palestinienne) ; les bénéficiaires sont 5000 et on ramasse 12 corbeilles. Par ces nombres symboliques, Jésus nourrit le Peuple choisi, les Juifs qui croient en lui.

b) Marc 8, 1-10 et Matthieu 15, 32-39 se rejoignent : Jésus « rend grâce » sur les pains (expression grecque); les bénéficiaires sont 4000 (symbole d’universalité – les 4 points de l’univers) et on ramasse 7 corbeilles (selon les 7 conseillers dirigeant les Églises grecques, cf. Actes 6, 1-6 ; 21, 8).

2) Luc ne retient que la tradition 1/a. Pour lui, c’est seulement après la croix du Christ que la multiplication des pains sera eucharistie pour tous les peuples de la terre.

 




Le Saint Sacrement par le Diacre Jacques FOURNIER

« Le Corps et le Sang de Jésus donnés pour notre Vie (Lc 9,11b-17) » 

 

En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu et guérissait ceux qui en avaient besoin.
Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. »
Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. »
Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. »
Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde.
Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule.
Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.
   

   

ST SACREMENT 1

 

            Jésus vient d’envoyer les Douze en mission « annoncer la Bonne Nouvelle » du Royaume de Dieu« et faire partout des guérisons » (Lc 9,6). Et c’est à leur retour, après avoir parlé une fois de plus du « Règne de Dieu » et « guéri ceux qui en avaient besoin », qu’il va vivre avec eux cette multiplication des pains qui annonce l’institution de l’Eucharistie : son corps et son sang donnés pour la vie du monde… Jésus sent que sa fin approche… Et de fait, juste après, lors de sa Transfiguration, Moïse et Elie, « apparus en gloire, parleront de son départ qu’il allait accomplir à Jérusalem » (Lc 9,31). Jésus annoncera alors par deux fois sa Passion (9,22.44), et il invitera ses disciples à « se charger de leur croix chaque jour, à sa suite » (9,23). Puis il prendra « résolument le chemin de Jérusalem » (9,51) pour se livrer aux pécheurs, et mourir, de leurs mains, pour leur salut…

            La Fête du Corps et du Sang du Christ est donc, une fois de plus, celle de l’Amour. Jour après jour, la célébration de l’Eucharistie actualise en effet le don de Jésus « jusqu’à l’extrême de l’amour » (Jn 13,1). Il va « prendre sur lui nos infirmités, il va se charger de nos maladies » (Mt 8,17), il va « souffrir pour nous » en « portant lui-même nos fautes dans son corps » (1P 2,21-25). En silence, sans un mot, il va « enlever le péché du monde » (ce péché qui nous écrase, nous opprime, nous blesse et nous tue)en le prenant sur lui ! « Pour nous, c’est justice, nous payons nos actes », disait un des deux criminels crucifiés avec lui. « Mais lui n’a rien fait de mal… Jésus, souviens-toi de moi lorsque tu viendras avec ton Royaume ». Et il lui dit : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23,39-43). La prophétie d’Isaïe s’accomplissait : « Il a été compté parmi les criminels, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les criminels » (Is 53,12).

            Ouvrir aux criminels repentants les portes du Royaume ! Tel est le Mystère qui se renouvelle en chaque Eucharistie où nous commençons tous par nous reconnaître pécheurs. Puis nous écoutons la Parole de Vie, la Bonne Nouvelle du Salut, et nous recevons gratuitement de l’Amour, le corps et « le sang de Jésus versé pour la multitude en rémission des péchés », ce sang qui symbolise sa Vie… Alors, purifiés par l’Esprit « Eau Pure » (Ez 36,25-27 ; 1Co 6,11), nourris de sa Vie par « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6), nous repartons fortifiés dans la vie pour mieux mener avec Lui le combat de la Vie !                                                                                 

  DJF

           




La Trinité – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Laissons la parole à l’esprit

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« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire mais vous ne pouvez pas le porter à présent ». Frères et sœurs, lorsqu’on lit l’évangile de saint Jean, on s’aperçoit que saint Jean ne s’est pas simplement appliqué comme une sorte de journaliste très scrupuleux, à consigner très exactement dans tous les moindres détails les paroles de Jésus, ses faits et gestes. La preuve c’est que chaque fois qu’il nous raconte un épisode de la vie de Jésus, l’épisode prend toujours une sorte d’ampleur et de dimension qu’on ne soupçonnait absolument pas. En fait Jean, non seulement évoque et rassemble ses souvenirs au sujet de Jésus, mais il est comme lui-même étonné de ce qu’il peut en dire. Et c’est la chose sans doute la plus étonnante qui soit, c’est qu’à certains moments rétrospectivement, on comprenne mieux ce qui s’est passé que lorsqu’on était immédiatement témoin sur le moment.

C’est ce qui s’est passé lorsque Jean nous a rapporté les dernières recommandations de Jésus. Il a compris à ce moment-là que ce que Jésus leur avait dit, ce qu’il leur avait dévoilé et révélé, était finalement encore assez peu de chose par rapport à ce qu’ils comprenaient, vingt ou quarante ans plus tard. Donc, cet évangéliste s’est attaché à découvrir petit à petit, comment il se fait que nous puissions mieux comprendre maintenant que lorsque nous étions auprès de Jésus.

Dans notre pensée à tous, c’est quand on est à la source qu’on comprend le mieux. On croit toujours que les témoins oculaires peuvent dire : « J’ai vu ça, j’ai vu ça et encore ça ! » Et souvent, c’est une des choses qui se passe dans les procès, au début il y a apparemment des évidences : c’est lui qui est coupable, c’est elle qui a tué, c’est celui-ci qui a commis le crime. Et au fur et à mesure que l’on commence à analyser tout ce qui a pu se passer, la concordance des témoignages, on s’aperçoit qu’en réalité, c’était une autre piste qu’il fallait suivre. Pour Jean, il y a un petit côté policier dans son évangile : il s’aperçoit tout à coup qu’il peut dire des choses que sans doute Jésus avait suggérées, mais comme il le dit : « Vous ne pouvez pas le comprendre maintenant, j’aurais encore beaucoup de choses à vous dire mais vous ne pouvez pas les entendre ». Alors, Jean se pose la question : « Qui peut me les faire comprendre maintenant puisqu’Il n’est plus là ? »

Bandeau-st-EspritC’est le mystère de l’Esprit. Ceci éclaire une deuxième phrase que nous entendons dans les lectures : « L’Esprit prendra de mon bien ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l’Esprit Saint a parfaitement compris, lui, comme troisième personne de la Trinité, ce que Jésus avait voulu dire, ce que Jésus avait voulu révéler. Et maintenant, c’est lui qui prend soin invisiblement mais réellement, de le faire surgir dans le cœur et dans la mémoire des premiers témoins. C’est comme cela qu’est née la foi dans la puissance de l’Esprit Saint. C’est parce que ce qu’il leur faisait découvrir était tellement grand et les dépassaient tellement qu’ils se rendaient bien compte qu’eux n’auraient pas pu l’inventer tout seul. Ils étaient comme débordés par le mystère et la profondeur de ce qu’ils annonçaient. Ils n’avaient pas compris sur le moment ce que voulait dire que « Jésus nous sauve », ce que cela voulait dire que « Jésus est le Fils de Dieu ». Il a fallu que Quelqu’un par un cheminement très complexe, dont ils sont les seuls à avoir fait l’expérience à ce point-là, que ce qu’ils avaient vécu, c’était la transformation et le salut du monde.

D’une certaine manière lorsque nous disons que l’Église est appelée à vivre de façon permanente une nouvelle Pentecôte, c’est exactement cela qu’on veut dire. Nous, que nous soyons très croyants, ou pas très croyants, au premier degré nous avons tous une compréhension journalistique de ce que Jésus a fait : c’est un grand prophète, il a dit qu’il fallait s’aimer les uns les autres, il a dit qu’il fallait aimer Dieu. C’est un certain nombre de données un peu inoffensives et souvent inodores. Mais ce qui nous est demandé comme membres de l’Église, comme croyants, c’est de nous laisser guider par la puissance de l’Esprit, c’est de prendre par la main les témoins qui ont fait eux, la première expérience de la découverte de la présence agissante de l’Esprit dans leur vie après la résurrection de Jésus, et de nous laisser façonner par la même expérience. Alors, à ce moment-là, Jésus pourra nous dire les choses pour lesquelles au début nous avions comme les oreilles bouchées, il pourra nous révéler ce qu’est le mystère de sa présence, de son salut, ce qu’est la manière dont petit à petit il nous ouvre à ses secrets qu’il est venu nous révéler.

ESPRIT SAINT 1Frères et sœurs, que ces jours qui suivent la Pentecôte nous ramènent à ce centre même de notre vie chrétienne. Non pas regarder Jésus de l’extérieur, non pas dire : « Qu’est-ce qui me prouve qu’il est Dieu ? », toutes ces questions qu’on entend habituellement, mais nous laisser ramener au cœur même du cœur, c’est-à-dire là où l’Esprit nous parle au plus intime de nous-mêmes, au plus intime de nos communautés, de notre prière, de nos célébrations, et laissons la parole à l’Esprit. C’est lui qui nous enseignera tout ce que nous n’avons pas encore entendu et reçu de Jésus. Amen.




La Trinité par P. Claude Tassin (22 Mai 2016)

 Proverbes 8, 22-31 (La Sagesse a été conçue avant l’apparition de la terre)

Le Livre des Proverbes engrange des sentences de diverses époques, propres à inculquer au Peuple élu la sagesse des générations successives. Mais, pour l’éditeur antique de ce recueil, *Dame Sagesse devient une personne. «Je grandissais à ses côtés», déclare-t-elle ici. Elle «l’enfançon» royal, la première-née de Dieu. Cette princesse, joyeuse fillette a tout vu de l’œuvre du Créateur, elle remplit l’univers de ses ébats et aime particulièrement la compagnie des humains. Mais le mot hébreu employé est difficile à interpréter. Les versions anciennes de la Bible ont vu en ce personnage «le maître d’œuvre», «l’architecte» d’une création soigneusement organisée. Comparer le Livre de la Sagesse 7, 22 ; 8, 6 et Ben Sira 24, 3-9.

Ce texte tardif de l’Ancien Testament aborde une grave question que se posent les religions monothéistes : comment les humains peuvent-ils connaître Dieu ? Car, si Dieu est Dieu, si différent de nous, il échappe à notre connaissance, de même qu’une brique ne peut savoir ce qu’est un cheval. Mais Dieu nous a donné la Sagesse, inscrite dans notre compréhension de la création ; elle nous donne l’intelligence de l’œuvre de Dieu. Si la Sagesse n’est pas Dieu, elle est son parfait miroir, à notre mesure. Ainsi l’Ancien Testament balbutie le mystère de la Trinité : Dieu se manifeste à nous comme le Père de la Sagesse, laquelle est le Fils, miroir du Père, Parole (Verbe) et Esprit.

* Dame Sagesse et Sainte Sophie. La Basilique Sainte Sophie d’Istamboul, devenue mosquée, n’était pas dédiée à une sainte, mais au Christ. Car Hagia Sophia, en grec, signifie « Sainte Sagesse ». Or, le Nouveau Testament raproche le Christ de cette Sagesse dont parle l’Ancien Testament (ainsi Colossiens 1, 15-20), lequel a imaginé d’autres personnifications par lesquelles Dieu se livre à nous, sans se laisser «posséder» : c’est l’Esprit, identifié à la Sagesse en Sagesse 9, 17, ou la Parole, le Verbe, (cf. Isaïe 55, 10-11).

Romains 5, 1-5 (Vers Dieu par le Christ dans l’amour répandu par l’Esprit)

La pensée de Paul est «trinitaire» dans le passage ici retenu, même si souvent ses exposés sont «binaires», parlant du Père et du Fils, l’Esprit, pour l’Apôtre, ne se distinguant pas toujours du Christ. Venons-en au texte. Plus haut, Paul a montré que Dieu a fait de nous des justes, justes à ses yeux, grâce à notre foi en lui, et non à cause de notre pratique de la Loi. L’Apôtre évalue à présent la condition nouvelle à laquelle nous sommes ainsi promus :

1) Jadis pécheurs, nous voici en paix avec Dieu, puisque la foi nous rend solidaires de Jésus. En lui, nous reconnaissons le Christ qui exerce sur nos vies sa puissance de Seigneur ressuscité. Il nous donne accès à la grâce, il nous introduit dans le palais de Dieu.

2) Et voici notre sujet de fierté : non pas nos mérites, mais l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu. Voilà notre fierté ! Car l’œuvre du Christ nous assure que Dieu veut nous conduire à sa gloire, c’est-à-dire à sa présence impressionnante, mais intime et définitive.

3) Nous éprouvons bien des détresses, des occasions de découragement. Nous les supportons comme un test («la vertu éprouvée», selon les mots de Paul), sachant que Dieu ne nous déçoit pas quand il nous appelle à espérer. Car il nous a donné cet Esprit qui nous apprend l’amour qu’il nous porte déjà. On remarquera «l’escalier» littéraire et spirituel que construit l’Apôtre : 1ère marche : la détresse ; un petit effort, et, 2ième marche : la persévérance ; 3ième marche : la vertu éprouvée ; 4ième marche : l’espérance. Et, avec l’espérance, nous sommes déjà arrivés, puisque c’est l’amour de Dieu qui nous donne des jambes. Beau programme de retraite spirituelle…

«*Justes par la foi», nous découvrons la Trinité au cœur de notre vie : dans l’amour que le Père nous porte, dans l’œuvre du Christ en notre faveur et par l’Esprit qui nous révèle la source de cet amour.

* Justes par la foi. En Romains 4, Paul médite sur Abraham. Celui-ci, selon les légendes juives, était un païen idolâtre, un «impie», quand Dieu l’appela et lui promit une descendance. Abraham a cru en Dieu, sur sa seule parole, simplement parce que Dieu est Dieu. C’est pourquoi Dieu l’a considéré comme un «juste», qui voit juste en se confiant en Dieu. Par là, Abraham est notre père, à nous qui croyons que Dieu nous pardonne et nous donne la vie, puisqu’il a déjà ressuscité Jésus, «livré pour nos fautes».

 

Jean 16, 12-15 (« Tout ce que possède le Père est à moi ; l’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître »)

Au Temps pascal de l’année C, nous lisions surtout Jean 14, premier des Discours d’adieu de Jésus présentés pas l’évangéliste. Aujourd’hui, nous puisons dans Jean 16. C’est une relecture de Jean 14, opérée par un autre Auteur inspiré. On y trouve les mêmes thèmes, mais sous des angles différents.

Avant le texte

Avant la page évangélique de ce jour, Jésus dit qu’il est bon pour les siens qu’il s’en aille : son départ commande en effet l’envoi du Défenseur, l’Esprit Saint (Jean 16, 5-7). C’est souvent parce qu’il est absent qu’un être aimé prend une place plus grande dans notre cœur et que nous le voyons mieux. De même, présence de l’Absent, l’Esprit révèle mieux Jésus. l’évangéliste souligne par là que le temps de l’Église, notre temps, n’a rien d’inférieur au temps de la vie terrestre de Jésus. En outre (versets 8-11), l’Esprit agira pour les disciples chrétiens comme un Défenseur contre «le monde», c’est-à-dire les forces opposées ou fermées au message de Jésus.

Le texte : un départ annoncé

Vient alors notre page d’évangile : J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter – en supporter le poids tragique qu’implique la Passion, puis la témoignage des disciples. Dans ces choses nombreuses encore à découvrir, l’évangéliste ne songe pas aux dogmes ultérieurs de l’Église, mais plutôt au tournant de Pâques, à la disparition de Jésus (comparer Jean 2, 22). Il faut du recul, l’expérience de la Résurrection pour que les disciples mesurent le sens des paroles et de la croix de Jésus.

Un chemin : l’Esprit de vérité

L’Esprit de vérité opérera en eux ce travail. Et, traduisons littéralement, il les «*acheminera (progressivement) dans la vérité tout entière» sur la mission du Christ, sur l’union profonde entre l’homme Jésus et le Père des cieux et sur leur propre mission de témoins. L’Esprit n’apportera pas une nouvelle révélation : il reprendra «ce qu’il aura entendu» de Jésus; il «glorifiera» Jésus, le mettant davantage en lumière dans le coeur des croyants. En même temps, il leur fera connaître «ce qui va venir». Il ne leur prédira pas l’avenir, mais, à chaque génération, il les éclairera sur la manière authentique de comprendre les paroles et les actes de Jésus en des situations nouvelles et imprévues.

«Tout ce que possède le Père est à moi», ajoute le texte. Jean a bien souvent souligné l’unité entre le Père et le Fils. Jésus peut donc définir la mission de l’Esprit qui, par là, est aussi l’Esprit du Père.

Dieu Trinité aujourd’hui et depuis toujours

En somme, l’évangéliste exprime une grande confiance dans la capacité des communautés chrétiennes à assumer leur histoire : l’Esprit les guide et les fait aller toujours plus avant dans la découverte de Jésus. Car la foi chrétienne commence par l’Esprit qui fait connaître et comprendre la personne de Jésus. Mais Jean fonde cette confiance sur l’unité de la Trinité dont, pour lui, le Fils reste le Révélateur, par son unité avec le Père, par son envoi de l’Esprit de vérité. Paul, lui (2e lecture), révèle la Trinité au cœur de l’expérience des croyants, dans leur espérance quotidienne.

Avec la figure de la Sagesse (1ère lecture), la Bible a préparé le mystère de la Trinité inscrit dans la fonction créatrice de cette Sagesse ; Une vieille tradition juive traduisait ainsi le début de la Bible : «Au commencement, la Parole du Seigneur, par la Sagesse, créa et acheva les cieux et la terre. (…) et un esprit d’amour de devant le Seigneur soufflait sur la face des eaux.» On comprend alors que les premiers théologiens chrétiens d’origine juive aient vu dans la création la collaboration du Christ, Sagesse, Parole du Seigneur, et celle de l’Esprit de l’amour de Dieu.

 « L’Esprit vous acheminera dans la vérité tout entière ». «Le Créateur de tous est unique. Il y a un seul Dieu Père, de qui tout provient ; il y a un seul Fils unique, notre Seigneur Jésus Christ, par qui tout existe ; il y a un seul Esprit, le don de Dieu répandu en tous (…) Puisque notre faiblesse serait incapable de saisir aussi bien le Père que le Fils, le Saint-Esprit est un don qui, par son intervention, peut éclairer notre foi pour laquelle l’Incarnation est un mystère difficile. (…) On le reçoit afin de connaître Dieu. (…) Car, s’il n’y a pas de lumière ou de jour, le service rendu par les yeux n’aura pas à s’exercer ; si aucun son ou aucune voix ne se fait entendre, les oreilles ne trouveront plus rien à faire ; si aucune odeur ne s’exhale, les narines seront sans utilité. Il en est de même pour l’esprit humain : si, par la foi, il ne reçoit pas le don du Saint-Esprit, il aura bien un principe naturel de connaissance de Dieu, mais il n’aura pas la lumière de la science» (Saint Hilaire de Poitiers, 4e siècle, Traité sur la Trinité).

 




La Trinité par le Diacre Jacques FOURNIER

« Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie » (Jn 16, 12-15)

 

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.
Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître.
Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.
Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »

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St Jean nous offre ici un des plus beaux textes, sinon le plus beau, sur l’Esprit Saint. Pour bien le saisir, il nous faut nous rappeler que cette expression « Esprit Saint » ou « Saint Esprit » peut être employée comme un nom propre pour désigner une Personne divine unique, la Troisième Personne de la Trinité. Mais ces deux mots, « Esprit » et « Saint » peuvent aussi servir à nous décrire ce que Dieu est en lui-même, sa « nature divine ». « Dieu est Esprit », nous dit Jésus (Jn 4,24). Autrement dit, le Père est Esprit, le Fils est Esprit, et l’Esprit Saint (nom propre) est Esprit lui aussi. De même, le Père est Saint, le Fils est Saint et l’Esprit Saint est Saint. Et si nous mettons tout ensemble, le Père (Personne divine) est « Esprit Saint » (nature divine), le Fils (Personne divine) est « Esprit Saint » (nature divine), et « l’Esprit Saint » (Personne divine) est « Esprit Saint » (nature divine).

            De toute éternité, ces Trois Personnes divines sont en face à face, le Père étant le seul à être le Père, le Fils le seul à être le Fils, et l’Esprit Saint, le seul à être l’Esprit Saint. Mais tous les Trois sont pleinement Dieu, au sens où ils vivent et s’expriment avec une seule et même nature divine. Mais puisque « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), il existe en Dieu une primauté dans l’Amour. Et c’est le Père vers lequel tous les regards se tournent en premier, car c’est Lui qui engendre le Fils de toute éternité en se donnant totalement à Lui en tout ce qu’il est. Et le Père est Dieu, et le Père est Lumière. Le Fils, « né du Père avant tous les siècles », est donc « Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière », il est « de même nature que le Père » en tant qu’il la reçoit du Père depuis toujours et pour toujours. Mais le propre de l’Amour en Dieu est de se donner totalement, en tout ce qu’Il est. Le Père est Amour ? Il se donne en tout ce qu’il est au Fils et l’engendre ainsi en « vrai Dieu né du vrai Dieu ». Se recevant du Père de toute éternité, le Fils est Lui aussi Amour ? Alors il se donne lui aussi tout entier, avec le Père et comme le Père, et du Père et du Fils « procède » l’Esprit Saint, en fruit éternel de leur amour…

            L’Esprit Saint est ainsi pleinement Dieu, pleinement Amour, et donc à son tour pleinement Don de ce qu’il est en lui-même. Alors, dit ici Jésus, « il recevra de mon bien », et c’est de fait une réalité éternelle, « et il vous le communiquera ». Il reçoit du Fils la vie que le Fils reçoit lui-même du Père, et il nous la donne à notre tour. Il est vraiment « l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie », la vie même de Dieu !

           




La Pentecôte par P. Claude Tassin (15 Mai 2016)

 

Actes des Apôtres 2, 1-11 (« Tous furent remplis d’Esprit Sain en se mirent à parler en d’autres langues »)

Dans certains cercles juifs, dès le temps de Jésus, la Pentecôte, fête agricole dite des Semaines, commémorait le don de l’Alliance au Sinaï. De cette scène antique, on retrouve le bruit, le vent, le feu (comparer Exode 19, 16-19; 20, 18) qui orchestrent à présent la venue de l’Esprit Saint. Comme Moïse était monté vers la nuée pour rapporter au peuple la Loi de Dieu, fondement de l’Alliance, le Christ est monté au Ciel pour nous donner l’Esprit de l’Alliance nouvelle.

Selon les légendes juives catéchétiques…

… au Sinaï, Dieu avait proposé ses commandements dans les diverses langues du monde, mais Israël seul les avait acceptés. Aujourd’hui, Dieu répare cet échec. Partant du phénomène connu du «parler en langues» (cf. 1 Corinthiens 14, 2-5) dans les premières Églises, Luc transforme l’expérience en un «parler *en d’autres langues», préparant ainsi l’annonce de l’Évangile dans toutes les cultures. De ce point de vue, cette venue de l’Esprit n’est pas exactement un «anti-Babel», épisode de la «confusion des langues» (Genèse 11, 1 – 9 ; cf. messe de la veille). Ce n’est pas le retour à une langue unique, mais la décision de Dieu de se révéler dans le respect des langues et des cultures.

Aux sources de l’universel chrétien

Les témoins et auditeurs de la scène, remarquons-le, sont tous des Juifs, Juifs d’origine, de la Diaspora et de la Judée, et païens «convertis» au judaïsme (les «prosélytes»). Leur liste comprend douze pays ; à quoi s’ajoutent des Juifs de Rome (centre du monde oblige !) et, pirouette littéraire formant un résumé, les gens des îles, à l’ouest (Crétois), et ceux du désert, à l’est (Arabes). Les douze tribus du peuple de Dieu sont donc symboliquement à nouveau réunies. Alors, la mission chrétienne peut commencer, sous le souffle de l’Esprit de l’alliance nouvelle qui abolit les frontières.

* Ils se mirent à parler en d’autres langues… « i quelqu’un dit à l’un de nous : « Est-ce que tu as reçu le Saint-Esprit, car tu ne parles pas toutes les langues ? » voici ce qu’il faut répondre : « Parfaitement, je parle toutes les langues. Car je suis dans ce corps du Christ, qui est l’Église, laquelle parle toutes les langues. En effet, par la présence du Saint-Esprit qu’est-ce que Dieu a voulu manifester, sinon que son Église parlait toutes les langues ? » » (Homélie africaine du 6e siècle).

Romains 8, 8-17 (« L’Esprit fait de nous des fils »)

Paul s’appuie sur cette certitude : «l’Esprit de Dieu» – qui est aussi «l’Esprit du Christ», habite le croyant. Le chrétien est un «corps», c’est-à-dire une personne humaine qui est «*chair», créature fragile portée au péché du repli sur soi et vouée à la mort, mais qui est aussi un être spirituel, et désormais guidé par l’Esprit de Dieu. Nous voici donc engagés dans un combat :  nous revivons dès aujourd’hui, en nous soustrayant au péché, en refusant de payer son dû à «la chair», si celle-ci nous sollicite encore. Mais l’Esprit qui pilote notre conversion permanente est aussi celui par lequel Dieu a ressuscité Jésus. Nous voici donc assurés de la même issue heureuse.

Et Paul précise cette espérance par l’idée de «la filiation», c’est-à-dire de l’adoption. Il songe aux grandes maisonnées patriarcales et polygamiques où se côtoyaient les esclaves soumis au maître, même nés de lui, et les fils, libres, bénéficiant d’un acte officiel d’adoption, et confiants en face du père ; eux qui, à leur majorité, recevaient le droit à l’héritage. Or l’Esprit fait de nous des fils, non des esclaves apeurés, frères déjà du Christ, puisque notre prière proclame «Abba (= papa, en araméen), le Père», comme Jésus appelait Dieu (cf. Mc 14, 36). Il nous suffit de mener à terme le même combat de souffrance que mena Jésus pour parvenir à la parfaite filiation.

* La chair et l’Esprit. Chez Paul, la chair n’est pas le sexe. Lecteur de la Bible, il voit en elle la pesanteur de l’homme, fragile, voué à la mort, porté au repli égoïste. Mais, comme la communauté juive de Qumrân, il décèle dans la faiblesse de la chair le nid propice à l’éclosion de multiples de péchés (voir le catalogue de Galates 5, 19-21). L’époque de Paul conçoit la liberté humaine comme le droit de choisir son maître : sera-ce, pour nous, l’esclavage à soi-même (la chair) ou l’obéissance à l’Esprit de Dieu ?

 

Jean 14, 15-16.23b-36 (« L’Esprit Saint vous enseignera tout »)

Les extraits de saint Jean que nous lisons aujourd’hui puisent dans le premier des Discours d’adieu de Jésus au soir du jeudi saint et ils recouvrent en partie l’évangile du 6ième dimanche de Pâques C. Il s’agit du testament de Jésus. Mais le texte doit beaucoup aux questions que la communauté à laquelle s’adresse l’évangéliste s’est posées après la mort de ses premiers fondateurs, eux qui assuraient encore le lien avec la vie terrestre de Jésus.

Amour et commandements

Si vous m’aimez…, dit Jésus. Dans le Nouveau Testament, l’amour du Christ est un impératif moins fréquent que celui de l’amour de Dieu. Mais l’enchaînement des idées s’avère ici complexe. Quand l’être aimé est absent, nous nous efforçons de le rendre présent en continuant à faire ce qu’il aimerait nous voir faire. De même, l’amour que nous portons à Jésus et qui nous le rend présent implique notre fidélité à ses «commandements». Ces commandements équivalent à la «parole de Jésus», comme le dit la suite : «Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole», c’est-à-dire encore, fidèle à son «commandement nouveau» de l’amour mutuel (Jean 13, 14-15), et même aux commandements de Dieu (1 Jean 5, 3). Car, pour Jean, il existe une telle unité entre le Fils et le Père que les commandements de l’Un et de l’Autre sont tout un. Mais cette présence n’est pas simple souvenir sentimental. Le Christ, vivant à jamais auprès du Père, intercède pour que nous vienne *un autre Défenseur.

De Jésus à son Esprit

Jésus fut le premier «Défenseur», puisqu’il livra sa vie par amour pour nous. L’autre Défenseur «sera pour toujours avec nous». Il sera «Dieu avec nous», selon le nom Emmanuel que le Nouveau Testament applique aussi à Jésus. C’est une promesse par laquelle l’évangéliste résume la mission terrestre de Jésus à qui il attribue cette déclaration : «Je vous parle ainsi tant que je demeure avec vous.»

L’Esprit Saint… vous enseignera tout

Le long discours d’adieu du Christ selon saint Jean a été égrainé en ce Temps pascal. Il tourne, dans les diverses réécritures succcessives d’auteurs sacrés successifs de cet évangile. I les compagnons lles cpù tourne, retourne et retourne encore ce rubik’s cube surnaturel : le Père est dans le Fils, le Fils est dans le Père, le Fils est dans les croyants et, par ce Fils, les croyants sont unis au Père. Et le Père est dans le Fils. Et on recommence ! Nous avons le tournis ?

Pour Jean, la fin du vertige est fourni par le don de l’Esprit. Lui qui, si nous l’écoutons, calme le cauchemar des relations chrétiennes, familiales, sociales, culturelles. C’est en cela que l’Esprit nous enseigne tout, à savoir tout ce que Jésus a enseigné, dans sa vie terrestre, et qui doit éclairer notre avenir de croyants, mieux que ce qu’avaient saisi de lui les compagnons historiques d’un Messie en chair et en os. «Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous acheminera dans la vérité tout entière» (Jean 16, 13). Ce complément, dans la suite du Discours, précise la fonction de l’Esprit : il nous fait faire chaque jour un bout du chemin de vérité, et cette vérité concerne notre compréhension de Jésus, une union progressive avec lui. Car, contre des déviations «charismatisantes» et récurrentes au long de l’histoire, l’Esprit ne remplace pas le Christ. Si c’est vraiment lui qui parle en nous, c’est pour nous conduire sans cesse d’avantage vers le Jésus des évangiles.

L’Esprit invisible aux visages multiples

Telle est donc la compréhension de l’Esprit selon saint Jean. C’est son interprétation, dans le concert des écrivains sacrés. Chacun d’eux, dans sa méditation sur l’Esprit Saint, voit midi à sa porte. C’est la somme de leurs réflexions qui, pour nous, est inspirée par Dieu. Outre la position de Jean, retenons le récit des Actes des Apôtres : l’Esprit fait de l’Église un peuple sans frontières, uni dans une alliance nouvelle. Retenons le message de Paul pour qui l’Esprit est celui qui fait de nous les fils de Dieu et qui nous ressuscite déjà par le renouveau de notre vie morale.

* Un autre Défenseur. Voir ci-dessus l’encadré « Le Défenseur… » (6e dimanche de Pâques). Mais ici l’Esprit est «un autre Défenseur». Car le premier Défenseur, face à Dieu, de notre faiblesse de pécheurs, est toujours le Christ (cf. Première Lettre de Jean, 2, 1). L’Esprit ne remplace pas Jésus : il renvoie à lui, à sa présence. Ainsi l’évangéliste Jean reste le subversif permanent. Pour lui, aucun magistère ne peut se substituer à la vérité que l’Esprit instille dans toute communauté chrétienne creusant, avec la sincérité de l’amour, la Parole du Christ.

 

 

 




La Pentecôte par le Diacre Jacques FOURNIER

La venue de l’Esprit Saint

(Jn 14,15-16.23b-26)

 

Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements.
Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous :
Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé.
Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ;
mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.

   saint-esprit

   

«Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : c’est l’Esprit de Vérité».

De tous les Evangiles, ce verset est un des plus clairs sur « l’Esprit Saint » Personne divine, appelé ici « l’Esprit de Vérité »… En effet, c’est le Fils, personne divine, qui s’adresse à ses disciples et leur déclare qu’il priera Celui qui, de toute éternité, a la primauté d’Amour dans son cœur : le Père, autre Personne divine. Il sait qu’il va bientôt mourir, ressusciter, vivre son Ascension et donc quitter cette proximité dans la chair qu’il vivait jusqu’à présent avec eux. Mais ils ne seront pas pour autant laissés à eux-mêmes… Bien au contraire, Jésus passe ici le relais à « un autre Défenseur », sous-entendu « que lui-même ». Et on ne peut comparer à une personne divine, le Fils, qu’une autre Personne divine, l’Esprit Saint, « l’Esprit de Vérité ». C’est Lui qui, désormais, les accompagnera, les gardera, veillera sur eux comme Jésus, le Fils, le faisait jusqu’à présent : « Père, je les ai gardés dans ton nom que tu m’as donné, j’ai veillé sur eux » (Jn 17,12).

Puis Jésus poursuit : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. » Or, il avait déclaré auparavant : « Celui que Dieu a envoyé », et il est « l’envoyé du Père », « prononce les Paroles de Dieu car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34). Autrement dit, le Don de l’Esprit se joint toujours à la Parole de Dieu. « Rester fidèle à la Parole », c’est rester fidèle à ce Don de l’Esprit qui est tout à la fois « Lumière » (Jn 4,24 et 1Jn 1,5) et « Vie » (Jn 6,63 ; Ga 5,25). Cette expression de St Jean, « rester fidèle à la Parole » de Jésus, est donc équivalente à celle de St Paul : « N’éteignez pas l’Esprit » (1Th 5,19) ! Et donc, ne vous privez pas de la Plénitude de la Vie en vous laissant entrainer à faire le mal. En effet, « le salaire du péché c’est la mort », et cela Dieu ne le supporte pas, Lui qui veut le salut de tous les hommes, ses enfants (1Tm 2,3-6). Alors, il a envoyé son Fils parmi nous pour proposer à notre foi, à notre cœur, « ce don gratuit de Dieu qui est vie éternelle » (Rm 6,23). Or, ce « Don de Dieu » (Jn 4,10 ; Ac 8,20 ; 11,17), c’est « l’Esprit donné sans mesure », « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), « l’Esprit qui donne la vie » (Rm 8,2 ; 2Co 3,6) pour qu’enfin, « il soit notre vie » (Ga 5,25), c’est-à-dire Plénitude en nous de Vie, de Paix et de Joie. DJF

           




La Pentecôte – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

L’Esprit Saint, qui est-il ?

Saint EspritEn entrant aujourd’hui dans le mystère de la Pentecôte, nous nous retrouvons devant cette présence mystérieuse de l’Esprit Saint dont nous croyons qu’elle est le don le plus précieux que Jésus a pu nous faire. Quand Jésus est mort et ressuscité, quand Il accomplit sa Pâque en passant de ce monde au Père, ce qui nous reste de son œuvre, c’est l’Esprit Saint qu’Il nous a donné. A tel point que si nous voulons aujourd’hui, ou si nous pouvons atteindre d’une quelconque façon le mystère de Jésus, retrouver la richesse du mystère de l’Incarnation, du salut qu’Il nous a apporté, nous ne le pouvons que par et dans l’Esprit Saint. Si nous voulons aujourd’hui vivre dans l’Église, dans le peuple des croyants, nous ne le pouvons que par et dans l’Esprit Saint. Si nous voulons entrer en communication avec le Père et laisser se déployer en nous cette vie filiale de fils adoptifs à l’image du Fils qu’Il est de toute éternité, cela ne peut se faire encore que par et dans l’Esprit Saint. Tout ce qui se passe aujourd’hui dans l’Église, tout ce qui se passe dans le monde est l’œuvre de l’Esprit Saint. Vous me direz : nous ne sommes pas beaucoup plus avancés pour autant, nous voulons bien que l’Esprit fasse tout, mais qui est-Il ? Autant il nous est facile -c’est une façon de parler-, pour nos regards d’hommes, d’essayer de percer le mystère de la personne de Jésus au milieu de nous, à cause de sa manifestation dans une chair et dans une existence humaine, autant l’Esprit échappe à notre regard et Il échappe constamment à nos prises. Pourtant, si nous sommes là, si nous prions, si nous acclamons le mystère de la Pentecôte, si nous croyons que nous sommes destinés à voir Dieu un jour, c’est par et dans la puissance de l’Esprit.

ESPRIT SAINT 1Alors, qui est-Il ? Je crois que toute la tradition de la foi dans l’Église a essayé de dire que l’Esprit Saint est le mystère d’amour qui unit le Père et le Fils. Lorsque des humains essaient de réaliser cette communion de l’amour, ce qu’ils se donnent l’un à l’autre, ce n’est jamais tout eux-mêmes. On peut utiliser effectivement l’expression « se donner à quelqu’un », mais ce n’est jamais totalement vrai. On peut donner de son temps, on peut donner de son affection, on peut donner de son savoir, mais chaque fois que nous entrons en communion avec quelqu’un, il nous est impossible, et cela n’a pas de sens, de nous quitter nous-mêmes pour être plus présents à l’autre. Dans le mystère de Dieu, c’est là pour nous quelque chose d’incompréhensible, mais c’est ce que nous croyons, lorsque nous disons que le Père a engendré un Fils, nous disons que tout ce qu’est le Père, Il l’a donné à son Fils. Et lorsque nous entendons la parole de Jésus « Le Fils aime le Père », il ne faut pas la comprendre comme une sorte de mouvement extérieur, mais que tout ce que le Fils a reçu, Il le rend à son Père.

Ainsi donc, dans le mystère de Dieu, tout ce qu’est l’Un, le Père, Il l’a donné à l’Autre, son Fils. C’est ainsi que le Fils est totalement et pleinement Dieu comme le Père. Et l’Esprit ? L’Esprit est le lien même, Il est l’acte même par lequel l’Un se donne à l’Autre. Si bien que l’Esprit est le lien au cœur même de l’amour divin. L’Esprit est Celui qui fait que le Père n’est qu’amour pour le Fils et que le Fils n’est qu’amour pour son Père. C’est pourquoi on l’a appelé l’amour, c’est pourquoi on l’a appelé le lien, c’est pourquoi Il est Celui qui scelle la communion de la Trinité. Toute l’initiative vient du Père. Le Fils a tout reçu du Père, mais l’Esprit est Celui qui scelle divinement l’amour du Père pour le Fils et l’amour du Fils pour son Père. De telle sorte que le mystère de l’Esprit Saint, la personne de l’Esprit c’est le lien, la force même de la communion à l’intérieur de la Trinité.Icône de la Trinité

Et donc, lorsque le Christ a promis à ses disciples qu’Il leur enverrait l’Esprit, que leur a-t-Il promis sinon que, désormais, nous serions liés, par Lui, le Christ au Père, du même lien que Lui-même, le Christ, est uni à son Père ? Voilà le mystère le plus étonnant. Que nous soyons aimés de Dieu, c’est déjà surprenant ! Que nous puissions, d’une manière ou d’une autre, répondre à cet amour de Dieu, c’est encore plus surprenant quand nous nous connaissons ! Mais que l’amour dont nous répondons à l’amour de Dieu soit l’amour même de Dieu, voilà qui est absolument au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer. Car nous n’aimons pas Dieu de n’importe quel amour. Nous aimons Dieu de l’amour dont Il s’aime. Nous sommes « soudés » au mystère de la communion du Père et du Fils par le lien même qui les unit l’Un à l’Autre. Et l’Esprit est la puissance divine d’aimer. Et nous, qui sommes-nous ? Rien. Et pourtant, quand nous aimons Dieu, nous L’aimons de l’amour dont Il s’aime au plus intime de Lui-même, dans le cœur même et le feu brûlant de la Trinité. Et l’Église, c’est cela. C’est pour cela qu’elle ne ressemble à aucune autre association qui peut exister entre les hommes. Il y a des associations d’anciens combattants, ce qui fait que leur amour est commun, c’était par exemple le souvenir de Verdun. Il y a des associations protectrices des animaux, ce qui fait qu’ils s’aiment entre eux, c’est qu’ils aiment les chiens et les chats. Il y a des associations de pêcheurs à la ligne, ce qui les unit, c’est leur amour commun de tirer des poissons en dehors des rivières. Mais l’Église, l’Église n’a aucun lien de ce type. Ce qui nous lie les uns aux autres, c’est l’Esprit Saint, c’est l’amour même de Dieu. Et c’est pour cela que l’Église est une si grande chose. C’est pour cela qu’elle est divine, parce que le lien de communion entre chacun de ses membres, c’est Dieu Lui-même.

Vous comprenez alors à quel point est grand le mystère de l’Église et pourquoi nous considérons habituellement que l’Église est née le jour de la Pentecôte. C’est parce que dans l’humanité, à cause de ce que Jésus avait fait pour nous, il y a désormais, au cœur du monde, des hommes, des femmes, vous et moi, qui ne sont ni meilleurs ni pires que les autres, à peu près aussi médiocres, mais qui croient que l’amour dont nous nous aimons et l’amour dont nous aimons Dieu ne vient pas de nous, mais de Dieu.

Du coup, nous aurions peut-être tendance à penser que si cet amour vient de Dieu, il est tellement grand qu’il anéantit toute forme d’amour que nous pourrions manifester au plan humain. Nous pourrions penser que si cet amour qu’est l’Esprit Saint est si grand, qu’il nous dépasse tellement que nous-mêmes nous n’avons plus rien à faire et qu’au fond, que nous Dieu est amour 2aimions ou que nous n’aimions pas avec notre liberté et notre cœur humain, cela n’a pas d’importance. C’est tout le contraire car ce qui est extraordinaire dans notre foi chrétienne, c’est qu’à partir du moment où le lien qui nous unit à Dieu et aux autres, c’est l’amour même de Dieu, l’Esprit Saint, le lien qu’il y a au cœur de la Trinité, cet amour divin est capable d’intégrer tout geste d’amour humain, quel qu’il soit, si modeste et si humble qu’il soit, dans la plénitude de cette divinité.

La grâce, ce n’est pas un supplément d’amour humain. Il y a des gens qui croient que la grâce, pardonnez-moi l’expression, c’est comme une couche de beurre ou de confiture sur une tranche de pain, que le surnaturel c’est une sorte de petit supplément, de luxe spirituel pour âme un peu raffinées ayant le sens de la religion. Non, ce n’est pas un supplément, car Dieu n’est pas un supplément. La grâce, c’est le fait que désormais, à partir du moment où l’Esprit Saint habite en nous, dans notre cœur, tout geste par lequel nous aimons, avec notre liberté, avec notre cœur, avec notre corps humain, en étant au service de nos frères, tout geste est comme pris, saisi, intégré à cet amour de Dieu qui vit en nous. Dès lors, l’Église qui est le lieu de la communion dans l’Esprit Saint, qui est ce lieu dans lequel l’Esprit vit au cœur de chacun des croyants personnellement, est capable d’intégrer toutes les formes de l’amour, toutes les richesses de la vie humaine non pas pour leur donner « un supplément », mais pour en faire, au cœur du monde, le signe visible de la présence de Dieu.

 

PentecôteAu fond, depuis que l’Esprit a envahi le cœur des disciples, depuis que l’Esprit ne cesse de se répandre dans une communion qui ne cessera jamais jusqu’au Royaume et qui trouvera alors sa plénitude, depuis ce moment-là l’Esprit ne fait jamais rien d’autre que de recueillir, que de moissonner tous les gestes les plus humbles, les plus simples, les plus démunis de notre amour humain pour leur donner leur grandeur et leur dimension divine. Vous comprenez pourquoi la Pentecôte est à la fois un achèvement et un commencement. Elle est l’achèvement de ce que le Christ avait voulu. Par le fait de son Incarnation, le Christ avait déjà montré comment l’homme et Dieu peuvent se rencontrer en Lui, mais précisément, cette œuvre-là ne s’était réalisée qu’en Lui. À partir du moment où Il nous est donné, l’Esprit Saint continue et achève, au cœur de tout le genre humain, de chaque homme, de chacun d’entre nous, cette œuvre de communion commencée, inaugurée par la puissance même de la mort et de la Résurrection du Christ.

Oui, en ce jour de la Pentecôte où nous fêtons ce mystère de l’Esprit, c’est notre propre genèse que nous fêtons. Le livre de la Genèse, c’est le livre de la naissance. Nous fêtons le mystère de notre propre avènement, de notre avènement à Dieu. Mais un avènement qui n’est pas le fruit d’une recherche humaine du désir humain vers Dieu, déjà si grande et infiniment respectable, mais nous fêtons notre genèse à Dieu par Dieu Lui-même, par l’Esprit Saint. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, et l’Esprit de Dieu planait sur les eaux. » C’est vrai. Le verbe hébreu utilisé évoque le vol plané de l’oiseau d’un rapace cherchant une proie et qui déploie ses ailes comme s’il voulait couvrir la portion de terre sur laquelle il va se précipiter. C’est aussi l’idée de l’oiseau qui écarte les ailes pour couver les œufs de sa couvée. C’est l’idée d’une protection, d’une emprise. Aujourd’hui l’Esprit a prise sur notre être. L’Esprit ne vole plus sur nous comme au jour de la création mais Il a prise immédiate sur nous. Et c’est cela notre propre genèse. Nous sommes renés par les eaux du baptême. Nous sommes revenus au mystère que Dieu a voulu de toute éternité. Par l’Esprit Saint, nous naissons, non pas par nous-mêmes, à nous-mêmes, de cette façon que tant d’hommes et de sages ont recherchée, mais nous naissons par Dieu, au mystère éternel de l’amour du Père dans le Fils. Par l’Esprit Saint, enfin, nous devenons des fils par le Fils. Amen.

 




7ième Dimanche de Pâques par le Diacre Jacques FOURNIER

« Qu’ils soient un

comme nous sommes un » (Jn 17,20-26)

En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi : « Père saint, je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi.
Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN :
moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde.
Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé.
Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. »

 paix  

   

            La prière de Jésus s’étend ici non seulement à ses disciples qui l’entourent, juste avant sa Passion, mais aussi à tous ceux et celles qui « accueilleront leur parole et croiront en lui », c’est-à-dire à nous tous… Et que demande-t-il ? « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi ». Jésus n’est pas le Père, le Père n’est pas Jésus. Mais dans son amour, le Père, de toute éternité, se donne au Fils. Et il lui donne tout, tout ce qu’il est… Et le Père « est Esprit » (Jn 4,24). Mais il est aussi « Lumière » (1Jn 1,5), une Lumière que la Bible appelle parfois « Gloire » : « La Gloire de Dieu est la splendeur de l’Être par excellence » (P. Placide Deseille). Donner la Gloire, c’est donc donner l’Être, c’est-à-dire l’Esprit, la Lumière, la Vie… C’est ce que Jésus affirme ici : Père, « parce que tu m’as aimé avant même la création du monde », « tu m’as donné la Gloire », tu m’as donné d’Être Dieu comme toi tu es Dieu… « Il est Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu », disons-nous du Fils dans notre Crédo… De toute éternité, le Père donne l’Esprit, le Fils reçoit l’Esprit. Le Père donne la Lumière, le Fils reçoit la Lumière. Le Père donne la Vie, le Fils reçoit la Vie. « Je vis pas le Père » (Jn 6,57). Bien que différents l’un de l’autre, tous les deux sont ainsi unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit, d’une même Lumière, d’une même Vie. Ils sont « un ».

            Mais Jésus est justement venu nous partager ce qu’il reçoit de son Père de toute éternité… « Je leur ai donné la Gloire que tu m’as donnée », c’est-à-dire, je leur ai donné l’Être que tu m’as donné, cet Être qui est tout à la fois Esprit, Lumière et Vie… Ainsi, avec moi et par moi, dit Jésus, « tu les as aimés comme tu m’as aimé ».

            Si nous consentons à cet Amour gratuit, nous recevrons tous le même Esprit, cet Esprit que le Fils reçoit du Père de toute éternité, et qui l’engendre en Fils, ce même Esprit qui nous engendrera à notre tour en fils et filles de Dieu à « l’image du Fils » (Rm 8,28-30). Telle est la vocation de tout homme sur cette terre : participer par grâce, et cela selon notre condition de créature, à cette « nature divine » que le Fils reçoit du Père depuis toujours et pour toujours, un Don qui l’engendre en Vrai Dieu né du Vrai Dieu… Toute l’œuvre de Dieu est ainsi que nous « participions », nous aussi, « à la nature divine » (2P 1,4), c’est-à-dire à ce qu’Il Est en Lui-même… Et Il Est Esprit, Lumière, Vie éternelle… « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (St Athanase), grâce à sa Miséricorde Toute Puissante, et infinie… DJF

       

           




7ième Dimanche de Pâques par P. Claude Tassin (8 Mai 2016)

Actes des Apôtres 7, 55-60 ‘(« Voici que je contemple le Fils de l’homme débout à la droite de Dieu »)

Notre lecture des Actes des Apôtres revient en arrière parce que le septième dimanche de Pâques se polarise sur la prière de Jésus et de son Église. D’où, cette année, l’évocation de la prière d’Étienne (ou Stéphane, c’est le même nom), le premier martyr. Comme Jésus comparut devant le sanhédrin, Luc veut qu’Étienne témoigne de sa foi, par le plus long discours des Actes (Actes 7, 2-53), devant le même tribunal. Mais c’est une fiction littéraire. L’exécution ici évoquée relève d’un lynchage populaire et non d’une procédure judiciaire qui était bien codifiée dans le monde juif.

Luc souligne l’identité entre Jésus et son témoin : Jésus remit son esprit à son Père (Luc 23, 46), Étienne, qui voit Jésus *debout à la droite de Dieu, remet son esprit au Seigneur Jésus. Comme Jésus, Étienne pardonne à ses bourreaux (lire Luc 23, 34). La fine fleur de la prière chrétienne est celle qui, à la suite du Christ, intercède pour ceux qui nous font du mal. Elle signifie que nous remettons au Père, en toute confiance, le soin de juger et les intentions de ceux qui nous nuisent et notre bon droit.

* «Debout à la droite de Dieu». Pour évoquer le mystère pascal, les évangélistes usent de «clichés» précis de l’Ancien Testament. Ils citent, par exemple, le Psaume 110, 1 et disent que Jésus s’est assis à la droite du Père (l’expression est passée dans notre Credo). D’où l’étonnement constant des commentateurs découvrant ici, sous la plume de Luc, un Jésus debout à la droite de Dieu. Cette énigme n’a pas de solution définitive. Mais, dans les évangiles, l’expression «il se tint debout» est une des manières de dire les apparitions du Christ ressuscité. Nous n’avons pas fini de chercher les expressions propres à rendre compte de la résurrection de Jésus.

Apocalypse 22, 12-14.16-20 (« Viens, Seigneur Jésus ! »)

L’épilogue de l’Apocalypse est tissée d’allusions aux liturgies qui rassemblaient les chrétiens du 1ersiècle. En chaque célébration, le Seigneur vient. Il nous annonce sa pleine venue qui jugera notre vie et nous donnera la pleine réalité que ce que recevons déjà dans les sacrements du baptême (« ceux qui lavent leurs vêtements ») et de l’eucharistie (les « fruits de l’arbre de vie »).

L’histoire, de A à Z

Jésus couvre de sa présence l’histoire du monde : il est l’alpha et l’oméga, première et dernière lettre de l’alphabet grec, ces caractères que nous gravons sur le cierge pascal. Il est «le premier et le dernier», une expression que l’Ancien Testament appliquait à Dieu lui-même. Ce Jésus qui vient est le Messie annoncé par les Écritures, c’est-à-dire «le rejeton de David» selon Isaïe 11, 1.10, ou «l’Étoile» selon Nombres 24, 17.

Viens !

L’Esprit de la Pentecôte est présent dans «l’Épouse», dans l’Église assemblée pour sa liturgie. En elle, l’Esprit attise notre désir de voir un jour sans voile le Christ et ses bienfaits dont les sacrements nous donnent l’avant-goût (comparer Romains 8, 26-27). L’eucharistie doit être le moyen d’aviver notre soif de «l’eau de la vie», le moyen de témoigner que le monde ne va pas vers l’absurde, puisqu’il y a partout sur cette terre douloureuse des croyants qui crient : «*viens, Seigneur Jésus» et qui seront entendus de lui.

*Viens, Seigneur Jésus ! À la suite de l’Apocalypse, notre acclamation d’anamnèse chante : «Viens, Seigneur Jésus !» (et non pas «Christ est venu, Christ est né»…). L’exclamation traduit l’araméen maranatha, dans la langue de Jésus. Même les premiers chrétiens de langue grecque usaient de cette formule dans leurs liturgies (cf. 1 Co 16, 22). On peut lire : maran atha : le Seigneur est venu (il est là) ou marana, tha : Seigneur, viens ! Les deux interprétations, en une ambiguïté voulue, étaient inséparables : en chaque eucharistie, le Seigneur vient, non pour que nous le possédions dans la routine des dimanches, mais pour raviver notre désir de sa pleine venue en ce monde.

Jean 17, 20-26 (La grande prière de Jésus  « Qu’ils deviennent parfaitement un »)

Au terme des discours d’adieux du jeudi saint Jean 13, 21 – 17, 26) le chapitre 17 forme le sommet. Cette prière constitue même une sorte d’Ascension, car celui qui parle est à la fois le Jésus terrestre, révélateur de Dieu, et le Fils glorieux, vainqueur de la mort, qui intercède pour nous aujourd’hui auprès de son Père. La tradition a appelé ce chapitre «prière sacerdotale» justement à cause de cette fonction d’intercession que la Lettre aux Hébreux attribue à Jésus, grand prêtre céleste.

Une unité présente et à venir

Nous lisons en cette année C la troisième et dernière partie de la Prière, là où le regard de Jésus se tourne vers l’avenir, vers les générations qui parviendront à la foi, grâce à la prédication des premiers disciples au long de l’histoire. Pour Jean, « croire en Jésus » signifie reconnaître et proclamer l’intime communion entre le Fils et le Père. Et cette unité du Père et du Fils doit souder les chrétiens entre eux : elle est le modèle («comme toi, Père, tu es en moi») et la source de leurs relations fraternelles («moi en eux, et toi en moi»). Elle équivaut aussi à un courant porteur de vie, grâce au Fils qui «vit par le Père» et qui a donné aux siens *la gloire de son Père : il leur a révélé le vrai visage de Dieu dans toute sa clarté.

L’unité comme témoignage

L’unité de la communauté est la condition nécessaire «pour que le monde croie» en l’Envoyé de Dieu. Mais elle est aussi un défi : «le monde saura», à défaut de croire, que l’envoi du Christ aboutit à la venue de l’amour du Père qui unit les chrétiens. Pour Jean, «le monde» représente l’environnement de ceux qui ont déjà réfusé la personne de Jésus et restent hostiles aux vrais croyants ; ce «monde» négatif inclut aussi des dissidents de la communauté à laquelle Jean s’adresse, des gens qui voient en Jésus le Prophète, l’Envoyé de Dieu, mais qui ne vont pas jusqu’à le reconnaître comme ce Fils de Dieu qui peut dire : «Le Père et moi, nous sommes UN» (Jean 10, 30). Ainsi, l’unité voulue par Jésus comme le prolongement de sa mission repose moins sur une même conduite conforme au bien que sur la même foi au mystère de sa personne. Résonne encore ici la réponse de Jésus à une précédente question de Philippe : «Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père» (Jean 14, 9).

Père saint… Père,… Père juste

L’invocation du Père scande la dernière partie de cette page d’évangile. Cette conclusion exprime la dernière volonté («je veux») du Christ éternellement vivant. Ce qu’il désire, quand le Père le voudra, c’est la réunion finale des croyants dans sa propre «gloire», dans la pleine lumière, au terme de leur pèlerinage dans la grisaille terrestre. Car si Dieu s’appelle le «Père juste», il doit distinguer et juger entre «le monde» du refus de la foi et ceux qui, par Jésus, ont accédé à la connaissance et à l’amour de son *Nom – le nom de «Père», bien sûr. Et ce nom, «je le ferai connaître» encore, ajoute Jésus. L’évangéliste songe sans doute ici à l’œuvre de l’Esprit Saint, le Défenseur qui, au long des âges, intériorise en nous l’œuvre de Jésus.

*La gloire. « …la présence de Jésus parmi les disciples est le résultat de son amour ; elle en est aussi l’expression. Jésus achève sa révélation par un clin d’œil à l’histoire de l’alliance : après la révélation du Sinaï, la gloire de Dieu reposait sur le tabernacle au milieu d’Israël (Exode 40, 34). De son vivant, Jésus a été, selon Jean, la gloire de Dieu manifestée aux hommes (Jean 1, 14). Maintenant cette gloire habite dans la communauté des croyants (17, 22) » (A. Marchadour, L’Évangile de Jean, p. 216).

* Le Nom de Dieu. Quand Dieu révèle son Nom, sans le révéler, il se présente comme «Je Suis» ou «celui qui sera» (avec son peuple, pour le sauver ; cf. Exode 3, 14). Dans l’évangile de Jean, Jésus proclame plusieurs fois «Je Suis» ; il incarne la présence et l’œuvre de Dieu. En outre, le Deutéronome évoque le Temple comme «le lieu que le Seigneur a choisi pour y faire habiter son Nom» ; pour Jean, c’est l’humanité du Christ qui est désormais ce Temple (cf. Jean 2, 21). Jésus lui-même est le Nom de Dieu ; sa personne même révèle ce Nom.