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L’Ascension – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

L’HUMANITE APPELÉE A LA PLÉNITUDE

 

« Oracle du Seigneur à mon Seigneur : siège à ma droite, car Tu es mon Fils Bien-Aimé » (Ps.109). Et cette autre Parole de Dieu que nous lisons dans l’épître aux Ephésiens : « Que Dieu ouvre votre cœur à sa lumière pour vous faire comprendre l’espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles et la puissance infinie qu’Il déploie pour nous, les croyants » (Ephésiens l, 18-20). Alors que nous fêtons l’Ascension, nous fêtons un mystère extrêmement important, et je dirais : plus important pour nous que pour le Christ. Et pour bien vous le faire percevoir, je voudrais repartir de deux réalités qui étaient courantes à l’époque de la naissance de l’Église.

Romain 8 22La première réalité, qui ressemble énormément à ce que beaucoup d’entre nous pensent aujourd’hui : c’est que tout va toujours de plus en plus mal. À l’époque de Jésus, on avait une vue plutôt pessimiste de l’existence et de la vie. Pensez par exemple au peuple Israël, qui avait connu une histoire prestigieuse : des rois, une histoire qui avait duré près de vingt siècles, un peuple fier d’avoir été appelé par Dieu, fier de son élection, ce peuple se trouvait en réalité dans une situation absolument impossible, occupé par les Romains, soumis à des divisions et des tensions internes, une vie politique sociale et religieuse extrêmement agitée. Tout allait mal. Et les païens de cette époque-là pensaient aussi, déjà, que le monde ne cessait pas de se dégrader. On était pour ainsi dire écologiste avant la lettre : « ça allait toujours très mal ! » Aussi les païens avaient-ils toujours recours à une divinité qui était très prisée à l’époque qui s’appelait « la bonne Fortune ». Nous dirions aujourd’hui la loterie nationale ou internationale, dont le slogan aurait pu être le suivant : pourvu que je décroche le gros lot dans l’existence ! Et pourquoi cela ? Précisément parce que « ça » allait toujours mal et que le seul moyen de compenser consistait à mettre la fortune, entendez la déesse et en même temps la monnaie, dans sa poche. Et ceci est d’ailleurs d’autant plus étonnant que, pour les juifs, vous le savez, le récit de la création était là sans cesse pour nous rappeler que « tout cela était bon » ! Mais une telle affirmation paraissait très difficile à accepter. C’est aussi le cas pour nous à certains moments de la vie : la valeur et la bonté de la Création nous paraissent difficiles à accepter. Et, même chez saint Paul, nous trouvons un écho de ce pessimisme généralisé. Il écrit : « Actuellement la Création gémit dans les douleurs de l’enfantement » (Rom. 8, 22). Or l’enfantement, on n’a jamais trouvé ça très drôle ! Ainsi donc, saint Paul veut nous dire que lorsqu’on regarde la création, ça va mal, la création est en souffrance. Vous me direz peut-être que c’est déjà bien optimiste de penser que la création est en souffrance d’enfantement. Certes, mais en tout état de cause, cela reste un très mauvais moment à passer. Voilà pour la première chose.

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La seconde, la voici : dans ce monde-là, il n’y avait qu’une réalité vraiment consolante, avoir des enfants. Là-dessus, nos contemporains n’ont plus tout à fait le même sentiment. On dit que « ça a évolué ». Mais à cette époque-là, il était extraordinaire d’avoir des enfants. Pourquoi ? Parce qu’au milieu de cette dégradation générale, avoir un enfant, un fils, c’était extraordinaire car on pouvait, comme parents, se donner un héritier qui arrive à la même plénitude que celle à laquelle on était soi-même parvenu, c’est-à-dire un homme en plein âge adulte, en pleine maîtrise de ses facultés, de son intelligence, de sa volonté et de sa liberté. Par conséquent le fait d’avoir un fils était fondamentalement une promesse extraordinaire que le lignage allait continuer, l’héritage allait se transmettre et, au milieu de cette dégradation générale, demeurait cette continuité imperturbable, il y aurait quelqu’un pour assumer tout ce qui constituait la beauté, la grandeur, la noblesse et la richesse du patrimoine familial.

Vous vous demandez peut-être ce que cela a à voir avec le mystère de l’Ascension. Je vous assure que nous sommes au cœur du problème. Car comment les premiers chrétiens ont-ils exprimé cette réalité de l’Ascension du Seigneur ? Par la petite phrase que j’ai citée tout à l’heure: « Siège à ma droite parce que Tu es mon Fils ». Quand les premiers chrétiens voulaient dire que le Christ était exalté dans la gloire, ils citaient donc ce mot : « Siège à ma droite » – il s’agit d’une parole prononcée par le Père –, « car tu es mon Fils » – cette parole s’adresse au Fils. Cela signifiait précisément : « Ce Jésus que nous avons connu dans son humanité, sa mort et sa déréliction, voici que Dieu a décidé de le traiter comme son Fils ». Et vous devinez toutes les résonances que cela pouvait avoir. Jésus est l’héritier, Il est l’égal de Dieu, Il possède en Lui tout ce que Dieu veut bien Lui donner, c’est-à-dire le patrimoine de l’amour divin, la force, la puissance infinie dont nous parlait tout à l’heure la lettre aux Ephésiens. Autrement dit, l’Ascension est le moment où le Christ est exalté, manifesté clairement, totalement et définitivement comme l’égal du Père, l’héritier de tout ce que le Père veut Lui donner. On entre dans un nouvel âge de l’humanité, car jusque-là avec Abraham, avec Moïse, avec tous les prophètes, on avait été, comme le dit saint Paul dans la lettre aux Galates, dans le temps des pédagogues c’est-à-dire l’école, et à cette époque-là c’étaient les esclaves qui faisaient l’école.

Or précisément, les premiers chrétiens ont saisi la transformation : l’humanité, dans et par l’humanité de Jésus, est arrivée à sa pleine maturité. Voilà donc ce que veut dire l’Ascension. Un homme, Jésus, est arrivé à la plénitude de sa vie et de son existence parce que Dieu a élevé sa condition d’homme à la hauteur de Dieu, Lui a donné un statut de Fils en lui confiant la plénitude de l’héritage, plénitude humaine telle que jamais aucun homme ne l’avait eue. Et donc, pour les premiers chrétiens, célébrer le Christ exalté dans la gloire de son Ascension, c’était fondamentalement célébrer leur fête, la fête de leur accession à la plénitude de l’existence humaine. Parce qu’ils ont vu Jésus, leur maître, recevoir le statut de l’égal de Dieu, ils ont perçu qu’en Lui Jésus, toute l’humanité parvenait désormais à ce statut d’enfant de Dieu et à cette plénitude de l’existence humaine. C’est donc la fête de l’accès à notre plénitude d’existence d’hommes. Par l’Ascension, l’humanité entière est enfin arrivée à sa véritable liberté filiale, liberté vers laquelle elle soupirait depuis les premiers temps de la promesse, depuis Abraham, depuis le temps de la pédagogie et de l’apprentissage à devenir pleinement hommes. L’humanité est devenue adulte : elle est devenue grande de Celui qui en est la tête, Jésus-Christ, exalté, siégeant à la droite du Père, de Jésus devenant « le Seigneur ». l'ascension de jésusEt dès lors il se passe ce bouleversement fondamental. Si Jésus est parvenu à cette plénitude, et si par ailleurs, le monde donne toujours l’apparence d’aller de mal en pis, l’Ascension cependant signifie le début du « renversement de la vapeur« . Si maintenant, au milieu de tout ce qu’a vécu Jésus, et notamment sa mort, sa déréliction sur la croix, si au cœur de cette déchéance même, Jésus, dans son humanité est parvenu à la plénitude (siéger à la droite du Père), s’Il a vécu cela pour nous, alors nous avons reçu la certitude absolue que chacun d’entre nous est appelé à cette plénitude, quoiqu’il arrive dans ce monde. Et même si nous voyons actuellement encore le mal à l’œuvre dans ce monde et qu’à certains moments nous avons envie de nous décourager, en réalité la fête de l’Ascension doit nous rappeler avec force qu’au cœur même de cette souffrance, de ces insatisfactions et de ces tâtonnements, c’est le mystère de la plénitude de notre humanité, de notre liberté qui s’accomplit.

Désormais nous avons la certitude de grandir, de devenir vraiment et pleinement fils de Dieu, au milieu même de tout ce qui peut nous blesser et nous faire souffrir, Dieu ne cessera jamais d’exercer sur nous la puissance de l’espérance, la force de l’appel et la grandeur agissante de la Seigneurie de Jésus-Christ. Nous sommes l’Église, nous avons à devenir le corps du Christ. Nous avons la certitude, par grâce, comme le dit saint Paul, de « chercher avec le Christ les choses d’en Haut, là où le Christ siège, à la droite du Père » (Colossiens 3, 1).

Nous possédons là une espérance, un héritage que nous ne pouvons pas laisser se dilapider. C’est vrai qu’aujourd’hui nous éprouvons à tout moment ce sentiment qu’il est difficile de vivre de notre foi chrétienne, de vivre à la hauteur même de l’appel que nous avons reçu. C’est vrai même qu’à certains moments, nous essayons de métamorphoser ce désir de participer à la seigneurie du Christ en croyant l’établir solidement sur la terre à travers des moyens très humains qui, parfois, sont un peu douteux. Mais en réalité il faut que nous croyions que le point de départ est d’abord la foi que nous avons reçue en l’humanité de Jésus-Christ glorifiée et exaltée. C’est parce que Jésus est vraiment ressuscité dans la gloire que nous, nous savons comment, souterrainement, secrètement mais réellement, ce monde et l’humanité parviendront à la plénitude de la vie filiale et de la liberté. Amen.




L’Ascension par P. Claude Tassin (5 Mai 2016)

Actes des Apôtres 1, 1-11 (« Tandis ques les Apôtres le regardaient, il s’éleva »)

Le texte, qui ouvre le livre des Actes des Apôtres, se divise en trois parties.

1) Le prologue s’adresse à Théophile, qui était déjà le destinataire, réel ou fictif, du «premier livre», l’évangile de Luc. Pour l’auteur, la mission du Christ va du «commencement», c’est-à-dire le Baptême de Jésus par Jean, jusqu’à l’Ascension, une autre manière de parler de Pâques : Jésus le Crucifié est exalté par Dieu. Dans son évangile, Luc place l’ascension au soir de Pâques (Luc 24, 50-52) ; au début des Actes, il la situe au bout de quarante jours d’apparitions «pédagogiques». Ce sont deux manières de présenter, dans le temps, un mystère qui échappe au temps.

2) L’ultime dialogue s’articule ainsi : les Apôtres vont être baptisés dans l’Esprit Saint, comme Jésus le fut au seuil de sa mission (Lc 3, 21-23). En bons lecteurs des prophètes, ils pensent que la fin des temps arrive, puisque l’Esprit revient. Jésus va donc restaurer l’État d’Israël. Qu’ils se détrompent! L’Esprit les fera prophètes, témoins de Jésus, pour prolonger son message «jusqu’aux extrémités de la terre».

3) La scène de l’ascension elle-même est sobre : «* ils le virent s’élever»… L’accent porte sur l’intervention des deux êtres «en vêtements blancs», des anges. Par eux, le Ciel confirme notre espérance (Christ viendra), mais nous interdit toute attente béate et stérile et nous pousse au témoignage, par la force de l’Esprit.

* «Ils le virent s’élever»… «Iils le regardaient»…, «à leurs yeux»…, «ils fixaient le ciel»…, «pourquoi… regarder vers le ciel»…, «de la même manière que vous l’avez vu»… Cinq mentions de «vision» pour treize lignes du lectionnaire! Qui peut faire plus ? Pourquoi cette insistance ? La clé se trouve dans la scène de l’ascension d’Élie en 2 Rois 2, 1-14, où se trouve la même insistance : Élisée recevra la plénitude de l’Esprit prophétique d’Élie s’il voit l’enlèvement céleste de son maître. Et il le voit ! Or, pour saint Luc, Jésus est le nouvel Élie. Comme Élisée hérita de l’Esprit prophétique d’Élie, de même les Apôtres vont hériter, à la Pentecôte, de l’Esprit de Jésus. Ne coinçons pas nos doigts entre l’arbre et l’écorce en prétendant trouver «ce qui s’est passé» (l’écorce) dans le mystère indicible de l’Ascension (l’arbre) ! Contentons-nous de comprendre ce que Luc veut nous dire en recourant à l’icône de l’ascension d’Élie : nous avons à continuer par le monde entier l’œuvre prophétique de libération que Jésus a inaugurée au pays des Juifs..

Lettre aux Hébreux 9,24-28 ; 10,19-23 (« Le Christ est entré dans le ciel même »)

L’Ascension est l’entrée de Jésus, le grand prêtre, dans le sanctuaire du ciel, et notre entrée à sa suite. La figure du grand prêtre juif nous parle peut-être peu. Alors, dans le contexte de ce passage, prenons l’image plus séculière d’un délégué, notre représentant auprès de Dieu. Jésus, notre délégué, entre chez Dieu, rouvre la porte, *«le rideau du Sanctuaire» et, à nous qui sommes massés derrière lui, il reviendra dire qu’il a gagné notre cause, que nous sommes admis auprès de Dieu.

Pourtant, nous pourrions hésiter à suivre l’auteur, pour trois raisons : 1) Ce délégué nous représente-t-il vraiment ? Ne défend-il pas ses propres intérêts ? Non, dit la Lettre aux Hébreux : ce médiateur a payé de son sang l’accès auprès du Maître de l’univers. 2) Admettons ! Mais sommes-nous sûrs qu’il est bien entré chez Dieu, et non pas dans un de ces vestibules d’attente que sont les temples terrestres ? «Il est entré dans le ciel même» et Dieu l’a même «établi» sur sa «maison», affirme l’auteur. 3) Soit ! Mais une foule de médiateurs prétendent faussement nous conduire à Dieu. Ce n’est pas le cas, répond l’auteur, de celui qui se donne lui-même totalement, «une fois pour toutes».

* Le rideau du Sanctuaire. L’auteur songe au voile qui séparait le Saint des Saints du reste du Temple. Le grand prêtre, et lui seul, traversait une fois par an ce rideau, au jour du Grand Pardon (le Kippour) pour obtenir de Dieu le pardon des péchés commis par le Peuple élu. C’est cette tenture que les évangiles voient se déchirer lors de la mort de Jésus (Marc 15, 38). Par ce symbole, ils signifient à la fois la fin du culte ancien de Jérusalem et l’accès de tous les humains, sans plus de voile, auprès de Dieu.

La lettre aux Hébreux choisit une autre transposition : chaque année, le grand prêtre, gravissait quelques marches pour exerceer sa fonction (symbole horizontal) sans vraiment rencontrer Dieu ; le Christ, lui, par sa résurrection, est monté dans le vrai Saint des Saints, une fois pour toutes (symbole vertical). Nous bénéficions de son ministère sacerdotal de pardon.

 

Luc 24, 46-53 (« Tandis qu’il les bénissait, il fut emporté au ciel »)

Luc boucle son évangile en une journée, celle de Pâques. Le soir, après l’épisode des disciples d’Emmaüs, Jésus rejoint «les onze apôtres et leurs compagnons». Il leur livre son ultime testament et les entraîne vers le lieu de son ascension.

Le testament de Jésus

Le testament de Jésus est un envoi pour lequel d’abord «il leur ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures» (verset 45) : nous devons lire l’Ancien Testament avec des lunettes chrétiennes, c’est-à-dire comme une carte tracée par Dieu pour nous conduire à la révélation de son Fils. D’ailleurs la mission confiée à l’Église par Jésus se branche sur le dernier prophète de l’Ancien Testament, Jean Baptiste, qui «proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés» (Luc 3, 3).

Luc annonce aussi le plan des discours que prononceront les Apôtres dans les synagogues juives. C’est d’ailleurs le schéma de toute prédication chrétienne : la Passion, la résurrection du Christ, l’appel à la conversion en vue du «pardon des péchés», nouveau départ dans la vie, une grâce divine que le monde juif expérimente au jour du Grand Pardon (le Kippour).

Ce message concerne «toutes les nations, en commençant par Jérusalem» : ce que Jésus a inauguré au sein de son peuple, «les témoins» l’exporteront par le monde entier. Ils pourront le faire parce qu’ils vont recevoir la «force venue d’en haut», c’est-à-dire l’Esprit Saint que Jésus reçut à son baptême et qui anima sa mission de Messie prophète. Que les disciples doivent être «revêtus» de l’Esprit est une expression étrange. Elle vient du passage biblique selon lequel l’Esprit prophétique passa à son disciple Élisée par le biais du vêtement de son maître Élie (2 Rois 2, 13-15 – comparer 1 Rois 19, 19 !). Or, pour Luc, Jésus est le nouvel Élie transmettant à ses disciples l’Esprit qui aniimait sa mission terrestre.

L’Ascension

La fin de l’évangile de Luc et le début des Actes des Apôtres se «tuilent», selon un procédé littéraire cher à l’évangéliste : mêmes derniers entretiens de Jésus avec les siens, même programme d’une mission universelle, même scène d’ascension (cf., ci-dessus, le commentaire de la 1ère lecture).  Mais les points de vue diffèrent. Les Actes situent l’ascension sur le mont des Oliviers (Actes 1, 12 – comparer Zacharie 14, 4), et l’icône est celle du nouvel Élie, le prophète, qui revêtira ses disciples de son Esprit prophétique. L’évangile situe l’ascension à Béthanie, là où les croyants avaient proclamé la souveraineté de Jésus (voir Luc 19, 29-38), et l’icône est celle d’un nouvel Élie *grand prêtre en qui le culte nouveau se réalise. D’ailleurs, c’était le 1er du mois de Nisan, peu avant la fête de la Pâque, que le nouveau grand prêtre entrait en fonction.

Du Temple au Temple

L’évangile de Luc commençait au Temple, avec la vision de Zacharie, père de Jean Baptiste. Il s’achève au Temple, avec les disciples de Jésus qui ont désormais un grand prêtre céleste (2e lecture). Ils attendent, dans une grande joie la venue de l’Esprit par qui va s’ouvrir un culte nouveau, et qui fera d’eux les témoins de la mission de Jésus par tout l’univers.

*Jésus, grand prêtre. Selon Luc, Jésus avait annoncé «une année de bienfaits», allusion à l’année jubilaire juive en laquelle les dettes étaient remises et les esclaves libérés (cf. Luc 4, 18). Or, c’est le grand prêtre qui ouvrait officiellement l’année jubilaire, à la fête du Grand Pardon (le Kippour). Et nous lisons, au terme de l’évangile : «levant les mains, il les bénit». Jésus imite le grand prêtre qui, lors du Grand Pardon, bénissait l’assemblée prosternée (voir la scène en Siracide 50, 20-21).

Certains cercles juifs d’alors spéculaient sur l’existence d’un grand prêtre qui, monté au ciel, officiait devant Dieu et reviendrait à la fin des temps libérer son peuple : pour les uns, c’était Élie – or, Luc voit en Jésus le nouvel Élie ; pour d’autres, c’était le patriarche Hénoch, né sans père selon les légendes ; pour les gens de Qumrân, c’était Melkisédeq (cf. Genèse 14, 17-20), figure du Christ selon la Lettre aux Hébreux. Le Nouveau Testament exploite les figures légendaires susceptibles de donner toute son ampleur à la mission du Christ.

 




6ième Dimanche de Pâques- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Le Christ, transfiguration de la souffrance

 

esprit saint 2« C‘est la paix que Je vous donne, c’est ma paix que Je vous donne. Ne soyez donc pas bouleversés ni effrayés ».

Frères et sœurs, je voudrais m’adresser plus spécialement à ceux et celles d’entre vous qui d’une manière ou d’une autre, dans leur corps ou dans leur cœur, sont marqués par l’épreuve de la souffrance.

Qu’est-ce que la souffrance ? C’est difficile à dire, presque aussi difficile à dire que redoutable à vivre et à éprouver dans son cœur et dans sa chair. Car la souffrance, c’est d’abord le fait que tout à coup, alors que nous sommes faits pour vivre, pour communiquer avec les autres, pour partager, pour échanger, pour être libres de nos mouvements, aller là où bon nous semble, tout à coup notre corps surtout, mais parfois aussi notre cœur, nous apparaissent comme une limite, comme un handicap pour vivre, comme une sorte de barrière qui petit à petit se marquerait autour de nous et qui empêcherait à ce moment-là de sortir de nous-mêmes pour aller à la rencontre des autres et pour les accueillir. Ce qui est terrible dans la souffrance, c’est le fait qu’à tout moment, je suis renvoyé à moi-même, à mon corps, à cette partie de moi-même qui souffre et dont je ne peux plus me défaire, qui envahit tout le champ de ma conscience et qui fait que je suis comme muré par cette présence de moi-même à moi-même. Je suis là, je souffre, je ne pense plus qu’à cette souffrance. La souffrance est comme cette espèce d’enfermement terrible qui ne devrait pas avoir lieu, car notre corps est fait pour communiquer avec les autres, pour marcher. Et tout d’un coup nous éprouvons en nous-mêmes cette limite, ce poids, cet empêchement. Alors que notre cœur est fait pour nous émerveiller, pour regarder autour de nous, pour accueillir la joie, le bonheur de vivre, voilà que tout à coup ce cœur est comme bloqué, paralysé par cette souffrance. À ce moment-là, la vie nous apparaît comme insupportable car tout ce qui, dans un premier mouvement, devrait nous mettre en contact avec l’extérieur, nous semble en réalité comme un enfermement accablant.

Frères et sœurs, à vues humaines il n’y a pas d’explication ou de justification de la souffrance ; elle est le contraire même de ce à quoi, profondément, nous aspirons. Elle est le contraire même de ce dynamisme profond de notre vie. Et pourtant, nous-mêmes comme croyants, comme disciples de Jésus-Christ, nous croyons que, si terrible que soit à porter notre souffrance, en réalité depuis que Jésus est mort et ressuscité pour nous, ce n’est plus exactement la même chose. Le texte de l’évangile d’aujourd’hui peut nous aider à mieux le comprendre.

jesus-pleureJésus Lui-même, au moment où Il prononce ces paroles, sait qu’Il va affronter cette souffrance terrible des hommes que nous appelons l’agonie et qu’Il va l’affronter dans un contexte particulièrement terrible puisqu’Il va être condamné publiquement à une mort atroce, de dérision, infiniment terrible à porter et à vivre, la mort sur la croix, cette longue épreuve à la fois d’étouffement, de tétanie de tout le corps crucifié, de douleur dans tous les membres. Cependant, le testament qu’Il fait au moment où Il passe la dernière soirée avec ses disciples est extraordinairement paisible et comme confidentiel : « Je vous laisse la paix, c’est ma paix que je vous donne ».

Un homme qui va mourir crucifié et qui dit simplement à ses disciples : « La seule chose que J’ai à vous donner maintenant, c’est la paix ». Et Il insiste : « Je vous le dit maintenant avant que cela n’arrive, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez », comme si Jésus savait à quel point sa souffrance, son supplice allaient être une sorte de déroute profonde dans le cœur des disciples et avec cette très grande paix, Il leur dit en quelque sorte : « Je vous annonce tout cela, mais pour que vous gardiez la paix ». Et puis encore il leur explique : « Je m’en vais vers le Père, et apparemment vous êtes tristes parce que Je vous dis cela, parce que vous soupçonnez qu’il y a quelque chose qui est lié à la mort et à la souffrance dans mon départ. Et pourtant vous devriez vous réjouir de ce que Je vais vers le Père ».

Autrement dit, frères et sœurs, ce sont des paroles étranges pour quelqu’un qui est sur le point d’entrer dans la souffrance et qui dit simplement : « Je m’en vais, mais Je vous laisse ma paix ». Mais quelle paix peut apporter un homme qui va être torturé et livré à la souffrance ? C’est précisément que, si Jésus entre dans la souffrance des hommes, c’est pour que la souffrance qui est apparemment cet enfermement sur soi, cet accablement qui nous écrase, que cette souffrance en réalité puisse devenir, uniquement par sa grâce, par sa présence, parce qu’Il est là et qu’Il a promis, dans le cœur de ceux qui souffrent, que cette souffrance envers et contre tout ce qui, humainement, est lourd à porter puisse, étant porté par Jésus Lui-même, devenir un chemin de Pâques, de sortie vers Dieu, hors de nous-mêmes en présence même de l’amour de Dieu. Ceci dépasse tout ce que nous pouvons comprendre, ceci est au-delà de notre propre manière humaine de voir. Il n’y a que Jésus qui pouvait nous dire une chose pareille. Il n’y a que le Dieu qui a souffert pour nous qui pouvait nous dire que la souffrance n’est pas cette espèce d’impasse dans laquelle apparemment nous sommes jetés sans horizon, en n’y voyant plus rien, en étant comme aveuglés par la souffrance, mais que tout en restant souffrance, elle peut devenir véritablement une ouverture au mystère de notre entrée dans la gloire.recevoir-pardon

Frères et sœurs, cela ne retire rien ni à la souffrance physique ni à la souffrance morale dont chacun d’entre nous peut, à un moment ou l’autre de sa vie, avoir à porter le poids. Ceci n’est pas une sorte d’opération pour nous faciliter les choses, ce n’est même pas une sorte de parole consolante qui servirait comme d’un opium pour nous dire : après ça ira mieux, mais c’est vraiment rassurant que si Dieu est venu apporter et partager notre condition humaine totale, alors Dieu est venu aussi partager et vient aussi encore aujourd’hui partager notre souffrance. Et de même qu’Il a voulu que désormais tout ce que nous vivons soit un chemin vers le Père, de même Il veut que notre souffrance puisse être, elle aussi, avec Lui et par Lui, un chemin vers l’amour de Dieu.

Pour terminer, je voudrais simplement faire une allusion au texte de l’Apocalypse de la deuxième lecture. Vous avez remarqué que Jean nous décrit la Jérusalem céleste comme une ville avec des murailles. C’est vrai qu’habituellement les murailles, c’est de la pierre, c’est quelque chose qui nous enferme, qui mure littéralement notre cœur. Mais dans la Jérusalem céleste, les murailles sont de pierres précieuses, il y a même douze sortes de pierres précieuses, comme s’il y avait douze couleurs qui allaient composer désormais la lumière à l’intérieur de laquelle tous les élus se sont rassemblés. Je dirais que cette Jérusalem céleste avec des murailles de pierres précieuses, c’est la parabole de la souffrance. Habituellement les murailles sont un enfermement et une souffrance, et là, lorsque c’est Dieu qui façonne sa Jérusalem céleste, lorsque c’est Dieu qui donne la paix à l’homme, alors Il fait que ces murailles qui gardent leur consistance de pierre, leur dureté, leur côté impénétrable, cependant mystérieusement deviennent ces pierres précieuses, choisies aux yeux de Dieu, dans lesquelles peut chanter la lumière du salut et de l’éternité. Amen.




6ième Dimanche de Pâques par P. Claude Tassin (24 Avril 2016)

Actes 15, 1-2.22-29 (« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent »)

Les ciseaux de la liturgie ne conservent ici que les causes et les conclusions de l’Assemblée de Jérusalem (lire Actes 15,4-21), un «concile» avant la lettre, décisif pour l’avenir de la mission chrétienne en Occident. Résumons la situation et l’enjeu de l’événement.

La situation

À Antioche de Syrie, les missionnaires, dont Paul et Barnabé, accueillent les païens dans l’Église, sans exiger d’eux autre chose que de confesser leur foi au Messie mort pour nous et ressuscité par Dieu. Or des chrétiens de Judée, d’origine pharisienne, protestent : si ces païens croient au Messie, ils méritent de faire partie du Peuple élu et donc de recevoir la *circoncision.

L’événement

Les Apôtres et Anciens de Jérusalem et les délégués d’Antioche en jugent autrement : les païens devenus chrétiens n’ont pas à recevoir la circoncision, car Dieu les a appelés par sa grâce en tant que païens, avec leur propre culture ; ils n’ont pas à passer à la culture juive. Simplement, ils observeront quatre pratiques juives montrant qu’ils sont associés au peuple d’Israël, à savoir les interdits alimentaires et les interdictions matrimoniales émises par la Loi (cf. Lévitique 18, 6-18).

Le missionnaire n’impose pas aux autres peuples sa propre culture; il porte un Évangile qui s’incarne en chaque culture. En cette perspective, il respecte aussi les peuples pour qui la circoncision a une valeur culturelle, voire religieuse. Il s’agit d’évangéliser ces rites.

* La circoncision. Dans l’Orient ancien, certains peuples pratiquaient la circoncision, d’autres non. Israël divisait le monde en deux parties : le Peuple élu et les incirconcis. Car Dieu avait donné la circoncision à Abraham comme le signe de son Alliance (cf. Genèse 17, 10-14), et, par la circoncision, le prosélyte (païen converti au judaïsme) s’intégrait au Peuple de Dieu. Mais, selon les prophètes, la « circoncision du cœur », engagement de tout l’être envers Dieu, importait plus que le signe physique (cf. Deutéronome 30, 6).

Apocalypse 21, 10-14.22-23 (« Il me montra la Ville sainte qui descendait du ciel »)

Dieu est-il aussi un urbaniste ? Dans ses visions finales, l’Apocalypse présentait la nouvelle Jérusalem, le Peuple nouveau, dans son union intime avec Dieu (5ième dimanche) ; la troisième vision décrira la cité comme un jardin de Vie (Apocalypse 22, 1-5). Entre les deux, voici un flash sur la ville idéale, conçue comme un carré parfait à partir du nombre douze, symbole de la totalité des « tribus » constituant le Peuple de Dieu.

1) C’est une ville splendide, une gigantesque pierre précieuse que fait chatoyer la présence de Dieu, sa gloire.

2) C’est une ville solide et sûre dont Dieu garde les portes par ses anges. Son haut rempart ne craint aucun séisme, puisqu’il a les douze Apôtres pour fondations.

3) Comme l’ancienne Jérusalem, c’est une ville de pèlerinage : « les nations marcheront vers ta lumière », dit le verset 24. Mais plus de Temple pour accueillir les pèlerins ! Car *la présence de Dieu et de l’Agneau sauveur est immédiate, sans voiles, sans plus besoin de rites et de symboles.

Cette présence de Dieu, plus lumineuse que le soleil et la lune, est donc le dernier mot de l’histoire. Présence déjà actuelle quand nous bâtissons la cité humaine en nous appuyant sur Dieu et sur le message des Apôtres. Les apocalypses sont des œuvres d’imagination inspirées par Dieu. Elles hésitent dans leur scénario de la Fin. Certaines imaginent un transport des élus vers les cieux. D’autres, comme celle de ce dimanche, voient la Ville de Dieu descendre parmi nous.

* La présence de Dieu. « La Jérusalem céleste n’a pas de temple… on peut parler de la constante tentative des hommes de cantonner Dieu et leurs rapports avec lui dans… des occasions et des lieux strictement réservés et délimités. Cette attitude est proprement idolâtre, elle exprime la prétention de l’homme à assigner sa place à Dieu. L’évangile que nous entendons dans l’Apocalypse affirme seulement que Dieu est présent parmi les hommes, et c’est tout » (P. Prigent).

 

Jean 14, 23-29 (« L’Esprit Saint vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit »)

Voici la fin du premier des Discours d’adieu de Jésus (chapitre 14) s’achevant par cette injonction : « Levez-vous, partons d’ici » (verset 31). Or personne ne se lève et nul ne part, puisqu’il y a encore trois chapitres de discours reflétant au moins trois générations d’écrivains évangéliques qui se relisent et se complètent les uns les autres. Ce sont leurs réflexions successives que l’Église tient pour inspirées par Dieu, et non quelque magnétophone imaginaire restituant les paroles de Jésus, à la veille de sa Passion.. Cette finale de Jean 14 répond en trois vagues à la question que se posent les croyants de tout temps : comment le Christ, disparu, est-il présent dans nos vies, et absent pour les non-croyants ?

Si quelqu’un m’aime

Dans la bouche de Jésus, l’expression « ma parole » ou « mes paroles » renvoie aux commandements de Dieu que le judaïsme appelle « les Dix Paroles » et nous apprenions dimanche dernier que ces paroles se résument désormais dans le « commandement nouveau » de l’amour mutuel. L’évangéliste précise à présent ceci : la fidélité au commandement de l’amour rend réellement présents Jésus et son Père, puisque celui-ci est la source de cette communion. Il y a donc une présence de Jésus dans le souvenir de ses paroles « pendant qu’il demeurait avec nous ».

Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles… L’évangéliste joue, en manière de symbole, sur la dimension affective de la mémoire : on se souvient et on se nourrit, presque inconsciemment, des paroles fortes que nous a données en partage un ami disparu ou vivant au loin. Ainsi en va-t-il des paroles de Jésus, voire de maximes évangéliques qui restent gravées en nous.

L’Esprit Saint

C’est « *le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra », qui féconde la mémoire des croyants, même s’ils n’en ont pas conscience ; c’est lui qui assure la continuité avec la mission historique du Nazaréen. Jean 16, 12-13 ira plus loin, en affirmant que les paroles du Jésus terrestre étaient, d’une certaine façon, incomplètes : dans les situations nouvelles que les disciples ne pouvaient prévoir, l’Esprit fera comprendre mieux encore le message de Jésus. Cet Esprit « vous enseignera tout », dit le Christ.

La paix

Forts de la mémoire de Jésus, défendus par l’Esprit Saint, les croyants vivent dans la paix au milieu des épreuves. Ainsi, Jésus reste présent par le don de la paix, son legs ultime. « Je vous donne ma paix », dit Jésus en nos célébrations eucharistiquess. Ce n’est pas, « à la manière du monde », la paix des armes et la sécurité matérielle, mais le bonheur que Dieu prépare au terme de l’histoire et que le Ressuscité anticipe pour les siens (voir Luc 24, 36) en les saluant à la manière juive (shalôm !). Cette paix est joie, amour qui chasse toute peur : nous nous réjouissons de ce que Jésus va vers le Père à qui il s’est soumis, comme un messager à celui qui l’envoie (« le Père est plus grand que moi »).

« Je m’en vais », déclare Jésus : le but de sa mission est son retour vers le Père ; « et je reviens vers vous », ajoute-t-il. Retrouver la pleine intimité avec le Père, par la victoire de Pâques, et permettre ainsi le don du Défenseur, voilà sa manière de « revenir » à nous, et de nous faire entrer en pleine communion avec Dieu le Père.

Jean a grande confiance dans l’action de l’Esprit et dans l’amour fraternel comme moteur de la vie de l’Église. L’absence physique de Jésus n’est que l’envers de sa présence auprès du Père grâce à laquelle nous sommes « branchés » sur le courant de l’amour de Dieu.

Le Défenseur ou « Paraclet ». « Pour mieux comprendre le rôle de l’Esprit dans l’évangile de Jean, il faut regarder dans l’Ancien Testament les figures charismatiques qui viennent relayer un personnage important pour prolonger sa mission : Josué prend le relais de Moïse, Elisée d’Elie, Jésus de Jean Baptiste. L’Esprit, dans l’évangile de Jean, semble jouer un rôle semblable par rapport à Jésus.

Jean est le seul à utiliser le mot « Paraclet » pour désigner l’Esprit. C’est la forme passive du verbe parakaléô : celui qui est appelé, celui qui vient au secours, celui qui est témoin de la défense (la traduction liturgique opte pour le terme « Défenseur »). Au sens actif, c’est l’intercesseur, le médiateur, le consolateur. Dans l’évangile de Jean, le Paraclet est le témoin de Jésus, l’interprète de son message devant ses ennemis, en particulier au procès, le consolateur des disciples, en lieu et place de Jésus, l’enseignant et le guide pour les disciples et donc leur aide » (A. Marchadour, L’Evangile de Jean).

  

 

 

 

 




6ième Dimanche de Pâques par le Diacre Jacques FOURNIER

Tous appelés à la Vie, par le Don gratuit de l’Esprit (Jn 14,23-29)… 

Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé.
Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ;
mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.
Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi.
Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez.

           

 paix                

 

            Les premières paroles de Jésus sont ici : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole »… Mais avec St Jean, ce n’est pas seulement un exercice de mémoire… En effet, « celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34) et « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Autrement dit, « garder la Parole » de Jésus, l’envoyé du Père, c’est garder le Don de l’Esprit qui se joint toujours à elle, et donc, avec lui, le Don de la Vie… C’est veiller à vivre dans la foi, tourné de cœur vers Lui, du moins autant que notre faiblesse le permet… Et dès que nous constatons un égarement, offrons le vite à l’Amour, qui, de son côté, n’a jamais cessé de nous aimer et donc de désirer pour nous le meilleur. Et aussitôt, il accomplira en nous son œuvre de Sauveur : « enlever le péché du monde » (Jn 1,29)… Alors, « si le salaire du péché, c’est la mort, le don gratuit de Dieu c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus » (Rm 6,23) par le Don de « l’Esprit qui vivifie »…

            « « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma Parole, et mon Père l’aimera », mais c’est déjà fait : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés le premier » (1Jn 4,10), et il l’a fait notamment en nous créant par le Don, en nous, de son Souffle de Vie (Gn 2,4b-7), de son Esprit de Vie. Et nous retrouvons avec cet acte fondateur un geste d’amour, car pour Dieu, aimer, c’est tout donner, tout ce qu’il a, tout ce qu’il est : « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35), « tout ce qu’il a » (Jn 16,15 ; 17,10), tout ce qu’il est… « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), le Père est Amour ? « Tu es mon Fils Bien-Aimé », dit-il à son Fils, « en toi, j’ai mis tout mon amour » (Mc 1,11), tout ce que je Suis (Ex 3,14), toute ma vie : « Comme le Père a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même » (Jn 5,26), gratuitement, par amour. Et c’est aussi ce qu’il s’est passé au jour de la création de chacun d’entre nous : Dieu a fait de nous des créatures spirituelles (1Th 5,23), « des âmes vivantes » (Gn 2,7), par le Don gratuit, par amour, de son Souffle de Vie, de son Esprit de Vie… Et c’est cet homme « esprit » que Dieu veut combler de son Esprit pour lui donner, tout aussi gratuitement, par amour, de participer à la Plénitude de sa Vie, de sa Lumière et de sa Paix. Tel est le cadeau du médecin à ses malades (Lc 5,31-32), du Sauveur aux pécheurs que nous sommes :

« La Paix soit avec vous. Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22), car « Dieu vous a choisis dès le commencement pour être sauvés par l’Esprit qui sanctifie » (2Th 2,13)…      DJF                                                                                                                                                 

  

 

       

           




5ième Dimanche de Pâques par P. Claude Tassin (24 Avril 2016)

Actes des Apôtres 14, 21b-27 (« Ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux »)

Certains missels intitulent le 5e dimanche de Pâques A, B et C, « dimanche des ministères », en fonction des passages des Actes des Apôtres retenus chaque année autour de ce thème. Ce devrait être le « dimanche des missions », au lieu de sa place en automne. Dans la lecture d’aujourd’hui, soulignons deux aspects.

La Parole voyage : un tourisme évangélique

Voici la fin du premier voyage missionnaire de Paul et de Barnabé (Actes 13 – 14). Avec bien des aventures, ils ont sillonné la Lycaonie, une région turque montagneuse plutôt isolée (cf. Actes 14, 6-20). Au lieu de continuer la route terrestre à l’Est, vers Antioche de Syrie, qui était leur point de départ (Actes 13, 1-3), ils font demi-tour et rejoignent le port turc d’Attalia sur la Méditerranée. Selon Luc, ils veulent revoir les Églises qu’ils ont fondées. Et voici nommée Lystres (cf. Actes 14, 6-20), dans les montagnes turques, ville fondée par l’empereur Auguste, pense-t-on. De là est originaire Timothée, qui sera un comagnon de Paul (Acte 16, 1-3). Puis voici Iconium, la Konya turque actuelle (cf. Actes 14, 1-5), une cité des montagnes, fondée aussi par Auguste, semble-t-il. Et à nouveau Antioche de Pisidie (cf. 13, 14-51), toujours dans la région escarpée. Si le séjour de Paul dans cette Antioche (l’actuelle Yalaç turque) est souligné par Luc, c’est que la contrée de Pisidie, depuis deux siècles avant notre ère, avait été rattachée à la province romaine de Cilicie, c’est-à-dire la patrie de Saaul. Avant l’embarquement de Paul et Barnabé à Attalia, les Actes mentionnent un passage à Pergé. Si la chronique de Luc est véridique, le retour dans cette cité, à une quinzaine de kilomètres au-dessus du port, une ville encore marquée par de somptueux vestiges de l’époque romaiine, devait avoir un goût amer dans la bouche de l’apôtre. C’est là que Jean Marc (l’évangéliste !), avait quitté Paul et Barnabé, peu enclin à les suivre dans les contrées sauvages de la Turquie (Actes 13, 13). Enfin, Paul et Barnabé rejoignent l’Église d’Antioche qui les avait envoyés en mission (Actes 13, 1-3). « C’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu » et personne ne se doutait de l’ampleur que prendrait leur périple.

   Fin de notre tourisme missionnaire ! Au vu de la situation politique du 21e siècle, et faute de bonnes chaussures de marche, rares sont les touristes et/ou pèlerins qui peuvent accéder dans la montagne turque à des grottes, sanctuaires chrétiens antiques dont l’art étonnant conserve le souvenir de la première évangélisation chrétienne remontant à « l’équipe paulinienne », ou à ses successeurs.

Organisation et affermissement des jeunes Églises

Si Luc, dans les Actes des Apôtres, s’ingénie à retracer, pour Paul et Barnabé, un itinéraire de retour, ce n’est pas par goût du tourisme, mais selon un propos théologique. La mission chrétienne ne consiste pas seulement à semer l’Évangile, mais aussi à structurer la communauté qui le reçoit. Ces Églises sont invitées à la persévérance au milieu des oppositions (comparer 1 Thessaloniciens 1, 6 ; 2, 14), à l’instar de Jésus qui avait lui-même connu la persécution dans son annonce du royaume de Dieu.

   Paul et Barnabé instituent des responsables à la foi solide, les *Anciens, qui aideront les chrétiens à assumer la situation et qui sont choisis dans un contexte de jeûne et de prière, comme lors de l’envoi en mission de Paul et Barnabé (cf. Actes 13, 3). Nulle communauté n’a jamais élu seule ses responsables : il fallait l’avis de ceux qui assuraient la communion entre les Églises locales. Nos deux apôtres eux-mêmes rendent compte devant l’Église d’Antioche, qui les avait envoyés, de « tout ce que Dieu avait fait avec eux » durant leur périple.

   Luc montre, dès l’origine, des Églises co-responsables dans la mission et soucieuses d’organiser des services animant les communautés.

* Les Anciens. L’Ancien, en grec presbuteros, a donné le mot « prêtre ». Il est improbable que Paul ait institué des Anciens. A lire 1 Corinthiens 12, 28, les Églises qu’il fonde reconnaissent les ministères suivants : 1) Des services itinérants, inter-Églises : apôtres et prophètes (ces derniers, semi-itinérants) ; 2) des services locaux : enseignants (« docteurs »), des gens aux dons miraculeux, des guérisseurs, etc, mais pas d’Anciens. En revanche, dans les Lettres à Timothée et à Tite, qui ne viennent pas de Paul, mais du temps de Luc (les années 80), apparaît un trinôme encore flou : épiscopes /anciens /diacres, ancêtre de la triade évêque / prêtre / diacre. Bref, les Actes des Apôtres imputent à Paul a posteriori l’organisation de ministères qui lui étaient étrangers. Car, à l’origine, les ministères « ordonnés » variaient d’une Église à l’autre, en fonction de coutumes locales différant quant à la manière d’organiser les communautés civiles et religieuses. On regrette parfois la disparition de cette souplesse. Dans diverses Églises d’aujourd’hui, les choses évoluent.

Psaume 144 ( » Que tes fidèles te bénissent ! « )

Comme beaucoup de la dernière partie des 150 psaumes, celui-ci est un santon, une construction quelque peu artificielle rassemblant des versets tirés de psaumes précédents. Les strophes de ce poème ici retenues veulent simplement faire écho à la merveilleuse conversion des païens (que nous sommes !), « comment Dieu avait ouvert aux nations la porte de la foi », grâce à la mission de Paul et Barnabé.

  Passant par-dessus des siècles d’ignorance, voici révélé le Seigneur qui est « tendresse et pitié ». Sa bonté « est pour tous », quelles que soient leurs origines. Alors, que tous ceux qui ont accédé à la foi proclament le règne de Dieu auquel ils ont déjà accédé, même si sa gloire et son éclat ne sont pas advnus en plénitude, puisque, chaque fois que nous disons la Prière du Seigneur, nous répétons : « Que ton règne vienne », et nous nous souvenons de la réflexion de Paul et Barnabé : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. »

Apocalypse 21, 1-5a (« Il essuiera toute larme de leurs yeux « )

Qu’entend-on comme « nouvelles » à la radio et à la télé ? larmes, pleurs, cris, tristesse, mort… Mais tout cela, selon les visions finales de l’Apocalypse, c’est le vieux monde. Dans le monde nouveau, finies les larmes ! C’est le message de l’Apocalypse qui accompagne le temps pascal de l’année C.

Le monde nouveau : plus de mer !

Voici que Dieu « fait toutes choses nouvelles » : un ciel nouveau, une terre nouvelle. Mais « plus de mer » car, chez les anciens ignorant généralement le plaisir des plages, celle-ci symbolisait plutôt les naufrages et l’abîme sans fond où logent les puissances du mal et de la mort. Comparer ce symbole en Marc 5, 13 : les démons chassés par Jésus se précipitent dans la mer… d’où ils n’auraient jamais dû sortir. Le drame des réfugiés se noyant en Méditerranée rappelle tragiquement la face négative du symbole de la mer.

   Cet univers nouveau dessiné par l’Apocalypse abolira les obstacles au bonheur, parce que l’humanité connaîtra une parfaite communion avec Dieu, une intimité toute nuptiale.

La cité nouvelle

L’auteur reprend l’image prophétique du Dieu Époux de son peuple (cf. Isaïe 54, 5-8) et l’applique à la « Jérusalem nouvelle », la nouvelle cité humaine que Dieu projette, la fiancée que Dieu se prépare. Le cœur de la lecture peut se traduire ainsi : « Voici la tente de Dieu [= la Tente-sanctuaire des temps du désert, cf. Lévitique 26, 11-12] avec les hommes, et il aura sa tente avec eux, et eux seront ses peuples [= formule d’alliance, d’appartenance mutuelle], et lui sera le Dieu-avec-eux [= il sera vraiment Emmanuel, Dieu-avec-nous]. »

   Le Jour du Seigneur, chaque eucharistie fait grandir en nous ce monde nouveau inauguré par la résurrection de Jésus.

Jean 13, 31-33a.34-35 (« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres »)

Du Discours d’Adieu de Jésus, au soir du jeudi saint (Jean 13 à 17), la liturgie n’offre chaque année que quelques extraits (du 5e au 7e dimanche de Pâques). L’architecture de ce monument littéraire vient des livres juifs appelés « Testaments » et dans lesquels un saint de l’Ancien Testament, sur le point de mourir, réunit ses héritiers (ses « petits enfants ») ; il leur résume le sens de sa vie; il prédit ce qui leur arrivera et comment ils pourront vivre de son patrimoine spirituel. Un tel genre ne s’oriente pas vers le passé (ici, la vie terrestre de Jésus), mais vers l’avenir (ici, l’après-Pâques). L’introduction du Discours d’Adieu est un « mini-testament » qui se déploie en trois vagues.

L’annonce de la gloire

« Maintenant » Jésus a lavé les pieds des disciples (cf. jeudi saint) pour signifier le sens de sa mort ; « maintenant » Judas est sorti pour accomplir la trahison qui va conduire « le Fils de l’homme » à l »heure H de sa mission.

  La tradition juive voyait dans le « Fils de l’homme » l’être céleste des apocalypses à qui, en Daniel 7, 13-14, Dieu remet toute gloire. Mais un « fils d’homme », c’était aussi l’être humain dans sa nature fragile. L’évangéliste joue sur ces deux sens : la faiblesse humaine de Jésus se trouve anoblie par la Passion, puisque celle-ci est une montée vers le Père. Et par cette ascension vers Dieu, Jésus retrouve sa gloire céleste. En aimant les siens jusqu’au bout, Jésus glorifie Dieu, puisqu’il manifeste l’amour de Dieu lui-même.

L’annonce du départ

Jésus s’adresse à ses « petits enfants » car le décor est celui du repas pascal juif dont le rituel souligne la structure familiale, la continuité des générations depuis la première libération, le passage de la Mer, jusqu’à la dernière, la Pâque définitive. En outre, le genre littéraire du « Testament » exige aussi que l’Ancêtre, au seuil de sa mort, interpelle ses « petits enfants ».

Le testament : un *commandement nouveau

En s’aimant les uns les autres en frères, les disciples assurent d’une certaine manière une sur-vie de Jésus. Car cet amour incarne la générosité et la gratuité inscrites dans la Passion, et il a pour source l’amour que le Père porte à son Fils (cf. Jean 15, 9). L’amour est un commandement, non comme un ordre donné de l’extérieur, mais comme l’engagement qui s’impose lorsqu’on a soi-même expérimenté l’amour du Christ. C’est un commandement « nouveau » parce qu’il met en œuvre l’alliance nouvelle annoncée en Jérémie 31, 31 et fondée à présent sur le sang du Christ versé pour nous (Luc 22, 20).

  L’amour dont il s’agit ici n’est pas une charité de bienfaisance ouverte à tous, mais le lien qui soude une communauté et « qui montrera à tous les hommes » quel est ce Christ qui soude l’unité des chrétiens. Certaines Églises témoignent en prêchant une haute morale, d’autres en menant des actions caritatives remarquables. L’Église à laquelle Jean s’adresse a choisi de donner l’exemple attirant d’une communion fraternelle dans le Christ.

* Le commandement nouveau. « Est-ce que ce commandement n’existait pas déjà dans la loi ancienne, puisqu’il est écrit : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” ? Pourquoi donc le Seigneur appelle-t-il nouveau un commandement qui est à l’évidence si ancien ? Est-ce un commandement nouveau parce qu’en nous dépouillant de l’homme ancien il nous revêt de l’homme nouveau ? Certes, l’homme qui écoute ce commandement, ou plutôt qui y obéit, est renouvelé non par n’importe quel amour, mais par celui que le Seigneur a précisé, en ajoutant, afin de le distinguer de l’amour charnel : “comme je vous ai aimés”. C’est cet amour qui nous renouvelle, pour que nous soyons les héritiers de l’alliance nouvelle.

    Voilà pourquoi il nous a aimés : afin qu’à notre tour nous nous aimions les uns les autres. Il nous en a rendus capables en nous aimant, afin que par l’amour mutuel nous soyons liés entre nous et que, par l’union très douce qui lie ses membres, nous soyons le corps d’une seule Tête » (Saint Augustin, Commentaire sur Jean).

 

 

 




5ième Dimanche de Pâques par le Diacre Jacques FOURNIER

Aimer comme Jésus (Jn 13,31-33a.34-35)…

 

Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui.
Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Vous me chercherez, et, comme je l’ai dit aux Juifs : “Là où je vais, vous ne pouvez pas aller”, je vous le dis maintenant à vous aussi. »
Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

           

 Dieu est amour 2          

           

« Qu’est-ce que la gloire de Dieu ? », écrit le P. Bernard Sesboüé ? « C’est Dieu lui-même qui manifeste au dehors de lui sa puissance, sa sainteté, son dynamisme ». Si « maintenant, le Fils de l’homme est glorifié, et si Dieu est glorifié en lui », c’est que, avec lui et par lui, le Mystère du Dieu « Amour » s’est pleinement manifesté…

            Juste avant cette déclaration, « il fut troublé en son esprit, et il attesta : « L’un de vous me livrera » » (Jn 13,21). Il le sait, Judas va le trahir… « Déjà, le diable avait mis en son cœur le dessein de le livrer » (Jn 13,2). Pourtant, il va lui donner la première bouchée du repas, le désignant ainsi à tous les convives comme son invité d’honneur (Jn 13,26)… A la trahison, Jésus répond par l’amour…

            Plus tard, Judas guidera les soldats au mont des Oliviers pour qu’ils puissent l’arrêter. L’un des disciples dégainera son glaive, frappera le serviteur du Grand Prêtre et lui enlèvera l’oreille droite. Mais Jésus leur dira : « « Restez-en là. » Et lui touchant l’oreille, il le guérira » (Lc 22,47-51). A la violence, Jésus répond par l’amour…

            Puis il sera crucifié, « ainsi que deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche ». Et Jésus dira : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,33-34). A la haine et à la cruauté, Jésus répond par l’amour…

            Ici, il invite ses disciples à faire de même : « Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés. » Le « comme » est capital… Jésus est notre exemple. Lui, le Fils, il est toujours de cœur « tourné vers le sein du Père » (Jn 1,18), accueillant son Amour de Père, « demeurant en son amour » (Jn 15,10). Or, « aimer » pour Dieu est synonyme de « se donner soi-même », en tout ce qu’Il Est. De toute éternité, le Père Amour est ainsi Don de Lui-même au Fils qu’il aime, Don de tout ce qu’Il Est en Lui-même, et Il Est Dieu, Il Est Lumière… Le Fils est ainsi éternellement « Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière ». Tout ce qu’Il Est, il le doit à son Père… Sans son Père, il n’est rien, il ne peut rien… « Je ne puis rien faire de moi-même » (Jn 5,19.30). Je ne peux donc « aimer » de moi-même. A la trahison, à la violence, à la haine et à la cruauté, je ne peux, par moi-même, répondre par l’amour… Et il en est de même pour nous : sans notre relation de cœur avec Jésus, tournés vers Lui dans la prière, sans ce Don d’Amour qui ne cesse d’être proposé à notre foi, nous ne pouvons rien par nous-mêmes…                               DJF

 

       

           




4ième Dimanche de Pâques- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Quels pasteurs pour quelle Eglise ?

 

MGR123.indd« Je connais mes brebis, elles écoutent ma voix ». Frères et sœurs, la liturgie de ce dimanche constitue pratiquement un passage obligé : c’est le dimanche du bon Pasteur. Il est donc de bon ton de parler des vocations et faire, si je puis dire le « sergent recruteur » local. En fait, je me propose d’inverser les rôles aujourd’hui. On parle de la crise des vocations, on dit que dans vingt ans, il n’y aura plus de prêtres, que les communautés devront se débrouiller autrement, mais la question est peut-être mal posée : il ne s’agit pas, comme on le dit trop souvent, d’expliquer pourquoi il n’y a plus de vocations. Il importe, à mon avis, de retourner la question et de se demander : « Qu’est-ce que l’Église ? Comment apparaît-elle aujourd’hui pour qu’il y ait si peu de vocations ? » Pour dire les choses très simplement : la vie du prêtre est un service, s’il n’y a pas de demande de service, s’il n’y a pas de petites annonces dans le journal avec des « offres d’emploi », pourquoi voudriez-vous que l’on continue à remplir ce type de service ? C’est précisément le problème.

Au fond, qu’est-ce que l’Église ? Et surtout, comment aujourd’hui même, comprenons-nous l’Église pour que la nécessité du ministère dans l’Église, je ne dis même pas l’utilité parce que nous verrons que la question du ministère dans l’Église ne se pose pas en termes d’utilité, soit vraiment reconnue comme elle doit l’être ? Pour y parvenir, je vous propose un petit détour par les sociétés civiles, les sociétés humaines telles que nous les connaissons et les construisons, ces sociétés auxquelles nous appartenons.

foule

En fait, nous avons aujourd’hui deux réflexes majeurs pour penser la société, qui aboutissent à deux grands modèles de société. Il y a le modèle que l’on pourrait appeler « la société de pouvoir ». Dans une telle société, il y a des gens qui ont le pouvoir et généralement, ils semblent s’y accrocher beaucoup et en être très fiers. En fait l’Église, reconnaissons-le, surtout en la personne de son « personnel », comme disait Jacques Maritain, n’a pas échappé à cette tentation. Quand on a traité, pendant tout le Moyen Âge, et même durant l’époque moderne, toute l’histoire de l’Europe au fer rouge de la distinction entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel et que même, à certains moments, certains papes ont fait la théorie d’un pouvoir spirituel supérieur à celui des rois et des princes, on comprend qu’une telle prétention ait engendré le laïcisme « pur et dur » qui consiste à « bouffer du curé » en récitant son catéchisme voltairien pour préserver son autonomie.

Mais on a également appliqué ce schéma de la société de pouvoir à la vie interne de l’Église : puisque l’Église est une société, elle devait, pensait-on, se structurer selon un certain type de gouvernement, ce qui suppose l’exercice du pouvoir de certains membres sur les autres, et s’il y a des prêtres, il faut qu’ils représentent et exercent une petite partie de ce pouvoir. On en déduisit assez rapidement que la vie du prêtre était une transposition au domaine spirituel de ce qui, dans les sociétés civiles, équivaut à l’ambition politique. Autrement dit, l’Église est envisagée comme une entreprise qui voudrait assurer son emprise, son pouvoir « spirituel » sur les consciences. Et comme aujourd’hui on considère que le modèle du pouvoir est devenu suspect à peu près partout, jugement qui n’est d’ailleurs pas nécessairement un réflexe intelligent, on se dit alors que le pouvoir spirituel peut comporter en lui-même encore plus de danger : d’où une méfiance plus grande encore. À quelques exceptions près, il ne semble pas qu’il y ait beaucoup de personnes qui défendent actuellement sérieusement une théorie du pouvoir en ecclésiologie.

En revanche, il existe un second modèle qui semble fonctionner avec succès. Dans les sociétés modernes, le seul modèle de société qui a tous les passeports et toutes les promesses de la vie temporelle, c’est l’entreprise. Parce que là, on s’y reconnaît : c’est clair, c’est basé sur la compétence, dynamisé par la concurrence et vérifié par la productivité. De plus, quand on peut expliquer que chacun est invité à engager sa liberté personnelle et faire travailler son génie propre pour trouver sa place au sein de l’entreprise, on a l’impression vraiment qu’on est parvenu au sommet des formes de vie sociale que l’on peut souhaiter aux sociétés actuelles.

L’entreprise a donc une cote extraordinaire, mais le problème est de savoir si l’Église entre ou peut entrer dans le modèle de l’entreprise. Il faut bien avouer, et c’est sans doute le miracle le plus étonnant de la vie de l’Église, que depuis vingt siècles nous ne produisons rien. Mieux vaut le dire : honnêtement, depuis vingt siècles, aucun des résultats des activités de l’Église n’est vérifiable, puisque c’est « de l’autre côté » seulement (côté jardin du paradis) que ce sera vérifiable. Pire encore, on critique le projet même de l’Église en disant : « Admettons qu’elle soit comparable à une entreprise, mais au fond le projet n’est pas toujours aussi réellement convaincant que ce que les « cadres » en disent : ils vous annoncent le Royaume de Dieu, mais on ne l’a jamais vu ! Ils vous disent que le Christ a sauvé le monde : d’accord, on veut bien le croire, mais il faudrait quand même en avoir des preuves. Or les choses ne vont pas beaucoup mieux après qu’avant la venue du Christ ! Et puis, il y a eu d’autres héros humains qui ont donné leur vie pour une bonne cause ». Par conséquent, dire que l’Église pourrait accréditer son label et manifester l’authenticité de ses prétentions dans la société moderne parce qu’elle serait spirituellement productrice, ce n’est pas si simple et tient de la gageure.

À noter pour mémoire que le premier moment dans l’Église contemporaine où la question du « pouvoir » sur les fidèles a suscité une contestation générale, c’est à propos de l’encyclique de Paul VI Humanae vitae. Il s’agit de l’encyclique sur la contraception artificielle féminine (1968) : il y a eu un moment où les catholiques, surtout les femmes catholiques, ont dit  » non « .

peuple_en_marche_02En outre, on pourrait aussi critiquer l’incompétence du clergé : chacun sait que l’Église est quand même un endroit où le principe de Peter bien connu de tous (selon lequel chacun arrive au degré où il plafonne au sommet de sa compétence), fonctionne très bien : quand on voit que l’individu commence à faire des dégâts, on arrête sa promotion. Donc la compétence, le savoir des experts, le recyclage et la formation permanente pour être au sommet du savoir actuel, le fait d’être au courant de tout, ce n’est pas toujours la spécialité du « personnel » clérical. Et de fait, le Christ n’a pas dit aux apôtres : « Je suis venu fonder l’entreprise la plus performante du point de vue philanthropique ». Il n’y a nulle part dans l’Évangile une seule phrase qui va dans le sens de la rentabilité. Je sais que certains m’objecteront le verset de saint Luc : « A celui qui a, on donnera plus encore, et à celui qui n’a pas, on enlèvera tout ce qu’il a », ce qui est l’expression du libéralisme sauvage le plus radical. Mais je ne suis pas sûr que Jésus l’ait cité dans ce sens-là.

Voici donc les deux modèles dont je vous parlais, je sais bien qu’il y en a d’autres ; il existe des associations de pêcheurs à la ligne, fondées sur le goût que l’on éprouve ensemble à attraper la truite et à la sentir frétiller au bout de la canne à pêche, mais on ne peut pas comparer l’Église à une entreprise de pêche à la ligne bien que la meilleure comparaison que le Christ ait trouvée pour parler à saint Pierre de sa nouvelle vie professionnelle, c’est la formule : « Désormais, tu seras pêcheur d’hommes ». Mais l’Église ne relève pas davantage du modèle de l’association des hommes par l’intérêt commun pour un loisir ou une activité bien précis.

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La question reste donc entière : « Mais alors à quoi ça sert ? » Aujourd’hui, on a tendance à se replier sur une solution de type individualiste que l’on pourrait nommer le modèle de la consommation. On se dit : « J’éprouve des aspirations religieuses, je voudrais à certains moments pouvoir traduire cet élan profond de mon cœur et je vois qu’on me propose, par le biais d’institutions ou d’associations, des groupes d’hommes ou des sociétés qui me permettent d’essayer de le mettre en œuvre ». Là aussi, on se retrouve en pleine ambiguïté : la religion comme « bien de consommation personnelle ». Or, ce n’est déjà pas très facile de gérer nos biens matériels en termes de consommation et de pouvoir d’achat ! Si donc on se met à traiter la religion de cette façon-là, où allons-nous ? Les églises et les prêtres deviennent cet immense service de supermarché religieux dans lequel si j’ai besoin de ceci, je viens le chercher à telle adresse, si j’ai besoin de cela pour mon âme, je viens le chercher dans telle autre communauté, généralement d’ailleurs en fonction des horaires qui m’arrangent. Mais est-ce que l’Église est simplement une proposition de service spirituel pour les consommateurs religieux éclairés ? D’ailleurs, une telle perspective est tellement dangereuse qu’elle est à l’origine du phénomène des sectes. Car, à partir du moment où c’est mon désir de consommateur qui devient la loi et le critère de mon comportement et de mon appartenance religieuse, toutes les formes de groupements religieux se valent et je dois choisir en fonction de mes aspirations. Chacun ayant décidé qu’à son goût, la religion, c’est comme ceci ou comme cela, il n’y a plus de repères objectifs, et l’Église devient une réponse parmi d’autres à des demandes de consommateurs. Et la grande problématique du langage clérical pourrait être : « Comment faire une religion qui plaise aux gens ? » ou encore « Comment s’adapter ? » Quand on aborde ce type de sujet, c’est le Titanic.

Quand on se pose aujourd’hui la question de l’Église et donc aussi celle des ministères, il devient de plus en plus urgent et nécessaire d’y répondre. la voixRevenons à la phrase de l’évangile que nous avons entendu tout à l’heure : « Je connais mes brebis, elles écoutent ma voix ». Normalement un berger, s’il est un berger qui veut exercer du pouvoir sur son troupeau, ne dit pas : « Je connais mes brebis », il dit plutôt : « Je les mène à la baguette ». Or avec le Christ, on ne parle jamais de sa houlette ni de son bâton. Bref, rien dans la figure du Bon Pasteur ne renvoie à une ecclésiologie de pouvoir.

Deuxièmement, le Christ ne dit pas : « Je rentabilise mon troupeau au maximum et toutes les brebis sont primées au comice agricole ». Le Christ ne vise ni la productivité pastorale, ni la rentabilité du troupeau. Il ne dit même pas qu’il va le tondre et ne fait donc aucune allusion au denier du culte. Ici encore, ce n’est pas une ecclésiologie de l’entreprise dans laquelle le Christ proposerait de faire atteindre à chaque brebis son gabarit maximum, spirituellement, bien entendu. Donc vous le voyez bien, ni pouvoir, ni rentabilité, mais quoi donc ? Pourquoi faut-il des pasteurs ?

« Elles écoutent ma voix et Moi Je les connais ». Qu’est-ce que l’Église ? C’est un lieu où l’on reconnaît la voix de Dieu. Or, qu’est-ce qu’une voix ? Je crois qu’une voix, la voix de quelqu’un qu’on aime, c’est sa présence, sa présence donnée dans une certaine altérité. Quand on connaît la voix de quelqu’un, on lui dit : « C’est toi, je te reconnais à ta voix ». C’est d’ailleurs une chose étrange : vous remarquerez qu’on a à peu près tous, les messieurs d’un côté, les dames de l’autre, le gosier fait de la même façon, et pourtant, on a un timbre de voix, une particularité de voix absolument unique, et l’on reconnaît avec beaucoup de sûreté quelqu’un à sa voix, au téléphone par exemple.

Or, l’Église est ce lieu où l’on apprend à reconnaître Dieu à sa voix : « Tu es là, c’est Toi ». Il faut donc quelqu’un, non pas quelqu’un qui parle à la place de Dieu parce que ce serait le pire : le clergé deviendrait une idole ! Mais il faut qu’il y ait quelqu’un qui manifeste que, quand nous sommes rassemblés en Église, nous reconnaissons la voix de quelqu’un d’autre. Il faut qu’il y ait quelqu’un qui nous dise : « Attention ! Nous ne sommes pas là pour identifier Dieu par nous-mêmes et par nos propres forces ». Il faut que quelqu’un nous renvoie au secret, à l’intimité et au mystère de la voix de Dieu. Le ministère dans l’Eglise, c’est exactement cela.

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Petit exemple qui peut être évocateur : lors de l’assemblée eucharistique, le prêtre ne communie pas à votre place, il ne prie pas à votre place, il n’intercède pas à votre place. Qui célèbre alors ? Vous tous, frères, vous célébrez l’eucharistie avec nous, les prêtres. Et quand nous disons par habitude : les célébrants et les concélébrants, pour désigner les seuls ministres, nous avons tort, le langage nous trahit. Mais cela ferait tellement drôle de dire : « Voilà que le président va entrer ». En français, cela ne passerait pas. Mais en réalité, il n’y a pas que ceux qui sont autour de l’autel qui célèbrent, c’est toute l’Église, toute la communauté qui célèbre. Donc les célébrants, c’est nous tous, et le prêtre en l’occurrence assure une fonction de présidence. Qu’est-ce à dire ? Simplement par sa présence, par ses paroles et par les gestes qu’il pose au milieu de l’assemblée, il signifie que, si nous sommes rassemblés aujourd’hui, ce n’est pas simplement par notre propre volonté, que si nous croyons aujourd’hui, ce n’est pas simplement parce que nous avons essayé d’élaborer un petit système qui réponde à nos demandes religieuses, que si nous recevons le Corps du Christ, ce n’est pas nous qui l’avons « fabriqué ». Il signifie que c’est le Christ et le Christ seul qui accomplit tout cela. Et le prêtre est là simplement pour dire et signifier : « Attention, ce n’est pas nous qui sommes à la source des actes sacramentels qui sont posés maintenant, c’est le Christ ». C’est le Christ qui est à l’origine de notre rassemblement, c’est le Christ qui est à l’origine du corps et du sang que nous allons partager, c’est le Christ qui est là, qui nous fait entendre sa Parole, c’est le Christ qui baptise. C’est le Christ qui vient d’ailleurs, qui est transcendant, qui nous dépasse et qui est là, au milieu de nous.

Jésus tête de l'EgliseC’est la raison pour laquelle l’Église a besoin de prêtres. Vous me direz : c’est un peu mince, ce n’est ni très productif ni très satisfaisant du point de vue du pouvoir. Le Christ a voulu qu’il y ait au milieu du peuple des serviteurs qui manifestent au milieu de l’Assemblée que tout ce que nous faisons, tout ce que nous sommes, ce n’est pas par nos propres moyens, par nos propres forces, par notre propre pouvoir ou notre propre productivité que nous le faisons, mais par la présence et l’action de quelqu’un, le Bon Pasteur.

Je sais qu’une telle compréhension des ministères ne résoudra pas tous les problèmes de vocation. Mais quand on a déjà situé un problème, on a au moins les données pour le traiter et y répondre. Qu’aujourd’hui, en ce jour où nous célébrons le Bon Pasteur et où nous posons cet acte de nous rassembler dans l’eucharistie pour recevoir en nourriture son corps et son sang, nous essayions de mieux percevoir dans la foi ce qu’est l’Église, la place des ministères dans l’Église, celui du pape, des évêques, des prêtres. Comprenons aussi ce que serait l’Église, si elle était privée de l’exercice des ministères : ce serait une assemblée religieuse complètement fermée sur elle-même, de type sectaire ou gnostique, et vous n’accepteriez sûrement pas d’y mettre les pieds.

Posons donc aujourd’hui un geste de foi dans le fait que le Christ, Bon Pasteur, ne peut pas abandonner son Église, en la privant des ministres qui sont indispensables pour qu’elle soit l’Église. Au milieu de l’Église, il faudra toujours qu’il y ait de tels hommes : non pas pour être le Christ à la place du Christ, mais pour être en vérité les signes de la présence du Christ, des signes humbles, des signes serviteurs, des signes qui aident leurs frères à découvrir la véritable présence de Dieu au milieu d’eux et dans leur propre vie. Amen.

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4ième Dimanche de Pâques par P. Claude Tassin (17 Avril 2016)

Actes des Apôtres 13, 14.43-52 ( » Nous nous tournons vers les nations païennes « )

La vocation d’apôtre est un appel intérieur, une « révélation », selon la conviction de Paul en Galates 1, 15-16. Mais elle relève conjointement du jeu des événements, comme on le voit dans l’épisode des deux sabbats à Antioche de Pisidie (en Turquie), au cœur du premier voyage missionnaire de Paul. Les synagogues s’ouvraient volontiers aux païens, convertis ou simples sympathisants. On désigne ceux-ci comme des « craignant-Dieu » ou par d’autres formules voisines ; ce que le lectionnaire traduit par l’expression « convertis qui adorent le Dieu unique ».

La mission de Serviteur…

Les synagogues antiques aimaient donner la parole à des prédicateurs de passage, tels Paul et Barnabé. Mais il y avait des limites ! Le second sabbat tourne à l’aigre, de par la jalousie des Juifs devant l’afflux de païens venus écouter les deux voyageurs. Ceux-ci découvrent alors l’ampleur de leur mission : Israël est le premier élu, mais cela ne doit pas bloquer l’accomplissement de la prophétie du *Serviteur de Dieu à laquelle se réfèrent Paul et Barnabé pour dire qu’ils se tournent désormais plus résolument vers les païens.

… à la suite de Jésus

Relevons un trait important. La rupture expérimentée par Paul et Barnabé avait d’abord été vécue prophétiquement par Jésus au début de son propre ministère, dans la synagogue de Nazareth (relire Luc 4, 16-30) : l’authenticité de la mission des apôtres se mesure par une identité, parfois tragique, avec le destin du Christ. On se rappelle, en ce dimanche de prière pour les vocations, que tout ministère vécu en vérité, s’accompagne d’épreuves, parce qu’il s’affronte à des clivages dûs à l’accueil ou au refus de la parole de Dieu.

Le Serviteur de Dieu (cf. l’encadré du vendredi saint) est « la lumière des nations » (Isaïe 42, 6), « jusqu’aux extrémités de la terre » (49, 6). Au 1er siècle de notre ère, l’interprétation s’organise ainsi : 1) Pour les Juifs, il s’agit d’Israël apportant aux nations la lumière du vrai Dieu. 2) Pour les chrétiens, c’est Jésus, réalisant cette vocation à laquelle Israël a failli (ainsi Luc 2, 32; Actes 26, 23). 3) Pour Paul et Luc, les apôtres (qui sont des Juifs) assurent la relève de cette vocation à la fois par rapport à Israël et à Jésus.

Psaume 99 (« Nous, son peuple, son troupeau »)

Ce poème est bref, construit en quatre strophes comportant chacune trois vers. Notre liturgie omet la troisième, qui répète un peu la première. Le titre du cantique, « pour l’action de grâce » (hébreu tôdâh), peut induire en erreur/. Car ici, nul récit d’une épreuve dont Dieu aurait libéré le psalmiste. Il s’agit plutôt d’une invitation à la louange lancée au monde entier, Que tous se rendent au Temple, afin d’acclamer rituellement le Seigneur dans la joie, de le « servir » (= lui rendre un culte). Il faut « venir à lui », littéralement : « « venez à sa face », une expression classique orientale pour dire : venir en pèlerinage (comparer Zacharie 8, 21-22).

  N’oublions pas la pointe de cet appel universel. Les nations païennes venant en pèlerinage à Jérusalem reconnaîtront la merveille de l’élection du peuple de Dieu qui s’exprime ici : en nous voyant en fête, « reconnaissez »  que notre Dieu est vraiment (un) Dieu. Il a fait de nous son peuple. Il a fait alliance avec nous : « Nous sommes à lui ». L’expression sous-entend, en effet, la réciproque : « Vous êtes pour moi un peuple. » Mieux encore, « nous sommes son troupeau. » C’est-à-dire qu’il est notre roi, selon la symbolique de l’Orient ancien qui voit dans le souverain le berger et, dans le peuple dont il prend soin, le troupeau.

  En ce dimanche de prière pour les vocations, c’est cette expression « pastorale » qui a commandé le choix de ce psaume. Le peuple chrétien prie pour qu’à travers ses pasteurs honnêtes se révèle que le Seigneur est bon et éternels son amour et sa fidélité.

Apocalypse 7, 9.14b-17 («  L’Agneau sera leur pasteur pour les conduite aux souces des eaux de la vie »)

Après avoir décrit le jugement terrible contre un monde hostile à Dieu, le visionnaire de l’Apocalypse découvre la fin qui nous attend, non pas un malheureux petit reste selon certaines autres apocalypses juives, mais une foule immense venue de tous les horizons. C’est l’ensemble de ceux qui, au long de l’histoire du monde – et donc dès maintenant, ont subi « la grande épreuve » en restant fidèles à la Parole de Dieu.

  Les voici rassemblés pour une gigantesque fête des Tentes en présence de Dieu (le Trône) et du Christ (l’Agneau). Les élus ont en main les palmes que lors de cette fête on portait autour de l’autel du Temple. Leur Exode dans le désert douloureux de la vie terrestre est achevé : ils se « tiennent debout » (symbole de la résurrection), le Dieu d’Isaïe 49, 10 est enfin leur guide à jamais, et c’est un monde joyeusement à l’envers : les élus ont des vêtements blancs parce qu’ils ont été lavés dans le sang de l’Agneau (dans l’Antiquité, c’est le rouge qui est le contraire du blanc, non le noir), mais cet Agneau pascal, c’est le berger ! Et se profile ici le psaume 22, la figure du berger divin, le roi qui guide son fidèle « vers les eaux tranquilles » et le « fait revivre ».

  Enfin, plus besoin de bâtir les huttes de branchages traditionnelles de *la fête des Tentes, puisque « celui qui siège sur le Trône étendra sur eux sa tente » (plutôt que la fade traduction liturgique : « établira sa demeure chez eux »).

La fête des Tentes. « Vous habiterez dans des tentes pendant sept jours… afin que vos générations voient que j’ai fait habiter dans des tentes les fils d’Israël quand je les ai fait sortir du pays d’Égypte » (Lévitique 23, 42 s.). à ce rite et à celui des palmes (« avec des palmes à la main »), s’ajoutait la coutume d’aller puiser de l’eau à la source de Siloé. On en trouve aussi l’écho dans l’Apocalypse : l’Agneau « les conduira vers les eaux de la source de vie ». L’auteur a exploité ces symboles pour nous donner raison d’espérer une fête éternelle.

Jean 10, 27-30 (Le Bon Pasteur donne la Vie à ses brebis)

« Si telle est ton idée de Dieu, moi non plus, je ne crois pas à ce Dieu-là », disons-nous parfois à l’ami incroyant. Et nous, quelle idée nous faisons-nous de l’homme Jésus quand nous disons qu’il est le Messie ? La question oriente notre lecture de l’évangile de ce jour, tiré du discours de Jésus, « Porte des brebis » et « *Beau Berger ». Ce discours est « dispatché » chaque année au 4e dimanche de Pâques, dimanche du « bon pasteur ».

Un conflit

En son état actuel achevé, sous la plume de l’évangéliste, le discours reflète surtout l’affrontement, à la fin du 1er siècle, entre, d’une part, l’Église dite « johannique », qui se fait une très haute idée de la personne du Christ, et, d’autre part,  des Juifs (voire des chrétiens d’origine juive) qui trouvent excessive la manière dont cette Église présente Jésus.

  Car tout part d’une question des Juifs : « Si tu es le Messie, dis-le nous ouvertement » (Jean 10, 24). Que répondre ? Tout dépend de l’image qu’on se fait du Messie. Et, de quelque manière, la foi est un don qui vient de Dieu, qui fait des croyants les brebis de Jésus et qui n’en fait pas pour autant des « moutons ». Le croyant a la certitude d’être connu personnellement (« moi, je les connais », dit Jésus) et il suit le Pasteur parce qu’il sait que celui-ci « donne la vie éternelle » – comme lorsqu’on dit : « Cette relation est pour moi “vitale” : sans lui (ou sans elle), je périrais ». Relation d’une telle force que « personne n’arrachera » les brebis de la main du Berger. L’évangéliste songe peut-être aux « bergers mercenaires » (Jean 10, 12) qui enjôlent les brebis par leurs discours, mais les abandonnent au moment où elles sont en voie de se perdre.

Une triple communion

Mais, dans la mission du vrai Berger, c’est la relation entre les croyants et Dieu lui-même qui s’exprime : le Père a donné les Brebis à Jésus. Car, selon l’Ancien Testament, Dieu s’affirme comme le seul Berger de son peuple (voir le Psaume 22 [23]) et Ezékiel 34). On n’arrache pas les brebis de la main du Christ parce qu’on n’arrache rien à Dieu et parce que, conclut Jésus, « Le Père et moi, nous UN ».

  Voilà donc le sommet du discours : dans le projet de sauver les humains, il y a totale unité entre Dieu et son Envoyé. Et ce salut n’est rien d’autre qu’une communion fraternelle ayant pour ciment l’unité entre le Père et le Fils : « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi » (Jean 17, 21).

  La suite met en valeur l’inouï de cette révélation : les Juifs veulent lyncher Jésus parce que, disent-ils, « tu n’es qu’un homme et tu prétends être Dieu » (Jean 10, 33). L’Envers de la foi chrétienne selon laquelle c’est Dieu qui s’est fait homme !

La charge pastorale

  Qu’est-ce que la vocation à une charge « pastorale » ? C’est entrer dans la communion entre le Christ et son Père pour y entraîner les autres. Mais l’Apocalypse (2e lecture) rappelait que le Pasteur n’est autre que l’Agneau immolé. Toute charge pastorale implique un don total de soi.

Le beau berger. Comment traduire du grec l’expression qui ouvre le discours : le bon pasteur ? le vrai pasteur ? le beau pasteur ? Le texte originel parle de « beau » pasteur parce que les Grecs anciens vibrent à la beauté. Si une chose est bonne et vraie, ils diront qu’elle est belle. Si l’évangile avait été écrit en araméen, il parlerait de « bon » pasteur. Car, pour le Sémite à l’esprit concert, une chose n’est belle et vraie que si elle est d’abord bonne, si elle apporte un bienfait. Au 4e dimanche de Pâques en l’année B, le lectionnaire propose une parenthèse interprétative : « le vrai berger » ; entendons : le berger par excellence, digne de ce nom. Pour se révéler à nous, Dieu use de nos langages et entre dans les mentalités des divers peuples du monde. Déjà en employant l’image du pasteur, l’Ancien Testament appliquait à Dieu le titre qu’on appliquait alors aux souverains et disait par là que Dieu seul peut mener les hommes de manière bonne, belle et vraie. Servir l’Évangile, c’est continuer cet effort d’interprétation.

 




4ième Dimanche de Pâques par le Diacre Jacques FOURNIER

Le Christ Bon Pasteur (Jn 10,27-30)

En ce temps-là, Jésus déclara : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent.
Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, et personne ne les arrachera de ma main.
Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut les arracher de la main du Père.
Le Père et moi, nous sommes UN. »

           

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            « Mes brebis écoutent ma voix », dit Jésus. Or en St Jean, le thème de la voix est lié à l’action de l’Esprit Saint, cette Troisième Personne de la Trinité qui travaille avec le Fils à l’accomplissement de la volonté du Père : le salut de tous les hommes. « L’Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix », dit Jésus (Jn 3,8). Et c’est ainsi qu’il rend témoignage à la Parole donnée par Jésus : il joint sa voix à la sienne. « L’Esprit de vérité me rendra témoignage » (Jn 16,26). Et comment fait-il, quel est donc le ‘contenu’ de sa voix ? Il est de l’ordre de la Vie. L’Esprit Saint parle en communiquant à celles et ceux qui écoutent la Parole de Jésus « quelque chose » qui est de l’ordre de la Vie éternelle : « C’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6). Ecouter la voix de Jésus, c’est donc vivre de sa Vie… Jésus est en effet « le Chemin, la Vérité, et la Vie » (Jn 14,6). Il est le Chemin qui, par la Vérité qu’il nous dit, conduit à la Vie, car « l’Esprit de Vérité » rend témoignage à cette Vérité révélée par Jésus en communiquant justement la réalité de cette Vie que Jésus évoque par ses Paroles…

            Bien sûr, l’Esprit de Vérité ne rendra jamais témoignage à quelqu’un qui serait en désaccord, de cœur, avec cette Vérité. Jésus, « les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix » : elles vivent avec lui « quelque chose » qui est de l’ordre de la Vie, grâce à l’action de l’Esprit Saint dans leur cœur. Mais rien de tel pour « les étrangers » : « Elles ne suivront pas un étranger ; elles le fuiront au contraire, parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers »… Avec eux, pas de « Vie »…

            Ce Mystère de Vie est en fait un Mystère de Communion qui existe en Dieu de toute éternité. Le Père est Plénitude de Vie, et gratuitement, par amour car « Dieu Est Amour », il ne cesse de donne cette Vie à son Fils, l’engendrant ainsi en Fils « né du Père avant tous les siècles ». « Je vis par le Père », nous dit Jésus. Etant ainsi « Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu », le Fils est lui aussi « Amour », et donc « Don de Lui-même ». Et du Don éternel du Père et du Fils « procède » l’Esprit Saint, comme nous l’affirmons dans notre Crédo. Les Trois vivent dans la Communion d’une même Plénitude, qui Est Amour, Lumière et Vie, le Fils la recevant du Père de toute éternité, l’Esprit Saint la recevant du Père et du Fils de tout éternité, en un Mystère d’Amour, de Don gratuit… Et Jésus affirme ici : « Moi et le Père, nous sommes un », bien différents l’un de l’autre, mais unis l’un à l’autre dans la Communion d’une même Lumière, d’une même Vie…                                                                                DJF