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Les fruits du baptême (Lc 3,15-16.21-22 ; Dimanche 10 janvier)

Le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.

Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. 

L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »

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Le baptême de Jésus, fresque du Moyen Age, Notre Dame de Paris

« Moi, je vous baptise avec de l’eau », dit Jean-Baptiste. « Lui », le Christ « vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ». Jean-Baptiste invitait à se reconnaître pécheur, et à exprimer ainsi un besoin de purification. Son baptême dans l’eau s’inscrivait dans la continuité avec tous les rituels de purification en usage à l’époque. Le baptême proposé par Jésus aura donc lui aussi cette dimension mais il sera le seul à être réellement efficace car le seul à pouvoir rejoindre le cœur profond de l’homme, ‘là’ où tout se joue : « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur » (Mc 7,21-23).

Nous les hommes, nous ne pouvons voir que les apparences, mais Dieu, lui, « sonde tous les cœurs et pénètre tous les desseins qu’ils forgent » (1Ch 28,9). « Tu sondes mon cœur » (Ps 17,3), et c’est ce cœur qui compte pour lui… Il le connaît déjà, et il le veut pur. Mais Lui seul peut le purifier… Ce travail nous dépasse… Mais pour qu’il se réalise vraiment, il a simplement besoin de notre coopération sincère, car Dieu nous respecte infiniment… Il ne fera rien pour nous sans notre accord… Il ne nous contraindra jamais à recevoir ses trésors… Certes, il insistera et déploiera tous ses talents pour vaincre nos résistances, mais rien ne se fera sans notre consentement profond à notre vérité de pécheurs acceptée dans l’Amour et offerte à l’Amour… Alors l’Amour accomplira son œuvre : « Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez lavés de toutes vos souillures… Je vous purifierai », et « heureux les cœurs purs », car purifiés : « Ils verront Dieu » (Mt 5,8)… Et comment fera-t-il ? « Je mettrai en vous mon Esprit », l’Esprit Saint, eau pure, spirituelle, qui purifie, eau vive, spirituelle, qui vivifie, éclaire et apaise nos cœurs…

Année jubilaire MiséricordeA nous de jouer, maintenant, jour après jour, en acceptant, avec son aide, Lui qui est toujours bienveillant, de faire la vérité dans nos vies et de lui offrir toutes nos misères… « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29… « Il n’y a qu’un mouvement au cœur du Christ : effacer le péché et emmener l’âme à Dieu… Nous sommes bien faibles, je dirais même que nous ne sommes que misère, mais Il le sait bien, Il aime tant nous pardonner, nous relever, puis nous emporter en Lui, en sa pureté, en sa sainteté infinie. C’est comme cela qu’Il nous purifiera, par son contact continuel » (Elisabeth de la Trinité), par ce Don toujours offert, gratuitement, par Amour, de l’eau pure de l’Esprit…

D. Jacques Fournier




Épiphanie du Seigneur (3 janvier 2016; P. Claude Tassin)

Isaïe 60, 1-6 (Les nations marchent vers la lumière de Jérusalem)

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

enfantImaginons que le poète a gravi très tôt le mont des Oliviers pour saisir les premiers rayons du soleil happant la hauteur du Temple de Jérusalem, tandis que dans la vallée encore noyée d’ombre se devine le mouvement des caravanes, certaines venues de loin et arrivant pour le marché. Mais quand le poète se double d’un prophète, une telle « photo » subit forcément une transfiguration spirituelle. C’est le cas ici, avec celui qu’on appelle Le Troisième Isaïe. En son temps, vers 520 avant notre ère, le retour des exilés de Babylone n’a pas eu l’ampleur espérée et Jérusalem n’a retrouvé ni sa splendeur, ni sa place dans le concert (commercial ?) des nations. Alors, pour exprimer son espérance et la partager à ses lecteurs, l’auteur recourt à un genre appelé « le pèlerinage final des peuples ».

Le pèlerinage final des peuples

Selon certaines traditions bibliques, un jour, dernier événement de l’histoire, tous les peuples convergeraient en pèlerinage à Jérusalem, pour une paix définitive et éternelle sous l’égide du Seigneur. Le plus ancien de ce genre de poèmes s’ouvre ainsi : « Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la maison du Seigneur se tiendra plus haute que les monts, s’élèvera au-dessus des collines. Vers elle couleront toutes les nations et viendront des peuples nombreux » (Isaïe 2, 2-3). Dans l’idéal, le scénario est le suivant : Dieu réunira les habitants de la terre d’Israël, puis, de manière concentrique, les Juifs de la Diaspora et, dans leur sillage, les païens subjugués par la puissance divine. Selon Isaïe 25, 6-8 ce sera un festin sur la montagne du Temple, dans l’ère de la résurrection, quand le Seigneur « fera disparaître la mort pour toujours ». Mais, en fonction des aléas et des malheurs de l’histoire, ce genre de poèmes peut subir d’étranges inversions. Ainsi Joël 4, 17, dans sa relecture d’Isaïe 2, 2-4, conclut : « Jérusalem sera un lieu saint, les étrangers n’y passeront plus. » Entre ces extrêmes, au temps de l’exil et du maigre retour des exilés, l’espérance prend encore une autre tournure, comme chez le prophète que nous lisons aujourd’hui.

La lumière nouvelle de Jérusalem

117Pour notre prophète, dans sa contemplation matinale de la ville, ce n’est pas le soleil qui se lève, mais la présence du Seigneur. Alors tout s’ébranle de partout, d’au-delà des mers et du désert. Les nations qui avaient traîné en captivité, à pied, les fils et les filles de Jérusalem vers leur exil à Babylone, les ramènent dans leurs bras ; elles avaient pillé la Ville, voilà qu’elles apportent leurs propres richesses pour orner le Temple, attirées par l’éclat du Seigneur.

 

Pour plus de clarté et comme le faisait déjà la Bible grecque d’Alexandrie, le lectionnaire ouvre ce chapitre par cette expression « Debout, Jérusalem ». En fait, ménageant un suspense, le poète n’évoquera que plus loin « Jérusalem », dans les termes suivants : « Ville du Seigneur, Sion du Saint d’Israël » (Isaïe 60, 14). Mais, dans l’épisode des mages (évangile du jour), ce privilège de la Ville du Seigneur se voit contesté.

Jérusalem contestée

Pour Matthieu s’appuyant sur la prophétie de Michée 5 (voir l’évangile de ce jour), c’est non pas vers Jérusalem, mais vers l’humble bourgade de Bethléem que se dirigeront les mages, représentants des nations et « apporteront des présents » (Psaume 71 [72]). S’il y a une ville-lumière attirante, ce doit être la personne du Christ (cf. Matthieu 4, 12-16) et la communauté de ses disciples (cf. Matthieu 5, 14-16). Enfin, le lieu du rassemblement final de ceux « du levant et du couchant » ne sera plus aucune cité géographique, mais le Royaume de Dieu (Matthieu 8, 11-12), autour du Christ ressuscité.

 

*Les pèlerinages, aujourd’hui encore, symbolisent le rassemblement des hommes de tous horizons dans la joie de Dieu, pas forcément de leur Dieu.. De siècle en siècle, les prophètes d’Israël brodèrent sur ce thème : à la fin des temps, Dieu convoquera ses enfants dispersés et tous les païens convertis, soumis au Peuple élu. Ils viendront l’adorer à Jérusalem et, sous le règne de Dieu, le monde vivra dans une paix éternelle (voir déjà Isaïe 2, 2-4). Jésus lui-même reprendra ce thème en le dépouillant de toute visée nationaliste (cf. Matthieu 8, 11-12).

 

Psaume 71 (« Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront »)

Dans le psautier, ce poème fait partie des textes appelés « psaumes royaux ». Ils chantent non pas directement la royauté de Dieu proclamée dans les « psaumes du Règne », mais celle du roi humain (le messie) que Dieu délègue, depuis l’ élection de David, pour gouverner son peuple.

Crucifix séminaire de Rennes

Un « protocole »

Quant à sa forme, notre psaume est un protocole. Dans les cours royales de l’Orient ancien, ce terme technique signifiait une proclamation solennelle, faite par un prophète, un haut courtisan ou un régent, lors de l’intronisation du nouveau roi. C’était à la fois, comme toujours à travers âges, cultures et régimes politiques, une ratification du nouveau règne, et un programme politique de justice que le souverain, selon les notables, les prophètes, aurait à respecter. Sinon, ce serait la ruine, et pour le peuple et pour le roi lui-même.

Un roi de justice

Quant au protocole ici produit, le psalmiste inspiré par Dieu n’a sans doute pas assisté à une telle cérémonie royale. Il rêve, à partir de ce qu’il a lu ici et là dans l’Orient. Il songe à un souverain idéal qui se signalerait sur deux plans :

1) Il aurait un rayonnement universel, symbolisé par l’offrande des présents royaux des nations. On comprend de ce point de vue comment la tradition chrétienne a élaboré la figure des « rois » mages.

2) Ce nouveau roi se signalerait par son souci des pauvres, des malheureux, des faibles. Dans son vocabulaire de la pauvreté, le psaume est bien plus diversifié que dans nos traductions. Déjà la version grecque des psaumes à Alexandrie avait renoncé à rendre cette subtilité. Au milieu des scènes grandioses de l’Épiphanie, il est bon que le psaume nous rappelle une formule clé de l’Évangile : « Heureux, vous les pauvres… » (Luc 6, 20). On pourrait paraphraser la béatitude par ces mots : Heureux, vous les pauvres, car Dieu est fatigué de vous voir pauvres. L’Épiphanie serait-elle alors un programme ?

 

Éphésiens 3, 2-3a.5-6 (L’appel au salut est universel)

Vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère…

Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. 

Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.

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La venue des nations à la lumière du Seigneur est annoncée dans la première lecture et s’inaugure symboliquement dans le voyage des mages (évangile). La deuxième lecture, s’écartant de Jérusalem et de Bethléem, éclaire et actualise le sens profond de ce salut universel. Elle est tirée de l’épître aux Éphésiens, en un passage (Éphésiens 3, 1-13) centré sur la notion de « mystère ». Le texte envisage successivement la fonction missionnaire des apôtres et le résultat de leur mission, résultat toujours en voie de réalisation.

Les apôtres et le Mystère

Communion des saints avec le ChristDans sa lettre aux Galates (1, 15-16), Paul présentait sa vocation en ces termes : Dieu, dans sa bienveillance, « a trouvé bon de révéler en moi son Fils, pour que j’en porte l’Évangile parmi les nations païennes. » L’auteur de Éphésiens relit cette vocation de Paul sous l’angle de la révélation du Mystère, et il l’élargit à tous les apôtres et prophètes chrétiens de son époque.

Le Mystère

Les premiers lecteurs des épîtres connaissaient chez les païens les « cultes à mystères », comprenons les rites secrets par lesquels les initiés obtenaient des dieux le salut, c’est-à-dire surtout la protection contre les puissances néfastes d’ici-bas et l’assurance du bonheur après la mort.

Dans la Bible, le mot mystère, appliqué à Dieu, apparaît assez tard (Daniel 2, 20-30). À l’origine, il s’agit des secrets qu’un souverain ne divulgue qu’a de proches initiés. En ce sens, le pseudo-Salomon du livre de la Sagesse (6, 22) se propose de révéler à ses lecteurs les mystères de la Sagesse divine.

Le mystère du Christ ? Réinterpréter le mot.

L’épître aux Éphésiens applique ce mot au Christ, seul révélateur par qui Dieu se fait connaître – car tout mystère ne se comprend que par une révélation. Le Mystère, en régime chrétien, enveloppe un univers vertigineux. On le perçoit, quand les épîtres évoquent tour à tour, en différents textes, le Mystère, ou le mystère de Dieu, ou le mystère du Christ, ou le mystère de l’Évangile.

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Alors, si ce Mystère tellement riche est « révélé » à tous les chrétiens…, c’est qu’il ne fait plus mystère. Le sens moderne du mot est une erreur. On songe à quelque chose défiant toute compréhension, selon l’expression triviale : « mystère et boule de gomme ! » Un terme d’aujourd’hui approcherait au mieux ce vocabulaire des épîtres. C’est le mot « secret ». Devant un secret, on reste bouche bée. Un secret de famille n’est connu que d’initiés. Mais s’entendre dire : « je vais te livrer un secret » est un honneur, un signe de confiance et d’amitié. Or, Dieu, par le Christ et par son Évangile, nous livre « le mystère de sa volonté » (Éphésiens 1, 9 ; comparer Romains 16, 25-27) ; il nous dévoile le secret de ce que depuis toujours il projetait de réaliser en notre faveur.

L’aboutissement du Mystère

Plus haut dans l’épître, l’auteur écrivait ceci : « Vous qui autrefois étiez païens (…), vous n’aviez pas de Christ, vous n’aviez pas droit de cité avec Israël, vous étiez étrangers aux alliances et à la promesse. » Mais, par son sang, c’est « le Christ qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité (…), un seul homme nouveau (…) en un seul corps » (Éphésiens 2, 11…16).

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Le « droit de cité » évoque la citoyenneté, une citoyenneté gréco-romaine à laquelle les communautés juives de la Diaspora aspiraient au long de leur histoire et que l’Empire païen leur refusait. Or, voici que les choses s’inversent : désormais les chrétiens de souche païenne et ceux d’origine juive sont, dans l’Église, concitoyens à égalité.

À présent, dans la lecture d’aujourd’hui, l’auteur reprend son propos sous un angle plus théologique. Les chrétiens venus du paganisme sont, plus littéralement traduit, « co-héritiers, co-incorporés, co-participants de la promesse ». Ils héritent de tout ce que Dieu avait promis à son peuple, depuis Abraham (Genèse 12, 1-3). Les croyants, sans distinction d’origine, forment un seul corps (Éphésiens 2, 16) sous une seule Tête (1, 22-23). Cette unité nouvelle, toujours en construction, a une dimension cosmique. C’est en contemplant la réalité de l’Église que les êtres invisibles, selon cette épître, ont découvert le mystère de Dieu, grâce à la proclamation de l’Évangile du Christ Jésus et à ses résultats : « Désormais les Puissances célestes elles-mêmes connaissent, grâce à l’Église, les multiples aspects de la Sagesse de Dieu » (Éphésiens 3, 10).

Le Mystère : une mission

Voilà le Mystère dévoilé : malgré ses insuffisances, l’Église est capable d’unir sous une seule Tête, le Christ, les ennemis d’hier. Construire cette unité est sa mission même. Elle annonce au monde que l’unité est possible. L’Épiphanie de Dieu se profilait dans le pèlerinage final des peuples à Jérusalem (1ère lecture) ; mais, pour l’évangile de la visite des mages, c’est vers le Christ lui-même que viennent les nations. Et désormais, c’est l’Église universelle qui est l’Épiphanie du Christ (2e lecture).

*Le Mystère. Dans l’épître aux Éphésiens le Mystère est le contenu de l’Evangile. Dans les apocalypses juives, le mot évoque le plan de Dieu sur la vie des hommes et l’histoire du monde, plan révélé à quelques privilégiés. Chez les païens gréco-romains, les mystères sont les rites secrets qui introduisent l’initié dans l’intimité d’un dieu. Pour Ephésiens, le plan de Dieu se réalise par le Christ et se voit dans la vie chrétienne : il n’y a plus à chercher le sens de la vie dans quelque cercle ésotérique.

 

Matthieu 2, 1-12 (Nous sommes venus d’Orient adorer le roi)

 

Sous le vernis d’une belle histoire, la visite des mages, Matthieu embrasse symboliquement dans cet épisode toute la destinée de Jésus. C’est un résumé de l’Évangile. Déjà Jérusalem rejette son Messie ; déjà les païens viennent adorer celui qui dira un jour à ses disciples : « De toutes les nations faites des disciples » (Matthieu 28, 19) À partir du rôle de l’Étoile, l’épisode se divise en deux parties : le nouement et le dénouement de l’épisode.

 Epiphanie 3

Le drame se noue

Dans la Bible, les mages, mi-savants, mi-astrologues et interprètes des rêves, sont des personnages équivoques, peu appréciés (cf. Actes 13, 6 s.). Les plus réputés sont ceux de Mésopotamie. Déjà le Livre de Daniel (1 – 6) ridiculise leur incapacité. Il est fort possible que Matthieu ait en tête cet aspect négatif, pour souligner que des païens ont reconnu le Christ avant le peuple de Jérusalem, déjà hostile. La tradition chrétienne a fait d’eux des rois, en référence au Psaume 71 (cf. ci-dessus). L’évangile ne précise pas leur nombre. L’Occident compte trois rois, un par cadeau apporté à l’Enfant. Mais d’autres Églises antiques les voient, en certaines de leurs fresques ou mosaïques, comme un cortège bien plus étoffé.

Ici, les mages ont vu se lever l’Étoile annonciatrice de l’avènement du « roi des Juifs ». Alors que les Juifs parlaient du Christ ou Messie, ce titre est toujours mis, dans les évangiles, sur des lèvres païennes, comme lors de la Passion en Matthieu 27, 11, dans la bouche de Pilate, un païen lui aussi.

L’Epiphanie 4

Matthieu s’amuserait fort sans doute des spéculations astronomiques que son étoile a suscitées au long de l’histoire, notamment pour dater la naissance de Jésus. En fait, l’astre dont il parle n’est pas une nova et ne se trouve pas sur la voûte céleste. Il se trouve dans la Bible. Selon le livre des Nombres 24, 17, se lèverait un jour « l’Étoile de Jacob » ; et les Juifs comprenaient que, sous ce symbole, il s’agissait du Messie. Au temps de Matthieu, les synagogues interprétaient ainsi l’oracle de Balaam (un « mage » païen, d’ailleurs), selon nos italiques montrant à propos de cet astre leurs modifications du texte biblique : « Je le contemple, mais il n’est pas proche. Un roi doit se lever d’entre ceux de la maison de Jacob, un libérateur et un chef d’entre ceux de la maison d’Israël. »

Le texte évangélique, dans sa logique, ne dit pas, malgré de splendides peintures ultérieures, que l’astre a guidé la route des mages. Ils l’ont vu « à son lever », à son apparition. Simplement, après cette apparition, ils viennent se renseigner tout naturellement à Jérusalem, centre du monde juif : Où trouver ce roi, demandent-ils ?

D’emblée, le cruel Hérode, selon une réputation bien établie par les historiens, craint un rival. Voici réunis « les grands prêtres et les scribes » qui plus tard condamneront Jésus. Ces experts de l’Écriture Sainte citent spontanément la prophétie de Michée 5, 1 situant la naissance du Messie à Bethléem. Le choix du texte prophétique, par Matthieu, parmi tant d’autres possibles, n’est pas innocent : seul Michée qui n’aime pas Jérusalem situe la naissance du Messie à venir dans l’humble bourgade de Bethléem, patrie du roi David, fils de Jessé.

jesus-pantocrator-wbPlus que l’Étoile, la Parole de Dieu sera donc le guide déterminant des mages. Les autorités juives interprètent correctement l’Écriture, mais ne bougent pas. Pire, d’après la suite du récit, Hérode cherche bien le Messie, mais pour le supprimer. Il incarne par là le mauvais pharaon qui fit périr les enfants des Hébreux – parce que, disait une légende juive, il voulait supprimer le Sauveur des Hébreux (Moïse) qu’il avait vu par avance en un songe que ses « mages » (égyptiens) avaient décrypté pour lui. Dès sa naissance, Jésus apparaît comme le nouveau Moïse persécuté. Mais on voit, sous la plume de l’évangéliste, la splendide inversion symbolique de l’histoire sainte : Pharaon le païen et ses mages étaient les méchants. À présent, les mages païens sont les bons et Hérode, le roi juif, est le méchant. Dans l’histoire chrétienne ultérieure, il y aura bien d’autres inversions de ce genre.

Le drame se dénoue

que-joie« Ils partirent. » Réorientés par l’Écriture entendue à Jérusalem, les mages retrouvent l’Étoile qui, cette fois, les conduit jusqu’au Messie : à la vue de l’astre, « Ils se réjouirent, d’une très grande joie ». Deux autres fois seulement, Matthieu évoquera la joie, celle de l’homme qui découvre le trésor du royaume des Cieux (Matthieu 13, 44) et la « grande joie » des femmes apprenant de l’Ange la résurrection de Jésus (Matthieu 28, 8).. Ces trois emplois peuvent guider toute une méditation.

 

À leur arrivée, par avance en vrais disciples, les mages « se prosternent ». Leurs offrandes symbolisent les offrandes qui, dans l’Ancien Testament, sont apportées par les nations et les rois au Temple ou au Messie (cf. 1ère lecture et Psaume 71). Plus tard, les Pères de l’Église trouveront un sens métaphorique pour chacun des trois dons. Ainsi, saint Pierre Chrysologue (380-450), dans son homélie pour l’Épiphanie : « Aujourd’hui, les mages considèrent avec une profonde stupeur ce qu’ils voient ici : le ciel sur la terre, la terre dans le ciel ; l’homme en Dieu, Dieu dans l’homme ; et celui que le monde entier ne peut contenir, enfermé dans le corps d’un tout-petit. (…) Et dès qu’ils voient, ils proclament qu’ils croient sans discuter, en offrant leurs dons symboliques : par l’encens, ils confessent Dieu ; par l’or, le roi ; par la myrrhe, sa mort future. ». En Exode 30, 23, la myrrhe entre dans la composition de l’huile sainte servant à l’onction de l’autel et des prêtres.

Puis, le projet homicide d’Hérode échoue, grâce à l’intervention divine. Les mages s’en retournent « par une autre voie », par une nouvelle manière de vivre peut-être.

L’avant-garde des nations

Jésus christChez Matthieu, pas de récit de la Nativité, point de visite de bergers devenant les premiers missionnaires. Chez lui, la première manifestation du Christ est pour les païens, mais des païens qui le reconnaissent comme « le roi des Juifs ». Pour Matthieu, nul n’accède au Christ s’il ne reconnaît pas que Jésus fut d’abord et reste le Messie de cet Israël auquel il a consacré tout son ministère terrestre (cf. Matthieu 15, 24). Au seuil de l’évangile, voici donc l’avant-garde de païens qui découvrent le Christ par leur science équivoque, plus ou moins magique, mais dans l’obéissance aux Saintes Écritures : c’est la première leçon missionnaire de l’évangéliste.




Sainte Marie Mère de Dieu (vendredi 1er janvier 2016; P. Claude Tassin)

Nombres 6, 22-27 (Vœux de paix et de bonheur)

Le Seigneur parla à Moïse. Il dit : « Parle à Aaron et à ses fils. Tu leur diras : Voici en quels termes vous bénirez les fils d’Israël : “Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !” Ils invoqueront ainsi mon nom sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai. »

 

dieu prend soin de son peupleAu seuil de l’an nouveau s’échangent des vœux de prospérité et de bonne santé. La liturgie, elle, nous offre la parole efficace de Dieu dans cette « bénédiction sacerdotale ». Ce texte semblait si sacré que les prêtres, seuls habilités à le prononcer, ne le disaient qu’en hébreu à la synagogue, sans le traduire en araméen, la langue du peuple. Cette bénédiction se déploie en trois formules.

Au sens premier

1) « Que le Seigneur te bénisse et te garde » : « Bénir c’est accroître la vie des hommes, garder c’est la protéger contre tout ce qui la menace. Les deux actions se complètent » (P. Buis).

2) « Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage… » Entrant en présence du souverain – car c’est une formule royale –, nous souhaitons qu’il nous offre un visage souriant, signe de ses bonnes dispositions envers nous.

3) « Que le Seigneur tourne vers toi son visage… » Quand Israël est dans le malheur, il dit que Dieu a « détourné son visage » (cf. Psaume 43 [45], 25). Que Dieu nous regarde, qu’il s’occupe de nous, et son regard nous apportera la paix – en hébreu shalom, c’est-à-dire le bien-être, une pleine harmonie avec nous-mêmes, avec les autres, avec la création, et avec Dieu, *une paix intérieure, surtout.

La bénédiction invoque trois fois le nom du « Seigneur » (Yahweh), pour marquer sa pleine présence, un nom, semble-t-il, que le grand prêtre ne prononçait que le jour du Kippour, dans les célébrations juives du nouvel an. Au seuil de l’an nouveau, nous souhaitons une relation de paix sans nuage avec notre Dieu, avec les humains et la création, un bien plus précieux que la santé.

L’avenir d’un texte sacré

Un texte biblique ne vaut pas seulement par son sens littéral premier, mais par le surcroît de sens que lui ont donné des générations de croyants. Dans le targoum araméen des synagogues anciennes, cette bénédiction est ainsi paraphrasée : « Que le Seigneur te bénisse en toutes tes occupations ! Qu’il te garde des démons de la nuit et des mauvais esprits, des démons de minuit et des démons de l’aurore, des démons des ruines et des démons du soir. » La valeur protectrice de cette bénédiction a perduré dans l’histoire chrétienne. François d’Assise avait recopié ce texte biblique de sa propre main pour que frère Léon le porte sur lui en une période de tentations et de dépression. Ainsi ce texte est devenu la prière des familles franciscaines.

* Une paix intérieure. « La réponse de l’âme à la Lumière se traduit par l’adoration et la joie intérieures ; par la reconnaissance et l’hommage, le don de soi, le silence qui écoute. Les lieux secrets du cœur cessent d’être un atelier bruyant, pour devenir un sanctuaire d’adoration où nous nous offrons en oblation à Dieu, où l’Éternel garde en paix ceux qui sont fermes dans leurs sentiments et se confient “en Celui qui connaît les plus intimes de notre vie” » (Thomas R. Kelly, quaker [1893-1941], La Présence ineffable).

 

Psaume 66 (« Que les nations chantent leur joie »)

 

Ce poème s’inspire de l’antique bénédiction sacerdotale (1ère lecture). Comparer les expressions : Que le Seigneur te bénisse… et Que le Seigneur vous prenne en grâce et vous bénisse. De même : Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage et Que son visage s’illumine pour nous.

Paris Surréalistes+annexes

Du cadre d’Israël à l’horizon des nations

La bénédiction sacerdotale se concentrait sur la faveur divine à l’égard d’Israël, désigné à la 2e personne du singulier, tandis que notre psaume élargit la perspective à la terre, le monde, toutes les nations. Plus précisément, Israël s’exprimant ici en « nous » en appelle à une pleine bénédiction sur lui-même, en sorte que le monde découvre dans le bonheur du Peuple élu un Dieu préoccupé de toutes les nations. Ce salut universel se concrètise en une prospérité agricole : La terre a donné son fruit. On sait que, dans certains courants de l’Ancien Testament, les bonnes récoltes relèvent d’une bénédiction divine, tandis que les mauvaises signifient une malédiction (voir la logique du célèbre chapitre de Deutéronome 28)

Les joies de l’ambiguïté poétique

Par son langage poétique, le psaume est à dessein ambigu. On peut comprendre que le psalmiste invite les peuples à connaître la conduite de Dieu (« ton chemin ») en constatant la prospérité d’Israël. On peut penser en même temps qu’il souhaite voir les nations païennes bénéficier des bénédictions accordées à Israël. Ou encore, les peuples seraient appelés à reconnaître dans leur propre prospérité l’action du Dieu dont se réclame le Peuple choisi. Sans doute, avec humour peut-être, le poète a-t-il conscience de ces tensions. À ses premiers lecteurs de se situer. Valorisent-ils l’élection unique d’Israël ? Pensent-ils plutôt que cette élection doit déboucher sur un témoignage éclairant les nations ?

Ambiguë tout autant, la forme du poème. Est-ce une prière de demande ? Selon la flexibilité de la grammaire hébraïque, l’expression la terre a donné son fruit peut se traduire aussi : que la terre donne son fruit. Est-ce un chant de louange et d’action de grâce ? En tout cas, l’expression « ton chemin » renvoie à la conduite du Roi de l’univers qui apporte le salut, qui gouverne le monde avec justice et, tel un berger, conduit les nations.

BonPasteur

Une relecture incessante

Ces ambiguïtés relèvent d’une plasticité poétique qui ouvre au psaume une postérité de sens pour les lecteurs ultérieurs. Dans l’expression « la terre a donné son fruit », certains pères de l’Église liront l’apparition du Christ en notre monde. De même, dans le vers « ton chemin sera connu sur la terre », l’imagination fertile et légitime de saint Augustin verra une prophétie de celui qui dira : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jean 14, 6). Des générations de missionnaires pourront même entendre dans ce psaume une annonce du rayonnement universel de l’Évangile, selon la déclaration de Paul : « C’est aux nations que ce salut de Dieu a été envoyé. Les nations, elles, écouteront » (Actes 28, 28). Lecture sans cesse recommencée ! Comment prier ce psaume, au seuil de l’an nouveau, dans le contexte douloureux des conflits du Proche Orient ?

 

Galates 4, 4-7 (« Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme »)

Paul résume ici l’aventure chrétienne : sans la foi, nous étions des « esclaves ». Nous voici devenus libres et, mieux encore, « fils ». Aux versets 1 à 3, il rappelait qu’à son époque et dans sa société, l’enfant ne se distinguait guère de l’esclave, puisqu’il se trouvait soumis à toutes sortes de tutelles, jusqu’au jour où son père le déclarait majeur. Paul songe à une double situation d’enfance assujettie, d’immaturité : celle du païen, servant des dieux trompeurs, et celle du Juif, sujet de la Loi mosaïque.

Or, à présent, Dieu « a envoyé son Fils » avec mission de payer notre affranchissement de toutes ces tutelles. Le prix que payait le Christ pour cela était simplement celui de l’amour : une vie de solidarité, jusqu’à la mort, avec ceux qui « sont sujets de la Loi ». Dieu a aussi envoyé en nous l’Esprit de son Fils et nous entrons ainsi dans la relation de respect et d’amour qu’il a avec ce Fils. L’esclave n’a pas la parole. Au contraire, l’Esprit nous fait parler librement à Dieu comme à notre père, et même à notre « papa », selon le mot araméen Abba par lequel Jésus s’adressait à Dieu (voir Marc 14, 36).

Huit jours après Noël, l’Église honore *Marie par qui s’est réalisée, dans la simplicité d’un accouchement, cette union de Dieu avec l’humanité : car le Fils qui nous rachète est « né d’une femme ».

Marie Basilique du Rosaire Lourdes

*Marie.. Nulle part ailleurs Paul ne fait allusion à Marie. Notons le parallèle qu’il établit ici : « né d’une femme, né sous la Loi ». Cette double expression souligne avant tout la condition fragile du Fils, solidaire d’une humanité assujettie au régime d’une Loi divine, éclairante parce qu’elle dénonce le péché, mais incapable de nous délivrer du péché. Comme d’autres sages, Job s’exclamait : « L’homme, né de la femme, a la vie courte et des tourments à satiété ! » (Job 14, 1). C’est l’honneur de Marie d’avoir introduit le Fils de Dieu dans notre faiblesse.

Luc 2, 16-21 (Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision)

L’épisode se déploie en quatre phases : c’est d’abord le message des bergers, puis les réactions intérieures de Marie et l’élargissement de l’annonce des bergers, à « tous ceux qui les entendirent », première prédication de l’Évangile. C’est enfin la nomination de Jésus, lors de sa *circoncision « le huitième jour ».

L’annonce des bergers

Enfin, les bergers arrivent à la crèche ! L’évangile fait suite à celui que nous entendions la nuit de Noël. Les bergers ont obéi à l’ordre implicite de l’Ange et ils trouvent le signe annoncé : « le nouveau-né couché dans la mangeoire ». Modèle des pauvres qui ont reçu l’Évangile, ils deviennent à leur tour missionnaires, racontant ce que le Ciel leur a révélé (l’apparition d’un Sauveur, d’un Messie, d’un Seigneur). Outre Marie et Joseph, se trouvent sans doute là des parents et des voisins, car Luc imagine la présence d’un auditoire. Et, comme plus tard la prédication des apôtres, les paroles des bergers suscitent déjà deux réactions opposées : les uns en restent à un « étonnement » stérile, les autres accueillent le message (comparer Actes 17, 32-34 ou 28, 24-25).

Sainte Famille 2

Marie retenait tous ces événements

Marie Grand Ilet la RéunionCe deuxième camp est représenté par Marie, modèle de l’Église des humbles qui fait confiance à la Parole de Dieu. Selon l’évangéliste, Marie va de découverte en découverte, lorsqu’elle écoute l’ange Gabriel, puis Élisabeth, puis les bergers, avant de se laisser bientôt déconcerter par l’attitude du jeune Jésus retrouvé au Temple (Luc 2, 41-50). Disposée à l’accueil du mystère de Dieu, « elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur ». Ces paroles rappellent l’attitude de Daniel essayant de comprendre sa vision du Fils de l’homme et « gardant ces événements dans son cœur » (Daniel 7, 28), dans l’espérance de leur accomplissement. Si, en cette fête, nous saluons Marie comme la Mère de Dieu, ce titre lui vient d’abord de son écoute silencieuse, disponible et constante de la Parole de Dieu qui se livre au fil et au cœur des événements.

Les bergers, messagers de l’Évangile

Les bergers ont constaté et proclamé ce qui leur avait été annoncé. Ils repartent en rendant grâce publiquement « pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu ». Leur mission continue donc. Luc dessine en eux la figure des premiers apôtres. Car, plus tard, Pierre et Jean diront devant le tribunal : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous vu et entendu » (Actes 4, 20), à savoir la puissance du Christ ressuscité.

Le Nom de Jésus

Christ souriantLe texte s’achève par une mention très sobre du rite de la circoncision, pratiqué selon la règle exacte huit jours après la naissance, un signe que saint Paul revendiquera pour sa part (Philippiens 3, 5). Ce rite scellait l’identité juive du nouveau-né, comme le signe de la Loi de Moïse et de l’Alliance conclue par Dieu avec Abraham. On ne saurait mieux illustrer l’affirmation de Paul (2e lecture) : il est « né d’une femme et soumis à la loi de Moïse. » L’évangéliste insiste davantage sur l’imposition à l’enfant du nom de Jésus (c’est-à-dire « le Seigneur sauve »), dernière mention de l’obéissance de Marie à la parole de Dieu (voir Luc 1, 31).

 

*La circoncision de Jésus. C’est cet événement que, selon le calendrier, la liturgie salue, « le huitième jour » (l’octave) après la nativité du Seigneur. Avant le Concile Vatican II, ce jour s’intitulait « la Circoncision de Notre Seigneur » et saluait ainsi l’enracinement humain de Jésus et la continuité de l’Alliance divine avec le Peuple élu : « Le Christ s’est fait le serviteur des (Juifs) circoncis, en raison de la fidélité de Dieu, pour réaliser les promesses faites à nos pères » (Romains 15, 8). Certains Juifs sympathisants du catholicisme regrettent que nous ayons abandonné le titre pré-conciliaire de cette fête, et certains catholiques sympathisants du judaïsme le regrettent aussi.




La Sainte Famille par P. Claude TASSIN (Spiritain)

    Commentaires des Lectures du dimanche 27 décembre 2015

 

1 Samuel 1, 20-22.24-28 («Samuel demeurera à la disposition du Seigneur tous les jours de sa vie »)

Comme autrefois Sara (voir Genèse 16, 1-5), Anne, future mère du prophète Samuel, est stérile et victime des rebuffades de sa féconde co-épouse. Un jour de pèlerinage au sanctuaire de Silo, elle promet au Seigneur de donner pour toujours à son service le garçon qu’il lui donnerait d’enfanter. Ainsi naquit Samuel.

La stérilité

Nous sommes ici dans une civilisation polygamique : *la stérilité empêche Anne de s’accomplir comme femme. Sans enfant, elle est déjà morte. Mais, puisque Dieu a donné ce qu’elle demandait, son épanouissement de mère, il semble juste à celle-ci qu’à son tour elle lui donne l’enfant, au service du prêtre de Silo. Le texte hébreu joue ici sur le sens supposé du nom de Samuel (demandé par / cédé à Dieu)

Samuel, aux origines de l’histoire du Messie

Samuel deviendra le premier grand prophète. Il aidera Israël à se trouver un roi, d’abord Saül que Dieu allait rejeter – et, avec son ironie, l’auteur du récit sait bien que c’est le nom de Saül qui signifie Cédé(-à Dieu)… Samuel est surtout en quelque sorte « le parrain » de David (voir Samuel 16, 1-13) et c’est donc lui qui est à l’origine de l’histoire du Messie, de l’espérance du Messie. En cédant son petit au Seigneur, Anne devient ainsi la mère de tous ceux qui espèrent le Messie, et l’ancêtre de toute famille qui accepte les imprévus de Dieu dans l’avenir de ses enfants.

*La stérilité d’Anne. Les couples stériles de la Bible se demandent pourquoi Dieu leur inflige ce malheur : pour renforcer l’expérience d’autres valeurs ? Pour un amour plus conjugal ? Anne, pourquoi pleures-tu, demande son mari ; est-ce que je ne vaux pas mieux pour toi que dix fils (1 Samuel 1,8) ? Sous l’influence conjuguée des prophètes et de la culture grecque, un sage d’Israël loue ceux dont la conduite morale féconde compense une absence de paternité et de maternité (Sagesse 3, 13-15).
Quand vient Samuel, enfant du miracle, sa mère se dessaisit de tout instinct de propriété pour s’ajuster aux intentions de Dieu. Ayant remis son fils au prêtre de Silo, Anne lance un cantique qui prophétise la venue du Messie, puisque – la suite le montrera, son petit Samuel sera la promoteur de la lignée du Messie (voir 1 Samuel 2, 1-10). C’est un chant « fictif », car Anne ne savait rien de tout cela. Mais la Bible indique par là une attitude exemplaire. Le Magnificat de Marie reprendra le Cantique d’Anne.

 

1 Jean 3, 1-2.21-24 (« Nous sommes appelés enfants de Dieu – et nous le sommes »)

Dans la 1ère lecture, une mère confiait au service de Dieu son enfant longtemps espéré. La 2e lecture, dont on lit une partie à la Toussaint, ne parle pas des relations familiales. Mais ce choix reflète bien autre chose qu’une facétie du lectionnaire liturgique.
1. Ce que Jean affirme, c’est que la foi au Christ fait déjà de nous des enfants de Dieu : nous avons normalement, à cause de notre foi, des paroles et des comportements que nous inspire l’Évangile et que le monde ne saisit pas. Pour Jean et à ce stade de ses écrits, le monde représente des chrétiens qui suivent leurs propres idées, en dehors de la tradition qu’il leur a transmise. Les vrais croyants ne saisissent pas eux-mêmes combien ils ressemblent au Fils de Dieu qui anime leur vie, parce qu’ils ne l’ont pas encore vu de leurs yeux. Au terme de l’histoire, dans la rencontre avec le Fils de Dieu, ils découvriront cette ressemblance. En attendant, qu’ils gardent bien les attitudes conséquentes à cette ressemblance : prier le Père (« tout ce que nous lui demandons, il nous l’accorde »), demeurer fidèle au commandement essentiel, à savoir la foi au Fils, Jésus Christ, et l’amour mutuel.
2. Ce que veut dire le lectionnaire aujourd’hui, c’est que les familles humaines, quelle qu’en soit la forme, étroite, clanique ou « décomposée », selon les cultures et les temps, ont pour mission de faire de chacun de leurs membres (même les parents) des enfants de Dieu dont parle saint Jean. Et une telle mission modifie forcément les relations familiales traditionnelles, surtout le jeu de l’autorité parents/enfants, puisque les parents sont eux-mêmes enfants de Dieu.

 

Luc 2, 41-52 (« les parents de Jésus le trouvèrent au milieu des docteurs de la Loi »)

Oublions l’anecdote de la fugue d’un enfant âgé de douze ans, lors d’un pèlerinage à Jérusalem. Laissons-nous guider par cinq signaux dans lesquels Luc livre le sens de son récit.
1) Luc situe l’incident à Pâques. Il ne connaitra par la suite qu’une autre Pâque, celle où Jésus viendra à Jérusalem pour passer de la Croix à la gloire du Père. Or ici, c’est au bout de trois jours (signal de la résurrection) que les siens retrouvent l’Enfant.
2) Les parents sont stupéfaits, ne comprennent pas. Leur perplexité anticipe les réactions de celles et ceux à qui sera révélée la résurrection du Christ (voir Luc 24, 4.12 ; Actes 2, 12), alors que Marie, figure de l’Église, garde les événements dans son cœur pour en approfondir plus tard le sens.
3) Ceux qui cherchent Jésus (le verbe revient quatre fois dans le texte) doivent comprendre ceci : C’est chez mon Père que je dois être. Ce je dois (ou « il faut ») désigne d’ordinaire dans les écrits de Luc le plan divin qui conduit de la Croix à l’Ascension auprès du Père.
4) Ce Christ qui est aujourd’hui chez son Père hors de notre vue à nous qui le cherchons, c’est dans le Temple qu’on le trouve, c’est-à-dire, symboliquement, dans son enseignement, puisque ce Temple fut aux yeux de Luc un lieu privilégié de l’annonce de l’Évangile par Jésus (voir Luc 19, 45-48 ; 20, 1 ; 21, 37-38 et, pour les Apôtres, Actes 4, 1-2).
5) La conclusion de l’épisode (il grandissait…) évoque Samuel enfant (« Samuel grandit. Le Seigneur était avec lui… », 1 Samuel 3, 19). Un tel parallèle n’est pas unique en Luc, chap. 1 – 2. Ceci nous ramène à la première lecture. Mais, si Samuel fut offert par sa mère au temple de Silo, c’est prophétiquement et de son plein gré que le jeune Jésus trouve sa place de Maître des maîtres « chez son Père ».
Ainsi cet épisode en apparence naïf sonne comme un prélude au ministère futur de Jésus à Jérusalem et au triomphe de son Ascension. Au fond, le mystère se révèle dans cette opposition entre un père et une mère humains cherchant leur enfant et un Christ qui situe par avance le terme de sa mission chez son Père – le tout à travers l’anecdote de la fugue d’un jeune au seuil de l’âge adulte, à savoir dans le judaïsme ancien, répétons-le, l’accomplissement des douze ans.
Certes, les parents chrétiens accordent des droits sur leur enfant au Père des cieux qui bouleverse parfois leurs projets. Mais la liturgie va bien plus loin en rabattant sur nos problèmes familiaux cette icône symbolique et anticipée du Christ ressuscité. On joue, pour notre instruction, sur l’équivoque d’une Sainte Famille à la fois incomparable et *modèle de nos familles. « Il leur était soumis » : Il n’y a pas de commune mesure entre l’obéissance que des parents peuvent demander à un enfant (domaine moral) et ce que veut dire Luc : le Fils de Dieu est entré, par obéissance au projet de son Père, dans le jeu des institutions humaines (domaine théologique). Mais c’est bien dans le nid d’une famille cachée, à **Nazareth, que s’est préparé le mystère pascal.

*La Sainte Famille, un modèle ? Un prédicateur, emporté par son sujet, se serait écrié : « Suivez le modèle de la Sainte Famille ! Ayez de nombreux enfants ! » Problème du modèle… que l’on découvre au moment où, à chaque époque, il se fissure. À moins, au contraire, que l’on ignore qu’il existe toujours de « saintes familles », dans certaines cultures, qui vivent le modèle d’Anne, épouse d’un polygame ou dans les familles « recomposées ». Les lectures de la Sainte Famille Année C ne démolissent pas les modèles que le magistère et la société défendent. Mais, si elles voulaient simplement confirmer le magistère, elles échoueraient : une femme de polygame abandonne son enfant aux soins du prêtre Éli (1ère lecture) ! Saint Jean remet en cause, implicitement, l’autorité familiale, puisque nous sommes tous enfants de Dieu (2e lecture) ! L’évangile donne en exemple un jeune (le Christ !) en fugue. La liturgie de la Sainte Famille ne propose pas un modèle. Elle offre espérance et consolation quand tout modèle familial semble échouer; elle laisse ouvert l’inattendu de Dieu.

**Nazareth. « Nazareth est l’école où l’on commence à comprendre la vie de Jésus : l’école de l’Évangile. Ici, on apprend à regarder, à écouter, à méditer et à pénétrer la signification, si profonde et si mystérieuse, de cette très simple, très humble et très belle manifestation du Fils de Dieu. Peut-être apprend-on même insensiblement à imiter(…) Oh, comme nous voudrions redevenir enfant et nous remettre à cette humble et sublime école de Nazareth, comme nous voudrions près de Marie recommencer à acquérir la vraie science de la vie et la sagesse supérieure des vérités divines ! (…) Nous ne partirons pas sans avoir recueilli à la hâte, et comme à la dérobée, quelques brèves leçons de Nazareth. (…) Une leçon de vie familiale. Que Nazareth nous enseigne ce qu’est la famille, sa communion d’amour, son austère et simple beauté, son caractère sacré et inviolable ; apprenons de Nazareth comment la formation qu’on y reçoit est douce et irremplaçable ; apprenons quel est son rôle primordial sur le plan social » (Homélie de Paul VI à Nazareth, 5 janvier 1964).

 




La Sainte Famille – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

LA FAMILLE, MYSTÈRE DE PÂQUE

sainte famille1« Eux ne comprirent pas la parole qu’Il venait de leur dire ». Dieu sait que depuis plus d’un siècle, on a tout fait pour présenter de la façon la plus agréable, la plus tendre, la plus insipide possible cette Sainte Famille. On l’a pour ainsi dire recouverte de « crème Chantilly » pour que l’image qu’on se faisait de ce foyer de Jésus, Marie et Joseph soit la plus évanescente, la plus insignifiante possible. Aucun heurt, aucune difficulté, toujours le même cadre de travail avec l’atelier où Joseph est courbé sur son rabot et sur son établi. Et la bonne sainte Vierge à côté qui file sa quenouille. Et l’Enfant Jésus, en costume d’enfant de chœur, qui joue dans les copeaux. Je ne sais pas quels fantasmes nos aïeux voulaient projeter dans la représentation d’un bonheur qui, aujourd’hui nous paraît terriblement fade, mais je sais qu’en lisant les Évangiles de l’enfance, nous n’avons pas du tout cette impression-là. Imaginez cette famille. D’abord c’est une étrange famille en butte à des problèmes humains lourds à porter : avant même que le foyer soit fondé, Marie est enceinte et Joseph hésite à la renvoyer, bref toutes les caractéristiques d’un départ difficile dans la vie de couple. Puis le moment de la naissance se passe mal. Il faut partir en catastrophe à Bethléem pour se faire recenser. Immédiatement après, les événements s’enchaînent de façon curieuse. Il faut absolument partir en Égypte pour mettre l’enfant à l’abri de menaces qui pèsent sur Lui. Et l’on pourrait croire que lorsqu’ils reviennent à Nazareth, le rythme normal de la vie quotidienne va enfin reprendre et qu’il n’y aura plus de problème. Mais précisément à douze ans, vous imaginez, une fugue, une fugue de trois jours. Cela ne se fait pas, des choses comme cela dans les bonnes familles « sans problèmes » : l’enfant ne quitte pas ses parents au cours du voyage. On en vient à penser que c’est le contraire de ces familles extrêmement paisibles et tranquilles que l’iconographie religieuse du dix-neuvième siècle nous proposait. Peut-être même qu’à certains moments, Marie et Joseph ont dû trouver que c’était bien compliqué d’avoir un Enfant pareil !
Pourquoi tout cela ? Et pourquoi parle-t-on quand même de la « Sainte Famille ». Je ne crois pas que la Sainte Famille nous soit donnée en exemple. D’abord parce que c’est un cas unique. Et deuxièmement parce que le problème pour nous n’est pas d’imiter la Sainte Famille : elle est à proprement parler inimitable. Ce que nous célébrons, dans la Sainte Famille aujourd’hui, ce n’est pas un exemple moral, c’est un mystère, c’est-à-dire quelque chose qui a été donné réellement à contempler, à voir, en l’occurrence ce mystère des relations familiales entre Jésus-Christ, Marie et Joseph, quelque chose qui nous est donné à contempler réellement, mais pour éclairer la réalité de notre propre vie, non pas par une transposition servile, automatique, comme si nous avions à copier la Sainte Famille, mais au contraire en comprenant ce qui s’est passé dans cette Famille pour comprendre, à notre tour, ce qui se passe dans nos familles.
La vie familiale, telle qu’elle a été vécue par Joseph, Marie et Jésus, est un mystère de mort et de résurrection : voilà ce que signifie l’Enfant perdu et retrouvé au temple. recouvrement_50L’Enfant perdu par ses parents qui le cherchent avec angoisse, comme les femmes qui s’en vont au matin de Pâques vers le tombeau dans la peur et dans l’angoisse, pour accomplir un rite d’embaumement pour le Christ mort. C’est le mystère de la mort de Jésus, au cœur même de cette famille, car cette famille a eu le « privilège », et Dieu sait quel privilège dur à porter, de vivre par anticipation, la mort même du Fils. Pendant les trois jours de disparition, c’est une quasi-mort que Joseph et Marie ont vécue au sujet de leur Enfant, pour ensuite le retrouver au milieu des docteurs du Temple, pour que s’accomplisse prophétiquement le mystère de la Résurrection, car ils l’ont retrouvé différent : ils l’avaient quitté comme un enfant avec lequel, apparemment, il n’y avait pas de problème. Ils l’ont retrouvé assis au milieu des docteurs, c’est-à-dire qu’ils l’ont retrouvé déjà ressuscité, dans l’exercice de la Sagesse divine, expliquant aux docteurs les paroles de la loi et les étonnant par la Sagesse de ses réponses. Marie et Joseph ont vécu, dans cet épisode de Jésus perdu et retrouvé au Temple, le mystère de la mort et de la Résurrection. Mais ils ne l’ont pas vécu comme quelque chose de facile à admettre : à la fin du récit, on nous dit que Jésus n’a pas été spécialement tendre avec eux : « Pourquoi donc Me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que Je dois être dans la maison de mon Père » ? Et de plus, la réaction de Marie et de Joseph est ainsi formulée : « eux ne comprirent pas », c’est-à-dire qu’ils vivent effectivement ce mystère de la mort et de la Résurrection, mais dans une foi et une obscurité qui n’enlèvent rien à l’angoisse qu’ils éprouvaient auparavant. Autrement dit, tout ce que vivent Marie et Joseph autour de Jésus est un mystère d’attente, c’est un mystère d’éveil. Le mystère de la vie familiale qu’ils éprouvent jour après jour est un mystère d’obscurité : « Eux ne comprirent pas », parce qu’il faut attendre que la plénitude du mystère de la mort et de la Résurrection leur soit un jour manifestée. Lorsque Marie et Joseph redécouvrent leur Enfant au Temple, c’est comme si le Christ leur disait : « Vous ne savez pas pourquoi Je suis venu, c’est pour qu’avec Moi et à ma suite, vous entriez par la foi dans l’obscurité même de votre attachement à Moi, dans la plénitude du mystère de ma mort et de ma Résurrection ». Tout cet événement est déjà tourné vers la croix, vers le tombeau et vers le matin de la Résurrection. Et le mystère de la Sainte Famille peut se résumer ainsi : Marie et Joseph, par anticipation, doivent vivre durant toute leur vie de parents, le mystère de la mort et de la Résurrection de leur Enfant, un Enfant qui sans cesse leur échappe et qui leur dit et fait comprendre pourquoi Il leur échappe : il faut qu’Il soit à son Père. Et en même temps, dans le fait même qu’Il leur échappe, cet Enfant les saisit, s’empare d’eux, et les conduit plus loin que leur propre affection humaine. Il les conduit vers sa Pâque. Dans le mystère de la vie familiale de cette Famille, c’est la première invitation à la Pâque, c’est le mystère de la mort et de la Résurrection qui s’inaugure dans l’existence même de Marie et Joseph parce qu’il commence à se réaliser réellement dans le cœur et dans la chair du Fils qui est venu pour la Pâque.

Famille-1Frères et sœurs, quand nous chrétiens, nous vivons le mystère de la vie familiale, nous n’avons pas d’abord à nous fixer une sorte de petit idéal bien tranquille, mais nous avons d’abord à reconnaître que, comme parents chrétiens, pères et mères d’enfants chrétiens, nous vivons tous un mystère pascal. Le sens ultime de la paternité et de la maternité humaines nous est manifesté effectivement par la présence du Christ au milieu de sa famille. Mais c’est un mystère dans lequel, pères et mères, vous devez savoir et croire que votre enfant et la vie avec votre enfant constituent un mystère de Pâque. A aucun moment, vous ne pouvez marquer une emprise ou une possessivité qui feraient de cet enfant votre propriété exclusive. Car en réalité il vous a été confié par Dieu, à votre amour de père et de mère, et par conséquent le fait de mettre au monde des enfants, de les éduquer, implique que vous viviez avec eux et par eux, ce mystère de Pâque par lequel sans cesse on offre à Dieu cela même qui nous a été donné, et on le redécouvre, on le reçoit d’une autre manière infiniment plus belle et plus profonde que notre propre désir, dans sa réalité strictement humaine, ne pourrait l’attendre et le rechercher. Tout mystère de vie de famille, vécue dans le Christ, est un mystère de mort et de résurrection. Et vous savez bien, vous parents, qu’avec vos enfants il a fallu passer et il faut encore passer aujourd’hui par un mystère de mort et de renoncement. Vous savez qu’à tout moment, vos enfants, même s’ils sont source de grandes joies, sont aussi sources de grandes souffrances. Cela n’est pas anormal, cela fait partie de la manière dont le Christ vous fait participer à sa mort. Mais vous savez aussi que vos enfants sont le signe de la vie, sont le signe de cette chair et de cette vie qui est née de vous et qui se prolonge dans l’histoire et dans le temps. Et plus qu’une prolongation, c’est un surgissement de vie agrandie, magnifiée par le don de la grâce du baptême. Et en cela, vos enfants sont le signe de la résurrection au cœur de votre vie de familiale.
Voilà le mystère que nous célébrons aujourd’hui. Voilà la grâce que nous accueillons. Voilà ce que toute famille chrétienne, aujourd’hui devrait essayer de vivre : savoir qu’à travers les souffrances et les épreuves, à travers ces mystères de mort qui peuvent marquer si profondément et si douloureusement nos vies familiales, c’est en réalité le mystère de la Pâque qui s’inscrit et qui se grave dans notre chair pour que nous entrions dans la Résurrection du Christ. Et nous sommes souvent comme Marie et Joseph, nous ne comprenons pas ce que Dieu veut nous dire, mais c’est là qu’il nous faut ouvrir, plus encore que nos oreilles et nos yeux, il nous faut ouvrir notre cœur. A travers ce don de la vie que Dieu fait à un homme et à une femme, et qui se manifeste par leurs enfants, c’est le don même du mystère de la mort et de la résurrection qui est ainsi manifesté. Telle est l’actualité de la Sainte Famille. Chacune de vos familles est dans ce sens-là une sainte famille, c’est-à-dire une famille appelée à être transfigurée à travers toute son histoire, dans la mort et dans la Résurrection du Christ. Amen.




L’Epiphanie par le Diacre Jacques FOURNIER (3 janvier 2016)

«Jésus, Lumière du monde (Mt 2,1-12)… » 

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui.
Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ.
Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète :
Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. »
Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant.
Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.
Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

roi mages La Loi est claire : « On ne trouvera chez toi personne qui pratique la divination, l’incantation ou la magie » (Dt 18,10). En effet, « idolâtrie et magie, voilà ce que produit le péché » (Ga 5,20), car ces réalités prennent la place de Dieu. En effet, à travers elles, l’homme cherche à maîtriser son destin… Dieu et ses imprévus n’y ont plus leur place…
Ces mages païens qui viennent d’Orient sont peut-être dans l’erreur, mais ils n’en ont pas encore conscience… Ils cherchent la vérité, ils sont de bonne volonté, et c’est cela que Dieu regarde. Aussi va-t-Il leur parler, dans un premier temps, ce langage des astres qu’ils connaissent si bien : « Nous avons vu se lever une étoile »… Et Il les guidera avec elle jusqu’à Jérusalem… Merveille de la Miséricorde de Dieu…
Mais l’étoile ne peut donner le lieu précis de la naissance du Messie. Seule la Parole de Dieu, avec ses prophéties, pourra le leur dire. Mais eux ne l’ont jamais lue ! Les scribes de Jérusalem, par contre, la connaissent par cœur. Le roi Hérode, brutalement inquiet pour son pouvoir à l’annonce de la naissance d’un possible rival, va les convoquer pour « leur demander en quel lieu devait naître le Messie ». Et ils vont bien répondre en citant le prophète Michée (vers 750 av JC) : « Et toi, Bethléem en Judée, c’est de toi que sortira un chef, qui sera le berger d’Israël mon peuple » (Mi 5,1). Et les mages partiront aussitôt à Bethléem. Les scribes, eux, ne bougeront pas…
Avec toute leur bonne volonté, ils avaient obéi à ce qu’ils avaient compris grâce à l’étoile. Avec la même bonne volonté, ils vont obéir maintenant à la Parole de Dieu… Et l’étoile la confirmera en « s’arrêtant au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant ». Ils en éprouvèrent « une très grande joie », comme plus tard celles et ceux qui « accueilleront la Parole de Jésus avec la joie de l’Esprit Saint » (1Th 1,6).
« Ils virent l’étoile »… « Ils virent l’enfant avec Marie sa Mère »… Et grâce à la Lumière de ce même Esprit que Dieu donne à ceux qui lui obéissent, ils virent aussi, de cœur, « l’Astre d’en Haut venu nous visiter dans les entrailles de Miséricorde de notre Dieu pour nous donner de connaître le salut par la rémission de nos péchés. Il est apparu à ceux qui demeuraient dans les ténèbres et l’ombre de la mort, pour guider nos pas sur le chemin de la paix. » Ils étaient autrefois dans les ténèbres, mais ils n’en avaient pas conscience. Maintenant, ils vont rentrer chez eux « par un autre chemin », non plus en suivant une étoile mais guidés par leur foi en Jésus « Lumière du monde »…

 




4ième Dimanche de l’Avent – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

visitation 5Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de ton sein est béni. En cette veille de Noël, nous allons méditer quelques instants sur cette proclamation de bénédiction qu’Élisabeth, qui porte en elle un enfant, prononce sur sa jeune cousine qui porte également en elle un Enfant. Attardons-nous sur cette merveilleuse réalité de la maternité humaine que les peintres ont su exprimer avec un rare bonheur, je pense par exemple à un très beau tableau de Ghirlandaio représentant cette scène de la Visitation. Dans cette œuvre, on ne voit que deux manteaux, le manteau d’Elisabeth orange vif comme le feu, comme les couleurs d’automne, comme un moment de l’histoire qui finit, comme quelque chose qui se consume, qui se brûle d’amour, mais pressent qu’il est parvenu à sa limite, et de l’autre, un autre manteau bleu celui-là, large, vaste et jeune comme le ciel : Marie, avec un bleu très fort qui manifeste au milieu de ce monde qui finit, au milieu de l’automne, de l’histoire, une présence qui vient les renouveler. Et l’un et l’autre de ces manteaux, avec tout le génie d’un peintre florentin du Quattrocento, chantent quelque chose de tendre, de charnel, de doux, de maternel, comme si à cette époque que l’on dit souvent être la renaissance d’un certain paganisme, le peintre avait eu l’intuition spirituelle de toute la densité charnelle du mystère de Dieu qui vient chez nous. Tel est précisément le sens de la maternité divine de Marie. Marie est femme, elle est mère, elle est vierge. Lorsque nous disons cela, nous ne faisons pas d’énonciation concernant je ne sais quelle science de gynécologie sacrée. Lorsque nous disons cela, nous proclamons quelque chose d’infiniment plus profond : le mystère même de l’entrée de Dieu parmi les hommes.
Dire que Marie dans sa chair est la mère de Dieu, que dans sa virginité elle a conçu un enfant, le Verbe de Dieu, cela signifie le mode même par lequel Dieu est entré dans l’humanité. Voilà le cœur de notre foi, Dieu est entré dans l’humanité. C’est une réalité aussi difficile à dire que la manière dont Il en est sorti. Il n’est pas sorti de sa vie terrestre par la mort, simplement comme tout le monde : Il en est sorti par la mort et par la gloire. Qui dira l’entrée du Verbe de Dieu dans la chair des hommes ? Qui dira la sortie de Jésus de Nazareth hors de la condition terrestre de notre vie humaine ? Le mystère de la conception virginale et de la maternité de Marie est aussi obscur, aussi impénétrable que celui de la Résurrection de Jésus-Christ. Dans un cas comme dans l’autre, à travers des événements réels mais extrêmement difficiles à dire et à saisir, les évangélistes ont su proclamer ce qui est à proprement parler indicible : comment Dieu se fait homme et comment Dieu fait homme glorifie une humanité terrestre en la faisant devenir Dieu. À chaque extrémité de l’Évangile, se situe ce moment du passage, ce moment où tout bascule, où la divinité de Dieu entre dans la chair et où la chair de Jésus-Christ, et par elle notre propre chair, entrent dans la condition glorieuse par la Résurrection.

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Pour nous-mêmes déjà, le mystère de notre origine et de notre naissance est insondable. Et ce n’est pas simplement l’observation biologique du développement des cellules ou l’étude du code génétique qui pourront nous dévoiler quoi que ce soit sur le mystère de la source de notre existence. Nous n’atteindrons jamais que le déploiement d’un processus, mais nous n’atteindrons jamais par analyse biologique l’origine de nous-mêmes. Cependant et c’est la grandeur du mystère de Dieu, pour nous dire qui Il était, d’où Il venait et comment Il était entré dans notre monde, Dieu a voulu que la maternité de Marie elle-même soit constituée signe pour nous de ce qui s’est accompli pour nous. Par la maternité divine de Marie, Dieu nous dit déjà qui Il est. Le fait que cette jeune fille d’Israël porte en elle un Enfant qui ne lui a pas été donné par une semence d’homme, mais par la puissance de l’Esprit Saint, cela dit en vérité quelque chose sur l’être de Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu, le Verbe de Dieu, et ce qu’Il a fait pour nous. C’est ainsi qu’il faut lire ce texte : la maternité de Marie elle-même est le signe de la venue de Dieu, de la présence de Dieu, annoncée par les prophètes. Alors nous devons nous demander : qu’est-ce que cela veut dire ?
Quand une femme porte en elle un enfant, s’accomplit dans le secret de sa maternité et de sa chair une réalité paradoxale. À la fois cette vie qu’elle sent grandir en elle est totalement tissée de sa chair, totalement réceptrice de sa propre vie et de son propre sang. Cette vie qu’elle porte en elle, c’est totalement elle-même. Elle la sent grandir en totale communion et intimité avec elle-même. Mais en même temps qu’elle sent la vie grandir en elle, elle perçoit tout aussi fortement que cette vie n’est pas la sienne, qu’elle ne lui appartient pas, que cet enfant est plus grand qu’elle, qu’il la grandit. Le mystère même de la maternité, c’est à la fois le fait qu’une chair, une vie, une existence, une personne s’enracine dans une autre, sa mère, mais en même temps que cette personne grandit la mère, la rend plus grande qu’elle-même. Tel est le mystère de la maternité et la raison pour laquelle il s’agit d’un bonheur extraordinaire pour une femme : elle se dépasse elle-même par la vie qu’elle donne, dans le don total qu’elle fait de sa propre vie et de son propre sang. C’est le mystère du temps, le mystère de la vie : c’est à cause de la maternité que la femme connaît le mystère de la vie d’une façon infiniment plus profonde que l’homme. L’homme ne vit le mystère du temps que dans un arrangement des choses par son travail, par sa confrontation avec le monde. Il est producteur, il n’est pas fécond.

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Précisément, le mystère de la maternité de Marie est un mystère de fécondité dans lequel, dans la totalité même de son être, s’accomplit quelque chose qui la grandit. Voilà le signe que Dieu a voulu pour nous dire comment Il était venu dans la chair, Il a voulu recevoir totalement et pleinement la vie d’une femme. Ce n’est pas simplement qu’Il a voulu se soumettre à un processus biologique de développement cellulaire, ce qui est tout à fait normal. Mais Il a voulu d’abord recevoir totalement d’une femme la plénitude même de ce qu’est la vie humaine. Et dans le processus de cette maturation de sa vie et de son existence humaine au cœur de sa mère, Il a fait comprendre que Lui, le Fils de Dieu, venait pour apporter au monde ce qui allait le faire grandir de façon définitive et absolue, Lui le Verbe, Il prenait chair pour que nous soit donné par lui quelque chose d’infiniment plus grand que notre propre humanité, pour que soit donnée la vie même de Dieu au monde. Voilà le mystère de l’enfantement du Verbe. La Parole de Dieu, le Verbe éternel de Dieu, la personne éternelle du Fils de Dieu prend chair pour grandir l’humanité symbolisée par Marie. Vous voyez ce mystère de l’agrandissement de l’humanité, du Magnificat de l’humanité : Magnificat veut dire « je fais grandir », ce mystère-là est le secret du Verbe, dès le premier moment où Marie l’a conçu. Elle a vécu ce mystère-là pour nous tous, de telle sorte qu’aujourd’hui nous vivions encore ce mystère d’une maternité qui est la maternité de l’Église.
Aujourd’hui le cœur de chacun d’entre nous est comme le sein de Marie. Aujourd’hui le cœur de chaque personne humaine, dans la mesure où elle accueille le Verbe de Dieu devient plus grand qu’elle-même. Aujourd’hui encore le Verbe veut naître en nous et nous magnifier de cette grandeur qui n’a rien de commun avec notre existence humaine et notre désir humain, Il veut nous faire grandir et nous magnifier de la grandeur même de Dieu, Il veut nous faire chanter le Magnificat.
Magnificat-88f4eJe voudrais en donner une attestation. Où est le signe de la fécondité spirituelle de l’Église aujourd’hui ? Il n’est pas ailleurs que dans la liturgie même de l’Église. Car la liturgie est le lieu du jaillissement de la joie divine qui fait grandir l’homme. Il y a quelque temps, un frère dominicain, le Père Bernard Bro, écrivait : « L’Assemblée liturgique constitue l’espace de cet éclatement de la joie de l’Eglise, il devrait y avoir en tout chrétien », méditez bien, nous en sommes loin, « Il devrait y avoir en tout chrétien, par le seul fait qu’il est chrétien, assez de lyrisme prophétique pour que jaillisse de ses lèvres une hymne à la joie du Christ, un Magnificat. Or cette hymne, la liturgie ne cesse de la lui proposer. Tout chrétien devrait pouvoir faire un jour ou l’autre l’expérience qui consiste, au fur et à mesure qu’il professe les versets des cantiques et des hymnes liturgiques, à découvrir leur création jaillissante, que cette création est en train de recommencer toute neuve et toute frémissante dans le fond le plus personnel de son propre cœur ». La liturgie, ce n’est pas un moment dans la semaine où l’on doit pointer dans un livre de culte pour être assuré qu’on a fait son devoir hebdomadaire de piété : la liturgie c’est ce lieu de la maternité ecclésiale dans lequel nous, l’humanité, l’Épouse appelée à la nuptialité avec Dieu, nous éprouvons déjà quelque chose de cette joie d’être fécondés par la présence du Verbe de Dieu au cœur de notre chair. La liturgie est le signe de la joie de Dieu qui nous fait grandir, comme Marie a grandi le jour où elle a pu chanter son Magnificat, parce qu’elle portait son Enfant dans son sein. La liturgie, c’est le moment où nous nous préparons à la venue de Dieu, jour après jour, même si à certains moments nous vivons dans la peine, dans la tristesse et dans un certain désarroi du cœur ; à chaque moment la liturgie est célébrée pour nous dire que Dieu vient et qu’un jour enfin Dieu nous accueillant pleinement comme son Épouse, tous ensemble dans son Royaume, Il nous donnera de l’enfanter réellement dans le cœur même de la Trinité. Un jour avec Marie, tous ensemble, nous pourrons vraiment dire, de la façon la plus personnelle et la plus intime qui soit le Magnificat.
Oui que notre âme exalte le Seigneur, que notre esprit exulte en Dieu, notre Sauveur, car le Seigneur est grand. Il a fait pour nous des merveilles et Il en fera encore davantage ! Amen.




4ième Dimanche de l’Avent par P. Claude TASSIN (Spiritain)

    Commentaires des Lectures du dimanche 20 décembre 2015

 

Michée 5, 1-4a (Le Messie viendra de Bethléem)

Le prophète Michée a vécu à la fin du 8e siècle avant notre ère. Rude campagnard de Judée, il dénonce la corruption généralisée des gens de Jérusalem et leur injustice sociale. Et, comme à son époque l’armée assyrienne s’enfonce en Palestine, il prévoit la destruction de la Ville en juste punition de son inconduite. Mais la ruine n’est pas le dernier mot de Dieu.
Après ce « temps de délaissement » pédagogique de la part de Dieu, paraîtra un nouveau David. Il ne viendra pas de l’orgueilleuse capitale, Jérusalem, mais du modeste bourg de Bethléem où était né David et qu’on appelait aussi Éphrata, du nom de la famille de David (voir 1 Samuel 17, 12). Michée n’appelle pas « roi » ce chef à venir, tant les souverains de Jérusalem ont déshonoré ce titre. Il ne s’intéresse pas à son père, mais seulement à sa mère, celle qui doit enfanter, au jour que Dieu voudra. Le petit David était un berger devenu pasteur du peuple de Dieu (voir Psaume 77 (78), versets 70-72) ; son successeur réalisera le même idéal : modeste, il rassemblera « ses frères » dispersés et Dieu lui donnera un rayonnement mondial, mais dans un esprit de paix. Né à Bethléem, selon Matthieu et Luc, Jésus réalisera de manière déconcertante cet *oracle de Michée.

* L’oracle de Michée. Michée n’a pas vu en rêve la naissance de Jésus à Bethléem, mais il a mis en œuvre ses facultés de jugement. Isaïe aussi, contemporain de Michée, a jugé que la lignée pourrie des rois de Judée demandait du sang neuf : Ainsi pousserait « un rameau de la souche de Jessé [le père de David] » (Isaïe 11,1 ) ; d’une jeune reine mère naîtrait l’Emmanuel (Isaïe 7,14). Pour Matthieu 2, 5-6, Jésus est ce recommencement espéré, même si certains Juifs doutaient que Jésus fût né à Bethléem (voir Jean 7, 41-43).

Hébreux 10, 5-10 («  Me voici, je viens faire ta volonté »)

L’auteur anonyme de la Lettre aux Hébreux parle à des chrétiens qui fondaient trop leur foi sur le culte du Temple de Jérusalem, même si l’écrit est composé probablement après la ruine du Temple en l’an 70. Il leur montre que la venue du Christ doit changer notre lecture de l’Ancien Testament. Dans ce passage, il raisonne ainsi :
1) Dans le Psaume 39 (40), versets 6-8, *le Christ dit que Dieu n’attend pas de lui des sacrifices matériels, mais l’offrande de son corps, en totale obéissance à la volonté divine.
2) L’auteur précise alors : les sacrifices étaient prescrits par la Loi de Moïse. Or, avec la venue du Christ, Dieu n’en a plus voulu. C’est donc qu’un nouveau culte, l’offrande du Christ, remplace l’ancien.
3) Par cette volonté de Dieu accomplie jusqu’au bout, par le don de soi du Christ en sa Passion, nous sommes sanctifiés, c’est-à-dire en relation vraie avec Dieu – et cela une fois pour toutes, alors qu’avant, il fallait refaire chaque année les mêmes sacrifices.
Ainsi l’Incarnation de Noël inaugure la route du sacrifice de la croix qui aboutit à notre rédemption. Dieu n’attend plus que nous lui offrions « des choses », mais que nous nous offrions nous-mêmes sans cesse à son vouloir, à la suite d’un Christ « frère des hommes ».

* Le Christ dit, d’après le Psaume… Dans les psaumes de l’Ancien Testament, les apôtres voient des prophéties : Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps… Le psalmiste priait ainsi, sans savoir qu’il était par avance la voix du Christ parlant au Père. Interprétation naïve ? Non, car le Christ incarne tous les humains qui cherchent à s’offrir totalement à Dieu. À leur tour, les chrétiens aiment prier les psaumes qui leur permettent de s’unir à la prière d’un Christ frère de toute humanité.

Luc 1, 39-45 (« D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? »)

Le film des évangiles de l’Avent, rappelons-le, procède par retours en arrière. Au 1er dimanche, la caméra explorait l’horizon de notre attente d’aujourd’hui : l’ultime venue du Fils de l’homme mettant fin à l’histoire. Après les deux séquences sur le Baptiste (2e et 3e dimanches), c’est maintenant un gros plan sur des événements qui préparent directement la naissance de Jésus, aujourd’hui la scène de la Visitation.

Du vieil Israël (Élisabeth) à la jeune Église (Marie)

L’épisode ne se réduit pas à une leçon de service donnée par la future mère du Messie. Car cette page de Luc a une haute portée symbolique : Marie, la jeune Église habitée par le Christ, se porte à la rencontre du vieil Israël, Élisabeth habitée en son ventre par le dernier des prophètes, le futur Jean Baptiste. Marie voit son annonciation confirmée par Élisabeth ; l’Église voit sa mission confirmée par le vieil Israël, son aîné. Marie part en hâte, avec empressement ; en elle la Parole de Dieu commence déjà sa course jusqu’aux extrémités de la terre (voir Actes 1, 8).

Rencontre de Marie et d’Élisabeth, du Baptiste et de Jésus

Marie salue sa cousine ; la salutation de Gabriel se fait contagieuse (cf. Lc 1, 28 : Réjouis-toi ! le Seigneur est avec toi). L’enfant tressaille, reconnaissant la venue du Seigneur. Jérémie fut choisi comme prophète dès le ventre de sa mère (Jérémie 1, 4). Plus grand que Jérémie, plus grand que tous les prophètes (Luc 7, 26-28), le futur Baptiste prophétise dès le sein, par son agitation fœtale et par les paroles maternelles inspirées. Saluée comme bénie entre toutes les femmes, Marie passe au rang des héroïnes de l’histoire sainte, Yaël et Judith (voir Juges 5, 24 et Judith 13, 18). Mais Élisabeth reconnaît surtout la mère de son Seigneur, titre qui évoque à l’avance le Christ ressuscité et monté auprès de Dieu (voir Actes 2, 36).

« Heureuse celle qui a cru… »

Élisabeth énonce enfin une béatitude : l’honneur de Marie tient en sa foi sans laquelle l’histoire du monde n’aurait pas pris son tournant décisif. Plus tard, Jésus dira que la maternité charnelle de Marie compte moins que son écoute et sa fidélité à la parole de Dieu : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent » (Luc 11, 27-28). En cela, la Visitation concerne tous les croyants ; car toute personne chrétienne et toute Église sont « enceintes » de la présence du Christ à donner au monde.

Vocation et confirmation

Après tout, une annonciation par un ange est peu vérifiable. En revanche, la Visitation représente le mystère de la vraie rencontre en laquelle on reçoit de l’autre une révélation de soi-même : Marie reçoit d’Élisabeth la confirmation de sa mission, celle d’être la mère du Seigneur. Elle découvre surtout que cette mission est liée à sa foi en la parole de Dieu. Élisabeth reçoit de Marie la salutation qui lui révèle la présence du Christ espéré par l’Ancien Testament. La Visitation est aussi le mystère du chrétien qui apporte au non-croyant la présence du Christ et qui se comprend mieux lui-même quand il s’entend dire « toi qui es chrétien, dis-moi… ». La Visitation est enfin une conférence au sommet, un *dialogue, dans l’histoire du salut, par le truchement symbolique du bonheur de deux femmes enceintes.

* Dialogue. Saint Ambroise (340-397) fut préfet de police à Milan avant d’être élu comme évêque de cette cité. De ses homélies sur l’Évangile de Luc, lisons son paragraphe sur la Visitation : « Remarquez les nuances et l’exactitude de chaque mot. Élisabeth fut la première à entendre la parole, mais Jean fut le premier à ressentir la grâce : la mère a entendu selon l’ordre naturel des choses, l’enfant a tressailli en raison du mystère ; elle a constaté l’arrivée de Marie ; lui, celle du Seigneur ; la femme, l’arrivée de la femme, l’enfant, celle de l’enfant; les deux femmes échangent des paroles de grâce, les deux enfants agissent au-dedans d’elles et commencent à réaliser le mystère de la piété en y faisant progresser leurs mères ; enfin, par un double miracle, les deux mères prophétisent sous l’inspiration de leur enfant.
Heureux, vous aussi qui avez entendu et qui avez cru ; car toute âme qui croit conçoit et engendre le Verbe et le reconnaît à ses œuvres. »

 




4ième Dimanche de l’Avent par le Diacre Jacques FOURNIER (20 décembre)

«Avec le Don de l’Esprit, le Ciel est déjà là… » (Lc 1,39-45)

 

En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint,
et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »

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« Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30), nous dit le Fils, unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit qui est aussi Amour, Lumière et Vie. Cette Révélation peut s’étendre à l’Esprit Saint, Personne divine, qui lui aussi est « un » avec eux… Et ce Dieu « un », Mystère éternel de relations et de communion de Trois Personnes divines, a créé l’humanité « à son image et ressemblance » (Gn 1,26) pour qu’elle aussi soit « une » dans l’unité de ce même Amour, de cette même Lumière, de cette même Vie. Tel sera le Royaume des Cieux (Rm 14,17 ; 1Co 1,9). Et ce récit de la Visitation illustre à quel point il est tout proche, déjà présent, vécu, dans la vie de celles et ceux qui ont accueilli par leur foi « le Don de Dieu », le Don de l’Esprit Saint…
Marie vient de recevoir l’annonce de l’Ange : par l’Esprit, elle donnera bientôt au monde le Fils du Très Haut, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14). Elisabeth, sa cousine, attend elle aussi un enfant, Jean-Baptiste, et elle en est à son sixième mois, lui a dit l’Ange. Aussitôt, la toute jeune Marie part « rapidement » lui rendre visite…
« Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth ». Rien de plus simple apparemment… Et pourtant, Marie est « la Comblée de Grâce » (Lc 1,28), l’Immaculée Conception. En elle, « Dieu est tout », et Il Est « Esprit » et « Lumière » (1Co 15,28 ; Jn 4,24 ; 1Jn 1,5)… De plus, elle porte en son sein « Celui en qui habite corporellement la Plénitude de la Divinité » (Col 2,9), Jésus, « la Lumière du monde » (Jn 8,12)…
Lorsque Marie entra chez elle, Elisabeth fut « remplie de l’Esprit Saint », cet Esprit qui est Lumière et qui, par sa simple présence, « illumine les yeux du cœur » (Ep 1,18). « Par ta Lumière, nous voyons la Lumière » (Ps 36,10)… Marie vient de concevoir, rien ne se laisse deviner à l’œil nu et elle n’a encore rien dit. Mais Elisabeth, illuminée de l’intérieur, peut maintenant reconnaître ce que l’œil seul ne peut voir : sa petite cousine est désormais « la Mère de mon Seigneur, bénie entre toutes les femmes ».
Au même moment, Jean-Baptiste, six mois, a bougé en elle, et Elisabeth le sait : ce tressaillement n’est pas anodin. Il est le fruit de « l’Esprit Saint » qui « remplit » son enfant « dès le sein de sa mère » et qui le pousse à réagir en la Présence du Fils de Dieu dans le sein de Marie… Nous le voyons : tous sont habités par le même Esprit, en communion déjà ici-bas comme Dieu nous appelle à l’être tous pleinement au Ciel… DJF

 

 




3ième Dimanche de l’Avent – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Jean BaptisteFrères et sœurs, qu’est-ce qu’un prophète ?
Au moment où nous nous avançons à la rencontre de l’Époux, en ce Jour du Seigneur, veille de la rencontre finale du Christ et de son Église, en ce temps de l’Avent, temps de l’attente, temps de la vigilance qui éveille nos cœurs à Noël, nous sommes invités à méditer sur la figure de celui qui fut « le plus grand des prophètes », Jean-Baptiste, et donc à nous demander ce qu’est un prophète. Nous avons quelques idées là-dessus. Si nous ne sommes pas très cultivés bibliquement, nous pensons à des gens qui avaient des extases ou des frémissements intérieurs et qui prononçaient quelques oracles qui avaient vaguement à voir avec l’avenir d’Israël. Si on a déjà un peu cheminé dans la découverte de la Parole de Dieu, on se rend compte que les prophètes ne sont pas des Nostradamus de l’Ancien Testament, mais des hommes qui voyaient la présence de Dieu au cœur des événements de la vie d’Israël. Je voudrais essayer de vous faire pressentir en quoi consistait la vocation de prophète.
Être prophète en Israël, c’était une véritable « vie de chien », c’était d’une certaine manière épouvantable. D’ailleurs une des figures prophétiques les plus typiques, Jérémie, s’est plaint amèrement de ce métier. Il a dit à Dieu : « Il aurait mieux valu que ma mère ne m’enfante pas, ou plutôt que je sois mort-né, et qu’on dise à ma mère, juste après l’accouchement : ton fils ne vit plus ». Vraiment la vie de prophète était « une chienne de vie ». Et pourquoi ? Je crois qu’il y avait deux raisons.
La première, c’est que la parole, le message que le prophète avait à annoncer ne lui appartenait pas. Par définition, les prophètes – et c’est pour cela qu’on pense qu’ils étaient inspirés – disaient une parole qui n’était pas la leur. Ce qu’ils proclamaient, ce n’était pas quelque chose qui venait d’eux-mêmes. À ce titre-là, c’est l’exact opposé de ce que nous pensons aujourd’hui sur les auteurs en littérature. Nous croyons que les auteurs sont des gens qui pensent par eux-mêmes, qui, par leur intelligence, leur imagination, ajustent de belles paroles, de beaux discours, de beaux mots et les enchaînent en phrases. Dans l’Ancien Testament c’est tout le contraire. Par définition, le prophète éprouve la Parole comme n’étant pas sienne. Et c’est ce qu’il faut comprendre quand Dieu parle à Jérémie : « Voici que je mets mes paroles dans ta bouche ! » Vous connaissez ce beau récit de la vocation d’Isaïe où l’ange prend sur l’autel de Dieu des charbons brûlants et vient en toucher les lèvres du prophète. Un prophète, c’est celui qui, dans son corps, dans son esprit, dans son cœur, dans sa bouche, est traversé par les brandons enflammés de la Parole de Dieu. Par conséquent il y a à la racine même de la vocation prophétique une sorte de désappropriation totale. C’est pour cela que lorsque Jérémie dit : « Ah, ah, je ne suis qu’un enfant », qu’il bégaie comme un enfant, « je ne sais pas parler », c’est une sorte de bégaiement, une sorte de balbutiement d’enfant. En réalité il a raison, parce qu’à partir du moment où il est saisi par la vocation prophétique, il perd littéralement la parole. Ce ne sera plus sa parole. Le prophète est littéralement prophète, « celui qui parle au nom de… » Sa parole n’est pas sienne. Et Dieu sait que c’est éprouvant pour un homme de ressentir, jour après jour, que sa parole n’est pas sienne. Au fond, cette activité de parole nous est si chère, nous l’aimons tellement, que le jour où la parole n’est plus nôtre, c’est une sorte de dépossession terrible, d’arrachement, d’ascèse.

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Or il y a une deuxième connotation de la vocation prophétique, c’est que cette parole n’est pas pour lui, pour le prophète. Deuxième arrachement. Si au moins on pouvait garder cette parole pour soi, si au moins on pouvait laisser la Parole de Dieu fructifier, se développer, se déployer comme un surgeon dans la terre qu’est le cœur du prophète. Mais généralement elle n’est pas faite pour cela. « Voici, je t’établis sur les royaumes pour arracher et détruire, pour bâtir et planter ! » Le prophète ne pourra rien garder de la Parole de Dieu qui lui est donnée. Deuxième dépossession. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il suscite une telle agressivité car lorsque le prophète arrive au milieu du peuple, ce dernier sent instinctivement que la Parole est pour lui, et que le prophète ne la garde pas pour lui mais délivre ce message. Le peuple n’a aucune envie d’entendre les paroles d’admonition, de pénitence, de conversion que Dieu lui adresse par la bouche du prophète. C’est pour cela qu’on reconnaissait instinctivement la parole du prophète. Elle venait d’ailleurs, pour l’interlocuteur. Il fallait recevoir en pleine figure ce message prophétique. C’est pour cela que, la plupart du temps, le plus simple était de « fermer le bouton de la radio » et de tuer le prophète. C’est pour cela que Jérusalem a tué les prophètes car elle savait trop bien à qui était destinée cette Parole et elle ne voulait plus l’entendre.
Ainsi donc le prophète est coincé entre le marteau et l’enclume, entre la Parole de Dieu qui s’impose à lui et sur laquelle il ne peut rien et d’autre part les destinataires à qui il adresse cette Parole comme s’il voulait s’en décharger ; et eux ne veulent pas la recevoir. Le prophète est pris comme une sorte de balle de ping-pong. Il est renvoyé sans cesse de Dieu au peuple et du peuple à Dieu. C’est une vie impossible.
Et pourtant il y a un jour où la parole prophétique a trouvé miraculeusement presque un instant, sa plénitude dans le cœur d’un homme. Et c’est pour cela que Jean-Baptiste est dit « le plus grand des prophètes » car au nom de tous les prophètes d’Israël, selon la même fonction, selon la même vocation, Jean-Baptiste, un jour, a reçu la Parole en chair et en os. Il l’a vue et il a simplement dit : « Voici l’Agneau de Dieu ! » A ce moment-là, effectivement, il n’était que la voix, il n’était que le support, que le vecteur. Ce jour-là, la Parole se présentait elle-même sur les bords du Jourdain, dans une sorte d’extériorité et cependant dans une infinie proximité, une intimité infinie. Jean-Baptiste était bien prophète mais, ce jour-là, son geste prophétique était une sorte de cri d’émerveillement. Le simple geste de montrer : « Voici ! », un peu comme sur le retable d’Issenheim avec ce doigt mystérieusement courbé, incliné, qui montre l’Agneau de Dieu cloué sur la croix.

baptême-de-Jésus-JourdainCe jour-là, Jean-Baptiste recevait la Parole en personne. Totalement dépossédé de lui-même, il n’avait plus qu’à être la voix qui sert de support au Verbe de Dieu, le doigt qui le montre au peuple. Et en même temps Jean-Baptiste présentait cette Parole au peuple et mystérieusement voyait les épousailles de cette Parole avec les destinataires, le peuple tout entier, l’Épouse. C’est à ce moment-là que, pour ainsi dire, Jean-Baptiste a « le souffle coupé ». La voix ne crie même plus et elle entend, simplement, la joie de la rencontre. Alors que la plupart des prophètes de l’Ancien Testament avaient vécu le mystère de leur vocation prophétique comme cette espèce de déchirement, d’écrasement entre le mystère d’un Dieu qui appelle et un peuple qui ne veut pas accueillir cette Parole, mystérieusement Jean-Baptiste a eu cette grâce inouïe, à la fois de voir la Parole venir en personne à la rencontre du peuple, et l’Épouse en la personne de quelques disciples accueillir cette Parole.
Vous comprenez pourquoi Jean-Baptiste disait à ce moment-là : « Il faut que Lui grandisse et que moi je diminue ! » C’était effectivement l’achèvement de la vocation prophétique. Après Jean-Baptiste, il ne pouvait plus y avoir de prophètes au sens des prophètes de l’Ancien Testament. Avec Jean-Baptiste, par son ministère, par le simple geste d’avoir montré le Verbe fait chair, la rencontre s’était opérée en plénitude. La joie de Jean-Baptiste est encore la nôtre. Car nous aussi nous sommes mystérieusement des prophètes à la manière de Jean-Baptiste. Que ce soit vis-à-vis de nous-mêmes comme auditeurs de la Parole de Dieu, que ce soit vis-à-vis de nos frères à qui nous annonçons cette Parole de Dieu, nous sommes toujours comme Jean-Baptiste, ceux qui disent simplement : « Il est là ! » et qui, ensuite, le laissent parler, laissent la présence de la Parole s’effectuer au cœur de tout homme et d’abord à l’intime de notre propre cœur. Nous sommes alors ceux qui écoutent la voix de l’Époux accueillant l’Épouse dans son intimité et qui se réjouissent simplement de ce que le salut est donné en la personne de Jésus. AMEN.