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Troisième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 24 janvier 2016)

Néhémie 8, 1-4a.5-6.8-10 (Le peuple de Dieu redécouvre la Parole)

Grandiose scène du Livre ! C’est la fête des Tentes, au septième mois, celui du nouvel an religieux. Tout Jérusalem s’assemble près d’un portail du palais royal pour entendre la Parole. Mais c’est une fête exceptionnelle, résultat d’une longue histoire, et dans un contexte peu clair.

Le cadre historique supposé par l’auteur biblique

À partir de 538, certains exilés de Babylone revinrent en Judée. Mais leur élan religieux fit long feu. Aussi, entre 445 et 398, deux réformateurs juifs vinrent de Babylone : Esdras, un prêtre versé dans les écrits mosaïques, et Néhémie, un gouverneur laïc. On ignore si les deux personnages travaillèrent jamais ensemble. Mais leur réforme réussit en partie. Elle visait, avec l’aval du gouvernement perse, à régler la vie de la Judée, sous l’égide de la Loi de Moïse comme constitution politique légitime.

La scène symbolique d’un nouveau départ de la communauté des croyants

La présente scène solennise cet engagement : on y sent quelque tristesse, celle d’avoir été infidèle aux commandements, et la joie de repartir à neuf avec Dieu. La joie du Seigneur est notre rempart, dit le texte : Jérusalem s’est déjà reconstruit une muraille, un rempart, mais encore bien fragile et le Temple reconstruit, telles chez nous les églises reconstruites après la Guerre, n’a plus la splendeur de celui de Salomon, mais la fidélité du Seigneur envers son peuple, quels que soient les constructions de clochers et autres minarets, est la meilleure des protections et des remparts.
Dans cette scène grandiose profile déjà *l’office synagogal du temps de Jésus. C’est, selon saint Luc, lors d’un office de la synagogue de Nazareth (évangile), un jour de sabbat, que Jésus proposera à son peuple une route nouvelle.

Quand des églises rurales ou urbaines sont « désaffectées », voire démolies, quel avenir construisent, dans l’espérance, les communautés concernées ? Églises détruites au Proche Orient…, transformées en mosquées ailleurs…

*L’office synagogal. Dans la scène de Néhémie 8, l’auteur a en tête le scénario d’un office à la synagogue, le matin du sabbat. Le lecteur (Esdras) lit la Loi sur l’estrade qu’on appellera la chaire de Moïse (Matthieu 23, 2-3). On commence par des bénédictions et des prières (Quand il ouvrit le livre…). Puis vient la lecture. Esdras lisait un passage…, c’est-à-dire le texte hébreu; les lévites traduisaient, en araméen, qui était la langue du peuple – et cette traduction s’appelait le targoum ; et ils donnaient le sens : c’est l’homélie.

Psaume 18B (« La loi du Seigneur est parfaite »)

Ce psaume 18B appartient à un poème qui chante d’abord (psaume 18A) la création divine qui est un récit silencieux pour l’homme : « Pas de voix dans ce récit, pas de voix qui s’entende. » (verset 4). Mais le soleil de la création prend lumière et voix (Psaume 18B) dans la Loi, la Parole, que Dieu offre aux croyants.
Bien entendu, ce psaume 18B fait aujourd’hui écho à la redécouverte de la Loi, de la Parole de Dieu chez les croyants juifs revenus de l’exil de Babylone. Nous notons les termes par lesquels le poète évoque cette Parole divine : charte, préceptes, commandements, décisions. Ajoutons ses effets. Cette parole redonne vie ; elle rend intelligents les moins instruits ; elle réjouit le cœur, rend clair le regard sur le quotidien et sur le monde. Du point de vue moral, elle inspire la justice et l’équité. Elle suscite, chez ceux qui la reçoivent, la joie, l’intelligence, la crainte respectueuse. D’où le murmure du croyant apaisé qui récite la Loi s’appuie sur le roc et son défenseur qu’est Dieu.
Le lectionnaire a sauté cette expression du psaume : « Les décisions du Seigneur sont (…) plus savoureuses que le miel qui coule des rayons. » On comprend cette omission. De nos cinq sens, les chants liturgiques d’aujourd’hui les plus beaux évoquent la vue, l’ouïe, le toucher (« la main »). Mais où sont le goût (du miel !) et l’odorat (« la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement », Psaume 44, 9) ? Le sentir et le goûter entrent aussi dans l’expérience symbolique de la foi.

 

1 Corinthiens 12, 12-30 (Diversité des membres dans l’unité du corps du Christ)

Nous avons vu dimanche dernier à quel problème Paul répond en 1 Corinthiens 12. Pour conjurer les divisions dans l’Église de Corinthe, il recourt à présent à l’image du corps :
1. Notre corps est la figure qui unifie nos membres ; de même le Christ : lui seul unifie en lui les chrétiens de toute condition sociale, grâce à l’Esprit reçu dans le baptême et l’eucharistie.
2. Le corps n’est pas un seul membre… Paul insiste sur la nécessaire diversité des *membres et leur interdépendance. Puis il souligne ceci (Bien plus, les parties du corps …) : si nous vêtons décemment nos membres dits « honteux » (les parties génitales), honorons aussi les membres les plus fragiles de la communauté et vivons un soutien mutuel qui manifeste l’unité du corps du Christ.
3. Concrètement, parmi ceux que Dieu a placés dans l’Église au service de ses membres, il y a les trois ministères de la Parole (apôtre, prophète, enseignant), puis divers services. En queue, Paul met à dessein le « parler en langues » (en langage mystérieux ; voir 1 Corinthiens 14, 2.23), parce que les Corinthiens ont une admiration exagérée pour ce phénomène.
Tout le monde ne fait pas tout ! Pour Paul, l’unité ne réside pas dans l’uniformité, mais dans la reconnaissance mutuelle des dons de Dieu à son Église. Une lecture détaillée de la liste des ministères montre que ceux-ci répondent aux besoins fondamentaux de tout groupe humain : le sens de l’unité, le souci de l’objectif et l’attention aux faibles.

*Le corps et les membres. Au 5e siècle avant notre ère, la plèbe de Rome se révolta contre le Sénat jugé improductif et nuisible pour les basses couches du peuple. Le consul Ménénius Agrippa résolut le conflit en racontant la fable des membres et de l’estomac, reprise souvent depuis (cf. La Fontaine), à savoir, sans le gouvernement (le cerveau, dirait-on aujourd’hui !), les pauvres seraient encore plus pauvres. Paul connaît cet apologue. Mais, pour lui et contre la simple interprétation politique de la fable, les chrétiens sont membres les uns des autres parce qu’ils sont ensemble corps du Christ : leur unité ne vient pas d’une complémentarité sociale, mais du fait que tous et chacun, quelles que soient leurs classes sociales, appartiennent au Christ, à égalité – qu’ainsi soit-il !


Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21 (« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture »)

Nous entendons d’abord *le Prologue de Luc (Luc 1, 1-4) ; car aujourd’hui commence la lecture suivie de cet évangéliste (avant l’entrée en Carême). On saute ensuite au discours inaugural de Jésus dans la synagogue de Nazareth (Luc 4), le jour du sabbat. Mais nous ne lisons que la première partie de la scène : la suite viendra dimanche prochain !

Le cadre : une première tournée en Galilée

Selon le prélude à ce sabbat, Jésus entreprend en Galilée une brillante tournée et sa tribune favorite, comme celle des apôtres plus tard, est la synagogue, lieu central de la vie juive. C’est « avec la puissance de l’Esprit » que Jésus inaugure sa mission, l’Esprit qui s’est emparé de lui au baptême (Luc 3, 22) et l’a conduit au désert pour y être mis à l’épreuve, au seuil de sa mission (4, 1). Quel est cet Esprit qui marque tant les débuts de Jésus ? À cette question répond la scène de la synagogue de Nazareth.

La mise en scène de l’office synagogal du sabbat

En Terre sainte, on lisait d’abord, en hébreu, un passage de la Loi de Moïse et sa traduction dans la langue vivante, l’araméen. Puis venait un petit texte tiré des prophètes éclairant le passage de la Loi. On passait alors à l’homélie. Au temps de Jésus, n’importe qui pouvait, à l’invitation du chef de la synagogue, faire la lecture et l’homélie, et le choix des textes bibliques était assez libre. Jésus s’arrête à Isaïe 61, 1-2. Il aurait donc déroulé presque tout le rouleau d’Isaïe qui comporte 66 chapitres : c’est bien un choix. Ensuite, il prononcera l’homélie (cf. dimanche prochain).

Une lecture du livre d’Isaïe

Le texte d’Isaïe 61, 1-2 (« l’Esprit du Seigneur est sur moi ») présentait la vocation d’un prophète qui recevrait l’onction de l’Esprit pour proclamer une Bonne Nouvelle (un « évangile ») de libération en faveur des pauvres et de tous ceux qui considèrent leur vie comme un cachot sans lumière. Bien sûr, c’est l’évangéliste qui reconstruit cette scène pour nous expliquer quelle est la mission de Jésus. C’est aussi pourquoi il n’hésite pas à supprimer la promesse « du jour de vengeance » que l’on trouve en Isaïe 61, 2. « L’annonce d’une année de bienfaits accordée par le Seigneur » est une allusion à l’institution juive de l’année jubilaire (tous les 49 ans, voir Lévitique 25, 10-13) en laquelle les dettes étaient remises, les esclaves libérés, les captifs amnistiés. Jésus vient inaugurer une sorte d’année jubilaire définitive.

Le Seigneur m’a oint

Dans l’Ancien Testament, trois personnages peuvent être appelés « messies », c’est-à-dire oints, consacrés par l’Esprit en vue d’une fonction et d’une mission : le roi d’Israël, le grand prêtre, le prophète. Pour saint Luc, Jésus sera consacré comme messie royal par son Ascension auprès du Père (voir Actes 2, 36). Durant sa vie terrestre, il est messie en tant que prophète envoyé aux pauvres, à ceux qui sont opprimés par la société ou par leur propre conduite de pécheurs. Nous savons à présent que l’Esprit apparu au Jourdain pour investir Jésus est celui qui anime les prophètes. Oui, « aujourd’hui », jusque dans notre aujourd’hui, avec les actes et les paroles à venir de Jésus, la prophétie d’Isaïe 61,1-2 « s’accomplit », trouve sa pleine réalité. Dimanche prochain, en effet, nous découvrirons que la mission de ce prophète-messie déborde les frontières d’Israël.

*Le Prologue de l’Évangile de Luc 1, 1-4. En rédigeant ses quatre premiers versets à la manière des prologues aux traités scientifiques ou historiques des auteurs de son temps, Luc fait entrer l’Évangile dans la grande littérature. Comme dans ces prologues, il s’adresse à un destinataire, Théophile, un païen devenu chrétien, qui a peut-être une place en vue dans l’Empire, à moins qu’il ne s’agisse, comme il arrivait dans cette manière d’écrire, d’un personnage fictif représentant tous les lecteurs (vous et moi !). Luc, il le précise lui-même, ne fait pas partie des « témoins oculaires », les apôtres, qui devinrent ensuite des prédicateurs, « serviteurs de la Parole », comme le raconteront les Actes des Apôtres. Il appartient à la seconde génération chrétienne. Il travaille sur les traditions qu’ont « transmises » les premiers témoins « dès le commencement », c’est-à-dire, selon la pensée de Luc, depuis le baptême de Jésus par Jean, véritable commencement de l’Évangile (voir Actes 10, 37 – les récits de l’enfance de Jésus sont, pour Luc, une préface). L’évangéliste se propose d’écrire « un exposé suivi », non point tant chronologique que théologique, pour montrer comment, avec le Christ, Dieu est intervenu dans notre histoire. L’Évangile n’est pas un reportage, mais un murissement de la foi des premières générations chrétiennes.




Troisième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

La Bonne Nouvelle du Pardon (Lc 1,1-4 ; 4,14-21)

Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous,
d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole.
C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi,
afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus.
Lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région.
Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge.
Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

3ième dimanche ordinaire c1 

Au baptême de Jésus, son Mystère de Fils avait commencé à se révéler : « Le ciel s’ouvrit, et l’Esprit Saint descendit sur lui », un Esprit donné en fait depuis toujours et pour toujours par le Père qui l’engendre ainsi en Fils, « né du Père avant tous les siècles, Dieu né de Dieu »… « L’Esprit du Seigneur est sur moi », dit-il ici en citant le prophète Isaïe…
Comblé de toute éternité par le Père, le Fils ne va pas cesser de lui rendre témoignage. « Jésus tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint et dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre » (Lc 10,21-22)… Ah, « si tu savais le Don de Dieu ! » (Jn 4,10). « Je vis par le Père », car « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,57.63)… « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22) ! Telle est « la Bonne Nouvelle » de ce Dieu Père, Amour et Don de Lui-même qu’il est venu nous révéler afin que nous vivions nous aussi, dès maintenant et le plus pleinement possible, de cette Vie qui ne cesse de jaillir du Père de toute éternité…
Mais en se détournant de Dieu, l’humanité a abandonné sa Source de Vie (Jr 2,13), et elle s’est privée elle-même de cette Plénitude de Vie que Dieu veut voir régner dans tous les cœurs (Rm 3,23). Que ses enfants ne soient pas pleinement heureux, qu’ils connaissent la souffrance, l’angoisse, la détresse par suite de leurs fautes (Rm 2,9), voilà ce que Dieu ne supporte pas : « Dieu a tant aimé le monde… qu’il a envoyé son Fils dans le monde non pas pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui… Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (Jn 3,16-17 ; 1Tm 2,4-6).
Toute la mission du Fils est donc de travailler à cette réconciliation des hommes avec Dieu en leur offrant gratuitement, par amour, le pardon de toutes ces fautes par lesquelles ils se sont eux-mêmes privés de la Plénitude de sa Vie (Rm 6,23). Serons-nous assez « pauvres » de cœur pour reconnaître nos misères ? Ne sommes-nous pas tous « prisonniers » de tel ou tel mal qui nous « opprime » en fait, en ne nous apportant jamais le bonheur espéré ? Lui, il est venu nous offrir la « libération », la « liberté », un même mot grec, ἄφεσις, répété ici deux fois et qui partout ailleurs sera traduit par « pardon » (Lc 1,77 ; 3,3 ; 24,47)… L’accepterons-nous en vérité ? Car « celui qui fait la vérité » sur ses misères « vient à la Lumière » du « Père des Miséricordes » qui « exerce la Miséricorde en rayonnant de joie », heureux de ce vrai Bonheur qu’il sait pouvoir nous donner pour notre plus grande joie (Jn 3,21 ; 2Co 1,3 ; Rm 12,8 ; So 3,16-18 ; Jn 15,11 ; 17,13) ! DJF




Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 17 janvier 2016)

Isaïe 62, 1-5 (Les noces de Dieu et de son peuple)

Ce texte est déjà proposé, chaque année, pour la Vigile de Noël. Pour rebâtir une relation d’amour, il ne suffit pas que l’offenseur reconnaisse ses torts. Il faut aussi que l’offensé assume le risque d’un recommencement. Les prophètes de l’exil à Babylone soulignaient les torts d’Israël dans la rupture avec Dieu. Les prophètes du Retour (ici celui qu’on appelle le Troisième Isaïe) proclament que le Seigneur épouse à nouveau son Peuple vu sous les traits d’une jeune épouse.
La première partie du poème annonce la restauration de Jérusalem, œuvre de la *justice de Dieu amenant un rayonnement international, une renaissance (un nom nouveau) et une promotion royale : le Seigneur tournera entre ses doigts la couronne nuptiale qui représente les remparts et les tours de la Ville. La seconde partie précise l’origine de cette nouveauté : c’est la recréation de l’Alliance, sous l’image des noces dans lesquelles Dieu se refait jeune homme et rend à l’épouse sa propre jeunesse.
Nul reproche à l’Infidèle ! Il y eut un temps pour le délaissement, le désert et les reproches ; il y a un temps pour le renouveau. La suite du poème, non retenue ici (v. 9), ajoute l’image du vin de la fête : « Les vendangeurs boiront le vin, dans mes parvis sacrés. » La nouvelle Alliance nuptiale promise, Jésus la réalise pour nous, inaugurée par le récit symbolique des noces de Cana (évangile)..

*La justice de Dieu n’est pas un « jugement ». Dieu est juste envers lui-même quand il réalise son projet de nous sauver. Ainsi le poème ajoute deux synonymes à la justice : le salut – et la gloire, c’est-à-dire le rayonnement bienfaisant de Dieu). Et puisque le pécheur ne mérite pas la justice de Dieu, celle-ci équivaut au pardon de Dieu : « Dans ta justice écoute mes appels… N’entre pas en jugement avec ton serviteur… » (Psaume 142, 1 s.). Telle fut la découverte d’Israël, et le pivot de la pensée de saint Paul.

Psaume 95 (« Le Seigneur est roi »)

De ce psaume, la liturgie d’aujourd’hui retient quatre strophes. Il appartient à une collection de sept poèmes qui célèbrent la royauté de Dieu et que pour cette raison on appelle « les psaumes du Règne ». Ce sont, selon la numérotation liturgique, les psaumes 46, 92, 94 à 98. Ils comportent généralement la formule « le Seigneur est roi » (ici dans la dernière strophe), que l’on peut traduire aussi « le Seigneur est devenu roi ». Car il s’agissait, dans les cours orientales, d’une acclamation « Untel est devenu roi ») saluant, au son du cor, l’intronisation d’un nouveau souverain (voir 2 Samuel 15, 10). Bien entendu, dans les « psaumes du Règne », personne n’intronise Dieu comme roi. C’est lui-même qui s’affirme et se révèle comme tel.
Ce poème est un des quelques psaumes où les vers vont trois par trois. D’ordinaire ils vont deux par deux, selon, techniquement parlant, un « parallélisme binaire ». Ici, le troisième vers ne fait qu’ajouter un surcroit de solennité au texte. Faites l’expérience : lisez chaque strophe en supprimant le troisième vers, et vous verrez que le sens ne change pas.
Le présent « psaume du Règne » invite à chanter un chant nouveau, parce que le Seigneur fait du neuf ? a fait du neuf ? va faire du neuf ? La plasticité des conjugaisons grammaticales dans la langue hébraïque permet de comprendre le texte simultanément dans ces trois perspectives temporelles. La nouveauté que l’on doit chanter, c’est le salut de Dieu, sa gloire, ses merveilles. La terre entière, tous les peuples, toutes les nations, les familles des peuples doivent s’associer à cette louange, car le règne de Dieu les concerne tous. Depuis toujours (passé) des païens, attirés par la splendeur du Temple, venaient en pèlerinage à Jérusalem. Déjà le Seigneur était ainsi leur roi. Le Peuple élu revient d’exil (présent) ; c’est aux yeux des nations la preuve de la puissance royale du Seigneur dans les événements politiques du monde. Un jour (futur), le Seigneur règnera vraiment sur toutes les familles des peuples. Passé, présent, avenir habitent simultanément la pensée et la sensibilité croyante du psalmiste.
Ces extraits du psaume veulent faire écho à la promesse de la restauration de Jérusalem (1èrelecture) : Les nations verront ta justice, tous les rois verront ta gloire, la gloire qu’apportera le Seigneur éblouissant de sainteté.

1 Corinthiens 12, 4-11 (« L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier »)

Chaque année (A, B, C), le temps ordinaire s’ouvre par une lecture semi-continue de la 1ère lettre aux, l’épître qui reflète au mieux la maanière dont saint Paul conçoit l’’Église, les relations au sein de l’Église. Cette année C, nous lisons la dernière partie de cette épître. L’Apôtre, chemin faisant, fait écho à des problèmes qui se répètent au long des âges.

Une situation trouble

La jeune Église de Corinthe gère mal ses indéniables richesses spirituelles. Lors des assemblées, ceux qui ont le don impressionnant de parler en langues inspirées par l’Esprit s’affichent comme des détenteurs privilégiés de l’Esprit Saint. Ceux qui assurent des fonctions moins spectaculaires s’en trouvent découragés, et cette compétition déchire l’unité de la communauté. Les Corinthiens ont écrit à Paul à ce sujet. La réponse couvre 1 Corinthiens 12 à 15 (extraits en ces 2e, 3e et 4e dimanches). L’Esprit Saint ne saurait vouloir ces déplorables rivalités.

Diversité et unité

Il faut lire et relire lentement, attentivement les trois phrases par lesquelles l’Apôtre introduit son raisonnement. C’est une mini-tapisserie aux fils très serrés. Les dons de la grâce (« charismes ») ont pour synonymes les services qui animent la communauté et les activités de ceux qui ont le sens de concret. Tout cela se manifeste en diverses personnes, de manière variée. Voilà la première trame de la tapisserie. Or, tout cela vient du même Esprit, du même Seigneur, du même Dieu (le Père). Telle est l’autre trame de la tapisserie. On comprend que, de manière subtile et ironique, l’attribution des charismes à l’Esprit, des services au Seigneur et des activités au Père sont dans la pensée de Paul une fausse répartition qui doit faire réagir le lecteur intelligent : on ne saurait diviser le rôle de ces trois instances divines qui veulent l’unité de leurs dons dans la diversité de ses manifestations. Mais, puisque certains membres de l’Église de Corinthe revendiquent le monopole de l’Esprit en raison de leur parler en langues mystérieuses, Paul va se concentrer sur la multipliciété des dons de cet Esprit.

Le riche marché des dons de l’Esprit

Aux uns de parler avec une sagesse qui guide la vie de leurs frères. À d’autres d’enraciner cette sagesse dans une connaissance, une intelligence explicite de l’Évangile. Aux uns de manifester leur foi de manière particulière et sans le vouloir ; à d’autres, stimulés par cet exemple, de traduire cette foi par des actes de guérison, voire par des miracles étonnants. À certains inspirés de prophétiser, d’expliquer dans l’assmbleée les Saintes Écritures ; à d’autres de discerner et de dire si leur interprétation est correcte. À d’autres enfin, le don de « parler en langues », ce qu’on appelle aujourd’hui la « glossolalie ». Hiérarchiquement, c’est pour Paul le dernier des charismes. Il n’a de valeur que s’il est interprété par les sages, par les hommes de foi reconnus pour tels, par les prophètes et leurs interprètes, danvantage catéchètes.

Le trépied : Évangile et Société

Dans ce subtil ballet entre les différents charismes dans l’Église, on repère, sans qu’il vaille la peine de s’attarder ici aux correspondances sociologiques, à savoir les trois instances différentes et les trois types de personnes qui, tel un trépied, assurent l’assise d’un groupe, d’une communauté et jusque dans les conseils municipaux (qu’un des trois pieds se casse, on tombe sur le cul !). Il y a ceux qui défendent mordicus l’objectif que s’est fixé le groupe, ceux qui sont plus sensibles à l’unité du groupe, malgré l’objectif fixé, et ceux qui veulent que le groupe tienne compte des faibles, de la minorité silencieuse. Ces rapprochements rappelés à-la-va-vite ont peut-être un intérêt, quand il s’agit des rapports entre l’Évangile selon Paul et la vie sociale.

*Les charismes. Le langage courant applique le mot charisme aux chefs qui s’imposent par des talents exceptionnels, cette autorité charismatique s’opposant aux institutions officielles gérant le quotidien. Rien de tel dans la pensée de Paul. Chez lui, le mot grec charisma signifie le don de la grâce de Dieu (Rm 5, 15-16) qui se spécifie en des manières de vivre (mariage ou célibat, 1 Co 7,7) ou en des services communautaires (Rm 12, 6; 1 Co 12). Ainsi, les charismes ne s’opposent pas à l’institution de l’Église : ils en sont l’âme.

Jean 2, 1-11 (les noces – la noce ? – de Cana)

En finale de ce récit, saint Jean caractérisera les Noces de Cana comme le commencement des signes de Jésus, la manifestation de sa gloire et le premier accès des disciples à la foi. Ces expressions si fortes suggèrent donc que ce simple épisode recèle en fait de très riches symboles, spécialement celui des *noces. Un terme finalement, difficile à traduire. Le lectionnaire introduit l’épisode en ces termes : Il y eut un mariage à Cana. Mais, autre traduction équivalente : « Il y eut une noce à Cana ». Notre tradition parle des Noces de Cana, au pluriel. Aurions-nous, dans notre langage d’aujourd’hui, quelque difficulté à distinguer entre « célébrer des noces » et « faire la noce » ?

La mère de Jésus

La mère de Jésus (Jean ne l’appelle jamais autrement) est interpellée en tant que Femme (comme au pied de la croix, Jean 19, 26). Elle représente Israël, figure féminine dans la Bible, mais cet Israël qui accueille Jésus et qui, au calvaire, sera confié au Disciple bien-aimé pour devenir l’Église (voir Jean 19, 25-27). Que me veux-tu ? Cette question marque une certaine distance. La mère de Jésus, l’Église, doit comprendre que l’Heure n’est pas encore venue, l’heure de la croix où se révélera le don total de l’amour de Dieu (Jn 19, 30.34) à travers l’effusion de l’eau, du sang et de l’esprit (ou l’Esprit). Mais la Femme anticipe cette heure par sa prière discrète qui nous vaut un premier signe. Tout ce qu’il vous dira, faites-le, demande-t-elle aux serviteurs. Elle relance ainsi l’engagement prononcé par Israël au pied du Sinaï : Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons (Exode 19, 8).

Le vin

Le vin, élément nécessaire à la fête, annonçait aussi dans la Bible la venue de Dieu ou de son Messie, une ère prospère où le vin coulerait à flots (voir Osée 2, 21-24 ; Isaïe 62, 9). Or, ce temps heureux est venu, signifié, dans le miracle, par l’équivalent de quelque 700 ou 800 bouteilles. Jean insiste sur le support de la merveille : six jarres de pierre destinées aux rites de purification, le chiffre six symbolisant l’imperfection (signe de l’époque de la pierre, c’est-à-dire des « cœurs de pierre », Ézékiel 36, 26). Ainsi Jésus comble de sa présence (jusqu’au bord !) l’histoire d’Israël parvenue à épuisement.

Qui est le marié ?

Au marié et au maître du repas revenait le soin de fournir la noce en vin. Les deux personnages sont de pales anonymes dans cet épisode et l’interpellation finale adressée au marié explique cet anonymat : le vrai maître du festin et le véritable Époux, encore ignoré des convives, est Jésus lui-même, comme le disent aussi les autres évangiles (voir Marc 2, 18-20). L’histoire sainte d’Israël avait déjà du vin à offrir, mais du moins bon. Dieu a gardé le bon vin jusqu’à maintenant, c’est-à-dire jusqu’à la manifestation de son Envoyé.

Le commencement des signes

Ses disciples crurent en lui, à commencer par la mère de Jésus qui s’affirme ici comme l’avant-garde des croyants. Cette foi, Jean ne la fonde pas sur un stock inespéré de bon vin, mais sur la capacité des lecteurs que nous sommes à saisir sous le récit les signes bibliques, inscrits dans les symboles de l’Ancien Testament, de la venue de Jésus. De la page de l’évangile, le lecteur d’aujourd’hui doit passer aux signes que le Seigneur continue d’opérer quand nous lui avouons nos manques de fête, de vie et de bonheur.

*Les noces. Les prophètes ont comparé à un mariage l’Alliance entre Dieu et son peuple. Mais souvent l’expérience du péché les ont conduits à considérer Israël comme une épouse infidèle (voir Ézékiel 16). C’est pourquoi ces noces devinrent objet d’espérance ; un jour, la tendresse divine restaurerait l’union bafouée : « Crie de joie, stérile… Ton créateur est ton époux… Comme une femme délaissée et accablée, le Seigneur t’a appelée » (Isaïe 54, 1-8 ; voir aussi la 1ère lecture).
Le Nouveau Testament voit dans l’œuvre de Jésus, surtout dans son triomphe pascal, la réalisation des noces espérées (l’Apocalypse de Jean parle des noces de l’Agneau, Apocalypse 19, 7; cf. 21, 2.9). Les évangélistes voient en Jésus lui-même l’Époux qui ouvre sur terre une ère de joie (Matthieu 9, 15), un époux qu’il faut encore attendre dans la vigilance (ibid., 25, 1-6), mais qui entretient déjà avec son Église des liens d’amour nuptial (Éphésiens 5, 25-32). Le mariage chrétien, quand il tient bon, veut témoigner de cette union de Dieu avec son peuple.




Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

« Le bon vin de l’Esprit » (Jn 2,1-12)


Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là.
Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres).
Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord.
Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent.
Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié
et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

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Dans l’Evangile selon St Jean, le récit du miracle des noces de Cana inaugure le ministère public de Jésus. Et il ne cesse de faire allusion à sa fin : « Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée », un clin d’œil à la Résurrection, « le troisième jour selon les Ecritures » (1Co 15,4). « Femme, que me veux-tu ? », demande ici Jésus à Marie. Et elle disparaît ensuite de l’Evangile pour ne réapparaître qu’au pied de la Croix, où Jésus l’appelle à nouveau « Femme ». Mère du Fils, elle sera désormais la Mère de l’humanité que Dieu appelle au salut : « Femme, voici ton fils… Voici ta Mère » (Jn 19,25-27).
Le Don de Jésus à Cana est donc un signe visible, matériel, du Don spirituel invisible qu’il est venu offrir au Nom de son Père à l’humanité toute entière, un Don qui sera à nouveau évoqué par le signe visible du sang et de l’eau jaillissant de son cœur ouvert sur la Croix : « L’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19,31-37). Or, on croyait à l’époque que « la vie de la chair est dans le sang » (Lv 17,11). Le sang versé de Jésus renvoie donc à sa Vie éternelle de Fils, qu’il est venu offrir gratuitement à tout homme pour que sa vocation de « fils » puisse également s’accomplir. « Je suis venu pour qu’on ait la Vie, et qu’on l’ait surabondante… Va dire à mes frères : je monte vers mon Dieu et votre Dieu, vers mon Père et votre Père… Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint » » (Jn 10,10 ; 20,17-22)…
Au moment du baptême de Jésus, « le ciel s’ouvrit » et du ciel « descendit » du Père sur le Fils la Plénitude de « l’Esprit Saint », en révélation de ce Don éternel que le Père ne cesse de faire au Fils, un Don par lequel il « l’engendre » en Fils, « né du Père avant tous les siècles. » « Comme le Père a la Vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la Vie en Lui-même », par ce Don de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 5,26 ; 6,63). Et sur la Croix, le cœur de chair de Jésus « s’ouvrit », et il en jaillit « du sang et de l’eau » en signe visible de ce cœur spirituel toujours ouvert du Fils d’où jaillissent des « fleuves d’eau vive » pour laver, purifier, vivifier et combler l’humanité tout entière (Jn 7,37-39)…
« Cherchez donc dans l’Esprit votre plénitude » (Ep 5,18), car « c’est par elle », comblés par le Don de l’Esprit, « que vous entrerez dans toute la Plénitude de Dieu » (Ep 3,18). Et cela ne pourra qu’être synonyme de bonheur profond, de paix, de joie… « Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22), une joie annoncée ici par ce « bon vin » de l’Esprit, donné en surabondance : plus de six cents litres ! DJF

 




La fête du baptême de Jésus (P. Antoine Dennemont)

Dimanche dernier, c’était la fête de l’Épiphanie. Après la révélation de notre Dieu dans l’histoire des mages de l’Orient, aujourd’hui c’est le baptême de Jésus qui révèle son l’identité et sa mission. Jésus est celui qui rétablit le contact entre Dieu et nous. Le ciel s’ouvre de nouveau et le Père fait entendre sa voix. C’est le début d’une nouvelle période dans l’histoire de l’humanité. Comme lors de la Création, dans le livre de la Genèse, l’Esprit Saint descend et inaugure un temps nouveau, une création nouvelle. Il désigne Jésus comme le Messie, le Roi engendré, le « Fils bien-aimé ».

À plusieurs reprises dans l’Ancien Testament, à cause des péchés du peuple envers Dieu, les prophètes avaient affirmé que le ciel était fermé, que la relation avec Dieu était interrompue. Au baptême de Jésus, le ciel s’ouvre de nouveau : «alors le ciel s’ouvrit». Dans ce récit du baptême de Jésus, nous assistons à un double mouvement de descente et de remontée :

le Christ vrai Dieu et vrai homme descend de plus en plus bas dans la solidarité avec notre humanité de péché; il nous rejoint dans l’horreur de notre iniquité. Lui qui est sans faute Il est descendu jusqu’à la croix, jusqu’aux enfers (comme nous disons dans notre credo «  il est descendu aux enfers ») il vient nous en arracher.

Puis c’est la remontée. Après avoir été plongé par Jean Baptiste dans l’eau, Jésus est en prière. Et voilà que le ciel s’ouvre : c’est l’annonce de notre divinisation ; on attendait cela depuis les origines ; les cieux étaient fermés depuis le premier péché; tous attendaient le salut de Dieu. Tout au long de la Bible, nous trouvons des prières qui disent cette attente : « Ah ! Si tu ouvrais les cieux et si tu descendais ! » Aujourd’hui, le ciel s’est ouvert à la prière de Jésus. Cette espérance se réalise. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, « comme une colombe, descendit sur Jésus. » Cette colombe, qui rappelle celle de Noé après le déluge, annonce que le naufrage du monde a cessé définitivement. Les cieux se sont ouverts et ils ne se sont plus jamais fermés. On a de nouveau accès à Dieu. La communion avec lui est rendue parfaitement possible. En remontant de l’eau, Jésus entraîne et élève le monde avec lui.

Sur les bords du Jourdain, non seulement Jésus rétablit le contact avec Dieu, mais il pose un geste de solidarité profonde avec chacune et chacun d’entre nous. Il prend place dans la file des pécheurs et pécheresses qui veulent se convertir. Il est notre frère qui partage notre condition humaine, avec toutes ses joies et toutes ses souffrances. Cette révélation d’un Dieu solidaire fait suite à celle de la naissance de Jésus à Bethléem, où l’évangéliste nous présente le petit enfant comme l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous.

Cette bonne nouvelle était déjà annoncée par le prophète Isaïe (première lecture). Nous avons entendu des paroles très fortes : « Consolez, consolez mon peuple. » Ce message d’espérance est adressé à un peuple qui vient de vivre des années de guerre, de destruction et de déportation. Rien ne lui a été épargné. Et voilà que le prophète Isaïe lui annonce qu’il a reçu le double pour toutes ses fautes. Il ne s’agit pas d’une double punition mais d’une surabondance de consolation. « Là où le péché abondé, l’amour à surabondé » (lettre de saint Paul aux Romains). Quand on revient vers le Seigneur et qu’il nous console, nous retrouvons la joie. C’est cela dont nous avons besoin.

Dans sa lettre à Tite (deuxième lecture), saint Paul donne précisément à Jésus le titre de Sauveur. Il s’agit du « salut de tous les hommes ». Désormais plus rien ne peut être comme avant. Pour ceux qui venaient du monde païen, c’était un changement radical. Avec Jésus c’est une vie nouvelle qui commençait pour eux. C’était comme une nouvelle naissance.

Le baptême donné par Jean-Baptiste n’était qu’un geste de pénitence. Dans le texte du baptême de Jésus, saint Luc nous invite à réfléchir sur notre propre baptême. Le ciel s’est  ouvert et l’Esprit Saint est descendu sur chacun et chacune d’entre nous.
Avec Jésus Sauveur, nous sommes plongés dans cet océan d’amour qui est en Dieu Père, Fils et Saint Esprit, plongés dans l’amour Trinitaire pour devenir un avec Dieu. Le baptême de Jésus, c’est la révélation de la Trinite : le Père est dans la voix, le Fils est dans Jésus, l’Esprit est dans la colombe. Jean Baptiste annonçait le baptême dans l’Esprit Saint et le feu. C’est de cela qu’il s’agit : le baptême nous donne le Christ pour passer avec lui continuellement de la mort à la vie, du péché à la sainteté, de l’angoisse à l’amour.
Le pape François nous a fait entrer dans une année de la miséricorde. Cette porte sainte que nous avons passée ou par laquelle nous passerons, nous rappelle que le Christ est « la porte des brebis ». C’est par lui que nous passons pour aller à Dieu. Pour avancer sur cette route, nous sommes invités à nous nourrir de sa Parole et de son Eucharistie. Nous avons tous besoin de retrouver la force de cette présence du Seigneur dans notre vie et notre monde.




Le baptême du Seigneur (10 janvier ; P. Claude Tassin)

Isaïe 40, 1-11 (« La gloire du Seigneur se révélera, et tout être de chair verra »)

Consolez, consolez mon peuple, – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes. 

Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. » 

Une voix dit : « Proclame ! » Et je dis : « Que vais-je proclamer ? » Toute chair est comme l’herbe, toute sa grâce, comme la fleur des champs : l’herbe se dessèche et la fleur se fane quand passe sur elle le souffle du Seigneur. Oui, le peuple est comme l’herbe : l’herbe se dessèche et la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure pour toujours. 

Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! » Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent.

 

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« Consolez mon peuple ». À partir de cette expression, on appelle Livre de la consolation d’Israël les chapitres 40 à 55 du livre d’Isaïe dans lesquels un prophète anonyme, vers l’an 540 avant notre ère, annonce que l’exil des Israélites à Babylone touche à sa fin. Ils vont revenir. Mieux, Dieu va revenir en triomphe à la tête des rapatriés. Ce début du Livre de la consolation se déploie en trois parties.

Un décret royal

C’est un décret d’amnistie promulgué par Dieu : le peuple élu est absous des fautes pour lesquelles il a connu la déportation. Il a payé sa peine lourdement (« le double ») ; ses travaux forcés (« son service ») sont terminés. Le mot français « consoler » ne rend pas la richesse du texte biblique qui, dans ce verbe, implique l’idée de réconforter ceux qui sont dans l’épreuve, de les inviter, de les exhorter à se remettre debout. Dans le grec moderne, ce verbe, parakalô, signifie « s’il vous plaît ».

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Une voix…

Non, ce n’est pas une voix qui prêche dans le désert ! C’est une voix disant aux amnistiés qu’ils doivent préparer à travers le désert le chemin de leur retour. Cette voix n’est sans doute que celle du prophète se proclamant porte-parole du Seigneur, de son projet libérateur, un rôle que s’attribuera Jean le Baptiste (Luc 3, 4-6). Pour l’heure, le retour se fera à travers le désert dans lequel les rapatriés devront aplanir, niveler tout escarpement incommode, comme une route préparée pour un souverain qui prendra la tête de leur cortège. Avec raison, les commentaires spirituels lisent ici une dimension morale : pour préparer la venue du Seigneur, c’est en nous qu’il faut aplanir tout excès et redresser ce qui est tortueux.

… pour un évangile

C’est sans doute encore le prophète, héraut de Dieu, qui s’imagine posté sur une haute montagne pour proclamer cet *évangile : Dieu, à la tête des rapatriés, revient en vainqueur pour régner sur Jérusalem et sur la province de Juda. Il s’avance en roi et en berger attentif aux faibles, ces deux titres étant liés dans la culture antique. Autrefois, Israël libéré de l’Égypte avait traversé le désert. Maintenant s’ouvre un nouvel exode, de Babylone à Sion.

Le nouvel Exode

disciple en missionTout chemin spirituel est un exode, des ténèbres à la lumière, de la servitude à la liberté. Selon saint Luc, Jésus est venu pour nous ouvrir un nouvel Exode, non seulement par l’enseignement qui jalonne sa route « exodale » vers Jérusalem (Luc 9, 51 – 19, 45), mais par son Ascension (Luc 9, 31) qui fait basculer notre vie terrestre en un exode « vertical », vers la gloire du Père. Le passage du Jourdain avait marqué l’entrée en Terre promise (Josué 3, 14-17) ; de même le baptême de Jésus dans le Jourdain inaugure une ère de liberté et de « consolation », de réconfort, d’exhortation.

*L’Évangile. Ce mot décalque un vocable grec signifiant « bonne nouvelle ». À l’origine, c’était un terme profane, la joyeuse annonce d’une victoire militaire ou de l’avènement d’un souverain. C’est l’auteur d’Isaïe 40 – 55 qui a fait passer le mot dans le domaine théologique. Telle est la Bonne Nouvelle : Dieu en personne vient régner au sein de son peuple. Au début de son ministère, Jésus s’est inspiré de ce prophète pour résumer sa propre mission : « Le Règne de Dieu a fini son approche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Marc 1, 15).

 

Psaume 103 (« Tu renouvelles la face de la terre »)

Ce long hymne chante le Dieu créateur et le souci de celui-ci pour ses créatures. Le texte trouve des traits parallèles dans d’autres psaumes (8 ; 19A ; 144 ; 145) et semble antérieur à la composition de Genèse 1. Surtout, il s’inspire, par le biais de relectures phéniciennes, d’un poème égyptien à la gloire du dieu soleil, Aton, hymne composé, pense-ton, par le pharaon Akhénaton vers 1350 avant notre ère.

Dieu Père (Giovanni Battista Cima) 2

La majesté du Créateur

Des cinq strophes du psaume aujourd’hui retenues par la liturgie, les deux premières évoquent la majesté du Seigneur. Il a établi son palais au-dessus du ciel visible, au-delà des perturbations météorologies, vents et pluies. Il n’est pourtant pas immobile, mais vivant. Son char royal se déplace au-dessus du vent et les humains devinent son mouvement à travers les orages impressionnants. Akhénaton s’adressait à son dieu en ces termes : « Tu te lèves, beau dans l’horizon du ciel, soleil vivant qui vis depuis l’origine. »

La providence du Créateur

De ce monde mythique d’en-haut, les trois strophes suivantes se tournent vers l’en-bas, vers la profusion des œuvres produites avec art, avec sagesse, par le Créateur. C’est la mer redoutable et la multitude des êtres vivants à qui le Seigneur offre la nourriture, continuellement, « au temps voulu ». Le pharaon disait à Aton : « Quand l’enfant sort du sein (…), tu ouvres sa bouche et tu pourvois à ses besoins (…). Tu as mis chaque homme à sa place et tu pourvois à leurs besoins. »

Le souffle du Dieu créateur

Esprit SaintLa dernière strophe retenue évoque le souffle divin créateur, continu, sans lequel les créatures ne peuvent vivre et subsister. Akhénaton louait son dieu par ces mots : « Tu donnes à ce que tu crées le souffle qui l’anime. » Ce souffle, pour notre psalmiste, n’est pas encore l’Esprit Saint (comparer Genèse 1, 1) ; mais son image l’annonce, et nous lisons ce psaume au jour de la Pentecôte.

 

La nouvelle création et l’Esprit du baptême de Jésus

Au premier abord, ce poème sur le Créateur et la création n’a qu’un lâche rapport avec les lectures du jour. Sauf à nous rappeler ceci : d’une part, le retour d’exil (1ère lecture) est envisagé par le prophète comme une nouvelle création (voir Isaïe 44, 1-5 ; 49, 8-13) ; d’autre part, en annonçant le Christ, Jean Baptiste s’est inscrit dans cette perspective. L’entrée en scène de Jésus est une nouvelle création, notamment dans l’épisode de son baptême où se manifeste l’Esprit Saint, le souffle du monde nouveau (cf. Genèse 1, 1).

 

Tite 2, 11-14 ; 3, 4-7 (« Par le bain du baptême, Dieu nous a fait renaître »)

 

La première partie du texte se lit la nuit de Noël. L’adjonction liturgique de la seconde partie est quelque peu artificielle, mais on en saisitt le but : établir un lien entre le baptême de Jésus par Jean et le sacrement du baptême chrétien.

La double manifestation du Christ

Visage de JésusLa première section a pour centre une double « manifestation » (en grec, une épiphanie). Celle d’abord de « la grâce de Dieu » visant « notre salut ». Elle correspond à la mission terrestre du Christ et à son « enseignement » (littéralement, une éducation) résumé en termes simples et forts : renier le péché et les passions pour vivre dans la justice et la piété. De fait, en se soumettant au baptême, Jésus signifiait qu’il se ralliait aux appels du Baptiste à la conversion (Luc 3, 7-18) et les approuvait. La seconde épiphanie sera celle du Christ glorieux quand il paraîtra, à la fin, comme « notre grand Dieu et notre Sauveur », après qu’il se soit manifesté dans l’humiliation de la croix (« il s’est donné pour nous »).

Le baptême chrétien

À cette double manifestation, début et terme de notre histoire, l’auteur de l’épître adosse l’expérience du *baptême chrétien conçu comme une renaissance et un renouvellement dû à l’Esprit Saint, but décisif du sacrement et signe d’une troisième « manifestation », celle, aujourd’hui, de la bonté et de la tendresse d’un Dieu Sauveur qui fait des baptisés des « justes », ajustés à son projet et qui suscite en eux l’espérance de l’inouï, « l’héritage de la vie éternelle ».

baptême

*Le baptême chrétien. En toute religion, les rites se transmettent, mais leur sens se modifie au long des âges. De leurs racines baptistes, les premières Églises ont reçu ce rite, mais elles ont dû en « christianiser » le sens. Pour Paul, le baptême nous plonge dans la mort du Christ pour accéder à une vie nouvelle (Romains 6, 1-4). Pour Luc, le baptême vise le don de l’Esprit Saint qui fait des baptisés un peuple de prophètes (Actes 2, 38). Pour Matthieu, le rite signe l’appartenance des disciples au Dieu Trinité (Matthieu 28, 19). Richesses de perspectives qui alimentent aujourd’hui encore la catéchèse baptismale !

 

Luc 3, 15-16.21-22 (« Comme Jésus priait, après avoir été baptisé, le ciel s’ouvrit »)

Le découpage liturgique de la Bible a ses facéties. Entre l’annonce par Jean du baptême « dans l’Esprit Saint et le feu » (1er paragraphe) et le baptême de Jésus (2e paragraphe), le lectionnaire supprime une transition capitale : l’arrestation du Baptiste et sa disparition (Luc 3, 19-20), c’est-à-dire une mise « hors jeu » de ce dernier, avant… le baptême de Jésus. Certes, cette manière de raconter ne trompait personne, mais elle permettait de souligner la venue de l’Esprit en Jésus et de minimiser l’apparente soumission du Christ au baptême de Jean, cette immersion qui resta longtemps le rite d’initiation pour certains groupes chrétiens (lire Actes 19, 1-7). En tout cas, le « trucage » littéraire de Luc, selon lequel le baptême de Jésus se réduit à une parenthèse (« après avoir été baptisé lui aussi »), met en relief, répétons-le, la venue de l’Esprit sur Jésus.

Baptême de jesus

L’annonce du baptême dans l’Esprit

Jean Baptiste émet cette prophétie : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » Au sens originel de la tradition évangélique, l’expression reste quelque peu énigmatique. Mais, sous la plume de Luc, il s’agit de l’Esprit de la Pentecôte, répandu dans les langues de feu (Actes 2, 3-4). L’évangéliste établit un parallèle entre le baptême de Jésus et la Pentecôte : c’est tandis que Jésus prie que descend sur lui l’Esprit Saint ; c’est sur l’Église en prière que viendra l’Esprit (Actes 1, 14). Dans la synagogue de Nazareth, Jésus interprètera le don de l’Esprit qu’il a reçu (Luc 4, 16-27). Au jour de la Pentecôte, Pierre commentera le sens de l’irruption de l’Esprit (Actes 2, 14-36) ?

Les auditeurs du Baptiste se demandaient s’il « n’était pas le Messie [= le Christ] ». Dans la tradition juive ancienne, le messie, celui qui est oint, consacré par l’Esprit de Dieu, peut être un roi, un prophète ou un prêtre. Saint Luc semble tenir la position suivante : durant sa mission terrestre, Jésus est Messie en tant que prophète. Par sa résurrection et son Ascension, Jésus devient le Messie royal : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié » (Actes 2, 36).

Le baptême de Jésus : un baptême dans l’Esprit

Selon la perspective de Luc, le baptême de Jésus, ou plutôt la venue sur lui de l’Esprit, constitue une scène de vocation prophétique. En ce sens, Jésus interprétera son baptême, lors de sa visite à la synagogue de Nazareth : « L’Esprit du Seigneur est sur moi. Il m’a oint pour porter l’Évangile aux pauvres… » (Luc 4, 18). Jésus s’identifie aux prophètes Élie et Élisée (Luc 4, 25-27) et, lors de la résurrection du fils de la veuve de Naïn, réédition d’un miracle d’Élie (1 Rois 17, 17-24), la foule s’écrie : « Un grand prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple » (Luc 7, 16).

Certes, Jésus est aux yeux de Luc « un grand prophète », supérieur à tous les autres. À preuve, la venue de l’Esprit « sous une apparence corporelle [insistance propre à Luc], comme une *colombe. »

BaptèmeJésusDans la déclaration de la voix céleste lors du Baptême, les manuscrits de l’évangile selon Luc hésitent entre deux textes. Celui retenu par la liturgie est celle-ci : « C’est toi mon Fils : moi, aujourd’hui, je t’ai engendré », c’est-à-dire une citation du Psaume 2, 7. Mais, avec honnêteté, le lectionnaire propose en note la version alternative : « C’est toi mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon amour. » Nous retenons cette seconde recension, parce que, chez Luc, la citation du Psaume 2 est réservée à la résurrection du Christ (Ac 13, 33), ce jour d’engendrement signifiant, dans le psaume, une intronisation royale. Mais, avouons-le, cette discussion peut durer à l’infini.

Le baptême de Jésus par Jean apparaissait comme un fait embarrassant pour les premiers chrétiens, parce qu’il plaçait le premier en soumission au second (cf. Jean 3, 22-26). Luc, par les contorsions de son récit, saisit bien ce problème. Mais on lui doit une réinterprétation qui réchauffe le cœur des baptisés chrétiens. Selon l’évangéliste, le baptême de Jésus annonce le baptême de l’Église dans l’Esprit Saint, à la Pentecôte. L’Esprit consacra Jésus comme prophète ; la Pentecôte fait des baptisés un peuple de prophètes, des femmes et des hommes qui s’efforcent de voir, spécialement par la prière, le monde et les événements comme Dieu lui-même les voit.

colombe_677*La colombe du baptême de Jésus reste une énigme. Certains commentateurs songent à l’Esprit de la création « voletant » sur les eaux primordiales (Gn 1, 2). En ce cas, le baptême de Jésus inaugure une nouvelle création. D’autres voient dans la colombe la Bien-Aimée du Cantique des Cantiques (4, 1). Il s’agit alors d’un renouvellement de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Autre interprétation : « C’est ainsi que, bien des siècles auparavant, une colombe est venue annoncer la bonne nouvelle de la fin du déluge » (Grégoire de Nazianze, 329-389). La liste des interprétations n’est pas close. Comme il arrive pour d’autres symboles, la tradition évangélique a fort bien pu vouloir titiller l’imagination des premiers lecteurs en les invitant à s’interroger sur les diverses mentions d’une colombe dans l’Ancien Testament.




Les fruits du baptême (Lc 3,15-16.21-22 ; Dimanche 10 janvier)

Le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.

Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. 

L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »

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Le baptême de Jésus, fresque du Moyen Age, Notre Dame de Paris

« Moi, je vous baptise avec de l’eau », dit Jean-Baptiste. « Lui », le Christ « vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ». Jean-Baptiste invitait à se reconnaître pécheur, et à exprimer ainsi un besoin de purification. Son baptême dans l’eau s’inscrivait dans la continuité avec tous les rituels de purification en usage à l’époque. Le baptême proposé par Jésus aura donc lui aussi cette dimension mais il sera le seul à être réellement efficace car le seul à pouvoir rejoindre le cœur profond de l’homme, ‘là’ où tout se joue : « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur » (Mc 7,21-23).

Nous les hommes, nous ne pouvons voir que les apparences, mais Dieu, lui, « sonde tous les cœurs et pénètre tous les desseins qu’ils forgent » (1Ch 28,9). « Tu sondes mon cœur » (Ps 17,3), et c’est ce cœur qui compte pour lui… Il le connaît déjà, et il le veut pur. Mais Lui seul peut le purifier… Ce travail nous dépasse… Mais pour qu’il se réalise vraiment, il a simplement besoin de notre coopération sincère, car Dieu nous respecte infiniment… Il ne fera rien pour nous sans notre accord… Il ne nous contraindra jamais à recevoir ses trésors… Certes, il insistera et déploiera tous ses talents pour vaincre nos résistances, mais rien ne se fera sans notre consentement profond à notre vérité de pécheurs acceptée dans l’Amour et offerte à l’Amour… Alors l’Amour accomplira son œuvre : « Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez lavés de toutes vos souillures… Je vous purifierai », et « heureux les cœurs purs », car purifiés : « Ils verront Dieu » (Mt 5,8)… Et comment fera-t-il ? « Je mettrai en vous mon Esprit », l’Esprit Saint, eau pure, spirituelle, qui purifie, eau vive, spirituelle, qui vivifie, éclaire et apaise nos cœurs…

Année jubilaire MiséricordeA nous de jouer, maintenant, jour après jour, en acceptant, avec son aide, Lui qui est toujours bienveillant, de faire la vérité dans nos vies et de lui offrir toutes nos misères… « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29… « Il n’y a qu’un mouvement au cœur du Christ : effacer le péché et emmener l’âme à Dieu… Nous sommes bien faibles, je dirais même que nous ne sommes que misère, mais Il le sait bien, Il aime tant nous pardonner, nous relever, puis nous emporter en Lui, en sa pureté, en sa sainteté infinie. C’est comme cela qu’Il nous purifiera, par son contact continuel » (Elisabeth de la Trinité), par ce Don toujours offert, gratuitement, par Amour, de l’eau pure de l’Esprit…

D. Jacques Fournier




Épiphanie du Seigneur (3 janvier 2016; P. Claude Tassin)

Isaïe 60, 1-6 (Les nations marchent vers la lumière de Jérusalem)

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

enfantImaginons que le poète a gravi très tôt le mont des Oliviers pour saisir les premiers rayons du soleil happant la hauteur du Temple de Jérusalem, tandis que dans la vallée encore noyée d’ombre se devine le mouvement des caravanes, certaines venues de loin et arrivant pour le marché. Mais quand le poète se double d’un prophète, une telle « photo » subit forcément une transfiguration spirituelle. C’est le cas ici, avec celui qu’on appelle Le Troisième Isaïe. En son temps, vers 520 avant notre ère, le retour des exilés de Babylone n’a pas eu l’ampleur espérée et Jérusalem n’a retrouvé ni sa splendeur, ni sa place dans le concert (commercial ?) des nations. Alors, pour exprimer son espérance et la partager à ses lecteurs, l’auteur recourt à un genre appelé « le pèlerinage final des peuples ».

Le pèlerinage final des peuples

Selon certaines traditions bibliques, un jour, dernier événement de l’histoire, tous les peuples convergeraient en pèlerinage à Jérusalem, pour une paix définitive et éternelle sous l’égide du Seigneur. Le plus ancien de ce genre de poèmes s’ouvre ainsi : « Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la maison du Seigneur se tiendra plus haute que les monts, s’élèvera au-dessus des collines. Vers elle couleront toutes les nations et viendront des peuples nombreux » (Isaïe 2, 2-3). Dans l’idéal, le scénario est le suivant : Dieu réunira les habitants de la terre d’Israël, puis, de manière concentrique, les Juifs de la Diaspora et, dans leur sillage, les païens subjugués par la puissance divine. Selon Isaïe 25, 6-8 ce sera un festin sur la montagne du Temple, dans l’ère de la résurrection, quand le Seigneur « fera disparaître la mort pour toujours ». Mais, en fonction des aléas et des malheurs de l’histoire, ce genre de poèmes peut subir d’étranges inversions. Ainsi Joël 4, 17, dans sa relecture d’Isaïe 2, 2-4, conclut : « Jérusalem sera un lieu saint, les étrangers n’y passeront plus. » Entre ces extrêmes, au temps de l’exil et du maigre retour des exilés, l’espérance prend encore une autre tournure, comme chez le prophète que nous lisons aujourd’hui.

La lumière nouvelle de Jérusalem

117Pour notre prophète, dans sa contemplation matinale de la ville, ce n’est pas le soleil qui se lève, mais la présence du Seigneur. Alors tout s’ébranle de partout, d’au-delà des mers et du désert. Les nations qui avaient traîné en captivité, à pied, les fils et les filles de Jérusalem vers leur exil à Babylone, les ramènent dans leurs bras ; elles avaient pillé la Ville, voilà qu’elles apportent leurs propres richesses pour orner le Temple, attirées par l’éclat du Seigneur.

 

Pour plus de clarté et comme le faisait déjà la Bible grecque d’Alexandrie, le lectionnaire ouvre ce chapitre par cette expression « Debout, Jérusalem ». En fait, ménageant un suspense, le poète n’évoquera que plus loin « Jérusalem », dans les termes suivants : « Ville du Seigneur, Sion du Saint d’Israël » (Isaïe 60, 14). Mais, dans l’épisode des mages (évangile du jour), ce privilège de la Ville du Seigneur se voit contesté.

Jérusalem contestée

Pour Matthieu s’appuyant sur la prophétie de Michée 5 (voir l’évangile de ce jour), c’est non pas vers Jérusalem, mais vers l’humble bourgade de Bethléem que se dirigeront les mages, représentants des nations et « apporteront des présents » (Psaume 71 [72]). S’il y a une ville-lumière attirante, ce doit être la personne du Christ (cf. Matthieu 4, 12-16) et la communauté de ses disciples (cf. Matthieu 5, 14-16). Enfin, le lieu du rassemblement final de ceux « du levant et du couchant » ne sera plus aucune cité géographique, mais le Royaume de Dieu (Matthieu 8, 11-12), autour du Christ ressuscité.

 

*Les pèlerinages, aujourd’hui encore, symbolisent le rassemblement des hommes de tous horizons dans la joie de Dieu, pas forcément de leur Dieu.. De siècle en siècle, les prophètes d’Israël brodèrent sur ce thème : à la fin des temps, Dieu convoquera ses enfants dispersés et tous les païens convertis, soumis au Peuple élu. Ils viendront l’adorer à Jérusalem et, sous le règne de Dieu, le monde vivra dans une paix éternelle (voir déjà Isaïe 2, 2-4). Jésus lui-même reprendra ce thème en le dépouillant de toute visée nationaliste (cf. Matthieu 8, 11-12).

 

Psaume 71 (« Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront »)

Dans le psautier, ce poème fait partie des textes appelés « psaumes royaux ». Ils chantent non pas directement la royauté de Dieu proclamée dans les « psaumes du Règne », mais celle du roi humain (le messie) que Dieu délègue, depuis l’ élection de David, pour gouverner son peuple.

Crucifix séminaire de Rennes

Un « protocole »

Quant à sa forme, notre psaume est un protocole. Dans les cours royales de l’Orient ancien, ce terme technique signifiait une proclamation solennelle, faite par un prophète, un haut courtisan ou un régent, lors de l’intronisation du nouveau roi. C’était à la fois, comme toujours à travers âges, cultures et régimes politiques, une ratification du nouveau règne, et un programme politique de justice que le souverain, selon les notables, les prophètes, aurait à respecter. Sinon, ce serait la ruine, et pour le peuple et pour le roi lui-même.

Un roi de justice

Quant au protocole ici produit, le psalmiste inspiré par Dieu n’a sans doute pas assisté à une telle cérémonie royale. Il rêve, à partir de ce qu’il a lu ici et là dans l’Orient. Il songe à un souverain idéal qui se signalerait sur deux plans :

1) Il aurait un rayonnement universel, symbolisé par l’offrande des présents royaux des nations. On comprend de ce point de vue comment la tradition chrétienne a élaboré la figure des « rois » mages.

2) Ce nouveau roi se signalerait par son souci des pauvres, des malheureux, des faibles. Dans son vocabulaire de la pauvreté, le psaume est bien plus diversifié que dans nos traductions. Déjà la version grecque des psaumes à Alexandrie avait renoncé à rendre cette subtilité. Au milieu des scènes grandioses de l’Épiphanie, il est bon que le psaume nous rappelle une formule clé de l’Évangile : « Heureux, vous les pauvres… » (Luc 6, 20). On pourrait paraphraser la béatitude par ces mots : Heureux, vous les pauvres, car Dieu est fatigué de vous voir pauvres. L’Épiphanie serait-elle alors un programme ?

 

Éphésiens 3, 2-3a.5-6 (L’appel au salut est universel)

Vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère…

Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. 

Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.

foule

La venue des nations à la lumière du Seigneur est annoncée dans la première lecture et s’inaugure symboliquement dans le voyage des mages (évangile). La deuxième lecture, s’écartant de Jérusalem et de Bethléem, éclaire et actualise le sens profond de ce salut universel. Elle est tirée de l’épître aux Éphésiens, en un passage (Éphésiens 3, 1-13) centré sur la notion de « mystère ». Le texte envisage successivement la fonction missionnaire des apôtres et le résultat de leur mission, résultat toujours en voie de réalisation.

Les apôtres et le Mystère

Communion des saints avec le ChristDans sa lettre aux Galates (1, 15-16), Paul présentait sa vocation en ces termes : Dieu, dans sa bienveillance, « a trouvé bon de révéler en moi son Fils, pour que j’en porte l’Évangile parmi les nations païennes. » L’auteur de Éphésiens relit cette vocation de Paul sous l’angle de la révélation du Mystère, et il l’élargit à tous les apôtres et prophètes chrétiens de son époque.

Le Mystère

Les premiers lecteurs des épîtres connaissaient chez les païens les « cultes à mystères », comprenons les rites secrets par lesquels les initiés obtenaient des dieux le salut, c’est-à-dire surtout la protection contre les puissances néfastes d’ici-bas et l’assurance du bonheur après la mort.

Dans la Bible, le mot mystère, appliqué à Dieu, apparaît assez tard (Daniel 2, 20-30). À l’origine, il s’agit des secrets qu’un souverain ne divulgue qu’a de proches initiés. En ce sens, le pseudo-Salomon du livre de la Sagesse (6, 22) se propose de révéler à ses lecteurs les mystères de la Sagesse divine.

Le mystère du Christ ? Réinterpréter le mot.

L’épître aux Éphésiens applique ce mot au Christ, seul révélateur par qui Dieu se fait connaître – car tout mystère ne se comprend que par une révélation. Le Mystère, en régime chrétien, enveloppe un univers vertigineux. On le perçoit, quand les épîtres évoquent tour à tour, en différents textes, le Mystère, ou le mystère de Dieu, ou le mystère du Christ, ou le mystère de l’Évangile.

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Alors, si ce Mystère tellement riche est « révélé » à tous les chrétiens…, c’est qu’il ne fait plus mystère. Le sens moderne du mot est une erreur. On songe à quelque chose défiant toute compréhension, selon l’expression triviale : « mystère et boule de gomme ! » Un terme d’aujourd’hui approcherait au mieux ce vocabulaire des épîtres. C’est le mot « secret ». Devant un secret, on reste bouche bée. Un secret de famille n’est connu que d’initiés. Mais s’entendre dire : « je vais te livrer un secret » est un honneur, un signe de confiance et d’amitié. Or, Dieu, par le Christ et par son Évangile, nous livre « le mystère de sa volonté » (Éphésiens 1, 9 ; comparer Romains 16, 25-27) ; il nous dévoile le secret de ce que depuis toujours il projetait de réaliser en notre faveur.

L’aboutissement du Mystère

Plus haut dans l’épître, l’auteur écrivait ceci : « Vous qui autrefois étiez païens (…), vous n’aviez pas de Christ, vous n’aviez pas droit de cité avec Israël, vous étiez étrangers aux alliances et à la promesse. » Mais, par son sang, c’est « le Christ qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité (…), un seul homme nouveau (…) en un seul corps » (Éphésiens 2, 11…16).

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Le « droit de cité » évoque la citoyenneté, une citoyenneté gréco-romaine à laquelle les communautés juives de la Diaspora aspiraient au long de leur histoire et que l’Empire païen leur refusait. Or, voici que les choses s’inversent : désormais les chrétiens de souche païenne et ceux d’origine juive sont, dans l’Église, concitoyens à égalité.

À présent, dans la lecture d’aujourd’hui, l’auteur reprend son propos sous un angle plus théologique. Les chrétiens venus du paganisme sont, plus littéralement traduit, « co-héritiers, co-incorporés, co-participants de la promesse ». Ils héritent de tout ce que Dieu avait promis à son peuple, depuis Abraham (Genèse 12, 1-3). Les croyants, sans distinction d’origine, forment un seul corps (Éphésiens 2, 16) sous une seule Tête (1, 22-23). Cette unité nouvelle, toujours en construction, a une dimension cosmique. C’est en contemplant la réalité de l’Église que les êtres invisibles, selon cette épître, ont découvert le mystère de Dieu, grâce à la proclamation de l’Évangile du Christ Jésus et à ses résultats : « Désormais les Puissances célestes elles-mêmes connaissent, grâce à l’Église, les multiples aspects de la Sagesse de Dieu » (Éphésiens 3, 10).

Le Mystère : une mission

Voilà le Mystère dévoilé : malgré ses insuffisances, l’Église est capable d’unir sous une seule Tête, le Christ, les ennemis d’hier. Construire cette unité est sa mission même. Elle annonce au monde que l’unité est possible. L’Épiphanie de Dieu se profilait dans le pèlerinage final des peuples à Jérusalem (1ère lecture) ; mais, pour l’évangile de la visite des mages, c’est vers le Christ lui-même que viennent les nations. Et désormais, c’est l’Église universelle qui est l’Épiphanie du Christ (2e lecture).

*Le Mystère. Dans l’épître aux Éphésiens le Mystère est le contenu de l’Evangile. Dans les apocalypses juives, le mot évoque le plan de Dieu sur la vie des hommes et l’histoire du monde, plan révélé à quelques privilégiés. Chez les païens gréco-romains, les mystères sont les rites secrets qui introduisent l’initié dans l’intimité d’un dieu. Pour Ephésiens, le plan de Dieu se réalise par le Christ et se voit dans la vie chrétienne : il n’y a plus à chercher le sens de la vie dans quelque cercle ésotérique.

 

Matthieu 2, 1-12 (Nous sommes venus d’Orient adorer le roi)

 

Sous le vernis d’une belle histoire, la visite des mages, Matthieu embrasse symboliquement dans cet épisode toute la destinée de Jésus. C’est un résumé de l’Évangile. Déjà Jérusalem rejette son Messie ; déjà les païens viennent adorer celui qui dira un jour à ses disciples : « De toutes les nations faites des disciples » (Matthieu 28, 19) À partir du rôle de l’Étoile, l’épisode se divise en deux parties : le nouement et le dénouement de l’épisode.

 Epiphanie 3

Le drame se noue

Dans la Bible, les mages, mi-savants, mi-astrologues et interprètes des rêves, sont des personnages équivoques, peu appréciés (cf. Actes 13, 6 s.). Les plus réputés sont ceux de Mésopotamie. Déjà le Livre de Daniel (1 – 6) ridiculise leur incapacité. Il est fort possible que Matthieu ait en tête cet aspect négatif, pour souligner que des païens ont reconnu le Christ avant le peuple de Jérusalem, déjà hostile. La tradition chrétienne a fait d’eux des rois, en référence au Psaume 71 (cf. ci-dessus). L’évangile ne précise pas leur nombre. L’Occident compte trois rois, un par cadeau apporté à l’Enfant. Mais d’autres Églises antiques les voient, en certaines de leurs fresques ou mosaïques, comme un cortège bien plus étoffé.

Ici, les mages ont vu se lever l’Étoile annonciatrice de l’avènement du « roi des Juifs ». Alors que les Juifs parlaient du Christ ou Messie, ce titre est toujours mis, dans les évangiles, sur des lèvres païennes, comme lors de la Passion en Matthieu 27, 11, dans la bouche de Pilate, un païen lui aussi.

L’Epiphanie 4

Matthieu s’amuserait fort sans doute des spéculations astronomiques que son étoile a suscitées au long de l’histoire, notamment pour dater la naissance de Jésus. En fait, l’astre dont il parle n’est pas une nova et ne se trouve pas sur la voûte céleste. Il se trouve dans la Bible. Selon le livre des Nombres 24, 17, se lèverait un jour « l’Étoile de Jacob » ; et les Juifs comprenaient que, sous ce symbole, il s’agissait du Messie. Au temps de Matthieu, les synagogues interprétaient ainsi l’oracle de Balaam (un « mage » païen, d’ailleurs), selon nos italiques montrant à propos de cet astre leurs modifications du texte biblique : « Je le contemple, mais il n’est pas proche. Un roi doit se lever d’entre ceux de la maison de Jacob, un libérateur et un chef d’entre ceux de la maison d’Israël. »

Le texte évangélique, dans sa logique, ne dit pas, malgré de splendides peintures ultérieures, que l’astre a guidé la route des mages. Ils l’ont vu « à son lever », à son apparition. Simplement, après cette apparition, ils viennent se renseigner tout naturellement à Jérusalem, centre du monde juif : Où trouver ce roi, demandent-ils ?

D’emblée, le cruel Hérode, selon une réputation bien établie par les historiens, craint un rival. Voici réunis « les grands prêtres et les scribes » qui plus tard condamneront Jésus. Ces experts de l’Écriture Sainte citent spontanément la prophétie de Michée 5, 1 situant la naissance du Messie à Bethléem. Le choix du texte prophétique, par Matthieu, parmi tant d’autres possibles, n’est pas innocent : seul Michée qui n’aime pas Jérusalem situe la naissance du Messie à venir dans l’humble bourgade de Bethléem, patrie du roi David, fils de Jessé.

jesus-pantocrator-wbPlus que l’Étoile, la Parole de Dieu sera donc le guide déterminant des mages. Les autorités juives interprètent correctement l’Écriture, mais ne bougent pas. Pire, d’après la suite du récit, Hérode cherche bien le Messie, mais pour le supprimer. Il incarne par là le mauvais pharaon qui fit périr les enfants des Hébreux – parce que, disait une légende juive, il voulait supprimer le Sauveur des Hébreux (Moïse) qu’il avait vu par avance en un songe que ses « mages » (égyptiens) avaient décrypté pour lui. Dès sa naissance, Jésus apparaît comme le nouveau Moïse persécuté. Mais on voit, sous la plume de l’évangéliste, la splendide inversion symbolique de l’histoire sainte : Pharaon le païen et ses mages étaient les méchants. À présent, les mages païens sont les bons et Hérode, le roi juif, est le méchant. Dans l’histoire chrétienne ultérieure, il y aura bien d’autres inversions de ce genre.

Le drame se dénoue

que-joie« Ils partirent. » Réorientés par l’Écriture entendue à Jérusalem, les mages retrouvent l’Étoile qui, cette fois, les conduit jusqu’au Messie : à la vue de l’astre, « Ils se réjouirent, d’une très grande joie ». Deux autres fois seulement, Matthieu évoquera la joie, celle de l’homme qui découvre le trésor du royaume des Cieux (Matthieu 13, 44) et la « grande joie » des femmes apprenant de l’Ange la résurrection de Jésus (Matthieu 28, 8).. Ces trois emplois peuvent guider toute une méditation.

 

À leur arrivée, par avance en vrais disciples, les mages « se prosternent ». Leurs offrandes symbolisent les offrandes qui, dans l’Ancien Testament, sont apportées par les nations et les rois au Temple ou au Messie (cf. 1ère lecture et Psaume 71). Plus tard, les Pères de l’Église trouveront un sens métaphorique pour chacun des trois dons. Ainsi, saint Pierre Chrysologue (380-450), dans son homélie pour l’Épiphanie : « Aujourd’hui, les mages considèrent avec une profonde stupeur ce qu’ils voient ici : le ciel sur la terre, la terre dans le ciel ; l’homme en Dieu, Dieu dans l’homme ; et celui que le monde entier ne peut contenir, enfermé dans le corps d’un tout-petit. (…) Et dès qu’ils voient, ils proclament qu’ils croient sans discuter, en offrant leurs dons symboliques : par l’encens, ils confessent Dieu ; par l’or, le roi ; par la myrrhe, sa mort future. ». En Exode 30, 23, la myrrhe entre dans la composition de l’huile sainte servant à l’onction de l’autel et des prêtres.

Puis, le projet homicide d’Hérode échoue, grâce à l’intervention divine. Les mages s’en retournent « par une autre voie », par une nouvelle manière de vivre peut-être.

L’avant-garde des nations

Jésus christChez Matthieu, pas de récit de la Nativité, point de visite de bergers devenant les premiers missionnaires. Chez lui, la première manifestation du Christ est pour les païens, mais des païens qui le reconnaissent comme « le roi des Juifs ». Pour Matthieu, nul n’accède au Christ s’il ne reconnaît pas que Jésus fut d’abord et reste le Messie de cet Israël auquel il a consacré tout son ministère terrestre (cf. Matthieu 15, 24). Au seuil de l’évangile, voici donc l’avant-garde de païens qui découvrent le Christ par leur science équivoque, plus ou moins magique, mais dans l’obéissance aux Saintes Écritures : c’est la première leçon missionnaire de l’évangéliste.




Sainte Marie Mère de Dieu (vendredi 1er janvier 2016; P. Claude Tassin)

Nombres 6, 22-27 (Vœux de paix et de bonheur)

Le Seigneur parla à Moïse. Il dit : « Parle à Aaron et à ses fils. Tu leur diras : Voici en quels termes vous bénirez les fils d’Israël : “Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !” Ils invoqueront ainsi mon nom sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai. »

 

dieu prend soin de son peupleAu seuil de l’an nouveau s’échangent des vœux de prospérité et de bonne santé. La liturgie, elle, nous offre la parole efficace de Dieu dans cette « bénédiction sacerdotale ». Ce texte semblait si sacré que les prêtres, seuls habilités à le prononcer, ne le disaient qu’en hébreu à la synagogue, sans le traduire en araméen, la langue du peuple. Cette bénédiction se déploie en trois formules.

Au sens premier

1) « Que le Seigneur te bénisse et te garde » : « Bénir c’est accroître la vie des hommes, garder c’est la protéger contre tout ce qui la menace. Les deux actions se complètent » (P. Buis).

2) « Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage… » Entrant en présence du souverain – car c’est une formule royale –, nous souhaitons qu’il nous offre un visage souriant, signe de ses bonnes dispositions envers nous.

3) « Que le Seigneur tourne vers toi son visage… » Quand Israël est dans le malheur, il dit que Dieu a « détourné son visage » (cf. Psaume 43 [45], 25). Que Dieu nous regarde, qu’il s’occupe de nous, et son regard nous apportera la paix – en hébreu shalom, c’est-à-dire le bien-être, une pleine harmonie avec nous-mêmes, avec les autres, avec la création, et avec Dieu, *une paix intérieure, surtout.

La bénédiction invoque trois fois le nom du « Seigneur » (Yahweh), pour marquer sa pleine présence, un nom, semble-t-il, que le grand prêtre ne prononçait que le jour du Kippour, dans les célébrations juives du nouvel an. Au seuil de l’an nouveau, nous souhaitons une relation de paix sans nuage avec notre Dieu, avec les humains et la création, un bien plus précieux que la santé.

L’avenir d’un texte sacré

Un texte biblique ne vaut pas seulement par son sens littéral premier, mais par le surcroît de sens que lui ont donné des générations de croyants. Dans le targoum araméen des synagogues anciennes, cette bénédiction est ainsi paraphrasée : « Que le Seigneur te bénisse en toutes tes occupations ! Qu’il te garde des démons de la nuit et des mauvais esprits, des démons de minuit et des démons de l’aurore, des démons des ruines et des démons du soir. » La valeur protectrice de cette bénédiction a perduré dans l’histoire chrétienne. François d’Assise avait recopié ce texte biblique de sa propre main pour que frère Léon le porte sur lui en une période de tentations et de dépression. Ainsi ce texte est devenu la prière des familles franciscaines.

* Une paix intérieure. « La réponse de l’âme à la Lumière se traduit par l’adoration et la joie intérieures ; par la reconnaissance et l’hommage, le don de soi, le silence qui écoute. Les lieux secrets du cœur cessent d’être un atelier bruyant, pour devenir un sanctuaire d’adoration où nous nous offrons en oblation à Dieu, où l’Éternel garde en paix ceux qui sont fermes dans leurs sentiments et se confient “en Celui qui connaît les plus intimes de notre vie” » (Thomas R. Kelly, quaker [1893-1941], La Présence ineffable).

 

Psaume 66 (« Que les nations chantent leur joie »)

 

Ce poème s’inspire de l’antique bénédiction sacerdotale (1ère lecture). Comparer les expressions : Que le Seigneur te bénisse… et Que le Seigneur vous prenne en grâce et vous bénisse. De même : Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage et Que son visage s’illumine pour nous.

Paris Surréalistes+annexes

Du cadre d’Israël à l’horizon des nations

La bénédiction sacerdotale se concentrait sur la faveur divine à l’égard d’Israël, désigné à la 2e personne du singulier, tandis que notre psaume élargit la perspective à la terre, le monde, toutes les nations. Plus précisément, Israël s’exprimant ici en « nous » en appelle à une pleine bénédiction sur lui-même, en sorte que le monde découvre dans le bonheur du Peuple élu un Dieu préoccupé de toutes les nations. Ce salut universel se concrètise en une prospérité agricole : La terre a donné son fruit. On sait que, dans certains courants de l’Ancien Testament, les bonnes récoltes relèvent d’une bénédiction divine, tandis que les mauvaises signifient une malédiction (voir la logique du célèbre chapitre de Deutéronome 28)

Les joies de l’ambiguïté poétique

Par son langage poétique, le psaume est à dessein ambigu. On peut comprendre que le psalmiste invite les peuples à connaître la conduite de Dieu (« ton chemin ») en constatant la prospérité d’Israël. On peut penser en même temps qu’il souhaite voir les nations païennes bénéficier des bénédictions accordées à Israël. Ou encore, les peuples seraient appelés à reconnaître dans leur propre prospérité l’action du Dieu dont se réclame le Peuple choisi. Sans doute, avec humour peut-être, le poète a-t-il conscience de ces tensions. À ses premiers lecteurs de se situer. Valorisent-ils l’élection unique d’Israël ? Pensent-ils plutôt que cette élection doit déboucher sur un témoignage éclairant les nations ?

Ambiguë tout autant, la forme du poème. Est-ce une prière de demande ? Selon la flexibilité de la grammaire hébraïque, l’expression la terre a donné son fruit peut se traduire aussi : que la terre donne son fruit. Est-ce un chant de louange et d’action de grâce ? En tout cas, l’expression « ton chemin » renvoie à la conduite du Roi de l’univers qui apporte le salut, qui gouverne le monde avec justice et, tel un berger, conduit les nations.

BonPasteur

Une relecture incessante

Ces ambiguïtés relèvent d’une plasticité poétique qui ouvre au psaume une postérité de sens pour les lecteurs ultérieurs. Dans l’expression « la terre a donné son fruit », certains pères de l’Église liront l’apparition du Christ en notre monde. De même, dans le vers « ton chemin sera connu sur la terre », l’imagination fertile et légitime de saint Augustin verra une prophétie de celui qui dira : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jean 14, 6). Des générations de missionnaires pourront même entendre dans ce psaume une annonce du rayonnement universel de l’Évangile, selon la déclaration de Paul : « C’est aux nations que ce salut de Dieu a été envoyé. Les nations, elles, écouteront » (Actes 28, 28). Lecture sans cesse recommencée ! Comment prier ce psaume, au seuil de l’an nouveau, dans le contexte douloureux des conflits du Proche Orient ?

 

Galates 4, 4-7 (« Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme »)

Paul résume ici l’aventure chrétienne : sans la foi, nous étions des « esclaves ». Nous voici devenus libres et, mieux encore, « fils ». Aux versets 1 à 3, il rappelait qu’à son époque et dans sa société, l’enfant ne se distinguait guère de l’esclave, puisqu’il se trouvait soumis à toutes sortes de tutelles, jusqu’au jour où son père le déclarait majeur. Paul songe à une double situation d’enfance assujettie, d’immaturité : celle du païen, servant des dieux trompeurs, et celle du Juif, sujet de la Loi mosaïque.

Or, à présent, Dieu « a envoyé son Fils » avec mission de payer notre affranchissement de toutes ces tutelles. Le prix que payait le Christ pour cela était simplement celui de l’amour : une vie de solidarité, jusqu’à la mort, avec ceux qui « sont sujets de la Loi ». Dieu a aussi envoyé en nous l’Esprit de son Fils et nous entrons ainsi dans la relation de respect et d’amour qu’il a avec ce Fils. L’esclave n’a pas la parole. Au contraire, l’Esprit nous fait parler librement à Dieu comme à notre père, et même à notre « papa », selon le mot araméen Abba par lequel Jésus s’adressait à Dieu (voir Marc 14, 36).

Huit jours après Noël, l’Église honore *Marie par qui s’est réalisée, dans la simplicité d’un accouchement, cette union de Dieu avec l’humanité : car le Fils qui nous rachète est « né d’une femme ».

Marie Basilique du Rosaire Lourdes

*Marie.. Nulle part ailleurs Paul ne fait allusion à Marie. Notons le parallèle qu’il établit ici : « né d’une femme, né sous la Loi ». Cette double expression souligne avant tout la condition fragile du Fils, solidaire d’une humanité assujettie au régime d’une Loi divine, éclairante parce qu’elle dénonce le péché, mais incapable de nous délivrer du péché. Comme d’autres sages, Job s’exclamait : « L’homme, né de la femme, a la vie courte et des tourments à satiété ! » (Job 14, 1). C’est l’honneur de Marie d’avoir introduit le Fils de Dieu dans notre faiblesse.

Luc 2, 16-21 (Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision)

L’épisode se déploie en quatre phases : c’est d’abord le message des bergers, puis les réactions intérieures de Marie et l’élargissement de l’annonce des bergers, à « tous ceux qui les entendirent », première prédication de l’Évangile. C’est enfin la nomination de Jésus, lors de sa *circoncision « le huitième jour ».

L’annonce des bergers

Enfin, les bergers arrivent à la crèche ! L’évangile fait suite à celui que nous entendions la nuit de Noël. Les bergers ont obéi à l’ordre implicite de l’Ange et ils trouvent le signe annoncé : « le nouveau-né couché dans la mangeoire ». Modèle des pauvres qui ont reçu l’Évangile, ils deviennent à leur tour missionnaires, racontant ce que le Ciel leur a révélé (l’apparition d’un Sauveur, d’un Messie, d’un Seigneur). Outre Marie et Joseph, se trouvent sans doute là des parents et des voisins, car Luc imagine la présence d’un auditoire. Et, comme plus tard la prédication des apôtres, les paroles des bergers suscitent déjà deux réactions opposées : les uns en restent à un « étonnement » stérile, les autres accueillent le message (comparer Actes 17, 32-34 ou 28, 24-25).

Sainte Famille 2

Marie retenait tous ces événements

Marie Grand Ilet la RéunionCe deuxième camp est représenté par Marie, modèle de l’Église des humbles qui fait confiance à la Parole de Dieu. Selon l’évangéliste, Marie va de découverte en découverte, lorsqu’elle écoute l’ange Gabriel, puis Élisabeth, puis les bergers, avant de se laisser bientôt déconcerter par l’attitude du jeune Jésus retrouvé au Temple (Luc 2, 41-50). Disposée à l’accueil du mystère de Dieu, « elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur ». Ces paroles rappellent l’attitude de Daniel essayant de comprendre sa vision du Fils de l’homme et « gardant ces événements dans son cœur » (Daniel 7, 28), dans l’espérance de leur accomplissement. Si, en cette fête, nous saluons Marie comme la Mère de Dieu, ce titre lui vient d’abord de son écoute silencieuse, disponible et constante de la Parole de Dieu qui se livre au fil et au cœur des événements.

Les bergers, messagers de l’Évangile

Les bergers ont constaté et proclamé ce qui leur avait été annoncé. Ils repartent en rendant grâce publiquement « pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu ». Leur mission continue donc. Luc dessine en eux la figure des premiers apôtres. Car, plus tard, Pierre et Jean diront devant le tribunal : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous vu et entendu » (Actes 4, 20), à savoir la puissance du Christ ressuscité.

Le Nom de Jésus

Christ souriantLe texte s’achève par une mention très sobre du rite de la circoncision, pratiqué selon la règle exacte huit jours après la naissance, un signe que saint Paul revendiquera pour sa part (Philippiens 3, 5). Ce rite scellait l’identité juive du nouveau-né, comme le signe de la Loi de Moïse et de l’Alliance conclue par Dieu avec Abraham. On ne saurait mieux illustrer l’affirmation de Paul (2e lecture) : il est « né d’une femme et soumis à la loi de Moïse. » L’évangéliste insiste davantage sur l’imposition à l’enfant du nom de Jésus (c’est-à-dire « le Seigneur sauve »), dernière mention de l’obéissance de Marie à la parole de Dieu (voir Luc 1, 31).

 

*La circoncision de Jésus. C’est cet événement que, selon le calendrier, la liturgie salue, « le huitième jour » (l’octave) après la nativité du Seigneur. Avant le Concile Vatican II, ce jour s’intitulait « la Circoncision de Notre Seigneur » et saluait ainsi l’enracinement humain de Jésus et la continuité de l’Alliance divine avec le Peuple élu : « Le Christ s’est fait le serviteur des (Juifs) circoncis, en raison de la fidélité de Dieu, pour réaliser les promesses faites à nos pères » (Romains 15, 8). Certains Juifs sympathisants du catholicisme regrettent que nous ayons abandonné le titre pré-conciliaire de cette fête, et certains catholiques sympathisants du judaïsme le regrettent aussi.




La Sainte Famille par P. Claude TASSIN (Spiritain)

    Commentaires des Lectures du dimanche 27 décembre 2015

 

1 Samuel 1, 20-22.24-28 («Samuel demeurera à la disposition du Seigneur tous les jours de sa vie »)

Comme autrefois Sara (voir Genèse 16, 1-5), Anne, future mère du prophète Samuel, est stérile et victime des rebuffades de sa féconde co-épouse. Un jour de pèlerinage au sanctuaire de Silo, elle promet au Seigneur de donner pour toujours à son service le garçon qu’il lui donnerait d’enfanter. Ainsi naquit Samuel.

La stérilité

Nous sommes ici dans une civilisation polygamique : *la stérilité empêche Anne de s’accomplir comme femme. Sans enfant, elle est déjà morte. Mais, puisque Dieu a donné ce qu’elle demandait, son épanouissement de mère, il semble juste à celle-ci qu’à son tour elle lui donne l’enfant, au service du prêtre de Silo. Le texte hébreu joue ici sur le sens supposé du nom de Samuel (demandé par / cédé à Dieu)

Samuel, aux origines de l’histoire du Messie

Samuel deviendra le premier grand prophète. Il aidera Israël à se trouver un roi, d’abord Saül que Dieu allait rejeter – et, avec son ironie, l’auteur du récit sait bien que c’est le nom de Saül qui signifie Cédé(-à Dieu)… Samuel est surtout en quelque sorte « le parrain » de David (voir Samuel 16, 1-13) et c’est donc lui qui est à l’origine de l’histoire du Messie, de l’espérance du Messie. En cédant son petit au Seigneur, Anne devient ainsi la mère de tous ceux qui espèrent le Messie, et l’ancêtre de toute famille qui accepte les imprévus de Dieu dans l’avenir de ses enfants.

*La stérilité d’Anne. Les couples stériles de la Bible se demandent pourquoi Dieu leur inflige ce malheur : pour renforcer l’expérience d’autres valeurs ? Pour un amour plus conjugal ? Anne, pourquoi pleures-tu, demande son mari ; est-ce que je ne vaux pas mieux pour toi que dix fils (1 Samuel 1,8) ? Sous l’influence conjuguée des prophètes et de la culture grecque, un sage d’Israël loue ceux dont la conduite morale féconde compense une absence de paternité et de maternité (Sagesse 3, 13-15).
Quand vient Samuel, enfant du miracle, sa mère se dessaisit de tout instinct de propriété pour s’ajuster aux intentions de Dieu. Ayant remis son fils au prêtre de Silo, Anne lance un cantique qui prophétise la venue du Messie, puisque – la suite le montrera, son petit Samuel sera la promoteur de la lignée du Messie (voir 1 Samuel 2, 1-10). C’est un chant « fictif », car Anne ne savait rien de tout cela. Mais la Bible indique par là une attitude exemplaire. Le Magnificat de Marie reprendra le Cantique d’Anne.

 

1 Jean 3, 1-2.21-24 (« Nous sommes appelés enfants de Dieu – et nous le sommes »)

Dans la 1ère lecture, une mère confiait au service de Dieu son enfant longtemps espéré. La 2e lecture, dont on lit une partie à la Toussaint, ne parle pas des relations familiales. Mais ce choix reflète bien autre chose qu’une facétie du lectionnaire liturgique.
1. Ce que Jean affirme, c’est que la foi au Christ fait déjà de nous des enfants de Dieu : nous avons normalement, à cause de notre foi, des paroles et des comportements que nous inspire l’Évangile et que le monde ne saisit pas. Pour Jean et à ce stade de ses écrits, le monde représente des chrétiens qui suivent leurs propres idées, en dehors de la tradition qu’il leur a transmise. Les vrais croyants ne saisissent pas eux-mêmes combien ils ressemblent au Fils de Dieu qui anime leur vie, parce qu’ils ne l’ont pas encore vu de leurs yeux. Au terme de l’histoire, dans la rencontre avec le Fils de Dieu, ils découvriront cette ressemblance. En attendant, qu’ils gardent bien les attitudes conséquentes à cette ressemblance : prier le Père (« tout ce que nous lui demandons, il nous l’accorde »), demeurer fidèle au commandement essentiel, à savoir la foi au Fils, Jésus Christ, et l’amour mutuel.
2. Ce que veut dire le lectionnaire aujourd’hui, c’est que les familles humaines, quelle qu’en soit la forme, étroite, clanique ou « décomposée », selon les cultures et les temps, ont pour mission de faire de chacun de leurs membres (même les parents) des enfants de Dieu dont parle saint Jean. Et une telle mission modifie forcément les relations familiales traditionnelles, surtout le jeu de l’autorité parents/enfants, puisque les parents sont eux-mêmes enfants de Dieu.

 

Luc 2, 41-52 (« les parents de Jésus le trouvèrent au milieu des docteurs de la Loi »)

Oublions l’anecdote de la fugue d’un enfant âgé de douze ans, lors d’un pèlerinage à Jérusalem. Laissons-nous guider par cinq signaux dans lesquels Luc livre le sens de son récit.
1) Luc situe l’incident à Pâques. Il ne connaitra par la suite qu’une autre Pâque, celle où Jésus viendra à Jérusalem pour passer de la Croix à la gloire du Père. Or ici, c’est au bout de trois jours (signal de la résurrection) que les siens retrouvent l’Enfant.
2) Les parents sont stupéfaits, ne comprennent pas. Leur perplexité anticipe les réactions de celles et ceux à qui sera révélée la résurrection du Christ (voir Luc 24, 4.12 ; Actes 2, 12), alors que Marie, figure de l’Église, garde les événements dans son cœur pour en approfondir plus tard le sens.
3) Ceux qui cherchent Jésus (le verbe revient quatre fois dans le texte) doivent comprendre ceci : C’est chez mon Père que je dois être. Ce je dois (ou « il faut ») désigne d’ordinaire dans les écrits de Luc le plan divin qui conduit de la Croix à l’Ascension auprès du Père.
4) Ce Christ qui est aujourd’hui chez son Père hors de notre vue à nous qui le cherchons, c’est dans le Temple qu’on le trouve, c’est-à-dire, symboliquement, dans son enseignement, puisque ce Temple fut aux yeux de Luc un lieu privilégié de l’annonce de l’Évangile par Jésus (voir Luc 19, 45-48 ; 20, 1 ; 21, 37-38 et, pour les Apôtres, Actes 4, 1-2).
5) La conclusion de l’épisode (il grandissait…) évoque Samuel enfant (« Samuel grandit. Le Seigneur était avec lui… », 1 Samuel 3, 19). Un tel parallèle n’est pas unique en Luc, chap. 1 – 2. Ceci nous ramène à la première lecture. Mais, si Samuel fut offert par sa mère au temple de Silo, c’est prophétiquement et de son plein gré que le jeune Jésus trouve sa place de Maître des maîtres « chez son Père ».
Ainsi cet épisode en apparence naïf sonne comme un prélude au ministère futur de Jésus à Jérusalem et au triomphe de son Ascension. Au fond, le mystère se révèle dans cette opposition entre un père et une mère humains cherchant leur enfant et un Christ qui situe par avance le terme de sa mission chez son Père – le tout à travers l’anecdote de la fugue d’un jeune au seuil de l’âge adulte, à savoir dans le judaïsme ancien, répétons-le, l’accomplissement des douze ans.
Certes, les parents chrétiens accordent des droits sur leur enfant au Père des cieux qui bouleverse parfois leurs projets. Mais la liturgie va bien plus loin en rabattant sur nos problèmes familiaux cette icône symbolique et anticipée du Christ ressuscité. On joue, pour notre instruction, sur l’équivoque d’une Sainte Famille à la fois incomparable et *modèle de nos familles. « Il leur était soumis » : Il n’y a pas de commune mesure entre l’obéissance que des parents peuvent demander à un enfant (domaine moral) et ce que veut dire Luc : le Fils de Dieu est entré, par obéissance au projet de son Père, dans le jeu des institutions humaines (domaine théologique). Mais c’est bien dans le nid d’une famille cachée, à **Nazareth, que s’est préparé le mystère pascal.

*La Sainte Famille, un modèle ? Un prédicateur, emporté par son sujet, se serait écrié : « Suivez le modèle de la Sainte Famille ! Ayez de nombreux enfants ! » Problème du modèle… que l’on découvre au moment où, à chaque époque, il se fissure. À moins, au contraire, que l’on ignore qu’il existe toujours de « saintes familles », dans certaines cultures, qui vivent le modèle d’Anne, épouse d’un polygame ou dans les familles « recomposées ». Les lectures de la Sainte Famille Année C ne démolissent pas les modèles que le magistère et la société défendent. Mais, si elles voulaient simplement confirmer le magistère, elles échoueraient : une femme de polygame abandonne son enfant aux soins du prêtre Éli (1ère lecture) ! Saint Jean remet en cause, implicitement, l’autorité familiale, puisque nous sommes tous enfants de Dieu (2e lecture) ! L’évangile donne en exemple un jeune (le Christ !) en fugue. La liturgie de la Sainte Famille ne propose pas un modèle. Elle offre espérance et consolation quand tout modèle familial semble échouer; elle laisse ouvert l’inattendu de Dieu.

**Nazareth. « Nazareth est l’école où l’on commence à comprendre la vie de Jésus : l’école de l’Évangile. Ici, on apprend à regarder, à écouter, à méditer et à pénétrer la signification, si profonde et si mystérieuse, de cette très simple, très humble et très belle manifestation du Fils de Dieu. Peut-être apprend-on même insensiblement à imiter(…) Oh, comme nous voudrions redevenir enfant et nous remettre à cette humble et sublime école de Nazareth, comme nous voudrions près de Marie recommencer à acquérir la vraie science de la vie et la sagesse supérieure des vérités divines ! (…) Nous ne partirons pas sans avoir recueilli à la hâte, et comme à la dérobée, quelques brèves leçons de Nazareth. (…) Une leçon de vie familiale. Que Nazareth nous enseigne ce qu’est la famille, sa communion d’amour, son austère et simple beauté, son caractère sacré et inviolable ; apprenons de Nazareth comment la formation qu’on y reçoit est douce et irremplaçable ; apprenons quel est son rôle primordial sur le plan social » (Homélie de Paul VI à Nazareth, 5 janvier 1964).