Frères et sœurs, il est vraiment surprenant que l’évangéliste Luc situe l’irruption du salut de Dieu dans un contexte apparemment aussi banal qu’une chronologie politique de l’époque. Si Luc est un chrétien, nourri de l’Ancien Testament, ayant un sens aigu de ce qu’est l’histoire du salut, histoire sacrée, consignée dans une tradition, portée par un peuple, une histoire qui n’appartient à personne d’autre que les tributaires et les porteurs de cette histoire, si Luc accepte donc de signifier que le moment le plus décisif de cette histoire peut être daté et repéré en rapport et en référence à l’histoire de tout le monde, l’histoire que vous lisez chaque jour dans les journaux, voilà qui constitue une donnée extraordinaire du projet de l’Évangile comme tel.
J’ai envie de poser la question, non pas celle que posait Jean le Baptiste, mais celle que posait Marie à l’ange dans le récit de l’Annonciation, au moment où elle reçut elle-même la Parole de Dieu dans sa chair et dans son sein : « Comment cela pourra-t-il se faire ? » C’est la seule question, la plus profonde, que nous ayons à nous poser face au mystère de notre propre existence chrétienne : comment cela pourra-t-il se faire que nous, qui sommes comme les autres, ni plus, ni moins, ni meilleurs, ni pires, nous puissions accueillir dans notre propre existence et dans l’existence du monde tel qu’il va, la réalité authentique de la Parole de Dieu ? La réponse est identique depuis vingt siècles et probablement plus, puisque saint Paul voit l’origine de cette attitude dans la figure d’Abraham, la réponse se dit en un mot : la foi, la foi dans la puissance d’un Dieu capable de venir à nous dans le temps.
2ième Dimanche de l’Avent par P. Claude TASSIN (Spiritain)
Commentaires des Lectures du dimanche 6 décembre 2015
Baruc 5, 1-9 (« Dieu va déployer sa splendeur »)
Le poète qui aime sa ville lui donne les traits d’une femme (« Bruxelles, ma belle »…), comme ici Jérusalem, épouse répudiée aux enfants déportés et dispersés. Mais Dieu lui rend sa parure de reine. Ses enfants reviennent en cortège dans un paysage transfiguré : tout est aplani, pour faciliter la marche, dans le désert paré d’une forêt de rêve, ce que pourraient les douloureux cortèges des migrants d’aujourd’hui.
Le poète se présente sous le nom de Baruc, secrétaire de Jérémie, et il écrirait en 582 à Babylone parmi les Juifs déportés. En fait, il s’agit d’une œuvre *pseudonymique. L’auteur est un sage du 2e siècle avant notre ère. Il réside à l’étranger en des jours où il devine que Jérusalem se libérera sous peu du joug des Grecs. Son poème est tissé à dessein d’expressions empruntées aux prophètes qui annonçaient le retour des exilés de Babylone, trois siècles plus tôt.
Oui, Dieu avait ramené les Exilés ! Mais si le pays est à nouveau opprimé et le peuple dispersé, il faut redire les anciennes prophéties, en actualiser les espérances : Dieu les accomplira sûrement et en plus grand. Car les prophètes sont à l’affût de l’actualité ; pressentent-ils une libération possible, c’est le signe que Dieu va agir, au cœur de notre histoire.
* Vous avez dit « pseudonymie » ? Un pseudonyme est un « faux nom ». Dans certains livres de la Bible, l’auteur, quoique réellement inspiré par Dieu, n’est pas celui qu’il prétend être ! Le vrai Baruc avait secondé Jérémie aux heures sombres de l’histoire de Jérusalem. Trois siècles plus tard, la Ville était à nouveau en crise. Alors un sage, relisant les écrits des prophètes, rédigea ce que Baruc aurait dit en la circonstance. Grâce à la pseudonymie, la Bible se relit elle-même et elle actualise la Parole de Dieu dans des situations nouvelles.
Philippiens 1, 4-6.8-11 (« Dans la droiture, marchez sans trébucher vers le jour du Christ »)
Paul, alors en prison (lire Philippiens 1, 12-26), écrit aux chrétiens de la ville de Philippes. Il les aime ! On le voit bien dans la *prière en deux parties qui ouvre sa lettre :
1) L’action de grâce. Paul rend grâce parce que les Philippiens soutiennent ses missions, lui envoyant même de l’argent quand ils le savent dans la gêne (voir Ph 4,10-20). Il loue ensuite le travail de conversion que Dieu lui-même opère dans leur communauté.
2) La supplication (« Et, dans ma prière… »). Les Philippiens vivent déjà l’amour. Que demander de plus ? D’aimer mieux ! acquérir clairvoyance et discernement dans la conduite quotidienne. Ainsi éviteront-ils les ambiguïtés et les faux pas dans leur marche vers « le jour du Christ ». Alors Dieu les tiendra pour des « justes », ajustés à son projet puisqu’ils auront montré leur parfait attachement au Christ.
Selon l’Ancien Testament, au jour du Seigneur, Dieu jugerait toute l’histoire humaine. La foi chrétienne parle désormais du jour du Christ ; et dans notre marche vers ce jour, Paul rappelle qu’il ne suffit pas d’aimer à la folie. Il faut ce tact qui voit au bon moment ce que Dieu attend de nous « pour sa gloire et sa louange ».
* La prière d’un apôtre. Paul ouvre ses lettres par le compte rendu d’une prière préparant les points qu’il développera par la suite dans l’épître. D’abord une action de grâce : il y proclame que ceux à qui il s’adresse sont déjà une page vivante de l’Évangile. Puis vient la supplication : il discerne ce qui manque encore à ses destinataires pour vivre pleinement cet Évangile. Bref, sa prière est un exercice prophétique : il cherche à lire les événements et les personnes avec les yeux de Dieu et à offrir à Dieu cette lecture. C’est peut-être le modèle d’une prière chrétienne qui ne se replie pas sur elle-même.
Luc 3, 1-6 (Jean Baptiste prépare le chemin du Seigneur)
Marc, Matthieu et Luc commencent la vie publique de Jésus par le portrait de son Précurseur, Jean Baptiste. Mais chaque évangéliste a ses centres d’intérêt; d’où des détails spécifiques chez chacun. Relevons les particularités de Luc.
Jean dans l’histoire universelle
Marc dit simplement : « Jean le Baptiste fut dans le désert ». Luc, lui en recopiant Marc, situe le personnage dans l’histoire universelle, car c’est l’histoire du monde qui est en jeu. Il nomme l’Empereur de Rome (en l’an 28) et son représentant en Judée (de l’an 26 à 36), Pilate, qui jugera Jésus, puis les fils d’Hérode le Grand qui régnaient au Proche Orient. Enfin, à l’empereur païen, il oppose le chef de la nation juive, le grand prêtre Hanne et son influent beau-père, Caïphe, ex- grand prêtre.
Jean, le dernier prophète ?
Luc introduit le Baptiste comme l’Ancien Testament présentait les prophètes : « La parole de Dieu fut adressée à Jean (…), fils de Zacharie ». Comparer, par exemple, Osée 1, 1 : « La parole du Seigneur fut adressée à Osée, fils de Bééri ». Luc fait de Jean le dernier prophète de l’Ancien Testament (voir Luc 16, 16) et il situe sa mission « dans la région du Jourdain », au seuil de la Terre promise, tandis que Jésus accomplira son Exode de la Galilée jusqu’à Jérusalem.
Le baptême de conversion en vue de la venue du Seigneur…
Héraut de Dieu, Jean proclame un *baptême de conversion : que l’on s’immerge, que l’on se noie symboliquement dans le fleuve en signe d’un retour à Dieu que l’on prouvera par des actes (voir l’évangile de dimanche prochain). On obtient ainsi le pardon des péchés : Dieu tire un trait sur le passé de quiconque se convertit pour accueillir la Bonne Nouvelle du Seigneur.
3) Car le Baptiste (ou « baptiseur ») a pour mission de préparer le chemin du Seigneur. Chaque évangéliste applique à Jean les versets 3 à 5 d’Isaïe 40. Ce poème écrit vers 539 avant notre ère demandait que l’on prépare le chemin dans le désert : le Seigneur (Dieu) prendrait la tête d’un cortège qui ramènerait à Jérusalem les Juifs exilés à Babylone. Dans la première lecture, nous avons vu Baruc relire ce passage trois siècles plus tard pour annoncer à nouveau un rassemblement du Peuple de Dieu. Quand les évangélistes relisent à leur tour cette prophétie, le « chemin du Seigneur » est le chemin que Jésus prendra pour nous conduire à une libération définitive.
… pour un salut universel
Luc est le seul évangéliste à lire jusqu’au bout le verset 5 du passage d’Isaïe, puisqu’il ajoute, littéralement : « Et toute chair verra le salut de Dieu . » Luc a aussi écrit les Actes des Apôtres qui s’achèvent avec l’arrivée de Paul à Rome et cette promesse : « C’est aux païens qu’a été envoyé ce salut de Dieu. Eux, ils écouteront » (Ac 28, 28).
Même si Jean l’ignorait lui-même, sa mission préparait l’accomplissement de l’intuition du livre d’Isaïe : le salut de Dieu est pour « toute chair », tout être humain créé, sans discrimination.
* Du baptême de Jean au baptême chrétien. Au 1er siècle, les bains rituels étaient à la mode. Les Juifs établis à Qoumrân les pratiquaient chaque jour dans un esprit de repentir. Le païen qui se convertissait au judaïsme recevait « le baptême des prosélytes » qui le purifiait de son état de païen.
Le baptême s’imposa aux Églises parce que plusieurs disciples du Christ avaient d’abord suivi le Baptiste; Jésus lui-même semble avoir un temps pratiqué ce rite (voir Jean 3, 22-26 et 4, 1-2). Chaque communauté chercha à donner un sens chrétien à ce baptême hérité de Jean. D’où, aux origines, un riche éventail de conceptions : pour Paul, ce sacrement nous plonge dans la mort du Christ pour noyer notre être pécheur et nous permettre une vie nouvelle (voir Romains 6, passage lu à la veillée pascale). Selon Luc, le baptême nous protège par le nom de Jésus Christ, nous obtient le pardon et nous communique l’Esprit Saint (voir Actes 2, 38). Pour Matthieu, le même rite signe notre totale appartenance à Dieu, Père, Fils et Saint Esprit (Matthieu 28,19).
2ième Dimanche de l’Avent par le Diacre Jacques FOURNIER (6 décembre)
« Le Fils dans notre histoire, pour le salut de tout homme (Lc 3,1-6) ».
L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène,
les grands prêtres étant Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie.
Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés,
comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis;
et tout être vivant verra le salut de Dieu.
Le Fils éternel du Père, « l’Unique Engendré », « s’est vraiment fait chair » (Jn 1,14.18), il est entré dans notre histoire en assumant notre condition humaine. Voilà ce que St Luc affirme ici en situant le début du ministère de Jean-Baptiste, le Précurseur de Jésus, en « l’an quinze du règne de l’empereur Tibère » qui commença le 19 août de l’an 14 de notre ère. Nous serions donc ici en 28-29, ou, selon la manière syrienne de compter (St Luc est très probablement d’origine syrienne), dans l’automne de l’année 27.
Puis il cite « Ponce Pilate » qui fut « gouverneur de Judée » de 26 à 36 mais ce n’est qu’en 1961, lors de fouilles effectuées à Césarée Maritime, que l’on retrouva enfin, pour la première fois, une inscription qui portait son nom. Vient ensuite « Hérode » Antipas, fils d’Hérode le Grand, qui fut « tétrarque de Galilée » depuis la mort de son père, en 4 avant JC, jusqu’en 39. Et « Philippe, son frère », ou plus exactement son demi-frère, règnera sur « l’Iturée-Trachonitide » jusqu’en 34. Enfin, « Caïphe » succéda en l’an 15 à son beau-père Anne comme Grand-Prêtre à Jérusalem et cela jusqu’en 36.
Tous ces points de repère donnés ici par St Luc situent donc très concrètement le Christ dans l’histoire. Avec Lui et par Lui, Dieu est venu appeler tous les hommes à revenir à lui de tout cœur : « Lavez-vous, purifiez-vous, cessez de faire ce mal » qui vous tue (Rm 5,12 ; 6,23). « Apprenez à faire le bien. Venez donc et discutons, dit le Seigneur. Si vos péchés sont comme l’écarlate, comme neige ils deviendront » car « je verserai sur vous une eau pure, et vous serez lavés de toutes vos souillures » (Is 1,16s ; Ez 36,24-28).
Telle est l’invitation que lance ici Jean-Baptiste à travers ce « baptême de conversion pour le pardon des péchés ». L’accepter, c’était se reconnaître sincèrement pécheur, et nous le sommes tous. C’était aussi exprimer le désir, et c’est un besoin, d’une purification profonde. Mais seul le Christ apportera ce renouvellement intérieur en baptisant non pas dans l’eau mais dans l’Esprit Saint : « Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu » (1Co 6,11), cette eau pure qui purifie, cette « eau vive » qui vivifie (Jn 4,10 ; 7,37-39) et triomphe ainsi de toute ces morts qu’engendrent nos péchés…
« Par ma vie, oracle du Seigneur Dieu, je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais à la conversion du méchant qui change de conduite pour avoir la vie » (Ez 33,11). Puisse cette volonté de Dieu s’accomplir dans la vie de tous les hommes ! DJF
1er Dimanche de l’Avent – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)
« Il est terrible le Jour du Seigneur, il est formidable, il est proche, il vient en toute hâte. O clameur amère du Jour du Seigneur ! »
Nous ne sommes peut-être plus assez surpris par cette expression « Jour du Seigneur » Que peut vouloir dire le fait que le Seigneur choisisse un jour ? Est-ce une affaire de calendrier comme si Dieu accordait à l’histoire du monde, à l’humanité une sorte de sursis permanent tout au long duquel chacun serait obligé de compter les jours ? Mais le « Jour du Seigneur » n’est pas le dernier jour, « Il est proche, le jour du Seigneur, formidable ! Il est proche, il vient en toute hâte » (Sophonie, 1, 14) et nous disons sans cesse : « Il vient, il ne cesse de venir ! » Ce qui est étonnant dans l’expression le « Jour de Dieu », c’est que Dieu puisse entrer dans un jour, c’est que Dieu puisse avoir un jour, avoir son jour.
En effet, si on y réfléchit, dans combien de religions la rencontre du divin, la rencontre des dieux, le domaine des dieux est extérieure au temps, aux jours ! Certes, dans chaque religion, il y a un calendrier par lequel on fête, on fait mémoire, on se souvient. Mais la plupart du temps ce calendrier ne sert qu’à évoquer un temps primitif, un temps antérieur, un temps premier, mythique. Dans combien de religions l’homme s’astreint à vivre au jour le jour, des rites, une ascèse, des comportements et pourtant l’homme sait que son salut est à l’extérieur de ce temps ! Combien de religions ont dit que pour vivre enfin, il fallait sortir de ce temps, de ce monde, de cet espace ! Pensez à toutes les religions orientales. Combien de fois les grands prophètes qui ont surgi étaient des hommes qui, d’une certaine manière, ne vivaient déjà plus dans ce monde, même lorsqu’ils s’y promenaient encore pour y prêcher et que sur leur faciès, sur leur visage il y avait comme une sorte d’absence, une sorte de repli sur soi ! Comme si, à partir du moment où ils étaient sauvés, ils étaient déjà dans un « ailleurs ». Et plus proche de nous, sans aller chercher les religions orientales, la manière dont nous appréhendons le monde, ce que nous appelons le monde de la science, ce monde où tout est cadré dans l’espace et dans le temps, nous avons prise sur lui, mais il a aussi prise sur nous. Le monde de la science est un monde de nécessité, un monde dans lequel l’homme se sent contraint par l’objectivité des résultats, la mesure de l’espace et du temps. Et même si, par sa connaissance, il arrive à des théories scientifiques, la relativité ou que sais-je, en réalité, plus il observe, plus il étudie, plus il y est lié. C’est la raison pour laquelle l’expérience technique et industrielle de notre monde contemporain est si ambiguë, à la fois facteur et vecteur d’une certaine libération de l’homme par rapport à des conditionnements très immédiats mais en même temps que de contraintes ! L’homme, lorsqu’il ne perçoit les choses, le monde et lui-même qu’à travers les catégories de l’espace et du temps, se sent pris, enfermé à certains moments.
Or précisément ce qui est étonnant c’est qu’il y ait un « Jour du Seigneur ». Là où l’homme éprouve le temps et l’espace comme quelque chose à l’intérieur duquel il se tient, comme des limites de sa connaissance, de son agir, de sa transformation du monde, Dieu a voulu que ce temps soit le lieu même de sa présence, de son action, de sa révélation, de son salut. Voilà pourquoi nous commençons par l’Avent, par la venue, par l’arrivée. C’est cela que veut dire le mot Avent. Nous célébrons la venue de Dieu dans le temps. Nous célébrons cette chose incroyable que ce qui, pour nous, est le symbole de l’usure, des limites du désir, de l’impuissance de la volonté, de l’impuissance d’une sorte de domination totale et technique du monde, le temps, le face à face avec la mort, cela même devient le lieu de la rencontre de Dieu et de l’homme. C’est extraordinaire de croire cela. C’est extraordinaire de croire que le temps que tant de nos contemporains éprouvent comme un poids ou tout juste comme cette petite plage dans laquelle il va falloir faire le plus possible sa place au soleil, que ce temps devienne le lieu dans lequel Dieu scelle sa présence et son Jour.
Faut-il que Dieu soit « insensé » pour vouloir que le salut de l’homme se joue là où il est ? Faut-il que Dieu soit « insensé » pour « quitter » son éternité et faire du temps et de l’histoire le lieu même de sa présence et de sa révélation ? C’est cela être chrétien. Ce n’est pas regarder le temps en faisant la moue ou en restant crispé, mort de peur. Que va-t-il nous arriver demain ? Le ciel ne va-t-il pas nous tomber sur la tête ? Au contraire, c’est regarder le temps comme le « Jour de Dieu », comme le moyen que Dieu a voulu de toute éternité, par sa création. « Il y eut un soir, il y eut un matin » (Genèse 1, 5). Ce temps est le cadre de la présence de Dieu.
Oui, l’aventure du monde est une aventure fantastique. Le « Jour de Dieu » est vraiment un « jour formidable » dans les deux sens. Car si d’une certaine manière cela fait peur, ce n’est pas simplement parce qu’il va y avoir du grabuge, mais parce que, d’une certaine manière, c’est inconcevable d’être aimé, c’est inconcevable, cela ne va pas de soi. Quand on est aimé par quelqu’un, cela ne va jamais de soi. Pourquoi sommes-nous aimés ? Eh bien, quand c’est par Dieu, c’est encore plus grand. Pourquoi sommes-nous aimés de Dieu ? Dieu a voulu non seulement nous aimer, ce que finalement un certain nombre d’expériences religieuses ont plus ou moins pressenti, mais son amour a été assez fou pour qu’Il vienne se manifester là où, apparemment, nous vivions ce temps comme une épreuve, comme une mort lente, comme une usure du désir, comme une usure du cœur.
Qu’au moment où nous entrons dans ce temps de l’Avent nous y entrions avec la même fougue que Dieu qui avance dans ce temps comme une sorte de cavalier, comme une sorte de guerrier. Il a à reconquérir l’humanité, Il a à reprendre son peuple, Il a à ressaisir tous les éclopés de l’histoire. Pour nous aussi, célébrer le temps de l’Avent revient à célébrer cette immense « chevauchée fantastique » de Dieu, cette sorte d’immense opération de sauvetage par laquelle Dieu se brûle à venir rencontrer l’homme dans le temps et dans l’espace où il a été créé.
Nous devons être des veilleurs. Non pas des veilleurs qui s’imposent des pénitences parce qu’il faudrait « en baver » pour entrer dans le Royaume, mais parce que si nous ne regardons pas le temps en face, nous ne verrons pas Dieu. Si nous ne regardons pas ce temps dans lequel Dieu nous a mis et dans lequel Dieu s’est mis, dans lequel Il s’est fait chair, dans lequel Il vient, si nous ne croyons pas que le salut c’est « l’Aujourd’hui de Dieu », alors nous risquons tout simplement de rater le Jour, le « Jour de Dieu ».
AMEN
1er Dimanche de l’Avent par P. Claude TASSIN (Spiritain)
Commentaires des Lectures du dimanche 29 novembre 2015
Jérémie 33, 14-16 (« Je ferai germer pour David un Germe de justice »)
Durant l’Avent, la première lecture est toujours tirée des prophètes annonçant les perspectives d’avenir que Dieu nous promet. Chaque année, le 4e dimanche de l’Avent relève les prophéties les plus explicites sur le venue du Messie.
Paris, « ville lumière » ! Rome, « ville éternelle » ! Les prophètes, eux, surnommèrent Jérusalem « ville de justice ». C’était plus un vœu qu’une réalité. Notre poème rêve du jour où adviendra cette réalité :
1) Le bonheur qu’il avait promis à Jérémie, Dieu va l’accomplir pour son peuple entier, du Nord (le royaume de Samarie) au Sud (le royaume de Juda).
2) Car la dynastie de David donnera un *Germe de justice, c’est-à-dire un roi qui gouvernera avec équité et selon les commandements divins.
3) Alors le pays sera libéré de l’Occupant, la sécurité régnera dans la capitale. Et, puisque c’est le Seigneur qui aura fait tout cela, on rebaptisera la Ville du nom suivant : « Le-Seigneur-est-notre-justice ».
Ce poème n’est pas de Jérémie, mais d’un de ses disciples et admirateurs, un demi-siècle plus tard. Pour lui, Jérémie avait raison d’espérer, même si rien n’est encore arrivé. Il réécrit à sa manière le poème qu’on trouve en Jr 23, 5-6. Bonheur, justice, droit, libération, sécurité… Ces mots de nos campagnes électorales sont déjà ceux des prophètes ; car le Messie espéré n’est pas étranger à nos aspirations humaines.
* Un germe de justice. Le germe surgit du pourrissement de la semence en la morte saison. Germe « juste », pour le paysan d’Israël, puisque Dieu règle les saisons avec « justesse » pour nourrir ses créatures. Mais pour les prophètes (des poètes !), le pourrissement et la morte saison se voyaient dans les catastrophes nationales, le massacre des descendants de David. Alors le « Germe » serait un roi parfait, le Messie, issu miraculeusement de cette pourriture (lire Zacharie 3 8; 6, 12). Pour nous, ce Germe est le Christ, vie nouvelle jaillie du Mort du vendredi saint : la Pâque est déjà présente dans l’Avent.
1 Thessaloniciens 3, 12 – 4, 2 (« Que le Seigneur affermisse vos cœurs lors de la venue de notre Seigneur Jésus »)
Paul avait dû fuir la ville de Thessalonique, après trois maigres semaines de prédication (lire Actes 17, 1-10), et il s’inquiétait : y avait-il encore des chrétiens dans cette ville ? Avaient-ils résisté aux persécutions ? Or, finalement, les nouvelles sont excellentes, rapportées par Timothée : la communauté a survécu ; et elle est solide, malgré les tracasseries des païens.
Alors Paul envoie sa première Lettre aux Thessaloniciens, et c’est le premier écrit du Nouveau Testament (vers l’an 51). Il leur avait dit ceci : la vie chrétienne consiste à attendre activement la venue du Fils de Dieu qui condamnera toutes les forces du mal (voir 1 Th 1, 9-10). Sa lettre veut fortifier les croyants dans cette attente. Ici, deux mots d’ordre : 1) Aimer tous les hommes, sans discrimination. 2) Vivre dans la sainteté. La suite de la Lettre dira en quoi consiste la sainteté : respecter son corps et celui des autres, mener une vie exemplaire de travail (1 Th 4, 3-12). Au reste, les Thessaloniciens ont vu comment se comportaient leurs apôtres chez eux ; ils n’ont qu’à suivre leurs traces, à faire de nouveaux progrès*. Dimanche prochain, l’Apôtre précisera cette consigne, à l’adresse des Philippiens : « que votre amour vous fasse progresser de plus en plus… »
* « Faites de nouveaux progrès ». L’Église de Thessalonique n’a pas encore un an d’existence et n’a vu son fondateur que durant trois semaines. Pourtant, quelle confiance chez l’Apôtre ! « Vous avez appris de nous comment vous conduire… » ; « vous savez bien quelles instructions nous vous avons données… » De quoi s’agit-il alors ? Progresser ! Chrétiens qui entrons en Avent, nous entendons Paul à longueur d’année. Il nous redit simplement : « faites de nouveaux progrès ! ».
Luc 21, 25-28.34-36 (« Votre rédemption approche »)
Nous n’avons ici, dans le découpage liturgique, que deux tronçons du discours de Jésus sur la Fin des temps qui couvre Lc 21, 5-36 et commence par l’annonce de la ruine du Temple de Jérusalem. En fait, quand Luc réécrit ce discours (qu’il a repris de Marc 13), dans les années 80, le Temple est déjà détruit. Parmi les chrétiens d’alors, certains s’excitent et pensent que cette catastrophe annonce la fin du monde et la venue imminente du Christ. D’autres, au contraire, pensent que la ruine de Jérusalem était déjà le jugement définitif de Dieu et que les croyants, coulant des jours tranquilles, n’ont plus rien à craindre.
Contre ces conceptions, Luc réaffirme, comme Marc et Matthieu, que *le Fils de l’homme viendra (1er paragraphe de l’évangile). Il ajoute un avertissement de son cru : la question n’est pas de dater la venue du Seigneur, mais d’être prêt en tout temps pour cet événement (2e paragraphe).
Il y aura des signes
Ces signes ne se trouvent ni dans l’azur perturbé par le réchauffement climatique ni sur nos rivages marins pollués, mais dans l’Ancien Testament. Ce sont des images tirées des prophètes et traitées en « copié/collé », à la mode des livres juifs appelés apocalypses, et pour dire ici ceci : si la ruine de Jérusalem était déjà un séisme, attendez-vous à des bouleversements bien plus grands, à une sorte de retour du monde au chaos des origines pour que Dieu fasse du neuf. Alors paraîtra « Le Fils de l’homme », ce personnage céleste qui, en Daniel 7, 13-14, vient inaugurer un peuple nouveau. Luc ajoute une conclusion confiante : ces séismes doivent réveiller l’espérance des fidèles du Christ. Qu’ils relèvent la tête, car c’est l’heure de la délivrance de toutes les forces du mal. L’évangéliste songe, à partir de l’histoire d’Israël, aux prodiges de la libération de l’Égypte, lorsque, selon l’expression de la tradition juive, « les enfants d’Israël sortaient, libérés, la tête découverte ».
Tenez-vous sur vos gardes
Le langage du second paragraphe de l’évangile est moins étrange à nos oreilles et se fonde sur deux constats : 1) la vie humaine obéit à de tragiques imprévus : « L’homme ne connaît pas son heure. Comme les poissons pris au filet perfide, comme les oiseaux pris au piège, ainsi sont surpris les enfants des hommes… » (Qohélet 9, 12). 2) Le chrétien sait qu’au terme, il doit « paraître » devant le Christ . Il faut donc réagir contre la pente des plaisirs immédiats et contre les soucis de la vie en général. Aux yeux de Luc, ces soucis sont les épines qui étouffent la semence de la Parole (relire Lc 8, 14).
Luc sait que le langage apocalyptique juif de Jésus (1er paragraphe) étonnera ses lecteurs païens, que nous sommes encore aujourd’hui. Il l’a pourtant gardé, car cette poésie fantastique évoquant la peur devant la mort et les séismes de l’histoire exprime bien le mystère du Dieu qui vient. Mais Luc sait aussi notre goût pour les « images catastrophe », d’où le second paragraphe : il ne s’agit pas de « fantasmer », mais de gérer le temps qui nous est laissé, de le régler par le réveille-matin de notre vigilance morale et de la prière constante…
L’Avent nous fait méditer d’abord sur les attentes réelles de notre foi. C’est pourquoi, comme à rebours, le 1er dimanche s’attache à l’horizon de la fin de l’histoire et de notre histoire, avant d’évoquer la figure de Jean le Baptiste (2e et 3e dimanches) et d’en arriver directement aux événements préparant la naissance de Jésus.
* Le Fils de l’homme viendra. Est-ce que Jésus « reviendra » ? La Bible ne dit jamais que Jésus reviendra. La liturgie nous fait chanter : « Nous attendons ta venue (et non ton retour !) » ; « Viens, Seigneur Jésus (et non reviens) ». Nous attendons un Christ devenu le mystérieux « Fils de l’homme » dont parlait Daniel, 7, 13, le Juge de l’univers. L’hymne, transmise par Paul, en Philippiens 2, 6-11, proclame ceci : depuis la Croix, Dieu a élevé Jésus au-dessus de tout. Désormais, quand nous disons « Jésus », le nom d’un homme, nous devons penser « Seigneur », le nom de Dieu lui-même. Les témoins de la Transfiguration ont pressenti ce mystère et nous attendons un Seigneur qui nous étonnera, comme il étonnera ceux qui l’ont connu en Palestine autrefois. Cyrille, évêque de Jérusalem (4e siècle), enseignait ceci aux futurs baptisés : « Nous annonçons l’avènement du Christ ; non pas un avènement seulement, mais aussi un second, qui est beaucoup plus beau que le premier. Car le premier comportait une signification de souffrance, et le second porte le diadème de la royauté divine. »
1er Dimanche de l’Avent par le Diacre Jacques FOURNIER (29 Novembre)
« Veillez » à accueillir sans cesse le Don de Dieu (Lc 21,25-28.34-36) ».
Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots.
Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées.
Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire.
Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. »
Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste
comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière.
Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Ce passage d’Évangile est très proche de Mc 13,24-32 rencontré précédemment. Quand St Luc l’a écrit, il avait St Marc sous les yeux… Et si nous comparons les deux textes, nous constatons que St Luc a rajouté : « Sur terre, les nations seront inquiètes et angoissées par le fracas de la mer et des flots ». A notre époque de bouleversements climatiques, nous ne pouvons que penser aux typhons, cyclones et tempêtes de plus en plus fréquents et violents. Cette apparente fin du monde décrite en St Luc peut donc aussi renvoyer tout simplement à notre monde actuel : après la mort et la résurrection du Christ, l’Histoire est en effet entrée dans les derniers temps… Et St Luc écrit ensuite : « Lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le royaume de Dieu est proche… Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver. » Notons la proximité avec St Paul : « Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus » (Ph 4,5-7).
L’appel central de notre passage d’Évangile est donc de « rester éveillés », de prendre garde à ce que notre regard de foi ne s’éteigne pas. « Le Seigneur est proche »… Prier, c’est garder ce regard du cœur tourné vers Jésus, en étant notamment fidèles à écouter sa Parole. Car avec elle et par elle, nous sommes vraiment en relation avec celui que nous ne voyons pas encore… Et le Dieu d’Amour ne cesse de nous proposer l’Eau Vive de son Esprit : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. » En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui » (Jn 7,37-39), l’Esprit de Lumière et de Force dont nous avons besoin pour rester debout dans les moments difficiles… « Tenez-vous donc sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie », écrit St Luc. « N’éteignez pas l’Esprit », écrit St Paul, « gardez-vous de toute espèce de mal », veillez, pour votre bien, votre paix, votre joie à « demeurer dans l’amour » (Jn 15,10) de ce Dieu qui, « de tout son cœur et de toute son âme » (et il est infini !), n’a qu’une seule préoccupation : le bien de tous (Jr 32,37-41 ; Lc 2,14)… DJF
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Solennité du Christ, Roi de l’Univers par P. Claude TASSIN (Spiritain)
Commentaires des Lectures du dimanche 22 novembre 2015
Daniel 7, 13-14 (Le royaume du Fils de l’homme)
La vision du « Fils d’homme » se passe de nuit. En effet, comme d’autres apocalypses juives, l’auteur hésite entre un songe nocturne ou un transfert corporel dans le monde céleste. On pourra comparer l’expérience de Paul en 2 Corinthiens 12, 1-4.
La vision d’un « Fils d’homme », une belle figure d’humanité, fait contraste avec l’évocation de quatre bêtes sauvages inhumaines symbolisant les nations et leurs rois qui persécutent le Peuple saint, au milieu du 2e siècle avant notre ère (Daniel 7, 1-8). Il s’agit ici d’une scène d’intronisation située dans « les nuées du ciel ». Le héros parvient jusqu’au trône divin (voir Daniel 7, 9-10), une sorte de char mobile, avec des roues, signifiant la présence de Seigneur, partout où il le veut. L’auteur s’inspire ici de Ézékiel 1. Dieu est présenté comme le « Vieillard » ou « l’Ancien » aux cheveux blancs comme la laine (Daniel 7, 9), une manière d’évoquer l’éternité de ce Dieu qui confie un règne éternel et universel au « Fils d’homme » en qui l’Apocalypse de Jean (2e lecture) verra Jésus ressuscité, « le souverain des rois de la terre », « qui vient parmi les nuées ».
Les évangiles – cf. déjà le passage de dimanche dernier – appliquent à Jésus cette figure, notamment dans le récit de la Passion, en cette déclaration devant le grand tribunal, le sanhédrin : « Vous verrez le Fils de l’homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel » (Matthieu 26, 64). Ces juges verront le Christ venant comme souverain, roi, juge de l’univers et d’eux-mêmes.
En deçà de cette interprétation évangélique on peine à décider à qui pense à l’origine l’auteur du livre de Daniel. Ce « Fils d’homme » peut être une figure collective, « le peuple des saints du Très-Haut » (Daniel 7, 27), c’est-à-dire Israël délivré des fauves mythiques, ses persécuteurs, et appelé à dominer le monde entier. Mais il peut s’agir de l’archange Michel, prince céleste (Daniel 12, 1), protecteur de ce Peuple élu que maltraitent les puissances politiques du Proche Orient. C’est apparemment le sens collectif que retiendra l’Apocalypse de Jean (2e lecture), sens transféré à la dignité royale du peuple chrétien.
Psaume 92 : « Le Seigneur est roi »
De ce psaume, la liturgie d’aujourd’hui retient trois des cinq strophes qui le composent. Il appartient à une collection de sept poèmes qui célèbrent la royauté de Dieu et que pour cette raison on appelle « les psaumes du Règne ». Ce sont, selon la numérotation liturgique, les psaumes 46, 92, 94 à 98. Ils comportent généralement la formule « le Seigneur est roi », que l’on peut traduire aussi « le Seigneur est devenu roi ». Car il s’agissait, dans les cours orientales, d’une acclamation saluant, au son du cor, l’intronisation d’un nouveau souverain (voir 2 Samuel 15, 10). Bien entendu, dans les « psaumes du Règne », personne n’intronise Dieu comme roi. C’est lui-même qui s’affirme et se révèle comme tel.
Dans les passages du Ps 92 retenus en ce dimanche, la strophe I contemple Dieu sur son trône. Son costume est de lumière majestueuse et, selon la traduction littérale, il a, comme il convient à un guerrier antique, un ceinturon de force. Les strophes II et III s’adressent à lui pour souligner la foi en son règne inébranlable, dès l’origine de la création, depuis toujours et pour la suite des temps. Selon la strophe III, les « volontés » du Seigneur, ses projets et ses commandements, immuables, apportent au monde sa stabilité, par delà les accidents de la politique et des conflits de l’histoire. Cette certitude, fondée sur la sainteté de Dieu se vérifie pour les croyants dans « la maison » du Seigneur, dans le Temple, dans le culte qu’on lui rend.
Au long les âges, les psaumes vivent leur vie. Dans la vieille traduction grecque, ce psaume a pour titre cette rubrique liturgique : Pour la veille du sabbat, quand le monde fut habité. Ainsi, on récitait ce psaume le vendredi, le jour où l’homme fut créé. Une homélie juive antique raconte ceci, avec humour : quand les créatures ont vu se dresser l’homme, au sixième jour, elles se sont couchées devant lui, en pensant qu’il était leur créateur. Adam, offusqué, les a relevées, pour qu’elles récitent avec lui le Psaume 92, pour adorer le seul roi, le Créateur. La légende peut viser la théologie chrétienne d’un Christ orgueilleux (!), nouvel Adam prétendant à la royauté sur la création.
Dans la liturgie latine des heures qui, au quotidien, va de l’Ancien Testament, (laudes), au Nouveau Testament, (vêpres), ces psaumes du Règne chantent, au matin, le règne éternel de Dieu, de l’ancienne à la nouvelle alliance. Dans certaines traditions monastiques cependant, les psaumes du Règne se chantent aux vêpres. Par là, cette royauté divine est liturgiquement transférée à celle du Christ.
Lire attentivement 1 Corinthiens 15, 22-28. Qui donc est le Roi de l’univers ? Dieu ? Le Christ ? Tel est, au milieu des douleurs de l’histoire, le lien qu’affirment les croyants.
Apocalypse 1, 5-8 (« Le prince des rois de la terre a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu »)
Voici les versets constituant l’adresse et la bénédiction qui ouvrent le livre de l’Apocalypse et préparent la solennelle vision du Fils de l’homme (Apocalypse 1, 9-20). L’auteur souhaite à ses lecteurs « la grâce », le don de Dieu qui apporte « la paix » dans le cœur des croyants et dans leurs relations fraternelles. Cette bénédiction de grâce et de paix est classique dans les épîtres du Nouveau Testament. Ainsi, par exemple en 1 Corinthiens 1, 3. Elle nous vient par la médiation de Jésus Christ ressuscité, « le premier-né d’entre les morts », désigné aussi, par allusion à la vision du Fils de l’homme (cf. 1ère lecture) comme « commandant des rois de la terre ». On l’appelle encore « témoin [ou “martyr”] fidèle ». En Isaïe 55, 4, le mot « témoin » semble évoquer le Messie. Jésus a accompli son témoignage prophétique jusqu’au don total de lui-même « par son sang », jusqu’où allait son amour pour nous.
Un premier Amen
Cette partie de la bénédiction se conclut par un premier « amen* ». Le Christ nous consacre comme des prêtres et des rois pour Dieu son Père, selon la promesse faite à Israël au pied du Sinaï (Exode 19, 5). Celui qui nous consacre ainsi est le Fils de l’homme venant sur les nuées (Daniel 7, 13-14 ; cf. 1ère lecture) et nous faisant partager sa dignité royale. Il est encore le Crucifié, le « transpercé », reconnu finalement par le monde entier, selon l’énigmatique oracle de Zacharie (12, 10-14) repris par l’évangile de Jean (19, 37).
Un second Amen
Cette seconde vague de la bénédiction s’achève par un nouvel « amen », surenchéri par un « oui ». Le même livre de l’Apocalypse (3, 14) saluera Jésus comme l’Amen, le Témoin fidèle et véritable. » Il est à la fois fidélité à sa mission et engagement de Dieu à notre égard. La profondeur du mot signifiant « c’est vrai et c’est du solide » peut nous guérir de répondre des « amen » tièdes et machinaux dans nos célébrations.
L’Amen de nos liturgies
L’ensemble de ces versets paraît refléter les liturgies en vigueur dans les Églises d’Asie mineure auxquelles s’adresse l’auteur de l’Apocalypse. C’est pourquoi la finale donne la parole à Dieu lui-même. Il est l’alpha et l’oméga, première et dernière lettres de l’alphabet grec, premier mot et dernier mot de l’histoire. Il est, dans le même sens « celui qui est, qui était et qui vient ». C’est ainsi que la liturgie juive ancienne traduisait « Je suis qui je suis » (Exode 3, 14). Enfin, il est le Pantokratôr (« le Tout-Puissant »), un titre saluant les empereurs antiques.
Dans la solennité de ces versets, nous apprenons que la royauté du Christ, crucifié et ressuscité, vient de Dieu, le Pantokratôr, et elle rejaillit dans la dignité royale et sacerdocale conférée aux baptisé(e)s.
* Amen. Un commentaire juif ancien définit brièvement le mot en ces termes : « Amen contient trois sortes de déclarations solennelles : serment, assentiment, confirmation » (Midrash Rabba du Deutéronome 7,1).
Jean 18, 33b-37 (« C’est toi-même qui dis que je suis roi »)
Les membres juifs du sanhédrin, ou selon toute vraisemblance, une minorité d’entre eux, se débarrassent de « l’affaire Jésus » en déférant celui-ci devant Pilate, sous l’accusation de prétentions royales troublant l’ordre public et les relations avec Rome. Pour ce qu’on peut deviner, les faits sont laconiques, expéditifs et d’une cruelle banalité.
Devant Pilate
Le préfet romain siège à son tribunal, en public, depuis l’aube jusque vers neuf heures du matin. Ensuite, il fait trop chaud. Jésus comparaît dans une fournée d’accusés : un certain Barabbas (Marc 15, 15, 7) et au moins deux autres bandits entre lesquels notre Seigneur sera crucifié (Marc 15, 27). L’antijudaïsme notoire de Pilate se signale par le titulus, la pancarte officielle notifiant le motif de la condamnation : « le roi des Juifs », les seuls mots que l’on ait sans doute écrits dans la vie du Jésus terrestre. On saisit l’ironie du préfet : cet individu flagellé, exténué et livré aux lazzi de la populace, voilà bien le roi que méritent les Juifs !
Bref, il faut s’en rendre compte, ce procès n’était alors qu’un fait divers à Jérusalem, mais un fait sur lequel l’évangile de Jean va broder, dans le dialogue avec Pilate, par une solennelle confession de la royauté de Jésus, en un épisode qui est central, un sommet dans le récit de la Passion selon cet évangéliste. Pour en saisir la portée, il faut revenir à sa conception de la croix.
Une royauté qui n’est pas de ce monde
La croix est « l’heure », l’heure H, dirions-nous, en laquelle le Christ est « élevé », à la fois physiquement sur le gibet et spirituellement, comme l’heure où s’affirme la gloire de Jésus et celle de Dieu, à savoir une royauté qui se traduit en un don total de l’amour, la capacité unique de Dieu de nous sauver en s’effaçant totalement (voir Jean 12, 31-32).
La tradition évangélique unanime distingue entre l’appellation politique, dans la bouche des païens, de « roi des Juifs » et celle des Juifs, religieuse : « le Messie, roi d’Israël » (Marc 15, 32). À partir de l’accusation à lui transmise implicitement, Pilate se concentre d’emblée sur le problème de la royauté. Il avoue que ce sont les autorités juives qui ont avancé ce grief. La réponse du prévenu n’évoque pas un « royaume » dont il serait le souverain, mais, selon l’ambiguïté du mot grec (basiléia), sa « royauté », son pouvoir royal qui n’a rien à voir avec les instances politiques temporelles, sinon il aurait été défendu par un corps d’armées (comparer Matthieu 26, 53). Sa royauté vient de Dieu, du monde céleste, et elle s’exercera à jamais en ce monde, pour ceux qui croient en lui, par delà des calculs politiques toujours aléatoires. Selon la haute théologie de l’évangéliste, le Christ, existant de toute éternité (cf. Jean 1, 1-3), est né, venu sur cette terre, pour témoigner de la royauté de Dieu, la « vérité », le projet de Dieu d’entrer en communion avec nous. C’est en écoutant la voix de Jésus, à travers les évangiles, la voix du bon pasteur royal (cf Jean 10, 27) que nous bénéficierons de cette royauté. Car, dans l’Antiquité orientale, le berger est l’image du roi.
Roi par la croix
La royauté du Christ s’exprime paradoxalement dans l’effacement de la croix. C’est une interpellation interrogeant toutes nos formes de pouvoir, conscientes ou non, pour nous qui, par le baptême, sommes un peuple de rois et de prêtres. Telle est *notre attente du Christ, Roi de l’univers.
* Notre attente. « Un instant apparu parmi nous, le Messie ne s’est laissé voir et toucher que pour se perdre, une fois encore, plus lumineux et plus ineffable, dans les profondeurs de l’avenir. Il est venu. Mais, maintenant, nous devons l’attendre encore et de nouveau – non plus un petit groupe choisi seulement, mais tous les hommes – plus que jamais. Le Seigneur Jésus ne viendra vite que si nous l’attendons beaucoup. C’est une accumulation de désirs qui doit faire éclater la Parousie » (Pierre Teilhard de Chardin).
Christ Roi de l’Univers par le Diacre Jacques FOURNIER (22 Novembre)
« Jésus, témoin de la vérité (Jn 18,33-37) »
Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? »
Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? »
Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? »
Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. »
Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
Pilate ne comprend plus… Les autorités du Peuple Juif lui ont livré ce Jésus en lui disant qu’il se prétendait « roi ». Plus tard, pour appuyer leurs accusations, ils lui diront : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César : quiconque se fait roi s’oppose à César » (Jn 19,12). Or, il le sait, pour le vivre lui-même à leur égard, ces hommes le haïssent. Et ils n’ont qu’un seul désir : voir tous ces envahisseurs Romains quitter la terre d’Israël… Et ce sont eux qui lui livreraient un ennemi de César ?
C’est pourquoi Pilate prend Jésus à l’écart pour en savoir un peu plus sur lui. « Es tu le roi des Juifs » ? Mais dans sa bouche, ce mot « roi » n’a que des connotations terrestres et politiques. Jésus l’accepte dans un premier temps et il va inviter Pilate à s’interroger sur ses sources. Dit-il cela « de lui-même », a-t-il constaté par lui même qu’il se prétendait « roi » et qu’il représentait un danger pour l’autorité romaine ? Ou bien est-ce sa police secrète qui l’a renseigné ? La réponse est « non » dans les deux cas et Pilate le sait bien lorsqu’il répond : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Les chefs des prêtres t’ont livré à moi ». C’est donc bien une affaire interne aux autorités juives : elle ne le concerne en rien… « Il se rendait bien compte que c’était par jalousie que les grands prêtres l’avaient livré » (Mc 15,10)…
Dans un deuxième temps, Jésus va rectifier cette notion de royauté que Pilate a employée. « Ma royauté ne vient pas de ce monde », elle n’est pas avant tout d’ordre politique, son origine n’est pas terrestre… Elle vient de « celui qui lui a tout soumis » (1Co 15,28), son Père. Il l’a envoyé dans le monde pour proposer son Règne d’Amour et de Paix à tous les hommes de bonne volonté quels qu’ils soient, Juifs ou Romains… Voilà la vérité à laquelle Jésus rend à nouveau témoignage devant Pilate. Et il sait qu’au même moment « l’Esprit de Vérité, lui aussi, lui rend témoignage » (Jn 15,26) en frappant à la porte du cœur de Pilate avec toutes ses richesses de Douceur, de Lumière et de Vie… Lui ouvrira-t-il ? La suite montrera, hélas, que ses calculs politiques prendront le dessus… Mais Jésus, Lui, restera fidèle à sa mission : manifester l’Amour inconditionnel du Père vis-à-vis de tous les hommes, ses enfants… Eux, dans leur aveuglement, le feront atrocement souffrir et ils le tueront… Et Jésus, par son attitude et ses paroles, n’aura qu’une seule réponse : « Je vous aime toujours, et j’offre cette mort que vous m’infligez pour votre guérison, votre salut, votre vie »… DJF
33ième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)
Commentaires des Lectures du dimanche 15 novembre 2015
Daniel 12, 1-3 (« En ce temps-ci, ton peuple sera délivré »)
Notre première lecture vient du livre de Daniel. La première partie de l’ouvrage (Daniel 1 – 6), un conte peut-être ancien, salue la sagesse de ce jeune Juif exilé à Babylone et qui prend une place éminente dans la cour royale de ce pays. La seconde partie (Daniel 7 – 12), après cette qualification, consiste en une série de visions relevant du genre apocalyptique. L’horizon historique, en la rédaction finale du livre, est l’an 164 avant notre ère. Le contexte est la lutte de Judas Maccabée pour reconquérir le Temple de Jérusalem, souillé par un culte païen (voir 1 Maccabées 1, 41-64). Mais cette reconquête (en 167) n’a pas encore réussi.
Le livre, à travers les visions célestes, affirme que Dieu protège les fidèles de son peuple, notamment grâce à l’archange Michel qui combat au ciel contre les forces invisibles du mal, hostiles à Israël. Selon certains interprètes – mais la question reste débattue –, le « Fils d’homme » de Daniel 7, 13 serait Michel lui-même. Voir la 1ère lecture de dimanche prochain (Christ Roi)
Un fait tourmente l’auteur : Dieu serait-il injuste ? Pourquoi les païens sont-ils vainqueurs et les fidèles massacrés, surtout « les sages », « maîtres de justice », ces scribes défendant au milieu du peuple la vraie religion ? La réponse de l’auteur se trouve dans la foi en la résurrection, prévue dans « le Livre (de Dieu) » qui tient de justes comptes. Si le Seigneur ne rend pas justice en ce monde-ci, il le fera après la mort.
Certains livres juifs anciens n’envisagent la résurrection que des justes. Ici, au contraire, il s’agit d’une résurrection de tous, en un jugement final qui condamnera les impies à une déchéance éternelle et qui fera triompher les justes.
Certaines apocalypses conçoivent la résurrection comme le retour à une vie terrestre paradisiaque, ainsi Isaïe 65, 19-25. D’autres, dont ce livre de Daniel, imaginent plutôt une transfiguration des élus prenant leur rang dans le monde des « étoiles » , c’est-à-dire, selon les représentations antiques, dans le monde des anges : comparer Sagesse 3, 7 ; Luc 20, 35-36 ; 1 Corinthiens 15, 51-53.
Le terme de la vie des croyants et de l’histoire du monde reste un grand mystère. La foi conserve la certitude d’un bonheur final, quelles que soient les images que l’on s’en fait vaille que vaille. Cette lecture de Daniel prépare la page d’évangile évoquant la venue en gloire du « Fils de l’homme », venue qui déclenchera cette échéance à la fois terrible et merveilleuse.
Psaume 15 : une promesse de résurrection ?
Comme tout poème, ce psaume à une vie. Il ne signifie pas seulement ce que son auteur a voulu dire, mais ce que les lecteurs lui font dire, de génération en génération.
Avec certains commentateurs, pensons qu’à l’origine, le texte est l’œuvre d’un lévite, prêtre de second rang à Jérusalem. Les lévites n’ont pas de propriété foncière en Israël : « Lévi n’a ni part ni héritage avec ses frères, c’est le Seigneur qui est son héritage » (Deutéronome 10, 9). Le lévite tient sa sécurité matérielle des offrandes et des dîmes que les fidèles apportent au Temple
Mais le lévite, auteur du poème et bénéficiaire de ces avantages, se réjouit surtout de la proximité spirituelle avec Dieu que lui offre sa condition. Cette communion de tout son être s’exprime par le langage du corps. Si l’on joint les versions anciennes du psaume (hébreu, grec, araméen, syriaque), l’auteur parle de son cœur, de son ventre, de son foie, de sa chair, de sa langue, de sa gorge. Cette communion totale incite le poète à s’adresser au Seigneur, selon l’hébreu, en ces termes : « Tu ne peux abandonner ma vie au shéol [= le séjour des morts], ni laisser ton ami voir la mort. » Qu’espère-t-il donc ? Que Dieu ne le laisse jamais mourir ? Que cette relation d’amour (comme tout amour) ne cesse pas avec la mort ? Mais comment ? Le psalmiste l’ignore.
Les sages juifs qui, à Alexandrie, ont traduit la Bible en grec sont allés plus loin et ont lu dans ce psaume une promesse de la résurrection. D’où leurs termes : « Ma chair reposera dans l’espérance (…), tu ne laisseras pas ton ami voir la destruction. » Tu ne m’abandonneras pas au pouvoir destructeur de la mort. Au jour de la Pentecôte et en suivant la version grecque, Pierre proclamera que ce verset prophétisait la résurrection du Christ (Actes 2, 2, 24-33).
Les extraits de ce psaume sont choisis aujourd’hui pour faire écho à la première annonce claire de la résurrection, dans le livre de Daniel (1ère lecture).
Hébreux 10, 11-14.18 (« Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie »)
Ici s’achève notre lecture semi-continue de la lettre aux Hébreux, commencée depuis plusieurs dimanches. Ce document tient une place importante chez les Catholiques qui s’intéressent plus que d’autres Églises à la dimension sacrificielle de la Passion du Christ, grand prêtre.
Le sacrifice unique
Notre passage oppose les holocaustes quotidiens que présentaient les prêtres du Temple, à Jérusalem, en vue d’obtenir le pardon des péchés d’Israël, au sacrifice unique du Crucifié. La subtile logique de l’argumentation est celle-ci : si les prêtres devaient renouveler chaque jour les sacrifices, c’est que ces rites n’obtenaient pas vraiment la miséricorde demandée à Dieu. Le sacrifice du Christ, « unique », nous obtient ce pardon, en cela qu’il est exemplaire, poussant les croyants à une attitude de « perfection », grâce à celui qui, grâce à son pardon, nous confère la « sainteté » tirant un trait sur notre passé de pécheurs.
La victoire du Christ
Pour fonder cette conviction, l’auteur revient au Psaume 110 [109], 1. Comparer Hébreux 1, 13 ; 5, 10 ; 8, 1. Prêtre « selon l’ordre de Melkisédek », Jésus Christ, par sa résurrection, « est assis » pour toujours « à la droite de Dieu », selon l’expression que nous répétons dans notre Credo dominical. Le texte prolonge la citation du Psaume chantant l’espérance de la victoire définitive du Messie, à savoir que « ses ennemis soient mis sous ses pieds ». Cette dernière expression évoque la victoire du Christ sur la mort. Comparer 1 Corinthiens 15, 24-28.
Quand le pardon est accordé
Le lectionnaire saute les versets 15 à 17 qui citent Jérémie 31, 31-34, c’est-à-dire la prophétie d’une nouvelle alliance en laquelle le culte deviendrait inutile, en tant que ce culte veut réparer la séparation de l’homme pécheur avec Dieu. Selon cette nouvelle alliance, les lois du Seigneur seraient inscrites dans les cœurs, en une sorte de connivence profonde entre le croyant et le vouloir de Dieu, le tout se fondant sur un pardon radical et définitif : « De leurs péchés et de leurs iniquités, je ne me souviendrai plus » (Jérémie 31, 34).
Si le culte cherche au jour le jour à restaurer l’harmonie, sans cesse menacée, entre l’humanité et la divinité, en régime chrétien, il n’y a plus de culte. En effet, cette harmonie a été définifivement restaurée par l’unique sacrifice du Crucifié. S’il y a un « culte chrétien », il ne s’agit que d’une communion, à travers les sacrements, avec celui qui, par le sacrifice de la croix, nous donne à jamais accès auprès de Dieu.
Marc 13, 24-32 (La venue du Fils de l’homme)
En quittant définitivement le Temple, Jésus marque sa rupture avec les autorités religieuses qui vont le condamner à mort. Le voici sur le mont des Oliviers, « assis », en position solennelle d’enseignant. Il vient de prédire, tel un nouveau Jérémie (cf. Jérémie 7, 14-15 ; 26, 4-6), la ruine de ce Temple qu’admirent ses disciples (Marc 13, 2). À présent, il répond à ses plus proches, Pierre, Jacques, Jean et André qui l’interrogent en ces termes : « Dis-nous quand cela aura lieu et quel est le signe que tout cela finira » (13, 4). La réponse porte à la fois sur la ruine du Temple et sur la fin des temps, déplace la question. À la différence des apocalypses juives qui supputent savamment la date de ces tragiques échéances, Jésus en affirme la réalité, mais refuse tout calcul chronologique.
Un retour au chaos
Notre extrait liturgique se situe vers la fin du discours. Jésus évoque le bouleversement cosmique qui, dans les apocalypses juives (voir par exemple Joël 2, 10 ; 3, 4 ; 4, 15), accompagnent le « jour du Seigneur ». Cette sorte de « dé-création », de retour au chaos, prélude au jugement universel que présidera le Fils de l’homme, l’être céleste prophétisé par Daniel 7, 13-14 (comparer Matthieu 25, 31). Jésus ne dit pas directement qu’il est ce Fils de l’homme, mais les lecteurs conçoivent aisément cette identification.. En tout cas, le personnage est escorté d’une armée d’anges dont l’évangéliste souligne la fonction positive, celle de rassembler « les élus » répandus dans le monde entier.
La parabole du figuier
La dernière partie du texte invite à la vigilance en des termes qui restent à dessein énigmatiques. Plus haut dans le discours (Marc 13, 5-23), Jésus a annoncé des persécutions, des guerres, des séismes. Ces fléaux qui se répètent au long de l’histoire signent à chaque fois en quelque sorte la fin d’un monde, celui de notre vie individuelle et de notre époque. À chaque fois, le croyant doit exercer sa lucidité, à l’instar du paysan qui sait prévoir quand le figuier va fructifier : « Vous savez que l’été est proche. » Dans la langue de Jésus, l’araméen, les mots « été » (qaïts) et « fin » (qéts) se ressemblent, si bien que l’on peut comprendre : « Vous savez que la fin est proche. » Ensuite, la traduction liturgique, « sachez que le Fils de l’homme est proche », est une sur-interprétation. Le texte est bien plus obscur, qui dit : « sachez qu’il est proche. » Le sujet sous-entendu du verbe peut être simplement l’événement final.
Une échéance inconnue
Suit une déclaration solennelle : « Amen, je vous le dis. » Elle affirme que « cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. » Au vrai, puisque l’humanité demeure toujours sur cette terre, de nombreuses générations se sont succédé, et la fin du monde, malgré les pseudo-prophètes d’aujourd’hui se nourrissant des peurs, la fin du monde ne semble pas promise pour demain. Avec émotion, nous rencontrons ici l’humanité profonde du Christ et l’honnêteté des évangélistes. En son humanité, Jésus dépend d’une culture apocalytique qui voit le terme de l’histoire pour demain. En leur honnêteté, les évangélistes ont conservé, bien des années après, cette parole déroutante. Pour eux, la phrase de Jésus reste vraie en cela que chaque génération de croyants voit arriver, au fil des ans, la fin d’un monde et doit rester vigilante. Car le cosmos, ciel et terre, aura une fin, on ne sait comment. De ce point de vue, les paroles de Jésus garderont à jamais leur valeur.
Au terme, Jésus lui-même, Fils de Dieu, se refuse à tout calcul sur ces événements décisifs. Il n’en veut rien savoir et laisse le soin de ce problème chronologique à Dieu son Père, à lui seul. En parlant de « l’heure », il prépare la conclusion du discours, à savoir la parabole des serviteurs (Marc 13, 33-37) qui ignorent à quelle heure « le Seigneur de la maison » va venir.
Selon le témoignage unanime des évangiles, Jésus se refuse à élucubrer sur une date de la fin du monde, ni sur le mont Blanc, ni ailleurs. Selon lui, cette question fantasmagorique doit céder le pas à un autre impératif : il faut veiller en tout temps, en une conduite morale irréprochable, car la fin de chacun et du siècle où nous vivons, reste une échéance imprévisible. Mais le Fils de l’homme, par ses anges, rassemblera ses « élus ».
Le discours de Jésus sur la fin des temps conclut l’année liturgique. Elle veut amorcer un lieu avec le 1er dimanche de l’Avent. Car l’Avent, période d’attente de la venue du Seigneur, n’est pas d’abord une préparation de la fête de Noël, mais la perspective de la venue du Fils de l’homme, mystérieuse, qui conclura l’histoire du cosmos et de notre humanité.
33ième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (15 Novembre)
« Le Fils de l’Homme viendra avec grande puissance » (Mc 13,24-32).
En ces jours-là, après une pareille détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ;
les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées.
Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire.
Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.
Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche.
De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte.
Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive.
Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père.
« Le soleil s’obscurcira, la lune perdra son éclat. Les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venir sur les nuées avec grande puissance et grande gloire. Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel. »
Jésus semble évoquer ici la fin du monde. Mais juste après, pour nous aider à comprendre ces paroles un peu terrifiantes à première vue, il prend l’image du figuier : « Dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. » Et il l’applique aussitôt à ce qu’il vient de dire : « De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. »
Autrement dit, ses premières paroles se sont déjà accomplies à son époque ! Et Jésus précise : « Quant au jour et à l’heure, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père ».
A quel événement ce « jour » et cette « heure » se réfèrent-ils donc ? Le contexte nous aide à répondre. Juste après, en effet, commence en St Marc une nouvelle section de l’Evangile : « la Passion et la Résurrection de Jésus. » Si tous les prophètes et les Psaumes les avaient déjà annoncées, si Jésus savait bien, à la lumière de tous ces textes (Lc 24,44-48), qu’il devait « beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, être tué, pour ressusciter trois jours après » (Mc 8,31), il ne savait ni le « jour » précis, ni « l’heure » exacte où tout cela devait arriver, ni l’identité de ceux qui le feront souffrir, le rejetteront, le tueront, etc… Jésus a découvert, en les vivant, les circonstances historiques de tous ces évènements que les prophètes avaient autrefois annoncés…
Au jour de la Résurrection, les Apôtres, puis Paul et « cinq cent frères à la fois » (1Co 15,3-8) ont vu le Christ Ressuscité avec « grande puissance et grande gloire », une Gloire qui aujourd’hui encore s’offre au regard de la foi notamment quand l’Église se rassemble chaque Dimanche pour célébrer la Résurrection du Seigneur. « Quand deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ». Et c’est toujours aujourd’hui que le Ciel travaille, avec et par l’Eglise, à « rassembler » tous les hommes « des quatre coins du monde », car « Dieu veut qu’ils soient tous sauvés » (1Tm 2,3-6).