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28ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 11 octobre 2015

Sagesse 7, 7-11. (À côté de la Sagesse, j’ai tenu pour rien la richesse)

Sous la plume d’un écrivain juif anonyme  d’Alexandrie, au milieu du 1er siècle avant notre ère, c’est l’antique roi Salomon qui est censé s’exprimer. L’écrivain reprend ici le célèbre passage du 1er Livre des Rois (3, 4-15) où, dans un songe à Gabaon, le jeune souverain ne demande au Seigneur ni richesse ni pouvoir, mais seulement la sagesse. Cependant, pour l’auteur de notre livre alexandrin, écrit en un très beau grec, la sagesse n’est plus seulement une qualité intellectuelle et morale. Elle est devenue presque une personne divine, une figure que le christianisme identifiera au Christ et à l’Esprit saint (voir déjà Sagesse 1, 4-5). La basilique Sainte Sophie de Constantinople n’était pas dédiée à quelque sainte, mais au Christ « Sainte Sagesse » de Dieu. Sous un autre aspect complémentaire, rappelons en effet qu’en grec la sophia (Sagesse) est un terme féminin et l’auteur, en sa quête de celle-ci, parle d’elle comme d’une femme désirée et aimée, même au-dessus de la santé et de la beauté.

  Dans ces conceptions, Dame Sagesse relève à la fois d’un talent naturel de l’homme (Sagesse 8, 19-21) et d’un don de Dieu qui ne s’obtient que par la prière, comme dans le fameux chapitre où le poète s’adresse au Dieu des pères et Seigneur de tendresse, en ces termes « Donne-moi la Sagesse qui partage ton trône » (Sagesse 9, 4). Différent du roi historique qui a fini son règne dans la luxure, ce Salomon réinventé préfère le don de la Sagesse à toutes les autres richesses.

  Cette lecture veut préparer notre passage d’évangile dans lequel l’homme riche qui refuse de quitter ses « grands biens » pour suivre le Christ Sagesse qui l’y invitait avec affection.

Hébreux 4, 12-13 (Elle est vivante, la parole de Dieu)

Ces deux versets forment la conclusion d’une homélie basée sur le Psaume 94 [95], surtout sur les versets 7-8 du poème : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre cœur comme au temps du défi » Selon le prédicateur, l’avertissement vaut encore pour les chrétiens auxquels il s’adresse en ces termes : « Nous avons reçu une Bonne Nouvelle, comme ces gens_là ceux (qui étaient sortis d’Égypte) ; cependant la parole entendue ne leur servit à rien, parce qu’elle ne fut pas reçue avec foi par ses auditeurs » (Hébreux 4, 2).

  Dans ce cadre, la Parole de Dieu est une réalité vivante, active, efficace. Elle a un lien très fort avec le Christ, puisque, selon notre auteur, « dans les jours où nous sommes, il nous a parlé par le Fils… » (Hébreux 1, 2). Cette parole n’est pas un phénomène vocal, mais un message qui pénètre en nous et nous engage, en révélant notre foi ou notre non-foi.

  Elle a alors une fonction judiciaire, comme le montre l’épée à deux tranchants, pouvant frapper de tous côtés et symbolisant, à l’origine, le pouvoir du magistrat, comme la balance à deux plateaux de notre symbole de la justice.. À propos de l’intervention divine, dans la nuit de la Pâque, nuit de la sortie d’Égypte, le Livre de la Sagesse avait déjà utilisé cette image : « Du haut des cieux, ta Parole toute-puissante s’élança du trône royal (…) portant pour épée acérée ton irrévocable décret. » Dans les visions de l’Apocalypse, cette épée acérée, instrument du jugement final, apparait dans la bouche, dans la parole du Christ ressuscité (Apocalypse 1, 16 ; 2, 12).

  Certains, pacifistes dans l’âme, se choqueront peut-être de voir la Parole divine assimilée à un glaive. Mais, dans cette image et selon la contexte biblique général, il faut lire l’inverse de cette première impression. Le vrai sens honnête, est celui-ci  : Dieu ne veut avoir pour glaive envers les humains que sa Parole, et non celui de ses légions célestes. C’était déjà, en Isaïe 11, 5 à 9, le portrait du Messie pacifique idéal qui éradiquerait les méchants seulement « par le bâton de sa bouche » et « par le souffle de ses lèvres », et qui ferait en même temps que « le loup habite avec l’agneau ».

  Reste l’essentiel dans ce message de la Lettre aux Hébreux : la Parole entendue ne se contente pas de bons sentiments superficiels. La foi authentique accepte de ne prendre pour critère décisif de conduite que la Bonne Nouvelle qui juge l’hypocrisie ou la passivité, qui « pénètre au plus profond de (notre) âme » et qui « juge des intentions et des pensées du cœur ».

Marc 10, 17-30 (Vends ce que tu as et suis-moi)

Nous lisons toujours le discours communautaire de Jésus tel que Marc en fait le montage dans sa « Section du chemin » (Marc 9, 30 – 10, 52). Dimanche dernier, il prêchait une conversion des relations entre hommes et femmes, entre adultes et enfants. Aujourd’hui, après un nouveau départ géographique, il en vient à la relation entre la richesse et la pauvreté, envisagée sous trois angles. D’abord la rencontre avec celui qui « avait de grands biens ». Elle introduit deux retombées : un premier bref discours du « bon Maître » sur la richesse ; puis une promesse pour ceux qui l’ont suivi.

La rencontre

Celui qui vient à Jésus, avec sa question, est chez Marc, en grec, simplement « quelqu’un », sans nulle identité. Selon leur réinterprétation respective de la mission de Jésus, les héritiers de Marc feront de lui, chez Matthieu (19, 20), « un jeune homme », élève des rabbis et cherchant, entre différentes écoles juives, sa voie de futur enseignant ; et chez Luc (18, 18), un « notable ».

  « Personne n’est bon, sinon Dieu seul. » Personne ne niera que Jésus soit un « bon Maître ». Dans la réponse étonnante de Jésus, nous reconnaissons l’ironie coutumière de Marc. : Si tu me dis « bon », c’est que tu vois en moi quelque chose de Dieu… Le Maître rappelle à son interlocuteur les commandements de la deuxième table (cf. Exode 20, 12-17), ceux qui concernent les relations avec le prochain, comme il convient dans ce discours de Marc portant sur la vie communautaire.

  Marc ménage ses effets. À la fin, on apprend que cet homme est très riche. Pour l’heure, Jésus se trouve pris d’affection pour celui qui depuis toujours a observé ces commandements et qui, cependant, reste insatisfait dans sa quête religieuse. Voilà pourquoi il se voit proposer un « plus » : tout quitter pour suivre Jésus et le suivre en une annonce itinérante du Royaume dénuée de toute sécurité matérielle. Si bien disposé au départ, l’homme se dérobe. Le projet de vivre dans l’intimité du bon Maître et de sa mission ne fait pas le poids face à la sécurité de « grands biens ». L’homme a situé sa demande sur le plan de l’héritage de la vie éternelle. Jésus lui répond sur le même plan, en lui adressant, avec une affection spécifique, un appel personnel. Le récit ne s’intéresse en rien au salut à venir de ce déserteur . D’une part, « tout est possible à Dieu », déclare Jésus, à l’adresse de bien des gens qui ne l’ont pas suivi. D’autre part, sous la plume de l’évangéliste, l’épisode n’était qu’un prétexte introduisant la leçon sur la richesse.

La leçon

Le regard circulaire de Jésus, dans la mise en scène de l’évangéliste (comparer Marc 3, 34), signifie son attention particulière au cercle de ceux qui boivent ses paroles. Ici, Jésus ne condamne ni l’argent malhonnête ni la richesse en général, mais l’attachement tel à la richesse que l’on ne voit plus d’autre valeur dans la vie. Quand la richesse prend tout l’horizon, on ne peut plus rien voir des valeurs exigeantes et libératrices du Royaume de Dieu. C’est pourquoi Jésus s’exprime à travers une hyperbole : le chameau, en sa grosseur, ne passe pas par le trou d’une aiguille ; le riche obnubilé par ses biens, en sa grosseur, ne passe pas davantage par l’entrée étroite dans les valeurs du Royaume.

  On comprend que les auditeurs soient stupéfaits, déconcertés. Ils vivent dans un monde où la richesse signifie la bénédiction de Dieu. Alors, si Dieu ne respecte plus ce postulat, « qui peut être sauvé ? ». Jésus reconnaît que son discours était une hyperbole et que, malgré ce renversement des valeurs, Dieu peut sauver même ceux qui ne parviennent pas à ce renversement.

Les Douze et les autres…

Peut-être l’homme qui, au début du récit, rencontrait Jésus, était plus vertueux que les Douze dont Pierre est le porte-parole. Mais eux, au moins, ont franchi le pas et ont suivi Jésus. Marc, en son temps, réaménage les paroles de Jésus en deux leçons.

  1. Dans les premières Églises, des gens se sont vus, parce qu’ils devenaient chrétiens (« à cause de l’Évangile »), rejetés par leur famille païenne, et dépouillés de leurs biens, comme les lois le permettaient à l’égard de ceux qui désertaient le culte de l’État. Mais ces persécutés n’ont-ils pas trouvé, dans la solidarité chrétienne, ce qu’ils avaient perdu, en suivant Jésus ?

  2. Dans sa relecture du message de Jésus, Marc ajoute au problème des biens matériels, celui des liens familiaux. Ce n’est pas seulement la richesse qui risque de prendre tout l’horizon du croyant, mais aussi des liens familiaux excessifs qui peuvent empêcher le chrétien de s’engager à la suite du « bon Maître », dans la logique du Royaume de Dieu qui renverse des valeurs humaines trop communément admises.




28ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (11 Octobre)

Accueillir avec Jésus la vraie Joie (Mc 10,17-30)

En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul.
Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. »
L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. »
Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! »
Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu !
Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? »
Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. »
Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre
sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle.

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            Un Juif fervent demande à Jésus : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Nous sommes bien dans la logique pharisienne : « faire pour avoir ». Mais après un « faire », « l’avoir » est souvent considéré comme un mérite, un salaire, un dû… Dans un premier temps, Jésus rejoint cet homme dans son système de pensée, et lui redit tout simplement quelques « commandements » extraits du cœur de la Loi, « les dix commandements » (Ex 20,1-17). « Maître, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse ». Mais quel but a-t-il vraiment poursuivi ? Le faisait-il pour plaire à Dieu, ou pour se rechercher lui-même ? Accomplir de belles œuvres peut en effet être un moyen de se glorifier soi-même, comme « ceux qui sonnent de la trompette » quand ils font l’aumône, « afin que tout le monde les voit » (Mt 6)…

            Cette logique n’est pas celle de Dieu, et Jésus l’a suggéré dès le début quand cet homme l’a appelé « bon Maître » et qu’il lui a répondu : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul ». Pourtant Jésus, le Fils, est Dieu ! Mais il est « Dieu né de Dieu », « né du Père avant tous les siècles », et c’est de Lui qu’il tient de toute éternité l’Être et la vie… Sans Lui, il n’est rien, il ne peut rien (Jn 5,19-20 ; 5,26). Ainsi, avec Jésus, le Dieu Tout Puissant se révèle ainsi comme étant « pauvre de cœur » (Mt 5,3 avec Jn 15,11), « doux et humble » (Mt 11,29), …

            « Jésus le regarda et l’aima »… Or « aimer », pour Dieu, c’est « tout donner » (Jn 3,35), tout ce qu’il a, tout ce qu’il est (Jn 16,15 ; 17,10 ; Lc 15,31). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), Dieu est Saint ? Avec ce « Jésus l’aima », le Don de l’Esprit Saint qui est Vie, Paix et Joie vient frapper à la porte de son cœur… Ouvrira-t-il ? Un choix s’impose… Ou bien la logique de l’argent : amasser pour soi au détriment des autres… Ou bien la logique de Dieu : donner, partager pour le bien des autres (Lc 3,11). Ici, Jésus est radical : « Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel », le trésor de l’Esprit Saint offert dès maintenant à notre foi. « Puis viens, suis-moi », abandonne-moi ta vie et je te conduirai, pour le meilleur, car l’Amour ne peut que vouloir le meilleur pour celles et ceux qu’il aime… Aujourd’hui, « à ces mots, il devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens ». Mais demain, peut-être, avec le secours d’en haut, réussira-t-il à renoncer à ses biens ; alors il recevra « le centuple dès maintenant » avec ce Trésor de l’Esprit qui est Amour, Paix, Joie… DJF

 

            




27ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 4 octobre 2015

Genèse 2, 18-24 (Tous deux ne feront plus qu’un)

Ce passage du début de la Genèse appartient au second récit de la création qui s’inspire des mythes égyptiens sur le dieu potier façonnant l’être humain. Dans la deuxième partie de cet épisode, le Seigneur offre à l’homme une compagne. Dans l’antique culture méditerranéenne de l’auteur biblique, la femme est souvent considérée comme inférieure à l’homme et parfois presque au rang de l’animal. Notre passage prend le contre-pied de ces conceptions. Si Adam peut nommer les animaux, faisant ainsi de par le Seigneur acte de propriété et de domination, il ne trouve en eux « aucune aide qui lui corresponde ». Une expression qu’une version araméenne de la Bible traduira par cette formule : « aucune partenaire semblable à lui. »

  La femme sera pour le mâle un cadeau gratuit de Dieu ; elle est tirée de la même nature que lui. Elle est « l’os de mes os », déclare Adam, c’est-à-dire, selon le langage sémitique ancien, ma substance même. La langue hébraïque accentue d’ailleurs cette parenté, puisque « l’homme » se dit îsh et « la femme » ishâh.

  En outre, on notera la critique du système patriarcal, si persistant en maintes cultures d’aujourd’hui : l’homme quittera son clan familial, si étouffant trop souvent, et, avec son épouse, il formera un couple autonome. Contrairement à un certain discours ecclésiastique mettant en avant, comme dans le judaïsme ancien, le devoir de procréation, ce second récit de création souligne simplement la beauté de *la vie conjugale : « Ils deviendront une chair unique ». Cette première lecture veut éclairer la leçon de Jésus sur l’indissolubilité du mariage.

* La vie conjugale. « Le mariage unit les corps et les âmes ; il mêle deux esprits et confond deux chairs. Comment te séparer sans tourment de celle que tu as nouée à ta vie, non point servante d’occasion, mais sœur, mais épouse ? Sœur selon la création et les origines. Vous êtes tous deux faits du même limon, de la même argile. Épouse, par le lien conjugal et le code du mariage. Quel nœud vas-tu trancher, toi qu’attachent la loi et la nature ? Comment oseras-tu trahir les serments que tu as prononcés le jour de tes noces ? (Astère d’Amasée [5e siècle]).

Hébreux 2, 9-11 (Jésus, notre Sauveur et notre frère)

Pendant sept dimanches, en cette fin d’année liturgique, nous lisons en lecture semi-continue des extraits de « la lettre aux Hébreux » Au vrai, ce texte n’est pas une « épître », malgré une formule épistolaire finale « bidon » (Hébreux 13, 23-25). Il s’agit, en fait, d’une homélie, d’une circulaire.

  Lorsqu’on présente Jésus comme Christ, « Messie », on se rappelle que, dans l’Ancien Testament, le mot messie signifie oint par l’huile et que l’onction peut évoquer trois personnages, trois figures : le roi, le prophète et le grand prêtre. Les évangiles se sont concentrés sur les figures royale et prophétique pour présenter Jésus comme Messie. Apparemment, seul l’auteur de la Lettre aux Hébreux s’est risqué à présenter Jésus comme Messie en tant que grand prêtre juif, grand prêtre par son entrée dans le sanctuaire du ciel à travers sa Passion et sa Résurrection. Ce texte peut sembler difficile pour celles et ceux qui s’avouent légitimement ignorants des rites juifs anciens. Mais, en même temps, par le biais de la figure humaine du grand prêtre, aucun autre auteur du Nouveau Testament n’a autant souligné la fraternité du Christ, * notre médiateur médiateur de notre humanité. Judaïsant que je suis, l’auteur de cet écrit… est mon ami !

  La lecture d’aujourd’hui commence par une citation, selon la Bible traduite en grec, du Psaume 8 qui chante la gloire de l’homme dans la création : « Tu l’as fait un peu au-dessous des anges. » Mais, par sa résurrection, le Christ a été élevé au-dessus des anges. Il est le seul à avoir réalisé, le premier, la beauté de la vocation humaine. Il nous précède dans « la gloire et l’honneur ». Il nous précède, parce qu’il est, en frère, « de la même race que nous ».

* Notre médiateur. « Ô Seigneur médiateur, Dieu plus haut que nous, homme à cause de nous, je reconnais ici ta miséricorde. Car, que toi, qui es si grand, tu sois ainsi troublé par une attention de ton amour, cela console bien les membres de ton corps, qui sont troublés par leur faiblesse, et cela les empêche de désespérer et de périr » (Saint Augustin).

 

Marc 10, 2-16 (Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas !) 

En son plein milieu, nous voici dans le discours de Jésus « sur le chemin », selon le montage de l’évangile de Marc. Ce discours n’évoque nullement des problèmes de prière ou de sacrements, mais seulement la question des relations humaines au sein de la communauté chrétienne qui, par sa conversion, acceptera et suivra le chemin de croix de Jésus. Vu le statut de mineure sociale de la femme dans le monde juif où vivait Jésus, on comprend le jumelage établi par le texte entre la situation de la femme et celle des petits enfants.

La question du divorce

Les pharisiens invitent Jésus à se situer dans une querelle académique sur l’interprétation de Deutéronome 24, 1 concernant l’acte écrit de divorce. En fait, ce texte de l’Ancien Testament défendait le droit de la femme renvoyée par son mari, en disant que le document officiel de répudiation interdisait à l’homme tout droit de propriété à l’égard de son ex-épouse, devenue libre à jamais de se « recaser ». Mais, au temps du Christ, ce texte biblique faisait l’objet d’une autre question : sous quel prétexte peut-on divorcer de son épouse ? Selon l’école du maître juif Shammaï, on ne peut renvoyer sa femme qu’en cas de flagrant d’adultère. Selon l’école de Hillel, on peut se séparer d’elle sous le simple prétexte qu’elle a manqué la cuisson d’un plat (sic !).

  Jésus refuse de se placer sur ce terrain de la casuistique. Il en revient au projet fondamental du Créateur, l’indissolubilité de l’union matrimoniale (cf. 1ère lecture) : « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. » Ce verbe « unir » devrait se traduire plus littéralement par ceci : « ceux que Dieu a mis sous le même joug », comme deux bœufs attelés ensemble, selon une formule de style que l’on appelle en littérature moderne le « zeugma ».

  Pour Jésus, le couple est tellement infrangible que le remariage équivaut à un adultère. Deux points doivent ici retenir l’attention. D’une part, le Nouveau Testament souligne le caractère conjugal du mariage, sur la base de Genèse 2, 34 : « Ils seront une seule chair », alors que les maîtres juifs anciens fondent leur morale matrimoniale sur le commandement de la procréation – ils en font de fait un commandement : « Croissez et multipliez » (Genèse 1, 28). D’autre part, écrivant au sein du droit romain, Marc envisage aussi le divorce sur l’initiative de l’épouse (« si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre… »). Ce cas était impensable en milieu palestinien où la répudiation ne pouvait venir que du mâle. C’est pourquoi Matthieu 19, 1-9 élimine cette précision de Marc. En outre Matthieu ajoutera le motif du célibat vécu pour le service du Royaume des Cieux (Matthieu 19, 10-12).

Parole juridique ou parole prophétique ?

En notre monde où les divorces sont fréquents, souvent, hélas, pour des raisons vitales, en ce monde de familles recomposées, comment comprendre les paroles du Seigneur ? Quand il dit : « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus » (Matthieu 22, 14), nous comprenons qu’il s’agit d’une interpellation prophétique invitant à la conversion, et non d’une condamnation juridique. Qu’en est-il des paroles de Jésus sur le divorce ? Très tôt, les Églises les ont prises en un sens juridique ; à commencer par Matthieu 19, 9 : « Quiconque renvoie sa femme – sauf pour impudicité – et en épouse une autre, est adultère », et les historiens s’interrogent sur le sens du mot énigmatique « impudicité » qui déjà modère l’indissolubilité matrimoniale. Jésus voulait-il imposer une législation ou voulait-il livrer un idéal prophétique, pas toujours possible, à cette union du couple ? La question reste ouverte.

Les petits enfants

Dans le monde oriental ancien, un Rabbi tel que Jésus ne doit pas s’abaisser à accueillir en public des marmots et à les embrasser. D’ailleurs, les disciples veulent sauvegarder sa dignité (ils « les écartèrent vivement »). Le Royaume de Dieu appartient aux petits enfants. Ceux-ci, dans le monde culturel de Jésus, ne sont pas un symbole d’innocence, mais de dépendance des adultes et de naïveté. À l’évidence, ils ne comprennent rien au « Royaume de Dieu ». Nous non plus, adultes ! Qu’il nous suffise de faire confiance à Jésus qui nous accueille en ce Royaume. Par la phrase « ne les empêchez pas », l’Église antique a justifié le baptême des bébés.

  Dans notre culture occidentale où l’enfant est roi, on s’interrogera par rapport au monde dans lequel le Christ a vécu. Les petits que nous méprisons ne sont pas forcément les mouflets, sauf en cas d’abus évidents. Le sort de la femme et de l’homme qu’en parallèle Jésus défend, dans le problème du divorce, est-il toujours d’actualité ?




27ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (4 Octobre)

« Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Mc 10,2-16).

Des pharisiens l’abordèrent et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? »
Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? »
Ils lui dirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. »
Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle.
Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme.
À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère,
il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »
De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question.
Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle.
Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. »
Des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’il pose la main sur eux ; mais les disciples les écartèrent vivement.
Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent.
Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. »
Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.

 

     couple       

            Ce passage doit être restitué dans son contexte : « Des Pharisiens abordent Jésus pour le mettre à l’épreuve ». Ils ne croient pas en lui. Ils veulent juste lui tendre un piège pour l’enfermer ensuite dans l’une de leurs catégories, laxiste ou rigoriste, et ainsi le condamner… « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? »

            Jésus va partir de leur Loi : « Lorsqu’un homme prend une femme et l’épouse, et qu’elle cesse de trouver grâce à ses yeux, parce qu’il découvre en elle une tare, il lui écrira une lettre de répudiation et la lui remettra en la renvoyant de sa maison » (Dt 24,1). Nous retrouvons ici un de ces nombreux textes que Jésus qualifie de « traditions humaines » car ils annulent la Parole de Dieu (Mc 7,1-13). Grâce à eux, ces « scribes et Pharisiens hypocrites » pouvaient justifier leurs pratiques scandaleuses…

            Alors, comme toujours, Jésus revient à la source : le projet de Dieu sur l’humanité. Et il cite le Livre de la Genèse (1,1.27 ; 2,24) : « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair ». Et il insiste : « Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair ». Leur amour les unit, et cet amour, s’il est authentique, vient de Dieu. En effet, « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et parce qu’il est Amour, il est Don de Lui-même, gratuitement, par amour… « L’amour de Dieu », « l’amour dont Dieu nous aime » précise en note la Bible de Jérusalem, « a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). Et ceci est tout spécialement vrai pour un amour authentique entre un homme et une femme : chacun a reçu, pour l’autre, le Don de cet Amour et c’est ce Don qui les unit. Tel est donc le trésor qu’ils doivent cultiver jour après jour… « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » Que nul ne se permette donc de « renvoyer sa femme » pour toutes sortes de raisons futiles au nom d’une soi-disant Loi qui n’est en fait qu’une belle façade pour cacher son incrédulité et ses perversités… Qu’il se convertisse plutôt, et qu’il manifeste son choix sincère de Dieu en aimant sa femme !

            Telle est la réaction de Jésus face à l’hypocrisie qui montre beau visage et se flatte de bien agir… Mais telle n’est pas du tout son attitude envers les blessés de la vie qui, pour toutes sortes de raisons, se retrouvent dans des situations chaotiques. Son seul souci est alors de les aider à se relever en leur donnant de pouvoir prendre conscience de la volonté de Dieu pour qu’ils puissent vivre désormais de manière responsable en assumant leur passé… Et il sera toujours là, avec eux, pour que l’amour fleurisse enfin là où il n’y avait que des ruines. Et si un homme et une femme arrivent ainsi à se reconstruire, « ce que Dieu a uni », dans son infinie Miséricorde, là encore, « que l’homme ne le sépare pas »…         DJF.

           




26ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 27 septembre 2015

Nombres 11, 25-29 (L’Esprit de Dieu souffle où il veut)

L’épisode s’inscrit dans la marche d’Israël au désert, depuis le mont Sinaï jusqu’aux plaines de Moab (Nombres 10, 11 – 21, 35). Plus précisément, notre page s’enchaîne avec le récit d’une révolte : le peuple se lasse de la manne quotidienne et réclame de la viande, qui lui sera donnée (Nombres 11, 31-32). Pour l’heure, désemparé et écœuré, Moïse se plaint d’une responsabilité insupportable auprès de Dieu qui lui demande alors de rassembler, dans « la tente de la Rencontre », dressée hors du camp d’Israël, soixante-dix anciens qui l’épauleront dans sa fonction. Le Seigneur leur conférera pour cela une part de « l’esprit » de Moïse, de la force et de la sagesse divines à lui accordées (Nombres 11, 4-23).

  Voici, avec notre passage, le don de cet esprit aux anciens. Ils se mettent à prophétiser. Entendons qu’ils entrent en transe et prononcent des oracles mystérieux, comme Saül pris dans une bande de prophètes (1 Samuel 10, 10-12). Mais, ajoute notre texte, « cela ne dura pas ». La tr   ansmission de la phrase est mal assurée. La version latine de saint Jérôme a compris qu’ils « ne purent s’arrêter ». En fait, le texte originel voulait assurer la supériorité prophétique de Moïse sur les anciens. Une tradition juive ancienne prend en réponse cette parabole : un cierge qui en allume soixante-dix autres ne perd rien de sa lumière. De même, le don de l’esprit aux anciens n’enlevait rien à Moïse.

  La pointe porte sur l’acte II de la pièce, avec Eldad et Médad qui ne se sont pas rendus à la Tente et se mettent à prophétiser à l’intérieur du camp. Les légendes juives anciennes se plairont à mettre en leurs bouches une prophétie, totalement absente du texte biblique, sur l’histoire d’Israël. Les deux personnages n’ont donc pas honoré le rendez-vous sous la tente sacrée. D’où la réaction de Josué, l’auxiliaire de Moïse : « Arrête-les ! » C’est cette phrase qui commande le choix de cette lecture afin d’éclairer l’évangile où Jean dit avoir voulu « empêcher » un exorciste qui ne fait pas partie des disciples de Jésus.

  Moïse déclare à Josué : « Serais-tu jaloux pour moi ? » L’Esprit de Dieu est libre ; il agit où et quand il le veut. Le rédacteur de cet épisode veut montrer que la prophétie reste libre, sans lien obligé avec l’institution. Amos (7, 14) revendiquera cette liberté, en ces termes : « « Je ne suis prophète, ni fils de prophète. » Bien plus, le Moïse du récit souhaite que le don de prophétie s’étende à tout le peuple de Dieu. Joël, de manière solennelle, reprendra le souhait de Moïse comme une réelle promesse (Joël 3, 1-3) et saint Luc verra dans la Pentecôte l’accomplissement de cet oracle (Actes 2, 16-21).

Jacques 5, 1-6 (Vos richesses sont pourries)

Dans sa série de conseils et de reproches relatifs à la vie chrétienne, Jacques vient d’évoquer les négociants (Jacques 4, 13-17). Il ne dénonce nullement chez eux une malhonnêteté, mais le danger de tout miser sur les affaires et d’ignorer la fragilité de leurs spéculations et de leur existence. À présent, l’homélie s’en prend plus directement aux propriétaires terriens et critique leur injustice. Le discours, sous l’horizon du jugement de Dieu (« nous sommes dans les derniers temps »), se divise en deux parties.

  1. C’est d’abord une attaque générale contre les richesses périssables selon des images fréquentes dans la tradition biblique (le pourrissement, les vers, la rouille, le feu qui ruine tout ; comparer Matthieu 6, 19-21). Retentit aussi comme en écho l’exclamation de Jésus : « Malheureux êtes-vous, les riches ! Car vous avez votre consolation » (Luc 6, 24).

  2. La seconde partie en vient au fait : la dénonciation de certains riches qui retiennent le salaire des journaliers. Dans ce monde ignorant les comptes bancaires, le salaire devait être versé avant le coucher du soleil : Lévitique 19, 13 ; Deutéronome 24, 14-15 ; comparer la scène de Matthieu 20, 9. « Leur salaire crie vengeance » : l’expression rappelle à la fois la justice sociale et le droit divin selon lequel, si le pauvre exploité en appelle au Seigneur, celui-ci punira l’oppresseur (Deutéronome 15, 9). La fin de l’exposé, évoquant massacres et tueries, est une exagération dramatique intentionnelle.

Marc 9, 38-43.45.47-48 (« Celui qui n’est pas contre nous est pour nous. Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. « )

Nous poursuivons la lecture, en saint Marc, du discours communautaire de Jésus, le discours « sur le chemin ». L’articulation de cette séquence n’est pas évidente pour notre logique moderne. Elle se fait par l’association de mots-crochets (« en ton nom…, en mon nom…, au nom de… » et le verbe « scandaliser » [= « entraîner la chute »]). On peut ainsi distinguer trois sections.

Contre le sectarisme

Les disciples ont vu quelqu’un chasser des démons au nom de Jésus et l’en ont empêché, parce qu’il n’appartient pas au groupe des croyants. Celui qui rapporte cette controverse est Jean. De fait, son frère et lui, les « fils du tonnerre » (Marc 3, 17), brillent par leur esprit de domination (voir Marc 10, 35-45). Au fond, à travers cet incident, c’est la prétention à être « le plus grand » (cf. 9, 34) qui continue, cette fois vis-à-vis de ceux du dehors. La réponse de Jésus va dans le sens d’une grande ouverture : personne ne peut se servir de son nom pour faire le bien et maudire ensuite sa personne. L’influence bénéfique du Christ déborde largement le cercle de ses disciples. Les exorcistes et les thaumartuges agissaient, rappelons-le « au nom » d’une autorité. Flavius Josèphe, l’historien juif du 1er siècle, dit avoir vu un certain Éléazar qui chassait les démons au nom du roi Salomon. Parenthèse : Josèphe appelle Éléazar les personnages juifs dont il ne connaît pas le nom ! Pierre opérera des miracles « au nom » de Jésus (Actes 3, 6).

  Au prédicateur itinérant, il arrivera que de simples sympathisants offrent gentiment un verre d’eau, simplement parce qu’il a pour étiquette le « nom du Christ ». Cette expression et l’emploi du « nous » dans ces versets montrent qu’au-delà de la personne de Jésus, l’évangéliste pense à la situation de son Église et vise des responsables autoritaires et sectaires. Paul dénoncera des missionnaires itinérants qui se font entretenir grassement par les communautés, sous prétexte qu’ils sont « du Christ », qu’ils ont cheminé avec lui sur les routes de Galilée. Paul, qui n’a pas connu le Jésus historique, se dit « du Christ » sur d’autres fondements. Voir 1 Corinthiens 1, 12 et surtout 2 Corinthiens 11, 23-29.

« Ces petits qui croient en moi »

Dans « ces petits qui croient en moi », lisons ceux qui sont faibles dans la foi et risquent de d’être désorientés, de tomber, à cause de la liberté de conduite affichée par certains, surtout les responsables de la communauté. Saint Paul s’est affronté à ce genre de problème à propos de la consommation des viandes offertes aux idoles (1 Corinthiens 8 – 10). À ceux qui font chuter les faibles, Jésus souhaite la pire condamnation.

« Coupe-la… coupe-le… arrache-le »

La suite vise encore ces personnes qui risquent d’entraîner les faibles vers la chute. Pour qu’elles enrayent ce danger de manière radicale, elles doivent procéder sur elles-mêmes à des « ablations chirurgicales », au sens figuré bien sûr. Mieux vaut arracher les tentations, plutôt être manchot ou borgne… !, et accepter une douleur momentanée que de succomber à l’irrémédiable.

  Ces versets sont les seuls où, par trois fois, Marc emploie le mot « géhenne », ce lieu que Matthieu appellera « le feu éternel préparé pour le diable et ses anges » (Matthieu 25, 41). Ce mot, lieu de damnation, connu des apocalypses juives, a pour origine « la Géhenne », une vallée située au sud de Jérusalem, une décharge publique où l’on brûlait continuellement les ordures. Ce « lieu où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas », dont parle Isaïe 66, 24, repris ici par Jésus, a été compris par le judaïsme ancien comme désignant cette réalité infernale.

  On notera la subtilité qui enchaîne les symboles : la main, le pied, l’œil. Dans la symbolique du monde sémitique, la main désigne le début de l’action, le pied évoque la mise en route de l’action et l’œil signifie le projet intérieur, bon ou mauvais, qui commande l’action. L’enjeu est l’entrée finale « dans la vie », autrement dit « dans le royaume de Dieu ». C’est sans doute aussi cela « la récompense » finale que connaîtra celui qui simplement aura accueilli un disciple du Christ.

 

 




26ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (27Septembre)

Être bienveillants les uns envers les autres (Mc 9,38-43.45.47-48)

En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ;
celui qui n’est pas contre nous est pour nous.
Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
« Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer.
Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas.
Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds.
Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux,
là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.

 

     fraternite       

            Conséquences de notre humanité blessée, la communauté chrétienne n’est pas comme le Christ voudrait qu’elle soit : « Père, qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17,22)… Et pourtant, catholiques, orthodoxes, protestants, anglicans, tous, nous avons reconnu en Jésus Christ le Fils Unique du Père, celui qui, en vrai homme et vrai Dieu, est « le Sauveur du monde », « l’unique médiateur entre Dieu et les hommes » (Jn 4,42 ; 3,16-171Tm 2,3-6). Et chacun d’entre nous, dans la barque qui est la sienne, peut être tenté de regarder les autres avec méfiance… « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom, quelqu’un qui ne nous suit pas, et nous voulions l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas », disent ici les disciples. « Ne l’en empêchez pas », leur répond Jésus, « car il n’est personne qui puisse faire un miracle en invoquant mon nom et sitôt après mal parler de moi. Qui n’est pas contre nous est pour nous ».

            L’important est donc avant tout la bienveillance mutuelle… En effet, nul homme ne peut « faire un miracle » par lui-même : c’est Dieu et Dieu seul qui l’accomplit… Et Jésus nous entraîne encore plus loin : Lui, qui est vrai homme et vrai Dieu, il ne peut rien par Lui-même ! « En vérité, en vérité, je vous le dis », dit-il solennellement, « le Fils ne peut rien faire de lui même, qu’il ne le voie faire au Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu’il fait… Je ne puis rien faire de moi-même » (Jn 5,19-20.30). Les miracles de Jésus sont donc « les œuvres de mon Père », dit-il (Jn 10,37). Combien plus ce principe, vrai pour lui, le Serviteur du Père, est-il vrai pour tout disciple de Jésus ! Et c’est bien ce qu’il dira : « Je suis la vigne, et vous les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5).

            C’est donc clair… Tout miracle authentique est l’œuvre de Dieu… Alors si quelqu’un, qui n’appartient pas « socialement » au groupe des disciples, accomplit une œuvre bonne, c’est Dieu en fait qui l’accomplit avec lui et par lui. Et c’est avant tout cela qu’il s’agit de reconnaître, de discerner : est-il, oui ou non, vraiment, un serviteur de Dieu et des hommes ? Si c’est « oui », alors tout va bien, dit ici Jésus… La communauté des serviteurs de Dieu est donc bien plus large que le seul petit cercle qui l’accompagnait alors… Et ce principe, là encore, est toujours valable aujourd’hui…                         DJF




25ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 20 septembre 2015

Sagesse 2, 12.17-22 (Condamnons-le à une mort infâme)

Les impies qui se détournent de la sagesse prononcent ici un discours contre le juste, avant que l’auteur du livre dénonce leur erreur funeste, leur condamnation, et le triomphe des justes qui, passées les épreuves, goûteront une immortalité victorieuse (Sagesse 2, 21 – 3, 12).

  Notons le jeu subtil du pluriel et du singulier : le juste est seul dans l’épreuve ; « ceux qui méditent le mal » contre lui sont nombreux. Mais, dans l’heureux dénouement, « les âmes des justes » (Sagesse 3, 1) deviennent plurielles. Expérience des justes qui, en tous les temps, se sentent minoritaires et, cependant, gardent l’espérance. Le même jeu grammatical se trouve déjà dans le Psaume 1, avec le retournement final du verset 6.

  Le juste reproche à ses détracteurs d’avoir abandonné « la Loi » et, littéralement, leur « éducation ». Ce dernier mot revient plusieurs fois dans le livre, sous la plume de l’auteur qui écrit peu de temps avant notre ère dans la grande cité d’Alexandrie. Ceux qu’il dénonce ici ne sont donc pas des païens, mais des Juifs qui ont abandonné leurs traditions culturelles et religieuses au profit d’idéologies grecques matérialistes.

  Se comprend alors leur attitude. Dans « l’apostasie », dans l’abandon de la foi, il y a souvent une mémoire coupable du passé et une sorte de rancœur à l’égard de celui qui est resté fidèle à son « éducation ». Cette animosité se fait alors persécution cynique. Puisqu’il compte sur Dieu, testons-le ! Qui aura raison : lui qui compte encore sur un Être mythique ? Nous qui avons choisi une totale liberté ?

  Entre d’autres termes forts qui mériteraient l’examen, relevons cette proposition conditionnelle : « Si le juste est fils de Dieu… ». Parmi diverses significations de l’expression fils de Dieu dans l’Ancien Testament (le messie, Israël, les anges…), elle désigne ici le juste opprimé qui, comme un petit enfant jeté du haut d’un mur par des méchants, ne se confie que dans son père qui, en bas, le recevra forcément dans ses bras. C’est en ce sens qu’au Golgotha, selon Matthieu, les adversaires de Jésus ironisent sur son titre de fils de Dieu (Matthieu 27, 42). C’est aussi pourquoi la liturgie d’aujourd’hui prend le Livre de la Sagesse pour éclairer dans notre page d’évangile la deuxième annonce de la Passion.

Jacques 3, 16 – 4, 3 (C’est dans la paix qu’est semée la justice)

Peut-on résumer cette page de « l’encyclique » attribuée à Jacques (cf. Jacques 1, 1) ? Le lectionnaire a omis trois versets (Jacques 3, 13-15) insistant sur la différence radicale entre la sagesse divine et la sagesse humaine, un passage qui semble mettre en cause certains dirigeants des communautés auxquelles s’adresse l’auteur. Dans le texte d’aujourd’hui, nous distinguons deux vagues. La première conclut ce discours omis par la liturgie. La seconde, à partir de la question « d’où viennent les guerres », est une exhortation plus directe. La logique de l’ensemble présente un certain flou, car il puise dans des traditions catéchétiques antérieures.

  1. La première vague présente une liste de vices et de vertus qui s’inspire des exhortations apostoliques. Les défauts qui perturbent la vie communautaire se trouvent déjà en 2 Corinthiens 12, 20 ou Galates 5, 19-22. La vertu de ceux « qui font la paix » rappelle la béatitude de Matthieu 5, 9 ; mais le lien entre la justice et la paix relève aussi de l’Ancien Testament.

  2. Les « guerres » qu’évoque la seconde partie ne concernent pas les relations internationales, mais les rapports entre chrétiens. La convoitise et la jalousie qui déchirent la communauté sont par essence meurtrières, parce qu’elles recouvrent des désirs démesurés qui, irréalisables, entraînent la violence du dépit.

  Dans ce contexte, l’auteur introduit le motif de la prière. « Les prières sont mauvaises lorsque leur objet, au lieu d’être primordialement subordonné à la volonté de Dieu (…), vise les seuls désirs personnels ou égoïstes » (J. Cantinat). Le début de l’épître indiquait que la vraie prière est celle qui demande à Dieu la sagesse (Jacques 1, 5-8). La fin louera la prière en toute circonstance, « la supplication fervente du juste », et donnera pour modèle le prophète Élie (Jacques 5, 13-18).

Marc 9, 30-37 (Deuxième annonce de la Passion et appel à l’humilité)

Ici commence le grand moment de « la section du chemin » construite par Marc. Il s’agit d’un discours communautaire, l’invitation à une conversion des relations entre les disciples. Si autrefois les auditeurs de Jésus formaient un cercle (Marc 3, 32-35), ce cercle s’est brisé et la vie chrétienne devient un cheminement à la suite du Crucifié. Telle est l’orientation de ces chapitres (Marc 9, 30 – 10, 52) qui nous tiendront en haleine pendant six dimanches.

Le chemin

Notre texte mentionne deux fois un déplacement et deux fois « le chemin ». Ce sera un chemin de conversion proposant de sortir de l’aveuglement. De manière symbolique, cette mise en scène s’achèvera en épilogue par l’illumination de Bartimée : « Aussitôt l’homme se mit à voir et il suivait Jésus sur le chemin » (10, 52).

La Passion

Pour la deuxième fois Jésus annonce sa Passion. La troisième et dernière annonce se trouvera en Marc 10, 32-34, et tout le discours communautaire aura été construit entre ces deux annonces. Cet encadrement a un sens profond et reflète la théologie de saint Paul : pour vivre en chrétien, il faut mourir avec le Christ pour ressusciter avec lui (voir Romains 6, 5).

  Pour l’heure, c’est une confidence adressée aux seuls disciples proches, les Douze, puisque Jésus veut qu’on ignore son voyage à travers la Galilée ; mais ces derniers ne comprennent pas le message de mort et de vie qu’il leur délivre. Pire encore, ils ont peur, peur de l’interroger, un motif qui reviendra de manière plus dramatique en Marc 10, 32. En ménageant ce climat de crainte, l’évangéliste veut, à l’adresse de ses lecteurs, souligner le sérieux et la gravité du discours de Jésus.

  Constatons que Jésus ne dit pas : Je suis livré, mais « le Fils de l’homme est livré ». L’expression est volontairement ambiguë. Elle implique à la fois un « parce que » et un « bien que ». Parce que Jésus est un fils d’homme, appartenant pleinement au genre humain, il va vers la mort qui est l’issue commune. Mais l’expression « Fils de l’homme » désigne, dans les apocalypses juifs, un mystérieux personnage céleste à qui Dieu confie le jugement final de l’univers. Ainsi, bien que conscient de cette dignité, Jésus accepte sa mort.

Le plus grand ?

« En chemin », sur le chemin de l’enseignement de Jésus, les disciples ont discuté pour savoir lequel d’entre eux était le plus grand et, d’après leur silence devant la question de Jésus, ils en ont quelque honte. La déclaration de Jésus est solennelle, puisqu’il s’assied, en maître qui enseigne, et elle signifie un renversement des valeurs. Aux yeux de Dieu, le plus grand n’est pas celui que l’on considère comme tel ou qui veut être tel. La domination sur les autres doit se renverser en service de tous, à la dernière place. Dans le dialogue avec Jacques et Jean, en forme d’épilogue au discours communautaire, Jésus reprendra les mêmes formules et avancera son propre exemple : donner sa vie (Marc 10, 43-45).

  Ici, pour illustrer son enseignement, il place un petit enfant – « un petit gars », comme on pourrait traduire le mot grec – au centre du groupe des grands. L’enfant devient le centre… Relevons un détail : « il l’embrassa. » Dans le monde culturel ancien, un maître aussi célèbre que lui ne montre pas en public, sans faire rire, un signe gratuit d’affection pour les enfants. Dans certaines cultures d’aujourd’hui, on écarte à gentils coups de cailloux les gamins qui s’approchent trop d’une réunion d’adultes. Comparer la réaction des disciples en Marc 10, 13. La leçon est celle-ci : se faire le serviteur de tous peut s’exprimer par le renoncement du pouvoir attribué communément aux adultes vis-à-vis des petits, un pouvoir que Paul cite, sans moraliser, comme un fait avéré dans son monde sémitique : « Aussi longtemps qu’il est un enfant, l’héritier, quoique propriétaire de tous les biens, ne diffère en rien d’un esclave » (Galates 4, 1).

  Jésus ne donne pas une leçon de science pédagogique, en cette scène qui est une parabole. Il veut désarmer la volonté de puissance, de domination. Il se réfère à la notion d’accueil et, pour cela, il établit une certaine équivalence entre l’accueil bienveillant fait à l’enfant, à lui-même et à Dieu qui l’a envoyé pour délivrer ce message.

 

 

 

 

 




25ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (20 Septembre)

La grandeur du serviteur (Mc 9,30-37)…

En ce temps-là, Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache,
car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. »
Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger.
Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? »
Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand.
S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit :
« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »

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                       Jésus annonce de nouveau sa Passion et sa Résurrection prochaines… Mais dès qu’il parle de résurrection, les disciples ne comprennent pas… Comment est-il possible de revenir de la mort ? « Je vous le dis maintenant, avant que cela n’arrive, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez » (Jn 14,29). Et en effet, après le bouleversement provoqué par les évènements de la Passion, « quand il fut relevé d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à la parole qu’il avait dite » (Jn 2,22). Jésus construit donc ici la foi future de ses disciples, car ils auront à vivre toute leur mission dans la foi…

            Pour l’instant, ils ne comprennent pas et pensent toujours que Jésus sera le prochain roi d’Israël… Qui donc, parmi eux, aura alors la meilleure place ? « Qui est le plus grand », se demandent-ils ? Voilà bien l’échelle de valeurs qui règne dans le monde… Mais « mon Royaume n’est pas de ce monde », dira Jésus… Certes, « je suis Roi » (Jn 18,33-37), mais « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10,45). Or « le serviteur n’est pas plus grand que son maître. Il suffit pour le disciple qu’il devienne comme son maître » (Mt 10,24-25). C’est pourquoi, dit-il ici, « si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous ». C’est ce qu’il fit Lui-même tout au long de sa vie, touchant un lépreux, l’être le plus impur qui soit à l’époque (Mc 1,40-45), mangeant au milieu des pécheurs (Mc 2,15-17), pour finalement mourir au milieu de deux « brigands » (Mc 15,27), à la dernière place… Jésus est en effet « l’Astre d’en haut qui nous a visités dans les entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,78), se mettant tout entier au service des hommes, et tout spécialement des pécheurs, ces « perdus » (Lc 15,1-7), ces souffrants (Rm 2,9), avec comme unique but, leur bien, leur salut…  

            « Si donc quelqu’un me sert, qu’il me suive et là où je suis, là aussi sera mon serviteur » (Jn 12,26). Ici, nous le voyons avec un « petit enfant », qu’il embrasse. Or, à l’époque, l’habitude des « bien pensants », des « sages », des « intelligents » (Lc 10,21-22), était de les mépriser. Mais non… Bien au contraire, « ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 26,40), dira Jésus. Il nous montre ainsi le Chemin de la vraie Vie… A nous maintenant de le suivre… DJF

               

 

          




22ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 30 Août 2015

 

Deutéronome 4, 1-2.6-8 (« Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne… vous garderez les commandements du Seigneur. »)

 

Par la bouche de Moïse, c’est le prédicateur du Deutéronome qui exprime sa haute conception de la Loi de Dieu. Et, en réalité, il s’adresse à une génération d’Israélites qui sont devenus sédentaires depuis longtemps et dont certains mettent en cause la valeur d’une Loi divine devenue trop peu moderne, venue des temps du désert.

  Contre la tentation de modifier les commandements pour un intérêt égoïste de circonstance, on se gardera de n’y rien ajouter et de *n’y rien retrancher. Certes, les lois ont besoin d’adaptations aux situations nouvelles. C’est même ce que fait le Deutéronome lui-même. Mais on se méfiera d’une facilité qui affadit l’esprit de l’Alliance. En ce sens, Jésus critiquera « la tradition des anciens » qui néglige le commandement de Dieu (évangile).

  Chaque nation se vante d’avoir la constitution la plus sage qu’on puisse forger. Le prédicateur du Deutéronome n’échappe pas ici à cette fierté légitime. Mais il vise des gens tentés de dévaluer leur patrimoine religieux. À l’expérience, leur demande-t-il, ne percevez-vous pas combien ces lois sont « justes », adaptées ? Cette justesse ne prouve-t-elle pas que notre Dieu est proche, qu’il sait si bien ce qui nous convient ?

 

* N’y rien retrancher. La Loi divine, le Pentateuque, fut traduite en grec à Alexandrie, vers 250 avant notre ère. C’est la « Bible des Septante ». De cette traduction, la légende juive dit que rien ne doit être retranché (Lettre d’Aristée). La Loi de Dieu est infrangible, mais elle doit toujours être adaptée en des situations nouvelles.

 

 

Jacques 1, 17-18.21b-22.27 (« Mettez la Parole en pratique. « )

Dans ce manuel de vie chrétienne qu’il compose, l’auteur supposé, Jacques, « le frère du Seigneur » (Galates 1, 19) et premier chef de l’Église de Jérusalem (Actes 12, 17) s’exprime par des maximes dont l’enchaînement n’est pas toujours clair, moins encore quand les ciseaux de la liturgie tronçonnent le texte. Distinguons trois vagues.

  1. La valeur d’un don dépend de la qualité du donateur. Si nos dons viennent « d’en haut », le donateur est « le Père des lumières », des astres. Ceux-ci sont sujets à des variations périodiques. Le Créateur, lui, ne varie pas dans ses bienveillantes intentions.

  2. Le don qu’il nous fait est « sa parole de vérité », c’est-à-dire l’Évangile, « semé » en nous par le baptême, capable de nous sauver. Mais ce salut qui brille pour nous requiert une condition : « Mettez la Parole en *pratique» C’est le résumé de la Lettre. Paul l’avait dit : « Ce ne sont pas les auditeurs de la Loi qui sont justes devant Dieu, mais les observateurs de la Loi » (Romains 2, 13). Il rejoignait là l’orientation du Deutéronome (1ère lecture).

  3. Les expressions synonymes « pur et sans souillure » désignent souvent des dispositions intérieures. L’auteur ne l’entend pas ainsi : la vraie religion est un agir qui secourt les orphelins et les veuves, les deux principales catégories sociales défavorisées de l’époque. Le chrétien agira ainsi parce que Dieu est Père, Père des orphelins et des veuves.

  Les successeurs de Martin Luther avaient supprimé la Lettre de Jacques du canon des Écritures, en raison de son apparente opposition à la théologie de Paul (« la foi sans les œuvres » !). Les successeurs… des successeurs de Luther réhabilitèrent vite cet écrit dans le canon, tant il est vrai que cette épître brille par son souci des relations de justice sociale, un motif fondamental dans les Églises protestantes.

 * La pratique. « La parole est vivante, lorsque ce sont les actions qui parlent. Je vous en prie, que les paroles se taisent, et que les actions parlent. Nous sommes pleins de paroles, mais vides d’actions ; à cause de cela, le Seigneur nous maudit, lui qui a maudit le figuier où il n’a pas trouvé de fruits, mais seulement des feuilles (…) Il perd son temps à répandre la connaissance de la loi, celui qui détruit son enseignement par ses actions » (Saint Antoine de Padoue, 13e siècle).

 

  

Marc 7, 1-8.14-15.21-23 (« Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »)

 

Nous avions laissé Marc au seuil de la multiplication des pains (16e dimanche) pour nous plonger dans l’évangile de Jean, avec son discours sur le Pain de vie. Nous revenons à notre évangéliste de l’année B dans une section où Jésus associe plus étroitement ses disciples à son œuvre. Ces chapitres déboucheront sur la confession de foi de Pierre (24e dimanche).

La tradition des anciens sur la pureté cultuelle

En multipliant les pains, Jésus a ouvert la table de Dieu aux affamés d’Israël. Il a annoncé par là la table de l’eucharistie. Désormais, la question se pose aux chrétiens, sur l’arrière-fond des coutumes juives : quelle est la *pureté requise pour approcher de ce sacrement ? Dans quel but Marc a-t-il conservé cet épisode de la vie de Jésus ? On conçoit bien qu’après la résurrection de Jésus, certains chefs judéo-chrétiens, Jacques de Jérusalem, par exemple, se soient préoccupés de la pureté rituelle des chrétiens juifs de Galilée. Pour ses lecteurs chrétiens de Rome, peu familiers de telles questions, Marc se permet d’expliquer ces rites en une longue parenthèse. L’enjeu est « la tradition des anciens » qui définit ces règles de pureté. Cette tradition, entretenue par les pharisiens et leurs scribes, se donne pour objectif de traduire concrètement, dans les détails, ce que les commandements divins exigent de l’homme. Elle devient une casuistique qu’hélas, les autorités de toutes religions ne manquèrent jamais, au fil de l’histoire, de compliquer, au détriment de la vie toute simple des croyants.

Quel culte ?

Jésus oppose à ses interlocuteurs une citation d’Isaïe (29, 13). La tradition des anciens risque de devenir un ensemble de règles formelles, un jeu de pratiques, un code qui évite à l’homme de se situer personnellement, de cœur, devant Dieu. On dit que les commissions parlementaires noient les problèmes. De même, la casuistique religieuse peut devenir un écran de fumée qui empêche de rendre à Dieu le culte intérieur que celui-ci attend de l’homme. Le danger, en effet, est le suivant, celui de la satisfaction égocentrique du devoir accompli, celui de penser que l’on est en règle avec Dieu, lorsqu’on s’est acquitté des obligations rituelles.

Quelle pureté ?

Jésus joue sur la notion d’extérieur et d’intérieur. Il parle d’abord des aliments qui ne font que traverser le corps et n’affectent en rien la nature humaine. Nulle responsabilité morale en cela. En revanche, l’impureté véritable procède de ce que l’homme sort de lui-même, de son « cœur », de ses intentions profondes qui se traduisent par des actes. Comprenons bien l’argumentation. Ce ne sont pas les douze actes répréhensibles dénoncés, tous nuisibles au prochain, que Jésus condamne, mais l’intention perverse, « le dedans », qui conduit à de tels vices. Notons que cette dernière partie du discours s’adresse aux seuls disciples « à l’écart de la foule », pour leur donner les directives morales dans leur futur rôle de pasteurs des communautés chrétiennes.

  Il est facile de dénoncer les souillures extérieures visibles. Elles nous apitoient sur nous-mêmes, servent d’excuse et conduisent à l’irresponsabilité. Il est plus difficile de nous remettre en cause, dans les motivations profondes qui nous rendent impurs aux yeux de Dieu, mais que personne ne voit. N’oublions pas qu’ici, avec l’épisode suivant de la Syrophénicienne (Marc 7, 24-30) et la seconde multiplication des pains (8, 1-10) l’évangéliste sous-entend les conditions de la participation à l’eucharistie.

* Le mot « pureté » recouvre deux sens, de même que notre mot « saleté » désigne soit une tache morale soit une inconvenance hygiénique ou une souillure matérielle. De même, il y a une pureté « rituelle » qui se préoccupe de la fidélité aux pratiques religieuses, et il y a la pureté « morale » qui cherche à agir avec droiture envers Dieu et envers les hommes. Le risque de la religion, est de polariser le fidèle sur les catégories du permis et du tabou, de lui éviter ainsi un jugement moral responsable. Ce travers est au centre de la critique de Jésus dans cette page d’évangile.




22ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (30 Août)

« Vérité, humilité, miséricorde (Mc 7,1-8.14-15.21-23)…

En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus,
et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées.
– Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ;
et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats.
Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. »
Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi.
C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains.
Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »
Appelant de nouveau la foule, il lui disait : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien.
Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »
Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres,
adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure.
Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »

 dieu vous aime

            

            A l’époque de Jésus, les Pharisiens étaient très attachés à toutes sortes de pratiques qu’ils avaient reçues des générations précédentes. Ils étaient « fidèles à la tradition des anciens », persuadés d’être sur le seul et unique bon chemin, le leur, et ils critiquaient tous ceux qui n’agissaient pas comme eux : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens », demandent-ils ici à Jésus ? Pourquoi n’agissent-ils donc pas comme nous ? Parler ainsi, c’est dire : « Nous, nous avons raison. Nous, nous agissons bien. Nous, nous sommes sur le bon chemin parce que nous mettons en œuvre telle ou telle pratique. » Mais ce n’est pas cela que Dieu cherche en l’homme… Lui, il veut vivre avec chacun d’entre nous une relation vraie, en cœur à cœur. Et puisque nous sommes tous pécheurs (Rm 3,9-31 ; 5,12), cela ne peut se faire que dans la vérité de notre misère reconnue et offerte, mais aussi et surtout dans la Vérité de son Amour surabondant, inépuisable, toujours offert… Et cet Amour ne poursuit qu’un seul but, le bien de tout homme… « Je ne cesserai pas de les suivre pour leur faire du bien… Je trouverai ma joie à leur faire du bien, et cela de tout mon cœur et de toute mon âme » (Jr 32,37-41). Et Dieu est infini ! Puisqu’il n’est qu’Amour, Dieu ne cesse ainsi de nous suivre pour nous combler de ses bienfaits : « Tu couronnes une année de bienfaits ; sur ton passage, ruisselle l’abondance » (Ps 65,64),12). Or, « bien », « bienfaits », « bon », « bonheur », ne sont qu’un seul et même mot dans la langue de Jésus : pour Dieu, « nous faire du bien », c’est nous combler de « ses bienfaits », gratuitement, par amour, et cela ne peut qu’être synonyme pour nous que de « bonheur profond »…

            Dieu veut donc avant tout nos cœurs… Nos pratiques ne sont donc importantes que dans la mesure où elles expriment le cœur… En elles-mêmes, pour elles-mêmes, elles ne sont rien, sinon une occasion pour l’orgueilleux de se glorifier, et cela se fait toujours au détriment de ceux qui n’agissent pas comme lui : « Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes qui sont rapaces, injustes, adultères » (Lc 18,9-14)… Pour preuve, « je jeûne deux fois la semaine », je fais ceci ou cela, je m’habille comme ci ou comme ca… « Hypocrites », leur dit ici Jésus, « ce peuple m’honore des lèvres mais leur cœur est loin de moi ». Et il se désole, car ils ne peuvent qu’être malheureux, alors que Dieu nous appelle tous à partager sa joie (Jn 15,11) ! DJF