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21ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 23 Août 2015

Josué 24, 1-2a.15-17.18b (« Nous voulons servir le Seigneur, car c’est lui notre Dieu. « )

Le livre de Josué raconte la conquête de Canaan par les tribus israélites qui étaient descendues en Égypte et avaient vécu l’Exode et l’Alliance au Sinaï. D’autres tribus étaient restées parmi les Amorites païens et n’avaient pas connu la grande aventure religieuse. Au terme de la conquête, lors de l’assemblée à Sichem, tous doivent maintenant choisir : ou bien servir les dieux païens de la nature, les dieux mésopotamiens des ancêtres d’Abraham, ou bien le Seigneur, Dieu de l’histoire.

  Josué (« Jésus », dans la Bible grecque) est le successeur de Moïse. Il fait le lien entre l’aventure spirituelle de l’exode et l’ère nouvelle de la sédentarisation d’Israël (voir Deutéronome 31 et Josué 1). Son discours, reflet de liturgies ultérieures, qui clôt le livre portant le nom de Josué, manifeste que la foi est d’abord une prise de conscience : le Seigneur a choisi son peuple, il l’a sauvé. Pas de foi sans un travail de mémoire, de relecture des événements. La foi reconnaît aussi que Dieu demande à l’homme de choisir et de peser les enjeux de son choix. Enfin, la foi vécue se traduit par le verbe « servir » (six fois dans les versets retenus ici par la liturgie) qui, en hébreu, évoque à la fois l’obéissance au roi ou le culte envers la divinité, un rapport de vassal à suzerain, l’engagement à un culte exclusif, et un amour concret qui se dépense en service des intérêts de celui que l’on choisit. « Servir d’autres dieux », expression récurrente dans le Pentateuque, évoque à la fois des alliances politiques néfastes et, par là, une trahison du Dieu unique. Le passage retenu par la liturgie s’achève par une confession de foi qui rappelle celle de Deutéronome 26, 1-11

  Les chrétiens auront à faire un autre choix (évangile) : ou bien s’en tenir au souvenir d’une religion du passé, ou bien accueillir la nouveauté de Dieu dans l’humanité de Jésus, Pain de vie.

 

 

 

Éphésiens 5, 21-32 (« Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église. »)

 

L’apôtre Paul a rarement « converti » des familles. La foi chrétienne à son époque divisait plutôt les familles (cf. Luc 12, 51-53). Il a touché surtout des individus qui se réunissaient dans des maisons de croyants. Selon lui, au sein de ces communautés, tous font un dans le Christ Jésus, « il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme » (Galates 3, 28). Mais, à l’époque ultérieure où est écrite la Lettre aux Éphésiens, les Églises sont devenues un phénomène visible et, en leur sein, leurs relations fraternelles égalitaires font scandale dans une société païenne fortement hiérarchisée. Il fallut, en quelque sorte, « lâcher du lest ».

  C’est pourquoi les derniers écrits du Nouveau Testament intègrent des « codes domestiques » traitant les rapports entre épouse et époux, enfants et parents, esclaves et maîtres. Ainsi en Colossiens 3, 18 – 4, 1, un catalogue réadapté et enrichi par Éphésiens 5, 18 – 6, 9. Voir aussi 1 Pierre 3, 1-7. Ces codes s’inspirent des règles d’une société patriarcale. Mais nos écrits apostoliques y injectent comme une sorte de correction, à savoir les valeurs de réciprocité issues de l’Évangile. La lecture de ce jour ne retient que l’exposé sur la relation épouse/époux.

  Le mariage est un fait social, modelé par la diversité des cultures et des époques. L’épître n’entend pas régir cette institution qui, dans l’Antiquité, tient pour normale la soumission de l’épouse. Mais, en cette hiérarchie, l’auteur injecte la valeur évangélique de réciprocité : « Soyez soumis les uns aux autres. » Ainsi, au long de l’histoire d’une Église entendant régir toute la société, le mariage devint un sacrement signe visible et efficace de l’amour du Christ pour son Église.

  Si « le mari est la tête », l’Apôtre ne dit pas que le Christ est la tête du mari. Le Christ est la tête de l’Église. Et, si l’Église se soumet à lui, c’est parce qu’elle reconnaît en lui « le Sauveur » aimant. Le Christ ne rabaisse pas l’Église dans une soumission craintive. Au contraire, par le baptême, comparé au bain nuptial, il la met en valeur en lui offrant le rayonnement de sa propre sainteté. Tel est le modèle qui doit inspirer l’époux. Son épouse sera pour lui aussi précieuse que son propre corps qu’il aime et respecte. Notons que, dans les codes gréco-romains, on ne trouve guère le devoir pour l’époux « d’aimer sa femme ». Au contraire, l’homme qui manifestait en public de la tendresse pour sa femme passait pour un « mou ».

  Au reste, le projet biblique du mariage (Genèse 2, 24) suppose que l’homme s’arrache à l’emprise de son clan pour se consacrer à sa femme. Le but est celui d’une unité, littéralement« une seule chair », non d’une domination de l’un sur l’autre.

 

 

 

Jean 6, 60-69 (« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. « )

 

A la fin de ce discours sur le Pain, « les Juifs » disparaissent. Le débat se concentre sur les réactions des disciples de Jésus eux-mêmes. En invitant à s’assimiler sa chair et son sang, Jésus n’a pas cessé de se présenter comme la Parole de Dieu qui apporte la vie. C’est maintenant l’heure du choix (cf. 1ère lecture).

  L’évangéliste joue sur deux tableaux. D’une part, il rappelle les oppositions que Jésus rencontra durant sa mission terrestre. D’autre part, il s’en prend à certains chrétiens de son temps dont la foi n’est pas à la hauteur de ce que l’on doit voir dans le Christ. Le débat, imputé aux autorités juives, a été lancé en Jean 5, 18 en cette accusation : Jésus « appelait Dieu son propre père, se faisant égal à Dieu ».

Les récriminations des disciples

Des récriminations des Hébreux du désert (Exode 16) et de celles de Juifs devant la révélation du Pain de vie, on aboutit à la fermeture de certains disciples. Dans le langage de Jean, ne pas « entendre », c’est refuser la foi. « Cela vous scandalise ? », demande Jésus. Une nouvelle idée surgit, la préscience de Jésus. Il sait qui ne croit pas et qui « le livrera », c’est-à-dire Judas, un proche, « l’un des Douze » (verset 71). Ce thème souligne que le Révélateur de Dieu se soumet à l’accueil et au refus des libertés humaines et que cette disponibilité d’amour inclura l’acceptation de la Passion.

L’ascension du Fils de l’homme

La Parole de Dieu ne retourne pas vers le ciel sans avoir accompli sa mission, disait Isaïe 55, 11. Ainsi le Fils de l’homme montera vers Dieu, « là où il était auparavant », dans son éternité (« au commencement était le Verbe », Jean 1, 1). Ce départ s’opérera par la croix, par une disparition, une absence. Dès lors le problème de la foi se posera avec plus d’acuité encore : comment pourrait-il prétendre apporter la vie, celui qui aura subi la mort et a disparu ? Jésus laisse à jamais la question ouverte.

Les paroles de Jésus, esprit et vie

Le tort des mal-croyants n’est pas de prendre les paroles du Maître comme une incitation à l’anthropophagie, mais de raisonner selon « la chair », c’est-à-dire selon leur condition terrestre, précaire et bornée. La parole du Christ vient d’en haut. Elle requiert une ouverture à l’Esprit de Dieu et au désir d’une vie qui nous libère à jamais des pesanteurs mortelles de la chair. Jésus accepte qu’on se ferme à son message. Et, rappelant le verset 44, il répète que nul ne peut venir à lui, sinon celui qui se sera ouvert au don de Dieu, au Père qui conduit les hommes vers son Fils. Il ne s’agit pas d’une prédestination, mais d’une action de grâce qui fait partie intégrante de la foi : celui qui croit en Jésus doit rendre grâce au Père qui l’a conduit vers Jésus, le Saint de Dieu.

La confession de foi de Simon-Pierre

C’est l’heure du choix. Jean songe aux chrétiens qui, de son temps, abandonnent l’Église par manque de foi devant le caractère déconcertant de l’Évangile. Ici, Pierre ne parle pas en chef de l’Église, à la différence de Matthieu 16, 16-19. Car, dans la communauté ecclésiale de Jean, il n’y a pas de chef. Ici, Simon-Pierre s’exprime comme le modèle des vrais croyants : « Nous croyons », déclare-t-il, au pluriel. Il adhère à Jésus, Parole de Dieu, « de la vie éternelle ». Il apporte la réponse que Jésus attendait. Il ne rabâche pas une foi apprise au Fils de l’homme ou au Messie. Il salue, à sa manière, « le Saint de Dieu », celui que Dieu a consacré pour sa mission (cf. Jean 10, 36 ; 17, 19). La liturgie s’arrête là. En réalité, le passage se conclut par l’annonce de la trahison de *Judas (versets 70-71). Car la foi doit aussi accepter la Passion et en comprendre le sens.

* Judas. « Sans doute un petit groupe demeure-t-il fidèle, mais en son sein se trouve un homme, un vrai diable, qui finira par trahir le Maître. À travers des auditoires successifs (foule, juifs, disciples, Douze), le narrateur présente une expérience toujours actuelle : la difficulté pour l’homme de demeurer ouvert à la nouveauté de Dieu. D’ordinaire, chez Jean, foi et non-foi signifient vie et mort. Ici Jésus éclaire le devenir de la foi en elle-même : celle-ci advient dans une rencontre, une synergie, entre Dieu qui attire et l’homme qui accueille » (X. Léon-Dufour).

 

 




21ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (23 Août)

« Tu as les Paroles de la Vie éternelle » (Jn 6,60-69)

En ce temps-là, Jésus avait donné un enseignement dans la synagogue de Capharnaüm. Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? »
Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit : « Cela vous scandalise ?
Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant !…
C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie.
Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait.
Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner.
Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »
Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.
Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. »

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            Jésus vient de répéter par trois fois l’expression « manger sa chair, boire son sang », en insistant encore : « En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson ». Beaucoup de ses disciples trouvent alors « intolérables » ces Paroles : « On ne peut pas continuer à l’écouter », ce n’est plus possible… Comment peut-on manger sa chair et boire son sang !

            Mais ce sera l’occasion pour Jésus de leur donner la clé de tout son discours. « Je suis le Pain de Vie » avait-t-il commencé à leur dire, en se présentant ensuite comme « Pain de Vie par sa Parole », une Parole qu’il s’agit d’accueillir de tout cœur par sa foi (Jn 6,35-47). Puis, en reprenant cette même expression, « Je suis le Pain de Vie », il s’était présenté aussi comme « Pain de Vie par sa chair offerte », un pain à accueillir de nouveau de tout cœur par sa foi, mais avec une démarche publique qui engage cette fois non seulement le cœur mais encore le corps tout entier, puisqu’il s’agit de le « manger », de le « croquer », de le « mastiquer ». Et pour aider à ceux qui ont du mal à croire en lui, Jésus reprend ici ces deux parties, « le pain chair », « le pain parole », en une synthèse qui les unit dans une seule et même perspective de foi : « C’est l’Esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et elles sont vie » (Jn 6,63). Autrement dit, dans les deux cas, que ce soit en recevant la Parole ou le pain consacré de tout cœur, on reçoit le Don de « l’Esprit qui fait vivre »…

            Quelle beauté ! Et pourtant, « à partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner ». Mystère de la relation « homme – Dieu », où l’homme ne peut rien sans Dieu : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. » Mais Dieu lui aussi ne peut rien faire en l’homme sans son accord… Il respecte infiniment la liberté de celui qui le refuse, mais sans jamais cesser de l’aimer, de s’occuper de lui du mieux qu’il peut, de frapper à la porte de son cœur, et cela, jusqu’à ce qu’elle s’ouvre (Ap 3,20 et Lc 15,1-7).

            « Tu as les Paroles de la vie éternelle », dit ici Pierre, ce pécheur qui a accepté l’Amour de Miséricorde de Jésus à son égard. « Je suis un pécheur », a dit le Pape François, « c’est la définition la plus juste… Je suis un pécheur sur lequel le Seigneur a posé son regard… » (Pape François, août 2013)… « Heureux ceux qui croient » !    DJF

               

 

          




Assomption de la Vierge Marie par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Messe du jour (samedi 15 août 2015)

 

Apocalypse 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab ( » Une femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous ses pieds. « )

Les apocalypses anciennes nous déroutent. Il faut en décoder le langage. Dans ce texte truffé d’allusions bibliques et culturelles juives anciennes, relevons cinq points.

  1. Le ciel s’ouvre, le Temple paraît. L’Arche d’Alliance, autrefois cachée par le voile dans le sanctuaire de Jérusalem et maintenant cachée dans les cieux, se rend visible. Traduisons : Dieu va révéler son projet.

  2. Voici la Femme. Vêtue de signes cosmiques (soleil, lune, étoiles), elle est la vie nouvelle, accouchant d’un monde nouveau (comparer Romains 8, 22).

  3. Voici le Dragon qui veut empêcher la naissance. L’Apocalypse l’identifie au serpent de la Genèse, qui tenta Ève. Il est « le Dragon, l’antique Serpent, le Diable, Satan » (Apocalypse 20, 2). Mais ce monstre aux sept têtes (les sept collines de Rome ?) et dix cornes (les rois vassaux de Rome, cf. Daniel 7, 7 ?) représente aussi l’Empire romain d’alors, persécuteur des Églises, et par lui, toutes les forces hostiles à l’Évangile au long de l’histoire.

  4. La Femme est à la fois l’Israël dont Jésus est né, et l’Église qui donne au monde son Sauveur. L’Enfant est bien le Messie, puisque son « sceptre de fer » évoque le Psaume 2, 9, une prophétie messianique. Il est enlevé auprès de Dieu (par son Ascension), tandis que l’Église Mère éprouve, au long de son histoire, le désert aride de l’Exode et des persécutions.

  5. Heureuse fin, car *le Ciel chante qu’en notre faveur, et selon un plan infaillible, « le pouvoir de son Christ » est assuré.

   Dans l’esprit de l’auteur, la Femme de l’Apocalypse échappant au Dragon n’est pas Notre Dame, mais le peuple des chrétiens. Mais, dans la destinée de Marie, se révèle l’avenir de notre Église qu’elle représente.

* Le Ciel chante. Les trois vers concluant la lecture ont l’allure d’un cantique liturgique, un cantique peut-être en usage dans les Églises d’Asie Mineure auxquelles s’adresse l’auteur. Effectivement, l’Apocalypse met souvent, dans la bouche des anges et autres personnages du ciel, des cantiques du répertoire de son Église. De ces cantiques, nos vêpres puisent de larges extraits. Ce procédé de l’Apocalypse souligne l’unité profonde entre la communauté chrétienne terrestre et ceux qui ont déjà passé la mort. « Dans le ciel où elle est déjà glorifiée corps et âme, la Mère de Jésus représente et inaugure l’Église en son achèvement dans le siècle futur » (Vatican II).

 

1 Corinthiens 15, 20-27a (En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent. ») 

Les Corinthiens auxquels s’adresse saint Paul admettaient mal l’idée d’une résurrection. Car les Grecs espéraient que l’âme sortirait de la prison du corps et s’envolerait vers le monde des Idées. Or l’Apôtre a affirmé que, s’il n’y a pas de résurrection, la foi chrétienne n’a plus de contenu (1 Corinthiens 15, 12-19). Dieu nous sauve entièrement, y compris notre corps appelé à une transfiguration, hors des pesanteurs biologiques (voir 1 Corinthiens 15, 50-51). Paul explique à présent, à partir de la figure d’Adam, en quoi la résurrection du Christ nous concerne. Selon le symbole de la chute originelle (Genèse 3), la première humanité s’est débranchée du courant de vie qui lui venait de Dieu ; elle a déclenché une histoire de mort dont nous héritons.

   Au contraire, par sa résurrection, le Christ ouvre une nouvelle histoire : Dieu lui a fait franchir l’impasse de la mort « en premier » et nous la fera franchir au temps voulu. Aujourd’hui, le Christ n’est pas inactif : Dieu lui ayant remis un pouvoir royal sur l’univers, il est en train de « détruire toutes les puissances du mal ». Il détruira la mort, et nous participerons pleinement à sa vie. Alors s’accomplira la promesse du psaume chanté tous les dimanches, aux vêpres et évoqué ici : « Je ferai de tes ennemis le marchepied de ton trône » (Psaume 109 [110], 1).

   Quand nous célébrons l’assomption corporelle de Marie, une expression pieusement naïve et énigmatique pour le commun des croyants, nous ne faisons que chanter en la personne de Notre Dame la « parfaite image de l’Église à venir » (préface de l’Assomption) des Vivants et la restauration de toute l’humanité née d’Adam.

 

Luc 1, 39-56 (« Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles. « )

Dans l’épisode de la Visitation, Marie représente la jeune Église habitée par le Christ. Elle se porte vers le vieil Israël, Élisabeth habitée en son sein par le dernier des prophètes, Jean Baptiste (cf. Luc 16, 16).

La confirmation d’une vocation

Marie voit son Annonciation, sa vocation (car, après tout, que signifie une intervention angélique ?) confirmée bien humainement par Élisabeth ; en d’autres termes, dans la pensée de l’évangéliste, l’Église voit sa mission confirmée par Israël, son aînée. La fête de l’Assomption met en relief le Cantique de Marie, le Magnificat, l’Assomption accomplissant ce verset : « Le Puissant fit pour moi des merveilles ». En fait, ce chant, mis sur les lèvres de Marie, vient sans doute du répertoire liturgique des premières communautés chrétiennes d’origine juive. Il s’inspire surtout du Cantique d’Anne (1 Samuel 2).

L’ouverture de la louange : Mon âme exalte le Seigneur

Dans la venue du Christ, Dieu se révèle comme Sauveur de son peuple. Appliquée à Marie, cette entrée en matière est un modèle de la prière. Ce n’est pas un « merci » égocentrique replié sur les événements qui nous arrivent. La louange vraiment chrétienne prend distance par rapport aux choses pour lire en elles la preuve que Dieu est celui qui accomplit ce qu’il dit, qui est fidèle à lui-même au long de l’histoire.

Les motifs de la louange

1) « Il s’est penché sur son humble servante. » Ce verset peut être ajouté par Luc au cantique primitif pour l’appliquer à Marie et rappeler son Annonciation. « Tous les âges me diront bienheureuse. » L’expression s’inspire du cri de joie de Léa, mère du patriarche Asher : « Pour mon bonheur ! car les femmes me diront bienheureuse » (Genèse 30, 13).

   Marie ne s’attribue aucun mérite. D’autres jeunes juives étaient sans doute aussi exemplaires qu’elle. Elle s’émerveille donc de ce que, gratuitement, Dieu a fait d’elle « l’humble servante » de son plus beau projet de salut.

2) « Le Puissant fit pour moi des merveilles » L’Église naissante, par la voix de Marie, reprend ici la parole, en mère par qui le Christ est enfanté pour ce monde. Avec cet enfantement, Dieu se révèle : Il est Puissant. Il est « saint », étranger à nos mesquineries. Il est plein « d’amour » pour ceux qui le craignent, c’est-à-dire ceux qui, avec un respect infini, ne comptent que sur sa puissance et sa sainteté.

   Mais le Puissant, le Saint, se manifeste en agissant : il « renverse » les situations au profit des humbles, des affamés. Toute la virulence du projet d’un Dieu qui a pris parti pour les pauvres, tout l’esprit des béatitudes (cf. Luc 6, 20-26) et le programme même de la mission de Jésus (voir Luc 4, 17-20), tout cela se trouve ici résumé, mis dans la bouche de Marie, dans la bouche de l’Église qui épouse les choix de son Christ en faveur des humbles et des affamés. Nous ne pouvons oublier, dans ce *cantique révolutionnaire, la force du choix divin de l’Église des humbles en Marie.

Conclusion : Il relève Israël

La puissance, la sainteté et l’amour divins tiennent en ceci : Dieu « se souvient » des promesses qui parsemaient l’Ancien Testament. Celles-ci se réalisent dans l’Église, d’abord par ceux de « la race d’Abraham » qui ont reconnu en Jésus le Messie, et par Notre Dame, fille d’Abraham, humble servante « élevée » dans les cieux.

* Un cantique révolutionnaire. « Il n’est guère étonnant que, dans la période récente, le Magnificat, en raison de son aspect subversif, ait pu prendre une si grande importance dans certains mouvements de pensée, comme celui de la théologie de la libération, qui l’a même considéré comme un véritable manifeste chrétien, propre à fortifier la foi et à soutenir l’espérance des peuples écrasés par l’exploitation économique et la dictature. En Argentine, sous la dictature militaire mise en place par le général Videla (1976-1983), le cantique de Marie était d’ailleurs amputé, par ordre du pouvoir en place, de ses versets les plus politiques, annonçant la ruine des puissants et des riches. Cette censure a même été maintenue lors de la visite de Jean-Paul II en 1982. Charles Maurras, maître à penser du mouvement d’extrême droite “l’Action française”, écrivait déjà, en 1894, qu’il était reconnaissant à l’Église d’avoir “mis aux versets du Magnificat une musique qui en atténue le venin”, c’est-à-dire l’accent trop révolutionnaire » (Stéphane Beaubœuf).

 

 

 




20ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 16 Août 2015

 

Proverbes 9, 1-6 (« Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé. ») 

Cette parabole couronne l’introduction du livre biblique des Proverbes. Pour l’inauguration de leur nouveau palais, les anciens rois d’Orient invitaient les princes de leur rang à un grand festin. De même, ici, la Sagesse se présente comme une reine qui inaugure sa demeure par un banquet de bon vin et de viandes en abondance. Mais, en souveraine philanthrope, elle invite plutôt les étourdis, ceux qui sont dépourvus de bon sens, ceux que le monde des intelligents méprise.

  L’Ancien Testament, en ses dernières étapes littéraires, aime personnifier la sagesse de Dieu. Elle est ce par quoi Dieu a créé le monde et ce par quoi l’homme peut découvrir le Créateur (Proverbes 8, 22-31). Elle est un don de Dieu pour que l’homme gouverne sa vie (Sagesse 9, 10-11). Elle est parfois identifiée à l’Esprit ou à la Parole de Dieu (Sagesse 9, 17). Elle est « médiation », ce par quoi Dieu se communique sans se laisser posséder. C’est dans la personne du Christ que les chrétiens découvriront la réalité de cette figure poétique. Dans notre lecture de Proverbes 9, 1-6, on notera deux traits particuliers :

1) Dame Sagesse n’invite ni princes ni notables, mais, répétons-le, l’être sans sagesse ni intelligence, qui aura tout à gagner à son contact.

2) Le pain et le vin qu’elle propose consistent en un enseignement capable de nourrir l’intelligence et d’offrir un chemin de vie. « Avant les siècles, j’ai été fondée, dès le commencement » (Proverbes 8, 23). À cette déclaration de la Sagesse correspond le début de l’évangile de Jean (1, 1) : « Au commencement était le Verbe. »

  L’évangile présente Jésus et son enseignement comme la Sagesse de Dieu qui donne la vie. Mais, si la sagesse humaine vise une vie réussie, la sagesse offerte par le Christ va à contre-courant des calculs humains. Elle exige en effet que l’on adhère, que l’on croie à la chair et au sang du Fils de l’homme, à son destin de Crucifié comme source de vie.

 

 

Éphésiens 5, 15-20 (« Comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur. ») 

Ici se conclut la partie générale de la catéchèse de l’épître, avant le thème particulier des relations familiales, domestiques (Éphésiens 5, 21 – 6, 9). Pour devenir l’homme nouveau requis par le baptême, il faut avoir du discernement, passer des ténèbres à la lumière. Il nous faut vivre en sages, non en insensés. « Prenez bien garde à votre conduite… ». Ainsi s’ouvre notre lecture. Une traduction littérale serait plus concrète : « Regardez avec exactitude comment vous marchez, pas comme des non-sages, mais comme des sages. » Il faut « tirer profit » (on pourrait traduire le verbe grec par « marchander, négocier ») du temps présent, parce que, littéralement, « les jours sont mauvais ». Nulle crise ou persécution particulières des lecteurs, dans l’esprit de l’auteur. Simplement, le temps présent, quel qu’il soit au long des siècles, ne favorise jamais la vie de foi. Cet auteur aurait sans doute souscrit à cette réflexion de saint Augustin : « Quand nous souffrons tels malheurs, savons-nous si [nos ancêtres] n’ont pas souffert les mêmes ? On rencontre pourtant des gens qui récriminent sur leur époque et pour qui celle de nos parents était le bon temps ! Si l’on pouvait les ramener à l’époque de leurs parents, est-ce qu’ils récrimineraient pas aussi ? Le passé, dont tu crois que c’était le bon temps, n’est bon que parce que ce n’est pas le tien. »

  Pour échapper à l’irréflexion néfaste, poursuit l’épître, ne comptons pas sur nos ressources naturelles ; cherchons « la volonté du Seigneur ». En d’autres termes, si nous avons soif d’une plénitude de vie, n’allons pas vers ces ivresses corporelles qui semblent nous combler, mais qui nous aliènent. La vraie plénitude est celle de l’Esprit Saint, source de l’authentique sagesse.

  Comment nous abreuver à cette source ? Grâce aux célébrations liturgiques, avec leurs psaumes, tirés de la Bible, avec les « hymnes » qui chantent le Christ, avec les « chants inspirés », c’est-à-dire de libres compositions de l’assemblée. Nous avons là un écho des premières liturgies chrétiennes, elles-mêmes inspirées par les synagogues juives.

  Mais les célébrations ne sont qu’un tremplin de l’existence quotidienne. C’est « à tout moment et pour toutes choses » qu’il faut « rendre grâce » à Dieu, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, c’est-à-dire reconnaître que Dieu agit dans notre vie, par son Fils. L’auteur de l’épître a bien retenu la leçon de son maître, saint Paul, qu’il médite ici et qui déclarait : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu » (1 Corinthiens 10, 31).

 

Jean 6, 51-58 (Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. ») 

Manger la chair 

Ne ravalons pas l’objection des Juifs à un soupçon d’anthropophagie, même si, au 2esiècle, les Romains accusèrent les chrétiens de ce vice, en raison de leur certitude proclamée de consommer le corps du Christ. C’est la première trace exotique de la foi en « la présence réelle » du Seigneur dans le pain eucharistique. Revenons à notre évangile. Jusqu’ici, les auditeurs du discours ont fait preuve d’une certaine ouverture spirituelle. Songeons alors à la valeur symbolique de la « chair » dans le judaïsme ancien. Le mot évoque la condition humaine dans sa fragilité. Alors que Dieu seul sauve, comment un homme de chair peut-il prétendre apporter la vie au monde ? Tel est le pivot de la discussion. Elle porte sur la foi en Jésus, sur l’identité de cet être humain. 

La chair et le sang 

D’une part, Jésus surenchérit sur l’objection de ses interlocuteurs ; d’autre part, il corrige leur interprétation trop immédiate. Nous sommes en présence de ce qu’à travers ce quatrième évangile, les spécialistes appellent le « malentendu johannique ». Les interlocuteurs de Jésus s’en tiennent à des problèmes matériels, alors que celui-ci veut les conduire aux réalités spirituelles. Comparer l’épisode de la Samaritaine, Jean 4, 13-15 et la rencontre de Jésus avec Nicodème, Jean 3, 4. Deux pistes de réflexion s’imposent à présent.

1) C’est « la chair et le sang » de Jésus, son humanité, qu’il faut « digérer », pour obtenir la vie et la résurrection. On ne parle plus de « pain ». L’évangéliste en est arrivé au point crucial : le salut du monde passe par l’adhésion à cet homme qu’est Jésus.

  Dans le Nouveau Testament, « la chair et le sang » signifient la faiblesse de l’homme (lire Matthieu 16, 17 et Galates 1, 16), son état de créature, périssable et parfois méprisable. Jean le sait. Mais il insiste sur ceci : Jésus a partagé notre faiblesse, notre fragilité : « Le Verbe s’est fait chair » (Jean 1, 14). Nous ne rencontrons Dieu qu’à travers ce Jésus dont les historiens ne cessent d’interroger le destin humain s’achevant le vendredi saint. Communier au corps et au sang du Christ, dans l’eucharistie, c’est confesser que Dieu se révèle en une faiblesse, celle de la Passion du Christ, qui condamne nos volontés de puissance.

  L’évangéliste se surpasse selon une nuance, en grec, que le lectionnaire ne peut pas rendre. « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? », demandent les auditeurs. Réponse de Jésus : « Celui qui dévore ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. » Ce dernier verbe (comparer en allemand la différence entre les verbes essen et fressen) est volontairement ambigu : pour les animaux, il signifie ronger, brouter. Au sens figuré, il signifie « se baffrer ».

2) Cependant, à travers cette exagération stupéfiante, ce n’est pas d’une chair physique qu’il est question, mais d’une personnalité : celui qui « me » mangera vivra, dit l’orateur. Ce « moi » est celui du « Fils de l’homme », l’envoyé céleste qui, précisément, en remontant vers le Père, nous libérera à sa suite de notre condition charnelle. 

La double demeure 

La nourriture remplit son rôle quand elle disparaît, assimilée par celui qui la consomme. Tel n’est pas le régime de la foi. Jésus, en nous nourrissant, ne se dilue pas en nous. Il nous appelle au contraire à « demeurer » en lui, à vivre de lui, sans que nous perdions notre être propre. Cette double « demeure » ne saurait se photographier. Dans cette relation, l’un devient l’autre, et chacun des deux permet à l’autre de devenir pleinement soi-même. Comparons le langage amoureux, sous sa forme interrogative : Toi, tu es à tout instant en moi, dans mon imagination, dans mes actions. Et moi, suis-je en toi, de la même manière ? C’est le rêve, souvent irréaliste, de tout amour humain. C’est une réalité, dans notre communion avec Jésus qui nous offre en partage sa propre relation avec son Père.

Tel est le pain qui descend du ciel 

En conclusion, Jésus revient au souvenir de la manne. Cette manne, vaille que vaille, représentait la parole de Dieu, sa sagesse qui fait vivre (1ère lecture). Mais ceux qui s’en sont nourris sont morts. Ne retournons pas au passé. Ouvrons-nous à la nouveauté de Jésus qui nous entraîne vers son Père, par-delà la mort. En tout cas, si cette partie du discours vise l’eaucharistie, elle nous apprend que ce sacrement nous fait communier à la faiblesse du Crucifié, comme le confirmera la scène du lavement des pieds (Jean 13).

 

 

 




20ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (16 Août)

 Jésus Pain de Vie par sa chair offerte (Jn 6,51-58)

En ce temps-là, Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous.
Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.
Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui.
De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi.
Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »

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            Au tout début de son discours, Jésus avait parlé du « pain de Dieu » comme celui qui « descend du ciel et donne la vie au monde ». Puis il s’était lui-même présenté comme étant ce « pain de vie » par sa Parole. Il s’agissait donc avant tout d’accueillir cette Parole en « venant à » lui, en « croyant en lui » (Jn 6,35-47). Et puisque « celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34), en recevant cette Parole de tout cœur, c’est aussi « l’Esprit qui vivifie » que l’on reçoit, et donc, avec lui, le Don de la vie éternelle. « Tu as les paroles de la vie éternelle » lui dira plus tard St Pierre (Jn 6,68).

            Ici, nous assistons à un nouveau départ. Jésus redit qu’il est « le pain vivant descendu du ciel pour qu’on le mange et ne meure pas. » Et pour la première fois, un mot nouveau apparaît, celui de « chair » : « Et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Autrement dit, « le Verbe fait chair » va se donner tout entier, corps, âme et esprit, pour nous délivrer de la mort, « le salaire du péché, c’est la mort », et nous permettre de vivre de sa vie, « le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus » (Rm 6,23). Accueillir ce « pain-chair » par sa foi, c’est alors accueillir tous les fruits de son offrande sur la Croix pour le salut des pécheurs : l’Eau Vive de l’Esprit qui jaillit en surabondance de son Cœur ouvert (Jn 19,34 ; 7,37-39 ; 4,10-14). Dès lors, le verbe sans cesse répété est « manger », littéralement « croquer, mastiquer », un verbe volontairement très concret pour ce « pain-chair », mais qui renvoie toujours en fin de compte à l’acte de foi exprimé cette fois-ci avec tout son corps. Quand Jésus dit : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », croire en lui, c’est se lever, aller recevoir ce « pain » et le « manger », une démarche qui dit à tous, sans un mot : « Je crois ! » Et c’est bien ce que nous disons en réponse à celui ou celle qui nous présente « le Corps du Christ » : « Amen », un mot qui, dans la langue de Jésus, signifie « C’est vrai ! »

            Et le fruit de cet accueil de Jésus « pain de vie par sa parole » et « pain de vie par sa chair offerte » sera un Mystère de Communion avec Lui, toujours en face à face dans la foi, mais, de cœur, dans l’unité d’un même Esprit, d’une même Lumière, d’une même vie : « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. »   DJF

               

 

          




19ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 9 Août 2015

 

1 Rois 19, 4-8 ( » Fortifié par  cette nourriture, il marcha jusqu’à la montagne de Dieu. « )

 La reine de Samarie, Jézabel, soutient le culte du dieu Baal et persécute Élie, prophète du vrai Dieu. Dans l’épisode du mont Carmel (1 Rois 18, 20-40), Élie a manifesté la toute-puissance du Seigneur et éliminé les prophètes de Baal. Jézabel a décidé sa perte, et il prend la fuite

  La première séquence évoque une retraite sans but. Élie a atteint Bersabée, aux portes du désert. Non seulement la reine le menace, mais il déprime. Il avouera en 1 Rois 19, 14 qu’il ne vaut pas mieux que ses devanciers ; il demande la mort. Par dépit, il s’étend sous un buisson, comme dans l’histoire plus humoristique d’un autre prophète (Jonas 4, 5-8).

  Une double intervention céleste va changer cette errance sans but. La première, celle d’un ange, se contente de fournir au fuyard du pain et de l’eau et, sans autre précision, se contente de le laisser se reposer. Puis se manifeste « l’Ange du Seigneur », une manière fréquente de désigner Dieu lui-même dans l’Ancien Testament. Cette fois, il sait qu’il doit se remettre en chemin, fortifié par un pain miraculeux, une nouvelle manne.

  L’Ange n’a pas indiqué le but de la route. Mais, selon la logique du conteur, Élie n’a pas perdu sa conscience et sa prescience prophétiques. Comme d’instinct, il se dirige vers l’Horeb, l’autre nom du mont Sinaï, là où Moïse avait reçu sa mission (Exode 3 – 4). Les quarante jours et nuits de marche du prophète rappellent le séjour de Moïse sur la montagne (Exode 24, 18). C’est au mont de l’alliance qu’Élie ressourcera sa propre vocation, dans la fidélité à la mission des prophètes. Jésus, lui, se dira le pain de la vie éternelle (évangile), dans les déserts de nos épreuves.

 

Éphésiens 4, 30 — 5, 2 (« Vivez dans l’amour, comme le Christ. « )

Le passage fait partie de la série des conseils qui achèvent l’épître aux Éphésiens. Nous sommes un peuple en exode, marchant vers sa « délivrance ». Le baptême nous a mis en route en imprimant en nous la marque d’appartenance à l’Esprit Saint. Plus littéralement, l’Esprit a gravé en nous son sceau, sa signature. Il ne faut pas l’atrister (ou le « chagriner »). Paul écrivait déjà : « N’éteignez pas l’Esprit » (1 Thessalonicines 5, 19).

  Cette tournure, attrister l’Esprit, ne se trouve qu’ici dans le Nouveau Testament. D’après le contexte, il s’agit de rejeter tout ce qui trahirait notre appartenance à cet Esprit qui nous invite à aimer Dieu et nos frères. L’expression vient d’Isaïe 63 qui chante l’aventure de l’Exode d’Israël. Pour guider son peuple, Dieu avait « mis au milieu de lui son Esprit Saint » (63, 11). « Mais eux furent rebelles, ils blessèrent son Esprit Saint » (63, 10). La vie baptismale est un nouvel Exode, guidé par l’Esprit de Dieu, et comportant trois caractéristiques.

  1. Dépouillons-nous de toute conduite mauvaise. Les 5 vices + 1 résumé ici dénoncés rappellent les révoltes des Hébreux du désert contre Dieu. Mais ils visent à présent, et dans un ordre croissant, ce qui pourrit les relations sociales, la vie entre croyants : (1) amertume (le mot grec a donné le mot français populaire « picrate », l’aigreur) ; (2) irritation (plutôt, mauvaise humeur) ; (3) colère ; (4) éclats de voix (= extériorisation de la mauvaise humeur et de la colère) ; pire, (5) l’insulte (littéralement « blasphème ») ; en somme, toute méchanceté.

  2. Face à ces dérives parfois inévitables, il faut cultiver la « générosité », voire même « la tendresse ». Ces deux qualités se traduisent par une attitude de pardon, mieux rendue par une traduction plus littérale : « faisant grâce les uns aux autres, comme aussi Dieu vous a fait grâce dans le Christ. »

  En acceptant la mort du Christ, Dieu a prouvé qu’il nous pardonne. En pratiquant nous-mêmes le pardon, nous lui montrons que nous comprenons son amour. Le Notre Père exprime cette circulation entre le pardon de Dieu et notre pardon mutuel (« pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons… ».

  1. Il s’agit, au total, « d’imiter Dieu ». Le baptême fait de nous « ses enfants bien-aimés ». Nous répondons à son amour en nous basant sur sa conduite envers nous (cf. Matthieu 5, 45) et sur l’exemple que nous a donné le Christ, en son amour pour nous. La vie chrétienne est un sacrifice constant, quotidien, dans lequel nous nous offrons au vouloir de Dieu, comme Paul déjà l’écrivait de manière si dense en Romains 12, 1-2. Pour modèle, nous avons le Christ « qui s’est livré pour nous », conduisant le don de soi jusqu’à la croix.

Jean 6, 41-51 (« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu ciel. « )

Chez Jean, la multiplication des pains est suivie d’un discours (commencé dimanche dernier) qui doit révéler aux auditeurs le mystère de Jésus, « Pain de la vie ». Mais qui parle dans cette page ? C’est d’abord l’évangéliste. Il s’adresse à des lecteurs chrétiens qui ont l’expérience de l’eucharistie, et qui, à cause de la routine, ont besoin de s’entendre rappeler qui ils rencontrent dans ce sacrement. Avec la déclaration initiale : je suis le pain qui est descendu du ciel », c’est de nouveau la manne du désert qui est évoquée. Les légendes juives transmettaient l’idée que la manne « cachée » dans le ciel avant la création du monde serait offerte de nouveau aux élus, à la fin des temps. Le Nouveau Testament fait écho à cette tradition : « Au vainqueur, je donnerai de la manne cachée » (Apocalypse 2, 17). Pour Jean l’évangéliste, c’est dès aujourd’hui, par notre foi au Christ que cette manne nous est offerte.

Les Juifs récriminaient

Ce verbe « récriminer » (plus littéralement « murmurer, grogner ») assimile les auditeurs de Jésus aux Hébreux du désert qui se révoltaient contre les envoyés de Dieu et, à travers eux, contre Dieu  lui-même (Exode 16, 2, 18e dimanche). La constation ne porte pas directement sur le fait  que Jésus propose le pain véritable.

  Elle bute sur ce fait : « Nous connaissons bien son père et sa mère… » Les autres évangiles font déjà état de ce scepticisme à propos des performances et de la sagesse du Nazaréen (Marc 6, 2-3 ; Matthieu 13, 54-55). Mais Jean va plus loin dans la polémique : au-delà de sa sagesse et de ses miracles, comment Jésus peut-il dire : « Je suis descendu du ciel » ? C’est un débat récurrent dans ce quatrième évangile (comparer Jean 1, 1 ; 5, 18). L’évangéliste traduit ici sa connivence avec ses lecteurs qui croient en l’incarnation du Fils de Dieu, venu du ciel, et c’est l’occasion d’approfondir ce mystère.

Le mystère de la foi

L’évangéliste argumente à partir de l’espérance juive de l’Alliance nouvelle, à travers la citation d’Isaïe 54, 13 : « Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. » Selon cette alliance nouvelle,  « ils n’auront plus besoin d’instruire chacun son frère… Car tous me connaîtront » (Jérémie 31, 34). Ce sera une intime complicité entre le vouloir de Dieu, ses lois, et le cœur de l’homme, grâce au don de l’Esprit Saint (Ézékiel 36, 27) qui ressuscite (Ézékiel 37, 5). Pour saint Paul, ces promesses se réalisent dans l’amour fraternel qui unit les chrétiens (1 Thessaloniciens 4, 9) : pour cette fraternité, ils sont des « théodidactes » (instruits par Dieu).

  Bref, quand adviendrait cette alliance, Dieu se ferait connaître directement de tous, sans plus besoin d’intermédiaires, et tous connaîtraient le bonheur de la vie éternelle. Ce moment relève de l’initiative de Dieu. Il est maintenant arrivé : Le Père attire les hommes vers le Fils qu’il a envoyé, « qui vient de Dieu », qui seul « a vu le Père » et le rend présent dans le monde.

  Nulle prédestination ici. Jean souligne l’initiative de Dieu dans la foi. Il dit que, si quelqu’un écoute vraiment Dieu, il aboutira à la foi en Jésus, le seul qui ressuscite pour la vie espérée (« moi, je le ressusciterai au dernier jour »). Inversement, si quelqu’un n’est pas attiré par Jésus, c’est qu’il n’a pas écouté Dieu ni compris les prophéties de l’Alliance nouvelle.

Pain de la vie, Pain vivant

Ici commence à jouer le verbe « manger ». Il y a des aliments empoisonnés ou qui ne nourrissent pas. Le consommateur est responsable de sa nutrition. Les pères, au désert, ont mangé la manne. Ils n’ont pas échappé à la mort pour autant (cf. Nombres 25, 9 ; 1 Corinthiens 10, 8). Jésus, lui, est « pain de la vie » parce qu’il est lui-même « vivant », de la vie de Dieu. L’évangéliste écrit en grec, mais il pense en sémite. Or, les conjugaisons sémites sont plus riches que les modes de conjugaison occidentaux, à commencer par le grec. Dans le participe « vivant », il faut entendre un « causatif » sémitique, à traduire par « qui fait vivre »

  En outre, le verbe « manger » suggère une symbolique de communion (« Il est beau à croquer… On en mangerait », dit le langage populaire). Jésus se donne à manger pour que l’on communie avec la vie divine, et cette vie est illimitée ; elle concerne « le monde » entier et pas seulement le Peuple hébreu.

  Enfin, les conjugaisons ont de nouveau leur importance : celui qui mange ce pain du ciel (au présent de la foi) ne mourra pas (futur du salut éternel). « Le pain que je donnerai » (futur proche de la Passion), « c’est ma chair ». C’est sur ce mot cru et déroutant que va rebondir le discours, dimanche prochain.

 

 




19ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (9 Août)

 « Jésus Pain de Vie par sa Parole » (Jn 6,41-51).

En ce temps-là, les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. »
Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : “Je suis descendu du ciel” ? »
Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous.
Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi.
Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père.
Amen, amen, je vous le dis : il a la vie éternelle, celui qui croit.
Moi, je suis le pain de la vie.
Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ;
mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas.
Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »

 pain vivant 1

            Jésus avait commencé son discours dans la synagogue de Capharnaüm en disant « Je Suis le pain de vie ». Et pour dire ce très simple « Je Suis », il avait repris une forme grammaticale particulière employée dans le Livre de l’Exode lorsque Dieu révèle son Nom à Moïse : « Je Suis qui Je Suis » (Ex 3,14). A celui qui a des oreilles pour entendre, Jésus se révèle donc ici, avec beaucoup de discrétion, comme étant Dieu Lui-même… Et il insiste juste après en disant : « Je suis descendu du ciel ». Et là encore, une préposition grecque particulière (apo, « du ») suggère qu’il est originaire du ciel…

            Ses interlocuteurs ne s’y trompent pas… « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : “Je suis descendu du ciel” ? » De fait, ils ont bien sous leurs yeux Joseph, l’époux de Marie. Mais l’évidence peut être un faux ami : ils ne savent pas que Jésus a été conçu en Marie par l’Esprit Saint, « la Puissance du Très Haut » (Lc 1,35)…

            « Ne récriminez pas entre vous », leur dit Jésus. « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire », par l’action de ce même Esprit, cet « Esprit de feu » (Mt 3,11) qui avait rendu « tout brûlants » les cœurs des deux disciples d’Emmaüs (Lc 24,32). En effet, seule la Lumière de l’Esprit permet aux hommes de bonne volonté de reconnaître en Jésus la Présence, en Plénitude, de cette même Lumière : « Par ta Lumière, nous voyons la Lumière » (Ps 36,10). C’est ce qu’a vécu Pierre lorsqu’il a commencé à reconnaître en Jésus « le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,13-20).

            « Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent », comme Pierre, « à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,3-6). Or tout ce que Dieu veut, il est le premier à le faire (Ps 135,6) : « Ils seront tous instruits par Dieu lui-même », dit ici Jésus. Il reprend Is 54,13 mais en omettant « tous tes enfants », ce qui limitait ce verset aux seuls habitants de Jérusalem. Mais maintenant, avec Lui et par Lui, Dieu se propose d’instruire tous les hommes qu’il aime (Lc 2,14), et il le fait tout à la fois par son Fils, « le Verbe fait chair », et par le Don de l’Esprit Saint qui se joint toujours à sa Parole (Jn 3,34). C’est pourquoi Jésus conclut en disant : « Amen, amen, je vous le dis, il a la vie éternelle, celui qui croit », car en accueillant cette Parole par sa foi, il a aussi accueilli avec elle le Don de « l’Esprit qui vivifie »… C’est pourquoi la Parole de Dieu est vraiment « le Pain de Vie »…    DJF

               

 

          




16ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 19 juillet 2015

 

Jérémie 23, 1-6 (« Je ramènerai le reste de mes brebis ; je susciterai pour elles des pasteurs. « ) 

Dieu rend ses prophètes lucides sur les événements politiques et sociaux. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont prophètes. Ainsi, Jérémie a prévu la déportation des Judéens à Babylone, dont la première se produira en 597 avant notre ère. Il a composé un livret sévère contre les derniers rois de Jérusalem (Jérémie 21 – 22). Nous en lisons ici la conclusion. Dieu condamne l’incompétence de ces souverains, comparés à des pasteurs selon l’image orientale traditionnelle sur les rois. Il est probable que Ézékiel, dans son chapitre 34 sur les pasteurs et les brebis, s’est inspiré de ces pages de Jérémie

  La condamnation n’est pas le dernier mot. Après l’exil et la dispersion, Dieu, vrai souverain, s’occupera personnellement de son peuple. Il lui donnera des bergers dignes de ce nom. Surtout, il suscitera un « Germe », rejeton qui assure la croissance ultérieure. Ce « Germe juste » ressuscitera la dynastie de David. Il est « juste » sous trois aspects : 1) comme descendant légitime de David, 2) parce qu’en son avènement se manifeste la justice de Dieu, la fidélité à ses promesses ; 3) juste, par la qualité de son gouvernement. Son surnom sera « le Seigneur est notre justice ». Le trait est un peu perfide, puisque ce surnom correspond au nom hébreu de Sédécias (« Le Seigneur est justice »), le roi indécis dans ses alliances politiques néfastes et sous le règne duquel Jérémie conclut son livret contre les rois, avant la catastrophe de l’exil à Babylone.

  Le Germe juste, ou rejeton, évoque le plant nouveau issu de la famille de David (cf. Isaïe 11, 1-2), apportant une nouvelle prospérité. Pour les chrétiens, ce Germe sera Jésus, fils de David, berger qui rassemble « les brebis sans berger » (évangile).

 

Éphésiens 2, 13-18 (« Le Christ est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité. « )

 

Pour l’auteur, le mystère du Christ se révèle dans une Église qui, à cette époque, unit à égalité des Juifs, issus *d’Israël, et des païens, ici interpellés (« vous »). Rappelons que cet auteur est sans doute, dans les années 80, un disciple de Paul qui entend actualiser le message de l’Apôtre disparu. Ajoutons, en le glosant, le verset qui suit notre lecture : « Vous [chrétiens d’origine païenne] n’êtes plus des étrangers et des immigrés, mais vous êtes concitoyens des saints [chrétiens d’origine juive], et des gens de la famille de Dieu » (Éphésiens 2, 19). Il y a là quelque ironie. Pendant des siècles, les Juifs de la Diaspora ont lutté pour obtenir la pleine citoyenneté dans les pays de l’Empire où ils étaient dispersés. À présent, ce sont les chrétiens d’origine païenne qui demandent leur pleine citoyenneté dans le peuple de Dieu. Toutes ces discriminations n’ont plus d’importance. Dans l’Église, le Christ veut faire de tous « un seul Homme nouveau ». Deux symboles sous-tendent la méditation  déroulée par cette page :

1) Le début et la fin s’appuient sur Isaïe 57, 19. « Ceux qui sont proches » (de Dieu) sont les membres Israël. « Ceux qui sont loin » sont les païens. Mais cela valait pour la période de l’ancienne Alliance. Maintenant, Jésus, le messager de la paix (voir Isaïe 9, 6 ; 52, 7), a réalisé la réconciliation. Il ne l’a pas imposée par la force. Au contraire, acceptant la croix, c’est-à-dire une condamnation proférée par son peuple et le rejetant de fait comme étranger, il a montré que la division menait à la mort.

2) Dans le Temple de Jérusalem, un muret de pierre, assorti de pancartes gravées, séparait le parvis des païens et le parvis d’Israël. L’étranger qui enjambait ce mur était passible de lynchage immédiat. D’un côté, ceux que consacraient « les prescriptions juridiques de la Loi » ; de l’autre, les exclus de l’histoire sainte. Ce « mur de la haine » est aboli. La haine qui a tué Jésus n’avait-elle pas ravalé celui-ci, comme un transfuge, au rang des païens ? 

* Israël. « Du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux Juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l’estime mutuelles, qui naîtront surtout d’études bibliques et théologiques, ainsi que d’un dialogue fraternel (…) En outre, l’Église, qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu’ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l’Évangile, déplore les haines, les persécutions et toutes les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs » (Vatican ii, L’Église et les religions non chrétiennes, § 4).

 

 

Marc 6, 30-34 (« Ils étaient comme des brebis sans berger. « )

Jésus avait choisi *les Douze, il leur avait révélé le règne de Dieu par ses paraboles et ses miracles. Il les avait envoyés pour accomplir une première expérience missionnaire (cf. dimanche dernier). À présent, il va les associer plus intimement à son activité pour que, par la bouche de Pierre, ils découvrent enfin qu’il est le Christ (Marc 8, 29). 

Le cadre 

« Reposez-vous un peu ». C’est un clin d’œil vers le Psaume 22 du bon berger : « Sur des près d’herbe fraîche il me fait reposer. » Car Jésus va agir en berger d’Israël et comme un nouveau Moïse, médiateur du don de la manne nouvelle, « dans un endroit désert ». 

Un retour de mission 

« Venez à l’écart», dit Jésus. Plusieurs scènes de « retour de mission » reviennent à la fois dans les évangiles (Luc 10, 17-24) et dans les Actes des Apôtres (15, 3-4). Elles comportent toujours deux aspects : elles sont un bilan sur la tâche accomplie ; elles sont un temps d’écoute et de contact avec le Maître en vue de nouvelles missions.

  C’est la seule fois où Marc appellent « *apôtres » ces Douze, parce qu’ils viennent d’être « envoyés », selon le sens du mot apôtre qui n’aura son sens plein qu’après la résurrection du Christ. Pour l’heure, ceux-ci font le rapport de leur prédication (« ils proclamèrent qu’il fallait se convertir »), de leurs exorcismes et guérisons, selon Marc 6, 12-13. On voit combien l’apostolat identifie les envoyés à celui qui les envoie. Comme Jésus (Marc 3, 20), ils n’ont pas le temps de manger, tant sont fortes les sollicitations de ceux qui vont et viennent autour d’eux. Comme lui (Marc 1, 35), ses apôtres cherchent un lieu solitaire pour se ressourcer. 

Un passage 

La mention de la barque fait le lien avec les épisodes précédents de la mission de Jésus (cf. Marc 4, 1.35 ; 5, 18.21) et représente l’Église. Mais notons le pluriel : « ils les virent », et non « ils le virent ». Désormais, Jésus et les Douze sont unis dans la même œuvre. Et, puisque l’on vient « de toutes les villes », la mission concerne tout le peuple d’Israël. Enfin, « l’endroit désert » ne sera pas un lieu anecdotique, mais le « désert » biblique où, par Moïse, Dieu avait guidé, enseigné Israël et lui avait donné la manne. Car notre texte sert d’introduction à la première multiplication des pains (Marc 6, 35-44). 

Vers une nouvelle mission 

La caméra de l’évangéliste revient en gros plan sur Jésus. Il est le modèle des apôtres à qui il dira, dans un instant : « Donnez-leur vous-mêmes à manger  » (Marc 6, 37). Sa pitié pour la foule n’est pas simple sentiment humain, c’est la tendresse du Messie pour ceux vers qui Dieu l’envoie. C’est la tendresse du Pasteur, du bon roi qui doit conduire son peuple (1ère lecture) « par le juste chemin » (Psaume). Dans la tradition juive ancienne, les deux pasteurs modèles sont David (Psaume 77, 70-72) et Moïse (Psaume 76, 21). Jésus est le nouveau Moïse qui commence par instruire son peuple, le nourrissant de sa parole avant de lui multiplier le pain ; nourrir par la Parole et par le Pain, c’est déjà le plan de nos célébrations dominicales.

  Dans ceux qui viennent à lui, Jésus voit « comme des brebis sans berger ». L’expression est récurrente dans l’Ancien Testament, notamment dans un épisode concernant Moïse (Nombres 27, 15-17). Ici, dans la pensée de Jésus, telle que la suppose l’évangéliste, c’est le fait que les maîtres d’Israël, prêtres et pharisiens, ont mal dirigé et mal nourri ceux qui étaient confiés à leurs soins. Bientôt, les Douze vont découvrir la véritable source de leur mission, à savoir le regard de tendresse que Jésus porte sur les gens désemparés (« Il fut saisi de compassion envers eux »). 

* Les Douze et les Apôtres. Les deux titres ne se recouvrent pas. Le cercle des Douze est fondé par Jésus (Marc 3, 13-19) comme les chefs de file d’un Israël (Matthieu 19, 28) qui serait renouvelé par l’accueil de l’Évangile. Après la résurrection du Seigneur, ces Douze, dont le leader est Pierre, restent la référence centrale pour les chrétiens. Mais les apôtres sont un groupe plus large, chargés de mission par le Christ et par les Églises, fondant eux-mêmes des Églises et se réclamant d’abord de Jacques, le frère du Seigneur (1 Corinthiens 5, 7). Ainsi, Paul ne s’égale pas aux Douze, mais se considère comme un apôtre (1 Corinthiens 9, 1-2) Il cite aussi d’autres apôtres ou « délégués » (le terme est flou), restés ignorés par l’histoire (Romains 16, 7). On voit la complexité de l’idée de « succession apostolique ». Dans le missel, on comparera avec fruit les deux préfaces proposées pour les fêtes d’apôtres.

 

 

 

 

 




17ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 26 juillet 2015

Les liturgies qui ont bâti le lectionnaire des dimanches et fêtes devaient « caser » l’évangile de Jean qui, dans le cycle triennal, ne dispose pas d’une année particulière. Ainsi, laissant Marc du 17e au 21e dimanche B, ils nous livrent l’épisode de la multiplication des pains selon Jean et le riche discours sur le Pain de Vie qui suit le miracle. Ce faisant, ils nous privent cependant de la belle séquence du deuxième évangile appelée « Section des pains » (Marc 6, 14 – 8, 30).

  

2 Rois 4, 42-44 (« On mangera, et il en restera. ») 

On ignore les circonstances de la multiplication des pains opérée par le prophète Élisée, héritier du prophète Élie (cf. 2 Rois 19, 15-21). En effet, ce miracle est le quatrième d’une série de dix légendes (2 Rois 4, 1 – 8, 15) qui, sans grands liens entre elles, ont pour bénéficiaires tantôt des Israélites, tantôt des étrangers. Elles mettent en valeur le rayonnement de « l’homme de Dieu », une manière de désigner les prophètes dans cette littérature, « le voyant » dans d’autres textes. Peut-être l’épisode des pains suggère-t-il ceci : l’esprit de Moïse, par qui la manne fut obtenue dans le désert (Exode 16), opère toujours chez les prophètes aux temps de famine. C’est bien dans le royaume d’Israël, le royaume de Samarie, qu’est promis qu’à chaque génération, un prophète semblable à Moïse serait offert au peuple (Deutéronome 18, 15.19). C’est bien dans cette perspective mosaïque que s’achèvera le récit de la multiplication des pains selon saint Jean : « C’est vraiment lui le grand Prophète » (Jean 6, 14). À titre anecdotique, sigalons que la localité de Baal-Shalisha est sans doute la résidence d’une confrérie de prophètes et que la tradition juive ultérieure célébrera cette région pour la précocité de ses produits agricoles.

  Le récit a servi de schéma aux quatre évangélistes pour raconter la multiplication des pains accomplie par Jésus : la disproportion (accrue dans les évangiles) entre le nombre des pains et celui des convives (ici vingt pains pour cent personnes), l’ordre de les nourrir, l’objection de l’entourage, et la mention des restes.

  Jean (évangile de ce jour) emprunte au récit deux détails : Il s’agit de pains d’orge de la saison pascale qui sont en possession d’un « jeune garçon », allusion au « jeune garçon », serviteur d’Élisée (2 Rois 4, 38). Le don miraculeux des pains signale Élisée comme un prophète authentique. Mais que doit-on attendre d’un prophète tel que Jésus ? C’est sur cette question que s’achèvera le récit de Jean.

 

 

Éphésiens 4, 1-6 (Un seul Corps, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. ) 

Par son chant « Un seul Seigneur » (I 46), Lucien Deiss a imprimé dans la mémoire des communautés chrétiennes, en diverses langues, les fortes paroles baptismales de cette lecture d’Éphésiens. Le baptême est l’entrée dans l’unité du Corps du Christ et de l’Esprit, dans l’unité du Père qui transcende tous nos clivages sociaux ou ethniques. En ce sens, Paul aime citer des extraits d’antiques liturgies baptismales : « Nous avons été baptisés dans l’unique Esprit, en un seul Corps. Tous nous avons été désaltérés par l’unique Esprit » (1 Corinthiens 12, 13).

  C’est Paul, en prison et bientôt martyr, qui est censé écrire cette lettre. En vérité, rappelons-le, nous avons affaire avec l’œuvre d’un disciple de l’Apôtre visant à sauver et à actualiser le message de ce dernier, à la fin du 1er siècle.

  L’encouragement, qui ouvre ici la seconde partie de cette « circulaire », reçoit de l’allusion au baptême une tragique insistance. Le passage devient très parlant si l’on se rappelle le but de l’auteur : inviter les Juifs et les païens qui composent l’Église à vivre dans l’harmonie. Par-delà cette situation première, toute communauté chrétienne se voit conviée à surmonter ses clivages.

  C’est la vocation même de l’Église : tous, ensemble, les chrétiens ont pour mission d’accueillir et de supporter l’autre tel qu’il est, en cultivant humilité, douceur et patience. Grâce à la paix, qui est un point de départ, on conservera l’unité qui est un don de l’Esprit. Car tous s’étaient mis en route, appelés « à une seule espérance », celle d’une réconciliation totale dans le Christ (cf. Éphésiens 1, 10).

  La vocation à s’unir au seul Corps du Christ et à l’unique Esprit s’inscrivait dès le baptême, le même pour tous, reçu une seule fois, et dont l’auteur rappelle les formules liturgiques de l’époque. La célébration baptismale culminait dans l’acclamation du Père qui règne « au-dessus de tous », surmontant, surplombant toute division et se communiquant à tous.

 

 

Jean 6, 1-15 (« Il distribua les pains aux convives, autant qu’ils en voulaient. « ) 

Pour rédiger l’épisode de la multiplication des pains, Jean dispose d’une tradition aussi ancienne que celle des trois autres évangiles, mais une tradition qui connaît quelques détails plus proches du miracle d’Élisée (1ère lecture). Surtout, l’évangéliste centre son récit sur l’initiative de Jésus et accumule des « clignotants » symboliques. Rien n’indique que la foule avait faim. À la différence des autres évangiles, c’est Jésus qui désire la nourrir. C’est sa mission.

La grande foule et l’ironie de Jésus 

1) Premier « clignotant » : un malentendu ! On suit Jésus parce qu’on l’a vu accomplir les signes, à savoir des guérisons. Mais qu’est-ce qu’un « signe » ? Saint Jean ne parle jamais de « miracles » ; il emploie le mot « signes ».  Si un acte est un signe, c’est que cet acte (signe de quoi ?) renvoie à autre chose que ce qu’il produit. Par ses signes, Jésus déclare son amour pour les humains. Certes, les hommes recherchent ses signes : cet homme nous fait tant de bien ! Mais ils ne comprennent pas le signe. Ils en restent à la satisfaction de leurs besoins. Trop intéressés, nous ne comprenons pas que Jésus veut tisser avec nous une relation vivante, qu’il désire se donner, nous donner sa vie. Il donne le pain. Mais il est lui-même le Pain de vie, comme le soulignera le discours qui suit.

2) Deuxième clignotant : la Pâque juive est proche. À la différence des autres évangiles, la chronologie de Jean évoque plusieurs Pâques dans le ministère de Jésus (Jean 2, 13.23 ; 6, 4 ; 11, 55 ; 13, 1 ; 18, 28.39). Jésus est l’agneau pascal, « l’Agneau de Dieu » (Jean 1, 36), qui va « passer de ce monde au Père » (Jean 13, 1).

  C’est le printemps pascal : il y a de l’herbe, selon le Psaume 22 [23], 2, célébrant le Pasteur d’Israël. On a déjà moissonné l’orge, plus précoce que le blé. La fête rappelle la libération de « la grande foule » d’Israël, sa route au désert, soutenue par l’aliment de la manne. D’ailleurs, gravissant la montagne, Jésus n’est-il pas le nouveau Moïse ?

3) Troisième clignotant : « Lui-même savait bien ce qu’il allait faire », déclare Jean, selon sa thèse de l’omniscience de Jésus (Jean 2, 25 ; 4, 44 ; 13, 11) qui sert ici à mettre ses disciples à l’épreuve. Le dialogue fait ressortir, à travers Philippe et André, notre propre naïveté quand nous nous trouvons devant l’œuvre de Jésus.

Le festin 

Sur l’initiative de Jésus, c’est la fête, l’abondance, avec le poisson apprécié comme gâterie. Selon une légende juive ancienne, les cailles qui nourrirent Israël au désert venaient de la mer (Nombres 11, 31) et étaient donc… des poissons. C’est un festin, de la nourriture « autant qu’ils en voulaient ». Et, après le rassasiement général, il y a, littéralement, le « surplus » (traduction meilleure que « restes »), douze paniers, autant qu’il y a de tribus en Israël. D’ailleurs, le nombre des convives, environ « cinq mille » reflète l’organisation du peuple d’Israël au désert (voir Exode 18, 25 ; comparer Marc 6, 44). Mais de quel festin s’agit-il ? Deux clignotants symboliques s’allument de nouveau.

1) Sauf en prévision du sabbat, la manne du désert se consommait au jour le jour : le surplus pourrissait (Exode 16, 19-20). Telle n’est pas la nourriture surabondante de Jésus. Celui-ci n’est-il pas venu « pour que les hommes aient la vie, pour qu’ils l’aient en abondance » (Jean 10, 10) ?

2) Jésus prend les pains, rend grâce, les distribue. Dans ces expressions, comment les premiers lecteurs chrétiens n’auraient-ils pas perçu une allusion au sacrement de l’eucharistie ? 

Le malentendu 

La foule a compris quelque chose du « signe ». Elle se demande si Jésus n’est pas « le Prophète », c’est-à-dire Moïse, puisqu’il a réédité le miracle de la manne. En effet, la tradition juive attendait le retour de Moïse pour la fin des temps. Il reproduirait les merveilles de l’Exode et libérerait son peuple de l’oppression. À la différence de Marc 6, 43, et comme dans les autres recensions du récit, Jean ne dit rien des restes des poissons, tant il se concentre sur la symbolique du Pain.

  Mais les bénéficiaires du « signe » de la multiplication de pains s’en tiennent à une conséquence économique et politique – que Jésus soit leur roi, une réduction inacceptable pour Jésus qui se retire donc. Il lui faudra un long discours pour expliciter le sens de ce qu’il vient d’accomplir (cf. dimanches suivants). La liturgie de cette année passe par-dessus la marche de Jésus sur les eaux (Jean 6, 16-21), un épisode qui, dans la tradition des quatre évangiles, suit l’épisode de la multiplication des pains, comme le passage de la Mer, dans l’Ancien Testament, était lié au don de la manne au désert.




17ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (26 juillet)

« Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jn 6,1-15). 

En ce temps-là, Jésus passa de l’autre côté de la mer de Galilée, le lac de Tibériade.
Une grande foule le suivait, parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait sur les malades.
Jésus gravit la montagne, et là, il était assis avec ses disciples.
Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche.
Jésus leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? »
Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire.
Philippe lui répondit : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain. »
Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit :
« Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! »
Jésus dit : « Faites asseoir les gens. » Il y avait beaucoup d’herbe à cet endroit. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes.
Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, il les distribua aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient.
Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : « Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde. »
Ils les rassemblèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge, restés en surplus pour ceux qui prenaient cette nourriture.
À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde. »
Mais Jésus savait qu’ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul.

 

 multiplication des pains 1

               

 

         « Une grande foule suivait Jésus, parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait sur les malades. » Et il les entraine sur « la montagne », vers le ciel, vers cette vie de foi où il veut les introduire : un Mystère de Communion avec Lui, dans l’invisible ici-bas de cet Esprit qui ne demande qu’à jaillir en Fleuves d’Eau Vive au plus profond de leurs cœurs (Jn 4,1-14 ; 7,37-39)…

            Les disciples eux aussi cheminent avec Jésus, et il va les inviter ici à aller plus loin… « Où pourrions-nous acheter du pain ? » leur demande-t-il. Mais l’endroit est désert, c’est impossible, et il le sait bien ! Et pourtant, ils ne réagissent pas… Ils vont au contraire calculer aussitôt la somme qui serait nécessaire pour tant de monde : « Le salaire de deux cents journées » de travail… C’est énorme, et bien sûr, ils n’ont pas une telle somme ! Et Jésus là encore le sait bien ! Mais ils ne réagissent toujours pas… Et lui, qui nulle part ailleurs ne se préoccupe « d’acheter » quoique ce soit, fait ici allusion au prophète Isaïe qu’ils connaissent bien : « Même si vous n’avez pas d’argent, venez, achetez et mangez ; venez, achetez sans argent… Ecoutez-moi et mangez ce qui est bon » (Is 55,1-3)… Mais toujours pas de réaction… Certes, « il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! »

            Alors Jésus prend les choses en main, jusques dans les moindres détails : comme « il y a beaucoup d’herbe à cet endroit », il les fait asseoir… « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer… Tu prépares la table pour moi » (Ps 23)… Puis, « il prit les pains et, après avoir rendu grâce, il les distribua aux convives », lui-même, en personne… « Il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient ». Surabondance de Dieu, qui témoigne, une nouvelle fois ici, de son incroyable « humanité »…

            « Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche. » Bientôt, à l’occasion de cette fête, il se donnera en « Pain de Vie » car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6). Et c’est ce qui est déjà dit, ici, en acte : « Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde », pour que tout soit sauvé (cf. Jn 3,16-17 ; 4,42). « Ils les rassemblèrent et remplirent douze paniers », un pour chacun des Douze apôtres que Jésus appellera ensuite à aller dans le monde entier pour que chaque homme puisse recevoir, lui aussi, « le pain de la vie », ce pain qui sauve…                        DJF