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16ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (19 juillet)

« Le Seigneur est mon berger » (Mc 6,30-34)

 En ce temps-là, après leur première mission, les Apôtres se réunirent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné.
Il leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger.
Alors, ils partirent en barque pour un endroit désert, à l’écart.
Les gens les virent s’éloigner, et beaucoup comprirent leur intention. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux.
En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement.

16ième dimanche temps ordinaire

 

             Les Apôtres reviennent de mission. « Ils se réunirent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné ». Et ils sont fatigués… Jésus le voit, et il va aller au-devant de leurs besoins, avant même qu’ils lui aient demandé quoique ce soit… Son attitude confirme ici ce qu’il leur avait dit un jour : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles, ils seront exaucés. Ne les imitez donc pas. Car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant même que vous l’ayez demandé ». Or, « moi et le Père, nous sommes un » (Mt 6,7-8 ; Jn 10,30)), unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit, d’un même Amour. La Lumière de l’Amour qui brille dans les yeux de Jésus est donc la même que celle du Père… Ils sont fatigués, ils n’ont rien demandé : « Venez à l’écart et reposez vous un peu »… « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer » (Ps 23)…

            « Venez à l’écart »… En effet, « ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger ». Jésus, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), vrai Dieu et vrai homme, est le plus humain qui soit. Et nous le voyons se préoccuper ici, très concrètement, de ses disciples : qu’ils puissent bien manger et bien se reposer… Et il fera de même un peu plus tard avec la foule venue à sa rencontre pour l’écouter, en plein désert… Ils ne lui demanderont rien, mais Jésus, voyant leurs besoins, accomplira pour eux la première multiplication des pains (Mc 6,35-44)…

            « Les disciples partirent donc dans la barque pour un endroit désert, à l’écart »… Mais en regardant la direction qu’ils prennent, les gens devinent l’endroit où ils vont accoster. Ils courent sur le bord du lac et arrivent avant eux… Dans leur vie d’hommes et de femmes, ils sont « comme des brebis sans berger », perdus dans ce monde si souvent difficile, ne sachant sur qui compter. Lorsque Jésus débarque, il voit cette grande foule, il perçoit leur détresse, et, littéralement, écrit St Marc, « il fut remué jusqu’aux entrailles », bouleversé de compassion jusqu’au plus profond de lui-même… Aussi va-t-il aller au devant de leurs besoins, avant même qu’ils lui aient demandé quoique ce soit, et « il se mit à les instruire longuement. » Il leur parlera du Père, de son Amour pour tous les hommes, de sa Présence agissante à leur côté, certes invisible à leurs yeux de chair, mais puissante en leur cœur, par le Don de l’Esprit… Alors, confiance et paix…           DJF

               

                                                                              




15ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 12 juillet 2015

 

Amos 7, 12-15 (« Va, tu seras prophète pour mon peuple. « )

 

Il existait, dans l’Antiquité biblique, un métier de prophète, à côté des sages (ou scribes) et des prêtres. Certains prophètes racontaient leurs visions – d’où leur désignation comme « voyants » – et ils délivraient leurs oracles dans les sanctuaires, sous le contrôle des prêtres. D’autres étaient des conseillers religieux et politiques du roi, tel Natan auprès de David. Parfois groupés en confréries (cf. 1 Rois 20, 35), on les appelait « fils de prophètes ». Or, Amos reconnaît qu’il n’est « pas prophète ni fils de prophète ».

  Amos est doublement un nouveau type de prophète, le plus ancien des « prophètes écrivains », comme ensuite Isaïe ou Jérémie, à la différence des anciens voyants Élie et Élisée. D’abord, Dieu choisit Amos et l’envoie alors qu’il n’est pas du métier. Éleveur et arboriculteur (itinérant ?), « inciseur de sycomores » (pour hâter la maturité ?), Amos se signale par une solide sagesse populaire, par une verdeur de langage calculée et une fine connaissance de la politique qui ne peut venir d’un simple bouvier. En second lieu, alors qu’il est de Judée, de Téqoa, près de Bethléem (Amos 1, 1), Dieu l’envoie hors de sa patrie, dans le royaume de Samarie, le royaume du Nord, et dans son grand sanctuaire de Béthel. Il doit y dénoncer la corruption sociale et religieuse, alors que ce pays est à l’apogée de sa prospérité, sous le long règne de Jéroboam II (787-747). Dieu ne connaît pas de frontières. Il appelle tous les hommes à la conversion et il demande à ses envoyés de transgresser ces frontières.

  Un jour, c’est à toutes les nations, sans distinction, que le Christ ressuscité enverra ses messagers, Mais, au départ, c’est dans la campagne galiléenne, leur pays, que Jésus envoie les Douze (évangile).

 

 

Éphésiens 1, 3-14 (Dieu nous a choisis depuis toujours.)

 

Une solennelle bénédiction préface cet écrit, rédigé par un disciple, inconnu, de Paul et réactualisant le message de l’Apôtre. Les trois premières lignes en annoncent le thème qui sera repris en de multiples variations. Le Dieu que nous bénissons est le Père du Seigneur et Messie Jésus. Il est « au ciel », lieu symbolique qui échappe aux fluctuations de l’histoire. De là-haut, il a planifié son projet : nous donner la pluie des « bénédictions de l’Esprit, dans le Christ ». Cette bénédiction se déploie ici en six mouvements :

(1) Dieu a pensé à nous choisir et à nous unir au Christ avant même la création.

(2) Il nous a destinés à devenir ses enfants, frères du Christ.

(3) Cela s’est réalisé par l’effusion d’un sang rédempteur (de la croix).

(4) Ce projet vise, au terme, à redonner à l’univers divisé une nouvelle unité sous une seule Tête, le Christ.

(5) Depuis toujours, Dieu nous avait destinés à être les bénéficiaires et les témoins de cette réunification.

(6) Nous en faisons déjà l’expérience grâce à l’Esprit Saint reçu au baptême.

  Cette symphonie spirituelle est ponctuée par de joyeux coups de trompette soulignant le bonheur de notre vocation : Nous sommes « en lui » (dans le Christ), « à la louange de la gloire » de Dieu, « dans l’amour ». Le texte reprend et adapte *une prière de la synagogue juive pour exprimer le mystère profond de l’Église. On remarquera notamment, comme dans notre lecture, la répétition de l’expression « dans l’amour ».

 

* Une prière de la synagogue. « D’un amour éternel tu nous as aimés, Seigneur, notre Dieu; d’une pitié grande et surabondante, tu as eu pitié de nous, notre Père, notre Roi (…) Notre Père, Père des miséricordes, miséricordieux, fais-nous miséricorde et donne à nos cœurs de discerner et de comprendre, d’entendre, d’être instruits et d’instruire, de garder, d’accomplir et de rendre stables toutes les paroles de l’instruction de ta Loi, dans l’amour. Illumine nos yeux dans ta Loi, attache nos cœurs à tes préceptes et unifie nos cœurs dans l’amour et la crainte de ton nom. Fais-nous entrer dans la paix des quatre extrémités de la terre, et conduis-nous, la tête haute, dans notre terre. Car tu es le Dieu qui accorde le salut et tu nous as choisis de tout peuple et de toute langue, et tu nous as fait approcher de ton grand nom pour toujours en vérité, pour te louer et proclamer ton unité dans l’amour. Béni sois-tu, Seigneur, qui as choisi ton peuple Israël dans l’amour » (Prière juive matinale, « D’un grand amour »).

 

 

Marc 6, 7-13 (« Il commença à les envoyer. »)

 

Jésus avait choisi les Douze « pour qu’ils soient avec lui, et pour les envoyer prêcher avec le pouvoir de chasser les esprits mauvais » (Marc 3, 13-15). Ils viennent de vivre avec lui un compagnonnage suffisamment riche pour qu’il puisse à présent leur confier une première mission à travers la Galilée. Celle-ci préfigure leur futur *envoi, après la résurrection du Seigneur, quoique Marc n’en parle pas, son évangile authentique s’achevant de manière laconique en Marc 16, 8. Déjà il leur partage son pouvoir sur les forces du mal. Déjà ils vont deux par eux, comme plus tard Pierre et Jean ou Paul et Barnabé, car, dans le cadre juif, deux personnes sont requises pour assurer la vérité d’un témoignage. 

Partir avec un maigre trousseau 

Ceux qui annoncent le règne de Dieu éviteront tout « gadget » publicitaire. Par leur dénuement, ils montreront qu’ils mettent leur confiance en la seule puissance de ce Règne. Mais le dépouillement sera réaliste, adapté aux situations. On le voit bien si on compare ces instructions à leurs versions parallèles en Matthieu 10, 9-10, en Luc 9, 3 et 10, 4, de recensions plus anciennes ou plus idéalistes. Ce qui était possible en Galilée au temps de Jésus ne l’est plus au temps de Marc. Les prédicateurs ont droit désormais à des sandales et à un bâton, car les voyages missionnaires deviennent plus longs et les routes peu sûres. Comparer aussi Luc 22, 35-36.

  En revanche, pour la subsistance quotidienne, les prescriptions demeurent : ni provisions, ni argent, ni vêtement de rechange. Ces étranges voyageurs qui n’ont rien à vendre devront compter sur l’accueil de l’habitant. Car leurs hôtes, en les recevant, montreront que c’est le règne de Dieu qu’ils devinent et reçoivent à travers eux, comme dans l’épisode de la visite de Pierre chez Corneille, en Actes 10 – 11. « Quiconque vous donnera à boire une coupe d’eau pour le nom que vous êtes “du Christ”, amen ! je vous dis qu’il ne perdra pas sa récompense » (Marc 9, 41). 

Se faire accueillir 

Le messager se livre à l’accueil ou au refus des libertés humaines. En se fixant passagèrement dans une maison hospitalière, il espère que celle-ci deviendra à son tour un centre de rayonnement de l’Évangile, telle la demeure de dame Lydie en Actes 16, 13-15. Au contraire, on devra témoigner aux localités peu accueillantes qu’elles manquent une occasion de bienfaits. Certains Juifs secouaient la poussière de leurs pieds lorsqu’ils passaient d’une terre païenne en Terre sainte, pour ne pas souiller celle-ci par une poussière impure. Ce sera pour ceux qui refusent l’Évangile « un témoignage », le signe qu’ils ont manqué leur chance de devenir un peuple saint. Paul et Barnabé poseront ce geste symbolique en quittant Antioche de Pisidie (Actes 13, 51), cette fois contre les Juifs s’opposant au succès de l’Évangile parmi les païens. 

Ils partirent 

Au total, Marc mêle les souvenirs de ce qui se faisait au temps de Jésus et les pratiques ultérieures des missionnaires de sa propre Église. Cette généralisation se traduit, à la fin de la page, par le passage des verbes à l’imparfait, comme des pratiques coutumières. Ces envoyés, après Pâques, n’annoncent plus le règne de Dieu, comme le faisait Jésus (Marc 1, 14-15). Ils appellent à la conversion au Christ, ils exorcisent et guérissent, comme lui ; mais ils ne négligent pas l’usage tout humain de l’huile, un produit fréquemment utilisé comme remède dans la médecine antique. Il ne s’agit nullement du sacrement de « l’extrême onction ».

 

* L’envoi. Après le départ de Jésus, la mission des disciples s’exerça principalement dans les maisons qui cherchaient à savoir, avec sympathie, ce que ces chrétiens « avaient dans le ventre » puis dans les synagogues. Ces premiers témoins chrétiens étant juifs d’origine, la synagogue était pour eux le cadre idéal où ils pouvaient atteindre une communauté constituée de Juifs et de païens sympathisants du judaïsme. À partir des lectures bibliques du sabbat, la Loi et les Prophètes, ils expliquaient que Jésus, le Messie, accomplissait les promesses des saintes Écritures. Dans les maisons, ils rejoignaient la base du tissu social et créaient des réseaux de convertis. Il y eut un troisième lieu, plus inattendu, les tribunaux où les chrétiens devaient s’expliquer sur la nouveauté inquiétante, aux yeux des autorités politiques, de leur mouvement et ils donnaient ainsi une extraordinaire publicité à l’Évangile (voir Luc 21, 12-15 ; Actes 4, 4-12 ; 24, 10-21). Les situations et les moyens de communication changent. Mais la Mission continue. Les témoins du Christ cherchent tous les lieux de l’existence humaine, tous les médias, où l’Évangile peut se faire entendre.

 




15ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (12 juillet)

« L’envoi en mission » (Mc 6,7-13).

 

En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs,
et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture.
« Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. »
Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ.
Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. »
Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir.
Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.

 

 disciple en mission

               

La mission première de Jésus était d’annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux. La première phrase qu’il prononce dans l’Evangile de Marc est ainsi : « Le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1,15). Et juste avant notre passage, nous lisons : « Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant » (Mc 6,6).

Parmi ses disciples, il en avait choisi Douze « pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons » (Mc 3,13-19). Aujourd’hui, les Evêques sont leurs successeurs. Leur mission première, avec toute l’Eglise locale dont ils ont la charge, est donc de « prêcher » à la suite du Christ. Et c’est bien ce qu’ils font ici : « Ils partirent et proclamèrent qu’il fallait se convertir »…

Or, écrit St Jean, « celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34). Et ceci est vrai aussi bien pour le Christ, envoyé par le Père (Jn 3,17 ; 4,34 ; 5,23…), que pour l’Eglise envoyée par le Christ : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20,21). Or, c’est par le Don de cet Esprit Saint, qui se joint toujours à la Parole de Dieu pour leur rendre témoignage, que le Christ chassait les démons : « Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Mt 12,28). L’Eglise, aujourd’hui, ne fait que reprendre les Paroles du Christ pour les annoncer le plus largement possible : « Père », disait Jésus, « les Paroles que tu m’as données, je les leur ai données » (Jn 17,8). Lorsqu’elle les proclame, avec elles et par elles, c’est donc toujours le même Esprit qui, en se joignant à elles, expulse les démons. Et c’est bien ce que Jésus suggère ici, en associant à l’action de prêcher celle d’expulser les démons : « Il appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs »…

« Chasser les démons » n’est donc pas le résultat d’un pouvoir « magique » que l’on exercerait en prononçant toutes sortes de paroles mystérieuses. C’est tout simplement le fruit de l’action de Dieu, qui, par son Esprit de Lumière, de Douceur et de Paix qui se joint toujours à sa Parole, ne peut que chasser les ténèbres : « La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ». Bien plus, « les ténèbres s’en vont, puisque la véritable lumière brille déjà » (1Jn 2,8)…    

                                                                                                         DJF

                                                                                                                     




14ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 05 juillet 2015

 

Ézékiel 2, 2-5 (« C’est une engeance de rebelles ! Qu’ils sachent qu’il y a un prophète au milieu d’eux ! »)

 

Ézékiel, prêtre et prophète exilé à Babylone, a un sens aigu de la noblesse de Dieu. Il n’imagine pas que le Seigneur puisse lui parler directement. Il faut d’abord que l’esprit lui soit donné. Cet esprit faisait entrer en extase les anciens prophètes (cf. 1 Samuel 10, 10). Cet esprit renouvellera le cœur humain et ressuscitera les morts (Ézékiel 36 – 37). Ici, cet Esprit met Ézékiel debout, comme au garde-à-vous, pour que retentisse l’ordre de mission. Plus de quatre-vingt-dix fois au long du livre, l’envoyé s’entendra appeler par Dieu « fils d’homme », comme pour entretenir son humilité. Il n’est qu’un humain. Un abîme de sainteté le sépare du Créateur qui seul est responsable du message dont il charge le prophète.

  D’emblée, dans sa vocation, Ézékiel apprend qu’il s’adressera à un peuple rebelle, obstiné. Car les Israélites déportés à Babylone n’ont pas encore compris que leur exil est la conséquence de leur révolte contre Dieu, à travers l’idolâtrie et l’injustice sociale, et qu’ils doivent réformer leur conduite. Le mot hébreu traduit ici par « rebelle » désigne plusieurs fois dans l’Ancien Testament les révoltes des rois d’Israël à l’égard des souverains voisins avec qui, de gré ou de force, ils avaient fait alliance (par exemple 2 Rois 18, 7.20 ; 24, 1).

  Les prophètes emploient la formule des messagers royaux (Ainsi parle le roi) : « Ainsi parle le Seigneur Dieu ». En entendant ces mots, les Israélites exilés sauront qu’Ézékiel s’engage comme prophète, messager du Seigneur. Libre à eux de refuser de l’écouter. Mais, au moins, Dieu aura tout fait pour engager avec eux un nouveau dialogue.

  Ce texte est choisi en raison de la dernière phrase : « Ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. » Et cette déclaration veut introduire le constat de Jésus à Nazareth (évangile) : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. »

 

 

2 Corinthiens 12, 7-10 (« Je mettrai ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. »)

 

A Corinthe, certains missionnaires rivaux de Paul font leurs tournées. Ils ont leur succès. Car ils se prévalent de leurs expériences mystiques. Paul pourrait, lui aussi, se vanter de « révélations extraordinaires ». Pour comprendre ces quelques versets, victimes de l’amputation liturgique, on doit absolument lire 2 Corinthiens 12, 1-6.

  Mais, même s’il le voulait, ces révélations exceptionnelles n’auraient aucune valeur pour le service apostolique. Car ce qui saute aux yeux de tous dans la personne de Paul, c’est l’énigmatique « *écharde pour la chair » qu’inflige à l’Apôtre, littéralement, « un ange du satan ».

  Pour Paul, l’Évangile se résume en la puissance du Christ qui transforme la vie des hommes. Or, cette puissance a pour terreau nourricier la faiblesse de la Croix. Quand donc l’Apôtre traduit-il ce paradoxe fécond ? Quand il accepte « les faiblesses, les insultes, les contraintes… », bref, quand il assume la faiblesse du Crucifié, celui-là même que contestaient les gens de Nazareth (évangile).

  « Lorsque je suis faible, écrit-il, c’est alors que je suis fort ». Je suis fort parce que je prouve ceci : Ce ne sont pas mes capacités humaines qui agissent, mais la puissance du Christ qui habite en moi. Être apôtre, c’est accepter une forme particulière du mystère pascal. Ainsi, écrit encore Paul, « la mort fait son œuvre en nous (les apôtres), et la vie en vous (les croyants) » (2 Corinthiens 4, 12).

 

* « L’écharde pour la chair ». Quelle écharde ? Pour certains, il s’agirait d’une tentation obsédante, de type sexuel. Mais Paul ne donne pas l’impression d’être un obsédé. En outre, sous sa plume, le mot « chair » désigne simplement la fragilité de l’existence humaine, non le sexe. D’autres, plus nombreux, pensent à une maladie chronique de l’Apôtre, voire une affection des yeux. Ils relient astucieusement Galates 4, 13.15 et 6, 11. Mais il s’agit d’une attaque venue du dehors, infligée par « un ange du satan ». Dans la Bible, « l’écharde dans les flancs » (Nombres 33, 55) désigne les ennemis d’Israël. En résumé, Paul évoque ici ses adversaires, des missionnaires éloquents et autoritaires. Il vient justement de les traiter de « serviteurs du satan » (2 Corinthiens 11, 13-15) parce qu’ils déforment le sens de l’Évangile. Paul a prié le Seigneur « par trois fois » d’écarter cet obstacle de son apostolat, de les faire taire. Mais le Christ semble mieux supporter la contestation que son Apôtre. Et les oppositions aideront Paul à approfondir le sens de sa mission.

 

Marc 6, 1-6 (« Un prophète n’est méprisé que dans son pays. »)

 

Trois aspects sont à souligner dans cet épisode. C’est l’amorce d’une rupture décisive de Jésus avec « son pays », Nazareth, une rupture liée à l’absence d’écoute du « fils de Marie » et, finalement, liée à la non-foi.

 

Vers une rupture 

Pour ceux qui l’écoutaient, Jésus a manifesté sa « sagesse » par son discours en paraboles. Pour ceux qui l’ont suivi, il s’est révélé par de « grands miracles » (cf. Marc 4–5). L’évangéliste avait déjà signalé une tension entre Jésus et sa famille, en Marc 3, 21.31-5. Avec l’ultime visite à Nazareth, la rupture sera consommée.

 

L’enseignement de Jésus et les réactions 

Le passage évangélique, avec quelque dédain, estime inutile de nommer ce « pays » (Nazareth)  peu accueillant. En revanche, Marc souligne la présence des disciples. Bientôt Jésus les enverra eux-mêmes en mission (6, 7-12). Il importe donc qu’ils voient à l’œuvre leur Maître et modèle.

  La réaction des auditeurs est une surprise à la fois émerveillée et sceptique. Ils s’expriment par des questions. Les trois premières portent sur son enseignement, sa sagesse et ses miracles. « D’où cela lui vient-il ? » Puisque l’on connaît sa famille, somme toute banale, qui lui a « donné » ces talents ? Cela vient-il de Dieu, d’une prétention humaine outrancière, voire d’une manipulation par le satan ? Comparer Marc 3, 22.30 ; 11, 30.

  Les deux dernières questions portent sur l’origine de Jésus. On connaît sa mère, ses *frères et ses sœurs. Si donc on connaît si bien sa famille, comment pourrait-il être le Messie caché ? L’appellation traditionnelle « le fils du charpentier » devient ici « le charpentier, fils de Marie ». Car sans doute Joseph est-il déjà mort lorsque la tradition compose cet épisode. Notons en passant que le mot grec téktôn traduit traditionnellement par « charpentier » désigne en fait un artisan travaillant le bois, les métaux, la pierre et jouissant souvent d’une belle notoriété dans les bourgades de Palestine.

 

Le manque de foi 

Les auditeurs sont « choqués », plus exactement ils buttent sur ce qui leur semble non crédible parce qu’ils ne sortent pas de leurs idées toutes faites. Un tel refus ne dessert pas l’identité de Jésus. Au contraire, il replace celui-ci dans la lignée des vrais prophètes, tel Ézékiel (1ère lecture) et surtout Jérémie (11, 21 ; 12, 6), haï des gens d’Anatot, son village. Mais le refus est profond. Car en énumérant le pays, la parenté et la maison, le texte évoque les relations sociales les plus étroites.

  Jésus n’accomplit aucun miracle, non pas par impuissance. L’impossibilité vient de la non-foi des gens. Car le miracle n’est jamais qu’une réponse à la foi. Mais comment ne pas croire, quand on a entendu ce que Jésus a déjà fait ? Marc insère quand même la mention de quelques guérisons, soulignant par là la miséricorde de Jésus et préparant ainsi la mission prochaine des disciples qui guériront les malades (cf. Marc 6, 13, dimanche prochain). D’ailleurs, nullement rebuté par le mépris, le Missionnaire du règne de Dieu poursuit son œuvre dans « les villages d’alentour ».

 

* Les frères de Jésus. Le Nouveau Testament mentionne plusieurs fois les frères de Jésus. Le plus célèbre est Jacques, « le frère du Seigneur » (Galates 1, 19) qui dirigera l’Église de Jérusalem (Actes 21, 18). De nombreux interprètes comprennent le mot « frère » au sens strict d’enfants de mêmes parents et admettent que Marie a eu d’autres enfants. La tradition catholique, qui souligne le titre de « Marie toujours Vierge », exclut cette interprétation. Elle donne au mot « frère » un sens sémitique large de cousin, beau-frère… Relevons trois points : 1) L’examen rigoureux du Nouveau Testament ne permet pas de trancher entre le sens strict et le sens large. 2) La position protestante ne remet pas en question la conception de Jésus comme un acte créateur de Dieu se substituant à l’engendrement ordinaire. 3) « La virginité perpétuelle de Marie est quelque chose qui va au-delà de toute la documentation dont nous disposons et qui représente un éloge de Marie jailli de notre foi (…), de la réflexion chrétienne sur la sainteté de Marie… » (R. E. Brown).

 




14ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (5 juillet)

Chercher la Vérité au-delà des seules apparences (Mc 6,1-6)…

 

En ce temps-là,  Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent.
Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ?
N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet.
Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. »
Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains.
Et il s’étonna de leur manque de foi. Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.

 

 14ième dimanche TO année B

        

        

Jésus est à Nazareth, le pays qui l’a vu grandir… Le sabbat, il va à la synagogue, comme autrefois. On lui demande de faire la seconde lecture et le commentaire qui suit. Il obéit et « se mit à enseigner ». Et là stupéfaction : ce sont « des paroles pleines de grâce qui sortent de sa bouche » (Lc 4,16-22), des paroles pleines de « l’Esprit de grâce » (Hb 10,29). En effet, « celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, car il ne mesure pas le don de l’Esprit » (Jn 3,34). Accueillir sa Parole de tout cœur, c’est accueillir avec elle le Don sans mesure de l’Esprit dont le fruit est vie (Jn 6,63 ; 2Co 3,6), Plénitude de vie (Ep 5,18 ; Col 2,9-10), bonheur profond… « Tu as les paroles de la vie éternelle », disait Pierre à Jésus (Jn 6,68), car il avait « accueilli, lui aussi, la Parole avec la joie de l’Esprit Saint » (1Th 1,5-6). « Heureux ceux qui croient » (Jn 20,29), car « tu mets dans mon cœur plus de joie, que toutes leurs vendanges et leurs moissons » (Ps 4).

« Père, les paroles que tu m’as données, je les leur ai données » (Jn 17,8)… Et l’on pourrait dire aussi : « Père, l’Esprit que tu m’as donné, et qui m’engendre en Fils de toute éternité, je le leur ai donné… Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22), et avec lui, cette Plénitude de Paix, de Joie, de Vie que l’on ne peut expérimenter que dans le cadre d’une relation de cœur avec Dieu…  Ses auditeurs, ici, reconnaissent « la sagesse qui lui a été donnée ». Ils ont aussi entendu parler « des grands miracles qui se réalisent par ses mains ». Tout cela ne fait aucun doute… Et pourtant, leur question – « D’où cela lui vient-il ? » – restera sans réponse… Ils n’arriveront pas à aller plus loin que ce « fils de Marie » qu’ils croient si bien connaître, d’autant plus que ses « frères » et « sœurs », c’est-à-dire ses cousins et ses cousines, sont toujours parmi eux : « Jacques (le petit) et José », fils d’une autre Marie (Mc 15,40.47), « Jude et Simon »…

« Vous me connaissez », mais hélas, seulement selon les apparences, « et vous savez d’où je suis », ou du moins s’arrêtent-ils à Nazareth ; « et pourtant ce n’est pas de moi-même que je suis venu, mais celui qui m’a envoyé est véridiqueJe sais d’où je suis venu et où je vais, mais vous, vous jugez selon la chair » (Jn 5,28-29 ; 8,14-16). Quand donc leur cœur s’ouvrira-t-il pour accueillir cette Plénitude d’Amour et de Vie que le Père veut communiquer à tous les hommes, ses enfants ? Jésus offrira sa vie pour cela, et juste après sa mort, beaucoup partiront en se frappant la poitrine (Lc 23,48)… Enfin !  

                                                                                                       DJF

                                                                                                                     




13ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 28 juin 2015

 

Sagesse 1, 13-15 ; 2, 23-24 (« C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde « ) 

Vers 50 avant notre ère, l’auteur anonyme invite ses contemporains juifs d’Alexandrie à chercher Dieu sous la conduite de sa Sagesse. Il use de la fiction, en laissant supposer que c’est le roi Salomon qui écrit, un roi réputé pour sa sagesse (voir 1 Rois 5, 9-14, passage fort éclairant pour l’ensemble du Livre de la Sagesse). Notre auteur attaque rudement (ch. 2) les impies qui ne croient qu’en la vie terrestre, suivent leur plaisir et traquent ceux qui les dérangent par leur conduite exemplaire. Au contraire, aux « justes » qui cherchent et font la volonté de Dieu, celui-ci promet le don de l’immortalité auprès de lui.

  « Dieu n’a pas fait la mort ». L’auteur ne parle pas de la mort physique, laquelle est naturelle : « Je suis moi aussi un être mortel, pareil à tous, un descendant du premier être formé de la terre » (Sagesse 7, 1 ; comparer 9, 15). Il évoque une réalité révoltante : la Mort qui ampute l’homme de ses relations, celle qu’il s’inflige, par ses péchés, en se séparant de son Créateur. Dieu ne veut pas cette mort-là. Il a tout créé pour la vie. Si des poisons poussent sur la terre, aucun d’eux n’engendre une telle mort spirituelle, et celui qui pratique la justice est voué à l’immortalité. L’auteur médite sur le récit des origines (Genèse 1 – 3). L’homme avait pour vocation d’être l’image de Dieu, et ce lien incluait l’immortalité. C’est le *diable, jaloux de la destinée immortelle des humains, qui a introduit la mort en les séparant de leur Dieu.

  Jésus apparaîtra comme le vainqueur de la mort en ressuscitant la fille de Jaïre (évangile de ce jour) ; il révélera ainsi le projet tenace d’un Dieu qui veut la vie de ses créatures. 

* Le diable. Ce texte est le premier, dans la Bible, à identifier le serpent de la Genèse (ch. 3) au démon. Voir, par la suite, Apocalypse 12, 9 ; 20, 2. Selon de belles légendes juives anciennes, l’ange déchu a été chassé des cieux parce qu’il a refusé de reconnaître en Adam la gloire de Dieu. La tentation d’Ève fut sa vengeance. 

 

2 Corinthiens 8, 7.9.13-15 (« Ce que vous avez en abondance comblera les besoins des frères pauvres « ) 

L’Église de Jérusalem avait dispensé les chrétiens d’origine païenne de l’observance des lois de Moïse, à la différence des Églises d’origine juive. Comment éviter alors le paradoxe d’Églises parallèles et indépendantes ? Par la réalisation d’une collecte des chrétiens grecs en faveur des pauvres de l’Église de Jérusalem. L’opération avait commencé dans les Églises turques. Les Corinthiens avaient adhéré au projet (1 Corinthiens 16, 1-4), puis les Macédoniens, c’est-à-dire les Églises de Philippes et de Thessalonique (2 Corinthiens 8, 1-5). Mais les Corinthiens, eux, n’avaient toujours pas ouvert leurs porte-monnaie, et Paul revient donc ici à la charge.

  La collecte signifie une communion concrète (lire Romains 15, 25-27). Les Corinthiens sont comblés de tous les dons spirituels – « que vous tenez de nous », les apôtres, souligne l’ironie de Paul, et non de vos propres talents. Alors, sachez manifester votre reconnaissance !

  Le Christ « est devenu pauvre », en sa passion, pour enrichir les croyants par les énergies de sa résurrection. Voilà la source de la générosité des chrétiens qui ont tout reçu du Christ, « le don généreux » qui fait de la collecte une grâce accordée à la communauté des donateurs. Ce don de soi, essence de l’Évangile, se traduira, non par l’impossible imitation du Crucifié, mais par la recherche d’une égalité entre les communautés. Tout ce que nous avons est don de Dieu, comme la manne du désert que nul ne pouvait s’approprier sans dommage (cf. l’incident rapporté en Exode 16, 18-21).

  Contre ceux qui ne veulent « pas de bruit d’argent autour de l’autel », Paul affirme avec vigueur que l’eucharistie est vaine si elle ne traduit pas l’Évangile par une charité bien concrète et matérielle.

 

Marc 5, 21-43 (« Jeune fille, je te le dis : lève-toi « ) 

Puissant en paroles dans le discours en paraboles (Marc 4), Jésus se révèle tout aussi puissant en actes. Après avoir calmé la tempête et libéré le possédé de Gérasa, en terre païenne, il guérit une femme malade depuis douze ans et ressuscite une enfant de douze ans. La répétition du chiffre cimente les deux récits emboîtés l’un dans l’autre. L’imbrication numérique (comparer Luc 13, 4 et 13, 11 !) sert une progression dramatique : Jésus allait guérir la fille de Jaïre. Mais ce nom a valeur de programme ; Il signifie « Dieu illumine » ou « Dieu resssuscite ». Avec le retard dû à l’intervention de la femme, c’est un cadavre que Jésus trouvera chez le « chef de la synagogue », une fonction importante, qui compte pour le renom de Jésus. 

Ma fille, ta foi t’a sauvée 

La femme semble souffrir d’une métrorragie chronique. La perte du sang fait d’elle non seulement une malade, mais une impure contagieuse qui ne peut plus, depuis douze ans, participer aux assemblées religieuses (cf. Livre des Lévites 15, 19-30). Marc n’a point de mépris particulier contre le corps médical, quand il dit que la malheureuse s’était ruinée chez les médecins. L’évangéliste emprunte un lieu commun des ex-voto des temples grecs : quand tout remède a échoué, on recourt, dans un temple réputé, à un dieu guérisseur. De la culture antique viennent aussi deux détails : 1) l’idée que le contact physique du guérisseur, de son vêtement (comparer Marc 3, 10 ; 6, 56), agit comme une anti-contagion ; c’était même une vertu que l’on attribuait aux vêtements de l’empereur Vespasien ; 2) l’idée que la guérison s’opère par une force émanant du thaumaturge (comparer Luc 6, 19). Enfin, selon les règles juives, la suppliante contamine Jésus en touchant son vêtement. D’où sa crainte, lorsqu’elle se voit démasquée.

  Sur cet arrière-fond culturel, le récit souligne la confiance audacieuse de la malade. Elle dit « toute la vérité », elle confesse sa foi. En Jésus, elle ne cherchait pas seulement la guérison, mais à être « sauvée » de son exclusion. Jésus réintègre la femme dans la vie sociale et religieuse. Il la renvoie « en paix », c’est-à-dire dans la santé, l’intégrité personnelle, le bien-être, fruits de la foi en lui.

  En effet, le plus étonnant dans ce récit tient en cela que Jésus semble n’avoir rien fait, et, en vérité, il n’a rien fait. D’où la question de Jésus : « Qui m’a touché ? » et la réponse étonnée et bien normale des disciples. La foi de cette femme a tout fait. On mettra en regard l’échec de la visite de Jésus à Nazareth, visite qui va suivre ce chapitre : « Là, il ne pouvait accomplir aucun miracle, si ce n’est qu’il guérit quelques infirmes (…). Et il s’étonna de leur manque de foi » (Marc 6, 5-6, évangile de dimanche prochain). 

Jeune fille, lève-toi 

L’acte II s’orne d’un scepticisme qui n’imagine pas le Maître éveillant une morte. Mort bien réelle, comme l’atteste le concert des lamentations traditionnnelles. Quand Jésus dit : « elle dort », la caméra de l’évangéliste élargit son champ jusqu’au contexte de l’Église de son temps, lorsque, depuis la résurrection de Jésus, les chrétiens voient dans la mort un sommeil temporaire et s’interdisent tout deuil trop démonstratif (voir 1 Thessaloniens 4, 13), malgré les moqueries des païens qui pensent que les chrétiens ne savent pas honorer leurs morts.

  Comme tout thaumaturge d’alors, juif ou païen, Jésus opère dans le secret de la maison. Ainsi avaient agi Élie et Élisée (1 Rois 17, 17-24 ; 2 Rois 4, 18-37). Mais chez Jésus, plus grand qu’eux, ni prière ni mise en scène laborieuse. Le contact de sa main et sa simple parole suffisent à rendre la vie. La parole est prononcée en araméen, langue maternelle de Jésus : « Talitha koum » (avec une faute de syntaxe dans la transmission : ce devrait être koumi, au féminin !) Pour des lecteurs grecs, en tout cas, ce langage étranger rejoignait le charabia des exorcistes de leur temps.

La fillette marche et mange, preuve de son retour à la vie. Mais on doit garder le secret. Ce miracle révèle Jésus comme le Messie. Or Jésus ne peut être reconnu comme Messie qu’à travers toute sa destinée : la passion et la gloire, tout cela dont les trois disciples privilégiés, Pierre, Jacques et Jean, seront les témoins (en Marc 9, 2.9 ; 14, 32-42). « Les portes de la mort sont à Dieu, le Seigneur » (Psaume 68 [67], 21). En Jésus, Dieu manifeste sa victoire sur la mort, puisque « Dieu n’a pas fait la mort » (1ère lecture).

 

 

 




13ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (28 juin)

Dans son Amour, Dieu sait ce qu’Il fait… (Mc 5,21-43)

En ce temps-là, Jésus regagna en barque l’autre rive, et une grande foule s’assembla autour de lui. Il était au bord de la mer.
Arrive un des chefs de synagogue, nommé Jaïre. Voyant Jésus, il tombe à ses pieds
et le supplie instamment : « Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité. Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. »
Jésus partit avec lui, et la foule qui le suivait était si nombreuse qu’elle l’écrasait.
Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans… –
elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins, et elle avait dépensé tous ses biens sans avoir la moindre amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré –…
cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus, vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement.
Elle se disait en effet : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. »
À l’instant, l’hémorragie s’arrêta, et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal.
Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule, et il demandait : « Qui a touché mes vêtements ? »
Ses disciples lui répondirent : « Tu vois bien la foule qui t’écrase, et tu demandes : “Qui m’a touché ?” »
Mais lui regardait tout autour pour voir celle qui avait fait cela.
Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité.
Jésus lui dit alors : « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre, le chef de synagogue, pour dire à celui-ci : « Ta fille vient de mourir. À quoi bon déranger encore le Maître ? »
Jésus, surprenant ces mots, dit au chef de synagogue : « Ne crains pas, crois seulement. »
Il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre, Jacques, et Jean, le frère de Jacques.
Ils arrivent à la maison du chef de synagogue. Jésus voit l’agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris.
Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort. »
Mais on se moquait de lui. Alors il met tout le monde dehors, prend avec lui le père et la mère de l’enfant, et ceux qui étaient avec lui ; puis il pénètre là où reposait l’enfant.
Il saisit la main de l’enfant, et lui dit : « Talitha koum », ce qui signifie : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! »
Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher – elle avait en effet douze ans. Ils furent frappés d’une grande stupeur.
Et Jésus leur ordonna fermement de ne le faire savoir à personne ; puis il leur dit de la faire manger.

 

 talitha koum 3

         

         Un papa nommé Jaïre est bouleversé par les souffrances et la maladie de sa petite fille… Il est bien ici « à l’image et ressemblance » du Dieu Père, bouleversé lui aussi par les souffrances des hommes, ses enfants… Lorsqu’ils refusent de l’écouter et s’engagent sur des chemins qui ne peuvent que les conduire à la catastrophe, il déclare par son prophète Osée : « Mon cœur est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent » (Os 11,7-9)… Et la note de la Bible de Jérusalem précise à propos du mot « bouleversé » : « Le mot est très fort, précisément celui qui est employé à propos de la destruction », par suite du péché des hommes, « des cités coupables. Osée laisse entendre » que ces conséquences dramatiques « sont comme vécues par avance dans le cœur de Dieu ». Et ensuite, il se désole : « Toute la tête est mal-en-point, tout le cœur est malade, de la plante des pieds à la tête, il ne reste rien de sain. Ce n’est que blessures, contusions, plaies ouvertes, qui ne sont pas pansées ni bandées, ni soignées avec de l’huile » (Is 1,5-6). Description saisissante d’Israël blessée par suite de ses fautes, un portrait qui est aussi celui du Christ en Croix : avec Lui et en Lui, Dieu en personne est venu porter nos souffrances pour nous en libérer, il a été blessé de nos blessures pour les guérir ! « Par tes blessures, ô Christ, nous sommes guéris » (1P 2,21-25).

            Jésus, en effet, nous a « visités dans les entrailles de miséricorde de notre Dieu », écrit St Luc (Lc 1,76-79). Syméon attendait « la consolation d’Israël » ? Il reçoit l’enfant Jésus entre ses bras, car il est tout entier « consolation » offerte à l’homme qui souffre (Lc 1,25-32 ; 2Co 1,3-11)), même si cette souffrance est la conséquence de sa désobéissance ! Mais avec le soutien indéfectible du Christ, de Miséricorde en Consolation, il trouvera avec Lui la force de rejeter ce qui le fait souffrir, pour ensuite le suivre, pour son plus grand bonheur, sur un Chemin de Plénitude et de Vie !

« Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive », supplie Jaïre… Et Jésus obéira : « Il partit avec lui »… Ainsi va l’Amour qui ne peut rester insensible face à la souffrance de celles et ceux qu’il aime… Toujours il agit, toujours il répond, mais souvent il nous déroute, car « vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes voies ne sont pas vos voies » (Is 55,8-9). Et quelle est la pensée de Dieu ? Envers et contre tout, le meilleur pour chacun d’entre nous, car Il n’Est qu’Amour (1Jn 4,8.16).

                                                                                                                      DJF




12ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 21 juin 2015

 

Job 38, 1.8-11 ( » Ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots « ) 

Goûtons d’abord la poésie du texte, très bien traduit par le lectionnaire liturgique. Entrons ensuite dans la manière dont les  anciens Orientaux se représentent le monde. Si Dieu parle « du milieu de la tempête », c’est que le cosmos est un tourbillon de forces négatives et mortelles jugulées par le Créateur. Surtout, dans cette culture antique *la mer représente le mystère du mal dans lequel on se noie. Avant la création, il y avait l’abîme, l’océan abyssal. Par la création, Dieu impose des vannes à ce monde dangereux.

  Demandons-nous alors quel rôle joue ce poème dans le livre de Job. Pendant de longs chapitres, Job a hurlé sa révolte : Pourquoi le juste souffre-t-il ? La fin du livre apporte une réponse divine énigmatique : Ta question est une bonne question, mais elle part d’une sagesse limitée. Tu te heurtes à une sagesse mystérieuse, celle du Créateur qui, au long de l’histoire, sait museler les forces du mal.

  Ce texte prépare l’évangile. En Jésus qui apaise les flots, Dieu se révèle comme le maître de l’abîme de nos angoisses. Mais l’angoisse s’est déplacée. Pourquoi souffrons-nous, demande Job ? Pourquoi sommes-nous assaillis dans notre mission, demandent les témoins de Jésus ? 

* La mer. Dans le récit des possédés de Gérasa, les esprits impurs se précipitent dans la mer (Marc 5, 13). Maître des ennemis de l’homme, Jésus les renvoie dans leur lieu mythique des forces du mal. Selon le même symbole, l’Apocalypse (21, 1) dépeint ainsi l’univers à venir : « Le premier ciel et la première terre ont disparu, et de mer, il n’y en a plus ». L’auteur sacré ignore, semble-t-il, les plaisirs balnéaires. Il souligne seulement que Dieu ne laissera pas l’humanité se noyer dans la mort et le désespoir. 

 

2 Corinthiens 5, 14-17 (« Un monde nouveau est déjà né « ) 

Paul s’achemine vers la conclusion de son débat avec les Corinthiens, débat commencé en 2 Corinthiens 2, 14. Ceux-ci se sont laissé mener par certains missionnaires trop imbus d’eux-mêmes, trop prompts à se faire valoir par leur éloquence et leurs performances spirituelles. Paul veut ramener ses lecteurs au véritable évangile.

  « *L’amour du Christ nous saisit », nous les apôtres, écrit-il. L’Évangile se résume dans le don de soi de Jésus pour que les hommes vivent unis à lui et entre eux. Selon « la manière simplement humaine » de penser, la mort du Messie n’a-t-elle pas été un échec ? Non ! Elle invite à dépasser les jugements trop humains, puisque, par la croix, Jésus a inauguré un monde nouveau. Nous devons nous décentrer de nous-mêmes, nous renouveler, en suivant le chemin d’amour ouvert par Jésus.

  Incidemment, et la traduction liturgique ne permet pas de le saisir, Paul défend son statut d’apôtre. D’autres apôtres lui contestent son titre, lui reprochent de n’avoir pas connu le Christ « selon la chair », c’est-à-dire durant sa vie terrestre. Mais, pour Paul, dans le monde nouveau inauguré par la résurrection, tout croyant ressortit à une création nouvelle (et non « une créature nouvelle ») qui ne fonde pas plus sa foi simplement sur la connaissance de Jésus de Nazareth. Aujourd’hui se multiplie la vocation apostolique de celles et ceux qui n’ont pas connu Jésus sur les chemins de la Terre d’Israël.

  Implicitement, c’est donc à sa relation pastorale que songe Paul. Il voudrait que ses chers Corinthiens comprennent ses critiques et le désintéressement qui l’anime. Il voudrait que les relations entre l’Apôtre et ses correspondants repartent sur de nouvelles bases, plus évangéliques. Ceux-ci sont des « créatures nouvelles », adultes. Qu’ils se comportent aussi de manière adulte avec lui. 

* « L’amour du Christ » n’est pas l’amour que nous portons au Christ, mais l’amour du Christ pour les hommes. C’est l’amour de celui qui meurt pour tous, pour que tous se sentent concernés et entraînés par un tel désintéressement. Cet amour du Christ « saisit » les apôtres, ou les « coince », les « contraint » (le verbe grec est difficile à traduire). Il les contraint à annoncer l’Évangile avec désintéressement, contre vents et marées, malgré l’incompréhension ou les réticences de leurs auditeurs.

 

Marc 4, 35-41 (« Qui est donc celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? « ) 

Pour annoncer l’Évangile à la suite du Seigneur, même au quotidien, il nous faut nous risquer sur d’autres rives inconnues, et pour cela affronter des tempêtes. 

Passons sur l’autre rive 

La journée a été chargée. Par ses paraboles (Marc 4, 1-34), Jésus a révélé à la foule juive les richesses du règne de Dieu. Mais il y a urgence ; il part « comme il était » (sans changer de vêtements ?). Il a hâte d’étendre l’annonce de l’Évangile. « Sur l’autre rive », il va rencontrer le monde païen, enchaîné au mal, symbolisé par le possédé gérasénien (Marc 5, 1-20). En fait, ces épisodes sont une leçon de choses pour la future mission de l’Église. 

Survient une violente tempête 

Curieusement, Marc s’intéresse moins aux passagers qu’à la barque submergée, accompagnée tout aussi curieusement « d’autres barques » qui disparaitront aussitôt mentionnée de l’intérêt du narrateur. Simplement, à la manière laconique de Marc, ces mentions symboliques pointent vers le sort des communautés chrétiennes à venir. Quand l’Église sort d’elle-même pour aller témoigner, elle doit essuyer des tempêtes. D’ailleurs le récit s’inspire d’un précédent biblique, l’histoire de Jonas fuyant son envoi aux païens de Ninive.

  Comme Jonas (Jonas 1, 5), Jésus dort dans la tempête. Mais le sommeil de Jésus a une autre signification. Il signifie la mort de Jésus, sa disparition, son invisibilité. Il traduit l’angoisse des chrétiens de tous les temps. Ceux-ci veulent bien suivre leur Maître, mais ils s’inquiètent de son absence apparente, de son silence. Nous nous sentons perdus dans les tempêtes qui nous assaillent. 

Vous n’avez pas la foi ? 

Pourtant, Jésus est là. Il sait que notre angoisse n’est pas d’ordre météorologique. Elle s’enracine dans l’hostilité que les gens et l’univers entier semblent parfois opposer à la mission des croyants. C’est pourquoi Jésus s’adresse aux éléments en furie comme à des personnes, à des démons : il « menace » le vent et la mer en ces termes : *« Silence, tais-toi ! ». Ceux qui s’embarquent à la suite de Jésus ont raison de lui crier : « Nous sommes perdus. » Mais ils l’offensent par leur question : « Cela ne te fait rien ? » D’ailleurs, ils l’interpellent comme « Maître », et non comme « Seigneur » : ils n’accèdent pas encore à la foi pascale, une déficience que l’évangéliste soupçonne chez nous, ses lecteurs. 

Qui est-il donc ? 

De la peur, on passe à une « grande crainte », un respect teinté d’amour devant une issue qu’on n’osait pas espérer. Appuyons sur la touche « avance accélérée » du film de l’évangile de Marc et nous aboutirons à Marc 16, 8, à la crainte des saintes femmes entendant l’annonce la résurrection du Seigneur. Car, en fait, c’est de cela qu’il est question dans le récit de la tempête apaisée.

  Cet épisode aussi un appel à notre mémoire de croyants. N’est-il pas vrai que, dans nos vies, le vent et la mer obéissent au Seigneur ? Qui est-il donc ? La question demeure, vitale. Car la foi est toujours une question.

 

* « Silence, tais-toi ! » La signification profonde de la tempête apaisée apparaît dès Marc 1, 21-23, lors de la première action publique de Jésus. L’esprit impur proclame : « Je sais qui tu es : le Saint de Dieu; » Jésus « le menace » et dit : « Tais-toi et sors de lui ». L’auditoire réagit en ces termes : « Qu’est-ce que cela ? Même aux esprits impurs, il commande et ils lui obéissent. » De même, le vent et la mer représentent les forces du mal qui se calment sur l’ordre de Jésus, et les témoins réagissent en s’interrogeant sur son identité. Les démons savent ; les hommes s’interrogent. Dans les guérisons et les exorcismes de Jésus, les démons et autres puissances nuisibles ont avoué leur défaite et identifié leur vainqueur. Mais Jésus leur impose le silence (voir Marc 3, 11-12). Car les hommes, eux, ne connaîtront le vrai visage du Sauveur qu’après la croix, par leur foi en sa résurrection.

 

 

 

 




11ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 14 juin 2015

 

Ézékiel 17, 22-24 (« Je relève l’arbre renversé »)

Ézékiel, prêtre et prophète, a fait partie des déportés de 597. Parmi eux, Nabuchodonosor a emmené à Babylone le jeune Yoyaqîn (2 Rois 24, 8), qui n’aura régné qu’un trimestre à Jérusalem. En fait, le souverain captif finira par être fort bien traité à la cour du conquérant (2 Rois 25, 27-30). Ce dernier, entre-temps, a installé Sédécias, oncle de Yoyakîn, comme roi de Judée à sa botte. Mais ce remplaçant se laisse entraîner, en 594, dans une coalition anti-babylonienne et finira de manière tragique (2 Rois 24, 17 – 25, 7).

  Ézékiel (17, 1) réagit contre la désastreuse politique extérieure de Sédécias et s’exprime « en parabole ». Le grand cèdre est la dynastie royale de Jérusalem. L’arbre élevé que Dieu renversera est Sédécias. Le jeune rameau est le nouveau roi que Dieu choisira, peut-être Yoyakîn rétabli dans sa fonction (ce qui n’arrivera pas). En tout cas, la royauté restaurée sera féconde. Elle aura un rayonnement universel : les passereaux et les oiseaux, littéralement « de toute aile », désignent les nations païennes, comme en Daniel 4, 7-14 qui s’inspire d’ailleurs d’Ézékiel. « Les arbres des champs » sont les rois païens. En fait, à travers l’identification détaillée de chaque élément végétal, le texte d’Ézékiel relève plus de l’allégorie que de la simple parabole.

  Dieu conduit l’histoire à sa façon, comme le redira le Cantique de Marie (Luc 1, 52). Le vrai roi dont rêvait Ézékiel sera le Christ, et les « oiseaux du ciel » seront les païens qui se réfugieront à l’ombre du règne de Dieu, selon la parabole de la graine de moutarde (évangile).

 

2 Corinthiens 5, 6-10 (« Que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur « )

 

Au sein des épreuves humiliantes que lui vaut sa mission itinérante Paul continue de proclamer son espérance, en l’assortissant d’un appel à la responsabilité de chacun de ses lecteurs. Son raisonnement s’organise ainsi : Comme le disent certains Corinthiens, la condition terrestre semble un exil « loin du Seigneur ». Mais ce constat ne saurait engendrer un pessimisme stérile. Il doit au contraire nous mettre en chemin « dans la foi » pour rejoindre notre vraie patrie. Et cette route a un objectif clair : « plaire au Seigneur », en faisant le bien. Car si « nous cheminons non dans la claire vision », le Christ, lui, nous voit. Et notre arrivée « près du Seigneur » sera d’abord une mise « à découvert », un bilan de notre parcours terrestre.

  Certes, Paul interpelle ici des Grecs de Corinthe qui méprisaient la vie corporelle et ne concevaient l’union à Dieu que par l’extase hors de ce corps. Mais il songe encore à ses concurrents missionnaires qui mettent en doute son titre d’apôtre. Il leur fixe rendez-vous « devant le tribunal du Christ ». C’est le Christ qui choisit et envoie les apôtres. C’est donc lui qui jugera ce que chacun aura fait de la mission reçue. En 1 Corinthiens 3, 5-15, Paul développait davantage encore cette idée. Or lui-même et ses coéquipiers pourront comparaître sans crainte : N’ont-ils pas fait des chrétiens de Corinthe une page vivante de l’Évangile (lire 2 Corinthiens 3, 1-3) ? 

* Exil et demeure. Notre lectionnaire oppose trois fois les expressions « demeurer loin/hors » et « demeurer près,/dans » « être en exil » et « habiter ». à cette traduction correspondent respectivement les verbes grecs ek-dèméô et en-déméô. Le premier signifie « vivre à l’étranger », le second « se fixer dans un pays ». Au vrai, la foi est-elle un exil ? Met-elle le chrétien en marge ? Paul le contesterait, puisque, selon lui, le chrétien est redevable au Christ de sa conduite dans le monde, tel qu’il est. Il ne nie pas, pourtant, que le chrétien « vit à l’étranger ». Existe-t-il un seul chrétien qui n’aurait pas découvert que sa foi le marginalise de l’opinion publique; et parfois de ses plus proches relations ? Le chrétien est en fait un immigré. Il porte en lui un monde, celui de Dieu, qu’il voudrait partager à ceux qu’il aime et à ceux qui l’aiment, parce qu’il est du Christ.

 

 

Marc 4, 26-34 (« C’est la plus petite de toutes les semences, mais quand elle grandit, elle dépasse toutes les plantes potagères « )

 

Jésus a défini sa famille comme ceux qui font « la volonté de Dieu » (Marc 3, 31-35). Il leur adresse maintenant un discours en paraboles. Ces paraboles révèlent à la foule et aux disciples ce qu’est le Règne de Dieu, objet de leur espérance et centre de la prédication de Jésus (Marc 1, 14-25). L’année A ayant présenté in extenso le discours en paraboles de Matthieu 13, notre extrait liturgique ne retient que la fin du discours en paraboles de Marc 4, 1-34. L’extrait comprend la parabole, propre à Marc, de la terre qui produit d’elle-même, puis celle de la graine de moutarde, commune aux trois évangélistes. Le tout s’achève par une conclusion expliquant pourquoi Jésus s’exprime en paraboles. 

La terre qui produit d’elle-même 

« Il en est du règne de Dieu comme… » On ne peut pas définir le règne de Dieu. On ne peut que l’évoquer comme une réalité « qui ressemble à quelque chose ». Ce mystère est celui d’un Dieu qui vient régner sur ceux qui l’accueillent, pour leur bonheur. Il englobe aussi la personne de Jésus dont les paroles et les actes introduisent dans l’histoire des bienfaits de Dieu. C’est enfin le Royaume, la partie de l’humanité qui vit à l’écoute du message de Dieu.

  La parabole de la terre qui « produit d’elle-même » ‘(et non « du grain qui pousse tout seul », selon certaines bibles) s’adresse à des disciples découragés par l’échec apparent de la mission de Jésus. La fable joue sur l’expérience du cultivateur qui, une fois qu’il a semé, doit faire confiance au processus de vie qui s’accomplit « il ne sait comment », mais réellement. Germination, croissance et mûrissement, tout lui échappe. Mais, au terme, il y a bel et bien « le temps de la moisson » ou, selon un jeu de mots possible en araméen, « le temps de la Fin ». Nous nous confions en la puissance cachée du Père qui conduira à terme ce qu’il a commencé dans la mission de son Fils. Cette parabole est un complément de celle du Semeur et de son explication. De même que Jésus ne fut que le Semeur du règne de Dieu, de même nous faisons confiance à Dieu et à toute terre capable de produire d’elle-même quand nous jetons à d’autres, à notre mesure les semences de l’Évangile. 

La graine de moutarde 

La deuxième parabole recourt aussi à une expérience simple : Les réalités les plus grandes ont souvent pour origine une cause infime. Il en va ainsi de l’humble début de la mission de Jésus, sans proportion avec le succès à venir du règne de Dieu. La comparaison s’enrichit d’un trait allégorique, l’image de la gigantesque ramure (amusante par rapport à la taille réelle d’un plant de moutarde !) et des oiseaux du ciel qui viennent nicher sous son ombre. Ces allusions à Ézékiel et Daniel (cf. 1ère lecture) précisent ceci : cette merveilleuse croissance s’opérera avec l’entrée des nations païennes dans l’Église, grâce à la mission chrétienne universelle. 

Il ne parlait pas sans paraboles 

*Les paraboles veulent faire comprendre le Règne de Dieu et la mission de son Envoyé. Mais la conclusion de Marc présente un double constat. D’une part, deux camps se dessinent : les foules en général, et les disciples. Les premières ont une compréhension limitée du message de Jésus. Les seconds bénéficient d’une lumière particulière. D’autre part, les paraboles apportent une découverte à demi-mot : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » (Marc 4, 9). Le règne de Dieu ne se révèle pleinement qu’à travers la passion et la résurrection de Jésus. Et cette révélation appartient à ceux qui acceptent de suivre son chemin d’épreuves.

 

* Les paraboles. Le mot « parabole » a un double sens dans les langues anciennes. Il s’agit soit d’un récit imagé, une fable qui éclaire une réalité difficile à exprimer clairement, soit d’une parole énigmatique qu’il faut décoder. La distinction reste fragile. En effet, une image parlante entre initiés peut rester une énigme pour le non-initié. L’évangile joue sur ce double sens (Marc 4, 10-12 et 33-34). Une frontière se dessine donc : la foule des simples auditeurs en reste à une compréhension extérieure des paroles de Jésus ; les vrais disciples se laissent instruire en profondeur et se sentent personnellement concernés.

 




11ième dimanche du temps ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER (14 juin)

La Toute Puissance humble et discrète de l’Esprit (Mc 4,26-34)…

En ce temps-là, parlant à la foule, Jésus disait : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence :
nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment.
D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi.
Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »
Il disait encore : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ?
Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences.
Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »
Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre.
Il ne leur disait rien sans parabole, mais il expliquait tout à ses disciples en particulier.

 

le semeur 

            Pour commenter cette parabole du grain jeté en terre et qui pousse tout seul, la Bible de Jérusalem écrit en note : « Le Royaume de Dieu porte en lui-même un principe de développement, une force secrète qui l’amènera à son complet achèvement ». Or, « le Royaume de Dieu est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17). Dire « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume » (Lc 12,32), et dire « Dieu vous a fait le don de son Esprit Saint » (1Th 4,8), c’est dire la même chose… Ce grain « jeté en terre et qui pousse tout seul », c’est la Parole de Dieu à laquelle se joint toujours le Don de l’Esprit Saint (Jn 3,34), « le Don de Dieu » (Jn 4,10), ce Don absolument gratuit qui nous est sans cesse proposé, tels que nous sommes. Il vient en effet de Celui qui est « un Soleil, qui donne la grâce », « l’Esprit de la grâce » (Hb 10,29), « qui donne la gloire » (Ps 84(83),12), « l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu » (1P 4,14). « Le Père qui est aux Cieux fait » ainsi « lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45), et cela gratuitement, par amour de tous les hommes qui sont tous ses enfants « créés à son image et ressemblance » (Gn 1,26-28).

            Sa Lumière frappe ainsi doucement, discrètement mais fidèlement à la porte des cœurs fermés en les suppliant, jour après jour, de se repentir, de se détourner du mal pour se tourner de tout cœur vers Lui… Ils pourront alors accueillir, enfin, pour leur vrai bonheur, pour une vie en Plénitude, ce qui leur était déjà donné… Et les hommes de bonne volonté, vrais, loyaux, sont, eux, déjà comblés de sa Paix : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » (Lc 2,14).

            « Le Père des Lumières » (Jn 1,17), ce « Soleil qui donne la gloire », est aussi « le Père des Miséricordes » (2Co 1,3) qui, par son Fils, ne cesse de se proposer à nos ténèbres pour les remplir de sa Lumière, et nous entraîner avec lui sur un Chemin de Lumière. « Moi, lumière, je suis venu dans le monde pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12,46), mais « ait la lumière de la vie » (Jn 8,12). « Jadis vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur ; conduisez-vous en enfants de lumière ; car le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité » (Ep 5,8-9). Le grain de la Parole et de l’Esprit, jeté dans la terre de nos cœurs, donnera alors son fruit…                                                                                               DJF