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Le Saint Sacrement par le Diacre Jacques FOURNIER (7 juin)

« Le sang de la Vie » (Mc 14,12-16.22-26)

Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? »
Il envoie deux de ses disciples en leur disant : « Allez à la ville ; un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre. Suivez-le,
et là où il entrera, dites au propriétaire : “Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?”
Il vous indiquera, à l’étage, une grande pièce aménagée et prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs. »
Les disciples partirent, allèrent à la ville ; ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.
Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. »
Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous.
Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude.
Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »
Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.

ST SACREMENT 1

 

Le jour de la Préparation de la fête de Pâque, on immolait au Temple de Jérusalem les agneaux qui allaient être mangés le soir, lors du repas pascal. A travers tous ces rites, le Peuple d’Israël se rappelait sa sortie d’Egypte. Dieu les avait alors libérés de la souffrance de l’esclavage pour les conduire, par son serviteur Moïse, vers « l’heureux pays » de la liberté et de l’abondance (Dt 1,25). Et toute cette histoire d’Israël disait, en actes, ce que Dieu veut pour tout homme : qu’il soit délivré du mal, qui ne peut, finalement, que le plonger dans la souffrance (Rm 2,9), pour lui permettre de pouvoir partager sa Plénitude de Paix et de Joie (Jn 14,27 ; 15,11)…

Pour St Marc, le dernier repas de Jésus avec ses disciples est « son repas pascal ». Et c’est à cette occasion qu’il instituera l’Eucharistie : « Prenez, ceci est mon corps… Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance répandu pour la multitude » (Mc 14,22-25). Jésus est donc l’Agneau pascal par excellence. Son unique sacrifice offert pour tous les hommes de tous les temps leur « obtiendra une libération définitive » des forces du mal. « Son sang purifiera notre conscience des actes qui mènent à la mort pour que nous puissions célébrer le culte du Dieu vivant » (Hb 9,14). Et telle sera l’œuvre de l’Esprit donné en surabondance à chaque Eucharistie : « C’est l’Esprit qui vivifie. La chair » et le sang « ne servent de rien » (Jn 6,63)… Purifiés par l’Esprit, nous goûterons alors de son fruit et il est « Amour, Joie, Paix » (Ga 5,22). Et dans l’action de grâce pour ce bonheur reçu, nous pourrons, par la Force de ce même Esprit, offrir à notre tour notre vie pour Dieu et pour nos frères…

Tel est le fruit du « sang de l’Alliance répandu pour la multitude ». Cette expression n’apparaît qu’une fois dans l’Ancien Testament (Ex 24,8) lors du rituel de conclusion de l’Alliance entre Dieu et son Peuple. Dieu lui a donné « les Dix Paroles » (Ex 20). Le Peuple a manifesté son désir de lui obéir : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons ». Moïse recueille alors le sang de jeunes taureaux offerts en « sacrifice de communion » et en verse la moitié sur l’autel, qui représente Dieu. Puis, au « Oui ! » d’Israël, il les aspergera du sang restant… Un même sang repose donc sur l’autel (Dieu) et sur le Peuple. Or « le sang, c’est la vie » (Lv 17,11). Une même vie les unit désormais… Jésus, en s’offrant tout entier, poursuivra le même but (Jn 6,32-63)…  

D. Jacques Fournier 

          



Le Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ, par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 7 juin 2015

 

Exode 24, 3-8 (« Voici le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous « ) 

Sur le Sinaï, Dieu vient de confier à Moïse sa Loi. Elle sera la base de l’Alliance. Moïse communique donc au peuple « les paroles », c’est-à-dire le Décalogue (Exode 20, 1-17) et « ses commandements », c’est-à-dire le Code de l’Alliance qui couvre Exode 21 – 23. Le peuple proclame son adhésion. Puis Moïse rédige ces lois. Selon le verset 12, c’est Dieu qui les écrit. Dans les alliances, chacune des deux parties devait déposer un exemplaire du pacte.
  Le lendemain, après cette célébration de la Parole, une somptueuse liturgie scelle l’alliance. L’autel symbolise la présence de Dieu, et les douze pierres disent la présence ferme et durable du peuple élu (comparer Josué 4, 1-3). Les « jeunes garçons », aînés des familles israélites, avaient un rôle sacerdotal, avant l’institution des prêtres. Ils offrent ici les sacrifices traditionnels.
  Mais c’est Moïse, médiateur de l’Alliance, qui exécute le rite du sang. Son geste ne correspond à aucun type de sacrifice connu. Par son contact avec l’Autel, signe de la présence du Seigneur, le sang prend sa valeur de vie (cf. Deutéronome 12, 23). Aspergé de ce sang, le peuple communie désormais à la vie de Dieu, pour autant qu’il sera fidèle aux clauses de l’Alliance. « Ceci est le sang de l’Alliance », dit Moïse. Ces paroles prendront un sens inouï au soir du jeudi saint, dans la parole du Seigneur : « Ceci est mon sang de l’Alliance. » Voilà pourquoi aussi sur l’arrière-fond de cet épisode de l’Exode et sur celui de la célébration du Kippour (cf. 2e lecture), la tradition chrétienne évoque l’Eucharistie comme « l’autel de la croix ».

 

Hébreux 9, 11-15 (« Le sang du Christ purifiera notre conscience « ) 

Les destinataires chrétiens de cet écrit, à la fin du 1er siècle, s’attachaient davantage aux rites juifs qu’au Christ. L’auteur veut leur montrer la supériorité des réalités chrétiennes sur « l’ancienne Alliance » inaugurée au Sinaï. Il part de la fête du Pardon, le Yom Kippour, que décrit Lévitique 16. Ce jour-là, ce seul jour dans l’année, le grand prêtre entrait dans le Saint des Saints, centre du Sanctuaire. Médiateur, représentant d’Israël, il offrait des sacrifices pour obtenir le pardon et le renouvellement du peuple.
  Le Christ est le Temple, lieu de la présence de Dieu (cf. Jean 2, 19-22). Le grand prêtre n’entrait que dans le symbole terrestre de la demeure céleste de Dieu. Le Christ ressuscité, lui, entre dans le vrai sanctuaire, le ciel. Le Pontife devait recommencer chaque année sa démarche qui apportait au peuple le pardon. Jésus, lui, l’a accomplie « une fois pour toutes ». Représentant les pécheurs passibles de mort, le grand prêtre aurait dû s’immoler lui-même, mais ç’eût été un suicide stérile. Il n’offrait que le sang des animaux. Par sa passion, le Christ, vrai médiateur, répand son propre *sang. L’aspersion n’était qu’un geste n’atteignant pas l’intérieur du pécheur. Au contraire, la passion nous interpelle en profondeur et nous ouvre un nouvel avenir.
  Cette subtilité biblique nous déconcerte, mais son message demeure : il faut toujours passer du rite à la réalité. L’eucharistie même peut n’être qu’un rite si elle ne nous conduit pas à un renouvellement du quotidien dans la confiance envers celui qui s’est donné pour nous.
* Le sang. La médecine nous a habitués aux collectes du sang, aux performances de la transfusion sanguine. Participer à ces merveilles d’aujourd’hui, c’est déjà nous unir au Christ, « donneur universel ». Mais nous parlons aussi de sang « contaminé ». Savoir de qui l’on reçoit son sang est une question de vie ou de mort. Ainsi, l’actualité nous ramène symboliquement à la Lettre aux Hébreux, à son insistance sur la valeur purificatrice du sang du Christ. Le goutte-à-goutte de l’Eucharistie dominicale opère en nous une transfusion sans tromperie, recyclant notre être entier, par le sang du Christ..

 

Marc 14, 12-16.22-26 (« Ceci est mon corps, ceci est mon sang « ) 

Le récit de l’institution de l’Eucharistie selon Marc est simple. Il s’en tient aux paroles de Jésus sur le pain et sur la coupe. Mais l’épisode préliminaire de l’homme à la cruche donne au sacrement sa tonalité pascale.

 

Ils préparèrent la Pâque
« Ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit. » Cette scène de divination prophétique rappelle les préparatifs de l’entrée solennelle du Roi à Jérusalem (Marc 11, 1-6). Le Messie sait où il va, et la passion sera le couronnement de sa mission.
  Le mot « Pâque » revient quatre fois en cinq versets. La Cène se passera au jour où, littéralement traduit, « on immolait la Pâque ». Jésus sera l’Agneau pascal (1 Corinthiens  5, 7) dont le sang avait libéré de l’esclavage le Peuple de Dieu (Exode 12, 21-26).  « Après avoir chanté les psaumes », à savoir les psaumes, le Hallel du repas pascal juif, c’est le départ : le sens de la Pâque immolée va s’accomplir dans la passion.
  Les hésitations dans les calendriers possibles peuvent rendre douteux, pour l’historien, le fait que le dernier repas de Jésus fut vraiment un repas pascal juif. Mais, de toute façon, les évangélistes l’ont ainsi conçu et nous invitent à lire le mystère de l’Eucharistie à la lumière de la fête de la Pâque.

 

Ceci est mon corps
Jésus prend le pain et prononce la bénédiction. Il détache les bouchées qu’il distribue aux convives. Ce sont les gestes traditionnels juifs du père de famille lors des repas festifs. La bénédiction a inspiré notre prière liturgique : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain. » La bénction juive de la table voit dans le pain partagé le don de Dieu qui fait vivre les hommes et construit leur unité familiale.
  « Ceci », ce don de Dieu, dit Jésus, c’est « mon corps ». Dans l’antique culture sémitique, le corps représente l’être humain sous son aspect visible, la personne qui entre en relation avec ses frères et avec l’univers, plus encore l’individu de chair voué à devenir cadavre. Prenez ce pain comme étant ma personne qui va mourir, dit Jésus. Alors, vous découvrirez que ma mort n’est pas une fin, mais le don de Dieu qui vous fait vivre et qui soude votre unité. La parole sur le pain exprime d’abord la foi de Jésus en Dieu qui le fera vivre. Communier, c’est partager la foi de Jésus.

 

Le sang de l’Alliance
L’action de grâce sur la coupe était aussi un rite des repas de fête. Ici encore jaillit d’abord la foi de Jésus en sa résurrection, sa certitude d’entrer en ce royaume de Dieu dont il avait fait l’objet même de sa mission, ce royaume où le vin nouveau sera versé aux élus rassemblés (cf. Isaïe 25, 6-9). *Le sang, c’est la vie, source de joie. Le texte originel a cette tournure étrange : « Ceci est mon-sang-de-l’alliance ». Elle renvoie au sacrifice du Sinaï (1ère lecture). La mort du Christ fonde une autre alliance, une nouvelle manière de vivre ensemble offerte à tous, à « la multitude ». Le mot renvoie au martyre du Serviteur souffrant (Isaïe 53, 12).
  Les quatre récits de la Cène sont déjà influencés par l’expérience liturgique. Marc 14 et Matthieu 26 refléteraient les célébrations de Jérusalem, 1 Corinthiens 11 et Luc 22 feraient écho à l’eucharistie  des chrétiens d’Antioche. Nos célébrations nous rattachent à la chaîne ininterrompue de ceux qui ont choisi, dans la pratique de l’eucharistie, de vivre de la vie du Christ.
* « Le sang, c’est la vie ». L’Ancien Testament répète cette formule (Lévitique 17, 11, 14 ; Deutéronome 12, 23). Ma mort, dit Jésus, « est mon sang pour la multitude ». Communier, c’est recevoir un sang neuf, l’énergie de Dieu qui a animé l’existence de Jésus. Nous évoquons les liens du sang, une richesse et une servitude, selon les situations. Nous opposons la parenté par le sang et la parenté par alliance. Jésus, lui, parle du sang de l’alliance. Notons qu’une tradition juive ancienne caractérisait la ciconcision comme « le sang de l’Alliance ». L’Eucharistie nous lie au Christ par un lien plus vital que les liens du sang.

 

 

 

 

 

 




La Sainte Trinité par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 31 Mai 2015

 

 

Deutéronome 4, 32-34.39-40 (« C’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre ») 

Le Deutéronome, c’est-à-dire « seconde Loi », reprend des traditions déjà connues par les premiers livres de l’Ancien Testament. Il est écrit par des sages, à une époque où Israël, déjà sédentaire, vit une crise de la foi. Certains d’entre nous perdent leurs racines religieuses parce qu’ils changent de lieu et de mode de vie. De même, les Israélites se demandent si le Dieu du temps où ils nomadisaient est encore utile. Les sages doivent donc faire parler de nouveau Moïse et réveiller la mémoire de la foi : « Interroge les temps anciens ! »

  Ils rappellent les signes et les prodiges par lesquels Dieu a fait passer Israël de l’esclavage jusqu’à la Terre promise. Il n’y a pas un Dieu d’autrefois, que l’on mettrait au rebut, et de nouveaux dieux, qui seraient plus utiles. Dieu est unique, « il n’y en a pas d’autre ». Parlant « du milieu de la flamme » du Sinaï, il s’est manifesté comme le Tout Autre. Mais il leur a bel et bien parlé. Ses « exploits terrifiants » ne visaient qu’à conduire ses amis au pays de la liberté, dans la mesure où ils se sont rangés à ses commandements et à ses ordres.

  Ce Dieu est celui qui nous a parlé par son Fils, qui nous parle par son Esprit. Ses commandements visent aussi à nous conduire vers la liberté. Mais, à partir de l’Ancien Testament, la découverte de la Trinité est *une révélation progressive. 

* Une révélation progressive. « L’Ancien Testament a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils. Le Nouveau Testament a révélé le Fils et a insinué la divinité de l’Esprit. Aujourd’hui, l’Esprit vit parmi nous et il se fait plus clairement connaitre. Car il eût été périlleux, alors que la divinité du Père n’était point reconnue, de prêcher ouvertement le Fils et, tant que la divinité du Fils n’était point admise, d’imposer, si j’ose dire, comme une surcharge le Saint-Esprit » (saint Grégoire du Nazianze, 4e siècle).

Romains 8, 14-17 (« Vous avez reçu une Esprit qui fait de vous des fils ; en lui nous crions : Abba, Père ! ») 

Le mystère de la Trinité n’est pas une énigme, mais notre expérience de croyants : Dieu se situe envers nous comme Père. Son Esprit nous le révèle en refaçonnant notre être à l’image de son Fils. Pour Paul, « l’Esprit de Dieu » nous habite et se joint « à notre esprit ». Il oriente nos pensées comme un *ami particulièrement proche réussit à nous faire voir les choses à sa manière. Cet Esprit influence surtout notre façon de nous situer devant Dieu dans la liberté aimante et respectueuse qui fut celle de Jésus.

  Paul précise cette attitude par l’idée de filiation. Il songe aux grandes maisonnées antiques. S’y côtoient, d’une part, les esclaves soumis au maître, dont ils sont parfois les bâtards, et, d’autre part, les fils reconnus, libres et confiants en face du père. Ceux-là, à leur majorité, reçoivent l’héritage. Or l’Esprit fait de nous non des esclaves apeurés, mais des fils, frères du Christ. Car notre prière proclame « Abba (= « papa », en araméen), le Père », comme Jésus appelait Dieu (cf. Marc 14, 36) et comme nous le disons dans le Notre Père.

  Bref, dès à présent, grâce à l’Esprit, nous partageons la relation de Jésus avec son Père. Nous la vivrons pleinement, « dans la gloire » du Christ ressuscité, si nous acceptons de  « souffrir avec lui », pour que se vérifie notre fidélité. 

* Ami. « Une caractéristique de l’amitié, c’est d’accorder sa volonté à la volonté de l’ami (…) Observons toutefois que l’Esprit Saint ne meut pas les fils de Dieu comme des esclaves, mais comme des hommes libres. Or l’homme libre est celui qui, maître de lui-même, agit par décision personnelle, par volonté. L’Esprit Saint, lui, faisant de nous les amis de Dieu, nous incline à agir de telle sorte que notre action soit volontaire. Fils de Dieu que nous sommes, l’Esprit nous donne d’agir librement, par amour, et non servilement, par crainte » (Saint Thomas d’Aquin).

Matthieu 28, 16-20 (« Baptizez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ») 

La finale de l’évangile de Matthieu est le seul passage de l’Écriture à annoncer un baptême en la Trinité. D’ordinaire, il s’agit du baptême dans le Christ, parfois dans l’Esprit. (comparer Actes 1, 5 ; 2, 38 ou Galates 3, 27). Replaçons cette annonce trinitaire dans son cadre. 

Le rendez-vous sur la montagne 

La rencontre des disciples avec le Ressuscité se situe en Galilée, symbole du monde païen pour l’évangéliste, « sur la montagne ». Et le lecteur revoit, en fondu enchaîné, toutes les montagnes de l’évangile : celle où le démon proposait à Jésus tous les royaumes de la terre ; celle où le Maître proclamait les béatitudes ; et le mont de la Transfiguration où s’était manifestée par avance la gloire du Christ. Les disciples, qui avaient fui, se prosternent maintenant devant Jésus. Leur foi retrouvée ne se dégage pas encore du doute. Mieux que la traduction « Mais certains eurent des doutes », comprenons plutôt : » mais eux doutèrent. ‘Jésus ne fait rien pour les rassurer. Désormais, la foi reste un risque et c’est par l’engagement missionnaire que les disciples vaincront leurs doutes, en découvrant le pouvoir du Christ à travers les succès de la mission 

Le pouvoir universel du Christ ressuscité 

Daniel 7, 14 contemplait le Fils de l’homme céleste « à qui fut donné tout pouvoir ». À la fin de la Bible hébraïque, Cyrus déclarait : « Le Dieu du ciel m’a donné tous les royaumes de la terre » (2 Chroniques 36, 23). Ici, à la fin de l’évangile, nulle vision grandiose. Mais cette royauté universelle, évoquée en Matthieu 25, 31, Jésus affirme que Dieu l’en a désormais investi. Il faut en tirer les conséquences. 

Une mission universelle, concrétisée par le baptême 

« Allez faire disciples toutes les nations. » L’accent porte non sur une conquête géographique, mais sur l’ouverture à tous les groupes humains. Si Jésus a « tout pouvoir », tous les hommes pourront se fier à ce pouvoir. Pour Matthieu, la mission consiste en ceci : des disciples qui ont laissé l’enseignement de Jésus transformer leur vie partagent aux autres cette expérience.

  Cette mission aboutira à une communauté qui s’identifie par le rite d’un baptême « au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Grammaticalement, il s’agit d’une formule d’appartenance. Une seule chose unira ces gens : ils misent ensemble leur existence sur le pouvoir universel de Jésus et sur ses commandements qui se résument en une loi d’amour. Dès lors, ils appartiennent au Père, au Fils qui a révélé le vrai visage de Dieu, et au Saint-Esprit qui, dans le Jourdain, a consacré le Fils pour sa mission (cf. 3, 16-17). 

L’horizon d’une promesse 

Vous qui doutez, conclut Jésus, risquez-vous au témoignage. Vous verrez des gens inattendus demander ce baptême. Alors, vous découvrirez qu’effectivement « tout pouvoir m’a été donné » et que « Moi, avec vous Je Suis ». Le Ressuscité reste à jamais présent comme l’Emmanuel, « avec-nous-Dieu  », comme l’annonçait le début de l’évangile (cf. Matthieu 1, 23). 

  Par le baptême, nous appartenons à un Dieu que notre vie spirituelle nous révèle comme Père, Fils et Esprit. Cette Trinité n’est pas un mystère abstrait, c’est une expérience que nous découvrons par Jésus, à l’écoute de son évangile.

 




La Sainte Trinité par le Diacre Jacques FOURNIER (31 Mai)

Dieu est Trinité éternelle (Mt 28,16-20)…

En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes.
Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

 

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            Le Crédo d’Israël était : « ECOUTE, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN » (Dt 6,4). Le Nouveau Testament proclame lui aussi « le Dieu unique », soit en reprenant ce Crédo (Mc 12,29), soit par exemple, lorsque Jésus s’adresse à ses adversaires : « Comment pouvez-vous croire, vous qui ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique » (Jn 5,44). St Paul écrira lui aussi : « Nous savons qu’il n’est de Dieu que le Dieu unique » (1Co 8,4)…
            Mais, comme le précise Xavier Léon Dufour, « l’unicité de Dieu ne requiert pas sa réduction à celle d’un individu ». Telle sera la grande révélation du Nouveau Testament présentée par St Jean dès le premier verset de son Evangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu ». Le premier emploi du mot « Dieu » désigne « le Père », tandis que le second évoque le fait « d’être Dieu », c’est-à-dire de posséder pleinement ce qui est propre à Dieu et à Dieu seul, ce que Dieu est en lui-même, sa nature divine. St Jean l’évoque en trois versets : « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5).
            St Jean nous présente également les Trois Personnes divines (Jn 14,15-17) : « Si vous m’aimez », disait Jésus, « vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur », sous entendu que moi, et l’on ne peut comparer au Fils Personne divine (« Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20,28)), qu’une autre Personne divine : « l’Esprit de Vérité », l’Esprit Saint, « qui sera pour toujours avec vous, car il demeure auprès de vous ».
            Ces Trois Personnes sont toujours en face à face, tournées l’une vers l’autre, et chacune est pleinement « Dieu » au sens où chacune est pleinement ce que Dieu seul est en lui-même : Amour, Esprit, Lumière… Et nous avons toujours à bien faire la distinction entre les Personnes divines, éternellement en face à face, chacune étant la seule à être « qui » elle est, et leur nature divine qui, elle, est partagée par les Trois… Petite précision supplémentaire : les mots « Esprit » et « Saint » peuvent être employés ou bien pour former un Nom propre, et désigner ainsi une Personne divine unique, « l’Esprit Saint » ou « le Saint Esprit », ou bien en tant que simples nom commun et adjectif pour évoquer ce que Dieu est en lui-même, sa nature divine : « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), Dieu est Saint (Lv 19,2). Et voilà ce qu’il nous donne : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22).
            Et les relations qui unissent les Trois sont des relations d’Amour, le Père ayant une primauté éternelle. « Le Père aime le Fils, et il donne tout en sa main », l’engendrant ainsi en Fils éternel, « avant tous les siècles », en « Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière »… Et c’est du Don commun du Père et du Fils, dans ce même Amour, que procède l’Esprit Saint : « Il reçoit ce qui est de moi », dit Jésus (Jn 16,15), une réalité éternelle… Et l’Esprit Saint « Seigneur », vrai Dieu, sera lui aussi Amour et donc « Don éternel de lui-même ». De toute éternité, il reçoit la vie du Père et du Fils ? « Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie », qui nous donne sa vie… DJF



La Pentecôte Messe du jour par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 24 Mai 2015

 

 

Actes des Apôtres 2, 1-11 (« Tous furent remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler « ) 

Dans certains cercles juifs anciens, la Pentecôte commémorait le don de l’Alliance au Sinaï. De cette scène antique, on retrouve le bruit, le vent, le feu (cf. Exode 19, 16-19 ; 20, 18) qui accompagnent ici la venue de l’Esprit Saint. Comme Moïse était monté vers la nuée pour rapporter au peuple la Loi de Dieu, le Christ est monté au Ciel pour nous donner l’Esprit de l’Alliance nouvelle. La tempête du Sinaï avait orchestré le don de la Loi. Le « violent coup de vent » annonce le don de l’Esprit.

  Au Sinaï, selon les légendes juives, Dieu avait proposé les commandements à tous les peuples, dans les diverses langues du monde, mais Israël seul les avait acceptés. Aujourd’hui, Dieu répare cet échec. Partant du phénomène connu du « parler en langues » dans les premières Églises (cf. 1 Corinthiens 14, 2-5), Luc transforme ici l’expérience en un « parler en d’autres * langues ».

  Les auditeurs sont ici des Juifs d’origine et des païens convertis au judaïsme : leur liste comprend douze pays ; à quoi s’ajoutent des Juifs de Rome (centre du monde oblige !) et, pour finir par une pirouette littéraire, les gens des îles, à l’ouest (Crétois), et ceux du désert, à l’est (Arabes). Les douze tribus du peuple de Dieu sont symboliquement de nouveau réunies, avec leurs convertis. La mission chrétienne peut commencer, sous le souffle de l’Esprit de l’alliance nouvelle qui abolit les frontières. 

* Les langues. « Maintenant que l’Église est rassemblée par le Saint-Esprit, c’est son unité qui parle toutes les langues. Par conséquent, si quelqu’un dit à l’un de nous : “Est-ce que tu as reçu le Saint-Esprit, car tu ne parles pas toutes les langues ? ” voici ce qu’il faut répondre : “Parfaitement, je parle toutes les langues. Car je suis dans ce corps du Christ, qui est l’Église, laquelle parle toutes les langues. En effet, par la présence du Saint-Esprit, qu’est-ce que Dieu a voulu manifester, sinon que son Église parlerait toutes les langues ? ” » (Homélie africaine du 6e siècle pour la Pentecôte). 

 

Galates 5, 16-25 (« Le fruit de l’Esprit « ) 

Paul a expliqué aux Galates, d’origine païenne, qu’ils n’avaient pas à suivre la loi juive pour être d’authentiques croyants. Oui, le croyant est libre de toute loi. Mais l’Apôtre s’inquiète : « Que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme » (5, 13). Car le chrétien « vit sous la conduite de l’Esprit ».

  La foi reste une lutte. Il y a « la chair », les tendances égocentriques qui nous asphyxient et nous replient sur nous-mêmes. Il y a « l’esprit », la partie de nous-mêmes qui se laisse gouverner par l’Esprit et nous ouvre aux autres. Nous voici tiraillés entre les deux. L’emprise de la chair nous divise, nous réduit en charpie, en une quinzaine de vices ici énumérés et dont une dizaine concerent les relations à autrui. Ils sont incompatibles avec le bonheur espéré du « royaume de Dieu ». Au contraire, l’Esprit nous unifie. Car son fruit est unique : c’est l’amour, explicité en huit qualités. Ainsi, une meilleure traduction et une meilleure ponctuation seraient celles-ci : Mais le fruit de l’Esprit, c’est l’amour : joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi.

  Et face à l’amour, il n’y a pas de loi qui tienne : « En ces domaines, la Loi n’intervient pas », puisque l’Esprit nous offre, de l’intérieur, ce que la loi, de l’extérieur, ne parvient pas à réaliser. « Car toute la Loi atteint sa perfection dans un seul commandement : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Galates5, 14).

  Qu’on ne s’y trompe pas : c’est l’Esprit qui « nous fait vivre », non des règlements. Et c’est bien plus exigeant. Car, au-delà du permis et du défendu, l’Esprit nous pousse à « crucifier » notre ego pour que le Christ vive en nous (2, 20). 

 

Jean 15, 26-27; 16, 12-15 (« L’Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière « ) 

L’Esprit, Présence dans l’Absence 

Jésus a promis que l’Esprit Saint assisterait les disciples lorsqu’ils devraient défendre leur foi (par exemple en Marc 13, 11). Une chose est de l’entendre, une autre de se le rappeler, le moment venu, c’est-à-dire après le départ de Jésus. C’est après ce départ que Jean et ses disciples rédigent leur évangile. Ils ont approfondi ce que Jésus avait dit au sujet de l’Esprit. Ils s’y sont même repris à plusieurs fois. Ainsi, les deux moitiés de notre page d’évangile proviennent de deux moutures différentes. Mais elles convergent vers ceci : Souvent, parce qu’il est absent, un être aimé prend une place plus grande dans notre vie. De même, Présence de l’Absent, l’Esprit révèle mieux Jésus. Et, par là, le temps de l’Église n’a rien d’inférieur au temps de Jésus, qaund celui-ci cheminait avec les siens sur les routes terrestres.. 

L’Esprit comme Défenseur 

C’est le Christ ressuscité qui parle, déjà « d’auprès du Père », d’où il enverra *le Défenseur. Ces paroles sont écrites en un temps où, après Pâques, les disciples, en raison de leur foi, subissent la persécution de la part de leurs frères juifs. L’Esprit qu’ils reçoivent est leur Défenseur dans ce conflit. On l’appelle « Esprit de vérité », parce qu’il rend témoignage, dans la mémoire des croyants, à la vérité de ce que Jésus a révélé de Dieu en sa personne et dans ses paroles. Plus encore, il confirme que Jésus est « le chemin, la vérité (le vrai chemin) et la vie (qui mène à la vie espérée) » (14, 6). Ainsi fortifiés, les croyants auront le courage de témoigner. L’expression vous qui « êtes avec moi depuis le commencement » inclut ceux qui, bien après l’ascension de Jésus, ont cru en lui et ne veulent pas perdre la foi de leurs commencements dans la foi. 

L’Esprit comme guide vers la Vérité 

Cette seconde partie du texte provient d’un discours ultérieur, en un temps où la persécution s’estompe, mais où la foi des croyants risque de s’affadir.

  « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. » En ces « choses » à venir, ne songeons pas ici aux dogmes ultérieurs de l’Église, mais au tournant de Pâques, recul nécessaire aux croyants pour comprendre réellement Jésus.

  L’Esprit de vérité réalisera en eux ce travail. Il les « acheminera (progressivement) dans la vérité tout entière » relative à la mission et à la personne du Christ. Il n’apportera pas une nouvelle révélation dépassant celle de Jésus, comme certains l’ont voulu croire en certaines périodes de l’histoire de l’Église. Cet Esprit reprendra « ce qu’il aura entendu » de Jésus ; il le « glorifiera », le mettant davantage en lumière dans leur cœur. En même temps, il leur fera connaître « ce qui va venir ». Il ne prédira pas l’avenir, mais, à chaque génération, il nous éclairera sur la vraie manière de comprendre l’événement de Pâques, en des situations nouvelles et imprévues. « Tout ce que possède le Père est à moi », ajoute le texte. Jean a souvent souligné l’unité entre le Père et le Fils. Jésus peut donc dire que l’Esprit du Père est aussi bien le sien. L’Esprit est d’ailleurs caractérisé comme « un autre Défenseur » (Jean 14, 16), l’alter ego de Jésus.

  Selon les Actes (1ère lecture), l’Esprit lance l’Église dans la proclamation universelle de l’Évangile. Selon Paul (2e lecture), l’Esprit nous transforme par le don de l’amour. Jean, lui, traduit une grande confiance dans la capacité des communautés chrétiennes à assumer leur histoire : l’Esprit les guide et les fait aller toujours plus avant dans la découverte de Jésus, au milieu des épreuves.

 

* Le Défenseur ou « Paraclet ». « Jean est le seul à utiliser le mot « Paraclet » pour désigner l’Esprit. C’est la forme passive du verbe parakaléô : celui qui est appelé, celui qui vient au secours, celui qui est témoin de la défense… Au sens actif, c’est l’intercesseur, le médiateur, le consolateur. Dans l’évangile de Jean, le Paraclet est le témoin de Jésus, l’interprète de son message devant ses ennemis, en particulier au procès, le consolateur des disciples, en lieu et place de Jésus, l’enseignant et le guide pour les disciples et donc leur aide » (A. Marchadour, L’Évangile de Jean, p. 196).

 

 

 

 




La Pentecôte Messe du soir par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures la veille au soir Samedi 23 Mai 2015

 

Première lecture. Au choix l’un des quatre textes suivants :

 

Genèse 11, 1-9 (« On l’appela Babel, car c’est là que le Seigneur embrouilla la langue des habitants de toute la terre ») 

L’épisode de la Tour de Babel est commenté par le philosophe juif Philon d’Alexandrie sous le titre « La confusion des langues » (De Confusione Linguarum).  La légende joue sur plusieurs tableaux :

  1. Pourquoi parlons-nous des langues différentes ? La question en masque une autre : Pourquoi ne nous comprenons-nous pas entre races et cultures ? On peut bien rêver d’une langue primitive unique (quelle pauvreté ce serait !), cela ne résout rien.

  2. Dès que surgit le problème de l’incompréhension mutuelle, surgit aussi celui de la volonté de puissance : Qui imposera à l’autre sa manière de parler et d’entendre ? Et, dans la conscience du croyant, cette question : les barrières entre races et cultures ne viendraient-elles pas de notre résistance à Dieu qui, lui, préfère la diversité ? D’où, dans cette légende, l’intervention théâtrale d’un Dieu qui « brouille tout ».

  3. Surtout, Dieu n’accepte pas qu’une culture ou une nation prétende, comme atteignant le ciel, dominer toutes les autres. En l’occurrence, il s’agit de Babel, Babylone, qui fut la grande puissance du Proche Orient ancien. C’est elle que vise le récit. C’est elle que condamne Isaïe 47, 8, parce qu’elle parle comme Dieu : « Moi, sans égal ! », dit-elle.

  La Pentecôte (messe du jour, 1ère lecture) est-elle un « anti-Babel » ? Oui, parce que l’Esprit offre aux nations de se renconter dans l’Évangile du Ressuscité ! Non, parce qu’il n’y a pas de réduction à une seule langue. Les missionnaires du Christ s’adressent à chaque culture, dans le respect de sa propre langue. 

* Babel, Babylone. La tour, confectionnée de briques, de bitume et de mortier, évoque les ziggourats, édifices religieux qui, par leur hauteur extraordinaire, faisaient la fierté de Babylone, super-puissance.

 

 

Exode 19, 3-8a. 16-20b (« Le Seigneur descendit sur le sommet du Sinaï devant tout le peuple « ) 

« Le troisième mois » après la Pâque correspond à la fête juive de la Pentecôte. Certains cercles juifs du 1er siècle commémoraient en cette fête l’événement du Sinaï. Sur cette montagne, Dieu fit alliance avec son peuple en lui offrant sa Loi (Exode 19 – 24). La solennité du pacte est orchestrée par des « coups de tonnerre » (littéralement : des voix), un ébranlement, du feu. Ces éléments du récit se retrouvent dans la scène de la Pentecôte (messe du jour, 1ère lecture), mais d’autres encore. Car les légendes juives disaient que le feu dans lequel Dieu avait parlé s’était divisé en autant de flammes qu’il y a de langues dans le monde, que tous les peuples avaient entendu les commandements, mais que seul Israël avait accepté l’alliance et les préceptes proposés.

  La nouvelle Pentecôte offre une nouvelle Alliance. Dieu ne propose plus une Loi, mais le don de l’Esprit Saint que chacun pourra recevoir dans sa langue et sa culture. La Pentecôte veut rassembler tous les peuples, comme le voulait déjà la première Pentecôte, celle du Sinaï. De tous les peuples peut renaître « un royaume de prêtres, une nation sainte ».

 

 

Ézékiel 37, 1-14 (« Ossements desséchés, je vais faire entrer en vous l’esprit, et vous vivrez « ) 

Le célèbre épisode des ossements desséchés comprend deux parties : d’abord la vision d’Ézékiel, puis l’interprétation que Dieu en donne.

  Dans une vallée, lieu de « l’ombre de la mort » selon maint poème biblique, voici des os secs, réduits à l’état minéral. Pas de retour à la vie plus improbable. C’est la question primordiale : « Ces ossements peuvent-ils revivre ? » Dieu seul le sait qui, pourtant, demande le concours d’Ézékiel à qui il revient de prophétiser pour que la vie revienne. Vont se rassembler les os dispersés (« parmi les nations » ? 36, 19). Vont se couvrir de chair les « cœurs de pierre » du chapitre précédent (36, 26). Tout cela ne peut advenir que par la puissance de l’esprit de Dieu.

  L’interprétation de la vision montre que cette résurrection consiste en un retour des Juifs, ossements dispersés et enfermés dans le tombeau de leur exil à Babylone, « vers la terre d’Israël ». Cette « résurrection » a un lien étroit avec le chapitre précédent (Ézékiel 36 – cf., ci-dessus, veillée pascale) montrant que la vie rendue aux pécheurs exilés est d’abord un renouvellement moral, le don d’un esprit nouveau.

  Saint Paul éclairera cette double action de l’Esprit. D’abord, l’Esprit Saint nous renouvelle dès maintenant en insufflant en nous le souffle de l’amour (voir Galates 5, 16). Ensuite, il nous ressuscitera, à la suite de Jésus (Romains 8, 11). 

 

Joël 3, 1-5a (Sur mes serviteurs et mes servantes je répandrai mon esprit en ces jours-là) 

Dieu avait répandu son Esprit sur les Anciens qui assistaient Moïse. Mais celui-ci avait émis un vœu : « Puisse tout le peuple du Seigneur être prophète, le Seigneur leur donnant son Esprit » (Nombres 11, 29).

  D’après Joël, ce souhait va trouver son accomplissement. Hommes et femmes, jeunes et vieux, citoyens et esclaves, « toute chair » recevra l’Esprit. Ainsi, toutes les classes sociales d’Israël deviendront prophètes, dotés des songes et des visions qui, dans l’Antiquité, caractérisent la prophétie (Nombres 12, 6). Mais la merveille s’accompagnera de perturbations cosmiques redoutables annonçant « le Jour du Seigneur », le jour de son triomphe sur les forces du mal. Et lorsqu’on se sait pécheur, que faire face à ce jugement de l’univers ? Invoquer Dieu par son nom, le reconnaître comme « le Seigneur » qui seul sauve ses créatures.

  Au jour de la Pentecôte, Pierre ouvrira son discours en citant cette prophétie de Joël (Actes 2, 17-21). L’Église est un peuple de prophètes, lucides sur la marche de l’histoire. « Le Nom du Seigneur » qu’ils invoquent dans leur confession de foi est celui de Jésus le Christ (Actes 2, 36), le seul qui apporte le salut (Actes 4, 10-12). 

 

Deuxième lecture : 

Romains 8, 22-27 (« L’Esprit intercède par des gémissements inexprimables  » ) 

Le chapitre 8 de l’Épître décrit le rôle de l’Esprit dans la vie du chrétien. Ici, l’Apôtre élargit son regard à la création matérielle. Parce qu’elle est tributaire de l’usage que l’homme en fait, elle passe par de douloureux soubresauts qui conduiront à l’enfantement « d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle » annoncés par les prophètes (Isaïe 65, 17). Nous-mêmes, « nous gémissons », tendus vers une vie nouvelle. Certes, le Saint-Esprit opère en nous un renouvellement moral et nous tire de l’esclavage du péché. Mais pour passer de l’esclavage à « l’adoption », à l’état de vrais fils de Dieu, il faut que la mort soit vaincue.

  L’Esprit ne nous donne pas tout. Il nous révèle que « nous avons été sauvés », et il nous maintient dans une tension difficile et persévérante qui s’appelle « l’espérance ». Nous espérons devenir l’image que Dieu se fait de nous, et cette image est le Christ. Quand nous balbutions notre prière, l’Esprit lui-même « gémit » en nous, assistant notre faiblesse et prenant la relève du gémissement du peuple opprimé que jadis le Seigneur entendit (Exode 6, 5. L’Esprit demande en nous ce que nous ne pouvons pas nous représenter : notre ressemblance au Christ.

  L’Esprit est au début et au terme de la prière chrétienne. C’est lui qui oriente notre désir. C’est lui que nous obtenons pour devenir ce que nous demandons à Dieu.

 

Jean 7, 37-39 (« Des fleuves d’eau vive couleront « ) 

Le cadre : la fête des Tentes 

En cette fête juive d’automne, on allait puiser de l’eau à la fontaine de Siloé, symbole de la famille du Messie (cf. Isaïe 8, 6). On portait cette eau en procession jusqu’au Temple, au pied de l’autel. On signifiait ainsi que Dieu donne la vie à son peuple, par son Messie. Le prophète Ézékiel (chapitre 47) avait annoncé qu’à la fin des temps, un fleuve d’eau vive jaillirait « du côté droit du Temple ». Jésus va se présenter comme la source de l’eau vive, lui qui est le nouveau Temple (cf. Jean 2, 21). 

L’eau vive 

Selon la symbolique de saint Jean, si Jésus est « debout », c’est qu’il se présente comme le Seigneur ressuscité s’adressant aux croyants de tous les âges.

  Un prophète écrivait : « Vous tous qui avez soif, venez vers l’eau » (Isaïe 55, 1). À celui qui a soif de vivre, Jésus dit : « Qu’il vienne à moi. » On ne vient à lui que par la foi. Selon l’évangéliste, Jésus accomplit ici les prophéties, « comme dit l’Écriture ». Mais Jean ne cite aucun texte précis. Il renvoie plutôt son lecteur à tous les passages de l’Ancien Testament évoquant le don de l’eau, notamment l’épisode du rocher frappé par Moïse (Exode 17) et la prophétie d’Ézékiel évoquée plus haut.

  Pour les Juifs contemporains de Jésus, ces passages bibliques symbolisaient la Loi et la Sagesse que Dieu donne aux enfants d’Israël pour qu’ils vivent. Mais telle n’est pas l’interprétation de l’évangéliste, puisque ces « fleuves d’eau vive » jaillissent du cœur de Jésus, plus littéralement « de son ventre », c’est-à-dire du plus intime de son être. La phrase prophétise le signe suprême du Golgotha : « Un des soldats avec sa lance lui frappa le côté ; et aussitôt il en sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jean 19, 34). 

L’Esprit 

L’eau vive ne représente donc plus seulement la parole de Jésus, comme c’était le cas dans l’épisode de la Samaritaine (Jean 4, 10.14), mais il s’agit de l’Esprit donné par Dieu à ceux qui croient en Jésus.

  Et l’Évangéliste d’ajouter, selon les meilleurs manuscrits : « Il n’y avait pas encore d’Esprit ». Non point que l’Esprit n’existait pas encore, mais il ne pouvait pas encore se manifester tel qu’il nous est donné, à savoir comme l’Esprit du Christ ressuscité. Chez Jean, l’heure où Jésus est « glorifié » est particulièrement l’heure de la croix. Celle-ci manifeste jusqu’où va l’amour de Dieu pour nous : jusqu’à l’effacement total de soi. C’est dans cet effacement que jaillit l’Esprit. Il est, pour nous et en nous, présence de Jésus absent, comme l’annonçait le Seigneur : « L’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jean 14, 26).

 

 

 

 

 

 

 

 




La Pentecôte par le Diacre Jacques FOURNIER (24 Mai)

« L’Esprit de vérité vous guidera vers la Vérité toute entière (Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15) »

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement. J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.

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Jésus sait que l’heure de sa mort est désormais toute proche. Bientôt, il reviendra au Père d’où il est venu. Mais que ses disciples se rassurent : ils ne se retrouveront pas tout seuls… « Je vous enverrai d’auprès du Père le Défenseur, l’Esprit de Vérité qui procède du Père »… « L’Esprit Saint », Troisième Personne de la Trinité, sera donc là, à leurs côtés… Un peu avant, il leur avait déjà dit : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements. Moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous, l’Esprit de Vérité » (Jn 14,15-17)…

            Envoyés en mission dans le monde entier, ils auront à rendre témoignage au Christ mais là encore, ils ne seront pas seuls : « l’Esprit de vérité rendra aussi témoignageen ma faveur », leur dit Jésus. C’est notamment en agissant ainsi qu’il sera pour eux un « Défenseur », travaillant avec eux pour que l’Evangile soit accueilli, et ceci avec d’autant plus de force qu’ils pourront rencontrer des difficultés, des épreuves, des persécutions…  

            « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant, vous n’avez pas la force de les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de Vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière », c’est-à-dire vers le Mystère de Dieu Lui-même, ce Dieu qui nous a tous créés pour que nous entrions nous aussi dans son Mystère éternel de Communion (1Co 1,9), dans l’unité d’un même Esprit (Ep 4,3 ; 2Co 13,13), un Esprit (Jn 4,24) qui est tout à la fois Amour (1Jn 4,8.16), Lumière (1Jn 1,5), Vie (2Co 3,6), Paix (Ga 5,25), Joie (1Th 1,6)… Comment l’Esprit de Vérité s’y prendra-t-il donc pour « faire connaître ce qui vaainsi venir » pour chacun d’entre nous ? « Il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître »… La TOB a traduit : « Il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera ». Or, « ce qui est à moi », c’est tout ce qui fait que Jésus est « vrai Dieu » et il l’est en tant que Fils « né du Père avant tous les siècles, engendré non pas créé » (Crédo)… Autrement dit, Jésus reçoit de toute éternité du Père ce qu’Est le Père, sa « nature divine », ce qui fait qu’il est Dieu. Voilà pourquoi il peut dire : « Tout ce qui appartient au Père est à moi ». Et c’est justement « cela » que l’Esprit de Vérité nous « communiquera »…

            L’Esprit Saint « nous guidera ainsi vers la vérité tout entière, il nous fera connaître ce qui va venir » dans la mesure où il nous donnera d’avoir part dès maintenant, dans la foi et par notre foi, à ce qu’Est Dieu de toute éternité : une Plénitude d’Esprit, d’Amour, de Lumière et de Vie… Nous connaîtrons ainsi le Dieu Communion non pas de manière purement intellectuelle, mais en vivant dès maintenant ce Mystère de Communion, dans cet instant présent qui peut, grâce à Lui, prendre déjà parfois le goût d’éternité… Tel est le Trésor, la Perle de grand prix (Mt 13,44-46) qui est déjà offerte à notre foi (1Jn 2,8 ; 3,1-2 ; 5,13)… Aujourd’hui, « le Père des Miséricordes » (2Co 1,3) ne se donne pas à voir mais à vivre…   DJF                                               




L’Ascension par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du jeudi 14 Mai 2015

 

Actes 1, 1-11 (« Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva»)

Cette ouverture du Livre des Actes, lue chaque année à cette fête, assemble avec vivacité trois épisodes brefs : un prologue, un ultime dialogue, et l’enlèvement de Jésus.

1. Le prologue s’adresse à Théophile, destinataire du «premier livre», c’est-à-dire de l’évangile de Luc. Pour cet auteur, la mission du Christ a pour «commencement» son baptême par Jean. Dans l’évangile, Luc place l’Ascension au soir de Pâques. Au début des Actes, il la situe au bout de quarante jours d’apparitions qui préparent les disciples à leur mission en rappelant l’essentiel du message de Jésus : «le royaume de Dieu». Ce sont deux manières de présenter, dans le temps, un mystère qui échappe au temps. En d’autres termes, au-delà de ces incohérences chronologiques, la résurrection du Seigneur et son Ascension (Luc seul parle d’une ascension !) sont deux manières sublimes de raconter le même mystère pascal.

2. L’ultime dialogue s’articule ainsi : les Apôtres vont être baptisés dans l’Esprit Saint, comme Jésus le fut, au seuil de sa mission. Lecteurs des prophètes, ces témoins pensent que la fin des temps arrive, puisque l’Esprit revient, et que Jésus va restaurer le royaume pour Israël. Qu’ils se détrompent ! La fin des temps et de l’histoire relève de la seule décision du Père. Elle ne se calcule pas. Auparavant, l’Esprit fera d’eux des prophètes, témoins de Jésus, «jusqu’aux extrémités de la terre».

3. La scène de l’ascension est sobre : «* eux regardant il s’éleva», comme Élisée avait vu partir Élie et avait hérité de son Esprit (1 Rois 2). L’accent porte sur l’intervention des deux êtres «en vêtements blancs», des anges. Par eux, le Ciel confirme notre espérance (le Christ viendra), mais nous interdit toute attente béate et stérile.

* « Eux regardant…, à leurs yeux…, ils fixaient le ciel…, pourquoi… regarder vers le ciel…, de la même manière que vous l’avez vu. » Cinq mentions de «vision» pour treize lignes du lectionnaire. La clé de cette insistance se trouve dans la scène de l’ascension d’Élie en 2 Rois 2, 1-14, où se trouve la même insistance : Élisée recevra la plénitude de l’Esprit prophétique d’Élie s’il voit l’enlèvement céleste de son maître. Et il le voit ! Or, pour saint Luc, Jésus est le nouvel Élie. Comme Élisée hérita de l’Esprit prophétique d’Élie, de même les Apôtres hériteront, à la Pentecôte, de l’Esprit de Jésus.

 

Éphésiens 4, 1-13 (« Parvenir à la stature du Christ dans sa plénitude »)

La 1ère partie de la lettre (Éphésiens 1–3) exposait le «mystère» de Dieu, c’est-à-dire son plan de salut : par son Ascension, le Christ a reçu une stature cosmique et il réconcilie le monde avec le Père. Ce projet commence à se réaliser dans l’Église qui unit en son sein, au temps de l’Apôtre, des gens aussi opposés que des Juifs et des païens et, en notre temps, bien d’autres groupes encore.

Il reste à l’Église à devenir ce lieu de réconciliation qu’elle est déjà selon «la vocation à une seul espérance». Pour cela, qu’elle travaille d’abord à sa propre unité. Qu’elle donne au monde un témoignage de paix, dans l’unité d’un même Esprit, vibrant dans une même espérance, sous le regard du Père de tous. Et comment le peut-elle ?

Grâce à l’ascension du Christ. Ici, l’auteur reprend une lecture juive du Psaume 67 (68), 11 : Moïse «est monté sur la hauteur» (le Sinaï) ; il a entraîné à sa suite «des captifs», une désignation biblique du peuple en exode ; «il a fait des dons aux hommes» (les commandements). Mais l’Ascension de Jésus est supérieure à celle de Moïse. Ayant tout pouvoir sur l’univers, le Christ donne aux chrétiens leurs ministres (apôtres, prophètes, missionnaires [ou «évangélisateurs ). Ceux-ci aident l’Église, si elle est fidèle à sa vocation, à prendre sa place dans le monde et à former «l’Homme parfait», l’humanité adulte qui trouvera son unité dans le corps du Christ.

 

Marc 16, 15-20  (« Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu ») 

Pour savourer la richesse de cette page inspirée par Dieu, reçue comme telle par l’Église, et pour saluer l’humour (involontaire ?) du lectionnaire, il faut dire son statut particulier * d’appendice. Car, à l’origine, l’évangile de Marc s’achevait avec la peur des saintes femmes sortant du tombeau vide (cf. évangile de la veillée de Pâques B). D’ailleurs, de peur de choquer les fidèles, notre pudique lectionnaire propose pour la veillée pascale une lecture brève qui supprime Marc 16, 8 (vérifier !).

Cette nouvelle finale, lue aujourd’hui, vient d’un disciple chrétien anonyme du 2e siècle qui a complété le message de Marc en relisant les autres évangélistes, surtout saint Luc, mais aussi Matthieu et Paul. Trois aspects sont à souligner dans cette «compilation» éclairée.

La mission est une promesse toujours valable

Notre auteur organise soigneusement son discours. Pour lui, la mission chrétienne concerne le monde entier. Elle relève de l’ordre de proclamer la Bonne Nouvelle, en mettant les hommes devant un choix : « Celui qui croira…, celui qui refusera de croire. » Après l’ordre donné, viennent les conséquences de l’adhésion à l’évangile. D’une part, les croyants se trouveront eux-mêmes protégés des dangers mortels (serpents et poisons). D’autre part, ils continueront l’œuvre évangélique du Christ, en chassant l’esprit du mal et en guérissant les malades. L’Ascension du Seigneur, désormais «assis à la droite de Dieu», inaugure la réalisation de cette promesse. À l’époque où écrit cet évangéliste anonyme, les apôtres sont morts depuis longtemps. Pourtant, à ses yeux, la promesse reste valable jusqu’à nous, parce qu’il a vu que ces «signes» continuaient de s’accomplir chez les chrétiens de son temps.

La mission s’enracine dans une mémoire

Chaque expression de l’auteur s’enracine dans les évangiles qu’il a lus et qu’il réinterprète en fonction de l’Église de son temps : « Allez dans le monde entier », dit-il, en adaptant Matthieu 28, 19. Il se rappelle saint Paul insensible à la morsure d’un serpent (Actes 28, 1-6) et emprunte maints autres souvenirs aux Actes des Apôtres. Bref, «les signes» de la puissance de l’Évangile aujourd’hui ne se comprennent qu’en comparant l’histoire de ceux qui nous ont précédés dans l’apostolat.

La mission est une action de grâce

Le ton de cet évangéliste inconnu est empreint d’allégresse. Visiblement, il porte un regard émerveillé sur ce que Matthieu, Luc et Paul ont écrit et vécu au service de la mission qu’ils avaient reçu du Christ. Au fond, il se réjouit de ce que ces héros de la foi ont vécu depuis le moment où le Christ a disparu, assis désormais à la droite de Dieu (comparer Actes 2, 34). Cette disparition est le mystère que nous nommons «Ascension». L’auteur se réjouit d’une identité d’expérience entre, d’une part, ce qu’ont réalisé les apôtres qu’il n’a pas connus et, d’autre part, ce qui se vit dans l’Église pour laquelle il complète le manuscrit d’un Marc dont il juge la finale (Marc 16, 8) peut-être trop pessimiste.

À la suite de Luc (1ère lecture) et de l’auteur des Éphésiens (2e lecture), le Pseudo-Marc nous rappellerait donc que le départ du Christ est une chance extraordinaire pour que l’œuvre de Jésus prenne sa pleine dimension.

* L’appendice de l’évangile de Marc (Marc 16, 15-20). 1) On dit qu’un écrit biblique est «authentique» s’il vient bien de l’auteur que lui attribue la tradition ; par exemple si la 1ère lettre de Pierre est de la main de Pierre – ce qui, d’ailleurs, fait problème. En ce sens, on estime généralement que la finale «longue» de Marc – la page évangélique de cette messe – n’est pas authentique. 2) On dit qu’un écrit est «inspiré» si les Églises le reçoivent comme vraie Parole de Dieu, régissant la foi. 3) Selon la foi catholique, ces deux notions ne se recouvrent pas complètement : un écrit peut être «inauthentique», mais réellement «inspiré» par l’Esprit Saint. Suprême humour de la liturgie, c’est cette page d’évangile… qui n’est pas de Marc, qui est choisie pour la fête de saint Marc, le 25 avril. Pauvre saint Marc !

 

 

 




7ième Dimanche de Pâques par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 17 Mai 2015

 

Actes 1, 15-17.20a.20c-26 (« Il faut que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de la résurrection de Jésus »)

L’assemblée, après l’Ascension, prépare la Pentecôte. Le nombre « cent vingt » suppose une répartition de dix personnes autour de chacun des apôtres. Dans le judaïsme, ce groupe de dix (de sexe masculin) est le nombre minimal requis pour constituer une réunion synagogale (voir déjà Zacharie 8, 23).

La défection de Judas entraîne la nécessité de reconstituer le collège des Douze, selon la symbolique des douze tribus d’Israël (cf. Matthieu 19, 28). Pierre relit la démarche du traître à la lumière du livre des psaumes que l’on attribuait à David. Mais, aux yeux du croyant, ce livre est une prophétie de l’Esprit Saint concernant la destinée du Christ (cf. Luc 24, 44).

Puis, par la bouche de Pierre, Luc livre sa conception de l’apostolat. Sont apôtres ceux qui ont accompagné Jésus durant tout son ministère terrestre en « témoins oculaires » (Luc 1, 2) et qui, par leur prédication, deviennent « témoins de sa résurrection ». Cette définition insiste sur la continuité entre la mission terrestre de Jésus et la mission de l’Église. Elle ne concerne donc que les Douze et quelques autres, dont Matthias. Dans ce cadre et aux yeux de Luc Paul n’est pas un apôtre. Il est celui qui rejoint notre temps, de l’ère apostolique à l’ère post-apostolique. Mais ce dernier, pour légitimer sa fonction, a une conception de l’apostolat plus large (cf. Romains 1, 1-5 ; 1 Corinthiens 9, 1-2). L’Esprit Saint n’ayant pas encore été répandu, l’élection de Matthias procède par tirage au sort. Mais elle s’accompagne d’une prière, pour que le choix des hommes corresponde* à la volonté de Dieu. Il est plaisant de s’arrêter sur le nom du candidat évincé : Barsabbas signifie « fils du sabbat ». En effet, les pharisiens souhaitaient que le sabbat soit un jour de fête et que la nuit du sabbat, on fasse l’amour. Et si, par conjecture, les parents pensaient que le garçon avait été conçu un jour de sabbat, ils l’appelaient volontiers de ce nom. Un autre Basabbas (ou le même ?) est mieux honoré en Actes 15, 22.

* La volonté de Dieu. « Tous ensemble se mettent en prière : « Toi qui connais le cœur de tous les hommes, montre-nous. » C’était le moment de l’invoquer comme celui qui connaît les cœurs, car c’était à lui de faire l’élection, pas à eux. Ils parlaient avec confiance car il fallait absolument en élire un. Ils ne disent pas : Choisis, mais : Montre-nous l’élu, car ils savent que Dieu a tout décidé à l’avance. On tira au sort. Ils ne se jugeaient pas encore dignes de choisir eux-mêmes ; aussi veulent-ils être éclairés par un signe » (Jean Chrysostome).

 

1 Jean 4, 11-16 (« Qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui »)

Dimanche dernier, l’Apôtre évoquait l’amour de Dieu que manifeste la Croix. « Puisque Dieu nous a tellement aimés », vivons dans l’amour fraternel. De nouveau, L’auteur de la lettre souligne le lien entre croire et aimer.

« Voir Dieu » est impossible à l’homme, même à Moïse (Exode 33, 20). Nous voyons Dieu à travers ce que Jésus nous révèle de lui (Jean 1, 18). Cette connaissance de Dieu n’est pas un ensemble de notions, mais une expérience que l’Apôtre envisage ainsi : quand nous aimons nos frères, nous réalisons ce que Dieu attend de nous. Alors il est en nous, comme l’hôte en sa demeure, avec tout son amour et avec son Esprit.

Comme en 1 Corinthiens 12, 3, l’Esprit Saint est ici celui qui «atteste» en nous la vraie foi et nous donne d’en témoigner. Certains considéraient Jésus comme un maître ou un prophète. Mais le vrai croyant doit voir en lui le Fils de Dieu et le Sauveur du monde (cf. Jean 4, 42).

Ce texte distingue et unit deux groupes. L’expression «nous qui avons vu» évoque les apôtres qui nous ont conduits à la foi. L’expression «nous qui avons reconnu» englobe la communauté qui partage la foi des premiers témoins.

Croire vraiment, c’est aimer, nous découvrir une certaine connivence entre l’amour de Dieu et nos efforts pour aimer.

 

Jean 17, 11b-19 (« Qu’ils soient un, comme nous-mêmes »)

Cette prière solennelle conclut le testament de Jésus selon saint Jean. Chronologiquement, elle précède la Passion. Mais, chez Jean, il faut souvent dépasser le cadre temporel. Le Christ qui prie ici est déjà le Fils de Dieu conversant, dans l’intimité céleste, avec son Père. Et, dès cette 2e partie du chapitre de ce discours, il intercède pour ses disciples de tous les temps.

Père saint !

Cette invocation (Père saint, garde mes disciples) et la phrase qu’elle introduit résument ce qui va suivre. Si Dieu est saint, il exige la sainteté des siens : «Soyez saints parce que je suis saint», disait le Lévitique 19, 2. Jésus a révélé Dieu comme le Père, mais aussi comme le Saint : tel est le «Nom» que Dieu a donné à son envoyé pour qu’il le fasse connaître. Ainsi, le Père et le Fils sont «un» et c’est dans la révélation de cette unité que les disciples trouveront leur propre unité. Car, avec la Croix et la glorification du Christ, voici le temps de l’absence (que comblera la présence de l’Esprit, inséparable du Ressuscité [cf. Jean 16, 7]) en laquelle Dieu devra continuer l’œuvre qu’il avait confiée à Jésus.

Garde-les !

Pour que le Père garde les disciples de Jésus «dans son Nom», c’est-à-dire en sa propre personne qui est aussi celle du Christ, il faudra aussi qu’il les garde «du Mauvais» (ou du Mal, selon la traduction liturgique du Notre Père) qui influence «le monde». Chez Jean, souvent, «le monde» est cette partie de l’humanité qui a mis et met en échec la parole de Jésus. Les disciples, eux, ont accueilli sa parole. En ce sens, «ils n’appartiennent pas au monde». Ils sont pourtant «envoyés dans le monde» pour y poursuivre la mission du Christ.

Parmi eux, au temps de Jésus, un seul est allé «à sa perte», lui-même, sous l’influence du diable (Jean 13, 2) et c’était pour que le plan de Dieu se réalise (Jean 13, 18). Mais le Père devra les garder du Tentateur qui cherchera sans cesse à les replonger dans «le monde» de l’incroyance.

La prière de Jésus est confiante. Il se réjouit parce que, par la croix, il va vers le Père. Les disciples doivent partager sa joie, en être «comblés». Sachant ce que Jésus demande au Père pour eux, les croyants de tous les temps pourront prier par lui pour s’assurer dans leur mission de sanctification (cf. Jean 16, 24).

Sanctifie-les !

* Sanctifie-les, ou : «consacre-les.» Dieu, le «Père saint» demande et donne à la fois aux siens la sainteté, surtout s’il leur confie une mission. Or, il s’agit de l’envoi des croyants dans le monde, à la suite du Christ envoyé en ce monde. Cette sanctification s’opérera «par la vérité». La vérité est ce à quoi il faut se fier pour ne pas s’égarer. Elle se définit ici comme la parole du Père offerte aux hommes par Jésus.

La sanctification attendue se nourrit donc de la fidélité à cette parole. Mais elle est stimulée par l’exemple de Jésus. Dieu l’a sanctifié,/consacré en vue de sa mission dans le monde (Jean 10, 36). Mais Jésus peut déclarer : «Je me sanctifie moi-même», puisqu’il persévère dans sa fidélité au Père jusqu’à la Croix. Entraînés par lui, nous irons aussi jusqu’au bout sur le chemin de la sainteté.

Le chrétien d’aujourd’hui veut être pleinement «dans le monde» pour contribuer à le sauver, selon l’autre sens que l’évangéliste confère à ce mot : «Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique» ‘(Jean 3, 16). Néanmoins, cette vocation implique bel et bien, une mise à part, un regard critique sur le monde, au nom des valeurs de la Bonne Nouvelle.

Sanctifie-les. Ce verbe biblique a un sens très riche. Il signifie que Dieu consacre quelqu’un à son service, le met à part, en le distinguant pour une mission. Ainsi Jérémie (1, 5) est-il «sanctifié» dès le sein maternel. Mais, fondamentalement, quand Dieu sanctifie quelqu’un, il l’appelle à partager sa propre sainteté, à se transformer, à s’écarter de tout mal, et de toute impureté. C’est là l’honneur du peuple de Dieu, qui s’entend dire : «Vous serez saints, parce que je suis Saint» (Lévitique 19, 2).

 




6ième Dimanche de Pâques par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 10 Mai 2015

 

Actes 10, 25-26.34-35.44-48 (« Même sur les nations païennes le don de l’Esprit Saint avait été répandu»)

Ce dimanche ne garde qu’un résumé squelettique de la visite de Pierre chez Corneille. Les ciseaux liturgiques sautent notamment le discours de l’Apôtre, que nous entendons chaque année le jour de Pâques. Contentons-nous de ce découpage et relevons quatre points.

1. La rencontre est riche : Pierre n’est « qu’un homme ». Mais le fait qu’il est un homme, comme Corneille, abat la barrière qui interdisait au Juif de fréquenter le païen. Pierre « relève » le centurion et il dit : « lève-toi ». Par ces verbes résurrection, une nouvelle vie s’offre à Corneille.

2. Pour la première fois, à cause de l’accueil d’un païen, Corneille, un officier romain qui a sous ses ordres de nombreux soldats samaritains, l’Apôtre découvre que Dieu est « impartial », ne fait pas de différence entre les humains. Pierre pouvait, selon le scénario de l’auteur des Actes des Apôtres, se rappeler Deutéronome 10, 17-19 et Isaïe 56, 6-7.

3. Quand on compare Actes 11, 18, on comprend mieux la logique du récit : si l’Esprit tombe sur Corneille et les siens, c’est parce qu’ils croient et se convertissent en « écoutant la parole » de Dieu proclamée par Pierre. Selon certains théologiens d’aujourd’hui et à partir de l’épisode de Corneille, l’Esprit saint précède l’annonce de l’Évangile. C’est une manière légitime de comprendre l’histoire du salut. Mais, pour les auteurs du Nouveau Testament, au contraire, le don de l’Esprit est le résultat et le couronnement de l’écoute de la Parole (comparer Actes 2,38 et 1 Corinthiens 12, 3).

4. Luc souligne la stupéfaction des chrétiens d’origine juive qui accompagnent Pierre. Car ce qui arrive aux païens est une nouvelle Pentecôte, produisant les mêmes effets. C’est ce que souligne l’expression « tout comme nous ». Ici le don de l’Esprit précède le *baptême. Dieu montre, par ce scénario insolite, qu’il veut absolument l’entrée des païens dans son peuple. Mais le rite baptismal reste nécessaire : il montre ici que l’Église comprend le signe donné par Dieu et elle l’accepte.

* Le baptême. Pierre « donna l’ordre de les baptiser ». Cette traduction liturgique trahit Luc qui évite toujours la voix active du verbe « baptiser » (sauf en Actes 8, 38). Il écrit, littéralement, au passif : « il ordonna qu’ils soient baptisés ». Mais baptisés par qui ? Certes, Luc sait bien que c’est un ministre de l’Église qui baptise. Mais, au sens profond, c’est le Christ qui baptise, comme Jean Baptiste l’avait promis (Luc 3, 3). Luc envisage ainsi le sacrement du baptême : l’homme écoute la parole de Dieu, il se convertit. Il est baptisé par le Christ, « par le nom de Jésus Christ », qui lui obtient le pardon des péchés et lui accorde le don du Saint Esprit (voir Actes 2, 38). Car le Père, lors de l’Ascension, a remis à Jésus la plénitude de l’Esprit, et cet Esprit fait du baptisé un prophète, membre à part entière du peuple de Dieu.

 

1 Jean 4, 7-10 (« Dieu est amour»)

Sous la douceur d’un style envoûtant, Jean mène un combat acharné. Rappelons sa première grande déclaration : «Dieu est lumière» ( 1 Jean 1, 5). Il visait des chrétiens errant dans la nuit, en raison d’une foi en Jésus, qu’il juge superficielle. Il proclame à présent que «Dieu est amour». Il vise les mêmes gens qui, dans leur suffisance, méprisent leurs frères à la foi simple et profonde. Ils ne connaissent donc pas le vrai Dieu.

1) l’amour (en grec agapè) véritable «vient de Dieu» qui nous l’a donné comme on transmet la vie à ses enfants. Ainsi, l’homme qui ne sait pas aimer n’a pas l’expérience de Dieu, ne peut pas connaître Dieu. Nous ne saurons jamais traduire correctement le grec agapè. Le terme charité peut être banal, voire méprisant («je ne te demande pas de me faire la charité») ; le mot amour, certes préférable, se heurte au registre ambiant des affections saisonnières, voire à l’érotisme.

2) «Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous» cet amour qui n’est pas un sentiment variable, mais un engagement sans retour : il a envoyé «son Fils unique», son autre lui-même. Et si nous croyons en cette mission, nous sommes sauvés, nous recevons une vie pleine. Et «voici en quoi» se reconnaît le total désintéressement de Dieu : il a pris l’initiative de nous aimer alors que, pécheurs, nous ne méritions pas cet amour. Voilà pourquoi, comme l’écrivait déjà Paul (Romains 3, 25-26 et 5, 6-8), la mort du Christ équivaut à un sacrifice offert pour le pardon de nos péchés.

 

Jean 15, 9-17 (« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »)

Rappelons-le, ce discours d’adieu de Jésus au soir du jeudi saint est à la fois, sous la plume de l’évangéliste, le bilan du ministère terrestre de Jésus et le discours pascal à nous adressé, en nos jours, par le Ressuscité.

Le passage d’aujourd’hui approfondit, en fait, l’image de la vigne et des sarments (cf. dimanche dernier) en langage plus direct. À présent, du début à la fin de cette page, tout est centré sur l’amour et Jésus ne s’adresse plus qu’à ses *« amis ». Il ne parle pas de l’amour dû à tous les hommes, même aux ennemis (cf. Matthieu 5, 44-45). Il vise la relation divine et intime – et c’est un commandement – qui soude les croyants entre eux. Par là se précise ce « fruit » que produisent les sarments. De ce sublime testament pascal du Seigneur, retenons trois aspects : le primat du commandement de l’amour, un amour fondé sur le don total de soi, un amour qui seul peut faire, dans le croyant, une vie fructueuse.

Le commandement de l’amour

Normalement, on attend ici un jeu simple de réciprocité : Le Père aime Jésus, et Jésus aime le Père. Tel n’est pas le mouvement du discours. Comme dans la 1ère  lecture, l’amour qui a sa source dans le Père, est un élan, une cascade d’eau vive qui descend du Père au Fils, du Fils aux disciples, et aboutit à l’amour des disciples entre eux.

Un tel amour ne se laisse pas conditionner par les hauts et les bas de notre affectivité. On « demeure dans l’amour » ; on s’y tient parce qu’il s’agit d’un engagement total. Bref c’est un «commandement». Jésus a gardé les commandements de son Père : Dieu lui a ordonné de révéler son amour. C’est ce qu’il a fait. Il nous invite à notre tour à manifester ce même amour.

La « joie » du Christ, c’est celle d’avoir accompli sa mission. Nous devons partager sa joie (cf. Jean 14, 28 ; 17, 13) en nous aimant les autres pour poursuivre cette même mission d’amour.

Le plus grand amour

L’amour suprême, qui va jusqu’à «déposer» sa vie pour ses amis (traduction littérale), comme Jésus «déposait» symboliquement son vêtement (Jean 13, 4.12) au soir du jeudi saint, à se dessaisir de soi-même, c’est l’amour qui se révèle au Calvaire. Car, en disant «comme je vous ai aimés», c’est bien la Croix que Jésus évoque. Il ne meurt pas parce que nous sommes ses amis («ce n’est pas vous qui m’avez choisi»), mais pour faire de nous ses amis et nous le manifester. Il fait ainsi de nous ses confidents : il nous a fait connaître, dit-il, ce qu’il a appris du Père, c’est-à-dire que l’amour de Dieu n’a pas de limite. Dans l’Ancien Testament, seuls Abraham et Moïse sont déclarés «amis» intimes de Dieu (Isaïe 41, 8 ; Exode 33, 11). Ce sont désormais tous les croyants que Jésus appelle «amis». Nous conservons ce titre d’honneur si nous faisons ce qu’il nous commande, c’est-à-dire de nous aimer mutuellement, à la lumière de la Croix.

Donner du fruit

Cette conclusion ramène à l’image de la vigne et des sarments. À première vue, ce fruit serait l’amour mutuel des croyants. Mais la raison pour laquelle les chrétiens s’aiment ne vient pas de leurs affinités mutuelles. C’est leur volonté de révéler au monde la source de leur charité : l’amour infini du Père, manifesté dans la croix de son Fils. C’est pour cette mission que Jésus nous a tous choisis, en tant que croyants. Il n’est pas question, malgré la traduction, d’ «aller» en mission au loin. Selon le génie sémitique de Jean, mieux vaudrait traduire : «afin que vous vous mettiez à porter du fruit». Il reste que certains, comme Pierre (1ère lecture), ont une mission plus précise et plus large.

* Amitié… et commandement. « L’affirmation de Jésus : « Vous êtes mes amis si vous faites de ce que je vous commande » n’est paradoxale que si l’on méconnaît le lien qui unit « commander » à « amis ». En vérité, obéissance et amour vont de concert. « Je ferai tout ce que tu voudras » n’est pas une parole de subordonné, mais d’amoureux » (X. Léon-Dufour).