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5ième dimanche de Carême par P. Claude TASSIN (Spiritain)

Commentaires des Lectures du dimanche 22 mars 2015

 

Jérémie 31, 31-34  (« Je conclurai une alliance nouvelle et je ne rappellerai plus leurs péchés « )

Situons cette prophétie, peut-être la plus importante de l’Ancien Testament. Selon Jérémie, le Temple est souillé par un peuple perverti ; le roi et les sages se montrent incompétents dans leur ministère. Bref, ces institutions devaient tenir Israël fidèle aux commandements donnés jadis sur le Sinaï. Elles ont échoué et vont disparaître, avec l’exil à Babylone. Or, voici que Dieu promet une Alliance d’une nouveauté inouïe.

  La Loi exprime la volonté de Dieu. Donc, elle ne disparaîtra pas. Mais on ne la lira plus sur des tables de pierre ou des parchemins. Elle s‘inscrira dans les cœurs. L’être humain sera transformé de l’intérieur, au point que son vouloir et celui de Dieu fusionneront en une intime complicité. Certains couples n’ont pas besoin de se parler pour savoir ce que l’autre désire. De même, l’Alliance nouvelle ne nécessite plus de maîtres et d’instructeurs. Tous, dans toutes les couches sociales (des plus petits jusqu’aux plus grands ») sauront ce que Dieu attend d’eux. Dans cette ligne, saint Paul caractérisera les chrétiens, en 1 Thessaloniciens 4, 9, comme des « théodidactes » (« enseignés par Dieu »).

  Et si la prophétie n’est pas un rêve creux, elle signifie que Dieu a tiré un trait sur notre histoire passée, sur nos fautes et nos péchés. Lui seul a l’initiative. Nous-mêmes, nous n’avons pas de quoi régler la dette de notre manque d’amour.

  *Saint Paul lira Ézékiel 36, 25-27 en parallèle avec la prophétie de Jérémie. Selon lui, tout baptisé expérimente aujourd’hui cette Alliance nouvelle, par le don de l’Esprit Saint. En chaque eucharistie, nous buvons « la coupe de l’Alliance nouvelle » (1 Corinthiens 11, 25).

 * Pour saint Paul, le christianisme réalise l’alliance nouvelle, même si l’Apôtre évite cette expression qui pour les Juifs de son temps signifiait le retour à une pratique rigoureuse de la Loi de Moïse. Pour Paul, comme pour Jérémie, nous n’obéissons plus à des commandements dictés de l’extérieur. Nous suivons « la Loi de l’Esprit » (Romains 8, 2) ; la Loi, c’est l’Esprit versé dans nos cœurs. Or, l’Esprit nous pousse à aimer sans cesse davantage : « Le fruit de l’Esprit, c’est l’amour » (Galates 5, 22). Et l’amour résume toute la Loi de Dieu (cf. Galates 5, 14). La boucle est ainsi bouclée. Les commandements écrits ne sont qu’une vérification de notre fidélité aux impulsions de l’Esprit Saint.

 

Hébreux 5, 7-9  (La soumission du Christ, cause du salut éternel)

 Maigre échantillon que ces trois versets ! Car la Lettre aux Hébreux tisse une tapisserie complexe. Isoler un détail est toujours décevant. Élargissons donc notre champ de vision. L’auteur expose ceci : Aujourd’hui, Jésus ressuscité est notre grand prêtre, notre seul représentant crédible auprès de Dieu, parce qu’il a partagé en tout la fragilité de notre condition humaine.

  L’auteur évoque le « grand cri » et « les larmes » de *la prière du Christ. Le texte suggère l’agonie au jardin des Oliviers, le cri ultime sur la croix et toute la lutte du Christ pour accepter la Passion. Bref, Jésus nous représente vraiment, puisqu’il a connu notre tentation de refuser le vouloir de Dieu, par peur de la mort. Mais, par solidarité avec notre condition, il a « obéi », « bien qu’il soit le Fils », transformant en prière et supplication la révolte de l’humanité. « Il a été exaucé », non pas en échappant à la mort, mais en recevant de Dieu la résurrection (10, 12-14).

  Le Christ a donc connu « la perfection ». Dans l’Ancien Testament, ce mot résume les qualités permettant d’élire quelqu’un comme grand prêtre. Mais la Lettre aux Hébreux songe à une autre perfection : celle d’un homme qui a accepté, confiant en Dieu, la condition humaine telle qu’elle est. « Pour tous ceux qui lui obéissent », qui suivent son exemple, le salut est acquis. Cette plongée dans l’expérience humaine de Jésus rejoint ce que dit l’évangile de Jean. Celui-ci ne raconte pas la lutte de Jésus au jardin de Gethsémani, son « agonie » au sens premier du mot. Il l’anticipe dans un discours prononcé en public à Jérusalem.

 * La prière de Jésus. « Je t’exalte, Seigneur, car tu m’as relevé (Psaume 29, 2). Considérons que c’est notre Seigneur qui, dans cette humanité dont il a daigné se revêtir a pu fort bien s’approprier ces paroles du prophète. Devenir homme, c’est contracter nos faiblesses, et, devenu faible, il devait prier » (saint Augustin, Discours sur le Psaume 29).

 

Jean 12, 20-33  (« Si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit « )

Jésus vient d’entrer à Jérusalem (Jean 11, 12-19). Voici son dernier entretien public, avant l’ultime repas avec les disciples. L’intervention des Grecs permet de révéler le sens profond de la Passion, sa prodigieuse fécondité.

 Les Grecs veulent voir Jésus

 Ce sont des païens, sympathisants du judaïsme. Certains participaient aux pèlerinages à Jérusalem, comme ici lors des festivités pascales. On les appelait des « craignant Dieu ». Aller en pèlerinage se disait aussi aller « voir la face de Dieu ». Les Grecs, eux, veulent « voir Jésus ». Or, chez saint Jean, « voir », c’est croire, et croire, c’est voir vraiment (cf. Jean 12, 44-45). Ces pèlerins accomplissent une démarche de foi qui passe par les deux disciples ayant un nom grec, Philippe et André. Ils forment l’avant-garde symbolique des païens qui rencontreront le Christ grâce à la mission des disciples.

 L’heure est venue

 Témoin de ce symbole de la mission à venir, Jésus déclare que son *heure est enfin venue, l’heure glorieuse de la croix. La mise en terre du grain de blé, Jésus, est la condition d’une vie nouvelle et multipliée. L’image était parlante pour des Grecs qui connaissaient les mystères du temple d’Éleusis où l’on célébrait chaque année la mort et le renouveau de la végétation. Le croyant devra, lui aussi, se dessaisir de sa vie centrée sur lui-même, pour recevoir de Jésus la « vie éternelle » la pleine communion avec Dieu. Il s’agit de « servir » le Christ dans sa mission pour parvenir « là où il est », là où il n’a jamais cessé d’être, c’est-à-dire dans la gloire de Dieu, là où le Père « honore » ceux qui suivent son Fils.

 Agonie et Transfiguration

 L’évangile de Jean ne raconte ni la Transfiguration ni « l’agonie » de Jésus à Gethsémani. Mais il reprend ici la teneur de ces deux épisodes, à sa façon. Jésus est « bouleversé » devant la perspective de sa mort (comparer Marc 14, 34-36). Mais,  parallèle à l’expression « Que ton Nom soit sanctifié », voici la demande de Jésus : « Glorifie ton Nom », montre ta gloire, fais-toi reconnaître dans le don d’amour que je vais accomplir en ton nom.

 Comme dans l’épisode de la Transfiguration, survient la voix céleste. Elle dit, littéralement : « J’ai glorifié et je glorifierai encore. » L’absence de complément induit un double sens : Dieu s’est glorifié lui-même en donnant à Jésus d’accomplir son œuvre, il révélera par la croix de Jésus l’étendue de son amour. Mais, en même temps, c’est bien Jésus qu’il met par là en valeur.

 La révélation

 La foule ne comprend pas : est-ce un coup de tonnerre ? Un ange ? Jésus seul peut révéler le double message de Dieu : l’amour est plus fort que le Mal qui cherche à emprisonner l’homme. Est vaincu par la croix le satan, « le prince de ce monde » ou « le dieu de ce monde » (2 Corinthiens 4, 3), ces expressions symbolisant et résumant les forces néfastes, hostiles aux projets de Dieu. Par cette victoire, l’amour aspire l’humanité vers le Christ « élevé » sur la croix et « élevé » vers le Père. Mais cet amour ne se comprend, de la part du croyant, que par une expérience de dépouillement de soi à la suite du Christ, grain de blé tombé en terre : « Qui aime sa vie la perd. »

 Jésus semble avoir oublié les Grecs. Il a pourtant répondu à leur requête et à la nôtre ; nous ne pouvons pas « voir » un Jésus du passé. Comprenons plutôt « de quel genre de mort il allait mourir » (cf. Jean 18, 32). Nous devons « voir » une histoire d’amour, l’histoire de celui qui a été « élevé » pour conduire à Dieu, les Grecs, les humains de toutes les nations..

 * L’heure. Chez Jean, « l’heure » est l’heure H de notre salut, celle de la mort de Jésus sur la croix où se révèle la gloire de Dieu, la pleine mesure de son amour. C’est « l’heure » pour Jésus « de passer de ce monde à son Père » (Jean 13, 1) et d’attirer tous les hommes dans ce passage. Cette heure est toujours actuelle pour ceux qui croient que la vie nous vient de cet amour de Dieu exprimé sur le Calvaire.

 

 




5ième dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER (22 Mars)

  « J’attirerai tous les hommes à moi »

En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.
Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. »
Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus.
Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié.
Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.
Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.
Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !
Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous.
Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ;
et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

5ième carême 2

            Des Grecs, et donc des païens, désirent voir Jésus… Or, « nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44) disait-il, et « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils Unique pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,16-17), le monde entier, tous les hommes, Juifs et païens…

            Jésus voit s’accomplir, dans cette démarche des Grecs, ce projet universel de salut pour lequel il a été envoyé… « L’Heure est venue pour le Fils de l’Homme d’être glorifié »… Très bientôt, « il souffrira beaucoup, il sera rejeté par les Anciens, les Grands Prêtres et les scribes, il sera tué et après trois jours, il ressuscitera » (Lc 8,31). A Gethsémani, cette perspective le plongera dans « la tristesse et l’angoisse ». « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux mais comme tu veux » (Mt 26,36-46). St Jean ne nous rapporte pas cet épisode, mais nous avons ici un écho de ce combat intérieur que le Christ a du affronter : « Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Père, délivre-moi de cette heure ? Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » Et le Père répondra à cette supplication : « Alors, du ciel, vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore ». Et sur la Croix, c’est Lui qui donnera à son Fils de pouvoir se donner jusqu’au bout, « jusqu’à l’extrême de l’amour » (Jn 13,1), pour le salut du monde… Et il le glorifiera encore par sa résurrection en lui donnant « la gloire qu’il avait auprès de lui avant que fût le monde » (Jn 17,5)…

            Tombé en terre, le grain de blé mourra. Mais il ne demeurera pas seul. Il portera beaucoup de fruit : cette « foule immense, que nul ne peut dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue. Debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, des palmes à la main, ils crient d’une voix puissante : « Le salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le trône, et par l’Agneau »… Ils viennent de la grande épreuve » de cette vie sur la terre. « Ils ont lavé la robe de leur cœur et leur vie et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, le servant jour et nuit dans son Temple » (Ap 7,9-17).

            « Dieu veut » en effet « que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4-6). C’est pourquoi, ressuscité, le Christ continue-t-il aujourd’hui encore d’accomplir la promesse qu’il nous fait ici : « Une fois élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes »… DJF




4ième dimanche de Carême par P. Claude TASSIN (Spiritain)

Commentaires des Lectures du dimanche 15 mars 2015

 

2 Chroniques 36, 14-16.19-23  (Châtiment et pardon : l’exil et le retour)

Édité vers 300 avant notre ère, le double livre des Chroniques est une reprise des deux livres des Rois, due à une nouvelle manière de lire l’histoire. Nous découvrons ici le dernier chapitre de l’œuvre. C’est un bilan et une espérance.

L’exil

Dernier roi de Jérusalem (597-587), Sédécias partit, enchaîné, à Babylone. On égorgea ses fils devant lui, on lui creva les yeux (2 Rois 25, 6-7) et son peuple connut l’exil et l’esclavage. Selon l’auteur des Chroniques, le désastre vint d’une résistance invétérée du Peuple élu à l’égard des prophètes qui le pressaient d’abandonner l’immoralité et de réformer un culte perverti par le paganisme. Parmi ces prophètes, qui prêchaient une restauration de la justice sociale, Jérémie avait annoncé le châtiment inéluctable, mais aussi la libération ultérieure (cf. Jérémie 25, 11-12 ; 29, 10).

Le retour

Dès 539, Cyrus, roi des Perses, s’emparait de Babylone et on connaissait sa politique libérale. Dès lors, aux yeux des prophètes, il devenait clair qu’il était l’instrument choisi par Dieu (cf. Isaïe 45, 1) pour libérer son peuple. Dieu seul peut donner à qui il veut « tous les royaumes de la terre ».

Dans l’ordre des livres de la Bible hébraïque, c’est cet édit de Cyrus (en 538) qui clôt les Écritures, comme *l’accomplissement des prophéties. Dieu se servira toujours de l’histoire pour libérer son peuple, pourvu que celui-ci soit attentif aux événements.

* L’accomplissement. Le prophète Jérémie n’avait pas prévu que le roi Cyrus serait l’instrument de la libération des exilés à Babylone. Pourtant, l’auteur des Chroniques pense que Jérémie l’avait prophétisé. Même aujourd’hui, les prophètes analysent l’histoire avec les lumières de l’intelligence que Dieu leur départit. Il leur arrive d’outrepasser ces lumières. Même Jérémie s’est trompé en certaines de ses prédictions. Les prophéties s’accomplissent toujours, mais c’est à la communauté des croyants de scruter les événements de manière responsable pour découvrir comment Dieu accomplit ce qu’il dit, souvent de manière surprenante.

Ephésiens 2, 4-10  (Par grâce, Dieu nous fait revivre)

La Lettre aux Éphésiens chante le plan de Dieu : unir l’univers « sous un seul chef, le Christ » (1, 10). Ce projet se réalise dans l’Église, corps du Christ. Car celle-ci rassemble « en un seul homme nouveau » des gens naguère divisés et éloignés de Dieu (lire 2, 13-22). Selon ce texte, nous devons comprendre ce que nous avons reçu. Rendus conscients, nous traduirons dans les faits, dans notre conduite, ce qui nous est donné.

Tout est déjà fait…

Tout nous vient de l’amour de Dieu et de sa grâce souveraine, gratuite. Nous sommes sauvés ! Ce qui est arrivé au Christ – voir 1, 20-21, nous est aussi arrivé : avec lui, Dieu nous a, littéralement, « co-vivifiés », « co-ressuscités » « co-assis » dans le ciel avec le Christ. Affirmations stupéfiantes, puisque nous péchons et souffrons encore ! Mais comme, génétiquement, l’adulte est présent dans l’enfant, nous sommes comme « programmés » pour le salut par notre union au Christ, pourvu que nous nous laissions construire par l’amour de Dieu.

… pourvu que

… nous comprenions ceci : « Cela ne vient pas de vous », insiste l’Apôtre. Renversons notre logique : Dieu ne nous aime pas parce que nous agissons bien. C’est plutôt lui qui nous rend capables d’agir bien, parce que le baptême nous « crée » et nous conforme à Jésus Christ. « Dans le Christ Jésus », Dieu nous a déjà tout donné, comme l’évangile va le rappeler.

Jean 3, 14-21 (« Dieu a envoyé son Fils pour que, par lui, le monde soit sauvé»)

Cette page achève l’entretien de Jésus avec Nicodème. Mais, en fait, Nicodème a disparu de la scène. Le discours se mue en un exposé de l’évangéliste lui-même sur la mission du Fils, révélateur de l’amour infini de Dieu. D’ailleurs le lectionnaire ne donne aucune introduction signalant que c’est Jésus qui parle. C’est d’abord l’évocation de la légende du Serpent de bronze, qui trouve son sens dans la Croix. Puis vient l’affirmation de l’amour de Dieu pour le monde entier. Alors, conscients d’un tel amour, engageons-nous dans la lumière de la foi.

Le symbole du Serpent de bronze

Le légendaire *serpent de bronze, ou d’airain, « élevé » dans le désert, accordait la survie aux Hébreux révoltés contre Dieu et contre Moïse (lire Nombres 21, 4-9). De même, le Christ « élevé » sur la croix nous sauve. Dieu disait, à propos du Serpent : « Qu’ils le regardent, et ils vivront. » À travers tout l’évangile de Jean, le vrai regard est celui de la foi : celui qui ne croit pas, est celui qui ne voit rien de ce qu’il faudrait voir. Celui qui regarde avec foi le Crucifié ne guérit pas d’une morsure venimeuse : il obtient une vie éternelle.

Rappelons-nous l’importance du verbe « élever » dans l’évangile de Jean, avec son double sens : c’est sur le gibet de la croix que Jésus est élevé. Mais c’est sur ce gibet qu’il est glorieusement élevé, manifestant, par son effacement, jusqu’où peut aller l’amour de Dieu pour nous : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les humains » (Jean 12, 32). Élevé de terre au calvaire ? Élevé de terre par le retour du Ressuscité vers le Père ? Les lecteurs quelque peu familiers de l’évangile de Jean reconnaissent chez lui cette équivoque théologique calculée.

Dieu a tant aimé le monde.

L’amour qui sauve s’étend au monde entier. Ici se profile la figure d’Abraham acceptant le sacrifice d’Isaac, dans un texte répétant avec émotion « ton fils, ton unique » (Genèse 22, 2.12.16). À l’amour fidèle d’Abraham envers Dieu correspond l’amour de Dieu pour les humains. Paul faisait le même rapprochement. Dieu, écrivait-il, «n’a pas refusé son propre Fils» (Romains 8, 32 ; cf. ci-dessus, 2e dimanche, lectures 1 et 2). N’imaginons pas un Dieu cynique sacrifiant son Fils. Tout l’Évangile de Jean envisage une harmonie profonde entre, d’une part, le Père, montrant par la croix jusqu’où va son amour pour nous et, d’autre part, le Fils qui s’engage à manifester cet amour extrême (voir Jean 13, 1).

Devant un don offert, nous ne restons pas neutres. Surtout si ce don, telle une transfusion de sang, est une question de vie ou de mort. Ainsi en va-t-il de la croix. Elle invite à croire que Dieu se donne, pour que nous vivions de «vie éternelle». Bref, L’envoi du Fils ne vise pas à condamner un monde perverti. Il montre, par la croix, jusqu’où va un Dieu qui se compromet avec les hommes et meurt pour eux au lieu de punir leur refus (cf. Jean 1, 9-12).

Le jugement

Jésus ne vient pas pour juger, dit Jean. Il y a pourtant un jugement, plus décisif que le jugement dernier : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé. » Déjà nous nous jugeons lorsqu’un ami voudrait nous sortir d’un mauvais pas et que nous nous dérobons, parce qu’il faudrait avouer les erreurs qui nous ont fait chuter. Plus encore, quand nous entendons la parole du Christ, un amour s’offre à nous : « le Fils unique de Dieu », l’Unique en qui Dieu nous aime. Voilà « la lumière » offerte. Mais cette lumière est aussi un projecteur qui débusque le mal qui nous habite. Il faut avoir le courage d’abandonner nos ténèbres et ce que nous préférons cacher, pour faire enfin la vérité et nous offrir aux « œuvres » que Dieu veut accomplir en nous. Tel est le but de l’entraînement du Carême.

* Le serpent de bronze. Selon une mentalité populaire, on se protège du mal en le représentant. Ainsi, le Proche Orient ancien sculptait des amulettes en forme de serpent et censées protéger des morsures des reptiles. Dans le Temple de Jérusalem, on vénérait dans le même sens préventif un serpent de bronze. Le roi Ézékias le fit détruire, le considérant comme le signe d’une superstition païenne (2 Rois 18, 4). Avant cela et pour lui conférer un statut orthodoxe, on racontait que cette sculpture avait été façonnée par Moïse au désert. D’où la légende rapportée en Nombres 21, 4-9. Mais, plus que sur l’efficacité de cette figure, c’est sur le regard de foi, la foi dans le salut divin, qu’insistait la tradition juive, s’adressant par exemple à Dieu en ces termes : « Celui qui se tournait vers lui (le serpent) était sauvé, non par ce qu’il avait sous les yeux, mais par toi, le Sauveur de tous » (livre de la Sagesse, 16, 7).

 




3ième dimanche de Carême par P. Claude TASSIN (Spiritain)

 

Commentaires des Lectures du dimanche 8 mars 2015

Exode 20, 1-17 (La Loi fut donnée par Moïse)

Le don du décalogue, c’est-à-dire des « Dix Paroles » ou commandements, s’insère dans un scénario grandiose (cf. Exode 19, 16-25 et 20, 19) que la *tradition juive amplifiera encore. À l’origine, c’était une liste de brèves interdictions. À présent, comme en Deutéronome 5, 6-21, elles sont assorties de commentaires. Du coup, les traditions juives et chrétiennes divergent quant au découpage des dix commandements. Mais on distingue bien trois sections :

1) Il s’agit du culte à rendre au Dieu qui a libéré son peuple de l’esclavage. Désormais, c’est un partenariat exclusif. « Jaloux », aimant avec passion, Dieu n’admet pas qu’on lui mette en concurrence des faux dieux qui, eux, n’ont rien fait pour ce peuple. Certes, Dieu peut permettre les conséquences néfastes du péché sur trois ou quatre générations ; mais qu’est-ce que cela en regard de sa fidélité sur mille générations pour ceux qui lui sont fidèles !

2) Il s’agit ensuite du jour du sabbat, jour de repos consacré au Seigneur comme fête de la création faite pour la joie. Toutes les catégories sociales doivent en jouir.

3) Il s’agit enfin des droits élémentaires de la personne, « le droit à la vie, à la liberté, à l’honneur et à la propriété. Ces droits, qui peuvent être reconnus par toute conscience, sont plus que sanctionnés par Dieu : ils sont comme le signe concret du véritable rapport avec Dieu » (J. Briend).

* Une tradition juive sur le don de la Loi : « Le premier commandement qui sortit de la bouche du Saint était comme des étincelles et des éclairs et des flammes de feu ; une lampe de feu à sa droite et une lampe de feu à sa gauche, volant et s’élevant dans l’air des cieux; puis il revenait et était visible au-dessus des campements d’Israël. Il revenait et allait se graver sur les deux tables de l’alliance qui étaient placées dans la paume des mains de Moïse, en allant et venant sur elles, d’un bord à l’autre » (Targoum araméen du Pseudo-Jonathan en Exode 20, 2). On aura noté la parenté de cette légende avec le récit de la Pentecôte en Actes 2.

1 Corinthiens 1, 22-25 (« Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les hommes, mais pour ceux que Dieu appelle, il est sagesse de Dieu»)

Les chrétiens de Corinthe forment des clans autour de tel ou tel apôtre pris pour maître, en raison de ses talents oratoires (cf. 1 Corinthiens 1, 10-13). Mis au courant, Paul proteste. Lorsqu’il prêchait parmi eux, il évitait « d’avoir recours à la sagesse du langage humain ». Il s’en tenait au « langage de la croix », au message qu’est la croix (1, 17-18).

Il répartit le monde entre Juifs et Grecs (ou païens), et il insiste : les Juifs espèrent un Messie tout-puissant. Ils réclament des « signes » miraculeux, comme les pharisiens en demandaient à Jésus (cf. Matthieu 12, 38-40), une manière de ne pas s’engager, une façon de demander insolemment des preuves. Dans ce cadre, présenter un Messie crucifié est choquant. Les Grecs recherchent une sagesse, un système religieux qui coïncide avec la raison humaine fermée sur elle-même et se veut simplement conforme à la nature. Dans ce cadre, la croix voudrait dire que Dieu n’est pas rationnel ; elle serait un non-sens, si elle n’était la folie de l’amour.

Une nouvelle catégorie peut unir des Juifs et des Grecs : « ceux que Dieu appelle », c’est-à-dire ceux qui, entendant l’Évangile, acceptent que Dieu les invite à sortir de leurs idées toutes faites et confortables. Déjà dans l’expérience humaine, le sage agit parfois comme un fou pour se faire comprendre, et les faibles sont parfois plus efficaces que les forts. Rejetterons-nous le Crucifié quand il nous offre le même paradoxe ?

* Sagesse et folie. « Que conseille, très chers, la sagesse de ce monde, sinon de rechercher ce qui doit être nuisible et d’aimer ce qui doit périr, de dédaigner ce qui procure le salut, de tenir pour rien ce qui est éternel. Et c’est pourquoi, face à l’opinion contraire, le bienheureux Apôtre, prévoyant les maux futurs, déclare : Si quelqu’un parmi vous, dit-il, veut être sage, qu’il se fasse fou pour devenir sage (1 Corinthiens 3, 18) » (Faustin de Riez, moine, puis évêque, 5e siècle).

Jean 2, 13-25 (« Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai »)

Contre les autres évangélistes (cf. Marc 11, 15-17), et peut-être avec raison, Jean situe la purification du Temple au début de la mission de Jésus. L’épisode est pour lui un « signe » lié à celui des noces de Cana, quand « ses disciples crurent en lui » (Jean 2, 11). Ici, le signe du Temple produit un effet plus ambigu.

Jésus entre au Temple

Les marchands et les changeurs tiennent commerce sur le parvis du Temple, et non dans le Sanctuaire. Leur métier s’imposait. Aux pèlerins venus de loin, ils fournissaient les animaux, destinés aux sacrifices, et la monnaie spéciale du Temple écartant les pièces à l’effigie de l’Empereur païen. Nous voici aux abords de Pâques. À la différence des autres évangélistes, Jean ponctue la vie de Jésus par trois Pâques (cf. 6, 4 ; 11, 5). Pour lui, la scène a un lien avec la Pâque décisive où Jésus « passe de ce monde à son Père » (13, 1).

Un geste prophétique

Jésus estime excessif le commerce qui fait du Temple « une maison de commerce ». Mais les témoins initiés aux Écritures pouvaient s’interroger : Jérémie 7, 12-15 n’avait-il pas prédit la ruine d’un Temple corrompu ? Zacharie 14, 21 ne disait-il pas qu’en ce jour-là, « il n’y aurait plus de marchand dans la maison du Seigneur » ? Alors, Jésus prétendait-il être un prophète ? Les disciples, qui croient en Jésus, « se rappellent » le Psaume 69 [70], 10. Par là, Jésus est le juste persécuté par ses frères en raison de sa fidélité à Dieu et à sa Maison. En fait, les premiers chrétiens reliaient ce psaume à la passion de Jésus. C’est après la Résurrection qu’ils établirent un lien avec le geste de Jésus dans le Temple.

Jésus, Temple

Jésus se prétend plus qu’un prophète, puisqu’il appelle le Temple « la maison de mon Père ». D’où la demande d’un « signe » qui justifierait un tel sentiment d’autorité (comparer Marc 11, 27-33). Rappelons qu’au temps où s’écrit cet évangile, le Temple de Jérusalem a déjà été détruit. Et, pour les chrétiens d’alors, le symbole des « trois jours » et le verbe « relever » évoquent la résurrection de Jésus. Surgit ici un exemple de ce qu’on appelle « le malentendu johannique ». Les Juifs parlent du Temple matériel. Au vrai, il fallut bien plus de quarante-six ans pour achever les travaux d’agrandissement et d’embellissement entrepris par Hérode le Grand. Jésus, lui, parle de son corps ressuscité. L’évangéliste avoue que ce sens ne pouvait apparaître aux disciples que « quand il se réveilla d’entre les morts ». Car, chez Jean, le verbe « se rappeler » consiste en une démarche de foi qui relie les paroles de Jésus aux anciennes prophéties (cf. Jean 20, 9).

Un bilan mitigé

Comme Dieu, Jésus connaît le fond des cœurs. Surtout, il sait que certains sont consommateurs de signes miraculeux. Pour saint Jean, le mot « signes » est volontairement ambigu. Il désigne des gestes miraculeux, prodigieux dont se repaissent les témoins, en consommateurs, ainsi en Jean 4, 48. Le terme renvoie aussi, dans ces mêmes miracles, aux signaux par lesquels Jésus cherche à établir avec lui une relation personnelle de foi. D’où sa réflexion désabusée après la multiplication des pains : « Vous me cherchez, non pas parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et avez été rassasiés » (Jean 6, 26). Bref, les signes qu’il pose dans nos vies doivent être dépassés pour que nous le rencontrions vraiment, par la foi, dans le mystère de sa résurrection, nouvelle présence de Dieu. Saint Paul ne dit pas autre chose (2e lecture) quand il évoque à la fois le Messie crucifié et le Messie, puissance de Dieu.

Le mystère du Temple. Où Dieu habite-t-il ? Le philosophe et théologien juif Philon d’Alexandrie envisageait trois temples. Le premier est le ciel, seul lieu digne de Dieu qui est pur Esprit. Le deuxième est l’esprit du croyant, car seul, par connaturalité, cet esprit peut recevoir le pur Esprit. Enfin, le troisième est le temple matériel de Jérusalem, concédé à la piété et à l’affectivité des humains. Mais ce sanctuaire est unique, parce que Dieu est l’Unique. La communauté de Qumrân, composée de prêtres et de laïcs, se considère comme un temple vivant. Chez saint Paul, rappelons cette déclaration adressée aux chrétiens : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, c’est-à-dire que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Corinthiens 3, 16). Saint Jean fait un pas de plus, en voyant le Temple divin dans la personne du Christ. Mais l’évangéliste rejoint Paul lorsqu’il attribue à Jésus cette parole : « Celui qui demeure en moi et moi en lui et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » (Jean 15, 5).




3ième dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER (8 Mars)

Jésus, au cœur de l’Alliance Nouvelle (Jn 2,13-25)

Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem.
Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs.
Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs,
et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment.
Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? »
Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.
Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.
Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait.
Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous
et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.

3ième dimanche de carême

 

            Dans le cadre de l’ancienne Alliance, la Loi de Moïse exigeait de tout pécheur qu’il « amène au Seigneur à titre de sacrifice de réparation pour le péché commis » un bœuf, une tête de petit bétail ou deux colombes. Tout dépendait de la gravité de sa faute et de ses moyens financiers (Lv 5). Et à l’époque de Jésus, les Grands Prêtres avaient décidé de n’utiliser dans le Temple que la monnaie de la ville syrienne de Tyr, en signe de résistance à l’envahisseur romain. Avant d’acheter un animal pour l’offrir en sacrifice, il fallait donc commencer par changer sa monnaie romaine. Et toutes ces transactions étaient autant d’occasions pour s’enrichir ; les Grands Prêtres eux-mêmes percevaient un pourcentage auprès des changeurs et des vendeurs d’animaux…

            Or, « vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent » (Lc 16,13), car « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6,21). Pour que la maison de Dieu soit réellement une « maison de prière pour tous les peuples » (Is 56,7), Jésus, sans violence pour les hommes, chasse tous les animaux du Temple et renverse les tables des changeurs… « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce »…

            Mais sans animaux, plus de sacrifices, avec toute cette main d’œuvre qui s’activait à les accomplir ! C’est une vraie révolution dans la manière de servir de Dieu ! Seul reste le cœur à cœur, dans la prière… Et c’est bien ce que Jésus annonce ici prophétiquement en agissant ainsi. En effet, il est « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), et « c’est maintenant, une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour abolir le péché » par son « unique sacrifice » sur la Croix (Hb 9,26 ; 10,12). Et cette offrande est valable pour tous les hommes de tous les temps (1Tm 2,4-6). Jésus mourra d’ailleurs à l’instant même où l’on offrait au Temple de Jérusalem des milliers d’agneaux en vue de la fête de Pâque, célébrée le lendemain…

            Or, la Loi, « les Dix Paroles » (Ex 20,1-17), et le Temple de Jérusalem, étaient les deux piliers de l’Ancienne Alliance. Désormais, avec la Nouvelle Alliance instaurée par le Christ, ils laissent la place à sa Parole (Mt 5) et « au sanctuaire de son corps », comme l’écrit ici St Jean. Jésus est en effet l’unique médiateur entre Dieu et les hommes. Pour rencontrer Dieu, il s’agira désormais d’aller à lui et de se laisser introduire avec lui, par le Don de l’Esprit Saint, dans ce Temple intemporel et universel (Jn 4,21-24) qu’est ce Mystère de Communion avec Dieu dans l’unité d’un même Esprit (Ep 4,3)…      DJF




2ième Dimanche de Carême par le P. Rodolphe Emard (1° Mars)

La Transfiguration ! Si ce récit nous est donné en ce temps de Carême, c’est pour nous rappeler ce vers quoi nous cheminons : La Résurrection.

Cette transfiguration de Jésus sur la montagne du Thabor annonce bien sa Résurrection à Jérusalem mais cette transfiguration annonce aussi notre propre résurrection. Comme le Christ, nous sommes appelés nous aussi à ressusciter : « Je crois à la résurrection de la chair ; J’attends la résurrection des morts »[1] disons-nous au credo à la messe. Nous restons donc focalisés sur la Pâques du Christ dans laquelle nous sommes tous entraînés depuis notre baptême.

« Pâques » signifie « Passage » : Le passage de la mort à la vie éternelle. Notre existence connaît une série de Pâques utiles pour notre croissance humaine et spirituelle. Parmi les passages fondamentaux, nous pouvons noter la sortie du sein maternel, le passage de l’enfance à l’adolescence, le passage de l’état adulte à la maturité, l’ultime passage qu’est le dernier soupir.

Différents passages indispensables pour devenir soi-même, pour découvrir notre identité véritable. Et ces différents passages nous montrent qu’il faut sans cesse avancer ! C’est tous les jours que Dieu nous donne qu’il faut se construire en tant qu’homme, en tant que femme et on n’aura jamais fini de le faire !

Dans la vie, nous ne pouvons pas nous reposer sur nos acquis. Cela se vérifie dans le milieu professionnel où il faut sans cesse se mettre à jour par des formations permanentes.

Nous ne pouvons pas non plus nous enfermer dans nos vieux repères, dans nos vieilles sécurités pace qu’elles ne dureront pas éternellement. Viendra le jour pour tout le monde de l’ultime passage, notre mort naturelle et cela il faut le préparer. Parfois comme Pierre dans l’Evangile, nous aimerions nous éterniser dans ces lieux où nous ne sommes pas dérangés, où nous nous sentons bien mais cela n’est pas possible !

Il faut se préparer à notre rencontre avec le Seigneur, c’est pourquoi, continuellement en nous, il faut la mort de tout ce qui n’est pas authentique à notre dignité d’enfant de Dieu ; tuer le vieil homme en nous qui entache cette dignité. Et souvent, ce vieil homme qui sommeille en nous c’est cette tentation de vouloir être le seul maître de notre vie, de vouloir la mener à notre guise. On aimerait que tout se passe comme nous le voulons, selon un programme tout établi ! Mais avancer, c’est accepter que certains évènements de la vie peuvent nous échapper ! Les imprévus, les incertitudes de la vie sont réels ! Mais pour autant, nous ne sommes pas perdus car nous avons comme repère le Christ que le Père nous demande d’écouter : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » Et le moyen sûr d’entendre le Fils c’est par le biais de l’Evangile ! L’Evangile qu’on pourrait résumer par deux mots : l’amour et le pardon.

Il faut alors que meurt en nous tout ce qui est contraire à l’amour et au pardon. Et c’est ainsi que nous vivrons de véritables Pâques, de véritables renaissances ou encore de véritables transfigurations ! A chaque fois que la haine, la vengeance, la colère, la rancune laissent place au pardon, nous vivons de véritables transfigurations ! A chaque fois que l’égoïsme, l’orgueil, la jalousie laissent place au partage, nous vivons de véritables transfigurations ! A chaque fois que le mépris, la médisance, la malédiction laissent place à la bienveillance et à la bénédiction, nous vivons de véritables transfigurations ! A chaque fois que le repliement sur soi, l’intransigeance laissent place à l’ouverture au prochain, nous vivons de véritables transfigurations ! A chaque fois que le racisme, la xénophobie laissent place à la différence, à la tolérance et à l’accueil, nous vivons de véritables transfigurations ! A chaque fois enfin que le découragement, le doute, le pessimisme laissent place à l’espérance et à la foi, nous vivons là encore de véritables transfigurations !

Voilà le vrai chemin du Christ, celui de l’amour et du pardon. Le pape François dans sa lettre de Carême nous encourage sur ce chemin. Il insiste plus particulièrement sur la « mondialisation de l’indifférence » qu’il faut tuer en nous parce qu’elle blesse profondément Dieu et l’homme. Je le cite : « L’indifférence envers son prochain et envers Dieu est une tentation réelle même pour nous, chrétiens. C’est pour cela que nous avons besoin d’entendre, lors de chaque Carême, le cri des prophètes qui haussent la voix et qui nous réveille »[2].

Que le Seigneur nous aide à ne pas lâcher tous nos bons efforts que nous avons entrepris. Et le pape nous rappelle pour cela la nécessité de la prière pour avoir un cœur miséricordieux. Je termine par ses propos : « Frères et sœurs, je désire prier avec vous le Christ en ce Carême : (…) « [Seigneur Jésus] rends notre cœur semblable au tien » (…). Alors nous aurons un cœur fort et miséricordieux, vigilant et généreux, qui ne se laisse pas enfermer en lui-même et qui ne tombe pas dans le vertige de la mondialisation de l’indifférence. Avec ce souhait, je vous assure de ma prière afin que chaque croyant et chaque communauté ecclésiale parcourt avec fruit le chemin du Carême (…). Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Marie vous garde »[3].

[1] Symbole des Apôtres et Symbole de Nicée-Constantinople.

[2] Message du pape François pour le Carême 2015 « Tenez ferme (Jc 5, 8) ». 4 octobre 2014.

[3] Ibidem.




2ième dimanche de Carême par P. Claude TASSIN (Spiritain)

Commentaires des Lectures du dimanche 1er Mars 2015

 la transfiguration 1

Genèse 22, 1-2.9a.10-13.15-18 (Le sacrifice de notre père Abraham)

« Dieu mit Abraham à l’épreuve.» Épreuve barbare ! Sacrifier un fils unique ! Le Créateur de la vie, l’auteur de la promesse, se contredirait-il ?

L’auteur compose ce récit au moins mille ans après l’époque supposée d’Abraham. Il sait que son humour tragique interpellera ses lecteurs. Il sait que Dieu interdit tout sacrifice humain. Il suppose même qu’Abraham le sait. D’ailleurs, dans ce récit, Dieu empêche Abraham d’aller au bout de son obéissance. Mais alors, que veut dire notre conteur ? Deux choses essentielles

1) La naissance d’Isaac était le moyen par lequel Abraham pouvait se survivre. Or, cette naissance miraculeuse était le don de Dieu. Si Abraham refusait de sacrifier l’enfant, il se constituait en propriétaire (il est à moi !) et oubliait que c’est Dieu qui donne tout. En même temps, il ne pouvait pas penser que Dieu annulait ce qu’il avait juré. Il ne lui restait qu’à « craindre Dieu », à le respecter, à remettre entre ses mains cette situation insensée. Bien sûr, l’auteur présente ici une interprétation spirituelle, théologique, et n’entre nullement dans la psychologie du patriarche.

2) Nous devons tout à Dieu ; nous vivons par lui. C’est cela qu’exprimait le sacrifice juif de *l’holocauste. Dieu nous demande de nous offrir nous-mêmes, non pas en nous tuant, mais en cherchant à chaque instant quelle est sa volonté (voir Romains 12, 1-2). Cette disponibilité totale s’exprime dans la mise en scène tragique du sacrifice d’Isaac. Cette disponibilité, Dieu nous la rendra en retour et comme de manière symétrique dans le mystère de la Croix (2e lecture).

* Un holocauste. L’holocauste était un sacrifice dans lequel on brûlait complètement la victime. On « sacrifiait » quelque chose de grande valeur pour un paysan éleveur, un animal du troupeau. Mais en réalité, qu’offrir à Dieu qui soit digne de lui, sinon notre propre personne, et pas seulement « quelque chose » ? C’est pourquoi la tradition juive ancienne a vu dans l’attitude d’Abraham le modèle impossible et idéal de disponibilité et de confiance totales envers Dieu. En outre, cette tradition légendaire imaginait que Isaac, déjà adulte, s’offrait lui aussi volontairement. Les chrétiens verront là l’annonce du sacrifice de la croix : Dieu « n’a pas refusé son propre Fils, il l’a livré pour nous tous » (2e lecture).

Romains 8, 31b-34  (« Dieu n’a pas épargné son propre Fils»)

Depuis le début de la lettre aux Romains, Paul instruisait un procès théologique : toute l’humanité est enchaînée à une histoire qui va contre les projets de Dieu. Personne ne peut s’en sortir par ses propres forces ou ses mérites. Il nous reste à croire ardemment que Dieu veut nous sauver et qu’il l’a prouvé dans le mystère de Pâques : avec Jésus, il nous fait passer de la mort à la vie, il nous donne son Esprit d’amour. Ce procès tourne donc à l’avantage des croyants, et, dans le texte de ce jour, nous fait comparaître devant le tribunal de l’histoire :

1) « Qui sera contre nous ? » Quel témoin à charge dénoncera notre faiblesse et menacera notre foi ? Car Dieu, qui préside ce tribunal, « est pour nous », notre avocat, grâce au Christ qui « intercède pour nous ». Il nous l’a prouvé : « *Il n’a pas refusé son propre Fils » qui est tout pour lui. En permettant la croix, il montre qu’il veut nous « donner tout ».

2) « Qui accusera ? » Un juge terrestre peut seulement déclarer quelqu’un coupable ou innocent. Dieu, lui, « justifie ». Sa grâce transforme l’homme pour qu’il devienne juste.

3) « Qui condamnera ? » La condamnation est derrière nous, puisque Jésus l’a assumée en mourant pour nous. Plus encore, ressuscité, il exerce sa mission d’avocat auprès de Dieu. Sous l’horizon de cette sentence de l’amour, nous marchons confiants vers Pâques.

* Il n’a pas refusé son propre Fils. Dans l’épisode du sacrifice d’Abraham, la version araméenne de la Bible insère la paraphrase suivante : « Descendit des cieux une voix qui disait : Venez, voyez deux personnes uniques en mon univers. L’un sacrifie et l’autre est sacrifié : celui qui sacrifie n’hésite pas et celui qui est sacrifié tend la gorge. » La même paraphrase ajoute cette prière d’Abraham : « Lorsque ses fils se trouveront dans un temps de détresse, souviens-toi de la « ligature » de leur père Isaac et entends la voix de leur supplication. Exauce-les et délivre-les de toute tribulation. »

Marc 9, 2-10 (« Celui-ci est mon Fils bien-aimé »)

Chaque année, le 2e dimanche de Carême nous donne à lire le récit de la *Transfiguration de Jésus, comme une annonce de la victoire de Pâques après la route diffcile vers la croix. Le lectionnaire omet un détail : l’évangéliste situe symboliquement l’épisode « six jours après ». C’est le temps pendant lequel, avant de pénétrer dans la nuée, Moïse fut couvert, sur le Sinaï, par la gloire du Seigneur.

Les trois disciples les plus intimes, Pierre, Jacques et Jean, seront les seuls confidents de l’angoisse de Jésus à Gethsémani (Marc 14, 33-34). Ici, ils sont témoins d’une extraordinaire transfiguration du Maître. Ils ne révéleront leur expérience qu’après la Résurrection. C’est pourquoi leur récit, fruit de leur foi pascale, s’enrichit de symboles des Écritures et manifeste « ce que des yeux de chair ne peuvent voir » (saint Jean Damascène).

La transfiguration

La haute montagne qui sert de cadre n’a été identifiée au mont Thabor qu’à partir du 3e siècle. Cette montagne est plus biblique que géographique. Elle évoque le Sinaï où Moïse lui-même avait été transfiguré (cf. Exode 34, 29-35) et où Élie avait rencontré Dieu (1 Rois 19, 8-13). Dans la Bible, la blancheur resplendissante du vêtement indique que le personnage (comparer Marc 16, 5) appartient au monde céleste.

Moïse et Élie

Ils avaient tous deux rencontré Dieu. Élie était monté au ciel (2 Rois 2, 11), et Moïse aussi, selon les légendes juives. Selon les mêmes traditions légendaires, Moïse et Élie reviendraient pour préparer la venue du Messie. En outre, Moïse représentait la Loi, et Élie les prophètes. Jésus apparaît ainsi comme l’aboutissement de leur mission. Et si Marc nomme d’abord Élie, contre l’ordre normal, c’est pour insister sur la mission prophétique de Jésus.

Les tentes et la nuée rappelaient le séjour des Hébreux au désert. Mais les Juifs espéraient que la nuée reviendrait à la fin des temps et que les élus habiteraient sous des tentes célestes. Bref, Pierre croit arrivée la fête éternelle, éternelle des Tentes, une fête qui s’ouvrait six jours après la célébration des Expiations, le Yom Kippour. Mais le premier des Douze s’adresse à son « Rabbi », au Maître qu’il devra suivre en passant par la croix qu’il avait refusée (cf. Marc 8, 31-33).

La voix dans la nuée

La déclaration divine rappelle la scène du Baptême, en Marc 1, 11. Mais, « Fils de Dieu » (c’est-à-dire Roi et Messie), « bien-aimé » (comme Isaac en son sacrifice), Jésus est aussi le Prophète, le nouveau Moïse dont le premier Moïse disait : « Vous l’écouterez » (Deutéronome 18, 15). Il faudra l’écouter, lui obéir, lorsqu’il nous dira que la transfiguration que nous espérons passe par les épreuves.

Le secret

Comme souvent chez Marc, Jésus ne veut pas que l’on divulgue les signes qui le révèlent comme le Messie. On appelle ce thème « le secret messianique » : comparer Marc 1, 25, 34, 44 ; 5, 43 ; 7, 36). Jésus craint un enthousiasme intempestif qui trahirait sa mission : s’il est le Messie de Dieu, c’est par le don total de soi, signifié par la croix, et non par les manifestations d’un Christ « superstar ».

Les premiers lecteurs de Marc étaient persécutés, et nous avons aussi nos épreuves. Comme nous, ils se demandaient ce que peut bien signifier « ressusciter ». En réponse, l’évangéliste nous rappelle que le Transfiguré se montre parfois dans nos vies comme une lumière clignotante. On ne s’arrête pas à un « clignotant » : c’est une invitation à continuer la route.

* La Transfiguration et notre transfiguration. « Le Seigneur (fondait) l’espérance de l’Église en faisant découvrir à tout le corps du Christ quelle transformation lui serait accordée ; ses membres se promettraient de partager l’honneur qui avait resplendi dans leur Tête. Le Seigneur lui-même avait déclaré, à ce sujet,, lorsqu’il parlait de la majesté de son avènement : Alors les justes brilleront comme le soleil dans le Royaume de leur Père (Matthieu 13, 43). L’Apôtre saint Paul atteste lui aussi : J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que le Seigneur va bientôt révéler en nous (Romains 8, 18). Et encore : Vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ qui est votre votre vie, alors, vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire (Colossiens 3, 3-4) » (Sermon de saint Léon le Grand, pape).

 




1er dimanche de Carême par P. Claude TASSIN (Spiritain)

Commentaires des Lectures du dimanche 22 février 2015

carême 1

Genèse 9, 8-15 (Dieu fait une alliance avec l’homme)

Rappelons que, chaque année en Carême, la premier lecture des dimanches offre un parcours des grandes étapes de l’histoire du salut dans l’Ancien Testament. Ici, le déluge vient de s’achever. Bêtes et gens ont quitté *l’arche, et Noé a offert un sacrifice au Seigneur. En réponse, celui-ci établit une alliance : elle est une promesse de vie à l’adresse des hommes présents et à venir, et même des animaux.

C’est une nouvelle création : voir Genèse 9, 1.6 reprenant les expressions de la première création en 1, 27-28. Après le nettoyage par le déluge, Dieu s’engage à ne plus utiliser de tels moyens, aussi sûr que l’arc-en-ciel marque la fin des orages. Par ce signe, les hommes sauront qu’il « se souviendra » de son alliance, c’est-à-dire qu’il agira en conformité à sa promesse. Car, selon l’ordre des textes bibliques et sous le symbole de l’arc-en-ciel, c’est avec toute la création, toute l’humanité, que Dieu établit son alliance, avant de se choisir un peuple particulier, témoin et responsable de cette alliance universelle.

Cette page a été composée par un cercle de prêtres qui voulait rendre espoir aux Israélites exilés à Babylone. Ils ont subi le déluge de la déportation et leur pays a été englouti par la guerre. Mais Dieu leur promet « de ne plus ravager la Terre (d’Israël !) » ; il leur annonce un nouveau départ. Le texte révèle un Dieu qui veut la vie des hommes, des animaux et de tout le cosmos. C’est pourquoi la première alliance divine exige l’éradication de la violence entre les hommes (lire Genèse 9, 5-6). Comment Dieu accepterait-il qu’on haïsse et qu’on tue en son nom ? Le baptisé, qui a passé avec Jésus le déluge de la mort (2e lecture), sait que la promesse de Dieu est digne de foi.

* L’arche. « Les préfigurations de ce bois (de la croix) n’ont été depuis toujours que les principaux indices de ces merveilles. Regarde en effet, toi qui veux t’instruire. Est-ce que Noé sur un peu de bois n’a pas échappé, par un décret divin, avec ses fils et leurs épouses et avec les animaux de tout genre, à l’extermination du déluge ? » (saint Théodore « le studite », 8e siècle)

1 Pierre 3, 18-22 (L’eau du baptême nous sauve de nos péchés)

1) L’auteur écrit pour des chrétiens qui se sentaient exclus de la société à cause de leurs options chrétiennes, au milieu d’un environnement païen. Certains étaient tentés d’abandonner la foi pour retrouver le confort de « vivre comme tout le monde ». Cette angoisse peut troubler aujourd’hui n’importe quel nouveau converti.

2) En réponse, quel est le message de l’auteur ? Il leur cite l’exemple du Christ en qui ils se sont confiés. Jésus lui-même a été contesté, jusqu’à en mourir, par ce monde pécheur dont nous sortons à peine. Mais il a triomphé de la mort et du péché. Notre baptême nous associe à sa victoire. Retournerons-nous à un monde mauvais qui, selon le symbole du déluge (1ère lecture), est condamné ?

3) Où l’auteur puise-t-il son message ? Il recopie, en l’adaptant, un antique credo (depuis « le Christ est mort » jusque « rendu à la vie », puis « qui est monté » jusqu’à la fin). Il insère une catéchèse sur le baptême (depuis « c’est ainsi » jusque « la résurrection de Jésus Christ »). Il compare le baptême au salut des « huit personnes » traversant le déluge (Noé, sa femme, ses trois fils et leurs trois épouses), le chiffre huit étant devenu le symbole de la nouvelle création, de la résurrection (cf. Jn 20, 26). Mais quels sont ces « prisonniers » auxquels prêche le Christ ? S’agit-il de sa *descente aux enfers ? Ce message de libération annonce la mission de Jésus (évangile).

* La descente aux enfers. Le Christ est « descendu aux enfers », dit le Symbole des Apôtres, pour libérer les pécheurs d’autrefois, « ceux qui étaient prisonniers de la mort ». Il est le Rédempteur de tout le cosmos, puisqu’il en a traversé les trois étages : le ciel, la terre et le monde souterrain. Cette interprétation, inaugurée par Clément d’Alexandrie (2e s.), a sa vérité. Mais ce n’est pas ce que dit Pierre. Nourri par les légendes juives sur Génèse 6, 1-2, il dit, littéralement, que le Christ « est allé porter message aux esprits en prison ». Ces esprits sont les anges déchus qui, selon les traditions juives, poussent les hommes au mal et que Dieu a emprisonnés dans des cachots aériens. En remontant vers le Père, le Christ ressuscité leur a signifié, au passage, que leur rôle maléfique était terminé. Baptisés, nous ne nous laissons plus terrifier par la force cachée du Mal.

Marc 1, 12-15 (Jésus au début de sa mission)

Le 1er dimanche de Carême rappelle chaque année les tentations que Jésus a écartées au moment où il s’engageait dans la mission que Dieu lui confiait. Saint Augustin, dans ses commentaires des Psaumes, redira l’essentiel de la victoire du Christ : « Reconnais que c’est toi qui es tenté en lui ; et alors reconnais que c’est toi qui est vainqueur en lui. »

La tradition que Marc a reçue sur les tentations de Jésus diverge de celle, plus longue, parvenue à Matthieu et à Luc. Elle est trop courte (2 versets) pour faire une page dominicale d’évangile. C’est pourquoi la liturgie ajoute la première prise de parole de Jésus, son appel à la conversion, après qu’il ait lui-même vaincu nos tentations.

La tentation d’Adam, fils de Dieu

L’épisode suit la déclaration de Dieu entendue par Jésus lors de son baptême : « C’est toi mon Fils bien-aimé. » L’Esprit saint, reçu en ce baptême, pousse au désert ce Jésus afin que celui-ci décide en quoi il sera « fils de Dieu ». Les trois évangiles s’accordent sur ce point : c’est l’Esprit, donc l’intention divine, qui pousse Jésus au désert pour une mise à l’épreuve : quelles options prendrait pour sa mission celui qui avait reçu sa vocation et son investiture, lors de son baptême dans le Jourdain ? Bien entendu, les évangélistes envisagent l’épisode du point de vue de l’humanité de Jésus, des choix qu’il eut à faire. Le récit des tentations (Matthieu/Luc) ou de la tentation, selon Marc qui n’en explicite pas le contenu, résume commodément et par avance toutes les mkises à l’épreuve que Jésus rencontra au long de sa mission.

Dans la Bible, le désert symbolise l’épreuve, comme aussi les « quarante jours », rappelant les quarante ans de l’Exode. Mais cette épreuve vient du satan, l’adversaire assimilé par la tradition chrétienne à « l’antique serpent » (Apocalypse 20, 2) qui mit à l’épreuve Adam et Ève. D’après les légendes juives, Adam vivait en paix « parmi les bêtes sauvages », et les anges « le servaient », parce que, forcés par le Créateur, ils reconnaissaient en lui le fils et l’image de Dieu. C’est bien pourquoi, selon les mêmes légendes, le satan, ange jaloux, œuvra à sa chute. Marc envisage ici cette perspective, à la lumière de la de saint Paul, son maître en théologie (Romains 5, 12-21) : Jésus, nouvel Adam ou « anti-Adam » a vaincu la tentation d’orgueil que le premier homme n’avait pas su combattre. Désormais, à la suite de Jésus, chef d’une humanité nouvelle, et par notre conversion, nous pouvons repartir à zéro vers le règne de Dieu, au prix de cette conversion dont le Carême indique la voie. Surtout, le kérygme proclamé par Jésus apparaît dans la succession narrative comme la décision de Jésus à la suite de sa mise à l’épreuve.

Le « kérygme » de Jésus

Selon Matthieu, Jean Baptiste et Jésus proclamaient le même « kérygme », c’est-à-dire un message bref (comparer Jonas 3, 4) en forme de slogan : « Convertissez-vous, car le royaume des cieux est tout proche » (comparer Matthieu 3, 2 et 4, 17). Mais Marc sait que les deux prédicateurs n’ont pas la même conception du « règne de Dieu ». Aussi en réserve-t-il la proclamation à Jésus seul. Si le Baptiste annonçait un jugement divin sévère et imminent, Jésus annonce la venue du Règne comme une bonne nouvelle, un « évangile », pour ceux qui veulent bien changer de vie, se convertir.

Depuis le Concile, le prêtre, lors de l’imposition des cendres, peut choisir cette formule de l’évangile de Marc : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile.

Matthieu et Marc s’accordent sur le fait que, littéralement, « *le règne de Dieu s’est fait proche » ou « a fini son approche ». Marc précise : « Le temps est accompli », le temps que Dieu a fixé pour venir enfin régner sur l’humanité. C’est la frontière d’une nouvelle époque dont l’avènement est lié à l’accueil que lui fera l’homme par la foi et la conversion. Chaque fois que l’Évangile retentit à nos oreilles et nous appelle à la conversion, nous sommes placés sur cette même frontière. L’évangéliste situe le commencement de la mission de Jésus « après que Jean eut été livré ». Derrière ce drame se profile le jour où « le Fils de l’homme sera livré aux mains des hommes » (Marc 9, 31). Car la Bonne Nouvelle de Dieu passera par la Passion de son messager.

* Le règne de Dieu. « Voici que Jésus proclame que le moment est arrivé, qu’au royaume des hommes, au royaume des choses, au royaume de Satan, doit succéder le royaume de Dieu. L’attente des prophètes doit être enfin comblée, dans le peuple élu, dans toute l’humanité. La puissance divine approche et veut prendre le pouvoir, elle veut pardonner, sanctifier, illuminer, diriger et renouveler toute chose par la grâce divine. Mais sans violence, en ne faisant appel qu’à la foi et au libre don des hommes » (Romano Guardini).

 




Mercredi des Cendres par P. Claude TASSIN (Spiritain)

Commentaires des Lectures du mercredi 18 février 2015

CENDRE

 

Joël 2, 12-18 (Appel à la pénitence)

Qui a vu un paysage ravagé par les criquets comprendra le ton tragique du prophète (vers 400 avant notre ère). Joël 1 voit la campagne judéenne dévastée par les sauterelles. En Joël 2, 3-12 ces insectes deviennent une armée surhumaine qui va s’abattre sur Jérusalem. C’est le terrible « jour du Seigneur ». Il faut réagir.

1) D’abord, il faut instituer un jeûne et une *prière, revenir au Seigneur en déchirant son cœur, et pas seulement les vêtements, comme le prescrivaient les liturgies pénitentielles. Alors, voyant cela, Dieu manifesterait ses quatre qualités : il est tendre, miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour (comparer Exode 34, 6). Il reviendrait sur sa décision de sévir, et les sacrifices du Temple interrompus par le désastre pourraient alors reprendre.

2) Au repentir personnel doit s’ajouter une démarche communautaire. Elle est annoncée au son du cor, comme au jour du Grand Pardon, le Yôm Kippour (Lévitique 25, 9). Ce Kippour exceptionnel devra rassembler tout le peuple, des vieux aux nourrissons et jusqu’aux jeunes mariés nichés dans leur chambre. Les prêtres imploreront la pitié du Seigneur selon le thème suivant : si nous n’avons-nous-mêmes aucun mérite, il y va de ton honneur de mettre fin à à notre punition. Sinon les païens diront, par moquerie : « Qui donc est leur Dieu », impuissant ? Cf. Psaume 41, 4,11.

Joël a peut-être seulement imaginé ce désastre, mais il rappelle à toutes les générations de croyants que l’histoire offre de tristes surprises qui nous remettent devant la fragilité de notre vie. Il faut les devancer par le repentir personnel et communautaire. Tel est aussi le sens du carême.

* Prière, jeûne et miséricorde. « Il y a trois actes en lesquels la foi se tient, la piété consiste, la vertu se maintient : la prière, le jeûne, la miséricorde. La prière frappe à la porte, le jeûne obtient, la miséricorde reçoit. Prière, miséricorde, jeûne : les trois ne font qu’un et se donnent mutuellement la vie… Qui prie doit jeûner; qui jeûne doit avoir pitié. Qu’il écoute l’homme qui demande, et qui en demandant souhaite être écouté. Il se fait entendre de Dieu, celui qui ne refuse pas d’entendre lorsqu’on le supplie » (Pierre Chrysologue, 5e siècle).

 

2 Corinthiens 5, 20 – 6, 2 (« Laissez-vous réconcilier avec Dieu »)

Les Corinthiens ont critiqué les méthodes missionnaires de Paul et de ses coéquipiers, et celui-ci s’est expliqué. Il conclut à présent par un appel pressant à la réconciliation :

1) Les apôtres sont des ambassadeurs, en place et lieu du Christ, pour que, par eux, les chrétiens entendent l’appel de Dieu.

2) L’appel dit ceci : Soyez réconciliés avec Dieu et par lui. En fait, selon le contexte, il s’agit autant d’une *réconciliation avec Paul qu’avec Dieu.

3) Le Christ qui réconcilie est celui que Dieu a identifié au péché. Entendons que, par la croix, Jésus a subi le sort des pécheurs pour que nous nous reconnaissions, nous pécheurs, dans sa déchéance, et que nous comprenions sa solidarité avec nous. Dieu ne demande que cet aveu de notre foi pour nous considérer comme des justes à ses yeux.

4) Paul veut en venir à ceci : Corinthiens, puisque nous (les apôtres) travaillons avec lui (le Christ), votre mépris momentané pour moi s’identifiait à l’humiliation momentanée du Crucifié. Maintenant, laissez enfin agir en vous la grâce de Dieu.

5) Car, dans l’Écriture, ce « maintenant » du salut était la mission du Serviteur prophète (Isaïe 49, 8), figure du Christ et de ses envoyés.

Le carême, temps de la réconciliation, peut être aussi un temps de clarification dans les relations entre les chrétiens et leurs divers « ministres ».

* Réconciliation. C’est saint Paul qui a fait entrer le mot « réconciliation » dans le vocabulaire théologique (voir Romains 5, 8-11). Il est investi du « ministère de la réconciliation » (2 Corinthiens 5, 18), comme il est « ministre d’une alliance nouvelle » (2 Corinthiens 3, 6). Le mot grec katallagè, traduit par « réconciliation », ne désignait pas au départ une démarche impliquant deux partenaires égaux. Il évoquait, dans le domaine politique, la décision d’un souverain restituant à une cité les droits qu’elle avait perdus pour s’être révoltée contre lui. C’est d’ailleurs cette grâce dont, par l’Empereur romain, avait bénéficié la ville de Corinthe.

Matthieu 6, 1-6.16-18 (L’aumône, la prière et le jeûne comme Dieu les aime)

Toute religion a ses « piliers », des pratiques qui unissent ses membres comme des signes d’identité, faute de quoi elle ne serait qu’une idéologie informe. L’islam a ses cinq piliers, expansion des trois piliers du judaïsme : l’aumône, la prière et le jeûne.

La « justice » authentique

Dans l’Église de Matthieu, les chrétiens d’origine juive tenaient à ces trois piliers. Le Sermon sur la montagne en confirme la valeur. Il les appelle, littéralement et en résumé, « votre justice  », c’est-à-dire, au sens religieux du mot, votre manière de vous comporter et d’agir, pour que Dieu vous considère comme des justes à ses yeux. Mais il en définit les conditions d’application. Cette justice cherche l’amitié de Dieu. C’est donc le Père que l’on prendra à témoin de ces trois pratiques. En son jugement final, lui seul nous dira si nous avons agi comme il l’attendait de nous. Mais si l’on veut prendre les gens à témoin de ce que l’on fait de bien, alors qu’on se contente de l’appréciation des gens, et qu’on ne cherche pas d’autre récompense, car on a perverti toute l’affaire. Ceci vaut pour les trois piliers.

L’aumône

Chez les Juifs anciens, l’aumône n’est pas la pièce jetée négligemment au mendiant. Elle joue le rôle de nos institutions d’assistance et de solidarité sociale. On l’appelait « [acte de] justice », un terme qui est passé en arabe dans le Coran. Une riche spiritualité s’était développée autour de ce thème, à savoir, notamment, que l’aumône attire le pardon de Dieu sur celui qui l’exerce. Jésus ne la renie pas ; il en dénonce seulement le caractère ostentatoire chez certains : les dons faits en pleine rue, les « coups de trompette » lors de quêtes fructueuses à la synagogue.

La prière

S’agissant de la *prière personnelle, Matthieu raille deux cas : ceux qui s’arrêtent pile au carrefour pour accomplir à l’heure requise l’une des trois prières quotidiennes prescrites ; ceux qui sont debout tout seuls dans la synagogue pour faire leur prière (tandis que les autres, assis, écoutent les lectures ?). Jésus ne récuse pas la prière en commun. Il dénonce seulement les simagrées d’une piété qui perdrait la spontanéité de l’enfant rejoignant le Père au fond de la maison pour se confier à lui. La liturgie saute ici le texte du Notre Père (versets 7-13), modèle de la prière communautaire et personnelle, et dont les dernières demandes (Donne-nous aujourd’hui notre pain…) auraient paru trop intimes aux scribes de la synagogue.

Le jeûne

Dans l’Ancien Testament, jeûner était un signe de deuil en général, de supplication lors des désastres nationaux. Mais les pharisiens comprirent que le vrai désastre était le péché. Aussi jeûnaient-ils deux fois par semaine (cf. Luc 18, 12). Bien, dit Jésus ! Mais ôtez donc ces signes de deuil (ne pas se laver, ne pas se parfumer) qui, en fait, servent à vous faire bien voir des gens.

Jésus assure l’avenir de ces pratiques, mais d’après les critiques de l’évangile de Matthieu, dans le sens de la discrétion : c’est affaire d’intimité avec le Père. C’est la piste que l’Église propose au seuil du carême. Mais, pour critiquer avec justesse ces pratiques, il faut commencer par les observer.

* Une prière personnelle. « Beaucoup se rendent à l’église, y récitent des milliers de formules de prières ; et quand ils en sortent, ils ne savent pas ce qu’ils ont fait ; ils ont fait mouvoir leurs lèvres, mais n’ont pas eux-mêmes compris ce qu’ils disaient. Toi, donc, qui n’entends point ta propre prière, comment veux-tu que Dieu entende ta prière ? (…) Si tu es hors de l’église, prie et dis « Prends pitié ! » Fais-le, non seulement des lèvres, mais aussi du cœur. Dieu écoute aussi ceux qui se taisent. Il ne demande pas un endroit de prière, il demande un mouvement de l’âme. Tu es le temple de Dieu, ne va pas chercher un endroit, il faut uniquement un mouvement de volonté » (saint Jean Chrysostome).

 




6ième dimanche ordinaire B par P. Claude TASSIN (Spiritain)

Commentaires des Lectures du dimanche 15 février 2015

Livre des Lévites 13, 1-2.45-46 (La loi ancienne sur les lépreux)

Les chapitres 11 – 16 du livre du Lévitique développent les règles sur le pur et l’impur. Ce registre englobe aussi bien le classement des animaux propres et impropres à la consommation que la réglementation des rapports sexuels, mais aussi les maladies apparentées à *la lèpre (Lévitique 13). Le mot recouvre ici diverses affections cutanées et s’étend jusqu’à la moisissure des maisons et des tissus. Il revient aux prêtres (Aaron, ses fils, ses successeurs) de déterminer la gravité des cas (versets 3-44), non point tant comme comme médecins que comme dépositaires des lois sur le pur et l’impur. Il leur revient aussi de réintégrer le lépreux guéri par un rituel approprié (Lévitique 14, 1-32).

Le lépreux déclaré tel prend l’accoutrement des gens en deuil (vêtements déchirés, pilosité non soignée). Il se retire de la cité et avertit à haute voix de son impureté ceux qui risqueraient de le toucher. Ces mesures indiquent la difficulté à enrayer la contagion présumée et veulent protéger la communauté. Mais la notion d’impureté déborde cet aspect médical.

Est impur, rituellement et non moralement – mais la distinction s’avérait fragile pour des esprits peu éclairés ! – ce qui atteint l’intégrité physique, ce qui touche la mort, ce qui est déperdition vitale et qui, attentant à la sainteté rituelle du Peuple saint, interdit l’accès au Temple du Dieu saint. Cette impureté n’est pas un péché. Par exemple, si le contact avec un cadavre rend impur, c’était un devoir moral que de se rendre impur pour ensevelir les morts. Voir l’incident raconté en Tobie 2, 1-5 Il reste que cette notion de pureté pouvait élever des barrières sociales injustes que Jésus a contestées, dès sa guérison du lépreux (évangile).

* La lèpre. Jusqu’aux 16e -17e siècles où l’on savait pas soigner les lèpreux, reclus dans les « maladreries », certaines églises de France connaissaient encore un rituel de mise en isolement des lépreux. Pour cette triste cérémonie, on prenait les lectures bibliques soit de la messe de Requiem, soit celles des « confesseurs de la foi », parce que la maladie assimilait le lépreux à la Passion du Seigneur (ainsi dans le rituel d’Amiens).

 

1 Corinthiens 10, 31 – 11, 1 (Ne scandaliser personne)

Ces versets de Paul peuvent paraître énigmatiques. Il faut en reprendre le contexte socioreligieux.

Le chrétien pouvait-il acheter de la viande qui avait d’abord été offerte aux dieux païens ? Pouvait-il en manger dans l’annexe d’un temple, si un ami païen l’y invitait ? À ces questions des Corinthiens, Paul a répondu depuis le chapitre 8 de l’épître, avec de multiples nuances. Dans sa conclusion, il pose à présent les jalons de la vraie liberté chrétienne.

Une liberté totale, sous le rgard de Dieu…

Quoi que nous fassions, « manger, boire ou n’importe quoi d’autre », faisons-le « pour la gloire de Dieu », pour que Dieu soit honoré et reconnu à travers notre comportement. En passant, l’Apôtre fait allusion à la bénédiction juive de la table, qui rend gloire à Dieu pour la nourriture reçue de lui, d’où qu’elle vienne.

… dans le respect des diverses sensibilités

Gardons-nous d’imposer nos vues, et d’être un obstacle pour le cheminement de foi des autres ; respectons les diverses sensibilités : celles des chrétiens d’origine juive et celles chrétiens d’origine païenne, et aidons le projet de « l’Église de Dieu » qui cherche à rassembler les différents courants qui l’habitent.

Au prix de certains renoncements personnels

L’Apôtre s’adapte à tout le monde (cf. 1 Corinthiens 9, 19-23), crucifiant en quelque sorte son intérêt personnel au profit de « la multitude des hommes » parce qu’il veut leur salut. Pour lui, tout homme est « ce frère pour qui le Christ est mort » (1 Corinthiens 8, 11). La vraie liberté se donne pour but le service de l’autre : « Que (votre) liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair ; mais par la charité mettez-vous au service les uns des autres » (Galates 5, 13).

Marc 1, 40-45 (Purification d’un lépreux)

Après les guérisons du démoniaque et de la belle-mère de Simon, à Capharnaüm (Marc 1, 21-31), voici un troisième geste miraculeux, la purification d’un lépreux, quelque part en Galilée. Ces trois gestes miraculeux, outre une restauration physique, constituent une réintégration sociale dans la vie normale. En cela, Jésus est différent d’autres faiseurs de miracles qui se faisaient escorter dans leurs déplacements par des gens qu’ils avaient guéris et devenaient leur enseigne publicitaire.

La requête et la purification

Le lépreux a pu entendre parler de Jésus, selon Marc 1, 28. L’évangéliste souligne la foi du personnage à qui il a fallu d’abord braver l’interdit de son isolement (cf. 1ère lecture). Puis sa supplication à genoux signifie qu’il voit en Jésus un « homme de Dieu », doué de pouvoirs de guérison. Sa confiance culmine en une simple proposition : « Si tu le veux ». Pour lui, Jésus « peut », et tout est suspendu à son seul vouloir. L’homme, notons-le, ne demande pas la guérison, mais la purification. Plus qu’au retour à la santé, il aspire à sa réintégration, à la fin de l’impureté rituelle qui le met au ban de la société. Mais toute maladie, lèpre ou autre, ne met-elle pas, de quelque manière, à l’écart de la société ?

La tendresse, la pitié, déclenche l’initiative de Jésus. Il veut que le suppliant « soit purifié » (sous-entendu : par Dieu). Le résultat est instantané : la maladie quitte l’homme et, conséquence espérée, il recouvre la pureté. Soulignons que, pour ce faire, Jésus se compromet, devenant lui-même provisoirement impur, en touchant le lépreux. D’où la notice évangélique selon laquelle il était obligé d’éviter les lieux habités ». Mesure inefficace pourtant, puisque « de partout on venait à lui ».

Au lieu de l’expression « saisi de compassion devant cet homme », certains manuscrits disent : « s’étant mis en colère… », et c’est peut-être là le texte primitif : Jésus se laisse fléchir, mais à contre-cœur : il craint les conséquences qu’évoque la suite du récit.

« Ne dis rien à personne »

Cette fois, l’ensemble des manuscrits atteste bien la sévérité de Jésus qui signifie le refus de toute publicité. Ce refus s’interprète à deux niveaux, comme on le verra. Simplement, fidèle à la Loi, Jésus envoie l’homme vers le prêtre. Celui-ci confirmera la purification du lépreux, selon Lévitique 14, 1-32, et le réintégrera dans la communauté. La fin de l’avertissement sonne moins clairement que dans notre traduction liturgique. En effet, on lit, littéralement : « Donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit : cela sera pour les gens un témoignage ». Plus littéralement : « cela sera pour eux », c’est-à-dire sans doute pour les prêtres, ou peut-être contre eux, s’ils contestaient la mission de Jésus.

Le silence impossible

L’homme guéri, purifié, ne garde pas le silence. Conséquence immédiate, répétons-le, Jésus doit provisoirement éviter les villes et bourgades, puisque, en touchant le lépreux, il s’est mis, aux yeux de la Loi juive, en situation d’impureté. En même temps, Marc signale l’afflux des gens vers Jésus, comme s’ils pressentaient en lui l’abolition des barrières de* pureté rituelle.

Plus au fond, à travers l’ordre de Jésus : « Ne dis rien à personne », Marc met en œuvre le thème qu’on appelle chez lui « le secret messianique ». Certains Juifs attendaient du Messie (ou du nouvel Élie ou Élisée) la guérison des lépreux Comparer 2 Rois 5). Chaque fois qu’il accomplit un miracle attribué au Messie – on en trouve la liste en Matthieu 11, 4-5 –, Jésus impose le silence. Silence impossible, pourtant : « Cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle. » La puissance du Christ ne peut que transparaître chez quiconque en bénéficie et qui, nouvel évangéliste, « proclame beaucoup de choses et répand la parole ». Voir le même schéma en Marc 4, 36.

Dans ce miracle, Jésus est celui qui se compromet, au mépris de sa propre pureté rituelle, pour réintégrer l’homme considéré comme impur et, par là, mis à l’écart. Il agit réellement dans nos vies, mais dans le secret, refusant tout éclat tapageur.

* La pureté rituelle. La pureté rituelle et l’impureté rituelle (comme de mettre des chaussures, même neuves, sur la table de la salle à manger – ça ne se fait pas !) tendent, dans toute religion, à se confondre avec le domaine de la pureté morale, voire à s’y substituer. On s’accusera, en confession, d’avoir mangé de la viande un vendredi de carême, mais on ne s’accusera pas d’avoir souillé, par des propos médisants, l’honneur du voisin… Jésus, comme en Marc 7, s’est employé à distinguer ces deux sphères, à soumettre le rituel à l’éthique.