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4ième Dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER

« La guérison de l’aveugle-né (Jn 9, 1-41) »

 

En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance.
Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? »
Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui.
Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler.
Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »
Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle,
et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé. L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.
Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant – car il était mendiant – dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »
Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui disait : « C’est bien moi. »
Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? »
Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : “Va à Siloé et lave-toi.” J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. »
Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »
On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle.
Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir. Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. »
Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » D’autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés.
Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. »
Or, les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents
et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? »
Les parents répondirent : « Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle.
Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. »
Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ.
Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »
Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. »
Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. »
Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? »
Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’ave z pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? »
Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples.
Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. »
L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux.
Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce.
Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance.
Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »
Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.
Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors. Il le retrouva et lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? »
Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.
Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? »
Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !”, votre péché demeure. »               

                   

             La situation corporelle, concrète, de cet homme dit, dans notre condition humaine de chair et de sang, ce que nous sommes tous spirituellement : des aveugles de cœur qui ont perdu le sens de ce « Dieu qui est Esprit » (Jn 4,24) et « Lumière » (1Jn 1,5). « Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne la crèche de son maître, mais eux ne me connaissent pas, ils ne comprennent pas. Fils pervertis… Ils ont abandonné le Seigneur » (Is 1,2-4).

            Mais comme Dieu est Soleil de Vie (Ps 84,12 ; 36,10), Soleil qui rayonne la Vie, qui donne la Vie, se détourner de Lui c’est se priver au même moment de « la Lumière de la Vie » (Jn 8,12) et donc devenir, petit à petit, spirituellement aveugle et comparable, dans ce domaine, à un mort… « Mon peuple périt, faute de connaissance » (Os 4,6), sans oublier que « connaître », dans la Bible, est avant tout un « vivre avec… en relation avec… ». La « connaissance » est juste l’aspect « prise de conscience » lié à cette relation… En se détournant de Dieu, les hommes ne reçoivent plus, de cœur, la Lumière vivifiante de son Esprit (Jn 6,63) qui rayonne sans cesse de Lui. Leurs cœurs sont plongés dans les ténèbres… Ils ne « voient » plus, ils n’imaginent même plus que cette Lumière puisse exister… « Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas ; vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. C’est que le cœur de ce peuple s’est épaissi : ils se sont bouché les oreilles, ils ont fermé les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, et que je les guérisse » (Is 6,9-10 cité en Mt 13,14-15 ; Jn 12,40, Ac 28,26‑27). Telle est la situation du pécheur « aveugle-né », fermé sur lui même, prisonnier de son égoïsme et de son orgueil…

            Le Christ va donc prendre l’initiative de se rapprocher de cet « aveugle-né » qui, répétons-nous, nous représente tous… Il va établir le contact, lui parler… Pour l’aider à percevoir ce qu’il désire faire pour lui, il va employer le langage des médecins de l’époque qui appliquaient toutes sortes de baumes sur les blessures… Mais cette boue qu’il lui met sur ses yeux fermés renvoie à la boue de nos souillures qui englue nos cœurs… « Va-te-laver à la piscine de Siloé », lui dit-il ensuite, Siloé signifiant en hébreu « envoyé », et Jésus ne cesse de se présenter en St Jean comme l’Envoyé du Père… L’aveugle-né fait preuve de bonne volonté : il obéit tout simplement, et il va se laver… « Quand il revint, il voyait »… Sa guérison corporelle renvoie à sa guérison spirituelle… Il voyait de cœur, il vivait de cœur d’une Vie nouvelle ! Puissions vivre la même expérience…     

                         DJF

           




3ième Dimanche de Carême – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Un Dieu nommé désir

« Et laissant là sa cruche, elle courut à la ville ». Frères et sœurs, le monde que nous voyons se dessiner dans le récit du dialogue entre Jésus et la Samaritaine, c’est un monde qui ressemble étonnamment à notre monde, et d’une orientation fondamentalement mauvaise de son désir. En fait, elle a mal géré toutes les possibilités de vie qui lui étaient données. En fait, elle se pose des tas de questions comme nos contemporains : on dit que c’est ici qu’il faut adorer, on dit que c’est à Jérusalem, mais la religion, on n’y comprend plus rien ! C’est une femme qui est aux prises avec son propre désir et qui a finalement accepté, a rendu les armes. Elle considère qu’après tout, le sens de sa vie c’est de venir tous les jours au puits, pour y chercher un peu d’eau, pour y boire elle-même, faire boire sa famille et la faire survivre de jour en jour. Au fond, cette femme a réduit son désir à une économie de survie. C’est peut-être là que nous est révélé quelque chose de profond du désir humain, c’est peut-être pour cette raison qu’on lit ce texte pendant le carême et pour les catéchumènes.

Qu’est-ce que le désir humain ? C’est le fait que chacun d’entre nous, soit individuellement, soit en groupe, est confronté à ces multiples divisions qui font la diversité et parfois le charme de la vie, mais qui en font souvent la pesanteur et l’échec. Le désir est cette confrontation permanente à toutes les divisions, les ruptures, les cassures, les brisures, les échecs auxquels l’homme est confronté. A ce moment-là, le désir est cette espèce de ressort de l’individu humain qui ne veut pas en rester là. Alors, il se fait des tas de conciliations, de compromis dans l’économie de notre désir, il ne faut pas désirer trop, et c’est bien là le grand message de l’Antiquité, il faut moduler, modérer son désir, le mesurant simplement à ce qui est possible : ne cherche pas plus haut que tu ne peux. C’est un peu la morale de la Samaritaine. Mais en même temps, il faut quand même essayer de maintenir au milieu de cette économie de désagrégation et de survie, un minimum de désir pour subsister et pour tenir.

C’est cela au fond, la Samarie. La Samarie, c’est un peuple qui a pris son parti d’être un peuple séparé, un peuple méprisé, un peuple écrasé, et qui essaie, petit à petit, en chacun de ses sujets, cette pauvre femme en étant le symbole, de continuer à tenir, et à désirer quand même mais sans illusion. C’est pour cela que cette femme est tellement soumise à ces espèces d’a priori, de contraintes du désir, que quand elle voit un homme en plein midi au bord de la margelle du puits qui lui demande à boire, et que sans doute à son accent, elle devine tout de suite qu’il n’est pas du pays (en tout cas, elle ne l’avait jamais vu, ni convoité comme son sixième amant), et elle lui dit : « Tu vas outrepasser les normes classiques du désir, gardons le statu quo, pas de vagues, tu devrais t’occuper de tes affaires et me laisser m’occuper des miennes. Moi je gère mon désir, c’est déjà bien difficile comme cela, ne me fais pas des problèmes supplémentaires, ne me demande pas à boire, débrouille-toi ». La morale de la Samaritaine et de la Samarie c’était : « Chacun se débrouille comme il peut avec son désir ».

C’est là qu’intervient vraiment le sens même de la venue du Christ. Que va faire le Christ ? Il va lui faire une sorte de sondage de son propre désir. Comment va-t-il le faire ? A partir de Lui, Jésus-Christ, le Seigneur, comme on dit au tout début du chapitre, à partir d’un Dieu « nommé désir ». En fait, l’histoire de la Samaritaine, c’est l’histoire d’un Dieu nommé « désir ». Il faut, et c’est tout à fait étonnant, il faut que Dieu se fasse désir, Lui qui entre nous soit dit, n’a besoin de rien, il faut que Dieu se fasse désir pour venir révéler à l’homme son propre désir et en faire une sorte de radiographie pour lui dire : « Là, tu vois, tu t’es sous-estimé ». Mais, Dieu ne vient pas annoncer des désirs extraordinaires. De sa part, le seul désir qu’il a à ce moment-là c’est : « Donne-moi à boire ».

Là, nous touchons le problème fondamental : qu’est-ce que c’est que de croire au Christ ? C’est croire que Dieu a pu entrer dans l’économie du désir humain, dans l’humilité du désir humain. Dieu a pu entrer dans une humanité qui est elle-même sans cesse divisée par son désir. Chaque homme, chacun d’entre nous, à cause de son désir, est sans cesse en mouvement vers autre chose : la survie, être mieux, faire mieux que papa, réussir un boulot intéressant et rémunérateur. Chacun d’entre nous est animé, ranimé sans cesse par cette pulsion du désir, cette mécanique du désir. Et Jésus accepte de prendre ce chemin-là, Il accepte de manifester non pas un désir tout-puissant de Dieu sur le monde, un désir qui anéantirait le monde d’un seul coup, Il pourrait tout réunir dans une parfaite concorde, dans une parfaite unanimité, dans une parfaite union et communion. Eh bien, non ! Dieu accepte de manifester son dessein de salut, ce qu’Il est, à travers le désir humain le plus simple, le plus ordinaire : « J’ai soif ». Ce sera tellement constant, que cette manifestation du désir humain commence à la tentation comme nous le voyions, il y a quinze jours : « Après quarante jours de jeûne, Il eut faim ». Dieu nommé « désir », aujourd’hui, Il a soif, encore Dieu nommé désir, et sur la croix : « J’ai soif ».

Quel est le visage de Dieu que nous avons à porter au monde ? C’est le visage d’un Dieu qui désire. Et c’est là sans doute que la plupart du temps nous nous trompons. Si nous présentons Dieu comme un désir tout-puissant qui nous bombarde de ses volontés pour nous réduire à son projet, nous nous trompons de Dieu, nous nous trompons du désir de Dieu. Le désir de Dieu est humble. C’est à ce moment-là que se fait la transformation. Parce que le désir de Dieu est humble, parce que c’est de la soif, de la faim, le désir d’aimer les hommes dans la souffrance, cela va nous ressusciter le désir. Que se passe-t-il dans ce dialogue ? La femme qui jusqu’à maintenant avait un tout petit peu focalisé le désir sur la succession des maris, et finalement avait domestiqué son désir dans le fait d’aller jour après jour puiser de l’eau au puits de Jacob, petit à petit, cette femme va voir à la lumière même du désir humble de Jésus, se révéler un désir beaucoup plus grand que celui qu’elle imaginait avoir dans sa vie.

C’est l’humilité du désir de Dieu qui fait grandir notre désir. A un moment donné, la femme dit : « Je sais bien que le Messie doit venir ». C’est-à-dire que l’humilité des demandes et des désirs de Jésus a réveillé dans la femme le désir de Dieu. C’est cela qui est magnifique dans ce texte, c’est de constater que c’est l’humilité même de Dieu qui réveille en nous le désir de voir Dieu, de connaître Dieu, de connaître le Messie.

Alors, se passe cette chose extraordinaire : lorsqu’elle a compris cela, elle laisse auprès du puits l’instrument qui jusque-là, lui paraissait le seul moyen de combler son désir, sa cruche. « Laissant là sa cruche »… Dans l’économie d’un foyer samaritain du premier siècle, ce n’est pas rien une cruche. Donc, abandonner le moyen de combler quotidiennement son désir, ce n’est pas de l’étourderie (j’ai l’impression que ce n’était pas une femme étourdie, elle avait beaucoup de présence d’esprit au contraire, enfin, c’est un des interlocuteurs de Jésus qui tient le mieux le choc à travers tout l’évangile), donc elle laisse sa cruche. Qu’est-ce que cela veut dire ? Tous les moyens que je m’étais fabriqué pour entrer dans une économie de désir, de survie, c’est insuffisant, il y a autre chose.

Je crois que cela peut nous apprendre beaucoup de choses, sur nous-mêmes et sur la compréhension de notre propre désir. Nous avons beaucoup de cruches dans notre cervelle. Nous avons beaucoup de moyens de nous fabriquer des désirs ou de les gérer. Nous avons beaucoup de moyens de satisfaire nos désirs et de faire sans arrêt cette espèce de calcul qui consiste à limiter le désir pour mieux le satisfaire. Il y a des cas où l’on a critiqué la culture de la consommation pour cette raison-là. Le pire dans la consommation, ce n’est pas que les gens aiment consommer, mais c’est qu’on limite leur désir aux objets de consommation prévus. C’est quand même assez astucieux, parce que c’est cela le rêve du système de la consommation, c’est de faire croire aux gens qu’ils désirent la lune, en leur disant simplement : « Si vous allez quinze jours à Tahiti, vous serez beaux, bronzés, et votre désir sera complètement accompli » ? En réalité, ils croient qu’ils réalisent le désir d’infini, et il n’y a rien du tout à la fin.

Tout le problème est là. Aujourd’hui en ce temps de carême, c’est la question de notre désir qui nous est posée. Quand nous voyons au cœur de notre communauté des catéchumènes qui demandent la foi, qui demandent à recevoir la grâce de Dieu, cela doit nous rappeler notre propre baptême. Nous aussi, nous sommes en face de Jésus avec nos cruches au puits de Jacob, et le problème est de savoir qui on va choisir : Jésus et le désir qu’il révèle, ou la cruche et les moyens qui nous sont donnés pour accomplir notre désir ? D’une certaine manière, ce n’est pas l’un ou l’autre, je sais bien. Mais si l’économie des moyens de la cruche empêche de se poser la question du désir que Jésus peut révéler en nous, alors il est certain que nous sommes bien près de quitter Jésus avec tout notre attirail pour ne plus jamais nous poser la question de notre propre désir.

Frères et sœurs, que sur ce chemin de la Pâque, nous essayions de retrouver quelles sont les racines de notre propre désir, de savoir si cette division, cette dispersion et ces échecs que nous reconnaissons tous dans nos vies à des titres divers, sont des moyens de courber l’échine et de capituler, ou si au contraire l’accueil de la Parole de Dieu, de la vie et de la grâce de Dieu, ne nous permettent pas de retrouver plus profondément encore par l’humilité même de Dieu, la grandeur de notre désir d’homme. Amen.

 




3ième Dimanche de Carême par Francis COUSIN

 « L’heure vient – et c’est maintenant –

où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. »

 

L’heure vient, et c’est maintenant …

Expression assez rare, qu’on ne retrouve qu’à la fin de l’évangile de Jean : « Voici que l’heure vient – déjà elle est venue – où vous serez dispersés chacun de son côté, et vous me laisserez seul. » (Jn 16,32), et qui est différente de l’heure de Jésus, l’heure de sa passion, de sa glorification (Jn 17,1), où l’on parle du futur qui est déjà présent : futur pour les auditeurs, mais présent pour Jean quand il écrit son évangile.

… adoreront en esprit et en vérité.

On  remarquera que l’évangile écrit les mots avec des minuscules, mais comme souvent chez Jean, les sens humain et divin sont superposés. On pourrait donc aussi comprendre « dans (ou par) l’Esprit et dans (ou avec) la Vérité », c’est-à-dire avec Jésus. Adorer le Père avec l’Esprit et Jésus, c’est adorer Dieu dans sa totalité trinitaire.

Adorer en esprit, au niveau humain, on comprend bien ce que cela veut dire ; c’est adorer avec notre cerveau, notre intelligence, notre cœur. Adorer avec ce qui fait que nous sommes nous et pas un autre. Avec l’esprit qui nous a été insufflé à la création : « Le Seigneur Dieu insuffla dans les narines de l’homme le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Il n’y a plus de lieux pour adorer, Jérusalem ou mont Garizim, plus besoin de bâtiments, cathédrale ou simple chapelle, plus de temps spécifiques. L’adoration est toute intérieure, au-delà des mots, au-delà de la pensée (« votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé. » Mt 6,8). Et c’est tant mieux pour nous qui sommes au milieu de l’Océan Indien.

Mais en parlant au niveau humain on a déjà parlé au niveau divin : l’Esprit qui est en nous dès l’origine, mais aussi l’Esprit que Jésus a envoyé sur nous : « L’Esprit de vérité recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. » (Jn 16,14).

Adorer en vérité. Au niveau humain, c’est être vrai. Mais qu’est-ce qu’être vrai au niveau humain ? On dit souvent ’’à chacun sa vérité’’, en fonction de son histoire, du lieu où il habite, de ses habitudes… « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà » disait Pascal. Pour dire la vérité, il est souvent plus facile de dire ‘ce qui n’est pas faux, faussé, tordu, corrompu, mensonger …’ c’est-à-dire en fait, ce qui n’a pas été touché par l’homme … ce qui existait avant le péché originel, quand tout était entre les mains de Dieu. Ce qui est une manière de dire que ’’Dieu seul est Vérité’’.

On retrouve, comme pour l’esprit, le mélange entre l’humain et le divin. Jésus nous dit : « Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » (Jn 18,37), cette voix qui dit aussi : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. » (Jn 14,6), et ceux qui cherchent la vérité, ce « sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. » (Lc 8,21).

Et cela, c’est beaucoup plus difficile pour chacun de nous, parce que nous sommes pécheurs, souvent tentés par le démon et parfois succombant à cette tentation …

Alors, quand Jésus nous dit : « Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer », je me pose la question : est-ce que je suis capable d’adorer Dieu ? En esprit et dans l’Esprit ? En vérité et dans la Vérité ?

Avec mes forces humaines, certainement pas !

Mais si je compte sur l’Esprit, envoyé par le Père à la demande de Jésus, alors oui, je peux y arriver : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. ». Mais il faut accepter de se laisser modeler par cet Esprit qui est en nous, lui ouvrir la porte de notre cœur.

Demandons à Dieu de nous aider pendant ce temps de carême, de nous laisser modeler par lui : « Comme l’argile entre les mains du potier, ainsi êtes-vous dans ma main. » (Jr 18,6).

Seigneur Jésus,

il est difficile de te prier en vérité,

car souvent notre prière est entachée d’égoïsme.

Nous pensons plus à nous qu’aux autres,

Et nous avons du mal à pardonner.

Mais entends quand même la prière d’un pauvre pécheur.

Francis Cousin

 

 




3ième Dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER

 » Le Don de l’Eau Vive de l’Esprit (Jn 4,5-42)  « 

 

En ce temps-là, Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph.
Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi.
Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »
– En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions.
La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.
Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ?
Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ;
mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »
La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »
Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari, et reviens. »
La femme répliqua : « Je n’ai pas de mari. » Jésus reprit : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari :
des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. »
La femme lui dit : « Seigneur, je vois que tu es un prophète !…
Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »
Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père.
Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père.
Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »
La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »
Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »
À ce moment-là, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que cherches-tu ? » ou bien : « Pourquoi parles-tu avec elle ? »
La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens :
« Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? »
Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers lui.
Entre-temps, les disciples l’appelaient : « Rabbi, viens manger. »
Mais il répondit : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. »
Les disciples se disaient entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »
Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre.
Ne dites-vous pas : “Encore quatre mois et ce sera la moisson” ? Et moi, je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs déjà dorés pour la moisson. Dès maintenant,
le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit en même temps que le moissonneur.
Il est bien vrai, le dicton : “L’un sème, l’autre moissonne.”
Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucun effort ; d’autres ont fait l’effort, et vous en avez bénéficié. »
Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause de la parole de la femme qui rendait ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. »
Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y demeura deux jours.
Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui,
et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »

                 

                               Jésus est sur les routes pour annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux, même aux frères ennemis d’Israël, les Samaritains. Il fait chaud et il a marché toute la matinée. A midi, alors que le soleil est au plus haut, il a soif et s’arrête au bord d’un puits. Mais ce dernier est profond et il n’y a rien sur place pour y puiser de l’eau…

            Arrive une femme Samaritaine avec sa corde et son seau… Il est interdit à un Juif de parler à un Samaritain ? Tout comme à un homme d’engager la conversation avec une femme seule ? Qu’importe… Le seul souci de Jésus est son bien, son bonheur, la Plénitude de sa vie. « J’ai soif », lui dit-il pour créer le contact… Et nulle part le texte ne dira par la suite qu’il boira…

            « Si tu savais le Don de Dieu », commence-t-il par lui dire, pour lui « mettre l’eau à la bouche », pour éveiller en elle le désir de découvrir, de recevoir ce Don de Dieu… Si tu savais aussi « qui est celui qui te dit « Donne-moi à boire » »… Elle a en effet sous ses yeux « le Verbe fait chair », « le Fils unique » et éternel du Père (Jn 1,14), Celui que le Père engendre en Fils de toute éternité par le Don de l’Esprit Saint… Il le connaît donc, Lui, le Fils, le Don de Dieu, car c’est grâce à lui et par lui qu’Il Est ce qu’Il Est. Et toute sa mission  consiste à proposer aux pécheurs que nous sommes, à nous dont le cœur ressemble à un désert aride et desséché, ce Don gratuit de l’Amour : l’Eau Vive de l’Esprit Saint (Jn 7,37-39), cet Esprit qui est Vie, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Et si le Père engendre le Fils de toute éternité par ce Don de l’Esprit, ce même Don aura en nous, si nous consentons à l’accueillir, les mêmes effets… Nous serons alors tous « fils à l’image du Fils » (Rm 8,29), des créatures resplendissantes de Lumière et de Gloire pour avoir accepté de recevoir le Don de « l’Esprit de Dieu, l’Esprit de Gloire » (1P 4,14).

            « Si tu savais le Don de Dieu et qui est Celui qui te dit « Donne-moi à boire », c’est toi qui lui aurais demandé » poursuit-il, « et il t’aurait donné de l’eau vive »… Autrement dit, Jésus a dit à cette Samaritaine « Donne-moi à boire » en espérant qu’elle lui demandera à son tour « Donne-moi à boire »… Et il fait tout pour qu’elle lui adresse effectivement cette demande, en toute liberté. Alors, il pourra la combler. « Demandez, et vous recevrez… Car quiconque demande reçoit… Si vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent » (Lc 11,9-13), car telle est sa volonté : nous combler par son Esprit.     DJF




2ième Dimanche de Carême par Francis COUSIN

 

 

« Relevez-vous et soyez sans crainte ! »

 

L’évangile de ce dimanche nous narre la Transfiguration de Jésus. L’épisode est bien connu ; aussi, attachons-nous seulement à trois points.

« Jésus prit avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. »

Jésus n’emmène pas tous les apôtres. Il fait un choix. Il appelle.

Comme il appelle chacun d’entre nous, à un moment ou à un autre, pour une mission … qui n’est pas nécessairement extraordinaire, ce peut être simplement d’offrir un sourire à une personne qui a besoin de réconfort. Pour d’autre, c’est plus fort, notamment les prêtres et les religieux(ses).

Il appelle, et il mène à l’écart. En ce temps de carême, Dieu nous appelle tous à l’écart, à prendre du recul sur notre vie quotidienne, à nous éloigner pour avoir un point de vue différent, un autre regard sur notre vie à la lumière de son Évangile. La semaine dernière, Jésus allait au désert ; cette semaine, il emmène sur la montagne, qui est parfois un désert, enneigé ou pas, mais qui est aussi le lieu de la rencontre avec Dieu. Et pendant ces quarante jours de carême, Dieu nous invite à l’écart, sur la montagne, en sa présence.

« Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. » Abraham a quitté son pays … Dieu ne nous en demande pas autant, mais saurons-nous accepter de le suivre, pour le rencontrer, pour l’écouter, pour agir avec lui, dans le désert de nos vies, de nos villes, de nos églises, de notre travail … ou de notre chambre, là où Dieu nous voit dans le secret.

« Il est bon que nous soyons ici … Je vais dresser ici trois tentes … »

Comme on comprend Pierre. Nous avons certainement tous fait l’expérience d’un moment où nous avons senti la présence de Dieu dans notre cœur, soit lors d’une adoration, soit lors de la rencontre avec quelqu’un dont la joie de vivre en Dieu était tellement manifeste qu’on sentait la présence de Dieu dans notre conversation, ou en voyant d’autres personnes agir avec détermination pour que la Parole de Dieu soit mise en application. Et on aimerait tant avoir toujours en soi le sentiment de la présence de Dieu en nous, se construire une tente, un petit cocon, pour maintenir ce moment.

Mais ce n’est pas ce que Dieu veut. Il ne veut pas de gens qui restent avec un souvenir béat et qui restent là, sur place ; il veut des hommes en marche, qui bougent, qui se bougent et qui font bouger autour d’eux. Des personnes qui savent que Dieu est toujours là, auprès d’eux, et qu’il va les aider.

« Relevez-vous et soyez sans crainte. »

Jésus reprend les trois apôtres. Après sa manifestation comme Fils de Dieu, il les relève, les remet debout, les ressuscite : « Ma mission n’est pas fini, et la vôtre non plus. Mais n’ayez pas crainte, je serai toujours avec vous. Mais avant, il me faut souffrir ma passion et être crucifié. Mais le troisième jour, mon Père me ressuscitera. Il nous faut maintenant descendre de la montagne. »

Nous sommes dans le temps de l’espérance, de l’attente de la Pâques, et d’un avenir promis de bien-être et de louange dans la vie éternelle. Mais avant, il y a la Croix, et il y a nos croix que nous devons porter. Nous ne devons pas rester dans notre petite bulle, mais descendre de la montagne, retrouver notre vie de tous les jours, et ’’mouiller notre maillot’’, oser nous salir les mains, les mettre ’’dans le cambouis’’ pour annoncer l’évangile de Jésus ressuscité : « Si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’as ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. » (Rm 10,9). Et c’est le but que nous devons tous avoir : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile » (1Co 15,14).

 

Quittez vos basses eaux, les steppes de vos bagnes,

ras-de-terre et tombeaux, venez sur la montagne !

 

aujourd’hui j’étais mort : j’entends la vie qui craque,

j’entends la vie qui sort, je choisis une Pâque.

Suis-je donc assez fou pour croire une présence :

Dieu comme un rendez-vous, l’homme comme une chance ?

        Jean Debruynne

Francis Cousin

 




2ième Dimanche de Carême – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Faisons trois tentes

 

« Seigneur, il nous est bon d’être ici. Si tu le veux, faisons-y trois tentes, une pour Toi, une pour Moïse, une pour Elie ! »

Frères et sœurs, que de fois, lorsque nous rencontrons le Christ dans notre vie, lorsqu’Il est venu au-devant de nous dans la lumière et la gloire, dans la tendresse de son amour, nous avons réagi comme Pierre : « Seigneur, il nous est bon d’être ici sur la montagne. Dressons-y une maison à ton prophète Élie, à celui qui a annoncé ta Parole, à celui que tu as envoyé à Israël pour lui dire de se convertir. Dressons-lui une maison pour qu’il demeure près de Toi. Et à ton saint prophète Moïse, celui qui a suscité le peuple, celui qui l’a libéré de l’Égypte à cause de ton appel, à cause de ta force, celui qui a parlé avec Toi, celui qui s’est tenu devant Toi, dressons-lui aussi une tente ».

Oui, que de fois nous avons voulu construire, par nous-mêmes, construire une maison pour le Dieu de salut qui venait au-devant de nous ! Que de fois nous avons voulu enfermer Dieu aux dimensions de nos demeures humaines, de nos désirs humains ! Que de fois nous avons ainsi défiguré le visage même de Dieu ! Que de fois nous avons défiguré Jésus transfiguré ! Que de fois nous en avons fait simplement un homme, une sorte de révolutionnaire, un homme qui marche au-devant de l’humanité mais qui se confond avec elle, qui nous ressemble tellement ! Un homme à la mesure de nos limites et de nos petits désirs humains. Ou que de fois encore nous avons voulu en faire un simple thaumaturge, quelqu’un qui nous sortirait de toutes les difficultés dans lesquelles nous nous trouverions, un Dieu à notre mesure, un Dieu merveilleux qui ne nous a pas rencontrés vraiment parce que tout simplement nous avons voulu le mettre à l’abri, sous des tentes humaines, sous des demeures humaines, à l’image de nos désirs.

Et comme Pierre, nous ne savons pas très bien ce que nous disons à ce moment-là, car  aussitôt, la réponse de Dieu c’est la nuée qui se précipite sur  les disciples pour les envelopper de sa lumière. Oui, si le Fils de Dieu est apparu sur notre terre, s’Il a manifesté en ce jour-là sa gloire à ses disciples, à travers cet éclat d’une lumière qui jaillissait comme du plus profond de Lui-même, pour manifester sa véritable nature divine, incarnée, prise dans notre chair, en même temps la nuée a reposé sur les disciples. Et la nuée, c’est cette lumière de la présence de Dieu qui guidait le peuple à travers le désert.

Non, ce n’est pas à nous de construire une maison pour notre Dieu. C’est au Seigneur Lui-même de nous construire cette maison nouvelle. Cette maison n’est pas fixe, à l’image de nos demeures humaines. Une maison qui n’est pas fichée dans la terre par les piquets de nos tentes. Une maison qui est une nuée, c’est-à-dire à la fois ce lien entre le ciel et la terre, la nuée étant toujours ce qui se tient entre le ciel et la terre, et en même temps, la nuée était un lieu mobile, ce qui se déplace, ce qui est léger, ce qui tourbillonne, ce qui nous emporte dans un souffle, au souffle de l’Esprit. La réponse de Dieu, lorsque les disciples voulaient saisir la gloire de Dieu et l’enfermer dans la maison de leur propre humanité ce fut précisément cette nuée lumineuse qui les a saisis.

Alors ils ont été saisis de frayeur et de panique parce qu’ils ont compris que maintenant, la lumière que le Christ était venu apporter dans le monde, cette lumière qui jaillissait du plus profond de Lui-même était en train de les envahir et de les amener, à leur niveau, à une transfiguration, à une transformation complète de leur être. Oui, maintenant  ce n’était plus comme au temps de Moïse où l’on ne pouvait pas regarder Dieu face à face.  Il n’y avait plus ce voile sur la face de Moïse. Il était tombé pour qu’on puisse regarder la gloire de Dieu. Il y avait une lumière qui, jaillie du cœur  de Dieu, vient jusqu’au cœur de l’homme, qui le saisit et l’emporte. Il n’y avait plus une lumière venue des tables de la Loi gravée dans la pierre, mais une lumière qui veut se graver au plus profond de notre chair. Maintenant la Loi n’est plus extérieure à nous. La Loi est une Loi nouvelle. C’est la présence même de Dieu, la fulgurance et la transparence de cette présence de Dieu qui est inscrite au plus profond de notre cœur.

Et maintenant, il n’y a plus à rester quarante jours sur la montagne ; il n’y a désormais ni repos ni trêve, car il va falloir marcher dans la nuée de Dieu et marcher vers la Pâque. Lorsqu’ils étaient sur le Thabor, les disciples n’ont pas pu saisir la présence de Dieu pour la domestiquer à la mesure de leurs prétentions, de leurs désirs. Ils ont été aveuglés et maintenant ils sont pris, ils sont emportés comme par un souffle. Ils sont pris dans cette nuée lumineuse de la gloire de Dieu et il faut qu’ils s’avancent, avec Lui, vers Jérusalem.

Si la liturgie a choisi de nous arrêter aujourd’hui sur le Mont Thabor, avec les disciples, dans cette vision de gloire, ce n’est pas simplement pour y rester. C’est d’abord pour que nous comprenions que si le Seigneur a été transfiguré et nous a montré dans son humanité la gloire du Fils, c’est parce que, nous aussi, nous devons en vivre. En vivre, c’est-à-dire, en l’écoutant, de vivre pleinement ce qu’Il a vécu. Puisque Lui s’est manifesté comme transfiguré, comme porteur de la gloire qu’Il tient de son Père de toute éternité, il faut maintenant que nous sachions que le sens profond de notre vie chrétienne c’est de porter au fond de notre cœur et de laisser transparaître peu à peu par notre vie cette lumière que Dieu a déposée en nous, et de nous laisser transfigurer par la grâce de notre baptême. C’est aussi pour que nous apprenions ceci. Cette démarche n’est pas une halte, un arrêt, une oasis. Le Christ transfiguré prend les disciples dans cette nuée qui va les conduire, qui va les emporter comme la nuée a conduit le peuple à travers le désert, qui va les emporter comme le Christ de ce monde à son Père. Elle va les conduire du Thabor à Jérusalem pour y contempler le Seigneur de gloire mis à mort, pour y être témoin du Seigneur de gloire ressuscité, qui va les emporter, comme le Christ, à travers le monde pour proclamer l’évangile et qui va, à travers leur propre mort, les emporter dans le sang du Christ ressuscité, dans la gloire et la lumière.

Oui, tel est le sens de notre vie, tel est le sens de notre baptême. Non pas une lumière qui jaillirait de l’extérieur, mais une lumière qui transparaît du plus profond de nous-mêmes, qui apparaît pour nous transfigurer, pour nous rendre de plus en plus fils de Dieu, et pour nous emporter, pour nous saisir, pour faire de nous des témoins de l’évangile, des témoins de la Résurrection, pour appeler l’univers à passer de ce monde, à travers ce monde, à travers le péché de ce monde, à travers les échecs de notre humanité et du quotidien de notre vie, l’appeler à l’espérance de contempler la gloire de Dieu, à laisser transparaître en nous la gloire de Dieu qui nous conduira auprès du Père. Amen.

 




2ième Dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER

 » Jésus transfiguré, révélation vivante du Royaume des Cieux (Mt 17,1-9) « 

 

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne.
Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.
Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! »
Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte.
Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! »
Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »

                    

                            Jésus vient d’annoncer pour la première fois à ses disciples sa Passion, sa mort et sa résurrection désormais toute proches (Mt 16,21-23). Eux qui croyaient siéger un jour à droite et à gauche de son trône dans le palais royal de Jérusalem (Mc 10,37) ! Et pour ce qui est de la résurrection, ils n’y comprennent rien (Mc 9,32) ! De plus, Jésus les a invités à prendre eux aussi leur croix à sa suite ! Et il a ajouté juste après : « Il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant avec son Royaume » (Mt 16,24‑28). Jésus est donc bien Roi, avec un Royaume, mais quel est-il ?

            L’épisode de la Transfiguration répond à toutes ces questions. La Lumière qui semble jaillir de son visage et de ses vêtements est celle-là même qui resplendira dans les ténèbres du tombeau au jour de la Résurrection. Elle est la Lumière de l’Esprit qui, au sommet de cette « haute montagne », « a resplendi aussi dans le cœur des disciples pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ » (2Co 4,6). « Par ta Lumière, nous voyons la Lumière » (Ps 36,10)…

« Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5), et le Fils est « de même nature que le Père » en tant que « Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo). De toute éternité, il est « engendré » par le Père, il reçoit du Père la Plénitude de la nature divine qui est « Esprit » et « Lumière ». Au moment de la Transfiguration, le Père comble également les disciples de ce même Esprit qui va alors « illuminer les yeux de leur cœur pour leur faire voir ces trésors de gloire » (Ep 1,17-21) qui sont dans le Fils mais aussi, en cet instant, en eux… Ils voient « le Fils de l’homme venant avec son Royaume », ils le voient, ils le vivent, car ils sont unis à Lui dans la communion d’un même Esprit… Et « le Royaume des Cieux est » justement « paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17).

« Le fruit de l’Esprit est joie » (Ga 5,22). « Il est donc heureux que nous soyons ici », de cœur, expérimentant, en le vivant, cette unité d’Esprit avec Dieu… Et c’est toujours ce même Esprit qui, au moment de la Passion, donnera à Jésus la force de vaincre le mal par le bien (Rm 12,21), en répondant à la haine par l’Amour et le Don de soi pour ceux-là même qui le tuaient… « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Et c’est ce même Esprit qui se proposera à la foi des disciples pour les soutenir aux jours où, eux aussi, devront porter leur croix à la suite de leur Maître (Mt 10,17-20)… Avec lui et grâce à lui, le temps de la croix sera aussi celui de la Lumière, de la Gloire et de la Joie…         DJF




1er Dimanche de Carême – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

De l’Eden au désert : l’histoire du cœur humain

Frères et sœurs, je voudrais vous raconter l’histoire du cœur de l’homme.

Au commencement, on devrait presque dire ici : « Il était une fois », au commencement, le cœur de l’homme était un jardin. Car, vous l’avez bien compris, ce jardin dont nous parlait tout à l’heure le récit de la Genèse, ce n’est pas un jardin dans lequel l’homme vivait mais c’est le cœur de l’homme qui était le jardin, un jardin plein de vie, un jardin rempli de fruits, un jardin de paix, un jardin dans lequel l’homme vivait dans la présence de son Dieu. Car ce jardin d’Eden c’était le cœur de l’homme que Dieu avait choisi pour venir s’y promener le soir à la brise, pour venir dialoguer avec l’homme. Ce jardin avait l’ombre des feuillages et des arbres, il avait la paix de ces dialogues entre l’homme et Dieu, ce jardin était le face à face de l’homme et de Dieu.

Plus encore, Dieu émerveillé de ce dialogue avec sa créature voulait que l’homme ait un vis-à-vis qui lui soit assorti. Et dans ce jardin d’Adam, dans ce cœur de l’homme, Il avait façonné, avec la propre chair de l’homme, une femme. Si bien que le cœur de l’homme était devenu le jardin de Dieu et de l’amour de son épouse tandis que le cœur de la femme était le jardin de l’homme. Et tous les deux étaient l’un pour l’autre un jardin de joie, de paix, de vie et d’amour partagé.

Au commencement du cœur de l’homme, au commencement de notre vie, il y a tout simplement ce jardin. Et plus tard, beaucoup plus tard, qu’est devenu ce cœur de l’homme ? Beaucoup plus tard, c’est un désert. Car dans ce jardin du paradis, il y avait eu cette présence, cette ombre sournoise du mal qui se faufilait à l’intérieur de la fraîcheur des arbres. Et voici que se manifestait cette fragilité fondamentale du cœur de l’homme et de sa liberté. Le jardin du cœur de l’homme, sa liberté et sa joie d’être avec Dieu, voici que tout cela s’était subitement dégradé et brisé. Et le cœur de l’homme est devenu un désert. C’est la soif et la faim, c’est le soleil qui tape, c’est le sable brûlant et les pierres qui coupent les pas de l’homme qui s’avance. Le désert, c’est ce lieu de silence, ce lieu où les cris ne rencontrent plus qu’un écho vide, car le jardin n’est plus le jardin de personne, mais il est le désert du vide et du silence. Le cœur de l’homme est devenu désert. Il n’y a plus que le ciel implacable et son soleil brûlant, il n’y a plus que l’immensité du vide qui résonne autour de lui, il y a la soif, il y a la faim et cette lumière aveuglante et miroitante qui fait les mirages et qui fait les idoles et qui fait les erreurs et qui fait le mensonge.

Quelle idée Dieu pouvait-Il donc avoir d’envoyer son peuple au cœur de ce désert ? Car Dieu s’était choisi un peuple et pour le mettre à l’épreuve, pour le passer au feu de la tentation, avait choisi de le mener quarante ans dans le désert. Et là le peuple avait connu les multiples tentations de l’existence. Dans ce désert qui est le cœur de l’homme, qui est le cœur même de ce peuple, voici que l’homme était invité à le parcourir en tous sens et à découvrir au fond de chacun de ces recoins de désert, dans ces replis de montagne, de découvrir tout le poids de la souffrance, des désirs et de l’échec humain. Le peuple s’était heurté à sa soif et il avait crié. « Est-ce que Dieu nous a conduits ici dans le désert pour nous faire mourir de soif ? » Alors il avait contesté Dieu aux eaux de Mara et de Mériba dans le désert et ce lieu s’était appelé le lieu même de la tentation. Et Dieu avait répondu : « Il ne faut pas tenter le Seigneur, ton Dieu ». Et le peuple avait connu sa faim, la faim de son désir qui le travaillait et le torturait. Et alors l’homme avait crié dans son désir et dans son cœur et dans le désert de son cœur : « Est-ce que Dieu est capable de nous donner quelque chose à manger ? » Alors Dieu lui avait répondu : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ».

Et l’homme, au cœur de ce désert, avait été confronté à la tentation de toutes les fausses fictions, de tous les faux objets de son désir qu’il essayait de se créer et de se fabriquer, l’homme dans le désert avait fait l’épreuve de la sécheresse et de la dureté de son cœur qui se fabrique des idoles pour se soutenir dans sa marche et se donner l’illusion qu’il a un avenir, l’homme s’était fabriqué un veau d’or et Dieu lui avait dit, sur les tables de la Loi : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et Lui seul ».

Le cœur de l’homme, de jardin qu’il était, voici qu’il était devenu ce désert dans lequel nous errons pas à pas, sans trouver quoi que ce soit pour étancher notre soif et notre faim, en proie à tous les mirages et à toutes les idoles que nous nous fabriquons. Dans cet immense désarroi, dans cette solitude et cette longue marche, voici que Dieu Lui-même est venu de son pas d’amour et de miséricorde. Il est venu arpenter ce grand espace du désert. Mais qu’est-il donc venu à l’idée de Dieu pour envoyer son Fils dans le désert du cœur de l’homme ? Et c’est le récit de la tentation que nous venons d’entendre. Jésus vient dans le cœur des hommes comme dans un désert, Jésus qui vient découvrir l’homme, le chercher dans le plus grand abandon et la plus grande solitude. Jésus poussé par l’Esprit qui va pour ainsi dire arpenter ce désert de long en large, dans toute sa solitude et dans tout son désarroi. Et qui va-t-Il trouver au fond de ce désert, au fond de ce désert du cœur de l’homme ? Le prince de ces lieux. Vous pensez bien qu’il n’avait aucune envie qu’on occupe son territoire. Le premier qui s’approche de Jésus, c’est donc le tentateur lui-même, le prince de ce monde, et il demande à Jésus ce qu’Il vient faire là. Mais là où l’homme avait échoué, là où l’homme avait succombé, là où il avait crié contre Dieu à cause de sa soif, à cause de sa faim, là où l’homme s’était fabriqué des idoles, voici que Lui, l’homme véritable, Il entre dans ce cœur désertique de l’homme, Il entre dans sa soif et dans sa faim, non plus pour se révolter, mais pour nous ouvrir un chemin de liberté.

« Si Tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent du pain ». Mais le Christ sait bien qu’Il ne peut pas conquérir la liberté de l’homme simplement en le gavant, en étouffant son désir, en brimant sa liberté, en la contentant à bon compte. « Si Tu es le Fils de Dieu, fais un coup d’éclat, jette-Toi du haut du Temple ». Mais Jésus sait bien qu’il ne faut pas tenter le Seigneur son Dieu, et Il sait bien qu’il faut que son pied se heurte à quelques pierres, ces cailloux coupants de nos péchés et de la dureté de nos cœurs sur lesquels encore aujourd’hui sa chair de Fils de l’homme vient se briser à cause de notre dureté de cœur et de notre dureté de vie. « Si Tu veux, prosterne-Toi devant moi et je Te donnerai tous ces royaumes. Accepte que je fournisse aux hommes les quelques idoles et les quelques faux espoirs dont ils ont besoin. Accepte d’étouffer en eux ce désir de liberté pour qu’ils se vautrent dans n’importe quoi, dans la fabrication de leurs désirs ». Mais Jésus ne peut pas dire autre chose que : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu ». Il veut que l’homme soit en face de la réalité de Dieu et non pas toujours en train de s’amuser comme un gamin avec ses idoles et ses faux-semblants illusoires.

Le Christ a visité le vaste désert du cœur de l’homme. Et là où le Peuple d’Israël avait succombé à toutes les tentations, voici qu’Il en ressort victorieux et vainqueur. Ce combat face-à-face avec la puissance du mal, ce combat aux prises avec le désir de l’homme qui ne cesse de se fabriquer des faux-semblants, voici qu’il continue encore aujourd’hui, voici que le Christ, depuis le désert jusqu’à maintenant, ne cesse d’arpenter le désert du monde, ce Sahel spirituel dans lequel nous nous trouvons. Et le Christ, jour après jour, va à la rencontre de l’homme, Il affronte toutes ses tentations.

Il a même fallu qu’Il transforme radicalement ce désert. Oh ! Apparemment le désert d’aujourd’hui, la sécheresse du cœur et du désir de l’homme d’aujourd’hui, ressemblent étonnement à ceux que Jésus a dû rencontrer sur les chemins d’Israël et dans tous ces regards qu’Il portait sur le cœur de l’homme. Apparemment le cœur de l’homme est toujours aussi désertique et desséché, il n’y a pas de fleuve qui ait coulé pour l’irriguer et y faire surgir la vie au milieu du désert. Pourtant il y a dans ce désert un arbre étrange, quelque chose qu’on ose à peine nommer un arbre car il ressemble curieusement à un poteau télégraphique, un bout de bois dressé au cœur de ce désert du cœur de l’homme, avec une traverse horizontale. Depuis deux mille ans, nous appelons cela la croix de Jésus-Christ. Le désert du cœur de l’homme est toujours aussi sec, toujours aussi assoiffé et desséché, toujours rempli d’idoles et d’illusions, et pourtant mystérieusement au cœur de ce désert commence à pousser cet arbre apparemment si sec, si dur qui se dessine plus durement sur l’horizon que les rochers dans le ciel du désert. Et cet arbre, c’est la seule chose qui nous reste.

Nous qui sommes chrétiens, nous croyons que le désert refleurira, que de la croix l’eau jaillira, que du Seigneur la vie renaîtra, que la croix, cet arbre mort, est en réalité arbre de vie, car Jésus Lui-même a voulu prendre la géométrie de cette croix.

Notre cœur est apparemment toujours aussi sec qu’un désert. Et pourtant parce que l’arbre de la croix y a été planté, parce que la mort du Fils de l’homme y a éclaté comme un cri et comme un éclair, désormais, au milieu de la solitude et du désespoir, voici que la croix est devenue ce lieu où le destin de l’homme et le destin de Dieu sont irrémédiablement noués, Dieu mourant debout, les pieds dans la terre et la tête dans le ciel, et les bras écartés, si grands et si larges qu’Il veut embrasser tous les hommes, embrasser l’immensité de ce cœur désertique, non seulement tout le cœur de l’homme, mais le cœur de tout homme. Jésus qui se fait le point de rencontre de l’homme et de Dieu. Et il faut que nous-mêmes nous refassions le même geste, il faut que nous aussi nous soyons avec Lui, il faut que nous passions par là. Même si nous avons peur et si nous rechignons, c’est par la croix que nous passons nous aussi, les pieds sur terre et la tête dans le cœur même de Dieu et les bras ouverts pour étreindre cet Amour de Dieu trop grand pour nous afin que désormais les deux morceaux de bois de la croix, Dieu et l’homme, soient inséparables.

Alors, au cœur même de ce désert jaillit un signe de vie et d’espérance, celui-là même que Dieu nous a donné en son Fils Jésus Christ. Si nous creusons au plus intime de notre cœur pour y découvrir la source vivante de la grâce de notre baptême, nous ne trouvons rien d’autre, au milieu de notre désert et de notre aridité, que cette croix plantée dont nous avons été marqués aux premiers jours de notre existence chrétienne, au jour de notre baptême. Elle est source de vie dans nos déserts, elle est fleuve d’allégresse et de joie au cœur des épreuves, elle est la résurrection au cœur de notre mort. Amen.

 




1er Dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER

«  Dans la vie du Fils, le Père est à la première place « (Mt 4,1-11) 

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit : « Il est écrit : ‘L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.’ »
Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple
et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : ‘Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre.’ »
Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : ‘Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu.’ »
Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire.
Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »
Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : ‘C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte.’ »
Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.           

                    

             « Jésus fut conduit au désert par l’Esprit » et donc par Dieu son Père qui fait tout pour son Fils par l’Esprit. Jésus est docile, obéissant : « J’aime le Père et je fais comme le Père m’a prescrit » (Jn 14,31). Le but visé ici est de manifester la victoire de Dieu sur le mal car si « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14) par l’Esprit (Lc 1,35), c’est pour « arracher » tous les hommes « à l’empire des ténèbres et nous transférer dans son Royaume » (Col 1,13-14) de Lumière et de Paix, par le Don de ce même Esprit. Au désert, la Lumière du Christ va donc briller dans les ténèbres et celles-ci ne pourront rien contre elle (Jn 1,5). Cette victoire est appelée désormais à devenir la nôtre si nous acceptons de l’accueillir par le libre consentement de notre foi… « Il faut les laisser faire là haut » (Ste Thérèse de Lisieux)…

Jésus jeûne « quarante jours et quarante nuits »… Vrai homme, il est fragilisé, il a faim… Le démon le sait. Pour soulager sa faiblesse, et il va l’inviter à adopter l’image pervertie de Dieu qui est la sienne : un Dieu Tout Puissant qui utilise sa Force pour Lui même, pour son propre avantage… Logique de l’égoïsme… Mais telle n’est pas celle du Fils qui demeure dans l’Amour du Père (Jn 15,10) et qui, jour après jour, attend tout de sa Bonté… Aux pains destinés à entrer dans « sa » bouche, Jésus oppose « la parole qui sort de la bouche » du Père pour lui dire tout son Amour : « Tu es mon Fils bien‑aimé, en toi j’ai mis tout mon amour » (Mc 1,11). Elle est son Pain de Vie, car cette Parole est un acte : le Don éternel de l’Esprit par lequel le Père engendre le Fils de toute éternité en Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, lui donnant ainsi de partager sa Plénitude d’Être, de Vie, de Joie et de Paix…

            Puis le démon, en citant par ruse la Parole de Dieu, va inciter Jésus à se mettre à la première place en sommant le Père d’agir pour lui… Mais le Fils n’a pas besoin de le provoquer pour savoir qu’Il est là avec Lui (Jn 8,29), invisible mais actif, et cela toujours pour son bien… « Le Seigneur fait tout pour moi, Seigneur, éternel est ton Amour, n’arrête pas l’œuvre de tes mains » (Ps 138(137),8).

            Troisième tentation, celle du pouvoir. Pour le démon, la puissance sert à dominer, à écraser, à s’imposer pour se glorifier aux dépends d’autrui. Jésus le sait : il est le Messie, le Roi promis par les prophètes. Il a reçu du Père « les nations en héritage », pour les sauver (cf. Lc 3,21-22 et Ps 2,7-8 ; Jn 3,16-17 ; 4,42). En lui mentant, car c’est « Dieu » seul qui « donne au roi ses pouvoirs » (Ps 72,1 ; Jn 19,11), le démon va essayer de faire naître en lui la convoitise pour le pousser à accomplir sa vocation selon sa logique à lui… « Tout cela, je te le donnerai »… Mais non, ce n’est pas le démon qui donne quoique ce soit ; lui, il ne sait que « voler, égorger et faire périr » (Jn 10,10). C’est le Père qui, dans son Amour, ne cesse de se donner entièrement à son Fils, de Lui donner tout ce qu’Il Est, lui donnant ainsi d’être « Lumière née de la Lumière », une Lumière qui est Plénitude de Vie et de Joie. « Moi, je suis sûr du Seigneur. Ton amour me fait danser de joie » Ps 31(30),7-8). C’est donc Lui que Jésus écoute, « tu es mon Fils bien-aimé », c’est vers Lui qu’il se tourne (Jn 1,18), se laissant combler par le Père (Jn 5,26) qui, de son côté, ne cherche, ne désire et ne poursuit que le meilleur pour son Fils… A nous, maintenant, de faire de même…

                                                                                                                                              DJF

                      




1er Dimanche de Carême par Francis COUSIN

 

 

« Arrière, Satan ! »

Nous voici au début du carême, ce temps qui nous est donné par l’Église pour préparer notre cœur pour ce grand jour qu’est Pâques, but de la venue de Jésus sur la terre : Dieu le ressuscite, et par cela il refait le lien entre les hommes et lui, le lien d’amour que les hommes ont rompu par le péché d’Adam et Ève et que Jésus en offrant sa vie pour nos péchés renoue, nous permettant d’avoir accès à la Vie Éternelle.

On comprend donc que la première lecture soit le récit de la tentation d’Ève par Satan. Satan, rusé et menteur, commence par dire que Dieu a interdit de manger de tout arbre du jardin d’Éden ; Non, répond Ève, seulement l’arbre du milieu ; C’est parce que, si vous en mangez, ’’vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal’’. Et Ève et Adam, succombe à la tentation de tout connaître, d’être comme des dieux, de pouvoir vivre sans Dieu.

L’évangile nous parle des tentations de Jésus au début de la vie publique. Juste après son baptême au cours duquel la voix du Père se fait entendre :’’Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie‘’, Jésus est poussé par l’Esprit au désert, lieu de l’épreuve et du combat comme le mal, mais aussi lieu de la rencontre avec Dieu. Il y reste quarante jours, sans manger ni boire, comme Moïse au Sinaï avant qu’il ne reçoive les tables de la loi.

Alors le diable vient le voir et commence par une provocation :’’Si tu es Fils de Dieu…’’, sous-entendu, tu peux donc faire des miracles, ’’change ces pierres en pain’’. Mais Jésus ne veut pas utiliser ses capacités pour son propre profit, de manière égoïste ; il réserve les miracles pour les autres, les petits, les malades, les faibles.

Il l’emmène ensuite au sommet du temple :’’Saute, les anges viendront te porter’’, mais Jésus ne veut pas mettre à l’épreuve son Père, l’obliger à faire un miracle à son profit pour qu’il en tire vanité.

En dernier lieu, Satan emmène Jésus sur une montagne. ’’Je te donne tout cela si tu te prosternes devant moi’’. C’est le but de la mission de Jésus : rassembler toutes les nations pour qu’elles croient en Dieu et aient la Vie éternelle, mais pour lui, la fin ne justifie pas tous les moyens, surtout s’ils ne sont pas bons et vont à l’encontre de ce qui est voulu. Et pour la troisième fois, Jésus répond par une phrase du Deutéronome :’’Arrière, Satan ! … C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte’’.

Les trois tentations que Jésus a subies sont encore d’actualité aujourd’hui, même si elles prennent d’autres formes. Dans notre société de consommation, nous pouvons être tentés par tout un tas de choses qui nous sont présentés par la publicité, la télévision ou internet, et que nous voulons pour nous, de manière égoïste, tout de suite, et pas seulement des biens matériels, mais aussi la drogue, le sexe, les enfants par Grossesse Pour Autrui, voire mourir ’’dans la dignité’’ par euthanasie, …

Il y a aussi la tentation de vouloir avoir des ’’preuves’’ de l’existence de Dieu, ou de se tourner vers l’ésotérisme, les horoscopes, les diseuses de bonne (?!) aventure … pour combler la soi-disante absence de Dieu.

Et puis aussi la tentation de l’argent facile, plus ou moins licite, ou des ‘trucs’ pour payer moins d’impôts ou ne pas payer ses contraventions. Et aussi celle du pouvoir sur les autres.

Les tentations sont toujours là, et elles sont nombreuses. Parce que Satan est toujours là, et qu’il ne cesse de nous tenter. C’est pourquoi, dans le Notre Père, nous disons ’’Ne nous laisse pas entrer en tentation’’.

Et  nous ne pouvons le faire qu’avec l’aide de Dieu. En faisant comme Jésus, quand nous sentons arriver une tentation mauvaise, en disant : « Arrière, Satan ! ».

Seigneur Jésus,

comme tu l’as été,

nous sommes souvent

tentés par le Démon.

Aide-nous à résister au démon

et à ne pas entrer en tentation.

Francis Cousin