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32ieme Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

La question de la Résurrection (Lc 20,27-38)

 

En ce temps-là, quelques sadducéens – ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de résurrection – s’approchèrent de Jésus
et l’interrogèrent : « Maître, Moïse nous a prescrit : ‘Si un homme a un frère qui meurt en laissant une épouse mais pas d’enfant, il doit épouser la veuve pour susciter une descendance à son frère.’
Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ;
de même le deuxième,
puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants.
Finalement la femme mourut aussi.
Eh bien, à la résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »
Jésus leur répondit : « Les enfants de ce monde prennent femme et mari.
Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari,
car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection.
Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur ‘le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob.’
Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »

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Des Sadducéens, proches du Grand Prêtre, viennent trouver Jésus. Contrairement aux Pharisiens plutôt ouverts aux problèmes de leur temps, et donc aux idées nouvelles, les Sadducéens se réclamaient, eux, de l’immuable tradition des anciens. Ils n’acceptaient donc pas les Livres les plus récents, comme celui de Daniel ou ceux dits « des Maccabées », où commençait à émerger la foi en la résurrection des morts. Forts de leurs certitudes, ils viennent donc ici convaincre Jésus de l’absurdité d’une telle croyance…

Et cela semble si évident… Ils partent du Livre du Deutéronome, le Livre de la Loi par excellence : « Si des frères habitent ensemble et que l’un d’eux meurt sans avoir de fils, la femme du défunt n’appartiendra pas à un étranger, en dehors de la famille ; son beau-frère ira vers elle, la prendra pour femme et fera à son égard son devoir de beau-frère. Le premier fils qu’elle mettra au monde perpétuera le nom du frère qui est mort ; ainsi son nom ne sera pas effacé d’Israël » (Dt 25,5-6). Pour souligner encore le grotesque de la situation en cas de résurrection, ils envisagent le cas d’une femme qui aurait épousé sept frères puisque les uns après les autres seraient morts sans laisser d’enfants… « Eh bien, à la résurrection, cette femme, de qui sera-t-elle l’épouse puisque les sept l’ont eu pour femme ? » On imagine les rires et les moqueries…

Mais la résurrection n’est pas le retour à la vie d’ici-bas… Elle est « une recréation inimaginable, une transformation radicale de l’être humain » (Hugues Cousin) qui participera, selon sa condition de créature, tout comme les anges, à la Plénitude de la nature divine… La chair sera alors totalement assumée par l’Esprit, une réalité « tout autre » à l’image et ressemblance du Dieu Tout Autre… Le Christ Ressuscité, apparaissant au milieu de ses disciples, parfois non reconnu au premier abord (Lc 24,15-16 ; Jn 20,11-18 ; 21,4 ; 21,12), en sera un exemple déroutant pour notre raison raisonnante…

Et Jésus reprend ensuite le Nom de Dieu que les Sadducéens employaient le plus souvent, par fidélité aux anciens : « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de JacobIl n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants », car « Dieu n’a pas fait la mort, il a tout créé pour l’être » et pour la vie (Sg 1,13-14). Moïse et Elie, « apparus en gloire » au jour de la Transfiguration du Christ, en sont le plus bel exemple (Lc 9,28-36)…

 

DJF

                          




32ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Lecture : Luc 20, 27-38

 

Je suis le Dieu des vivants

 

Frères et sœurs,

jugementmariageLe mariage est au service du patrimoine, donc il faut que le patrimoine reste dans la famille. Si un homme meurt sans descendance, il faut que le frère cadet se dévoue pour susciter une descendance. Cela faisait sans doute la joie des discussions théologiques des Sadducéens parce que c’était une prescription de Moïse, et cela apportait de l’eau au moulin des Sadducéens qui prétendaient qu’il n’y avait pas résurrection des morts comme Luc le rappelle. De l’autre côté, après avoir accompli le mariage, de qui la femme allait-elle être l’épouse ? Pour les Sadducéens, cela voulait tout simplement dire qu’il n’y avait pas de résurrection des morts. C’est plus simple de considérer que les lois mosaïques s’appliquent pour le monde présent, cela se termine normalement dans le monde présent, donc il n’y a pas de monde à venir. C’était une grande discussion à l’intérieur des différents mouvements et tendances spirituelles et théologiques juives à l’époque de Jésus, les Pharisiens croyaient à la résurrection des morts, tandis que les Sadducéens la niaient. Comme on sentait que Jésus avait plutôt un enseignement qui s’ouvrait à perspective de la résurrection des morts, les Sadducéens (il ne faut pas oublier qu’ils avaient beaucoup de pouvoir à Jérusalem), essaient de mettre Jésus en difficulté sur ce sujet.

Il y a une probabilité absolue pour que cette controverse se soit réalisée à peu près exactement comme elle est relatée par Luc. Vous pouvez consulter un certain nombre d’historiens, notamment John Paul Meier qui a écrit quatre mille pages sur les enseignements de Jésus, et vous constaterez que les controverses et les polémiques ont été enjolivées, mais celle-ci ne l’est pas du tout. Elle est d’une rigueur absolue et elle montre une empoignade assez violente. Le problème est grave, car si Jésus dit qu’il y a la résurrection des morts, il ne peut pas résoudre le cas pratique et s’il doit réfuter, il faut qu’il ait au moins une autorité aussi forte pour aller contre le précepte de Moïse dans la Loi. On ne peut pas jouer sur le sentiment. Il faut un argument venant de la Loi.

christ ressuscité

Jésus va répondre très nettement aux deux questions posées. La première question touche au mode de la résurrection : si on ressuscite, comment ressuscite-t-on ? La question des Sadducéens est comme un fusil à deux coups : que va-t-il se passer là-haut quand les sept frères vont retrouver la même femme ? Et ensuite, cela va-t-il vraiment se passer ? Il y a le mode et le fait. Le mode est le plus surprenant car la plupart du temps, on croit que Jésus élude la question en répondant qu’on peut donc penser que là-haut, on sera de purs esprits. Si c’était cela, la réponse ne serait pas très satisfaisante. Si nous ressuscitons, c’est dans notre corps, et pour Jésus et ses contemporains il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un corps sexué. Si l’on dit qu’on devient de purs esprits après la résurrection, on peut douter des sources de Jésus. A ce moment-là, la résurrection n’assure pas la continuité personnelle car notre sexualité fait partie de notre identité, donc il faudrait la supprimer. Il faut bien avouer que lorsque l’évangile est passé en tradition grecque et romaine, on s’est régalé du fait que nous allions devenir de purs esprits. Or, précisément dans la Bible les anges ne sont pas de purs esprits. Il y a deux indices fondamentaux pour prouver cela, dans le chapitre 6 de la Genèse (donc écrit mosaïque pour les auteurs de la controverse), on dit que les « fils des dieux sont venus séduire les filles des hommes ». Les fils des dieux, ce sont les anges. S’ils sont venus chercher les filles des hommes c’est qu’ils sont sexués. Cela fait un tel désordre que Dieu est obligé d’envoyer le déluge pour nettoyer la situation.

personne en méditationLa deuxième référence c’est la vision d’Isaïe au chapitre 6 : les séraphins ont chacun six ailes, deux pour se couvrir la face, deux pour se couvrir les pieds. Ici, les pieds désignent les organes sexuels. On ne s’imaginait pas les anges sur le mode d’êtres asexués. Tout le monde à l’époque de Jésus pensait que les anges étaient sexués. C’est le premier aspect de la réponse de Jésus. Si on devient comme les anges, qu’est-ce que cela change ? Pour Jésus, les anges sont des êtres sexués, mais ils vivent une sorte de consécration de célibataires pour Dieu. Là-haut, tout le monde serait au régime du célibat ! Non pas célibataire frustré, mais célibataire au sens de toute la puissance vitale que Dieu nous donne par la création, consacré désormais à la contemplation et à la louange de Dieu. Il admet une sorte de rupture, non pas une rupture d’identité, mais de finalité.

La réponse de Jésus est très simple et très belle, ce n’est pas que l’on perde son identité corporelle, mais dans son identité corporelle, toutes les forces d’humanité, de vie que nous avions seront désormais finalisées dans l’adoration et la contemplation du mystère de Dieu. Les sept hommes voulaient que la vie continue. Jésus leur certifie que la vie continuera mais au lieu d’être finalisée par la transmission patrimoniale par le fait d’avoir des enfants, ce sera immédiatement finalisé vers Dieu.

La femme et les sept frères seront complètement éblouis par l’amour de Dieu et ils ne se poseront même plus la question de savoir de qui ils ont été l’époux ou duquel des sept elle a été l’épouse. C’est une réponse assez subtile qui veut à la fois ménager la continuité de l’identité de chacun d’entre nous, mais elle montre que quand on est en présence immédiate de Dieu, c’est la plénitude même de tout notre être, y compris nos puissances affectives et notre sexualité qui sont complètement finalisées pour Dieu. Ce n’est pas une condamnation de la sexualité, contrairement à ce que l’on a parfois avancé. C’est l’idée que tout dans l’homme, y compris les capacités de transmission de vie vont être désormais finalisées par la contemplation de Dieu.

je suis la résurrection

La deuxième chose est encore plus forte. Jésus sait bien comment les Sadducéens ont manœuvré. Ils ne veulent pas simplement lui montrer un cas de casuistique impossible, ils veulent savoir si oui ou non la résurrection des morts aura lieu. Jésus, à cause de l’autorité de Moïse est obligé de répondre par un texte de la Loi. Ce texte n’est pas rien, c’est dans l’Exode au chapitre 3, versets 13-14, c’est au moment où Dieu se révèle à Moïse, le verset source de la Loi : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob ». Jésus fait sans doute une interprétation du texte la plus éblouissante qui soit, que les contemporains, soit juifs, soit chrétiens, avant Jésus ou après Jésus, n’ont jamais utilisée. C’est un cas absolument unique de l’interprétation du nom divin : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » et Jésus ajoute, « le Dieu non pas des morts mais des vivants ». Que veut-il dire ? Quand Dieu se manifeste à Moïse, dans la chronologie classique telle qu’on l’utilisait à l’époque, il y avait trois cents ans que Abraham, Isaac et Jacob étaient morts.

Jésus leur dit : croyez-vous que Dieu aurait pu se présenter à Moïse comme le Dieu des vieux ancêtres sur les tombes desquelles on va déposer des fleurs au cimetière ? Dieu est-il le Dieu des morts, des tombes, des caveaux, des ossements ou est-il le Dieu des vivants ? Pourquoi Dieu a-t-il pris le soin au moment même où il se présentait à Moïse de se dénommer comme Dieu mais par rapport à des gens qui ont vécu trois cents ans avant Moïse ? On peut dire que c’est une manière de se repérer, comme un élément identitaire. Dieu se présente comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob vivants. Au moment où Moïse est vivant sur la terre, eux sont vivants auprès de Dieu dans le ciel.

résurection 1

Jésus propose ici une perspective sur la résurrection qui consiste à dire qu’à partir du moment où Dieu par la création a donné la vie, ce serait une contradiction pour lui de dire que les morts restent morts. Et cela, on ne l’avait jamais dit, c’est Jésus qui, le premier, l’affirme. Curieusement quand on lit toute la littérature et tous les commentaires des plus grands auteurs patristiques aucun d’entre eux ne souligne cet aspect. C’est ce qui est à la racine la plus profonde, puisque c’est dans doute une parole de Jésus lui-même, de ce que nous disons quand nous parlons de la résurrection générale ou du jugement général. Certes, nous chrétiens, nous confessons que Jésus est la source de la résurrection, mais il n’en est pas l’initiative. Dieu ne serait plus Dieu s’il ne faisait pas vivre tout homme créé au-delà de la mort.

C’est un texte unique sur la résurrection de l’humanité comme projet de Dieu. Jésus, à la faveur d’un texte qui apparemment n’a pas l’air de vouloir dire cela affirme que Dieu est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob en tant que vivants. Vous ne pouvez pas d’une quelconque manière nier la résurrection sans nier Dieu. Vous méconnaissez l’être de Dieu si vous ne reconnaissez pas qu’un Dieu vivant est capable de faire vivre les gens au-delà de la mort. C’est plus large que la foi chrétienne, ce texte nous aide à comprendre toutes les tentatives dans les différentes cultures de l’humanité et les différentes religions pour penser la survie, l’après de la mort. Pourquoi y a-t-il quelque chose de si universel, sauf maintenant où l’on essaie de plus en plus de se cacher la mort parce qu’on ne veut pas se poser la question d’un au-delà ? Il faut bien avouer que notre civilisation contemporaine est le premier moment dans l’histoire de l’humanité où l’on veut absolument effacer la question de l’au-delà, en fait, toutes les croyances dans l’immortalité, la régénération, la métempsychose, toutes les formes d’expression, quelquefois un peu puériles et incohérentes cachent cette question. Le problème de la résurrection des morts, Dieu à partir du moment où il s’est engagé par création ne peut pas résilier ce contrat de la vie. C’est cela que Jésus veut dire aux Sadducéens.

C’est une ouverture universelle du salut, même si l’on ne croit pas en Jésus qui personnellement est le premier-né d’entre les morts, ce qui va être le cœur de l’annonce chrétienne. C’est Jésus qui est le moyen et le canal de cette résurrection, le fondement, et le fait même de la résurrection est affirmée de la façon la plus claire par Jésus lui-même. Amen.




28ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Luc 17, 11-19

La petite musique du salut

 

Frères et sœurs,

Pour expliquer brièvement ce texte, car apparemment, il ne demande pas d’explication, je voudrais simplement poser une question aux musiciens. A quoi sert-il pour un musicien de murmurer dans son cœur ou sa tête la mélodie qu’il est en train de composer, ou bien simplement de se répéter mentalement le doigté d’une partie de flûte ou de piano, s’il n’y a aucune manifestation extérieure ? C’est peut-être un très grand musicien, il est capable de composer à la table, sans jamais entendre aucun son réel, il arrive par l’agencement des accords à se dire que cela doit être extraordinaire, car si les compositeurs de symphonies avaient besoin d’avoir à leur disposition tout un orchestre, les interprètes deviendraient fous. Un musicien qui ne jouirait qu’à l’intérieur de lui-même de la musique qui lui est donnée serait sans doute excellent du point de vue de son talent mais mauvais pour nous tous. Tout l’art du musicien, c’est de faire sortir ce qu’il a imaginé dans sa tête, dans sa sensibilité, et de le faire jaillir à travers la musique, le chant et les alternances de l’orchestre et des chorales.

la foiC’est exactement le sens de cet évangile. Ils ont tous été guéris, ils ont tous entendu la musique intérieure qui les réintégrait dans la société. Ces dix lépreux ont tous reçus la guérison par une certaine foi, dans le fait qu’ils se soient précipités vers Jésus et qu’ils lui aient demandé la guérison. Ils ont compris intérieurement le mouvement de la grâce vers eux. Et étant en chemin, ils se sont rendu compte qu’ils étaient guéris.

Un seul est venu jouer la musique du salut devant le Christ. C’est ce qu’on appelle l’action de grâces, rendre grâces ou remercier. Remercier ce n’est pas simplement assurer par une sorte de convention – dire merci –, remercier, c’est aller au devant de la source qui a été l’inspiration de cette guérison, et aller devant Dieu pour se montrer à lui guéri.

Mettez-vous à la place du Christ. Qu’est-ce qui pouvait lui faire plus plaisir lui qui avait vu ces lépreux défigurés, méprisés, bannis de la société des hommes, ces hommes qui n’étaient plus des hommes, que pouvait-il y avoir pour lui de plus beau que de retrouver ces hommes qui revenaient avec un visage recomposé, restitué à sa beauté et à sa vérité première ? C’est cela que les neuf autres lépreux n’ont pas compris. Ils n’ont pas compris qu’en gardant le bénéfice interne de leur guérison, ils n’ont pas eu l’idée de retourner à la source. Certes, Dieu est bon, il ne retire pas les bienfaits qu’il a donnés, les autres sont allés accomplir les rites au temple. Ils ont considéré que puisqu’ils avaient obtenu la guérison, cela leur suffisait ! Celui qui est revenu, il a été comme le musicien qui a reconnu que sa guérison était comme une musique intérieure et que le premier qui devait le voir, c’était Jésus, la source.

Frères et sœurs, c’est ce que cet évangile veut nous faire entendre. La foi chrétienne est certes un don intérieur, caché au plus intime de notre cœur, c’est une action secrète de Dieu en chacun d’entre nous, mais à quoi servirait ce trésor si on le gardait enfoui ? A quoi rimerait ce don si on le gardait uniquement pour soi ? C’est cela que veut nous dire l’épisode du Samaritain. Luc souligne que c’est un homme étranger au peuple élu, ce n’est pas une question d’élection, ni une question d’avoir un statut privilégié, mais quand je redécouvre que Dieu m’a redonné ma véritable identité, cela ne peut pas rester secret.

foi

L’Église aujourd’hui a à peu près la même composition que le groupe des lépreux qui est venu vers Jésus pour demander sa guérison. Un dixième qui retourne pour rendre grâces, et neuf dixièmes qui se disent : « J’ai été baptisé et comme on dit parfois, « j’ai tout fait », donc cela suffit, je ne bouge plus, je garde cela soigneusement dans mes lectures, mes petites oraisons, mes petites prières personnelles, de temps en temps, j’irai voir la statue de sainte Thérèse quand cela ira moins bien. Mais, c’est plus que cela. C’est vraiment le fait qu’à partir du moment où la foi a fait de nous une autre personne, ce n’est pas du « m’as-tu vu », ce n’est pas ostentatoire, ce n’est pas une atteinte à la laïcité, c’est une reconnaissance de ce que Dieu fait. C’est très différent.

Frères et sœurs, ce n’est pas la peine d’avoir la religion ou la foi tapageuse, il suffit de reconnaître ce que nous sommes devenus par cette petite musique intérieure qui s’appelle la guérison, la miséricorde, la douceur, le bonheur et la grâce. Si je porte cela dans mon cœur, il faut que j’aille pour rendre grâces devant Dieu et devant mes frères. Amen.




28ieme Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

Jésus révèle « le Père des Miséricordes »

(Lc 17, 11-19)

 

En ce temps-là, Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée.
Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance
et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
À cette vue, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » En cours de route, ils furent purifiés.
L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix.
Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain.
Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ?
Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! »
Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »

      amour de dieu

 A l’époque de Jésus, les Samaritains, lointains descendants des Israélites du Royaume du Nord, étaient les ennemis jurés des habitants de la Galilée et de la Judée. Et nous voyons ici le Juif Jésus « traverser la Samarie » pour aller à Jérusalem ! « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16) et l’Humanité n’a qu’un seul Créateur et Père. Tout homme est enfant de Dieu, par le simple fait qu’il existe, et Jésus est venu reconstruire cette immense Famille pour lui donner de pouvoir se retrouver « là » où elle est si fortement attendue : dans la Maison du Père, conviée à s’asseoir à la table du Père pour une éternelle Fête de Famille…
 La maladie était regardée autrefois comme la conséquence du péché. Ces dix lépreux nous représentent donc tous. Ils s’approchent d’ailleurs de Jésus et lui disent, non pas « Guéris-nous », mais : « Jésus, Maître, fais-nous miséricorde ». Une telle prière ne peut qu’être exaucée : Jésus est venu pour cela, aussi grave que puisse être notre état. La Miséricorde de Dieu, en effet, est infinie, sans limite, inépuisable. Et ce sont les plus grands pécheurs, les plus grands blessés de la vie, qui, dans l’Amour, sont appelés à recevoir le plus. Les derniers sont déjà, pour Dieu, les premiers.
 Jésus ne va leur demander qu’une seule chose : la confiance. En effet, ils ne sont pas guéris tout de suite, et pourtant il va les inviter à partir vers les prêtres chargés de constater leur guérison (Lv 14) ! Et les dix vont croire et partir… Mais quel est l’objet de leur foi ? Croient-ils simplement que Jésus est un formidable guérisseur comme nous, nous pouvons faire confiance en tel médecin, en tel chirurgien ?
 « En cours de route, ils furent purifiés ». Jésus est réellement formidable, et l’aventure va s’arrêter là pour neuf d’entre eux… Un seul, un Samaritain – donné ici en exemple à un auditoire Juif ! – va revenir vers cet homme appelé Jésus « en glorifiant Dieu à pleine voix ». Avec lui, nous ne sommes donc plus dans la seule confiance humaine, mais dans celle qui, adressée à Dieu, s’appelle « la foi ». Et il se prosterne devant Jésus « la face contre terre » comme on le fait devant Dieu seul… A-t-il reconnu en Jésus ce Dieu Fils Unique venu nous rejoindre en notre humanité ? Le texte ne le dit pas… Mais quoi qu’il en soit, à travers sa relation avec le Christ, sa vie est maintenant tout entière tournée vers Dieu dans l’action de grâce. Il l’a reconnu à l’œuvre dans sa vie, il a été l’heureux bénéficiaire de sa Tendresse et de sa Bienveillance, il se tourne maintenant de tout cœur vers Lui pour lui dire : « Merci ! ». Et c’est dans cette attitude de cœur qu’il sera le seul parmi les dix lépreux guéris à entendre une parole qui va bien plus loin que la seule guérison physique : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. » Dorénavant, la Vie de Dieu, par sa foi et dans la foi, sera aussi quelque part la sienne, en attendant le plein accomplissement promis, au Ciel, dans la Maison du Père…            DJF

                          




27ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Lecture : Luc 17, 5-10

 

Serviteurs inutiles

 

seigneur-augment-en-nous-la-foi-2« Quand vous aurez fait tout ce qui vous est prescrit, vous direz : « Maître, nous sommes des serviteurs inutiles » ». Je vous propose ce matin qu’à travers les textes qui sont offerts à notre méditation, nous essayions d’affiner notre regard sur le mystère même de notre foi.

Nous sommes des croyants. Mais il se passe, surtout à notre époque, une sorte de flou dans la notion même de croyance, croire ce serait admettre l’existence de puissances supérieures au monde, de choses invisibles qu’on ne peut pas contrôler. Ainsi, le premier aspect par lequel la foi se manifeste à nous est le fait de donner son assentiment à un certain nombre de propositions qui nous sont données. Il faut croire que Dieu existe, même si on ne l’a jamais vu. Il faut croire aussi qu’il est Père, Fils et Saint Esprit, même si on ne comprend pas du tout comment trois personnes peuvent faire un seul Dieu. Il faut croire que Dieu s’est fait chair et qu’Il est venu parmi nous. Il faut croire en l’Église, une, sainte, catholique etc. Bref, autant de propositions que nous énonçons chaque dimanche dans le Credo et auxquelles nous essayons de donner notre assentiment. Mais il faut nous demander : la foi est-ce d’abord cela ? Est-ce d’abord le fait de donner son assentiment par sa pensée, par sa réflexion à un certain genre de propositions ou d’assertions indémontrables ? Je crois que si on le considère comme cela, on omet quelque chose qui est fondamental et qui nous est rappelé dans l’évangile d’aujourd’hui.

Les disciples demandent : « Augmente en nous la foi », et le Christ répond : « En ce qui concerne la foi, il n’est pas question d’augmentation ou de diminution ». Tel est le sens de sa réponse. Les disciples, quand ils posent leur question, donnent l’impression qu’il est possible d’améliorer progressivement la qualité même de sa foi, comme si à certains moments, adhérer aux mystères devenait de plus en plus facile à force d’exercices. Et le Christ répond d’une façon tellement déconcertante : « la foi, sans doute parce qu’il devait avoir des racines très ramifiées) de se déraciner et de se jeter dans la mer, alors il s’arracherait tout entier du sol et il irait se plonger dans la mer ». La réponse du Christ signifie : « La foi ne dépend pas d’une augmentation, d’une « culture » ou de l’exercice même de notre intelligence et de notre Sagesse ». C’est pourquoi il enchaîne immédiatement, dans l’évangile de Luc qui est le seul à nous rapporter cette parabole, en disant : « Quand des serviteurs travaillent, ils font ce que leur dit leur maître. Et par conséquent le travail qu’ils font est en réalité, par serviteurs interposés, le travail de leur maître », c’est une chose bien connue, mais que nous n’admettons pas très facilement. Lorsque le serviteur revient le soir, même s’il est fatigué, le maître peut encore lui dire : « Mets ta tenue de service pour me servir à table », à ce moment-là, le serviteur ne doit pas grommeler ni se plaindre. En réalité ce qu’il fait, c’est le travail que lui a ordonné le maître, il n’a qu’à s’exécuter et non pas à revendiquer en disant qu’il fait des heures supplémentaires. Cela signifie la même chose pour la foi. Nous murmurons toujours en disant que la foi, c’est difficile, qu’on n’y voit rien, qu’en réalité le Seigneur pourrait améliorer « la condition sociale » de notre existence de croyants. Certes on peut toujours se plaindre, mais ce que le Christ veut nous révéler, c’est la foi comme œuvre de Dieu en nous. Par conséquent, même si c’est difficile et même si nous sommes épuisés, nous n’avons pas le droit de nous plaindre, c’est le travail de Dieu en nous, c’est un travail qui nous dépasse. Ce n’est pas à nous de demander d’augmenter ou de varier l’indice de notre salaire de serviteur. En réalité la foi, c’est un don. Elle nous est donnée, elle est l’œuvre de la grâce.

dieu est amour

Vous allez dire : « Si la foi est simplement l’œuvre de la grâce, il en est peu qui ont la foi, car la plupart du temps la foi, c’est le « tunnel », l’épreuve de l’obscurité on ne voit rien, on ne comprend rien ». D’ailleurs, peut-être un certain nombre d’entre vous ont vu cet admirable film qui s’appelle Thérèse. Nous avons là un signe très beau, très simple, très pur de l’épreuve de la foi. Thérèse Martin a vécu sa foi, mais surtout dans les derniers mois de sa vie, les dix-huit derniers mois, dans une obscurité absolument totale. On a envie de dire « Admettons que le Seigneur nous dise de continuer à croire dans l’obscurité et sans murmurer ». Mais alors il faudrait au moins que nous ayons l’impression, le sentiment que l’œuvre de Dieu en nous est quelque chose qui s’accomplit réellement, qui nous soutient, et qui nous porte dans cette obscurité.

Nous avons trois indices qui nous manifestent la foi comme œuvre de Dieu en nous. Ce ne sont pas les seuls indices, il y en a bien d’autres, mais je vais insister sur ceux-ci parce qu’ils éclairent le texte que nous avons lu.

Le premier indice c’est que « ça tient ». C’est sans doute une des expériences que vous avez faites, à un moment ou à un autre de votre vie. Dans de très grandes épreuves ou de très grandes difficultés, on a l’impression qu’on va tout lâcher. Et, c’est très curieux, on constate pourtant qu’on ne lâche pas mais que ça tient. On a beau se dire qu’il y en a assez, en réalité on sent qu’il y a quelque chose de plus fort que nous qui fait qu’on ne peut pas lâcher, souvent, nous l’interprétons comme une ultime concession que l’on fait à Dieu. C’est très certainement une erreur. En réalité, ce n’est pas une concession de notre part, mais c’est l’ultime manière dont Dieu nous « accroche » et nous tient.

Man jump through the gap. Element of design.

Ce caractère de la foi qui nous dépasse, nous est encore confirmé par un second indice, le fait que notre foi est en sa racine une affaire de volonté. En effet, la foi n’est pas d’abord une affaire d’intelligence. Elle relève avant tout de notre vouloir et notre désir. Pourquoi ? Eh bien, je crois que c’est la manière dont Dieu nous fait comprendre que la foi vient de Lui. En effet si c’était une pure question d’intelligence, de sagesse, il y aurait un redoutable malentendu sur la foi. Lorsqu’on connaît bien quelque chose ou une personne, on a toujours l’impression de la tenir, de la posséder ou de la saisir. Tandis que, paradoxalement, dans l’exercice de notre volonté, nous faisons l’expérience inverse : le moment où le désir s’élance vers une réalité qu’il ne saisit pas encore et par laquelle il se sent attiré et subjugué. Si la foi d’abord est affaire de volonté, c’est précisément parce que nous ne possédons pas Dieu, mais que Dieu nous attire à Lui. Bien sûr nous avons le pressentiment du mystère de Dieu à travers la révélation mais fondamentalement le désir même qui nous porte vers Dieu, c’est le signe certain que nous sommes sous la mouvance de Dieu qui a suscité en nous ce désir, c’est reconnaître que nous ne sommes pas maîtres de cet élan. Nous essayons d’y adhérer de tout notre cœur, de nous couler dans le geste même de Dieu qui nous attire à Lui.

Enfin il y a un troisième indice de cette grandeur de la foi qui dépasse notre conscience individuelle ; ce troisième signe très important lui aussi, nous est livré à travers la lecture que nous avons entendue de l’apôtre Paul. L’apôtre Paul dit à son successeur Timothée : « Garde la foi dont tu as reçu le dépôt ». Cette injonction signifie que dans l’Église personne n’a la maîtrise ni la possession de l’existence de la foi, ni les évêques parce que ce n’est pas à eux de dire ce qu’ils croient ou ce qu’ils ne croient pas, car ceux qui exercent le magistère doivent dire ce qu’il faut croire ou ne pas croire, mais, ils ne « possèdent » pas la foi, ils n’en sont pas les maîtres, à tel point qu’un théologien a pu écrire au sujet de Pie XII : « Le pape est plus grand quand il croit à un dogme que quand il le promulgue », ce qui reste tout à fait vrai. Ainsi donc, dans l’Église il y a des serviteurs de la foi qui ont pour unique fonction de garder le dépôt, comme le demande saint Paul lorsqu’on est le gardien, on n’est pas le possesseur, lorsqu’un trésor nous est confié, nous avons à défendre l’intégrité de ce trésor, mais nous n’avons pas à le posséder ou à le manipuler à notre gré.

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Et c’est exactement dans l’Église le rôle du magistère, s’il y a un collège d’évêques avec à sa tête le successeur de Pierre, c’est pour manifester que la foi n’est la propriété de personne et qu’elle est entre les mains de serviteurs qui savent mieux que quiconque qu’ils ne sont pas les maîtres de ce trésor, qu’ils en sont simplement les gérants et que la réalité du mystère qu’ils proposent à tout homme les dépasse tous infiniment.

Ainsi ces indices nous livrent le sens profond et vrai de ce qu’est la foi. Elle est l’œuvre de Dieu en nous, elle nous dépasse infiniment. Elle est un don, une grâce. Elle est le travail que Dieu fait en nous. Comme le dit saint Jean : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyez ». Et c’est précisément dans la mesure où nous laissons progressivement notre cœur et notre volonté se laisser traverser et transfigurer par cette œuvre de grâce que nous pourrons véritablement avancer dans ce mystère de la connaissance de Dieu et que notre foi en sera augmentée. Amen.




27ieme Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

«Oser la confiance en l’amour du Tout Puissant» (Lc 17, 5-10)

Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi.
« Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ?
Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ?
Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” »  

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                « Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous obéirait ». Mais cela, Jésus ne l’a jamais dit, et rien de tel n’est jamais arrivé dans sa vie ! Un arbre est fait pour pousser dans la terre, et l’action de Dieu ne peut aller contre la nature qu’il a Lui-même créée, avec ses lois qu’il lui a données et que nous découvrons petit à petit… Cette parabole n’est donc pas à prendre au pied de la lettre ! Son message rejoint ce qu’il disait un jour au père d’un enfant épileptique : « Tout est possible à celui qui croit » (Mc 9,23).

            « Tout est possible », mais pas n’importe quoi ! « Tout est possible » par l’Amour Tout Puissant, et cela pour le « meilleur » de la personne aimée… Le démon, lui, comprend autrement cette Toute Puissance, notamment dans la seule perspective ‘d’en mettre plein la vue’, et cela pour la seule gloire, orgueilleuse, de la personne concernée… « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi du haut de ce Temple, car il est écrit : « Il donnera pour toi des ordres à ses anges, afin qu’ils te gardent ». Et encore : « Sur leurs mains ils te porteront » » (Lc 4,9-11 ; Ps 91,11-12).

            De plus, nous dit Jésus, « le Fils ne peut rien faire de Lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement… Moi, je ne peux rien faire de moi-même » (Jn 5,19-20.30). Jésus vivait donc parfaitement la foi au Père, il avait une totale confiance en Lui (Jn 11,41-42), il le laissait accomplir ce qui ne pouvait qu’être le meilleur pour cette mission qu’il ne s’était d’ailleurs pas donnée à lui-même, mais qu’il avait aussi reçue de son Père. Et, dans le contexte de l’époque, le Père a accompli des merveilles pour rendre témoignage à son Fils : « Les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Mt 11,5).

            Et Jésus, uni au Père dans la communion d’un même Esprit, dit à tous ses disciples, appelés à vivre le même Mystère de Communion : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais » (Jn 14,12). En effet, ce qui est vrai pour le Fils l’est d’autant plus pour le disciple : c’est le Père qui agira de la meilleure façon qui soit pour le bien de tous…

            Et Jésus termine son invitation à la foi, à la confiance, par un appel à l’humilité. Que les disciples ne s’enorgueillissent pas de tout ce qui peut se faire avec eux et par eux ! Qu’ils n’oublient jamais qu’ils ne sont que les serviteurs de Celui-là seul qui peut accomplir de telles merveilles… « Nous sommes des serviteurs quelconques »…                                    DJF




26e dimanche ordinaire – Année C – Claude WON FAH HIN

Luc 16 19–31

lazare-et-le-richeNous avons deux personnages : un riche inconnu qui aime le luxe, s’habille fastueusement et chaque jour, ne lésine pas sur la nourriture, la bonne chère. Il profite au maximum de chaque moment de la vie. C’est là, le rêve de bon nombre de personnes : être très riche, avoir une vie luxueuse, une vie dans l’abondance où rien ne manque. Et nous avons en face, Lazare, un SDF (sans domicile fixe),  qui git au portail, en réalité il gît près de la  grande porte de la maison de cet homme riche. Il est dans un dénuement extrême, malade, tout couvert d’ulcères, il ne reçoit pas de soins médicaux sinon ceux apportés par les chiens qui lui lèchent ses ulcères  et surtout, il a faim, si faim qu’il aurait bien voulu se rassasier simplement des restes tombés de la table du riche. Le texte ne dit pas que le riche est « mauvais », qu’il a de mauvaises intentions ou encore hautain.  Ils vivent simplement à quelques pas l’un de l’autre et ne vont jamais se rencontrer. Dt 15,7-11 : « 7 Se trouve-t-il chez toi un pauvre, d’entre tes frères, dans l’une des villes de ton pays que Yahvé ton Dieu t’a donné?  Tu n’endurciras pas ton cœur ni ne fermeras ta main à ton frère pauvre, 8 mais tu lui ouvriras ta main et tu lui prêteras ce qui lui manque. 9 Ne va pas tenir en ton cœur ces mauvais propos : Voici bientôt la septième année, l’année de remise, en regardant méchamment ton frère pauvre sans rien lui donner; il en appellerait à Yahvé contre toi et tu serais chargé d’un péché! 10 Quand tu lui donnes, tu dois lui donner de bon cœur, car pour cela Yahvé ton Dieu te bénira dans toutes tes actions et dans tous tes travaux. 11 Certes, les pauvres ne disparaîtront point de ce pays; aussi je te donne ce commandement : Tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays ».
En fait, le riche, comme beaucoup d’autres riches, ne voit jamais ou rarement le pauvre, même et surtout quand il passe près de lui. Et c’est justement là sa faute : ne pas voir… ou encore ne pas vouloir le voir, et l’ignorer complètement, à l’inverse de Dieu qui, Lui, voit la misère de son peuple (Ex 3,7) : « 7…J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs; oui, je connais ses angoisses. 8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens… ». Nous avons ici le problème de bon nombre d’entre nous : on ne voit jamais le pauvre. On est dans l’indifférence. Si le regard porte sur les autres, c’est souvent pour les critiquer, pour en dénicher les défauts, les rabaisser parce qu’on s’estime soi-même bien supérieur à l’autre, et on se compare. Et c’est là, la ruse de l’Esprit du mal qui dit à Mariam Baouardy (« Mariam, sainte Palestinienne – La vie de Marie de Jésus Crucifié » – Père Estrate – P.108) : « Nous avons tout fait pour lui inspirer (à une personne) de l’antipathie pour une de ses compagnes. Nous avons exalté sa vertu solide ». P.138 : « Quand vous serez fidèles et que vous ferez quelque chose pour Dieu, Satan viendra vous faire croire que vous valez beaucoup, que vous faites bien toute chose, que vous êtes saintes. ». L’orgueil faisant le reste, l’autre lui devient inférieur  ou passe pour insignifiant. On regarde de haut. Le pauvre ne compte pour rien vis-à-vis du riche qui vit à deux pas de lui sans jamais le voir.

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L’un et l’autre finissent par mourir. Tandis que le pauvre Lazare est emporté par les anges dans le sein d’Abraham où se retrouvent les « justes » et « où d’une certaine manière il participe déjà au bonheur éternel, dans l’intimité du Seigneur » (Miche Hubaut), le riche, lui, est enseveli. Rappelons immédiatement que cette parabole ne reflète en rien la réalité de l’au-delà. C’est un récit purement imaginaire, qui n’a pas pour but de nous renseigner sur la réalité de la vie après la mort, mais pour nous dire qu’il nous faut accueillir, dès ici-bas, dans la foi, la Parole de Dieu pour avoir le salut.
Et voilà Lazare classé parmi les « justes » puisqu’il se retrouve avec Abraham. Dieu aime le pauvre, et dans l’évangile d’aujourd’hui, il n’est même pas dit que ce pauvre ait la foi ou non. C’est uniquement par le fait qu’il soit « pauvre » qu’il plait à Dieu de le secourir dans sa grande miséricorde. Lc 6,20 : « Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous ». Le pauvre est celui que Dieu aime particulièrement. Et tout l’enseignement du Christ nous invite à nous tourner vers le pauvre. Lc 14,13 : « invite le pauvre à ton festin » ; Lc 3,11 : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même » ; Ga 2,10 : « nous devons seulement songer aux pauvres » ; Lc 11,41 : « Donnez plutôt en aumône ce que vous avez… ». Alors que sur terre, le riche est un inconnu, le pauvre, lui, a un nom : il est déjà connu de Dieu puisqu’il le nomme. Jn 10, 3 : « … ses brebis à lui, il les appelle une à une… ». Lazare, sur terre, n’était donc pas seul et délaissé, il était déjà dans le cœur de Dieu tandis que le riche, enfermé dans son monde à lui, ne le remarquait même pas, à deux pas de chez lui. Nous aussi, nous sommes souvent fermés dans notre monde à nous, le monde du travail, le monde de la famille, le monde de notre paroisse, sans pour autant voir le pauvre parfois aux portes de nos églises. Et on veut se faire passer pour quelqu’un de bien.  Si nous n’aidons pas, par nos actes, les pauvres et les plus démunis, notre amour pour Dieu n’est qu’une illusion. Le Pape François nous dit dans la « Joie de l’Évangile » (§48) : « l’Évangile nous donne une orientation très claire, ce ne sont pas tant les amis, et voisins riches qu’il faut privilégier, mais surtout les pauvres et les infirmes, ceux qui sont souvent méprisés et oubliés, « ceux qui n’ont pas de quoi te le rendre » ( Lc 14,14). Aujourd’hui et toujours, « les pauvres sont les destinataires privilégiés de l’Évangile…Il faut affirmer sans détour qu’il existe un lien inséparable entre notre foi et les pauvres. Ne les laissons jamais seuls ». reuters610714_articolo
Dans l’Hadès ou Shéol, un lieu où, selon la pensée juive de l’époque, se retrouvent tous les morts, les justes comme les méchants, le riche a la langue sèche, il a soif et il souffre. Il voit Lazare dans le sein d’Abraham à qui il demande de l’envoyer chercher une goutte d’eau pour lui rafraîchir la langue. Abraham lui répond : « mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare pareillement ses maux; maintenant ici il est consolé, et toi, tu es tourmenté ». Ainsi, les biens du riche sont ici-bas, sur terre,  et les biens du pauvre sont au paradis. C’est donc durant la vie terrestre qu’il fallait chercher le Royaume de Dieu d’autant plus que le riche avait une vie plus que confortable et donc du temps pour Dieu tandis que le pauvre passe son temps à trouver un moyen pour survivre. – De plus, il y a entre Lazare, Abraham, et le riche un abîme impossible à franchir, la situation est donc irréversible, on ne peut plus revenir en arrière et personne ne peut plus aider le riche. Si cet abîme existe dans l’au-delà, c’est qu’il existait déjà sur terre entre le pauvre et le riche. Le pauvre qui a connu un énorme manque d’amour sur terre sera comblé d’amour dans l’au-delà. Mais si nous avons l’amour du prochain, nous connaitrons aussi l’Amour après la mort. L’amour appelle l’amour. Un choix doit se faire et c’est sur terre, de son vivant, que le destin va se jouer. C’est donc à nous de faire le choix, de notre vivant, si l’on veut être reçu comme Lazare dans le sein d’Abraham et être du bon côté de l’abîme.

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Le riche essaie alors de trouver une solution pour sauver son père et ses cinq frères vivant encore sur terre. Il demande à Abraham d’envoyer Lazare prévenir sa famille qu’il faut se convertir et qu’ils risquent aussi de ne pas être au rendez-vous avec Dieu. On pense alors que la résurrection de Lazare pourrait amener les gens à se convertir.  Or il n’en est rien (Lc 16,31) : « Du moment qu’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus ». En effet, après Moïse et les prophètes,  Dieu le Père lui-même a envoyé son Fils – Dieu prenant le corps d’un homme – et la grande majorité de l’humanité n’y croient pas et même un grand nombre de chrétiens sont de mal-croyants, sceptiques, étant à la suite du Christ parfois sans grande conviction. La conversion ne vient que de l’écoute et de l’observance de la Parole de Dieu : « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent ». Abraham laisse ainsi entendre qu’habituellement, le riche est quelqu’un qui n’écoute pas  et « reste figé dans une attitude d’égoïste, de désinvolture, d’irréligion (de manque de conviction religieuse) et souvent de fermeture de cœur, incapable de lire les signes de Dieu » (Noël Quesson). Sa richesse ne pourra pas lui permettre d’acheter un billet pour le Royaume de Dieu et l’heure de la mort sera aussi son heure de vérité : restera-t-il attaché à sa richesse ou bien se tournera-t-il vers Dieu à l’heure de mourir ? C’est Timothée, dans la seconde lecture d’aujourd’hui (1Tm 6, 11-14) qui nous donne d’excellents conseils pour rester du bon côté de l’abîme : « Poursuis la justice, la piété, la foi, la charité, la constance, la douceur. 12 Combats le bon combat de la foi, conquiers la vie éternelle à laquelle tu as été appelé et en vue de laquelle tu as fait ta belle profession de foi en présence de nombreux témoins. 13 Je t’en prie devant Dieu qui donne la vie à toutes choses et devant le Christ Jésus …, 14 garde le commandement sans tache et sans reproche, jusqu’à l’Apparition de notre Seigneur Jésus Christ ». Le vrai riche n’est pas celui qu’on croit : le pauvre est riche de Dieu et le riche est pauvre de Dieu. « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Mt 6,24), un choix doit donc se faire et c’est maintenant qu’il faut le faire. Après, ce sera sans doute trop tard, car « après » peut se faire à l’instant même avec un AVC, un arrêt cardiaque, un accident mortel, un tremblement de terre etc…C’est maintenant qu’il faut être prêt pour passer du bon côté de l’abîme. Grande est cependant la miséricorde de Dieu qui probablement nous laissera, à chacun de nous, un temps de repentir même au tout dernier moment, mais nous sommes, malgré tout, tenu d’appliquer les commandements de Dieu. Et la deuxième lecture d’aujourd’hui nous supplie (1Tm 6,14) : « garde le commandement sans tache  et sans reproche, jusqu’à l’Apparition de notre Seigneur Jésus-Christ ». Ne perdons pas notre temps à des babioles terrestres, et vivons dans le Christ par les pauvres interposés. Dt 15,11 : « Tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays ».




26ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Lecture : Luc 16, 19-31

 

Le repas du riche

 

Frères et sœurs,

lazare-et-lhomme-richeCette parabole n’a apparemment pas vraiment besoin d’explication. La seule chose qui pourrait peut-être nous choquer, c’est que cette parabole n’est pas une invention de Jésus. En effet, ces histoires de rétribution du comportement ici-bas dans l’au-delà étaient un lieu commun dans la littérature aussi bien de sagesse égyptienne, que dans la littérature de la Palestine. Un certain nombre de récits analogues sont conservés dans le Talmud, et même aussi dans la culture grecque où l’on se plaisait tellement à faire dialoguer les morts de l’autre côté, avec un certain nombre de souvenirs de leur vie passée (voir dans l’Iliade), et c’était devenu un véritable genre littéraire. Cette idée que la rétribution de nos actes, ou de nos omissions ou de nos duretés de cœur, va s’accomplir de l’autre côté, ne représente pas une idée originale dans l’évangile.

On peut se demander alors pourquoi Jésus a tenu à reprendre un vieux thème qui était à l’époque déjà un peu éculé, pour faire passer un message de rétribution. L’évangile est-il un message de rétribution ? Dieu est-il là avec Abraham comme intendant pour régler les comptes avec les hommes et rembourser à chacun d’entre nous la monnaie de notre pièce ? Je crois que non. Si ce petit passage de l’évangile était une reprise aménagée de la rétribution avec un petit clin d’œil à la résurrection des morts à la fin, ce serait un peu banal. Mais alors, que Jésus a-t-il voulu dire en reprenant cette histoire ?

Même dans la pensée la plus commune et la plus païenne, que voulait-on dire ? Une chose qui était spirituellement, religieusement et moralement très élevée, tout à fait respectable : chaque acte dans notre vie a une répercussion dans l’au-delà. Si l’on avait posé un acte de bonté, cela ne pouvait pas disparaître. Même les civilisations les plus étrangères à la tradition biblique ont toujours essayé de le manifester d’une façon ou d’une autre.

Réciproquement, si un acte était mauvais, il avait une répercussion éternelle. Les exigences du récit, l’arrangement de l’histoire exigent de simplifier en disant que la répercussion éternelle c’est précisément la rétribution. Cela mérite encore notre attention aujourd’hui, car nous vivons sur un fond que nous appelons la sécularisation, en croyant que chaque acte vaut pour lui-même et qu’il doit être réalisé pour lui-même.

Ce n’est pas si sûr que cela ! Contrairement à tout ce que les traités de morale et d’éthique disent aujourd’hui : ce n’est pas l’acte qui se justifie en lui-même. L’horizon est un peu limité. Oui, mais nos contemporains ne croient plus à la vie éternelle, il faut donc se trouver des codes éthiques qui essaient de maintenir un minimum de principes et de moralité. D’où la justification de l’acte bon par lui-même.

Dans l’évangile et dans la tradition ancienne, ce qui a fait un immense progrès, était de dire que chaque acte humain avait une sorte de répercussion, d’onde de choc qui débouchait dans l’éternité. Mais ce qui est original dans la parabole que Jésus nous a laissée, c’est autre chose. La plupart du temps, les paraboles de rétribution se contentaient de décrire parallèlement les deux destins : le destin du riche méchant, égoïste, et le destin du pauvre, gentil, aimable, victime, etc., et l’on concluait : chacun a son destin, et dans l’éternité, chacun recevra ce qui lui est dû.

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Ce qui est intéressant dans cette parabole, dès le début de l’histoire, c’est que les deux personnages sont en rapport l’un avec l’autre. Le pauvre vit à la porte de la maison du riche, il est dans une situation de souffrance, d’attente, d’espérance, vis-à-vis du riche auprès duquel il essaie de vivre pour faire remarquer sa présence et son besoin. Quant au riche, il vit à côté du pauvre, certes, il l’ignore, mais le pauvre est là. Ils sont en capacité d’entrer en relation l’un avec l’autre, l’un le comprend fort bien et l’autre refuse de le comprendre. Lorsque les deux sont passés par la mort, ils se retrouvent… ce qui n’était pas tellement évident dans les autres récits. Non seulement Jésus a insisté sur la proximité qu’il y avait entre les deux sur la terre, mais il insiste aussi sur la capacité qu’ils ont de se rencontrer dans l’éternité. Et la rencontre a vraiment lieu. Le riche, tout à coup, s’aperçoit que le pauvre a existé ! Ceux qui ont vécu côte à côte et qui avaient toutes les capacités de se rencontrer sur la terre, doivent attendre que la mort les fasse s’apercevoir. Dans les tourments de l’enfer (Jésus reprend là tous les symboles nécessaires pour évoquer l’enfer), malgré cela, le riche arrive enfin à repérer Lazare. C’est à ce moment-là qu’il comprend ce qui s’est passé : il y avait un pauvre à sa porte, et lui le riche, ne l’avait jamais vu. Il a fallu que par les tourments de l’Hadès, il découvre la situation du pauvre en état de manque pour voir maintenant le pauvre qui est de l’autre côté.

Que pouvons-nous en conclure ? Jésus ratifie la sagesse des nations. Il dit que chaque acte a une répercussion dans l’éternité. Mais comment se fait cette répercussion ? Par le lien ou le non-lien que nous aurons établi sur la terre. C’est très fort de dire que nos actes ont une portée éternelle. Et comment cela se fait-il ? Dans la manière dont nous avons accueilli ou non la présence du frère. Ce qui a ouvert le cœur du pauvre à la joie dans le Royaume, c’est le fait qu’étant en attente sur la terre, de l’autre côté il a découvert qu’il était réellement attendu et qu’Abraham a fait pour lui ce que le riche n’avait pas fait, alors que le riche qui avait fermé son cœur et sa porte se retrouve de l’autre côté dans un état de manque qui était pourtant constitutif de sa condition humaine ; et là il retrouve Lazare. La valeur d’éternité de nos actes se découvre, s’accomplit et se réalise par la présence de l’amour que nous portons à nos frères.

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C’est une parabole assez terrible, exigeante. Elle nous fait comprendre que notre éternité passe par la manière dont nous aurons agi vis-à-vis de nos frères. C’est la pointe de la parabole. Lorsque le riche dit qu’il faut aller s’occuper de sa famille restée sur terre pour leur ouvrir les yeux, Abraham rétorque : non, ils ont tout ce qu’il faut sur place, ils ont les prophètes, la Loi, Moïse, les pauvres. Si nous intervenons, cela « fausse le jeu ». L’ouverture à l’éternité passe par le cœur de ceux et celles qu’on aime et dont nous sommes aimés.

Frères et sœurs, cette parabole peut nous aider à réfléchir. Aujourd’hui on se demande toujours comment il se fait que nos actes aient une portée si profonde et si grande. Quand on pense que c’est notre frère qui peut ouvrir à nos actes cette dimension d’éternité, cela peut changer pas mal de choses dans notre comportement. Cela ne veut pas dire que la prédication de Jésus se dissout dans une philanthropie généralisée, mais c’est le fait que pour que notre acte puisque prendre sa valeur de plénitude, de charité et de communion, si cela ne commence pas ici-bas, cela ne s’accomplira pas de l’autre côté. Amen.




26ieme Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

«Aimer son frère c’est aimer Dieu»

(Lc 16, 19-31)

En ce temps-là,  Jésus disait aux pharisiens : « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux.
Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères.
Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.
Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui.
Alors il cria : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
– Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance.
Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.”
Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père.
En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !”
Abraham lui dit : “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !
– Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.”
Abraham répondit : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »

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            En invitant à « se faire des amis avec l’Argent trompeur » (Lc 16,1-13), Jésus s’adressait juste avant aux « Pharisiens, amis de l’argent » (Lc 16,14). Et pourtant, ils avaient la réputation d’être des hommes religieux : « Vous êtes, vous, ceux qui se donnent pour justes aux yeux des hommes ». Mais tout cela n’était qu’apparence : « Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des tombeaux blanchis à la chaux : à l’extérieur ils ont une belle apparence, mais l’intérieur est rempli d’ossements et de toutes sortes de choses impures. C’est ainsi que vous, à l’extérieur, pour les gens, vous avez l’apparence d’hommes justes, mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et de mal » (Lc 16,15 ; Mt 6,2 ; Mt 23,27-28).

            Pourtant, ces Pharisiens étudiaient la Loi de Moïse et les Prophètes tous les soirs, après leur travail… Et il est pourtant bien écrit, dans le Livre du Deutéronome, le Livre de la Loi par excellence : « Se trouve-t-il chez toi un pauvre, d’entre tes frères, dans l’une des villes de ton pays que le Seigneur ton Dieu t’a donné?  Tu n’endurciras pas ton cœur ni ne fermeras ta main à ton frère pauvre, mais tu lui ouvriras ta main et tu lui prêteras ce qui lui manque ». Notons que le texte ne parle ici que de « prêter », mais peu après, il lance une invitation libre à aller plus loin, à donner, avec la perspective d’une récompense, pour encourager à l’action : « Quand tu lui donnes, tu dois lui donner de bon cœur, car pour cela le Seigneur ton Dieu te bénira dans toutes tes actions et dans tous tes travaux ». Quoiqu’il en soit : « Tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays » (Dt 15,7-11).

            Or Jésus met ici en scène « un homme riche », nouvelle allusion aux Pharisiens, « qui portait des vêtements de luxe  et faisait chaque jour des festins somptueux. » Et « couché devant son portail, couvert de plaies », gisait « un pauvre Lazare » que cet « homme riche » ne pouvait que voir et revoir lorsqu’il sortait de chez lui ou y rentrait. Et il ne lui donna jamais rien! Fermé à son prochain, son cœur ne pouvait qu’être aussi fermé à Dieu, une attitude qui demeure au moment de la mort… Incapable de recevoir cette Plénitude que Dieu veut donner à tout homme, il souffre terriblement : il lui manque le vrai Bonheur, d’autant plus que dès lors, il n’a plus accès à ses « vêtements de luxe » et à ses « festins somptueux »… Et pourtant, s’il avait vraiment écouté Moïse et les Prophètes (Am 6,1-7 ; Ez 16,49 ; Za 7,10), des Paroles de Dieu reprises par Jésus, il serait avec le pauvre Lazare, tous les deux comblés par cette Joie que le Père veut voir régner en tous ses enfants !                                        DJF




25ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Lecture : Luc 16, 1-13

 

Le cadeau de la liberté

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Frères et sœurs,

Ce texte pose une sorte de difficulté : qu’est-ce que Jésus est allé faire pour choisir un épisode aussi douteux ? Un intendant malhonnête, qui ensuite se fait mettre à pied sans aucune discussion, car la malhonnêteté était telle qu’il n’y avait pas besoin de lui faire un dessin ; il accepte tout de suite qu’on le renvoie, mais immédiatement, il devient apparemment encore plus malhonnête. Il se dit : voilà la facture, mais je vais fabriquer à l’inverse des fausses factures qui diminuent la somme. Cet intendant, vous ne lui confieriez jamais votre carte bleue.

Or, cette parabole a été prononcée, conservée, et quand saint Luc a rédigé définitivement son Evangile, il a été obligé de faire quelques petites considérations morales ; mais on a beau faire tous les correctifs voulus, la malhonnêteté est là, patente, indubitable, et Jésus a pris cet exemple pour expliquer quelque chose de notre comportement de chrétien.

Pourquoi ? Tromper le fisc ? Cela devient impossible. Essayer d’élargir le plus possible les marges bénéficiaires ? Cela repartira en impôts. Comment les fils de lumière, et l’on peut toujours dire que par le baptême nous sommes fils de lumière, comment pouvons-nous aujourd’hui imiter les fils de ce monde pour essayer d’appliquer cette parabole ?

Je dois vous dire au risque de choquer les parents qui se préparent à faire baptiser leurs enfants, et ceux qui accompagnent leurs enfants à la catéchèse, que c’est la plus belle parabole sur la liberté donnée par le baptême. En effet, de quoi s’agit-il ?

Cet intendant use mal de sa liberté, c’est indubitable. C’est un filou, un fripon, un voleur. Il a volé son maître dans les affaires. Heureusement, quelques âmes charitables et un peu délatrices ont averti le maître de ce qui se passait, et ensuite, quand il s’agit de sauver la situation, il est encore plus filou. Cela veut dire tout simplement que nous sommes tous des pécheurs.

4ième dimanche de paques1Vis-à-vis de la miséricorde de Dieu et de son amour, nous sommes tous des filous, nous ne méritons pas l’amour de Dieu. Ceux qui croient qu’ils méritent l’amour et la confiance de Dieu devraient se méfier et relire très profondément la parabole, et surtout relire leur vie en se disant : est-ce que véritablement je gère le bien que Dieu m’a donné aussi profitablement et aussi généreusement que Dieu l’a fait ? Il n’y a pas de souci, nous sommes tous des intendants malhonnêtes. Cela ne veut pas dire qu’il faut s’en contenter, mais cela veut dire au moins qu’il faut être lucide. Si nous sommes fils de lumière, sachons que nous sommes des pécheurs.

Voilà la base de la parabole. A mon avis, c’est pour cela que Jésus l’a choisie. C’est sans doute un fait divers qui avait parcouru la Galilée ou ailleurs à l’époque, tout le monde en parlait. Nous sommes tous des pécheurs avec l’amour de Dieu. Nous avons beau mal nous servir de notre liberté pour commettre le péché, en réalité, la liberté reste. Le premier enseignement de cette parabole, c’est l’inaliénabilité. Quand Dieu nous a fait libres, nous restons libres !

C’est précisément ce que signifie la sanction du maître, il dit à son intendant : tu m’as trompé, mais il ne dit pas immédiatement : rends-moi les comptes. Non, je te laisse encore libre. Même dans cette situation-là, tu es toujours libre. C’est toute la grandeur de la foi chrétienne, c’est de croire que tout homme, même le pire pécheur a encore comme un cadeau inaliénable la liberté qu’il a reçue de Dieu. Et parce que cette liberté n’est pas aliénable, l’homme a encore le moyen de se dire : il faut que je m’en sorte ! C’est cela la pointe de la parabole. Et cependant, il est assez fort pour rebondir. Au fond, c’est la parabole du rebond. Il avait tout pour être définitivement mis hors-jeu de la société, de l’économie et des amis, et là il rebondit, non pas de façon tout à fait honnête, c’est clair. Jésus le sait bien. Mais ce qu’il veut dire c’est que parce que la liberté est inaliénable, on peut rebondir. C’est cela qui intéressait le Christ. Cet homme dans la situation qui est la sienne est encore capable de se dire que ce n’est pas fini. C’est cela que Jésus veut dire à ses disciples, et c’est aussi ce que la première communauté avait besoin de se dire. Il est sûr que la première communauté chrétienne n’était pas dans une situation éblouissante. Ce n’étaient que des petites communautés qui avaient du mal à s’en sortir, il y avait des difficultés, des tensions, des rivalités, des petites communautés méprisées par les autres. Mais la parabole dit : souvenez-vous de l’intendant malhonnête, avec son argent et sa liberté, il a pu rebondir.

pardon force qui libére

C’est ce que le Christ veut dire : que les fils de lumière sachent que dans leur liberté consacrée par le baptême, ils peuvent toujours rebondir. Au fond, c’est une admirable parabole du pardon et de la vie baptismale. Qui d’entre nous est à la hauteur de la grâce du baptême qu’il a reçu ? Qui d’entre nous n’a pas comme premier devoir de rebondir sans arrêt par rapport à ses faiblesses, ses fautes, ses lâchetés et ses découragements ? C’est là toute la beauté et la profondeur de cette parabole. Dans la vie courante, avec les affaires tordues, les gens ont suffisamment d’énergie pour essayer de s’en sortir et avec le Royaume de Dieu le défi est encore plus grand puisqu’il s’agit d’avoir une demeure éternelle. Il faut répondre à l’amour de Dieu, mais on n’y répondra jamais, reprenez votre liberté à la base même si elle est blessée et marquée par le péché, et continuez !

Cette parabole veut nous dire aujourd’hui que le don de la liberté que Dieu fait à ses enfants ne sera pas toujours facile, mais de même que dans la vie on est aussi capable de rebondir, de même spirituellement, il n’y a jamais de raison de se décourager. Si apparemment les moyens ne sont parfois pas très honnêtes, car Dieu sonde les reins et les cœurs, cela n’empêche que devant cette nécessité le Christ dit : vous voulez entrer dans le Royaume de Dieu, ayez le même ressort, la même confiance et la même force que celle de cet intendant. C’est ce que je vous souhaite. Amen.