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25ième Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

Évangile selon Saint Matthieu 20, 1-16

 

Le poison de la comparaison.

Chômage, recherche d’emploi, …et d’un autre côté difficultés et faillites d’entreprises …

Ce mal actuel n’est pas nouveau, et déjà au temps du Christ se posait le problème des journaliers qui cherchait désespérément du travail pour pouvoir nourrir, vêtir et donner un minimum de confort à leur famille, et surtout ne pas rester oisifs, sans rien faire de la journée.

Alors, dans l’évangile, quelle aubaine pour ces hommes de trouver un maître qui accepte de les embaucher pour la journée ou une partie de celle-ci …

Et qui les paye tous le même montant, quelque soit la durée de leur travail, contre toute logique économique, au risque de faire faillite !

Ce qui entraîne des reproches de la part des premiers embauchés … qui mettent en avant des salaires égaux pour un temps de travail beaucoup plus long pour eux et dans des conditions plus difficiles.

Et a-priori, on est plutôt d’accord avec eux.

Mais que veut nous dire Jésus dans cette parabole ?

Dés le début de la parabole, il donne un élément essentiel pour la compréhension : « Le Royaume des Cieux est comparable … ».

Le Royaume des Cieux est ce qui vient à la fin de notre vie sur la terre, à la fin de notre journée (à l’échelle de l’éternité), et le maître, Dieu, donne à tous le même salaire, la même récompense : l’accueil dans le Royaume des Cieux.

Que nous soyons baptisés à notre naissance ou à la fin de notre vie, ou pas du tout ; que nous soyons convertis ou pas ; que nous soyons engagés dans l’Église ou pas ; que nous soyons évêque, prêtre ou laïcs, que nous soyons riches ou pauvres, intelligents ou non  … Dieu nous accueille tous dans le Royaume des Cieux, sauf si nous le refusons.

Mais nous, les hommes, comme les ouvriers de la première heure, nous faisons des comparaisons : « J’ai fait plus que untel pour l’Église … je suis meilleur(e) que lui … alors j’entrerai avant, ou je serai mieux placé(e) dans le Royaume des cieux » , ou dans le sens contraire : « Je ne suis qu’un(e) pauvre fidèle, je n’ai pas fais grand-chose pour l’Église, je ne prie pas tous les jours…. j’espère qu’il y aura une petite place pour moi, un strapontin. » comme le disait à Jésus la mère de Jacques et Jean : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. » (Mt 20,21).

            Mais Dieu n’est pas homme, comme il le disait au prophète Isaïe : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemin, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. » (1° lecture).

La bonté de Dieu est inconditionnelle. Elle n’est pas proportionnelle à l’importance de nos engagements, de nos efforts, de nos temps de prière … La seule chose que Dieu voit et retient, lui qui sonde les reins et les cœurs (Cf Jr 17,10), c’est si nous avons aimé, comme il nous l’a demandé. « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. » (1 S 16,7).

Arrêtons donc de nous comparer les uns les autres. Ce n’est pas facile, surtout que tout dans notre monde nous incite à le faire.

Remercions plutôt Dieu dans notre prière d’avoir donnée aux autres des talents que nous n’avons pas, et à nous-même des talents que n’ont pas les autres. Ainsi, en nous mettant ensemble, nous pourrons faire plus de choses et mieux que si nous sommes seuls … pour la Gloire de Dieu et le salut du monde.

Seigneur Jésus,

tu aimes tout le monde de la même manière,

et tu veux donner à chacun

indépendamment de ses mérites …

Et nous qui faisons tout

pour nous mettre en avant,

pour paraître aux yeux des autres …

qui n’arrêtons de faire des comparaisons …

Alors que seul l’amour compte …

 

Francis Cousin                      

                  

              

                   

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25ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

Lecture : Matthieu 20, 1-16

 

Frères et sœurs,

Voilà au moins une page d’évangile qu’on ne peut pas soupçonner d’être adaptée ou adaptable à la mentalité contemporaine. Cela n’a rien à voir avec le célèbre slogan: « Travailler plus pour gagner plus ! » Le moins qu’on puisse dire est que c’est un démenti absolument formel et qu’il y a désaccord et incompatibilité radicale.

Cela dit, même si l’évangile nous invite à penser autrement, bon nombre de questions sont posées par ce texte. Nous les avons présentes à l’esprit. C’est quand même un peu étrange que Dieu – car vous l’avez reconnu, c’est bien le Père propriétaire, le maître de la vigne – se comporte de cette façon-là. En fait, qu’on le veuille ou non, il y a bien une justice. Quand on a travaillé douze heures – c’est le système horaire des Romains où la première heure est à six heures et la onzième est à dix-sept heures –, il est évident que c’est un peu plus fatigant et onéreux que quand on travaille simplement de dix-sept à dix-huit heures. C’est vrai qu’il y a là une injustice flagrante. On peut donc vraiment soupçonner Dieu, le maître de la vigne, d’arbitraire absolu. C’est d’ailleurs un soupçon qu’il pressent de la part des ouvriers qui réclament, car Il dit : « S’il me plaît de donner à ces derniers autant qu’à vous, pourquoi ne le ferai-je pas ? » Alors, Dieu est-Il l’arbitraire absolu ?

Il ne faut pas être dupe. Il y a eu beaucoup de commentaires de théologiens très avisés pour aller dans ce sens : l’évangile, la vérité du salut, ce que Dieu nous a révélé, vont nécessairement à rebrousse-poil de ce que nous pensons. Cette parabole est bien l’illustration radicale du paradoxe des chrétiens. Finalement, Dieu se plaît à semer la panique et le désordre dans ce qu’on croit devoir être l’ordre établi pour justifier un comportement arbitraire. Cela renvoie au bon larron qui a travaillé moins d’une heure et a obtenu le Royaume des cieux dans les dernières minutes de sa vie. Comme le disait Jean Chrysostome : le larron est un voleur, – à savoir sa philosophie –, il a volé jusqu’au bout puisqu’il a même volé le Royaume de Dieu. Le larron est la parfaite illustration de la parabole. Alors, faut-il se comporter de cette manière pour entrer le premier en gloire dans le Royaume de Dieu ? Reconnaissons quand même que le premier à être entré dans le ciel, c’est le larron, accompagné du Christ. Non seulement il a gagné sa place, mais il a gagné la première place avant tous les apôtres !

Le comportement de Dieu est-il l’arbitraire ? Cela peut encore conduire à une célèbre formule : « Pèche fortement mais crois plus fortement encore ». C’est l’arbitraire de Dieu qui finalement ne tiendrait pas compte de ce qu’on se soit donné du mal ou que l’on ait été pécheur. Tout le monde hérite du paradis et comme le dit la chanson : « On ira tous au paradis ». Laissons faire, laxisme absolu, plus d’effort ni de concentration sur les qualités et les exigences de la vie chrétienne, de toute façon, rendez-vous au point d’orgue !

Ce point de vue-là n’est pas défendable. Si Dieu a vraiment introduit l’arbitraire du comportement par rapport aux hommes, Il n’est pas juste et il y a quelque chose qui ne va pas. D’autre part, il faut bien reconnaître que dans la parabole, le comportement des ouvriers de la première heure, ceux qui ont bossé douze heures, leur récrimination n’est pas tout à fait fondée. La parabole est assez habile, on nous dit que le maître va voir les premiers ouvriers à six heures pour l’embauche et il leur dit : « Venez à ma vigne, je vous donnerai un denier« . Mais ensuite, la parabole se garde bien de dire à quel tarif les suivants sont embauchés. C’est un peu l’astuce de la parabole. Les autres ont été embauchés, c’est tout. Comme il n’y a pas de salaire convenu, on ne peut pas non plus trop récriminer. Il y a même des exégètes qui par souci de justice sociale ont dit : « C’est bien connu, ceux qui viennent travailler seulement en une heure abattent parfois plus de travail que ceux qui ont travaillé pendant douze heures ». Je n’irai pas jusque-là et cela m’étonnerait que la parabole ait eu cette teneur dans l’esprit de Jésus : plus on est embauché tard, plus il faudrait travailler vite pour réussir.

Toujours est-il qu’il est vrai que la récrimination des ouvriers de la première heure tombe un peu à plat. Sur quelle base de convention syndicale s’appuient-ils ? Aucune, puisque eux-mêmes ont leur dû et reçoivent ce qui était convenu. Le maître d’ailleurs ne se fait pas faute de le leur rappeler : « Je ne t’ai pas lésé« . Il n’a pas imposé des choses qui n’étaient pas convenues au préalable. Il a convenu avec eux d’un denier, c’est terminé !

Où est la pointe de la parabole ? Si les récriminations en fonction de la justice ne sont apparemment pas respectées, si d’autre part ce n’est pas arbitraire de la part de Dieu, où est la solution ? C’est pour cela que cette parabole est un peu délicate et difficile à interpréter.

Je crois que le fond du problème est à chercher ailleurs. « Pourquoi faut-il que tu regardes avec un œil jaloux parce que je suis bon ? » En fait, le maître, propriétaire de la vigne, fait à chacun, quels que soient les horaires, la grâce de venir travailler à la vigne. Par rapport au salaire, à la récompense, à la justice comprise au sens de la rétribution, il y a avant cela une convention préalable qui aujourd’hui n’existe plus dans les entreprises, à savoir le fait d’être invité à la vigne. La première chose, c’est l’invitation. Ce qui est fondamental, c’est la grâce qui est faite à toute heure de pouvoir venir travailler à la vigne. C’était cela le souci du maître, il aimerait pouvoir trouver tout de suite, dès le matin, tous ceux qui doivent travailler à la vigne. De fait, cela ne se passe pas exactement ainsi. Il suffit de regarder l’histoire du monde pour s’apercevoir que l’appel au salut retentit dans l’histoire. Cet appel a commencé avec Abraham et il continue. Nous ne sommes peut-être pas les ouvriers de la onzième heure, nous sommes peut-être ceux de trois heures ou de midi.

La première chose qu’il faut considérer, c’est la grâce par laquelle nous sommes appelés. Avant le système de rétribution induit par l’invitation, c’est l’invitation qui est première, le contrat de confiance avant la manière concrète de le réaliser par un salaire. C’est fondamental. Dans toutes les grandes décisions de notre vie, le contrat de confiance est la réalité première par rapport à la suite des modalités dans lesquelles il va être appliqué.

Voici la pointe de la parabole : quand les premiers appelés récriminent, que font-ils ? Ils n’ont pas vu la grâce qui était faite à leurs autres frères de venir eux aussi travailler à la vigne. Ils n’ont considéré le travail de la vigne que sous leur aspect personnel : c’est nous les premiers, c’est nous qui avons travaillé. Eux ? Ils ne sont rien ! La pointe de la cette parabole, c’est le moment où les ouvriers disent au maître : « Nous sommes les vrais ouvriers, eux, ce ne sont pas des vrais. Ils sont venus trois heures, neuf heures, une heure, ils ne sont rien ». Le péché des ouvriers à travers la récrimination, c’est de considérer qu’il y a une catégorie d’hommes qui ne compterait pas, qui ne serait pas très sérieux. A ce moment-là, ce sont les ouvriers de la première heure qui créent la rupture et la séparation entre eux et les autres. C’est comme s’ils disaient au maître : « Il n’y a que nous qui avons le droit au salaire. Les autres, Tu les as appelés mais bien après nous et ce n’est pas sérieux ».

Ce problème est fondamental, c’est celui de l’élection au sens théologique du terme, le fait d’être appelés. Est-on appelé par souci de se distinguer des autres, de se mettre dans la différence avec les autres et de créer la rupture ? La religion elle-même devient alors l’occasion d’une séparation et d’une rupture. Ou bien au contraire, quand on voit les autres qui sont appelés, même plus tard, on devrait avoir le réflexe de se réjouir en disant : « Nous avions été appelés, mais c’est magnifique que d’autres soient aussi appelés plus tard ! »

Frères et sœurs, cette parabole est traditionnellement comprise comme le rapport d’Israël avec la mission auprès des païens. C’est vrai que dans les premières communautés il y a eu des problèmes de cet ordre. Peut-être qu’un certain nombre d’interprètes stricts de la Loi disaient : « Cela fait douze heures que nous avons travaillé sous la Loi, depuis Abraham et Moïse et les autres, vous les dispensez de la circoncision, des observances etc. ? » Et pourtant, l’Église avec la Parole de son Seigneur a dit : « C’est ainsi. Si les païens sont appelés, on n’a pas à les regarder de loin ou de haut, ils sont appelés et la grâce vaut pour eux comme pour nous ». A aucun moment la perspective religieuse que l’on a ne peut justifier une coupure à l’intérieur de l’humanité.

Rendons-nous compte de ce qu’impliquent la profondeur et l’exigence de cette parabole. Elle veut dire que toute la tradition, aussi bien juive que chrétienne, présente la foi et la relation avec Dieu comme un don, une grâce. Cela ne permet en aucun cas que la grâce et la religion créent une coupure à l’intérieur de l’humanité. Même si pour l’instant il y a des gens qui ne sont pas encore appelés, cela ne justifie pas de la part de ceux qui sont appelés de les traiter comme s’ils n’étaient « rien » parce qu’ils ne sont pas croyants ou qu’ils n’ont pas répondu à l’appel.

Frères et sœurs, il y a là quelque chose pour nous aujourd’hui d’absolument fondamental. C’est vrai qu’il faut tenir que l’appel que nous avons reçu exige que nous soyons véritablement des membres qui travaillons à la vigne de Dieu, que nous portions le poids du jour et de la chaleur si effectivement depuis l’enfance nous avons été baptisés. Mais en même temps, cette grâce, ce travail à la vigne ne nous donnent aucune supériorité, aucun motif de nous couper et de nous considérer comme supérieurs aux autres. Les autres sont potentiellement appelés, ils le restent et si nous ne les regardons pas comme ceux qui doivent aussi toucher le dernier la résurrection, alors c’est nous qui cassons tout le plan de Dieu sur sa vigne, la vendange, la récolte et tout simplement le bonheur de se retrouver ensemble dans cette vigne. Amen.




24ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

Frères et sœurs,

La parole qui nous a été donnée aujourd’hui dans l’évangile est une parole de miséricorde et de pardon. C’est cette parabole d’un serviteur qui devait à son maître une grande somme. Le maître lui en fait remise, mais ensuite, lorsque ce serviteur a rencontré un de ses débiteurs sur le chemin, alors même qu’il venait d’être acquitté de sa dette, il va jusqu’à faire enfermer ce débiteur qui lui devait beaucoup moins. Par ce geste, il a encouru la colère et le châtiment de celui qui lui avait auparavant remis sa dette. Les termes de la parabole sont clairs. Le premier, le Maître qui pardonne à son serviteur, c’est Dieu. Le serviteur à qui est remise la dette si importante, c’est chacun de nous. Le troisième personnage, c’est le prochain à qui nous devons pardonner et faire miséricorde parce que le Seigneur Dieu nous a Lui-même fait miséricorde. Seulement, il s’agit de bien entendre ce que signifie le pardon.

En effet, nous avons une si curieuse appréhension de notre vie chrétienne que nous pensons qu’elle comporte plusieurs degrés. Il y aurait d’abord l’amour du prochain, ceux que nous aimons bien ; puis un peu d’amour pour ceux qui nous sont indifférents, puis très peu d’amour pour ceux que nous ne connaissons pas et enfin pas du tout pour ceux qui ne nous aiment pas. Ou plutôt on admet un degré extrême qui est une sorte d’idéal proposé par le Christ à chacun de nous et qui est censé manifester une sorte de supériorité de la foi chrétienne sur les autres religions. C’est que nous, chrétiens, nous allons jusqu’au pardon des offenses et qu’ainsi, le pardon serait cette espèce de prouesse exceptionnelle que les chrétiens doivent manifester de temps en temps vis-à-vis de ceux qui leur ont fait du mal. Ou encore, nous avons une compréhension du pardon qui elle, serait beaucoup plus psychologique : le pardon vu comme une sorte de lâcheté, le fait de pardonner consistant simplement à passer l’éponge sur telle ou telle offense, à oublier et ne plus tenir compte, à « faire comme si rien ne s’était passé » et à laisser passer tel ou tel évènement par profits et pertes. Dans un cas comme dans l’autre, je crois que le sens de la miséricorde et du pardon est un sens purement humain. C’est soit une prouesse morale mais humaine, soit une faiblesse morale mais également humaine. Dans un cas comme dans l’autre on ne voit pas pourquoi Dieu se serait dérangé pour venir nous enseigner cela.

C’est que, pour comprendre la vérité même du pardon, il faut la saisir à partir de la manière dont l’homme a été voulu et créé par Dieu. Dès les premières pages de la Genèse, nous savons que l’homme a été créé à l’image de Dieu et que cette image ne passera jamais. Même si l’homme pèche, il reste au plus profond de lui-même image de Dieu, une image ternie, abîmée et dépouillée, mais une image quand même. Or cette image de Dieu qui, au sixième jour de la création, sort des mains de Dieu, c’est l’homme devant lequel s’émerveille tout l’Ancien Testament, l’homme qui reflète la gloire de Dieu, l’homme fait pour vivre dans l’amitié de Dieu, dans l’amour et dans la joie d’un amour partagé. Mais voilà que l’homme a renoncé à vivre ainsi. L’homme a renoncé à partager l’amour de Dieu et il a pris l’initiative de ce que nous appelons le péché, c’est-à-dire d’abîmer cette image de Dieu.

Et une des conséquences de ce péché, est d’avoir, en quelque sorte, contraint l’amour de Dieu à être pardon et miséricorde. Certes, depuis toujours cet amour, si j’ose dire, de la part de Dieu était capable de miséricorde. Mais, à partir du moment où nous avons repoussé cet amour merveilleux que Dieu nous a offert, nous avons contraint Dieu à être pour nous miséricorde et pardon. Non pas un pardon qui laisse les choses aller, mais un pardon qui n’a qu’une envie, c’est de ressusciter et de renouveler, de l’intérieur, ce qui a été défiguré.

A partir de ce moment-là, la miséricorde et le pardon de Dieu sont une source sans cesse jaillissante qui empêche, jour après jour, que le monde ne s’écroule sous la pression de la haine, de la violence et du péché. Ainsi cette miséricorde de Dieu, à laquelle nous l’avons contraint, c’est le monde nouveau dans lequel nous prenons vie. Dieu est miséricorde et pardon parce que nous l’y avons contraint. Mais c’est l’imagination extraordinaire de Dieu, que, voulant nous sauver, Il ait voulu retourner en nous l’image et la restaurer pleinement. Il l’a restaurée non seulement en nous donnant d’aimer, mais Il l’a restaurée en nous donnant d’aimer comme Lui nous aime. Parce qu’Il est devenu un amour miséricordieux et qui pardonne, voici que nous-mêmes nous sommes « contraints » à devenir miséricorde, à devenir un amour qui pardonne. Et désormais, nous aussi, nous sommes pris au jeu. Dieu nous contraint à la miséricorde si nous voulons vraiment vivre à son image et à sa ressemblance. Le pardon et la miséricorde ne sont donc pas quelque chose de facultatif, une prouesse qu’on arriverait à faire de temps en temps, mais ils constituent la véritable et unique manière dont nous devons nous situer toujours les uns par rapport aux autres. Si nous voulons vraiment, intimement, refléter la gloire de Dieu et l’amour de Dieu qui pardonne, nous ne pouvons être que miséricorde. Et c’est ainsi que nous devons être, les uns avec les autres, devenant source de grâce et d’espérance les uns pour les autres.

C’est extrêmement difficile à vivre et ce n’est pas sans problème, mais c’est fondamental pour notre existence de chrétiens. Si nous ne sommes pas des chrétiens qui pardonnons, nous ne sommes pas des chrétiens.

Je sais toute la difficulté qu’il y a à vivre ainsi aujourd’hui. Nous vivons, plus que jamais, dans un monde qui méconnaît au plus profond de son cœur, la réalité de cette image de Dieu, comme amour de pardon et comme miséricorde. C’est une raison supplémentaire pour nous, qui avons reçu par notre baptême la grâce de la miséricorde, d’en témoigner au milieu des pires violences, au milieu des situations les plus déconcertantes, les plus absurdes. Il faut que nous sachions que la seule chose qui réponde à la violence c’est la vérité du pardon qui n’est ni lâcheté, ni prouesse morale extraordinaire, mais qui est le resplendissement de la gloire miséricordieuse de Dieu sur notre monde déchiré. Amen.




24ième Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

 Évangile selon Saint Matthieu 18, 21-35

 

« Combien de fois dois-je lui pardonner… ?»

La question de Pierre peut surprendre. Parce que pour la plupart d’entre nous, la question n’est pas le nombre de fois qu’il faut pardonner, mais de pardonner, ne serait-ce qu’une fois. Pierre propose à Jésus d’aller jusqu’à sept fois, ce qui veut dire, dans le langage biblique, tout le temps.  Mais pour Jésus, cela lui semble insuffisant : 70 fois sept fois : c’est un super-superlatif, plus que tout le temps, sans arrêt. C’est une dimension qui n’est pas concevable pour un humain et qui est du seul domaine de Dieu.

Parce que Dieu ne cesse de nous pardonner, depuis tout le temps jusqu’à tout le temps. Dieu, qui est tout amour, ne peut faire autrement, tant il veut que nous soyons dans le bonheur, libérés de nos fautes.

Nous sommes tous pécheurs, et Dieu nous pardonne tout, hormis le péché contre l’Esprit (« Si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné. » Lc 12,10), et il nous pardonne gratuitement, sans rien demander en compensation. Dieu n’est que pardon, on pourrait dire, en utilisant un néologisme, que Dieu est LE pardonneur.

Et son Fils Jésus nous l’a montré de manière très forte quand il était sur la croix : malgré tout ce qu’il venait de subir, sa Passion, son crucifiement, il peut dire : «  Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34).

Comme il nous l’a demandé (« Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait » Mt 5,48), nous devons nous aussi suivre son exemple, et pardonner gratuitement, sans attendre que ’’l’offenseur’’ se présente devant nous pour demander notre pardon. C’est à nous à aller vers lui pour lui donner notre pardon, voire lui pardonner sans même aller vers lui. Dans ce cas, il ne saura pas que nous l’avons pardonné, mais l’essentiel est que nous, nous savons que nous l’avons pardonné, et que nous soyons en paix dans notre cœur.

C’est dur de pardonner,  car nous avons plutôt tendance à vouloir nous venger, en rajouter, ne pas passer pour une mauviette … Pardonner n’est pas vraiment dans la nature humaine. Mais c’est dans la nature divine, et nous devons nous en approcher.

Cela fait partie de nos croix : quitter nos rancœurs, notre fierté, passer par-dessus les apparences, la peur de passer pour un faible … pour être à l’image de Jésus.

Pardonner aux autres le tort qu’ils nous ont fait.

Mais aussi demander pardon du tort que nous-même avons fait envers les autres.

Et par conséquence envers Dieu, puisque toute faute est une rupture d’amour, envers les autres et envers Dieu, envers le commandement d’amour que Jésus nous a donné et que nous n’avons pas respecté.

Le pardon de Dieu, il nous est donné par le sacrement de la réconciliation, par l’intermédiaire d’un prêtre qui nous donne le pardon au nom de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. « Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. » (Ps 50,4).

Dieu nous pardonne toujours. Même nos grosses fautes (10 000 talents dans l’Évangile, soit l’équivalent de plus de 300 millions d’euros, plus que tout ce que nous pourrons gagner dans notre vie !!!).

Mais attention. Dans le Notre Père, que Jésus nous a donné, on dit : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. ». Ce n’est pas « Je pardonnerai comme tu m’as pardonné », ce qui n’aurait pas de sens puisque Dieu pardonne tout et que nous nous savons pécheurs. Cette demande de pardon met en avant une exigence préalable pour nous : pardonner aux autres. Ce qui nous engage fortement. Et notre demande ne peut que compter sur la miséricorde de Dieu à la fin des temps. Et si je ne pardonne pas, je suis dans une position fausse, et dans ce cas les deux dernières phrases de l’évangile de ce jour sont très claires : « Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait. C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. ».

Il s’agit donc d’avoir une attitude de pardon au fond de son cœur (une attitude qui n’est pas passive, mais totalement active). Ce qui ne peut se faire que si on passe par-dessus son orgueil : « Purifie-moi [des erreurs] qui m’échappent. Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil : qu’il n’ait sur moi aucune emprise. Alors je serai sans reproche, pur d’un grand péché. »  (Ps 18,13-14).

Seigneur Jésus,

il nous est bien difficile de pardonner

à celui qui nous a fait du tort.

Mais tu nous as montré l’exemple sur la croix.

Aide-nous à pardonner …

et à demander pardon pour nos fautes.

 

Francis Cousin                     

              

                   

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23ième Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

 Évangile selon Saint Matthieu 18, 15-20

 

« Si ton frère a commis un péché contre toi…   

… va lui faire des reproches seul à seul. »

Voilà une parole de Jésus qu’on a du mal à entendre, et à laquelle on ne s’attend pas vraiment.

Pourquoi irai-je le voir ? Lui donner mon pardon alors que je suis la ’’victime’’ ? Et on a plutôt envie de dire que c’est à lui de venir de voir pour demander mon pardon…

Réaction bien humaine ! « Les chemins de Dieu ne sont pas ceux des hommes. »

Mais l’autre, même s’il se rend compte qu’il a mal fait, bien souvent, il n’ose pas bouger, parce qu’il a honte, parce qu’il ne sait comment s’y prendre pour renouer les liens (au même titre que nous), par respect-humain … Et peut-être tout simplement ne s’est-il pas rendu compte qu’il avait mal fait ou qu’il avait blessé quelqu’un … Cela arrive !

Mais si quelqu’un nous a fait du mal, si lui ne s’en rend pas compte, nous, nous le sentons, et parfois vivement. On peut avoir des sentiments de stupéfaction, de colère, de haine, voire des désirs de vengeance …

Et on tombe dans l’engrenage de la violence …

Et on risque de faire supporter aux autres le ’’mal-vécu’’ qui est en nous !

Pour un chrétien, ce n’est pas possible.

Au nom de l’amour que Dieu a pour nous, qui est de toujours et qui restera pour toujours.

Dieu nous a aimés le premier, et ne cesse de nous aimer.

Et il nous demande de faire de même : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Ce que saint Paul nous rappelle en disant : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait rien de mal au prochain. » (2° lecture).

Alors on comprend la parole de Jésus : « Va lui faire des reproches seul à seul. ».

Ce n’est pas une suggestion (« Ce serait bien que tu ailles le voir… »), ce n’est pas facultatif : c’est un ordre ! Un Commandement !

A nous, victimes, de remettre les autres dans le droit chemin ! Pour que vive la paix !

Au risque de passer pour des « pères ou des mères-la-morale »,  des gens qui se veulent vertueux, ce qui, en toute honnêteté, nous ne sommes pas puisque le péché est en chacun de nous.

Pour suivre ce commandement de Jésus, il nous faut d’abord nous pardonner à nous-même ce que nous avons fait de mal, pour pouvoir aller dire aux autres le mal qu’ils nous ont fait. Reconnaître ses propres fautes, c’est nous réconcilier avec nous-même, et en même temps se réconcilier avec Dieu, se retourner vers lui, une façon de reprendre contact (ou de le maintenir) avec lui, et partant, dans la prière, recevoir le courage d’aller vers l’autre.

Non pour lui ’’dire son fait’’, comme on le dit parfois avec hargne, mais pour lui dire, calmement, qu’il nous a fait du mal, et que nous sommes prêts à lui accorder son pardon s’il reconnaît ses fautes.

Ce commandement de Jésus est dit de manière encore plus claire dans la première lecture : « [Si] tu ne l’avertis pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang. Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite, et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie. ». Si on ne va pas vers celui qui nous a fait du tort, pour Dieu, on se fait complice de son péché, et on ne sera pas reçu dans le Royaume des Cieux. Par contre, si on va vers lui, s’il se repent, les deux pourront aller aux Cieux, et s’il ne se repent pas, lui seul sera déchu. C’est pour nous, clairement, une condition pour aller dans le Royaume des Cieux.

Et c’est toujours une occasion de promouvoir la paix. Dans l’Évangile, Jésus termine en disant : « Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. ».

Essayons toujours de nous mettre d’accord avec les autres, autant qu’il est possible.

Seigneur Jésus,

tu nous demandes toujours des choses difficiles

pour nous les humains,

mais qui pour toi sont naturelles,

parce que tu es tout amour.

Pour nous, il faudra d’abord passer

par-dessus notre amour propre.

 

Francis Cousin                     

              

                   

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22ième Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

Évangile selon Saint Matthieu 16, 21-27

 

« Passe derrière moi, Satan ! »

Jésus annonce pour la première fois à ses disciples sa Passion, sa mort et sa résurrection. Pour les disciples, c’est une douche froide. Lui qui vient d’être reconnu par Pierre comme le « Fils du Dieu vivant », ne peut pas souffrir, ne peut pas être mis à mort ; c’est inconcevable ! Dieu ne peut laisser faire cela à son Fils !

Et Pierre ne manque pas de le faire savoir à Jésus, sans doute de manière vigoureuse : « Dieu t’en garde, Seigneur, cela ne t’arrivera pas ».

La réaction de Pierre est on ne peut plus humaine : il aime Jésus, et il ne voudrait pas qu’il souffre et qu’il meure. Et il ne comprend pas que Dieu puisse permettre une telle chose.

Et il se fait ‘prendre un bois’ par Jésus : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es un obstacle sur ma route, sur le chemin que Dieu a tracé pour moi. Je suis venu pour faire la volonté de Celui qui m’a envoyé (Jn 6,38), et celle-ci est de réconcilier tous les hommes avec lui, par amour de mon Père et de moi-même pour eux. La pensée de mon Père est plus large, plus grande que ta propre pensée qui est limitée à l’immédiat. »

« Dieu a tellement aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique » (Jn 3,16).

Dieu est amour, et tout ce qu’il fait est fait par amour. Et comme tous les amoureux, Dieu fait en sorte de séduire les hommes : « Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit. Tu m’as saisi, et tu as réussi. » (1° lecture).

La mission de Jésus est une mission d’amour.

Mais les réactions des hommes, principalement des grands prêtres et des scribes, défenseurs d’une religion basée sur la Loi, ont mené Jésus à la mort, et une mort infamante, sur une croix. « Mais Dieu l’a ressuscité ! » (Ac 2,24). Et c’est parce que Jésus est ressuscité que nous pouvons croire en lui : « Si le Christ n’est pas ressuscité, alors notre foi est vaine » (1 Co 15,17). C’est sur l’affirmation  de la résurrection de Jésus que l’Église s’est bâtie.

Et, comme « le disciple n’est pas plus grand que son maître », il nous faut, nous aussi, souffrir et mourir comme le Christ, porter nos croix … pour ressusciter à une Vie nouvelle.

Mourir, ce n’est pas simplement quand on rend son ‘dernier souffle’, à la fin de la vie terrestre. Mourir, c’est chaque fois qu’on perd le souffle (divin !), et cela nous arrive bien souvent, à cause de nos limites, parce que nous ne sommes que humains. Et chaque jour, nous mourrons à quelque chose, à notre jeunesse, à notre vaillance, à nos amitiés, à nos convictions, à notre santé … mais pour ressusciter à des réalités nouvelles, à la sagesse, par le renoncement, par le pardon, par la réconciliation, par de nouvelles amitiés …

Tout cela ne peut pas se faire sans souffrance, sans peine, sans ‘croix’ à porter, … ni sans humilité, sans amour du prochain, et sans l’aide de Dieu, du Dieu-amour.

« Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 15,12)

Laissons-nous séduire par ce Dieu-amour, même si cela entraîne que : « Tout le monde se moque de moi. »

Car « [ta Parole est] comme un feu brûlant dans mon cœur. »

Puissions-nous dire la même chose que Jérémie.

Seigneur Jésus,

comme il est difficile de penser comme toi !

Pour toi, l’amour est toujours premier.

Mais pour moi, les jalousies,

le désir de paraître, la colère, l’égoïsme …

passent bien souvent avant l’amour.

Aide-moi à purifier mon cœur.

 

Francis Cousin                     

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22ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

Lecture : Matthieu 16, 21-27

 

« Il se mit à leur montrer qu’il fallait que le Fils de l’Homme monte à Jérusalem pour y souffrir de la part des anciens, pour être tué et pour, le troisième jour, ressusciter. – Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Qui veut sauver sa vie, la perdra, qui accepte de perdre sa vie, la sauvera ! »

Frères et sœurs, cet évangile ne nous fait pas de quartier. On pourra dire au moins que, cette année, la reprise spirituelle est assez énergique et exigeante, car après le moment où l’on a pris le temps de se détendre, de revoir un peu le monde de façon moins triste qu’on en a l’habitude pendant les autres jours de travail, retomber de façon abrupte sur ce genre de texte, c’est tout de même très exigeant. Que le Christ nous parle de sa propre souffrance, nous y sommes peut-être un peu trop habitués et, à cause d’une sorte d’inertie spirituelle de notre cœur, nous en avons pris un peu notre parti : il a fallu cette souffrance pour que nous soyons sauvés. Mais lorsque le Christ, après avoir prophétisé sa passion, sa mort et sa résurrection, explique sans ambages qu’il faut absolument que tout disciple passe exactement par la même épreuve de renoncement radical à soi-même et prenne sa croix, si nous le regardons en face, cela nous fait beaucoup plus peur. C’est pourquoi il vaut mieux ne pas biaiser et regarder vraiment en face ce que cela veut dire, c’est-à-dire regarder non pas de nos propres yeux, mais comme le Christ Lui-même regardait en face le mystère de sa mort et de sa résurrection.

Tout d’abord, le regard du Christ. Lorsque le Christ annonce sa passion et sa résurrection, Il ne joue pas au prophète. Il dit clairement : « Il faut ! » – « Il se mit à montrer à ses disciples qu’il fallait ». Je dirais volontiers que tout est dans ce mot.

La plupart du temps, nous entendons ce mot « il fallait » comme une sorte d’accomplissement d’une sorte de programme géré dans l’ordinateur divin de la providence qui prévoit tout, étape par étape. A ce moment-là, comme une sorte de fatalité écrasante et pesante, le plan devait s’abattre sur le Christ, et Il devait être écrasé, anéanti par cette nécessité qui était inscrite. Il s’agit là d’un contresens. Sans le vouloir, nous considérons le cœur du Père comme une personne tyrannique, qui exerce sa tyrannie de façon presque privilégiée sur son Fils, la tyrannie d’une nécessité. Ou même, pire encore, c’est comme si nous croyions que le cœur du Père était lui-même commandé par une sorte de nécessité, alors que, si nous regardons le cœur de Dieu, nous n’y trouvons que la liberté d’un amour qui veut se donner. Ou bien, nous imaginons que le cœur du Père est tyrannique vis-à-vis de sa création et qu’à partir du moment où Il nous a créés, comme nous sommes un peu fragiles et que le Christ a accepté de se soumettre à cette condition humaine, il faudrait que, comme des marionnettes, nous soyons soumis à des décrets, à des volontés qui doivent, de toute façon, s’exécuter, le Père voyant avec une sorte d’indifférence glacée ce qui va se passer. Et nous sentons bien, au fond de nous-mêmes, que cela ne peut pas correspondre à la vérité du côté même de Dieu et qu’aussi cela ne peut pas correspondre à la vérité de notre propre existence.

Mais alors, que veut dire : « Il fallait ! » Est-ce une nécessité qui s’abat sur nous, sur le Christ ? Est-ce une sorte de contrainte tyrannique, de programmation du dessein de Dieu ? Pas du tout. « Il fallait » ne renvoie pas à un programme préparé à l’avance. « Il fallait » correspond à ce plan profond de Dieu qui n’a rien d’une contrainte et qui consiste en ce qu’Il mène toute chose à son accomplissement. « Il fallait » correspond à un but à atteindre, au plan de Dieu, comme un désir fou du fond de son cœur, désir fou auquel seul peut répondre et correspondre le désir qu’a le Christ, dans sa chair, de sauver tous les hommes.

« Il fallait » veut dire : « Il faut absolument que, dans mon amour de Dieu, de Fils éternel, Je vous mène à l’accomplissement de toute chose. Je ne suis pas venu ici pour subir une contrainte, Je suis venu ici pour vous proposer l’accomplissement réel du dessein de mon Père ». Ce n’est pas une nécessité, c’est la plus haute exigence de la liberté. « Il fallait » signifie que si nous voulons un jour parvenir au cœur du Père, il faut que tout soit accompli dans l’ultime don de soi qui va jusqu’à la mort, et d’abord la mort du Christ. C’est pourquoi, loin d’être une fatalité qui s’abat sur le Christ, c’est au contraire le début de la délivrance et de la véritable manifestation de notre liberté et de celle qui est au cœur du Christ.

« A partir de ce jour-là » nous dit saint Matthieu. Effectivement à partir de ce jour-là, le Christ qui vient de fonder l’Église en disant :« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ! », le Christ nous montre comment Il va réaliser concrètement ce peuple de Dieu et le conduire à son aboutissement. Or, comment le fait-Il ? « Il fallait » qu’Il se donne dans la mort pour nous être rendu dans la Résurrection. « Il fallait » et « se donner », c’est la même chose, c’est le même acte, c’est le même point incandescent de la liberté brûlant d’amour pour les hommes dans le cœur du Christ. « Il fallait », c’est le suprême don du Christ à l’humanité qui commence en ce jour-là. « Il fallait », c’est Jésus donnant déjà sa vie pour nous tous. Et le Christ a vu vraiment cela. C’est pour cela qu’à partir de ce jour-là, il ne pouvait pas faire autre chose que de mettre les apôtres devant cette réalité qu’Il vivait si profondément au fond de son cœur. Peut-être qu’auparavant Il avait jugé qu’il n’était pas nécessaire d’en parler, mais à partir de ce jour-là, Il rassemble plus intimement ses disciples autour de Lui et Il va véritablement les conduire au mystère de sa mort et de sa Résurrection.

A la fois c’est : « Je fonderai mon Église » et le Christ qui dit à Pierre : « Retire-toi de Moi, Satan ! «  A la fois c’est la Transfiguration et en même temps ce sont les annonces de la Passion. Mais toujours, le Christ voit le but profond de l’accomplissement du dessein du Père, le don suprême de sa liberté et de sa divinité à son Père, le don suprême de soi et de sa personne à son Père, pour tous les hommes. Et Il ne peut pas faire autre chose que de mettre ses disciples devant cette exigence. C’est pourquoi les disciples s’avancent vers ce lieu de naissance de l’Église qu’est par excellence Jérusalem. C’est là que, du côté ouvert du Christ, doit naître l’Epouse du Christ, l’Église. Et vous comprenez alors la signification du « Il fallait ». Il ne faut pas que nous soyons comme saint Pierre qui dit : « Jamais de la vie ! Cela ne t’arrivera pas ! » sinon nous concevons une sorte d’amitié tout humaine de notre propre désir pour le Christ. Pierre ne veut pas comprendre que le don ultime de soi ne peut passer que par la mort. Pierre ne peut pas comprendre que la manifestation du Messie à Israël soit la manifestation d’un Messie souffrant qui donne sa vie pour le péché du monde. Alors il a envie d’attirer le Christ dans ce chemin sans aspérités, sans rocailles, sans difficultés, en lui disant : « Mais cela ne t’arrivera jamais ! » Si bien que le Christ est obligé de faire face à un combat presque du même ordre que celui qu’Il avait vécu, au début de son ministère, en face de Satan. C’est pourquoi Il dit à Pierre : « Retire-toi Satan ! » Il lui parle exactement comme Il avait parlé à Satan dans le désert. Cela veut dire : « Tu me proposes une voie qui n’est pas la voie de l’accomplissement de toute chose. Si véritablement l’humanité doit parvenir à son but, elle ne peut y parvenir que par ma mort ». Et c’est là que le Christ explique comment nous-mêmes nous devons, à notre tour, entrer dans ce mystère.

Il ne nous fait pas de concession. Dans ce regard que nous devons avoir sur nous-mêmes, c’est le Christ qui regarde notre propre destinée dans notre cœur. Et parce que son regard se pose sur nous, II nous fait voir notre vie et son accomplissement comme Lui-même voit sa vie et son accomplissement : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renonce ou qu’il se renie lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ! » Il n’y a pas d’autre accomplissement de nous-mêmes que d’entrer dans la mort avec le Christ. Au moment même où le Christ explique à ses disciples le sens de l’accomplissement de toute chose par sa mort, il leur explique en même temps qu’ils ne pourront pas faire de détour, ni éviter ce chemin-là et que tout chemin réel de rencontre du Royaume de Dieu ne peut passer que par la mort.

Cela, loin d’être un sujet de désespoir, est un objet de confirmation de notre propre espérance, car ce que le Christ veut dire c’est que, de toute façon, toute chose créée, toute réalité humaine passe par la mort. Que nous croyions au Christ, que le Christ soit venu ou ne soit pas venu, de toute façon, à partir du péché, toute notre existence est marquée avec l’horizon de la mort. Ce que le Christ veut dire, c’est que malgré cette mort, l’accomplissement qu’Il apporte à toute créature se fera. C’est le sens extrêmement encourageant du « Il fallait ». Ce n’est pas une nécessité qui s’abat sur nous. Mais « il fallait mourir et ressusciter » vient de l’irruption de la vie de Dieu qui fait qu’à ce moment-là, notre propre mort peut éclore dans le mystère de la Résurrection et dans la contemplation du visage du Père.

Nous n’échappons pas à cette loi. Qui que nous soyons, dans tout ce que nous vivons, dans tout ce que nous aimons, nous rencontrons sans cesse cette dimension de mort. Il ne faut pas s’en étonner. Lorsque le Christ a prononcé ces paroles, Il était à la fin de son ministère en Galilée. Apparemment, tout ne s’était pas trop mal passé. Tout s’était déroulé presque comme une partie de campagne. Il prêchait de village en village et les foules le suivaient. Et puis tout à coup, avaient commencé à poindre quelques malentendus. Des gens trop bien intentionnés voulaient le faire roi et Messie d’une façon un peu trop politique, si bien que le Christ a dû rompre avec cet enthousiasme des foules. C’est ce qu’on appelle habituellement, dans le ministère de Jésus, la crise galiléenne : Il se rend compte de ce que son message ne sera pas pleinement perçu dans toute la vérité de ce qu’Il venait faire, que sa mission comme serviteur souffrant ne sera pas reconnue par les foules qui le suivaient jusque-là. Alors, d’une certaine manière, Il est obligé de rompre. Il aurait pu rompre de façon sectaire et simplement réunir autour de Lui quelques disciples en disant : « Maintenant, nous allons nous retirer au désert » comme cela se faisait à cette époque-là. Il y avait des juifs qui, désespérés du messianisme politique, se retiraient dans le désert, sans n’avoir plus aucun contact avec le peuple juif. C’est généralement le mouvement qui se regroupe autour de la secte de Qumran. Après tout, Jésus aurait très bien pu se retirer dans le désert avec quelques privilégiés. Or, ce n’est pas cela qu’Il a voulu, malgré l’incompréhension de la foule : Il a continué d’annoncer son message, Il est allé à Jérusalem, Il a fait face aux autorités de son peuple, à la foule, Il a vécu les Rameaux, Il a prêché au Temple. Il savait où cela devait le mener, mais Il a cru vraiment, Il a voulu rencontrer ce peuple, même à travers sa mort et à travers le don de soi. Ce qui est extraordinaire dans la dernière partie de la vie, du message et de l’apostolat de Jésus sur notre terre, c’est qu’Il ait accepté profondément, par amour de son Père et par amour des hommes, d’aller les rencontrer jusque dans sa propre mort. C’est cela qui fait qu’aujourd’hui, Il nous rencontre encore. Si Jésus n’avait pas accepté de nous rencontrer jusque dans sa mort, abandonné de tous, raillé et moqué sur la croix, on n’en parlerait plus. Le Christ a accepté que sa mort soit le lieu de la rencontre avec chacun d’entre nous.

Et nous aussi, à travers toutes les difficultés, tous les poids de peine, de péché, de misère, d’incompréhension, toutes les croix que nous portons, ce que le Christ nous demande d’abord, c’est cet acte de foi de savoir qu’à travers toutes les souffrances et toutes les morts à nous-mêmes que nous devons vivre, non seulement nous le rencontrerons, mais en Lui, nous rencontrerons et connaîtrons nos frères comme nous aurions désiré les aimer sur la terre. Amen.




21ième Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

Évangile selon Saint Matthieu 16, 13-20

 

« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

 Quand on entend cette  réponse de Pierre (qui s’appelait encore Simon), on pourrait s’attendre à ce que Jésus le félicite avec un large sourire de sa réponse, comme dans les jeux télévisés. Même pas ! Oh, ça commence bien : « Heureux es-tu …. », mais après, c’est la douche froide : « … parce que c’est mon Père qui te l’a révélé. ».

Peut-être y a-t-il eu un peu de déconvenue de la part de Pierre, le sentiment d’être rabaissé par Jésus … Mais aussi vis-à-vis des autres apôtres ?

Mais c’est surtout un apprentissage (par avance) de l’humilité : « celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. » (Mt 20,26).

Car Jésus est réaliste : tout ce qu’il sait et fait, il le tient de son Père (cf Jn 8,27), alors, pour une formulation aussi claire de Pierre, qui tranche complètement avec les incertitudes et les hésitations des gens du peuple (« Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes »), cela ne peut venir que de son Père, « car tout est de lui, et par lui, et pour lui » (2° lecture).

Et aussitôt, c’est la récompense ( ?!) :

« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église »

« La puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. »

« Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux »

On passe à un autre registre.

Dans l’ancien testament, en préparation de la venue de Jésus, on est dans le domaine terrestre : on parle de la vie du peuple de Dieu, de royaume, des hébreux :

Éliakim est mis en place par Dieu comme chef sur le royaume de Juda, il a les clefs de la maison de David, avec le pouvoir, seul, d’ouvrir et de fermer les portes de la cité terrestre, pouvoir planté solidement, contre lequel personne ne peut s’opposer (cf 1° lecture).

Avec Jésus, on passe à un domaine spirituel, et même cosmique : l’Église est pour tous, de tout peuple, langue, race et nation, et les clefs données à son ‘chef’ permettent de lier et délier les péchés sur terre et aux cieux, une prérogative divine ( « Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul » Mc 2,7), contre laquelle les puissances de la Mort ( Satan, le Diable) ne pourront rien.

Tous ces ‘ordonnancements’ sont donnés au futur, car il faudra attendre que Jésus ne soit plus sur terre, qu’il ait rejoint son Père dans les Cieux, et surtout qu’il ait envoyé son Esprit Saint sur les apôtres, pour que Pierre puisse véritablement prendre la place de responsable de l’Église.

Alors, pour nous, à quoi cet évangile nous invite-t-il ?

Bien évidemment à nous poser la question que Jésus pose à ses apôtres :

« Qui dites-vous que je suis ? » ou « Pour toi, qui est Jésus ? »

On pourrait répondre de manière académique la même réponse que Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! », et on aurait raison.

Mais alors, la question devient :

– Qu’est-ce que cela fait pour moi de savoir cela ?

– Qu’est-ce que cela change dans ma vie ?

– Est-ce que, dans mon cœur, je sens bien que Jésus est le Fils de Dieu, qu’il est auprès de moi, qu’il est mon guide, mon soutien, qu’il est la lumière qui devrait faire que ma vie soit éclairante pour les autres dans tous les sens du terme ( « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » Mt 5,15 ) ?

– Est-ce que je peux dire que « Tout est de lui, et par lui, et pour lui » ?

Et bien souvent, après cette réflexion, on ne peut que dire, comme Pierre, là aussi : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » (Lc 5,8).

Seigneur Jésus,

ta question est sans doute

la plus difficile à répondre qui soit.

Tu es tellement grand,

et en même temps tout humble.

Tu es si éloigné de l’homme

tout en étant tout proche.

Tu es lumière éclatante

quand je suis au mieux falot.

Prends pitié de mon manque de foi.

Francis Cousin

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Prière dim ord A 21° A6




20ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

Lecture : Matthieu 15, 21-28

 

 

« Voici que Jésus arriva dans la région de Tyr et de Sidon. » A l’époque du Christ, la géographie n’était pas d’abord ou essentiellement une affaire d’organisation politique, de répartition des territoires. Elle n’était même pas non plus une affaire sociale ou une affaire de race, comme si tel ou tel peuple, telle ou telle tribu était répartie à tel endroit. Il y avait bien longtemps que cette terre était habitée par tout un ensemble de peuplades extrêmement mélangées. Mais, à cette époque-là, la géographie était essentiellement religieuse, à tel point que la région de Galilée était une véritable mosaïque de villages ou de petites villes dans laquelle un village était païen, une colonie romaine, un camp romain, et tel autre village à côté était juif. De même, à côté de la Galilée, il y avait des territoires païens nettement délimités, et c’était si marqué dans la mentalité de l’époque que chaque fois que l’on raconte un miracle de Jésus, on prend bien soin de signaler en quel endroit il s’était accompli, ou bien en terre païenne ou bien en terre juive. A tel point que Jésus Lui-même s’est soumis semble-t-il à ces exigences géographiques. Par exemple, Lui qui avait fait des bords du lac de Tibériade le lieu privilégié de son enseignement et de sa prédication, il semble que Jésus ne soit jamais allé à Tibériade, car c’était une ville fondée quelque vingt ou trente ans auparavant en l’honneur de l’empereur Tibère, et Jésus ne la fréquentait pas. En revanche, Capharnaüm ou Bethsaïde qui étaient sans doute de petits villages de pêcheurs ou d’artisans juifs, ont été le théâtre de nombreux miracles opérés par Jésus.

Or, on nous signale que Jésus semble déroger à son comportement habituel et s’en va vers la région de Tyr et de Sidon, villes éminemment païennes, phéniciennes d’origine. On appelait encore leurs habitants cananéens, du nom des premiers occupants de cette terre. Et Jésus allant dans ce pays, on ne sait d’ailleurs pas pourquoi, est interpellé par une femme de ce pays, une femme de Canaan. Or, le Christ reste absolument impassible à la demande de la cananéenne. Cette espèce d’inhumanité du comportement du Christ dans cette scène est tout à fait étrange, car on dirait qu’Il passe droit son chemin alors que cette femme crie et intercède pour sa petite fille possédée par un démon. Mais Jésus ne s’y arrête pas. Les disciples eux-mêmes semblent pris d’une sorte d’impatience, car cette femme ne cesse de courir derrière eux, de les supplier, de les importuner de ses cris. Et les disciples disent : « Exauce-la, qu’on en soit débarrassé ». On ne peut pas dire que ce soit de la philanthropie.

Le Christ a alors une répartie extrêmement vive et sèche : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ! » Il semble ainsi, à première lecture, adopter une sorte de préjugé, de mentalité courante : « Si je suis ici, moi qui suis juif, je ne m’occupe que des juifs. » On dirait que le Seigneur a sur les lèvres la même répartie que la Samaritaine à qui Il avait parlé au bord du puits de Jacob : « Comment, tu es juif, et tu me parles à moi qui suis une Samaritaine ? » « Nous ne sommes pas du tout du même univers religieux et culturel. Nous ne devons avoir aucune relation d’amitié, de contact, de dialogue, ou de quoi que ce soit ». En réalité, le Christ demande fermement pourquoi. Ceci peut nous paraître curieux, mais il y a une raison précise. C’est le sens même de l’Incarnation comme incarnation dans un peuple.

Lorsque le Christ vient, Il vient pour accomplir une mission. Il ne vient pas pour agir arbitrairement, comme s’Il faisait tantôt un petit miracle par-ci, tantôt un autre petit miracle par-là, de telle sorte que la publicité se fasse et s’organise le mieux possible. Le Christ agit selon une attitude, selon les exigences d’une mission : Il est le Messie, et par conséquent, Il est envoyé à Israël, au peuple juif qui est l’héritier des promesses, comme le rappelle encore saint Paul dans l’épître aux Romains. Et c’est parce qu’Il s’incarne dans cette histoire qu’Il est solidaire de l’histoire de ce peuple ; Dieu a partie liée avec ce peuple depuis l’appel d’Abraham, par la Loi de Moïse, par les différentes alliances contractées et rappelés au fur et à mesure de l’histoire par les Prophètes. Par conséquent, le Christ, à juste titre, renvoie à sa mission : « Je suis venu pour Israël  » et pour manifester la miséricorde de Dieu, à l’intérieur d’Israël c’est-à-dire aux brebis perdues, c’est-à-dire à ceux qui ne se reconnaissaient plus dans leur peuple, pour leur faire retrouver leur véritable identité de peuple de Dieu. Le Messie est d’abord cela, n’en déplaise à certains de nos préjugés égalitaristes. Le Messie vient pour reconstituer le peuple d’Israël, pour le rebâtir.

Mais alors, et c’est sans doute cela qui est le plus éblouissant, le Christ aurait très bien pu en rester là, et nous ne pourrions rien Lui reprocher. Or, à certains moments dans l’existence du Christ sur la terre, il se passe des espèces de révélations qui Lui sont données. Je m’explique. Si le Christ était Fils de Dieu, Il ne pouvait pas vivre autrement que dans une sorte de dialogue total avec son Père. Le sens même de l’existence du Christ sur la terre, c’était ce dialogue profond et permanent entre Lui et son Père. Ce qui est grand dans la mission du Christ, ce n’est pas simplement les miracles qu’Il a faits ou les prodiges qu’Il a accomplis. C’est que ce dialogue éternel entre Le Père et le Fils a été, à un certain moment, implanté sur cette terre. Le Christ a été l’image visible du Père invisible et Lui qui était en perpétuel dialogue avec son Père, voici que ce dialogue a retenti sur notre terre. Or, à certains moments le Père a parlé à son Fils à travers des hommes et des femmes. Ce dialogue ne s’est pas effectué avec des œillères, le Christ uniquement orienté vers son Père, mais tous les gens qui passaient, tous ceux qu’Il voyait, tous ceux qu’Il appelait, tous ceux qui criaient vers Lui, à certains moments étaient comme des signes que Dieu son Père plaçait sur son chemin.

Un des cas les plus extraordinaires intervient quand saint Pierre a confessé le Christ : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Immédiatement le Christ a compris que ce n’était pas saint Pierre tout seul qui avait deviné cela et Il lui dit : « Ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela mais mon Père qui est dans les cieux. ». Un autre cas est celui du Centurion qui dit : « Je suis un païen, je ne suis pas digne de T’accueillir ». Il n’ose même pas formuler la prière de la femme syro-phénicienne, mais il dit : « Moi je ne suis qu’un subordonné, et pourtant quand je donne des ordres, ces ordres sont exécutés. » C’est comme si cet homme parlait de la part de Dieu le Père en disant à Jésus : « Toi-même, tu as reçu tout pouvoir, c’est ton Père qui me l’a soufflé dans le cœur ».

D’une certaine manière, c’est ce qui est arrivé à cette Cananéenne répondant à la parole extrêmement dure de Jésus : »Je ne veux pas donner le pain aux chiens ! » c’est-à-dire tous les fruits de salut que je suis venu apporter, Je ne veux pas les donner aux païens car ce n’est pas pour cela que Je suis venu. A ce moment-là, le Père s’est servi de l’intelligence, du cœur et de la foi de cette Cananéenne pour manifester, à travers cette femme, tout ce qu’était son dessein de Père. C’est comme si, à ce moment-là, Dieu notre Père avait parlé à son Fils, à travers la parole même de cette femme, à travers la foi même de cette femme, à travers sa réflexion : « Mais les miettes, on les donne tout de même aux petits chiens. » Ainsi cette femme était, pour ainsi dire, introduite mystérieusement sans peut-être même le savoir, dans ce dialogue étonnant entre le Père et son Fils. Cette femme accomplissait le dessein du Père et le révélait au Christ, de la part du Père, en disant : « Seigneur, vois la faim de ces pauvres païens que nous sommes, nous avons, nous aussi, besoin d’être sauvés et ce cri, ce n’est pas seulement moi qui te l’adresse ». Et le Christ le reconnaît aussitôt puisqu’Il lui dit : « O femme, ta foi est grande ! » Et d’où pourrait venir cette foi sinon du cœur même de Dieu, par l’Esprit Saint ?

Frères et sœurs, cette page est sans doute l’une des plus belles et des plus bouleversantes de l’évangile et je crois que nous pouvons en tirer quelques applications pour nous. Pour nous aussi, il y a une géographie spirituelle de notre vie et de notre cœur. Il y a des terres occupées par Israël et il y a aussi, dans notre cœur, beaucoup de villes que l’on pourrait appeler Tyr, Sidon ou Canaan, la Décapole ou d’autres endroits semblables. Il y a à la fois des terrains où nous nous reconnaissons, ce lieu intime et profond d’où jaillit notre prière, d’où jaillit notre foi, d’où jaillissent nos cris d’appel vers Dieu. Ces terrains-là, nous le savons, ils ont déjà commencé plus ou moins à être évangélisés par la parole de Dieu, à laisser germer et pousser ce grain qui mûrira pour la moisson du Royaume. Mais il y a aussi de nombreuses terres de Tyr et de Sidon dans lesquelles nous avons un peu envie de dire comme le Christ : « Oh, là, de toute façon, on n’y peut rien. Il n’y a pas grand-chose à faire ». En réalité, c’est pourtant peut-être dans ces endroits-là que nous avons le plus à invoquer, à crier vers le Seigneur pour que là aussi, Il fasse tomber des miettes de pain de sa grâce et de son amour.

Puisque pour beaucoup d’entre nous, nous avons terminé un temps de vacances, c’est peut-être l’occasion de reprendre à la lumière de ce temps de loisir, de repos, ainsi qu’à la lumière de la vie quotidienne que nous menons, de reprendre cette identification géographique des différentes terres de notre cœur. A quel endroit le Christ a déjà donné le pain ? A quel endroit, nous n’osons même pas demander, comme la Cananéenne, qu’Il laisse tomber les miettes de la table des enfants ? Alors peut-être nous serons étonnés, car si véritablement, comme cette Cananéenne, nous crions avec foi vers le Seigneur, dans ces terres de Tyr et de Sidon jaillira quelque guérison mystérieuse, jaillira quelque source de vie, quelque prière quelque don de soi aux autres, quelque manière de répondre vraiment à l’appel de Dieu. Et alors, ce plus vieux fond païen de nous-mêmes sera véritablement le lieu de la Parole de Dieu, le lieu de la surabondance de la grâce, là où elle jaillit alors que nous ne nous y attendions pas. Amen.




20ième Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

Évangile selon Saint Matthieu 15, 21-28

 

« Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! »

Tout, dans les textes de ce dimanche, nous fait penser à l’accueil des étrangers par Dieu, ’’de toutes les nations, tous les peuples, tous les clans et toutes les langues’’ (Ap 7,9) qui seront accueillis par Dieu au nom de leur foi.

Jésus, fatigué par les controverses sur le pur et l’impur avec les pharisiens, prend un peu de recul et des ’’vacances’’ dans le pays de Tyr et de Sidon, chez des étrangers, des non-juifs.

Une Cananéenne vient vers lui. Une Cananéenne, c’est-à-dire une descendante de ceux qui ont été chassé de leur pays quand les hébreux, avec Josué à leur tête, ont pris possession du pays de Canaan, ’’là où coule le lait et le miel’’ (Lv 20,24). On pourrait penser qu’elle ait quelques ressentiments vis-à-vis des juifs, une certaine haine. Et on ne peut s’empêcher de penser à l’attitude actuelle des Palestiniens et des Israéliens depuis que ces derniers ont été réinstallés en Palestine en 1948.

Ce n’est pas son cas. Elle crie, mais pour se faire entendre, pas pour une revendication. Elle connaît l’histoire des juifs, elle a entendu parler de Jésus, et elle vient demander de l’aide, sachant que, quand «un pauvre crie, le Seigneur entend » (Ps 33,7). Et quand elle s’adresse à Jésus, elle ne se trompe pas : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ». Et à chaque fois qu’elle s’adressera à Jésus, elle utilisera ce terme de Seigneur, ce qui montre bien qu’elle savait qui était Jésus. Mais sa demande n’est pas pour elle, mais pour son enfant.

Jésus ne dit rien, sans doute pour éprouver sa foi, mais elle continue à crier tant et si bien que les disciples en sont agacés : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! ».

On pense à l’aveugle Bartimée qui, du bord du chemin, crie aussi pour attirer l’attention de Jésus, et qui se fait rabrouer par les ceux qui suivent Jésus. Tous deux ont besoin de crier pour se faire entendre. On veut les faire taire tous les deux. Et tous les deux ont un gros handicap : lui, aveugle, mendiant, rejeté car impur, ’’puni’’ par Dieu croyait-on (« Qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jn 9,2) ; elle, parce qu’elle est femme (donc qui n’a qu’à se taire), étrangère et païenne, donc aussi impure.

Mais la réaction de Jésus est différente. Alors qu’il appelle Bartimée, qui est juif, auprès de lui, il ignore la femme et répond aux disciples qu’il n’est venu que pour les brebis perdues (les pécheurs) d’Israël.

Cela ne décourage pas la femme qui vient se prosterner devant Jésus, montrant qu’elle savait que Jésus pouvait guérir sa fille du démon, et elle l’interpelle de nouveau : « Seigneur, viens à mon secours. ». Et quand Jésus parle des petits chiens, elle a le courage, l’humour (?), l’humilité de demander les miettes !

Jésus a poussé la femme jusqu’à ce qu’elle puisse affirmer devant tous sa foi en lui. Belle leçon que donne cette femme aux apôtres, à ceux qui étaient là, et à nous aussi.

Et aussi belle leçon de pédagogie de Jésus, parce qu’à travers cet échange de paroles rudes, provocantes, non seulement il force la femme à affirmer sa foi, mais aussi il permet aux apôtres de comprendre que l’important, c’est la foi en Jésus, quelle que soit sa naissance, juive ou autre, et que le salut est pour tous.

Et pour nous aussi, cela nous bouscule. Nous qui nous disons disciples de Jésus, quelle est notre attitude vis-à-vis des ’’étrangers’’ ?

Qui n’a jamais entendu (ou dit) : « Zoreil dehors ! » ou « Comores dehors ! ».

Quelle est notre attitude envers les migrants, politiques ou économiques, envers les demandeurs d’asile ?

Quelle est notre attitude envers ceux qui n’ont pas la même religion que nous ? Respect, amitié, indifférence, ignorance, haine ? Et pas simplement entre les grandes religions, mais entre les chrétiens, les protestants, adventistes etc … ? Et même entre les catholiques : romains, orthodoxes, traditionnalistes, intégristes, … ? Est-ce que nos attitudes sont toujours correctes ? nos paroles, nos pensées … ?

Et puis il y a ceux qui ne sont pas comme nous : les handicapés, les mendiants, …

Ceux qui n’ont pas notre niveau social, notre niveau intellectuel, nos opinions politiques …

Nous parlons beaucoup de notre ‘vivre ensemble’, mais si nous faisions attention à tous ce que nous disons (ou pensons) ou entendons en regardant les informations télévisées, nous sommes certainement très loin d’accepter de ‘vivre ensemble’ avec tous.

Alors que nous sommes tous appelés à vivre ensemble dans le Royaume des Cieux, ’’de toutes les nations, tous les peuples, tous les clans et toutes les langues’’.

Seigneur Jésus,

tu vois toutes ces personnes qui te courent après,

qui te harcèlent, qui veulent ceci ou cela,

tous ces étrangers, ces gens différents …

Tu les écoutes, et pas moi ! 

« Je suis venu pour que tous soient sauvés,

et d’abord les plus petits,

ceux que tu ignores,

ceux que tu ne veux pas voir ! »

 

Francis Cousin

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Prière dim ord A 20° A6