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20ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

Lecture : Matthieu 15, 21-28

 

 

« Voici que Jésus arriva dans la région de Tyr et de Sidon. » A l’époque du Christ, la géographie n’était pas d’abord ou essentiellement une affaire d’organisation politique, de répartition des territoires. Elle n’était même pas non plus une affaire sociale ou une affaire de race, comme si tel ou tel peuple, telle ou telle tribu était répartie à tel endroit. Il y avait bien longtemps que cette terre était habitée par tout un ensemble de peuplades extrêmement mélangées. Mais, à cette époque-là, la géographie était essentiellement religieuse, à tel point que la région de Galilée était une véritable mosaïque de villages ou de petites villes dans laquelle un village était païen, une colonie romaine, un camp romain, et tel autre village à côté était juif. De même, à côté de la Galilée, il y avait des territoires païens nettement délimités, et c’était si marqué dans la mentalité de l’époque que chaque fois que l’on raconte un miracle de Jésus, on prend bien soin de signaler en quel endroit il s’était accompli, ou bien en terre païenne ou bien en terre juive. A tel point que Jésus Lui-même s’est soumis semble-t-il à ces exigences géographiques. Par exemple, Lui qui avait fait des bords du lac de Tibériade le lieu privilégié de son enseignement et de sa prédication, il semble que Jésus ne soit jamais allé à Tibériade, car c’était une ville fondée quelque vingt ou trente ans auparavant en l’honneur de l’empereur Tibère, et Jésus ne la fréquentait pas. En revanche, Capharnaüm ou Bethsaïde qui étaient sans doute de petits villages de pêcheurs ou d’artisans juifs, ont été le théâtre de nombreux miracles opérés par Jésus.

Or, on nous signale que Jésus semble déroger à son comportement habituel et s’en va vers la région de Tyr et de Sidon, villes éminemment païennes, phéniciennes d’origine. On appelait encore leurs habitants cananéens, du nom des premiers occupants de cette terre. Et Jésus allant dans ce pays, on ne sait d’ailleurs pas pourquoi, est interpellé par une femme de ce pays, une femme de Canaan. Or, le Christ reste absolument impassible à la demande de la cananéenne. Cette espèce d’inhumanité du comportement du Christ dans cette scène est tout à fait étrange, car on dirait qu’Il passe droit son chemin alors que cette femme crie et intercède pour sa petite fille possédée par un démon. Mais Jésus ne s’y arrête pas. Les disciples eux-mêmes semblent pris d’une sorte d’impatience, car cette femme ne cesse de courir derrière eux, de les supplier, de les importuner de ses cris. Et les disciples disent : « Exauce-la, qu’on en soit débarrassé ». On ne peut pas dire que ce soit de la philanthropie.

Le Christ a alors une répartie extrêmement vive et sèche : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ! » Il semble ainsi, à première lecture, adopter une sorte de préjugé, de mentalité courante : « Si je suis ici, moi qui suis juif, je ne m’occupe que des juifs. » On dirait que le Seigneur a sur les lèvres la même répartie que la Samaritaine à qui Il avait parlé au bord du puits de Jacob : « Comment, tu es juif, et tu me parles à moi qui suis une Samaritaine ? » « Nous ne sommes pas du tout du même univers religieux et culturel. Nous ne devons avoir aucune relation d’amitié, de contact, de dialogue, ou de quoi que ce soit ». En réalité, le Christ demande fermement pourquoi. Ceci peut nous paraître curieux, mais il y a une raison précise. C’est le sens même de l’Incarnation comme incarnation dans un peuple.

Lorsque le Christ vient, Il vient pour accomplir une mission. Il ne vient pas pour agir arbitrairement, comme s’Il faisait tantôt un petit miracle par-ci, tantôt un autre petit miracle par-là, de telle sorte que la publicité se fasse et s’organise le mieux possible. Le Christ agit selon une attitude, selon les exigences d’une mission : Il est le Messie, et par conséquent, Il est envoyé à Israël, au peuple juif qui est l’héritier des promesses, comme le rappelle encore saint Paul dans l’épître aux Romains. Et c’est parce qu’Il s’incarne dans cette histoire qu’Il est solidaire de l’histoire de ce peuple ; Dieu a partie liée avec ce peuple depuis l’appel d’Abraham, par la Loi de Moïse, par les différentes alliances contractées et rappelés au fur et à mesure de l’histoire par les Prophètes. Par conséquent, le Christ, à juste titre, renvoie à sa mission : « Je suis venu pour Israël  » et pour manifester la miséricorde de Dieu, à l’intérieur d’Israël c’est-à-dire aux brebis perdues, c’est-à-dire à ceux qui ne se reconnaissaient plus dans leur peuple, pour leur faire retrouver leur véritable identité de peuple de Dieu. Le Messie est d’abord cela, n’en déplaise à certains de nos préjugés égalitaristes. Le Messie vient pour reconstituer le peuple d’Israël, pour le rebâtir.

Mais alors, et c’est sans doute cela qui est le plus éblouissant, le Christ aurait très bien pu en rester là, et nous ne pourrions rien Lui reprocher. Or, à certains moments dans l’existence du Christ sur la terre, il se passe des espèces de révélations qui Lui sont données. Je m’explique. Si le Christ était Fils de Dieu, Il ne pouvait pas vivre autrement que dans une sorte de dialogue total avec son Père. Le sens même de l’existence du Christ sur la terre, c’était ce dialogue profond et permanent entre Lui et son Père. Ce qui est grand dans la mission du Christ, ce n’est pas simplement les miracles qu’Il a faits ou les prodiges qu’Il a accomplis. C’est que ce dialogue éternel entre Le Père et le Fils a été, à un certain moment, implanté sur cette terre. Le Christ a été l’image visible du Père invisible et Lui qui était en perpétuel dialogue avec son Père, voici que ce dialogue a retenti sur notre terre. Or, à certains moments le Père a parlé à son Fils à travers des hommes et des femmes. Ce dialogue ne s’est pas effectué avec des œillères, le Christ uniquement orienté vers son Père, mais tous les gens qui passaient, tous ceux qu’Il voyait, tous ceux qu’Il appelait, tous ceux qui criaient vers Lui, à certains moments étaient comme des signes que Dieu son Père plaçait sur son chemin.

Un des cas les plus extraordinaires intervient quand saint Pierre a confessé le Christ : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Immédiatement le Christ a compris que ce n’était pas saint Pierre tout seul qui avait deviné cela et Il lui dit : « Ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela mais mon Père qui est dans les cieux. ». Un autre cas est celui du Centurion qui dit : « Je suis un païen, je ne suis pas digne de T’accueillir ». Il n’ose même pas formuler la prière de la femme syro-phénicienne, mais il dit : « Moi je ne suis qu’un subordonné, et pourtant quand je donne des ordres, ces ordres sont exécutés. » C’est comme si cet homme parlait de la part de Dieu le Père en disant à Jésus : « Toi-même, tu as reçu tout pouvoir, c’est ton Père qui me l’a soufflé dans le cœur ».

D’une certaine manière, c’est ce qui est arrivé à cette Cananéenne répondant à la parole extrêmement dure de Jésus : »Je ne veux pas donner le pain aux chiens ! » c’est-à-dire tous les fruits de salut que je suis venu apporter, Je ne veux pas les donner aux païens car ce n’est pas pour cela que Je suis venu. A ce moment-là, le Père s’est servi de l’intelligence, du cœur et de la foi de cette Cananéenne pour manifester, à travers cette femme, tout ce qu’était son dessein de Père. C’est comme si, à ce moment-là, Dieu notre Père avait parlé à son Fils, à travers la parole même de cette femme, à travers la foi même de cette femme, à travers sa réflexion : « Mais les miettes, on les donne tout de même aux petits chiens. » Ainsi cette femme était, pour ainsi dire, introduite mystérieusement sans peut-être même le savoir, dans ce dialogue étonnant entre le Père et son Fils. Cette femme accomplissait le dessein du Père et le révélait au Christ, de la part du Père, en disant : « Seigneur, vois la faim de ces pauvres païens que nous sommes, nous avons, nous aussi, besoin d’être sauvés et ce cri, ce n’est pas seulement moi qui te l’adresse ». Et le Christ le reconnaît aussitôt puisqu’Il lui dit : « O femme, ta foi est grande ! » Et d’où pourrait venir cette foi sinon du cœur même de Dieu, par l’Esprit Saint ?

Frères et sœurs, cette page est sans doute l’une des plus belles et des plus bouleversantes de l’évangile et je crois que nous pouvons en tirer quelques applications pour nous. Pour nous aussi, il y a une géographie spirituelle de notre vie et de notre cœur. Il y a des terres occupées par Israël et il y a aussi, dans notre cœur, beaucoup de villes que l’on pourrait appeler Tyr, Sidon ou Canaan, la Décapole ou d’autres endroits semblables. Il y a à la fois des terrains où nous nous reconnaissons, ce lieu intime et profond d’où jaillit notre prière, d’où jaillit notre foi, d’où jaillissent nos cris d’appel vers Dieu. Ces terrains-là, nous le savons, ils ont déjà commencé plus ou moins à être évangélisés par la parole de Dieu, à laisser germer et pousser ce grain qui mûrira pour la moisson du Royaume. Mais il y a aussi de nombreuses terres de Tyr et de Sidon dans lesquelles nous avons un peu envie de dire comme le Christ : « Oh, là, de toute façon, on n’y peut rien. Il n’y a pas grand-chose à faire ». En réalité, c’est pourtant peut-être dans ces endroits-là que nous avons le plus à invoquer, à crier vers le Seigneur pour que là aussi, Il fasse tomber des miettes de pain de sa grâce et de son amour.

Puisque pour beaucoup d’entre nous, nous avons terminé un temps de vacances, c’est peut-être l’occasion de reprendre à la lumière de ce temps de loisir, de repos, ainsi qu’à la lumière de la vie quotidienne que nous menons, de reprendre cette identification géographique des différentes terres de notre cœur. A quel endroit le Christ a déjà donné le pain ? A quel endroit, nous n’osons même pas demander, comme la Cananéenne, qu’Il laisse tomber les miettes de la table des enfants ? Alors peut-être nous serons étonnés, car si véritablement, comme cette Cananéenne, nous crions avec foi vers le Seigneur, dans ces terres de Tyr et de Sidon jaillira quelque guérison mystérieuse, jaillira quelque source de vie, quelque prière quelque don de soi aux autres, quelque manière de répondre vraiment à l’appel de Dieu. Et alors, ce plus vieux fond païen de nous-mêmes sera véritablement le lieu de la Parole de Dieu, le lieu de la surabondance de la grâce, là où elle jaillit alors que nous ne nous y attendions pas. Amen.




20ième Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

Évangile selon Saint Matthieu 15, 21-28

 

« Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! »

Tout, dans les textes de ce dimanche, nous fait penser à l’accueil des étrangers par Dieu, ’’de toutes les nations, tous les peuples, tous les clans et toutes les langues’’ (Ap 7,9) qui seront accueillis par Dieu au nom de leur foi.

Jésus, fatigué par les controverses sur le pur et l’impur avec les pharisiens, prend un peu de recul et des ’’vacances’’ dans le pays de Tyr et de Sidon, chez des étrangers, des non-juifs.

Une Cananéenne vient vers lui. Une Cananéenne, c’est-à-dire une descendante de ceux qui ont été chassé de leur pays quand les hébreux, avec Josué à leur tête, ont pris possession du pays de Canaan, ’’là où coule le lait et le miel’’ (Lv 20,24). On pourrait penser qu’elle ait quelques ressentiments vis-à-vis des juifs, une certaine haine. Et on ne peut s’empêcher de penser à l’attitude actuelle des Palestiniens et des Israéliens depuis que ces derniers ont été réinstallés en Palestine en 1948.

Ce n’est pas son cas. Elle crie, mais pour se faire entendre, pas pour une revendication. Elle connaît l’histoire des juifs, elle a entendu parler de Jésus, et elle vient demander de l’aide, sachant que, quand «un pauvre crie, le Seigneur entend » (Ps 33,7). Et quand elle s’adresse à Jésus, elle ne se trompe pas : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ». Et à chaque fois qu’elle s’adressera à Jésus, elle utilisera ce terme de Seigneur, ce qui montre bien qu’elle savait qui était Jésus. Mais sa demande n’est pas pour elle, mais pour son enfant.

Jésus ne dit rien, sans doute pour éprouver sa foi, mais elle continue à crier tant et si bien que les disciples en sont agacés : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! ».

On pense à l’aveugle Bartimée qui, du bord du chemin, crie aussi pour attirer l’attention de Jésus, et qui se fait rabrouer par les ceux qui suivent Jésus. Tous deux ont besoin de crier pour se faire entendre. On veut les faire taire tous les deux. Et tous les deux ont un gros handicap : lui, aveugle, mendiant, rejeté car impur, ’’puni’’ par Dieu croyait-on (« Qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jn 9,2) ; elle, parce qu’elle est femme (donc qui n’a qu’à se taire), étrangère et païenne, donc aussi impure.

Mais la réaction de Jésus est différente. Alors qu’il appelle Bartimée, qui est juif, auprès de lui, il ignore la femme et répond aux disciples qu’il n’est venu que pour les brebis perdues (les pécheurs) d’Israël.

Cela ne décourage pas la femme qui vient se prosterner devant Jésus, montrant qu’elle savait que Jésus pouvait guérir sa fille du démon, et elle l’interpelle de nouveau : « Seigneur, viens à mon secours. ». Et quand Jésus parle des petits chiens, elle a le courage, l’humour (?), l’humilité de demander les miettes !

Jésus a poussé la femme jusqu’à ce qu’elle puisse affirmer devant tous sa foi en lui. Belle leçon que donne cette femme aux apôtres, à ceux qui étaient là, et à nous aussi.

Et aussi belle leçon de pédagogie de Jésus, parce qu’à travers cet échange de paroles rudes, provocantes, non seulement il force la femme à affirmer sa foi, mais aussi il permet aux apôtres de comprendre que l’important, c’est la foi en Jésus, quelle que soit sa naissance, juive ou autre, et que le salut est pour tous.

Et pour nous aussi, cela nous bouscule. Nous qui nous disons disciples de Jésus, quelle est notre attitude vis-à-vis des ’’étrangers’’ ?

Qui n’a jamais entendu (ou dit) : « Zoreil dehors ! » ou « Comores dehors ! ».

Quelle est notre attitude envers les migrants, politiques ou économiques, envers les demandeurs d’asile ?

Quelle est notre attitude envers ceux qui n’ont pas la même religion que nous ? Respect, amitié, indifférence, ignorance, haine ? Et pas simplement entre les grandes religions, mais entre les chrétiens, les protestants, adventistes etc … ? Et même entre les catholiques : romains, orthodoxes, traditionnalistes, intégristes, … ? Est-ce que nos attitudes sont toujours correctes ? nos paroles, nos pensées … ?

Et puis il y a ceux qui ne sont pas comme nous : les handicapés, les mendiants, …

Ceux qui n’ont pas notre niveau social, notre niveau intellectuel, nos opinions politiques …

Nous parlons beaucoup de notre ‘vivre ensemble’, mais si nous faisions attention à tous ce que nous disons (ou pensons) ou entendons en regardant les informations télévisées, nous sommes certainement très loin d’accepter de ‘vivre ensemble’ avec tous.

Alors que nous sommes tous appelés à vivre ensemble dans le Royaume des Cieux, ’’de toutes les nations, tous les peuples, tous les clans et toutes les langues’’.

Seigneur Jésus,

tu vois toutes ces personnes qui te courent après,

qui te harcèlent, qui veulent ceci ou cela,

tous ces étrangers, ces gens différents …

Tu les écoutes, et pas moi ! 

« Je suis venu pour que tous soient sauvés,

et d’abord les plus petits,

ceux que tu ignores,

ceux que tu ne veux pas voir ! »

 

Francis Cousin

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20ième Dimanche du Temps Ordinaire – par le Diacre Jacques FOURNIER

« Jésus vainqueur du mal et de la mort »

(Mt 14,22-33)

  En ce temps-là, partant de Génésareth, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon.
Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, disait en criant : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. »
Mais il ne lui répondit pas un mot. Les disciples s’approchèrent pour lui demander : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! »
Jésus répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. »
Mais elle vint se prosterner devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! »
Il répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. »
Elle reprit : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. »
Jésus répondit : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.

     

                      Jésus déclare ici : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 15,24). Mais il le dit à une femme cananéenne, une païenne donc, qui habitait «  la région de Tyr et de Sidon », la Syro‑Phénicie, l’actuel Liban, une terre où Jésus avait décidé de se retirer un moment, nous dit-on au tout début. Il ne pouvait donc que rencontrer ses habitants, pour finalement les rejeter ? Première contradiction…

            Cette femme, ayant appris qui il était, vient lui crier sa détresse : celle d’une mère devant la souffrance de sa fille. Elle est désemparée, elle ne sait plus que faire et se tourne vers Jésus : « Eléison me », lui dit-elle dans le grec des Evangiles, « aie compassion de moi », « fais-moi miséricorde »… Le Dieu qui se révèle dans la Bible comme étant « bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même » par les souffrances des hommes (Os 11,7-10 ; Mt 18,27 ; Lc 1,78 ; 15,20), ce « Dieu de Tendresse et de bonté » (Ex 34,6) peut-il rester insensible devant la détresse d’une mère et la renvoyer en la comparant, elle et sa fille, à des « petits chiens » ? Impossible…

            Seul le contexte de l’Evangile de St Matthieu permet d’y voir un peu plus clair. Matthieu, en effet, est un Juif qui écrit pour des chrétiens d’origine juive, comme lui… Et il constate dans sa communauté à quel point certaines attitudes, contraires à l’Evangile, ont la vie dure… Certes, Israël est bien le Peuple élu à qui la Bonne Nouvelle devait être annoncée en premier, et telle était de fait la mission de Jésus (cf. Mt 15,24 cité précédemment). Mais cette logique du projet de Dieu n’est pas synonyme d’exclusion pour les païens. Un chrétien ne pouvait donc pas adhérer à l’attitude de certains en Israël qui traitaient les païens de « chiens »… Et c’est pourtant ce qui arrivait ! C’est pourquoi St Matthieu reprend ici ce vocabulaire pour le mettre dans la bouche même de Jésus, mais en le renversant : quoi de plus touchant, en effet, qu’un « petit chien » ? De plus, cette Cananéenne accepte le plan de Dieu, et elle se positionne humblement après le Peuple élu tout en manifestant une confiance sans borne en la bonté de Dieu. « Femme, ta foi est grande »… Avec le Christ et par lui, St Matthieu la donne ainsi en exemple à toute sa communauté ! « Et à l’heure même, sa fille fut guérie. » Comment pourraient-ils donc encore rejeter ces païens que Dieu accueille, sauve et comble, tout comme eux ? DJF




19ième Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

Évangile selon Saint Matthieu 14 22-33

« Jésus obligea les disciples à monter dans la barque

et à le précéder sur l’autre rive. »

 

Nous sommes juste après la multiplication des pains, ce miracle extraordinaire que Jésus avait fait en présence d’ « environ 5000 hommes, sans compter les femmes et les enfants » (Mt 14,21), et ceux-ci avaient vu en lui « le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde. » (Jn 6,14). Ils pensent avoir trouvé le roi qui les libérera des occupants étrangers. Mais Jésus ne veut pas que les apôtres soient contaminés par cette idée, et il les envoie « sur l’autre rive », parce que sa ’’royauté n’est pas de ce monde’’ (Jn 18,36). Il veut que les apôtres ne se trompent pas sur ses intentions, et il les envoie seuls, la nuit (dans le royaume des ténèbres), sur la mer de Galilée (dans le royaume du mal, du démon, de la mort), vers l’autre  rive.

Jésus les avait déjà envoyés deux par deux, sans lui, dans les villages des environs pour qu’ils annoncent la Bonne  Nouvelle, et ils étaient revenus enchantés de ce qu’ils avaient fait, des miracles accomplis (Lc 9,6). Mais cette fois-là, ils étaient sur terre, en confiance. Peut-être trop.

Et cette nuit-là, le vent se lève, c’est la tempête, et il est difficile de diriger la barque. Il faut rester éveillé. C’est épuisant.

Pendant ce temps, Jésus a gravi la montagne, et il prie.

Quand le jour commence à peine à poindre, quand les ténèbres commencent à s’amenuiser, Jésus, soleil levant, vint vers les apôtres en marchant sur la mer, montrant ainsi que la mort, représentée par la mer, n’a pas de pouvoir sur lui, qu’il est le maître de la vie. Et aussi que le démon, les puissances du mal ne peuvent pas l’atteindre.

Les apôtres ne le reconnaissent pas. Pire, ils s’affolent : on n’a jamais vu quelqu’un marcher sur la mer ! Mais Jésus n’est pas ’’quelqu’un’’, il est Dieu. Et il le leur dit : « Confiance, c’est moi (en grec : ‘egw eimi’, ‘JE SUIS’ : le nom de Dieu révélé à Moïse), n’ayez pas peur ! ».

Cette révélation ne convainc pas vraiment Pierre : « Si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux ». Il y va ! Au début, dans l’enthousiasme, ça va. Mais quand il se rend compte de ce qu’il est en train de faire, qui n’est pas du domaine humain, il panique et s’enfonce. Et Jésus le retiens par la main.

Aussitôt montés dans la barque, le vent cessa et chacun s’exclama : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! ». Mais il avait fallu que Jésus sauve Pierre de la noyade pour qu’ils reconnaissent que Jésus est « JE SUIS », Dieu, Fils de Dieu.

A chacun de nous aussi, Jésus dit : « Va sur l’autre rive, quitte la vision humaine des choses et des hommes, et comprend les avec le regard de Dieu. Écoute ma Parole, et vis de cette Bonne Nouvelle que je t’ai donnée. Oh bien sûr, cela ne va pas être toujours facile, tu traverseras des moments de doute, les ténèbres et les forces du mal vont essayer de te faire couler, des ‘croix’ se présenteront devant toi, mais n’aie pas peur ! Je suis toujours auprès de toi, prêt à te tendre la main, à te relever si tu me le demandes. Aie confiance en moi ! Sans moi, tu ne peux rien faire, mais avec moi, tout est possible ‘car rien n’est impossible à Dieu’ (Lc 1,37) ».

Le problème, c’est que nous, on a du mal à quitter notre rive, à nous lancer sur la mer. Quand il y a un problème, que les ténèbres s’amoncellent autour de nous, on croit que Dieu nous abandonne. Parce que souvent, quand il vient vers nous, c’est par des moyens non-humains ou non habituels. Et nous ne le reconnaissons pas ; on se demande si c’est  bien lui, ou si c’est le démon, ou un ‘fantôme’, et on s’affole. On fait comme Pierre, on demande des preuves, des choses extraordinaires, pour être sûr ! Et comme lui, on se ‘plante’ !

Ayons FOI en Jésus, ayons FOI en Dieu. Et disons-lui : « J’ai confiance en toi ! ».

Dans leur angoisse,

ils ont crié vers le Seigneur,

et lui les a tirés de la détresse,

réduisant la tempête au silence,

faisant taire les vagues.

Ils se réjouissent de les voir s’apaiser,

d’être conduits au port qu’ils désiraient.

Psaume 106, 28-30 

 

Francis Cousin

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La Transfiguration par Francis Cousin

Évangile selon Saint Matthieu 17, 1-9

 

« Fais-moi voir ton visage ! »

Cette demande qui s’adresse à Dieu, c’est le désir de tous ceux qui croient en Dieu, Père, Fils et Esprit Saint. Mais cela ne s’est réalisé du vivant des personnes que pour quelques uns, les mystiques qui se sont tellement approchés de Dieu que celui-ci leur est apparu.

Cette demande commence de manière connue avec Moïse dans la tente de la rencontre : « Je t’en prie, laisse-moi contempler ta gloire. » (Ex 33,18), reprise par les psaumes : « Combien de temps, [vas-tu] me cacher ton visage ? » (Ps12,2) ou encore : « J’ai demandé une chose au Seigneur, (…) habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour admirer le Seigneur dans sa beauté… » (Ps 26,4).

Voir Dieu face à face !

Cela fait partie de notre espérance, dans la résurrection, de voir Dieu face à face « dans l’immense cortège de tous les saints. »

Cela a été rendu possible, un jour du temps, quand Dieu s’incarna dans le ventre de Marie. Beaucoup ont vu Jésus, Dieu fait homme, tout au long de sa vie ; mais pour la plupart, ils n’ont vu que l’homme Jésus, sans savoir, sans comprendre qui il était vraiment, qu’il était le Messie attendu, le Fils de Dieu. Et même parmi ceux qui croyaient que Jésus était le Messie, seul trois ont pu le voir « dans sa gloire » sur le mont Thabor : Pierre Jacques, et Jean.

Voir Jésus transfiguré devant eux, avec son visage de Fils de Dieu, dans la ’’nuée lumineuse’’, « Lumière né de la lumière » comme l’a défini le Concile de Nicée-Constantinople, épiphanie de Dieu.

Instant inoubliable marqué par la présence de deux grands visionnaires de l’Ancien Testament : Moïse et Elie. Et saint Pierre nous le rappelle dans la seconde lecture : « … pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur (…) ’’Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en lui j’ai toute ma joie’’. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. ».

Comme tout un chacun aimerait avoir la grâce de cette rencontre ! Ici même, sur terre.

Et c’est sans doute la recherche de beaucoup. Comme dit le chant : « Je cherche ton visage, le visage du Seigneur… »

Oui, mais comment ?

On ne peut pas voir le visage de Jésus. On n’en a pas de photo. A part le linceul de Turin.

Mais si on ne peut pas voir son visage ’’en vrai’’,  on peut se l’approprier en esprit dans sa manière d’être, de plusieurs manières :

– par la connaissance de l’Évangile, qui nous permet de nous approcher de qui est Jésus. Surtout en le lisant avec la méthode de la Lectio Dinina : lecture ; méditation ; prière ; contemplation ; ce qui conduit à l’action.

– par la perception du visage des ’’priants’’, dans leur sérénité, leur joie, dans la beauté de leurs yeux et de leur sourire. Ils sont visages de Dieu qu’ils ont rencontré et qui reflète sur eux. Ils sont (malheureusement) trop peu nombreux (ou ils vivent cachés), mais leur rencontre est inoubliable.

– dans le visage innocent d’un enfant.

Il nous arrive alors d’avoir une vague image de Dieu, bien imparfaite puisque humaine, souvent fugace (et nous aimerions, comme Pierre, qu’elle dure plus longtemps, voire tout le temps…).

Avec cet état d’esprit, on pourra trouver Dieu. Et là, il n’y a que deux endroits :

– au fond de notre cœur, à l’instar de saint Augustin

– dans le regard des autres humains, « à l’image et ressemblance de Dieu »

Mais ce ne sera qu’un avant-goût qui renforcera notre espérance de la résurrection.

En attendant, il nous faudra, comme les trois apôtres, ’’redescendre de la montagne’’ et vivre notre vie de Chrétiens, avec son lot de joies, mais aussi de difficultés et de peines. Il nous faudra passer par nos croix ; accepter de voir aussi le visage ensanglanté du Christ, abimé par nos propres péchés, notre imperfection, celle des autres, de l’Église, du monde ; accepter de voir son visage dans celui de tous les  laissés pour compte : SDF, migrants, malades, handicapés…

Mais nous savons qu’à la fin des temps, nous verrons le visage du Christ ressuscité, « assis à la droite du Père », et nous pourrons, avec ’’une foule immense’’, dire tous ensemble : « Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! » (Ap 7,11).

Seigneur Jésus,

nous voudrions tellement voir ton visage !

Et pourtant, il est là,

au milieu de nous,

dans notre cœur,

en chacun de ceux que nous rencontrons.

Aide-nous à te voir,

toi qui ne te cache pas.

 

Francis Cousin

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17° Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

Évangile selon Saint Matthieu 13, 44-52

 « Le royaume des cieux est comparable à un trésor… »

Il y a trésor et trésor.

Des trésors qui nous semblent grands dans notre vie de tous les jours, parce que cela représente pour nous quelque chose d’inabordable, comme la fortune de Bill Gates, ou un tableau de Picasso ou de Van Gogh, ou un livre rare … ou parce que cela ne peut nous arriver que par chance, comme gagner à l’Euromillion …

Et il y a un autre trésor qui surpasse tous les autres, en longueur, en largeur et en profondeur, de manière incommensurable, … et qui est à la portée de tout le monde, accessible à tous pour peu qu’on en entende parler, et qu’on accepte de se laisser porter par lui.

Car contrairement aux autres trésors, ce n’est pas nous qui devons le chercher ou essayer d’en prendre possession, c’est lui qui se met à notre portée, qui vient au devant de nous, et qui n’attend qu’une chose, c’est que nous prenions possession de lui.

Incroyable … mais vrai !

Parce que celui qui ‘possède’ ce trésor n’attend qu’une chose, c’est que toute personne sur la terre en prenne possession sans que cela ne diminue en rien sa ‘richesse’, au contraire.

Et plus il y a de personnes qui ‘s’emparent’ de son trésor, plus il est heureux !

Et chaque personne qui prend son trésor en prend la totalité sans que son trésor ne diminue !

Opération impossible à taille humaine.

Parce que ce trésor vient de Dieu, et que Dieu est d’abord don. Don ce tout ce qu’il a pour chacun … à condition qu’on accepte son don.

« Va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. » (Mt 19,21).

Cette phrase là, Dieu la dit à chacun de nous. Et il nous laisse totalement libre de la réponse.

Cela peut être : «  À ces mots, le jeune homme s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. » (Mt 19,22), ou encore : « Permets-moi de m’en aller d’abord enterrer mon père » ou bien « Permets-moi de prendre congé des miens » (Lc 9,59.61). Le refus de quitter sa fortune, ses biens, ses habitudes, ses manières de vivre, ses idées ou ses idéaux, son train-train familier.

Le royaume de Dieu nous est offert, mais il ne s’obtient pas sans renoncements. Et certains sont difficiles à faire. « Celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle. » (Mt 19,29).

Dieu nous demande de quitter ce qui nous semble important, voire essentiel, à notre vue humaine, mais qui est de ce temps, qui passe, et qui est superflu en rapport du Royaume à venir qui ne passe pas, qui est éternel.

Certains ont répondu positivement à cette parole de Jésus : Les apôtres, saint Paul sur le chemin de Damas, saint Ignace de Loyola, Charles de Foucauld, Charles Péguy, et tant d’autres anonymes qui ont répondu à un appel intérieur.

Une écoute attentive de la Parole de Dieu, mûrie, réfléchie, intériorisée, qui procure la joie, qui donne le bonheur : « Mon bonheur, c’est la loi de ta bouche … J’aime tes volontés … je me règle sur chacun de tes préceptes … déchiffrer ta parole illumine » (Psaume 118). Cette Parole de Dieu qui nous a été donné par Jésus, son Fils incarné, le Verbe, le « premier-né d’une multitude de frères » (2° lecture).

Et aussi, toujours, une attitude humble devant Dieu et devant les hommes. « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. » (Mc 10,43), comme Salomon qui ne demanda pas à Dieu la richesse ou les honneurs, mais « un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal » (1° lecture), ce qui lui fut accordé, avec en plus ce qu’il n’avait pas demandé, car grande est la bonté de Dieu pour les humbles.

Avec Jésus, tirons le gros lot de l’Amour infini et éternel ! C’est plus sûr que la loterie.

Seigneur Jésus,

ta parole, si nous la comprenons,

nous met en joie

car elle est pour nous le chemin

qui nous mène au Royaume éternel.

Mais il faut pour cela

accepter de renoncer

à tout ce qui est du ’’paraître’’

pour ne s’attacher qu’à l’essentiel :

vivre de ta Parole.

 

Francis Cousin

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Prière dim ord A 17° A6




16° Dimanche du Temps Ordinaire par Francis Cousin

« Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson » (Mt 13,24-43)

 

Les textes de ce dimanche peuvent nous sembler disparates, mais ils ont tous un point commun : il nous parle de l’amour de Dieu envers les humains, un Dieu qui reconnaît que nous sommes faibles et qui pardonne, nous remet sur le droit chemin.

Dans la première lecture, l’auteur dit de Dieu : « Tes jugements ne sont pas injustes », malgré ta force, tu uses d’indulgence et de ménagement pour les humains. Et il termine par : « Après la faute tu accordes la conversion », ce qui est bien plus fort que ‘le pardon’.

Le psaume est une supplique au « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » pour qu’il pardonne à ceux qui l’invoquent. Et la seconde lecture nous montre l’action de Dieu qui nous envoie son Esprit Saint qui « vient au secours de notre faiblesse », de ce qui conduit au péché, pour nous relever.

L’Évangile narre la parabole du bon grain et de l’ivraie.

Cette parabole met en opposition le blé et l’ivraie, le ‘bon grain’ et la ‘mauvaise graine’, le bien et le mal, Dieu (et Jésus) et le Diable, ce qui se fait le jour et ce qui se fait la nuit, la lumière et les ténèbres.

Dieu sème le bon grain. Il ne peut semer que cela, car il est bon et qu’il n’y a que l’amour en lui. Il agit en plein jour, à la vue de tous. Le diable attend la nuit pour semer, pour qu’on ne le voit pas : il veut tellement nous faire croire qu’il n’existe pas ! Et ce qu’il sème, c’est de la mauvaise graine, celle qui donne une herbe qu’on ne peut pas manger, ni nos animaux. Une herbe que ceux qui ont un potager s’empressent d’arracher pour que les bonnes plantes puissent profiter pleinement de l’espace, du soleil, de l’eau et de l’engrais.

C’est d’ailleurs la première réaction des serviteurs du domaine quand la pousse se fait : « Veux-tu que nous enlevions l’ivraie ? ».

C’est aussi bien souvent notre propre réaction quand quelque chose de mal arrive. Et là, on ne demande pas la permission au Maître. On décide de soi-même : « Ce violeur en série est un …, il ne mérite pas de vivre. », « Les partisans de daesh devraient tous être tués. », … et on pourrait aussi trouver des exemples dans l’Église … !

La réaction du maître, de Dieu, est toute autre. Lui « qui dispose de la force … juge avec indulgence » (1° lecture), lui qui est « lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Psaume), nous demande de prendre patience, d’attendre le moment de la moisson, le moment du jugement dernier.

Et, à nous, Jésus nous demande de ne pas anticiper le jugement dernier en jugeant par nous-mêmes : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés. » (Mt 7,1). Demande qui sera confirmée par les premiers apôtres : « Un seul est à la fois législateur et juge, celui qui a le pouvoir de sauver et de perdre. Pour qui te prends-tu donc, toi qui juges ton prochain ? » (Jc 4,12), et saint Paul dit aussi : « Toi, qui es-tu pour juger le serviteur d’un autre ? … cela regarde son maître à lui. … son maître, le Seigneur. » (Rm 14,4), phrase reprise par le pape François : « Qui suis-je pour juger ? ».

Souvent, nous jugeons sur ce qui nous paraît, sur ce qu’on nous donne à voir, mais nous ne savons pas la réalité de ce que vit la personne en son cœur. Seul Dieu le sait, lui qui ’’sonde les reins et les cœurs’’. Et Jésus nous met en garde à ce sujet : « Ne jugez pas d’après l’apparence, mais jugez selon la justice. » (Jn 7,24). Mais pour juger selon la justice, il faut d’abord être juste envers soi-même, regarder sa vie avec justesse en regard de l’évangile : « Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » (Mt 7,3).

La différence entre le mal et le bien n’est pas toujours aussi franche qu’on ne le voudrait ou le croirait. D’ailleurs, ne dit-on pas : « d’un mal peut surgir un bien » ? (Ce qui n’empêche pas que le mal reste le mal, mais ses conséquences peuvent être bénéfiques.)

Une personne (ou un groupe) n’est jamais totalement mauvaise, ou totalement bonne. En chaque personne, il y a du bien et du mal … et en nous aussi ! Et nous le savons bien ! Et si nous savons reconnaître qu’il y a en nous du mal, pourquoi ne l’accepterions-nous pas pour les autres ?

En prenant le temps d’attendre le jour du jugement, Dieu nous permet de changer notre vie, de faire en sorte qu’elle soit de plus en plus en rapport avec l’évangile. Il nous donne le temps de nous convertir, même si ce n’est qu’à la dernière seconde de notre vie, et tout le monde connaît des personnes de son entourage qui ont changé à l’approche de la mort, des ‘mécréants’ qui ont accepté de rencontrer un prêtre, voire de se confesser. Comme Jacques Fesch, ou Henri Pranzini.

Dans la société actuelle où tout va de plus en plus vite, nous avons tendance à vouloir juger très vite : « ça c’est bien, ça c’est mal ; cette personne est bonne, celle-là est mauvaise. »

Jésus nous dit : « Stop ! C’est mon boulot, pas le vôtre. Et cela viendra au temps choisi ! »

Dans la première lecture, l’auteur dit « que le juste doit être humain. ».

Et Jésus nous apprend « que l’humain doit être juste, et non juge. »

 

 

Seigneur Jésus,

nous voyons le bien et le mal autour de nous ;

surtout le mal …

et nous jugeons ceux qui apportent le mal,

souvent durement.

Mais en moi,

je sais bien qu’il y a du bien et du mal,

et que tu me pardonneras.

Aide-moi à ne plus juger les autres.

 

Francis Cousin

 

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Prière dim ord A 16° A6

 




15ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

Décidément, la Parole de Dieu ne se laisse pas facilement mettre au goût du jour. Cette parabole, s’il en était besoin, viendrait le confirmer, une fois encore. Pensez donc ! Le Seigneur parle d’un semeur qui n’est sûrement pas un homme de l’écologie parce qu’il prend tout son grain et il le sème à tout vent. Il en tombe partout, sur les pierres, sur les chemins, sur les endroits où il n’y a pas de terre. C’est comme s’Il provoquait un énorme gâchis par lequel Il a la prétention de changer quelque chose, alors que dans la plupart des cas, il ne se passe rien.

Pensez encore ! Toute cette parabole est horriblement axée sur l’efficacité et la rentabilité. Le Seigneur développe avec un malin plaisir le fait qu’à la fin, le grain produit trente, soixante, ou cent pour un. Il y a une sorte d’intérêt paysan pour ce qui rapporte, pour les affaires qui marchent, qui n’est pas du tout dans l’air du temps. Et le pire de tout, cette espèce d’élitisme un peu provocant, quand les apôtres demandent pourquoi le Seigneur parle en termes cachés. Il dévoile, sans arrière pensée, que c’est pour que les uns entendent et comprennent, et pour que les autres entendent mais ne comprennent pas, voient sans voir et aient un cœur pour ne rien saisir.

Le gâchis, la loi du profit, la sélection. L’évangile serait donc incurablement réactionnaire et il faudrait se contenter de conserver cette sagesse populaire qui dit : « Dans le monde, c’est comme dans l’arche de Noé, il y a toute espèce de bêtes ». Il y a ceux qui accueillent la Parole de Dieu, ceux qui ne la reçoivent pas, ceux qui la reçoivent simplement, le dimanche, qui la reçoivent la semaine, il y en a pour tous les goûts. Tantôt ça marche, tantôt ça ne marche pas, tant pis !

Je crois que c’est une lecture un peu courte. Cette Parole du Seigneur, volontairement provocante et incisive, veut nous dire beaucoup plus qu’une sorte de moralité assez plate dans laquelle on nous dirait : « Il ne faut pas se décourager, annonçons l’évangile à temps et à contre-temps, et après tout ça n’a pas d’importance ! » Comme toutes les paroles de l’évangile, cela nous est adressé à nous, non pas d’abord pour nous intéresser à nous-mêmes – c’est un piège dans lequel nous tombons fréquemment –, mais pour nous intéresser à Dieu et à sa Parole. Oublions-nous donc un moment, avec nos préoccupations et nos soucis, et essayons de voir quelle est cette parole de Dieu, comment elle fonctionne et comment elle travaille, parce qu’après tout, c’est cela qui est important et c’est cela que le Christ est venu nous révéler.

D’abord, la Parole de Dieu est terriblement efficace. C’est pour cela que nous passons une bonne partie de notre vie à essayer de la rendre inefficace, parce qu’elle est une espèce de « bombe », elle a une espèce d’énergie accumulée et concentrée. Plus nous essayons de voir ce qu’elle peut déchaîner en nous, dans notre cœur et dans notre vie, plus on a envie de la rendre inoffensive, de l’étouffer avec des chardons, de la brûler aux rayons du soleil, pour l’empêcher de pousser, de germer et de produire des fruits.

C’est parce que cette Parole vise à une efficacité infiniment supérieure à celle que nous concevons, qu’elle est si difficile à reconnaître dans son efficacité. Connaissez-vous ce qui est capable de faire germer la Résurrection à partir d’un cadavre pendu sur la croix ? Connaissez-vous ce qui est capable de prendre un cœur désespéré par sa propre vie, sa propre souffrance et ses propres échecs et de lui redonner une vie et un bonheur dont il avait perdu le goût ? Connaissez-vous ce qui est capable de vous saisir tout entier, de faire qu’on mise sa vie tout entière sur ce qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas et qu’on connaît simplement par ouï-dire ?

Je ne connais qu’une chose qui fait vraiment cela, c’est la Parole de Dieu. C’est parce qu’elle vise à cette efficacité maximum et qu’elle veut sauver, que la Parole de Dieu est d’une efficacité remarquable. C’est pourquoi le Christ, lorsqu’Il veut parler de la Parole de Dieu, utilise toujours des comparaisons issues du monde agricole. La Parole de Dieu, ce n’est pas d’abord des idées. C’est une graine semée dans l’humanité, dans le monde et dans le cœur de chacun d’entre nous. Pourquoi est-elle si efficace ? Parce que le souci de la Parole de Dieu est d’atteindre le cœur même de la réalité de notre être, de nous plonger dans la terre, aujourd’hui peut-être plus que jamais à cause des énormes possibilités techniques que nous avons, la Parole est quelque chose de fondamentalement inefficace. Nous sommes profondément vaccinés, et la plupart du temps, nous sommes en train de jeter du grain partout, mais avec un seul souci, c’est que surtout il ne s’enfonce pas dans la terre, c’est-à-dire que notre parole, vu la faiblesse congénitale de notre propre discours, ne touche pas, n’atteigne pas le cœur, n’atteigne pas la réalité, parce que nous n’en avons vraiment ni le pouvoir si surtout le souci.

Or la Parole de Dieu, c’est exactement l’inverse et c’est là-dessus d’ailleurs qu’elle se juge. La seule préoccupation de la Parole de Dieu, c’est d’entrer dans la terre et d’y germer, d’y mourir certes, apparemment de ne plus être manifestée ni visible, mais en réalité pour y transfigurer le suc de la terre dans un pain qui nourrit le cœur et la vie.

La Parole de Dieu est efficace, la Parole de Dieu atteint le cœur même de la réalité, et enfin, un dernier trait, le plus dur, celui-là, et c’est pour cela que nous y sommes si allergiques, la Parole de Dieu révèle. C’est pour cela que le Christ dit qu’Il ne parlera qu’en paraboles. Ce n’est pas l’élitisme. Cela ne veut pas dire que c’est fait pour les uns qui sont prédestinés à comprendre et pas pour les autres qui sont prédestinés à mourir idiots. Ce n’est pas du tout l’intention de Dieu sur notre vie. La Parole de Dieu nous est donnée en paraboles, précisément parce qu’elle est un « révélateur ». Elle est comme ce produit qui, lorsqu’on y plonge un cliché apparemment tout noir, va faire se dessiner des traits et des réalités tout à fait insoupçonnées, va faire se dessiner sur un morceau de papier les traits d’un visage et toute l’intelligence et la subtilité d’un regard. La Parole de Dieu est donnée en paraboles parce qu’elle a pour mission de révéler notre cœur, et c’est cela qui nous fait si mal, parce qu’on ne sait jamais le résultat de l’acte révélateur. On ne sait pas exactement si le cliché ne va pas être un peu flou, mal réussi, ou simplement si on ne fera pas la grimace sur la photo, parce qu’on ne se rendait pas compte qu’on la faisait au moment de la prise de vue.

La Parole de Dieu est donnée en paraboles parce qu’au moment même où elle arrive dans notre cœur, en notre existence, elle y germe et elle fait germer, elle fait se révéler. Lorsque nous avons reçu ce petit grain de Parole de Dieu dans notre cœur au moment de notre baptême, et lorsque nous continuons, sous cette mouvance, à la recevoir chaque dimanche, ce qu’il faut craindre le plus, en réalité ce qu’il faudrait aimer le plus, c’est que cette Parole nous révèle vraiment qui nous sommes. C’est cela qui est si difficile. Est-ce que nous sommes des faibles qui n’avons qu’une envie, de nous laisser brûler par le soleil de l’été ? Est-ce que nous sommes des lâches qui préférons vivre sur le chemin où tout le monde passe et où toutes les idées passent ? Ou bien, au contraire, acceptons-nous d’être cette terre qui apparemment n’a rien pour elle, vue de l’extérieur, sinon des mottes de terre tantôt desséchées, tantôt détrempées d’averses, mais qui cache en elle-même un secret : celui d’accueillir l’amour de son Dieu ?

Voilà ce qui nous est donné aujourd’hui ! Frères et sœurs, voilà la Parole qui vous est donnée chaque dimanche. La plupart du temps, nous passons notre temps à l’anesthésier et à ne pas lui donner sa force. Au cours de cette eucharistie, nous prierons par l’intercession de Jésus-Christ, le grand semeur, Celui qui a apporté le grain de blé, sa Parole, son amour, sa vie, son sang pour chacun d’entre nous. Qu’Il soit déposé dans notre cœur et qu’Il y fasse, par l’efficacité de sa Parole et par le désir qu’Il a de toucher le plus intime et le plus réel de notre cœur et par le désir qu’Il a de nous révéler à nous-mêmes pour y faire resplendir le visage de sa gloire, qu’il nous fasse connaître la joie d’être, un jour, un épi qui porte trente ou soixante ou cent pour un, c’est-à-dire, non pas un fruit qui vient de nous-mêmes, mais cette gloire de Dieu qui veut nous habiter au plus profond de notre être, au plus profond de notre terre, là où nous ne pensions pas que l’amour pouvait germer. Amen.




14ième Dimanche du Temps Ordinaire par Francis COUSIN

 « Ce que tu as caché aux sages et aux savants,

tu l’as révélé aux tout-petits. »

            Cette phrase, à première lecture, a de quoi nous surprendre. Dieu ferait-il une différence entre ’’les sages et les savants’’ d’une part, et les ’’tout-petits’’ d’autre part ? Dieu aurait-il des préférences dans ’’l’envoi’’ de son message ? Certes pas, car Jésus lui-même a dit : « Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45).

Faudrait-il alors pour comprendre le message de Jésus supprimer toute réflexion intellectuelle, tout questionnement, toute culture, tout désir de connaître mieux Dieu, et s’en tenir à ce qu’on appelle ’’la foi du charbonnier’’ ? Non plus. Dieu nous a donné l’intelligence, la capacité de réflexion et le désir de réflexion, en nous envoyant son souffle, son Esprit Saint.

Dieu aime tout le monde, les sages, les savants, les petits, les simples.

La séparation définie ici ne vient pas de Dieu, mais de l’accueil du message de Dieu de la part des personnes. Elle vient des humains, indépendamment de leurs capacités intellectuelles, de leur niveau de culture, de leurs diplômes …

On peut être un grand savant reconnu, et être ouvert au message de Dieu (Einstein, Jérôme Lejeune …), ou être un inculte fermé à ce même message.

Ceux qu’on appelle ici ’’les sages et les savants’’, les grands ( ?), les doctes, … ce sont ceux qui savent, ou tout du moins qui affirment qu’ils savent. Ils voient ce qui est écrit, dans la loi, dans la nature, … et ils en restent là. Ils s’appuient sur la loi civile et la mettent au dessus de tout : c’est écrit dans la législation, donc c’est bon … alors que … (voir la loi Taubira !). Ils s’appuient sur la loi religieuse : c’est écrit, on a toujours fait ça … (voir les pharisiens, les docteurs de la loi, les traditionnalistes !). Ils s’appuient sur les découvertes scientifiques … et on en arrive au Transhumanisme !

Sûrs de leurs connaissances, ils prennent le discours de Jésus avec condescendance (au mieux !), et ne se laissent pas prendre par l’inattendu de Dieu.

Le ‘grand’ croit tout connaître par lui-même. Il réfute tout ce qui est ‘mystère’.

Alors que les ’’petits’’, les ’’tout-petits’’, se sentent proches de Jésus, ils se reconnaissent dans ses paroles. Ils sont ouverts à ce qui est sensible. « Les petits ont les yeux des amoureux qui perçoivent l’invisible » (Denis Sonet). Ils savent qu’ils ne peuvent pas tout comprendre, et ils attendent une clarté qui vient d’ailleurs. Et saint Paul nous le rappelle : « Parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est. » (1Co 1,26-28).

Le ‘petit’ est doux et humble de cœur. Il est comme Dieu, comme Jésus, et il le comprend, il s’assemble avec lui pour progresser. Il se met sous le même joug que Jésus, pour avancer au même pas que Jésus. Ou plutôt, c’est Jésus qui règle son pas sur celui de l’homme qui marche avec lui …

Alors, faut-il opposer les ’’les sages et les savants’’ et les ’’tout-petits’’ ? Ce serait ridicule.

Car en fait, chacun de nous est, selon les moments, ’’sage et savant’’ ou ’’tout-petit’’. Cela dépend de notre état d’esprit.

Si nous croyons connaître Dieu de par nous-mêmes, si nous croyons que nous pouvons dire à Dieu ce qu’il doit faire (tuer les extrémistes islamistes par exemple …), si nous croyons que nous pouvons mettre la main sur lui, alors nous sommes du côté des ’’sages et des savants’’, parce que nous raisonnons en savant (celui qui sait, qui peut tout expliquer). Et cela  nous arrive plus souvent qu’on ne le voudrait …

Mais si nous pensons que nous avons besoin d’aide pour comprendre Dieu, pour comprendre l’Écriture, la Parole de Dieu, alors nous sommes du côté des ’’tout-petits’’ parce que nous nous tournons vers les autres (un prêtre, une religieuse, un livre …) et vers Jésus dans notre prière.

Si nous allons vers Jésus, qui seul peut nous faire connaître Dieu (« Personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. » Mt 11,27), si nous nous mettons sous le même joug que lui, si nous le partageons avec lui, alors nous pourrons avancer dans la connaissance de Dieu. Et c’est sûr que notre joug sera léger, car c’est Jésus qui en portera la plus grosse part.

Seigneur Jésus,

ta parole est la même pour tous,

mais tous ne la comprennent pas

de la même manière.

Donne-moi la sagesse de l’enfant

pour la comprendre comme tu le veux.

 

Francis Cousin

 




14ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

« Je Te bénis, Père, d’avoir caché cela aux sages 

et aux puissants et aux habiles

et de l’avoir révélé aux tout-petits !« 

Frères et sœurs, lorsqu’une maman vient de mettre au monde son enfant, il lui arrive souvent de se pencher sur lui, de lui parler, de le caresser, de lui faire des gestes d’affection et de savourer, pour ainsi dire, ces premiers moments d’intimité avec l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. Ce qui est extraordinaire dans ce geste, c’est précisément que cette mère, qui est adulte et qui vient par la maternité de réaliser la plénitude de son être humain, puisse se pencher vers ce petit d’homme qui est incapable de parler, dont l’intelligence n’est qu’un germe qui n’a pas encore été exercé, et que cependant, elle puisse ainsi se pencher sur l’enfant parce qu’elle pressent dans son cœur de mère que tout ce qu’elle est et tout ce qu’est son époux, tout cela peut être manifesté, donné à son enfant.

Un des aspects les plus grands de la maternité et de la paternité chez les hommes c’est précisément que les êtres que nous appelons adultes, parvenus à leur plénitude et à leur maturité, puissent, devant un enfant tout-petit qui lui, est incapable encore d’un dialogue, d’une reconnaissance explicite, d’une relation personnelle, puissent déjà le considérer comme quelqu’un qui peut recevoir la plénitude de l’être d’homme. Parce qu’il le possède déjà en lui, mais aussi parce qu’il faut le lui donner, déjà cette mère vit, avec son enfant, toute la plénitude d’un rapport humain d’amour et de don d’elle-même. Et je crois que le secret c’est précisément qu’elle pressent dans cet enfant qui est tout-petit, d’infinies richesses et d’infinies possibilités. Elle est émerveillée de ce que cet être, infiniment fragile, qui ne dépend que d’elle, puisse déjà être l’objet de la totalité même de son amour de mère.

Je crois que cette image de notre réalité la plus quotidienne est propre à nous faire comprendre ce chant d’exultation et de louange que le Christ a lancé et proclamé devant son Père au moment où Il disait : « Je Te bénis, Père du Ciel et de la terre, d’avoir révélé ce mystère aux tout-petits ! » Il nous faut bien réaliser à quel point il n’est pas évident que les mystères de Dieu, qui nous dépassent infiniment de tous côtés, nous aient été révélés et proposés. Le mystère étonnant de notre vie chrétienne c’est que nous qui sommes, devant Dieu, encore plus petits que des tout-petits, nous qui ne sommes absolument rien devant Dieu, voici que Dieu, Lui-même en personne, s’est penché sur nous avec une tendresse encore plus infinie et plus profonde qu’une mère qui se penche sur son nouveau-né. Et non seulement avec de la tendresse et de l’amour mais avec une sorte d’espoir fou de nous faire connaître le secret du cœur de Dieu. C’est cela la révélation. C’est le visage d’un Dieu infini qui se penche sur nous et qui, connaissant le secret de son cœur, veut le partager avec nous, et nous le faire connaître, tout comme la mère, au moment où elle se penche vers son enfant, n’a qu’un désir c’est de lui faire connaître toute la beauté, toute la grandeur, tout le côté merveilleux de la vie humaine qui s’inaugure dans ce tout-petit.

C’est cela qu’on appelle l’hymne de jubilation du Christ. Le Christ voit prophétiquement, voit divinement le don de la Sagesse Éternelle à chacun d’entre nous : « Je Te bénis, Père, d’avoir révélé ce mystère aux tout-petits ! » Ce qui était caché dans le cœur de Dieu, aussi impénétrable que le cœur d’une mère à son enfant nouveau-né car, même si on dit qu’il a un certain instinct pour le sentir, il est incapable d’en avoir une conscience claire et lucide, aussi mystérieusement, de façon aussi impénétrable, le cœur de Dieu est là, devant chacun d’entre nous, et cependant il s’ouvre, il s’ouvre pour nous révéler le plus intime de son cœur et de son amour. Et c’est alors que, véritablement, le Christ proclame toute la profondeur de sa mission car ce cœur de Dieu, le plus intime de ce qu’Il avait à nous dire, Il l’avait certes déjà laissé entendre, laissé deviner par la parole de ses prophètes, mais c’était plutôt un message qu’une présence intime au cœur de l’humanité. Bien entendu, il y avait déjà tout ce comportement d’Israël face à son Dieu : Israël écoute, Israël offrant des sacrifices, mais tout cela n’était pas encore cet absolu de la communion dans la chair du Christ venu parmi les hommes pour que resplendisse la gloire du Père. Et c’est pourquoi le Christ, ce jour-là, dans sa nature divine et dans sa nature humaine, exulte de joie. C’est son Magnificat. Il est absolument transporté d’allégresse en voyant que le mystère de Dieu peut être entendu, peut résonner dans le cœur des hommes et dans notre cœur.

J’aime à croire que, ce jour-là, nous étions tous présents personnellement dans cet hymne de jubilation. C’était la naissance de l’Église, le mystère de Dieu révélé à chacun d’entre nous, révélé aux tout-petits, révélé à l’homme dans ce qu’il a de plus faible, de plus démuni, car c’est précisément à ce moment-là que Dieu voit comment l’infini de son mystère peut ouvrir le cœur humain à condition qu’il ne se prenne pas pour plus qu’il n’est.

Ensuite le Christ nous dit : « Venez à mon école, car mon joug est doux et mon fardeau léger ! » Bien sûr, ce sont les paroles mêmes de la sagesse prophétique de l’Ancien Testament qui disait déjà : « Venez à l’école de la sagesse et Moi je vous apporterai le repos ! » Ici, c’est : « Venez à Mon école!« 

Venez à cette école qui est Moi-même. Ce ne sont plus simplement des paroles à graver dans le cœur, c’est le Christ Lui-même qui est l’école, c’est le Christ Lui-même qui nous parle, c’est le Christ Lui-même qui nous façonne, avec cette intimité encore infiniment plus grande que celle d’une mère pour son enfant. C’est le Christ Lui-même qui est là et qui nous reprend, et qui nous recrée, et qui nous donne la vie de son Esprit. A ce moment-là, nous commençons à ressusciter avec Lui. Et c’est pourquoi Il scelle sa relation avec nous par le joug. Au moment même où Il exulte de joie parce qu’Il voit le mystère de son amour pour le Père entrer progressivement dans le cœur des disciples et dans le cœur de toute l’Église, à ce moment-là, Il parle de joug. Non pas un joug qui pèserait, mais précisément un joug qui élève, qui nous entraîne au-delà de nous-mêmes. C’est vraiment le joug de l’amour, c’est le moment où nous sommes liés au Christ pour la même œuvre, pour la même reconnaissance, pour la même louange et pour la même glorification.

Frères et sœurs, le sens de notre vie chrétienne, c’est d’être attelés au même joug que le Christ. Mais ce joug c’est le joug de la louange, c’est pouvoir nous-mêmes exulter avec le Christ car nous n’avons pas d’autre raison d’exister que de louer le Père, avec le Christ et dans l’Esprit. Nous n’avons pas d’autre raison d’être que d’entrer progressivement dans ce cœur du Christ et d’y découvrir « tous les trésors de la Sagesse et de la Connaissance de Dieu. » Que ce temps de vacances que certains vont prendre pour se refaire, physiquement, moralement, psychologiquement, que ce temps de vacances soit aussi ce temps dans lequel nous laissons se poser sur nous le joug de l’amour du Christ. Que ce soit un joug de louange et d’exultation. Que nous nous laissions ressaisir, au plus intime de nous-mêmes, à cette source de la louange et de l’action de grâces. Notre seule raison d’être et d’exister, c’est de vivre pour Dieu et de le louer, de le célébrer, à travers notre petitesse, à cause de notre petitesse. Que ce temps nous aide à enraciner encore plus en nous cette force de l’Esprit qui nous fait ressusciter. Que ce soit cette exultation de la fille de Sion qui voit son Sauveur s’avancer vers elle parce qu’Il est, Lui aussi, « doux et humble de cœur » et qu’Il vient à nous dans cette proximité, dans cette intimité que nous n’osions même pas soupçonner. Amen.