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Dimanche des Rameaux- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

UNE DOUBLE LECTURE DE LA PASSION

Jésus rameauxFrères et sœurs, en ce dimanche des Rameaux, nous entendons le récit de la Passion selon saint Luc. Il y a deux manières d’écouter ce récit. Et ces deux manières correspondent à deux attitudes de l’homme moderne qui nous orientent vers deux voies totalement différentes.

La première attitude, la première écoute nous fait dire : « Je suis en train d’entendre tout ce que Dieu a fait pour moi, voilà ce que Dieu a payé pour moi, voilà ce que Dieu a souffert pour moi. Voilà tout ce que je lui dois ». Dans cette première attitude, on écoute la Passion – pardonnez-moi l’expression –, d’une façon économique, donnant-donnant. Lui-même, il a fait tout cela pour moi, donc, je luis dois « tant ». Et comme en général nous sommes assez lucides pour nous dire que nous ne pourrons jamais rembourser la dette, à ce moment-là, on a l’impression que ce récit de la Passion augmente en nous la mauvaise conscience : « Je devrais faire plus, je devrais être mieux, ma religion est une religion d’effort, il faut que je fasse davantage, davantage, davantage ! »

C’est une certaine manière de voir les choses. Il n’y a pas que du faux là-dedans, mais c’est vrai qu’à certains moments cette religion-là est devenue la religion de l’échange, de la compensation. Surtout, comme dans toutes les transactions économiques, elle est devenue la religion de la sélection. Il y a ceux qui arrivent à faire un petit quelque chose pour se présenter devant Dieu en disant : « Voilà, j’aurai quand même droit à un strapontin ». Cette religion-là, c’est la religion souvent de la mauvaise conscience : « Je suis un mauvais chrétien, je ne fais pas ce qu’il faut ».

On peut se demander si c’est la bonne manière de lire et d’entendre ce récit de la Passion. Est-ce que vraiment Dieu est un comptable ou pire encore, un banquier ? Est-ce que Dieu calcule les intérêts, calcule pour savoir si sa Passion, sa souffrance et sa mort ont été de bons rapports ou non ? Autrement dit, est-ce que Dieu rentre dans le calcul de nos manières humaines de voir ? La religion ne serait-elle que ce qui englobe et ce qui résume tous nos comportements, toutes nos attitudes surtout dans ce monde où aujourd’hui rien n’est gratuit, tout se calcule, tout se paie, tout se doit ?

croix_tripleIl y a une deuxième manière de lire la Passion, je crois qu’elle est plus vraie. Il y a une deuxième manière d’entendre le personnage de Jésus comme un homme qui a souffert pour nous, comme un homme qui a porté nos péchés, un homme qui a enduré pour nous toutes les souffrances, c’est indéniable. Mais le Christ n’a pas fait cela pour nous mettre dans une situation de dette. Il l’a fait gratuitement. Il faut une générosité folle pour venir dire aux hommes : « Je sais ce qu’est le fond de votre cœur. Je sais la violence et le péché qui habitent les hommes et cependant, je viens au milieu de vous pour vous dire que l’amour de Dieu est sans conditions, sans intérêts, sans préalables financiers, économiques ou d’échanges. Désormais, je ne veux plus être avec vous dans une relation de dettes, je veux vivre avec vous dans la relation de gratuité que je suis en train d’instaurer ».

A ce moment-là pour Dieu, le maximum de la gratuité consiste à dire : « Vous voyez, même dans ce domaine de la souffrance, dans ce vis-à-vis de la mort dans lequel chaque homme, et nous en sommes tous, demande toujours des comptes, pourquoi faut-il mourir ? Pourquoi y a-t-il tant de drames ? Pourquoi y a-t-il tant de mal ? Moi-même je l’assume, je le prends, et je le vis pour vous ». Ici, le mot « pour » a un tout autre sens que dans le premier cas. Dans le premier cas, le sens économique de « pour », c’est : « Je le fais pour toi mais je t’enverrai la facture ». Ici, le Christ dit : « Je le fais pour toi et il n’y aura pas de facture ! »

Saint Paul d’ailleurs avait pensé exactement la même chose en disant un jour à ces premiers chrétiens qui devaient penser un peu comme cela : « Devant tout ce que le Christ a fait, qu’est-ce que je lui dois ? » Et saint Paul avait dit : « Il a déchiré la cédule de notre dette ». C’est une traduction un peu malheureuse, cela qui veut dire qu’il a simplement déchiré la facture. Ce n’était pas une fausse facture, elle était vraie et le Christ l’a déchirée. Dieu ne veut plus vivre avec nous dans un rapport de dette.

amour du christ

Évidemment, cela suppose de notre part de changer complètement d’attitude. La foi chrétienne n’est pas une opération de bon rapport financier en misant sur les bonnes actions de l’au-delà au sens bancaire du terme. La foi chrétienne, c’est la réponse gratuite à cette gratuité de Dieu. Et quand nous entendons cet évangile de la Passion, ce qui devrait être notre premier sentiment, note première attitude, c’est cette gratuité et ce merci parce que Dieu a bien voulu jouer le jeu de tout ce qui pèse sur nous, de tout ce qui nous écrase, mais pour nous dire simplement que son seul souci c’est de nous rendre libres. La Passion de Jésus-Christ n’est pas une école d’asservissement par les dettes, elle est une école de libération par la gratuité de Dieu : « Puisque je t’ai aimé gratuitement, aime-moi sans me demander de comptes. Aime-moi sans calculer, je n’ai pas calculé pour toi. Je n’exige rien, si tu ne le fais pas, on verra plus tard, mais la seule chose que je te demande, c’est de ne plus calculer avec moi ».

rameaux2Frères et sœurs, c’est pour cela qu’aujourd’hui, pendant la fête des Rameaux, nous lisons la Passion. En réalité, la véritable attitude que nous devons avoir devant la Passion, c’est celle que nous avons en agitant gratuitement des rameaux. En acclamant le Christ par un geste absolument gratuit et un peu fou, pour le remercier parce qu’il est là, pour ce qu’il a fait pour nous. Il y a une complémentarité fondamentale entre le geste d’entrer en acclamant le Christ pour la gratuité de son salut, et d’autre part le récit de sa Passion lu en ce dimanche des Rameaux, récit de la gratuité de l’offre du salut par Dieu lui-même. Ceci a une énorme importance dans notre propre vie. Vous le savez, si nous hésitons entre les deux lectures, la lecture économique et la lecture de la gratuité, c’est parce que nous nous sentons pris petit à petit dans un monde où c’est l’échange réglé, mesuré et calculé qui a fini par envahir toute notre vie et tous nos réflexes.

Il ne nous reste plus qu’une petite banquise qui risque de fondre. C’est la banquise de la générosité et de la gratuité. Cette petite banquise-là, il ne faut pas la perdre. Il faut que nous en soyons les témoins. Nous avons dans ce monde actuel, qui à certains moments étouffe sous le poids de la contrainte, de la misère, et je dirais même, dans ce monde actuel qui à certains moments, donne une idée de la gratuité ou de la richesse qui bafoue les pauvres, nous avons à être les témoins d’une gratuité sans mépris, sans suffisance, une gratuité qui vient de Dieu, celle par laquelle il a dit : « Père, pardonne-leur ». Amen.




Dimanche des Rameaux et la Passion par P. Claude Tassin (Dimanche 20 mars 2016)

Isaïe 50, 4-7 (Le Serviteur de Dieu accepte ses souffrances)

Ce passage du livre d’Isaïe est le troisième des * quatre poèmes du Serviteur du Seigneur. Le prophète se confie ici dans le style des confessions de Jérémie (cf. Jérémie 11, 18-20).

Le Serviteur, disciple et prophète

En fidèle disciple, le Serviteur est à l’écoute du Seigneur qui lui donne chaque jour sa parole pour « réconforter celui qui n’en peut plus », à savoir les petites gens de l’Israël exilé à Babylone qui doit se préparer à un retour au pays, à un nouvel Exode libérateur. Mais ce message dérange certains Juifs installés, voire enrichis, à Babylone. Ils ne souhaitent pas le changement annoncé et couvrent d’insultes le messager de la libération. Le Serviteur ne se dérobe pas à la persécution : elle fait partie de sa mission et c’est le projet libérateur divin que l’on conteste à travers lui. Le Seigneur assistera sûrement celui qu’il a envoyé et qui, dans la ligne de ses prédécesseurs (cf. Ézékiel 3, 8-9), se contente de ceci : « j’ai rendu ma face dure comme pierre » pour supporter l’épreuve.

Jésus, héritier du Serviteur

Luc 9, 51 reprendra cette dernière expression (« il endurcit son visage ») pour traduire la décision de Jésus d’aller à Jérusalem en vue de sa mort et de son Ascension. Et si les évangélistes signalent les coups et les crachats dans les récits de la Passion (cf. Matthieu 26, 67 et 27, 30), c’est pour nous renvoyer à ce Serviteur en qui ils voient déjà Jésus, prophète persécuté et confiant jusqu’au bout en son Dieu. Notons cependant que, par respect pour le Seigneur, Luc évitera ces détails sordides dans son récit de la Passion.

* Les quatre poèmes du Serviteur. On appelle ainsi quatre poèmes qui, dans le livre d’Isaïe, dépeignent la figure énigmatique du Serviteur : le 1er chant (Isaïe 42, 1-7) présente sa vocation initiale de prophète. Le 2e (Is 49, 1-9) réaffirme sa vocation de « lumière des nations » (Isaïe 42, 6 et 49, 6), avec ses luttes intérieures pour assumer sa mission difficile. Le 3e (50, 4-11, dimanche des Rameaux) montre le personnage persécuté. Le 4e (52, 13 – 53, 12) évoque le martyre du Serviteur s’offrant en sacrifice pour les pécheurs. Il reste difficile de savoir à qui pensait l’auteur, qui envisage tantôt un personnage singulier, tantôt une communauté. Les interprétations sont aujourd’hui nombreuses. L’essentiel pour nous tient dans la fréquence avec laquelle les évangélistes recourent à ces quatre poèmes pour éclairer la destinée et la mission de Jésus, voire celles de saint Paul. Peut-être Jésus lui-même a-t-il abordé sa Passion dans l’esprit du quatrième poème que nous lisons le vendredi saint. Le 1er et le 2e chant se lisent respectivement le lundi et le mardi saints.

Psaume 21 (« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »)

Évidemment, ce psaume est retenu par les évangélistes de la Passion en raison de détails qui concordaient avec le supplice de Jésus : pieds et mains percés, vêtements mis à l’encan. Vraisemblablement, les premières communautés chrétiennes priaient ce psaume lorsqu’elles. célébraient la Passion du Seigneur. Le quatrième Évangile fait fort ! Il a lu le parallélisme : « (A) Ils partagent entre eux mes habits / (A’) et tirent au sort mon vêtement ». Bien sûr, les habits et le vêtement sont la même chose dans le poème. Mais, pour montrer que la prophétie s’accomplit « à la lettre » dans la Passion du Seigneur, saint Jean ne craint pas de disloquer ces deux vers (A-A’) : partage des vêtements de Jésus (A), puis tirage au sort de la tunique (A’). Du point de vue des événements, pourquoi pas ? Mais c’est l’humour littéraire qui se profile ici.. Car la Passion de Jésus mérite la vertu de l’humour. Qui le nierait, quand notre évangéliste (vendredi saint) travestit la mort du Nazaréen comme une marche vers la Gloire ?

  Pour revenir au psaume. On ignore l’identité du psalmiste, sinon qu’il est lourdement persécuté ou se fait le porte-parole de malheureux en proie à une violente hostilité et raillés par des voisins sans compassion. Au premier abord, on a l’impression d’une prière de supplication : « ô ma force, viens vite à mon aide ! » En réalité, il s’agit d’un psaume d’action de grâce, selon la deuxième partie du poème dont la liturgie de ce dimanche cite la première strophe : « Tu m’as répondu ! » Les épreuves évoquées sont du passé, et voici le psalmiste sauvé, rendant grâce dans « l’assemblée » liturgique, au milieu de ses frères croyants. Peut-être la suite de ce deuxième volet (« vous sui le craignez, louez le Seigneur ») restitue-t-il l’oracle d’un prêtre ou d’un prophète lié au culte et tirant, pour les fidèles réunis, les leçons du salut dont le psalmiste a bénéficié.

  Selon Marc 15, 34, relayé par Matthieu 27, 36, le premier verset du psaume a été la dernière parole de Jésus sur la croix : « Éloï, Éloï, lema sabactani. Ce qui se traduit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » L’expression lancée en araméen donne à ce cri ultime un parfum d’authenticité. Dès lors, à travers les siècles suivants, les commentateurs vont se diviser en deux courants. Pour les uns, en prononçant le début du poème, le Crucifié songe à l’ensemble du psaume et proclame ainsi l’espérance de sa résurrection (« Tu m’as répondu ! »… « Et moi, je vis pour lui… ») Pour les autres, Jésus ressent atrocement sa mort comme un abandon de Dieu, mais, du fond de son drame et comme dernier acte de foi, il prie encore son Dieu et Père. C’est ce second sens que saint Luc a compris. C’est pourquoi, craignant de heurter la foi fragile de ses lecteurs grecs, il a remplacé cet aveu par la citation plus paisible d’un autre psaume : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23, 46 =, modifié : Psaume 30 [31], 6).

  Que voulait dire Jésus de Nazareth dans sa parole finale ? C’est son secret ! Nous en aurons la clé, quand nous le rejoindrons dans le monde des Ressuscités.

 

Philippiens 2, 6-11 (Abaissement et glorification de Jésus)

Paul a peut-être pris et retouché dans le livre de chants de l’Église d’Antioche, où il a séjourné avant ses premières missions, cet hymne qui célèbre le Christ abaissé et glorifié. Deux figures se profilent entre les lignes : celle d’Adam qui voulut se faire l’égal de Dieu à l’instigation du tentateur (« vous serez comme des dieux », Genèse 3, 3 ; cf. verset 22), et celle du Serviteur souffrant qui « s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort » (Isaïe 53, 12). Le texte ne s’arrête pas à l’idée que le Christ est mort « pour nous » ; il décrit quel homme fut Jésus devant Dieu, quel type d’homme il a plu à Dieu d’élever. Le tout se divise en deux parties.

L’abaissement

Jésus, le nouvel Adam ne revendiqua rien pour lui. Sa vie fut une opération vérité : il est allé jusqu’à la mort la plus humiliante par solidarité avec l’histoire d’une humanité tombée en esclavage, l’esclavage du péché. Littéralement, « il s’est vidé ». Se fondant sur le verbe grec sous-jacent, les théologiens parlent de la *« kénôse » du Christ. Il a compté que Dieu seul pouvait lui rendre justice. Peut-être est-ce Paul qui, au cantique primitif, a ajouté l’expression : « et la mort de la croix. »

L’élévation

« C’est pourquoi », se voyant compris par cet homme, Dieu l’a placé au sommet de l’univers. Désormais, quand nous disons « Jésus », nous devons dire aussi « Seigneur », c’est-à-dire le Nom même de Dieu dans l’Ancien Testament. Et nous disons « Seigneur » « pour la gloire du Père », pour que Dieu soit fier de nous voir reconnaître son œuvre dans le mystère de Pâques. Notons que la louange du Christ doit être universelle ; selon les conceptions antiques d’une création en trois étages, elle doit retentir aux cieux, sur la terre et dans l’abîme (les régions souterraines). À cette représentation du monde correspondent les formules du credo ; « il descendit du ciel », « il est descendu aux enfers » et « il est monté aux cieux ». Enfin, appliquée à Jésus, l’expression que « tout genous fléchisse » est audacieuse

 

Luc 22, 14 – 23, 56 (La Passion du Seigneur)

Luc n’écrit pas en journaliste. Il nous fait entrer dans son interprétation de la Passion, et son message, à nous adressé aussi, pourrait se résumer ainsi : Lis la Passion en disciple, attaché à ton Seigneur, essayant de le suivre, en priant, en confrontant tes épreuves quotidiennes aux siennes, en adoptant les dispositions dont les personnages du récit t’offrent le modèle. Car, sur son chemin vers la croix, Jésus change les cœurs. Si je ne puis suivre la Passion en disciple fidèle, du moins puis-je pleurer avec Pierre en disciple repentant ; avec les femmes de Jérusalem (épisode propre à Luc), je peux entendre un appel à ma propre conversion ; avec le « bon larron » (épisode propre à Luc), je peux confesser ma confiance en la pleine royauté du Crucifié et, comme lui, exercer mon pardon ; avec le centurion du Calvaire, je peux proclamer *le Juste, Fils pleinement innocent et sauvé par Dieu (voir Sagesse 2, 16-18). Je dois savoir surtout que la Passion de Jésus traîne avec elle, répétons-le, le parfum du pardon. D’où la conclusion propre à Luc, avant l’ensevelissement : « Tous les gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, voyant ce qui était arrivé, s’en retournaient en se frappant la poitrine » (Luc 23, 48).

Le jardin des Oliviers

  Après le *Testament que constitue la Cène, la clé du message se trouve dans la manière dont Luc raconte l’épisode du mont des Oliviers. Il a d’abord dit : « Ses disciples le suivirent. » Puis une phrase encadre cette séquence : « Priez pour ne pas entrer en tentation », et l’évangéliste, à la différence des autres, se garde bien de mentionner la fuite des disciples : nous sommes justement les disciples appelés à suivre le Christ au sein de nos propres épreuves qui nous assimilent à sa Passion. Quant à Jésus, sa prière est une lutte mortelle, une agonie (cf. les « gouttes de sang », une image propre à Luc) en laquelle il s’ajuste au vouloir de Dieu. Il avance en confiance vers la mort. Son premier mot, dans ce drame, aura été « Père, si tu veux… », ses dernières paroles seront : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ». Telle est la confiance que nous devons avoir, nous aussi.

  Luc écrit lui-même en disciple vénérant son Maître : il n’ose pas dire carrément que le traître Judas embrassa Jésus; il réduit au minimum les scènes d’outrage contre Jésus, il ne dit nulle part que Jésus est « condamné » et il tait la tradition du « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il la remplace par un psaume de confiance : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. »

Un arrière-fond : l’expérience de la mission chrétienne

Enfin, Luc écrit depuis une Église qui, comme la nôtre, vit parfois la Passion. Dans les Actes des Apôtres, les apôtres ont comparu devant le sanhédrin, ils ont été battus ; Étienne, lapidé à mort, reprend les dernières paroles de Jésus (voir Actes 7, 59). Et Luc, dans les Actes, décrit la vie de Paul arrêté comme une imitation du témoignage de Jésus. Plus encore, si Luc innocente Pilate qui et (lui seul) renvoie l’Accusé devant Hérode Antipas, c’est en songeant que Paul eut affaire aux autorités romaines, mais que celles-ci renvoyèrent toujours l’Apôtre libre en disant que l’Évangile dénoncé devant elles était un problème entre Juifs, et non une atteinte à l’ordre de l’Empire. Nous lirons en disciples la Passion du Seigneur à la mesure où nous sommes capables de lire les situations d’aujourd’hui qui identifient l’Église à l’épreuve de Jésus.

* « C’était un juste… » En Marc 14, 39, le centurion proclame : « Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu » et chez Matthieu (27, 54) c’est tout le détachement des gardes qui professe la foi chrétienne. Plus sensible aux étapes de la mission chrétienne, Luc juge cette déclaration anachronique : « C’était un juste », dit simplement l’officier (Luc 23, 47). Mais Luc s’inspire là du livre de la Sagesse pour qui le fils de Dieu est le juste massacré que Dieu sauve de la mort comme son enfant (Sagesse 2, 18 ; 5, 4-5). C’est donc une prophétie de la résurrection de Jésus.

* Le Testament de la Cène. Le judaïsme ancien a publié des apocryphes appelés « testaments ». Il s’agit généralement d’un patriarche biblique rassemblant ses descendants avant de mourir. Pour eux, il fait le bilan de sa vie et leur livre son héritage spirituel pour se survivre en eux. Il prophétise les épreuves auxquelles ils succomberont parfois et les merveilles que Dieu fera pour eux au terme de l’histoire. Une lecture attentive de la Cène selon Luc montre que l’évangéliste a coulé l’épisode de la Cène dans ce genre « testament ».

 




Dimanche des rameaux par le Diacre Jacques FOURNIER

«La Passion, pour le Salut de tous « 

(Lc 22,14-71.23,1-56)…

Quand l’heure fut venue, Jésus prit place à table, et les Apôtres avec lui.
Il leur dit : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir !
Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu. »
Alors, ayant reçu une coupe et rendu grâce, il dit : « Prenez ceci et partagez entre vous.
Car je vous le déclare : désormais, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. »
Puis, ayant pris du pain et rendu grâce, il le rompit et le leur donna, en disant : « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »
Et pour la coupe, après le repas, il fit de même, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang répandu pour vous.
Et cependant, voici que la main de celui qui me livre est à côté de moi sur la table.
En effet, le Fils de l’homme s’en va selon ce qui a été fixé. Mais malheureux cet homme-là par qui il est livré ! »
Les Apôtres commencèrent à se demander les uns aux autres quel pourrait bien être, parmi eux, celui qui allait faire cela.
Ils en arrivèrent à se quereller : lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ?
Mais il leur dit : « Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs.
Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert.
Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert.
Vous, vous avez tenu bon avec moi dans mes épreuves.
Et moi, je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi.
Ainsi vous mangerez et boirez à ma table dans mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël.
Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé.
Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. »
Pierre lui dit : « Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller en prison et à la mort. »
Jésus reprit : « Je te le déclare, Pierre : le coq ne chantera pas aujourd’hui avant que toi, par trois fois, tu aies nié me connaître. »
Puis il leur dit : « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous donc manqué de quelque chose ? »
Ils lui répondirent : « Non, de rien. » Jésus leur dit : « Eh bien maintenant, celui qui a une bourse, qu’il la prenne, de même celui qui a un sac ; et celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau pour en acheter une.
Car, je vous le déclare : il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : Il a été compté avec les impies. De fait, ce qui me concerne va trouverson accomplissement. »
Ils lui dirent : « Seigneur, voici deux épées. » Il leur répondit : « Cela suffit. »
Jésus sortit pour se rendre, selon son habitude, au mont des Oliviers, et ses disciples le suivirent.
Arrivé en ce lieu, il leur dit : « Priez, pour ne pas entrer en tentation. »
Puis il s’écarta à la distance d’un jet de pierre environ. S’étant mis à genoux, il priait en disant :
« Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. »
Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait.
Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre.
Puis Jésus se releva de sa prière et rejoignit ses disciples qu’il trouva endormis, accablés de tristesse.
Il leur dit : « Pourquoi dormez-vous ? Relevez-vous et priez, pour ne pas entrer en tentation. »
Il parlait encore, quand parut une foule de gens. Celui qui s’appelait Judas, l’un des Douze, marchait à leur tête. Il s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser.
Jésus lui dit : « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ? »
Voyant ce qui allait se passer, ceux qui entouraient Jésus lui dirent : « Seigneur, et si nous frappions avec l’épée ? »
L’un d’eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille droite.
Mais Jésus dit : « Restez-en là ! » Et, touchant l’oreille de l’homme, il le guérit.
Jésus dit alors à ceux qui étaient venus l’arrêter, grands prêtres, chefs des gardes du Temple et anciens : « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus avec des épées et des bâtons ?
Chaque jour, j’étais avec vous dans le Temple, et vous n’avez pas porté la main sur moi. Mais c’est maintenant votre heure et le pouvoir des ténèbres. »
S’étant saisis de Jésus, ils l’emmenèrent et le firent entrer dans la résidence du grand prêtre. Pierre suivait à distance.
On avait allumé un feu au milieu de la cour, et tous étaient assis là. Pierre vint s’asseoir au milieu d’eux.
Une jeune servante le vit assis près du feu ; elle le dévisagea et dit : « Celui-là aussi était avec lui. »
Mais il nia : « Non, je ne le connais pas. »
Peu après, un autre dit en le voyant : « Toi aussi, tu es l’un d’entre eux. » Pierre répondit : « Non, je ne le suis pas. »
Environ une heure plus tard, un autre insistait avec force : « C’est tout à fait sûr ! Celui-là était avec lui, et d’ailleurs il est Galiléen. »
Pierre répondit : « Je ne sais pas ce que tu veux dire. » Et à l’instant même, comme il parlait encore, un coq chanta.
Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre. Alors Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. »
Il sortit et, dehors, pleura amèrement.
Les hommes qui gardaient Jésus se moquaient de lui et le rouaient de coups.
Ils lui avaient voilé le visage, et ils l’interrogeaient : « Fais le prophète ! Qui est-ce qui t’a frappé ? »
Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres blasphèmes.
Lorsqu’il fit jour, se réunit le collège des anciens du peuple, grands prêtres et scribes, et on emmena Jésus devant leur conseil suprême.
Ils lui dirent : « Si tu es le Christ, dis-le nous. » Il leur répondit : « Si je vous le dis, vous ne me croirez pas ;
et si j’interroge, vous ne répondrez pas.
Mais désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu. »
Tous lui dirent alors : « Tu es donc le Fils de Dieu ? » Il leur répondit : « Vous dites vous-mêmes que je le suis. »
Ils dirent alors : « Pourquoi nous faut-il encore un témoignage ? Nous-mêmes, nous l’avons entendu de sa bouche. »
L’assemblée tout entière se leva, et on l’emmena chez Pilate.
On se mit alors à l’accuser : « Nous avons trouvé cet homme en train de semer le trouble dans notre nation : il empêche de payer l’impôt à l’empereur, et il dit qu’il est le Christ, le Roi. »
Pilate l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui le dis. »
Pilate s’adressa aux grands prêtres et aux foules : « Je ne trouve chez cet homme aucun motif de condamnation. »
Mais ils insistaient avec force : « Il soulève le peuple en enseignant dans toute la Judée ; après avoir commencé en Galilée, il est venu jusqu’ici. »
À ces mots, Pilate demanda si l’homme était Galiléen.
Apprenant qu’il relevait de l’autorité d’Hérode, il le renvoya devant ce dernier, qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là.
À la vue de Jésus, Hérode éprouva une joie extrême : en effet, depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire un miracle.
Il lui posa bon nombre de questions, mais Jésus ne lui répondit rien.
Les grands prêtres et les scribes étaient là, et ils l’accusaient avec véhémence.
Hérode, ainsi que ses soldats, le traita avec mépris et se moqua de lui : il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate.
Ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent des amis, alors qu’auparavant il y avait de l’hostilité entre eux.
Alors Pilate convoqua les grands prêtres, les chefs et le peuple.
Il leur dit : « Vous m’avez amené cet homme en l’accusant d’introduire la subversion dans le peuple. Or, j’ai moi-même instruit l’affaire devant vous et, parmi les faits dont vous l’accusez, je n’ai trouvé chez cet homme aucun motif de condamnation.
D’ailleurs, Hérode non plus, puisqu’il nous l’a renvoyé. En somme, cet homme n’a rien fait qui mérite la mort.
Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. »
[…]
Ils se mirent à crier tous ensemble : « Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas. »
Ce Barabbas avait été jeté en prison pour une émeute survenue dans la ville, et pour meurtre.
Pilate, dans son désir de relâcher Jésus, leur adressa de nouveau la parole.
Mais ils vociféraient : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! »
Pour la troisième fois, il leur dit : « Quel mal a donc fait cet homme ? Je n’ai trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort. Je vais donc le relâcheraprès lui avoir fait donner une correction. »
Mais ils insistaient à grands cris, réclamant qu’il soit crucifié ; et leurs cris s’amplifiaient.
Alors Pilate décida de satisfaire leur requête.
Il relâcha celui qu’ils réclamaient, le prisonnier condamné pour émeute et pour meurtre, et il livra Jésus à leur bon plaisir.
Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix pour qu’il la porte derrière Jésus.
Le peuple, en grande foule, le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus.
Il se retourna et leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants !
Voici venir des jours où l’on dira : “Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité !”
Alors on dira aux montagnes : “Tombez sur nous”, et aux collines : “Cachez-nous.”
Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? »
Ils emmenaient aussi avec Jésus deux autres, des malfaiteurs, pour les exécuter.
Lorsqu’ils furent arrivés au lieu dit : Le Crâne (ou Calvaire), là ils crucifièrent Jésus, avec les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche.
Jésus disait : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » Puis, ils partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort.
Le peuple restait là à observer. Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! »
Les soldats aussi se moquaient de lui ; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée,
en disant : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »
Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs. »
L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! »
Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu ne crains donc pas Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi !
Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. »
Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. »

Jésus lui déclara : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
C’était déjà environ la sixième heure (c’est-à-dire : midi) ; l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure,
car le soleil s’était caché. Le rideau du Sanctuaire se déchira par le milieu.
Alors, Jésus poussa un grand cri : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Et après avoir dit cela, il expira.
À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendit gloire à Dieu : « Celui-ci était réellement un homme juste. »
Et toute la foule des gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, observant ce qui se passait, s’en retournaient en se frappant la poitrine.
Tous ses amis, ainsi que les femmes qui le suivaient depuis la Galilée, se tenaient plus loin pour regarder.
Alors arriva un membre du Conseil, nommé Joseph ; c’était un homme bon et juste,
qui n’avait donné son accord ni à leur délibération, ni à leurs actes. Il était d’Arimathie, ville de Judée, et il attendait le règne de Dieu.
Il alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus.
Puis il le descendit de la croix, l’enveloppa dans un linceul et le mit dans un tombeau taillé dans le roc, où personne encore n’avait été déposé.
C’était le jour de la Préparation de la fête, et déjà brillaient les lumières du sabbat.
Les femmes qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée suivirent Joseph. Elles regardèrent le tombeau pour voir comment le corps avait été placé.
Puis elles s’en retournèrent et préparèrent aromates et parfums. Et, durant le sabbat, elles observèrent le repos prescrit.

 Jésus rameaux

            La Passion est toute proche, Jésus le sait… « J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir »… Et tout cela, il le supportera pour chacun d’entre nous, pour notre guérison profonde, pour que « nous cessions de faire le mal et apprenions à faire le bien » (Is 1,16). Le mal en effet tue en premier celui qui le commet… « Le péché m’a fait perdre mes forces, il me ronge les os ». « Oui, mes péchés me submergent, leur poids trop pesant m’écrase » (Ps 31(30),11 ; 38(37),5). « Souffrance et angoisse pour toute âme humaine qui fait le mal ». « Le salaire du péché, c’est la mort » (Rm 2,9 ; 6,23).

            Que ses créatures meurent, même par la suite de leurs propres fautes ? Voilà ce que Dieu ne supporte pas… Aussi est-il venu en son Fils s’unir à l’humanité perdue, qui se déchire et se mutile elle-même par la méchanceté et la violence qui l’habite. Ses disciples les plus proches le trahiront, le renieront, l’abandonneront, le laissant seul face à ses accusateurs et à ses tortionnaires… Et Jésus portera, supportera des souffrances extrêmes jusqu’à mourir crucifié… En agissant ainsi, il a ouvert tout grand ses bras à tous les hommes qui souffrent, quelle que soit l’origine de leurs souffrances, même si parfois elle peut être la conséquence directe de leurs fautes… Et il a tout porté, tout supporté sans jamais basculer du côté de la haine des ennemis, avec sa soif de vengeance… Il n’a cessé d’aimer, de chercher envers et contre tout le bien de tous. Le bien du tortionnaire, qu’il trouvera par sa conversion et sa repentance, aidé en cela par la Lumière et la Force de l’Esprit… Le bien de l’innocent écrasé qu’il rejoint aujourd’hui encore par la Puissance de ce même Esprit, pour le soutenir, l’encourager, le réconforter et lui donner de pouvoir sortir victorieux de son épreuve… « Le Christ lui-même a souffert pour vous… Couvert d’insultes, il n’insultait pas ; accablé de souffrances, il ne menaçait pas, mais il confiait sa cause à Celui qui juge avec justice. Dans son corps, il a porté nos péchés sur le bois de la croix, afin que nous puissions mourir à nos péchés et vivre dans la justice : c’est par ses blessures que vous avez été guéris » (1P 2,2124), guéris par celui qui « veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4-6), « les méchants comme les bons », « les justes comme les injustes » (Mt 5,45)… « Père, pardonne-leur »… « Que celui qui exerce la Miséricorde le fasse en rayonnant de joie » (Rm 12,8)… On pressent comment Jésus vécut ses derniers instants sur la Croix, et quelle fut l’admiration du Centurion romain qui se tenait en face de lui : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu » (Mc 15,39) !

                                                                                                                                 DJF

           




Rencontre autour de l’Évangile – Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur

“ Moi, je suis au milieu de vous

comme celui qui sert.. » 

TA PAROLE SOUS NOS YEUX

Ensemble lisons (Luc 22, 14-23, 56)

La plupart des personnes auront sans doute entendu le récit de la passion selon saint Luc à la messe des rameaux. Mais une deuxième lecture plus attentive est nécessaire dans le groupe.Répartir les rôles. La lecture de la Passion, plus encore que pour d’autres passages, est porteur de grâces.

Situons le texte

Saint Luc écrit son évangile comme une montée de Jésus à Jérusalem. Nous sommes donc au sommet de la vie de Jésus. Satan, l’adversaire du projet de Dieu, que Jésus a vaincu au début de son ministère, va tenter de se mettre à nouveau en travers de sa route. Cependant la Passion selon saint Luc n’a pas le caractère tragique du récit de Matthieu. L’atmosphère, bien que grave, est marquée par une certaine sérénité de Jésus. Nous serons attentifs à toutes les gestes et attitudes qui manifestent la bonté, la miséricorde de Jésus tout au long du récit.

 

Repérons les étapes du récit

La trahison de Judas (Satan va se servir de l’un des Douze)

Le repas pascal et tout ce qui s’y passe, (surtout l’institution de l’eucharistie)

Au mont des Oliviers

prière de Jésus

arrestation de Jésus

Reniement de Pierre : le regard de Jésus sur son ami.

Le procès :

devant le Sanhédrin

devant Pilate

devant Hérode

Sur le chemin de calvaire : Simon de Cyrène, les femmes de Jérusalem

Jésus sur la croix : Prière de Jésus, prière du malfaiteur.

Mort et ensevelissement

 

Ensemble regardons Jésus

Notre partage consistera surtout à regarder Jésus  à chaque moment de sa Passion :

  • Jésus envoie Pierre et Jean préparer le repas pascal.

  • Notons ses sentiments quand il est à table avec les Douze ; et par rapport à Judas.

Comment se présente Jésus quand ses disciples se disputent pour savoir qui est le plus grand ?

  • Jésus confie un rôle particulier à Pierre, malgré sa chute : lequel ?

  • Regardons Jésus en prière au jardin des Oliviers : quelle est son attitude vis à vis de son Père ? Il vit un véritable combat intérieur : comment Luc le décrit ? Au moment de son arrestation, quelle est son attitude à l’égard de Judas ?Le calme de Jésus tandis qu’on l’arrête. Le regard de Jésus sur Pierre après son reniement.

  • Et le geste de Jésus sur le serviteur du grand prêtre ?

  • Qu’est-ce qui caractérise l’attitude de Jésus durant son procès ?

  1. devant le grand conseil du Sanhédrin il affirme calmement son identité.

  2. Devant Pilate, il accepte le titre de roi…mais sans plus.

  3. Devant Hérode, qui veut satisfaire sa curiosité, il ne dit rien.

  • Durant sa Passion, Jésus se montre tel qu’il a toujours été : il réconforte ses disciples, il console les femmes de Jérusalem, il pardonne à ses bourreaux ainsi qu’au malfaiteur sur la croix, il meurt confiant entre les mains du Père. A cela, l’officier païen reconnaît que cet homme était un juste.

 

L’ Évangile aujourd’hui dans notre vie

A la fin des tentations du désert, Satan s’était retiré “  jusqu’au moment fixé ”. Ce temps est venu et Satan en personne vient diriger la manœuvre en utilisant son arme préférée : l’argent. (Judas) Quelle réflexion cela nous inspire?

Dans la communauté de Jésus (l’Eglise) la responsabilité est avant tout un service. (“ Qui est le plus grand? ”) : En quoi cela nous interpelle ?

Une fois de plus Jésus prie à un moment important de sa vie. Dieu n’abandonne pas celui qui met sa confiance en lui au moment de l’épreuve (Agonie). “ Priez ” : Lorsque Satan teste la persévérance des croyants, la prière ardente donne seule la force de ne pas succomber au pouvoir du mal, de rester fidèle dans la crise éprouvante que l’on traverse. Et nous ?

Sa prière sur la croix : il remet sa vie entre les mains de son Père.

A la lecture de ce récit de la Passion quels appels trouvons-nous pour notre vie d’aujourd’hui ?

(pour l’animateur : Prière filiale dans l’épreuve, le service, le pardon des ennemis, fidélité, prise de conscience de notre faiblesse, notre rapport à l’argent…)

Jésus s’engage dans la mort d’une façon exemplaire en mettant en pratique ce qu’il a enseigné à ses disciples…“ comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ”. Nous le disons facilement dans le « Notre Père ” ! Mais dans la pratique ?

 

Ensemble prions

Seigneur Jésus, en agonie au jardin des Oliviers,

envahi par la tristesse et l’effroi, réconforté par un ange :

Pitié, Seigneur, pitié pour nous

Seigneur Jésus, trahi par le baiser de Judas,

abandonné par tes apôtres, livré aux mains des pécheurs,

Pitié, Seigneur, pitié pour nous

Seigneur Jésus, accusé par de faux témoins,

condamné à mourir sur la croix, souffleté par les valets, couvert de crachats,

Pitié, Seigneur, pitié pour nous

Seigneur Jésus, renié par Pierre, ton apôtre,

livré à Pilate et à Hérode, mis au rang de Barrabas,

Pitié, Seigneur, pitié pour nous

Seigneur Jésus, portant ta croix au Calvaire,

consolé par les filles de Jérusalem, aidé par Simon de Cyrène,

Pitié, Seigneur, pitié pour nous.

 

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5ième Dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER

« Je ne te condamne pas » (Jn 8,1-11)

En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers.
Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner.
Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu,
et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère.
Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? »
Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre.
Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. »
Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre.
Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu.
Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? »
Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

 pardon force qui libére

« Tu ne commettras pas d’adultère » (Ex 20,14 ; Dt 5,18). La Loi est formelle, d’autant plus que nous avons ici une des Dix Paroles données par Dieu à Moïse. A partir d’elles, les hommes avaient développé une justice très dure : « L’homme qui commet l’adultère avec la femme de son prochain devra mourir, lui et sa complice » (Lv 20,10). Ici, une « femme a été prise en flagrant délit d’adultère. » Mais qui dit « flagrant délit » dit deux personnes pour le commettre. Où donc est l’homme ? La Loi le concerne lui aussi… Une injustice se laisse pressentir…

Les Pharisiens veulent mettre Jésus à l’épreuve. S’il invite à obéir à la Loi, il perdra sa réputation d’extraordinaire bonté, et avec elle son crédit auprès du Peuple. S’il conteste la Loi, ils pourront l’accuser auprès du Grand Prêtre, le condamner et le faire périr…

Comment « le juge » Jésus va-t-il donc réagir ? Surprise : il se baisse et se met à tracer des traits sur le sol. Il semble se retirer de la scène, laissant face à face les Pharisiens et la femme adultère… St Ambroise, St Augustin et St Jérôme ont proposé d’interpréter ce geste à la lumière de Jérémie 17,13 : « Espoir d’Israël, Seigneur, tous ceux qui t’abandonnent seront honteux, ceux qui se détournent de toi seront inscrits dans la terre, car ils ont abandonné la source d’eaux vives, le Seigneur ». D’après eux, Jésus écrirait sur le sol le nom de ces Pharisiens. Formidable renversement : les accusateurs deviennent les accusés… En effet, par la dureté de leur cœur, ils manifestent qu’ils ont abandonné le Père des Miséricordes. Ils se croient justes ? Ils sont en fait dans les plus épaisses ténèbres…

Et Jésus va les aider à en prendre conscience. Il se lève, prononce une seule phrase, solennellement appuyée par ce brusque retour dans le débat, puis il se retire de nouveau en se baissant… « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre ». Accusateurs et juges de la femme adultère, ils en viennent à devenir leurs propres accusateurs, et cette fois, ils se montrent des juges cléments à leur égard, bien obligés ensuite de faire de même pour cette femme… Mais elle seule recevra la Parole de libération : «  Je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus ». Ne te fais plus de mal, ni à toi, ni à ton prochain… DJF

 

           




5ième Dimanche de Carême – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

IL NOUS FAUT RESTER AUX PIEDS DE JÉSUS POUR RECEVOIR SON PARDON

 

Pardon 1« Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette, le premier, une pierre. Eux, entendant cela, s’en allèrent un à un à commencer par les plus vieux ». Il leur avait dit simplement que, s’ils se sentaient la conscience tranquille, ils pourraient lui jeter la première pierre, il ne leur avait pas demandé de s’en aller. Mais c’est bien cela qui est étrange : ils sont partis. Simplement le fait d’entendre cette parole du Seigneur a fait que tous ces hommes, venus pour manifester la force de la Loi qui condamne l’homme à cause de son péché, sitôt que le Christ les remet eux-mêmes devant leur propre péché, sont curieusement pris d’un sentiment d’inutilité comme s’ils n’avaient plus rien à faire à cet endroit. Parce qu’ils n’ont pas trouvé la confirmation qu’ils espéraient pour exécuter la Loi de Moïse et condamner cette femme et porter sur elle le poids et la force de la Loi, ils pensent alors qu’ils n’ont plus qu’à s’en aller.

Nous-mêmes, nous trouvons que ce sont des mœurs bien cruelles que de vouloir lapider une femme pour adultère, et nous pensons qu’aujourd’hui, nous avons beaucoup évolué dans notre considération de la faute et du châtiment. Mais le plus grand péché qui était dans le cœur de ces hommes, n’était pas de vouloir condamner la femme au nom de la Loi, le plus grand péché c’était d’être partis loin d’elle parce qu’ils n’avaient pas pu la condamner. Car ils manifestaient au grand jour leur dureté de cœur. En lisant cet évangile de la femme adultère, il me prend de penser : « Ah ! Si vraiment nous étions de vrais pécheurs ». Comprenez-moi bien, je ne dis pas que nous devrions faire de plus grands péchés, de la surenchère dans le domaine du péché, comme si c’était uniquement par le jeu de cette surenchère que nous pouvions effectivement prendre conscience du pardon de Dieu. Mais en parlant de ‘vrais pécheurs’, je veux dire par là que la plupart du temps nous sommes de ‘faux pécheurs’, c’est-à-dire des gens qui passent leur temps à ne pas reconnaître la vérité de leur péché. Et c’est bien le drame latent dans cette affaire de la femme adultère : ces hommes ont vu le péché de la femme adultère et ils sont prêts à exécuter les sentences de la Loi. Mais quand le Christ les met devant leur propre péché, ils montrent qu’ils sont de ‘mauvais pécheurs’, ils ne supportent pas de voir leur péché mis à nu par le regard du Christ qui leur a lancé ce défi.

Amour, pardon, réconciliation

Toute la différence entre la femme adultère et les hommes qui l’accusent, n’est pas une affaire de moralité, c’est une différence de vérité : l’une se reconnaît vraiment pécheresse et les autres ne supportent pas de se reconnaître véritablement pécheurs. Et je pense à cette phrase d’un moine du désert qui disait : « Celui qui pleure son péché est plus grand que celui qui ressuscite un mort ». C’est vraiment ‘la vérité du Bon Dieu’. Pleurer son péché c’est le plus grand miracle qui puisse arriver dans notre existence, car à ce moment-là au moins en face de Dieu et sous son regard, nous avons reconnu la vérité de ce que nous sommes, alors que la plupart du temps, nous n’avons pas du tout envie de pleurer ! Simplement dans ce mouvement de dérobade qui a commencé au premier péché d’Adam dans le Paradis et qui n’a cessé de continuer à travers toute l’histoire du peuple élu et qui ne cesse de continuer aujourd’hui encore dans l’histoire de l’Église et notre propre histoire, nous ne supportons plus de voir notre péché en face.

Il y a peut-être pire encore, je me demande si dans le cœur des hommes, le plus grand péché ne serait pas le suivant : s’ils venaient tendre des pièges au Christ, c’est sans doute parce qu’ils avaient bien senti en Lui Quelqu’un qui les dépassait, et s’ils avaient pu condamner cette femme avec l’appui de Jésus, leur acte aurait acquis une légitimité plus grande. Ils auraient pu tuer non seulement au nom de Moïse, mais avec l’appui de ce Rabbi dont ils pressentaient l’extraordinaire autorité. Or lorsqu’ils posent la question pour tendre un piège à Jésus, pressentant que sa réponse pourrait avoir quelque chose de décisif, une peur presque instinctive les pousse à ne pas rester : à cause de leur lâcheté, ils ne parviendraient pas à regarder en face l’acte par lequel Jésus va pardonner cette femme. Le mystère d’iniquité qu’il y a dans le cœur de ces hommes qui s’en vont, est double : d’une part, ils refusent de voir leur propre péché, d’autre part, ils sont incapables de voir cette femme comme une femme radicalement sauvée, totalement et absolument pardonnée. Ils n’ont pas plus le courage de voir leur péché en face qu’ils n’ont le courage de voir le pardon de Dieu en face.

Si nous préparons notre cœur durant le Carême, c’est pour entrer dans le grand Pardon, c’est pour regarder en face cette réalité du pardon de Dieu. La Pâque, c’est d’abord la grande fête du pardon, l’univers est réconcilié, l’homme est saisi jusque dans le tréfonds de son cœur par l’infinie miséricorde de Dieu qui vient épouser totalement notre humanité brisée et blessée par le péché. À l’approche du triduum pascal, nous entrons dans ce mystère du pardon de Dieu. Lorsque le Christ brisera le pain et le donnera à ses disciples en disant : « Ceci est mon corps livré », puis passera la coupe en disant : « Ceci est mon sang versé pour vous, pour la rémission des péchés », nous verrons le pardon de Dieu en acte, pour le monde entier. Lorsque le Christ sera cloué sur la croix, nous verrons le moment où Il dit : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », c’est encore le pardon de Dieu qui sera sous nos yeux. Quand Il sera déposé au tombeau, nous serons appelés à contempler invisiblement le mystère de sa descente aux enfers, nous le verrons traquer la mort et le péché jusque dans leurs derniers retranchements.

miséricorde

Puisque nous sommes pécheurs, restons près du Christ, ayons le courage de la femme adultère, elle est restée auprès du Seul qui pouvait lui jeter la pierre parce que précisément elle a compris qu’Il était miséricorde. Peut-être cela nous permettra-t-il de deviner le sens mystérieux de ce geste par lequel le Christ écrivait sur le sable. Ce geste est tellement obscur et tellement mystérieux qu’on se sent démuni pour l’expliquer. Pourtant il y a peut-être une chose qui pourrait non pas l’expliquer, mais nous permettre d’en pressentir le sens. Que vous voulez-vous que le Christ écrive ? Où voulez-vous que le Christ écrive ? Je crois qu’Il ne peut écrire nulle part ailleurs que dans le livre de la vie. Au fond, ce que Jésus gravait sur le sable, ce jour-là, c’était le nom de ces hommes. Et Il avait envie de les écrire dans le livre de la vie, dans le livre de sa Pâque, dans le livre dont Il allait ouvrir les sceaux lorsqu’Il serait l’Agneau égorgé. Mais eux, à cause de leur refus, ne Lui permettaient pas d’écrire durablement dans le livre et ils ne Lui offraient que le sable de leur cœur fuyant. Et ce n’est donc pas le Christ qui a effacé ces noms qui étaient inscrits sur la terre, mais ces hommes eux-mêmes qui l’ont effacé à cause de leur refus de regarder en face le pardon de Dieu.

En entrant nous-mêmes dans cette Pâque, nous ne recevons pas le pardon de Dieu ‘au compte-goutte’, absolution par absolution, mais en recevant, chacun personnellement, le pardon de Dieu, c’est le pardon accordé à tout l’univers qui est accordé à chacun d’entre nous, c’est le début de cette grande réconciliation, c’est le renouvellement de cette fête de l’Expiation de Yom Kippour, du jour du grand pardon inauguré déjà lorsque Moïse, pour la seconde fois, monta sur la montagne et que Dieu Lui-même, en ce jour-là, prononça son nom : « Seigneur, Seigneur, Dieu de tendresse et de pardon qui fait miséricorde à toutes les générations ». C’est la fête du grand pardon. Et le voile se déchire en deux dans le Temple, car désormais, nous ne sommes plus séparés de l’amour de Dieu par un voile. Mais le Christ, laissant briser le voile de sa chair, fait resplendir sur nous l’abîme de son pardon. Nous sommes des pécheurs, mais soyons de vrais pécheurs comme la femme adultère, non pas des pécheurs qui ne veulent pas se reconnaître pécheurs comme tous ces hommes qui s’en allaient.

Ayons le courage de mettre toute notre liberté et notre volonté dans l’Unique qui peut nous pardonner, et restons comme cette femme aux pieds de Celui qui désormais inscrit nos noms dans le livre de la vie, par la puissance de son pardon. AMEN.




5ième Dimanche de Carême par P. Claude Tassin (Dimanche 13 mars 2016)

Isaïe 43, 16-21 (« Voici que je fais une chose nouvelle, je vais désaltérer mon peuple »)

Le 4e dimanche de carême montrait le peuple d’Israël entrant en Terre sainte. Mais notre histoire avec Dieu ne s’arrête pas là. Avec un bond de quelques siècles, le 5e dimanche nous fait entendre un oracle du « Second Isaïe », au temps de l’exil des Israélites à Babylone. Les prophètes s’expriment comme les ambassadeurs des rois : voici d’abord ce qu’on appelle la formule du Messager (« ainsi parle le Seigneur (le Roi)… ») suivie des qualités de l’envoyeur (« lui qui… ») et du message proprement dit (« Ne vous souvenez plus… »).

Du passé vers l’avenir

Selon le message du prophète, Dieu est d’abord celui « qui fit un chemin dans la mer (Rouge) » pour sauver les siens de l’esclavage, qui anéantit l’armée égyptienne comme mèche s’éteignant au contact de l’eau. Mais tout cela relève du *passé. Voici que Dieu fait « une chose nouvelle », traçant une route dans le désert transformé en paradis ruisselant d’eau, pour que le Peuple revienne sur sa Terre, escorté par les fauves pacifiés. Ce Peuple n’est pas un troupeau anonyme, mais « l’élu », le partenaire que Dieu a « façonné », créé, et qui « redira sa louange », comme autrefois sur la rive de la mer Rouge (cf. Exode 15, 1-21).

L’avenir est aventure

« Ne songez plus aux choses d’autrefois », écrit le prophète. Pierre Dac disait (je le cite de mémoire) : L’avenir, c’est ce qu’on a dans le dos, quand on se retourne sur son passé. Cette boutade rejoint une vieille mentalité sémitique : on voit le présent et le passé, mais l’avenir échappe au regard. Pourtant, il y a aussi un *mirage du passé. La foi ne nous tourne pas vers un passé révolu. Dieu reste à jamais créateur : il fait toujours pour nous du neuf, de l’inouï qui « germe déjà, ne le voyez-vous pas ? » La foi tournée vers l’avenir s’appelle le risque de l’espérance.

* Le mirage du passé. « Qu’est-ce que nos ancêtres n’ont pas déjà souffert ? Ou bien, quand nous souffrons tels malheurs, savons-nous s’ils n’ont pas souffert les mêmes ? On rencontre pourtant des gens qui récriminent sur leur époque et pour qui celle de nos parents était le bon temps ! Si l’on pouvait les ramener à l’époque de leurs parents, est-ce qu’ils ne récrimineraient pas aussi ? Le passé, dont tu crois que c’était le bon temps, n’est bon que parce que ce n’est pas le tien » (saint Augustin).

 

Psaume 125 (Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie)

En lien avec la 1ère lecture, ce psaume chante le retour des exilés et, dans un élargissement du sens, il prophétise le rassemblement final du peuple de Dieu, le rassemblement à venir de tous les croyants. Les non-croyants, désignés ici comme « les nations », seront ébahis par ce dénouement triomphant. Les fidèles dispersés avaient semblé trimer dans les larmes quand ils essayaient de semer leurs actes de fidélité au Seigneur ; ils connaîtront, ils l’espèrent, la moisson récompensant leur foi.

  Les psaumes vivent leur vie ! Celui-ci n’échappe pas aux mutations. Certes, en son état actuel, il a le sens que l’on vient de résumer. Mais la subtilité de la langue hébraïque permet de remonter à une préhistoire du poème : Quand le Seigneur ramena les captifs.., peut se comprendre en ces termes : Quand le Seigneur fit produire le produit (de la terre)… De même, Ramène, Seigneur, nos captifs, peut se lire ainsi : Fais produire, Seigneur, notre produit. Bref, étonnante mutation ! En son sens originel, le poème rendait grâce au Seigneur pour des récoltes extraordinaires, qui ont fait l’admiration des peuples voisins, « les nations », et le poète espérait qu’à travers les duretés de la saison des semailles, viendraient encore et toujours de belles moissons.

  Les psaumes vivent leur vie ! Lecture de l’histoire des exils, lecture de l’expérience agricole… Comment ces deux lectures se conjuguent-elles aujourd’hui entre l’expérience des milieux urbains et celle des milieux ruraux ? Ici s’arrête mon mini-commentaire, avant qu’il ne devienne homélie, un exercice qui n’est pas de mon ressort.

 

Philippiens 3, 8-14 (« À cause du Christ, j’ai tout perdu, en devenant semblable à lui dans sa mort »)

La 1ère lecture nous tournait vers le monde nouveau que Dieu prépare. À son tour, Paul s’adresse à ses amis philippiens que tente un retour en arrière, c’est-à-dire aux pratiques juives. Il donne en exemple sa propre *vocation d’apôtre. « Les valeurs anciennes (…) réévaluées à la lumière du Christ révèlent combien le regard de Paul sur la réalité, son interprétation du monde et de l’histoire sont devenus autres. Plus encore, c’est une nouvelle perception de soi-même, où l’Apôtre reçoit désormais son identité d’un Autre, situé en dehors de lui-même » Yara Matta, À cause du Christ).

Pour gagner…

Les « avantages » dont parle Paul étaient le capital de sa sainteté, de son zèle de pharisien fidèle à la Loi mosaïque. Il pensait que Dieu l’estimait juste en raison de ce capital de mérites. Mais il a découvert en Jésus le Messie et le seigneur de sa vie. Alors, il a rejeté comme sans valeur ses anciennes sécurités. Il n’a rien gagné au change, mais s’est mis en route pour mieux connaître ce Christ qui l’a « saisi » comme on empoigne un témoin dans une course de relais. Mais le Christ court encore devant lui et il lui faut le rattraper, comme le trophée de la compétition.

… ce qui n’est pas encore gagné

Par les épreuves et les succès de sa vie missionnaire, Paul fait l’expérience mêlée des « souffrances de la passion » du Christ et de « la puissance de sa résurrection », dans l’espérance de parvenir, lui aussi, à ressusciter d’entre les morts. C’est cette foi en l’avenir, et non ses mérites, qui le rend juste aux yeux de Dieu, parce que c’est le choix que Dieu attend de nous, le choix de notre route de carême. Car, avec Paul, nous disons, nous aussi : Je ne suis pas encore au bout, au but.

* La vocation de Paul. À la différence de la mise en scène de Luc (cf. Actes 9), Paul n’évoque dans ses épîtres aucun scénario de l’appel du Christ à sa mission d’apôtre, sur la route de Damas. Il n’en livre que le sens. Selon Galates 1, 15-16, sa vocation est une révélation : Dieu lui révèle que Jésus est le Fils ; il lui dévoile qu’il a été choisi dès le sein maternel, tel Jérémie et le Serviteur du Seigneur (voir Jérémie 1, 5 et Isaïe 42, 6 ; 49, 6), pour que l’Évangile atteigne les nations païennes. En Philippiens 3, Paul dit seulement qu’il a reconnu Jésus comme son Seigneur.

 

Jean 8, 1-11 (‘ »Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à jeter une pierre « )

La discipline des Églises des premiers siècles n’avaient pas l’indulgence de Jésus à l’égard des pécheurs publics. Voilà sans doute pourquoi on tint plutôt caché l’épisode de la femme adultère, un « texte voyageur » que les anciens manuscrits copient à différents endroits des évangiles et qu’il faudrait peut-être placer après Luc 21, 38.

La situation

En tout cas, la scène appartient à l’étape finale de la vie de Jésus à Jérusalem et ressemble à la controverse sur l’impôt dû à César (cf. Luc 20, 20-26). Ici aussi scribes et pharisiens cherchent à piéger l’enseignement du Maître. Le récit est trop stylisé pour qu’on puisse comprendre exactement le cas mis en scène (voir Lévitique 20, 10 et Deutéronome 22, 22-24) : cette femme a-t-elle été légalement jugée ? Ou s’apprête-t-on plutôt à un simple lynchage ? Où sont le mari et l’amant impliqués dans l’affaire ? Rien de tout cela n’intéresse l’évangéliste, mais seulement deux éléments : 1) Le piège : Jésus ira-t-il contre la loi mosaïque de la lapidation, ou bien y souscrira-t-il, se mettant par là en tort face à l’autorité romaine qui se réserve, au moins en principe, la décision des peines capitales ? 2) l’attitude de Jésus face à l’être humain pécheur.

La mise en scène

Sage interprète de la Loi divine, Jésus se donne le temps du silence  : il «  *il écrivait sur la terre. ». Certains commentateurs songent à Jérémie 17, 13, là où Dieu dit : « Ceux qui s’écartent de moi sont inscrits sur la terre », et Jésus se ferait alors le juge de ceux qui accusent la femme adultère.

  « Celui d’entre vous qui est sans péché… » Le Maître renvoie les dénonciateurs à leur propre conscience et, par là, à une interprétation humaine et simple de la Loi. « Les plus âgés » se retirent d’abord, sans doute plus sages et plus lucides sur l’expérience de ce genre de péché, d’autant plus que l’Antiquité méditerranéenne attribue volontiers aux vieux la tendance à la luxure (voir déjà, comme typique, le récit célèbre de Daniel 13 sur Suzanne).

La solution

Scribes et pharisiens ont entouré cette femme de leur cercle accusateur. Jamais ils ne lui ont adressé la parole. Ils l’ont poussée en avant comme un cas juridique abstrait à examiner, semblable au problème de l’impôt dû à César. Mais voici brisé ce cercle mortel et voici Jésus s’adressant enfin à cette femme dont rien n’est dit au sujet de ses sentiments, sinon qu’elle invoque humblement Jésus comme « Seigneur », s’en remettant à sa décision. Jésus ne l’accuse pas et ne l’excuse pas. Simplement, il la renvoie, libre, à son propre avenir : « Va, et désormais ne pèche plus », comme il a ouvert un avenir aux scribes et aux pharisiens en les renvoyant à leur conscience et à leur conduite.

Carême

Telle est la miséricorde du Seigneur : elle donne le temps de la conversion, comme l’indiquait l’évangile du 3e dimanche C du carême, avec la parabole du figuier. Ajoutons que, sous la plume des prophètes, le Peuple de Dieu se trouve souvent décrit comme une femme adultère envers son Dieu, de par son idolâtrie, son immoralité et son injustice (par exemple Osée 1 – 3). Ainsi sommes-nous, de toute façon, cette femme adultère, à moins que nous soyons du côté des scribes et des pharisiens, prompts à condamner, mais peu enclins à la conversion.

* « Il écrivait sur la terre ». « Mis en demeure de prononcer une condamnation conforme à la Loi, Jésus se tait. Il s’abstrait dans un geste. Les diverses explications de ce geste proposées par les commentateurs négligent la teneur du texte, surprenante. La phrase “il écrivait sur le sol” aurait suffi pour dire l’action si celle-ci se limitait à évoquer le jugement de Dieu sur tout homme pécheur ou à créer un temps de silence. Mais le texte détaille les mouvements : par deux fois il décrit Jésus qui “se courbe” puis “se redresse”. Pourquoi cette insistance dans un récit si bref ? La mention du Mont des Oliviers dans l’exorde a déjà situé l’épisode dans l’imminence de la Passion. Par ces deux verbes contraires, le geste acquiert une signification christologique : il mime l’abaissement et le relèvement par lesquels Jésus va réconcilier avec Dieu l’humanité prisonnière de sa condition pécheresse » (X. Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean).

 




Rencontre autour de l’Évangile – 5ième Dimanche de Carême

Jésus lui dit : 

« Moi non plus, je ne te condamne pas.

Va, et désormais ne pèche plus. ”

TA PAROLE SOUS NOS YEUX

Situons le texte et lisons (Jn 8, 1-11)

Cette page d’évangile est bien connue. Mais en lisant lentement, en regardant les personnages, cette rencontre de Jésus avec la femme adultère est toujours bouleversante. Elle est Parole de Dieu pour nous.

Situons le texte

Jésus est à Jérusalem. Il a participé à la fête des tentes, qui rappellent chaque année le séjour des Hébreux au désert et la dédicace du temple de Salomon.Jésus profite de l’affluence pour enseigner dans le temple.

Soulignons les mots importants

Jésus est assis et enseigne : Jésus est présenté comme le maître qui interprète la Loi avec autorité et sagesse. C’est pourquoi on lui présente un cas à résoudre selon la Loi de Moïse.

Adultère : Que signifie exactement ce mot? Comment nous l’exprimons dans le langage courant ?

Jésus s’était baissé et traçait des traits sur le sol ? :

Que signifie cette attitude? (il fait durer le silence) 

Les plus âgés partent les premiers : Pourquoi eux ? 

Jésus seul avec la femme en face de lui : “ la misère et la miséricorde ” ( St Augustin).

Je ne te condamne pas, va ne pêche plus.

La femme était enfermée dans un cercle de mort. Que fait Jésus ?

 

Ensemble regardons Jésus

Il est assis. Il baisse les yeux. Il se tait. Il trace des traits sur le sol. Silence qui appelle à la réflexion. Il est le nouveau Moïse. A la Loi qui condamne la faute, il apporte la miséricorde du Père pour le pécheur. Il reste seul avec la femme. Il la regarde. Il lui parle. Il la remet debout et la fait repartir vers une vie nouvelle.

 

Pour l’animateur

Selon le livre du Lévitique (Lv 20,10) l’infidélité conjugale était punie de mort (pour les deux) par lapidation. A l’époque où Jean écrit son Evangile, au début de l’Eglise, l’adultère était considéré comme un des rares péchés pour lesquels une pénitence publique était nécessaire et qui ne pouvait être remis qu’une fois dans la vie. En face de cette rigueur extrême, l’indulgence de Jésus remet les choses à leur juste appréciation.

Les prophètes ont comparé souvent l’infidélité du peuple envers son Dieu à un adultère.

 On ne saura jamais si Jésus a écrit des mots sur le sol. L’évangéliste dit qu’il traçait des traits. Mais Jésus est le nouveau Moïse : il écrit la Loi du pardon et de l’amour : Tu aimeras comme ton Dieu t’aime.

 Si les plus âgés se retirent les premiers, c’est peut-être parce qu’ils sont plus sages pour reconnaître leur condition de pécheurs.

 Jésus parle à la femme et lui permet de sortir de l’enfermement de son péché. Cette femme est devenue quelqu’un qui a un avenir. Jésus ne nie pas la gravité de la faute. Mais son pardon libère la femme et lui donne une nouvelle chance.C’est la manière d’aimer de Dieu.

 

L’ Évangile aujourd’hui dans notre vie

Le comportement et les pensées des scribes et des pharisiens nous font réfléchir sur notre comportement à nous quand nous nous trouvons devant des cas semblables.

  • Ne serions-nous pas tentés de juger et de condamner sans laisser aucun espoir de changement ou de nouveau départ ?

  • Ou au contraire ne serions-nous pas portés à minimiser la gravité de la faute parce que c’est, hélas, devenu chose courante ?

  • Comment nous apparaît Jésus dans cette scène d’évangile?

  • Que nous inspire l’attitude de Jésus pour notre vie personnelle et pour nos communautés chrétiennes ?   Jésus n’enferme jamais le pécheur dans son péché. Son amour qui pardonne ouvre toujours un avenir à celui qui reconnaît sa faute : “ Va, et désormais ne pèche plus. ” Il faut reconnaître que notre société pousse au désordre dans le domaine de la vie conjugale, et en même temps elle ignore le pardon et encourage les solutions extrêmes et faciles comme le divorce. Et nous disciples de Jésus, là-dedans ?

Ensemble prions.

Seigneur Jésus, en agonie au jardin des Oliviers, envahi par la tristesse et l’effroi, réconforté par un ange :

Pitié, Seigneur, pitié pour nous

Seigneur Jésus, trahi par le baiser de Judas, abandonné par tes apôtres, livré aux mains des pécheurs,

Pitié, Seigneur, pitié pour nous

Seigneur Jésus, accusé par de faux témoins, condamné à mourir sur la croix, souffleté par les valets, couvert de crachats,

Pitié, Seigneur, pitié pour nous

Seigneur Jésus, renié par Pierre, ton apôtre, livré à Pilate et à Hérode, mis au rang de Barrabas,

Pitié, Seigneur, pitié pour nous

Seigneur Jésus, portant ta croix au Calvaire, consolé par les filles de Jérusalem, aidé par Simon de Cyrène,

Pitié, Seigneur, pitié pour nous

 

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4ième Dimanche de Carême – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Fils cadet et fils aîné

 

Nous le savons bien, cette parabole du fils prodigue est inépuisable parce qu’au fond elle résume en elle-même toute l’histoire du salut : Dieu a pardonné à l’humanité. J’aimerais simplement essayer de voir comment nous sommes à la fois des fils aînés et des fils cadets.

fils cadet

Je crois qu’une des choses les plus criantes de notre vie, c’est que nous sommes très souvent des fils cadets en demandant la part d’héritage qui nous revient, nous disons purement et simplement à Dieu que cette vie, qu’Il nous a donnée, nous voulons la vivre et l’arranger à notre goût et à notre manière pour la vivre sans Lui. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus glorieux dans notre existence, mais ça arrive plus souvent qu’à son tour.

Ce en quoi je pense il nous faut ressembler à ce fils cadet, c’est que, lorsque nous sommes réduits, à force de n’avoir voulu à en faire qu’à notre tête, lorsque nous sommes réduits à garder les cochons et à ne pas pouvoir manger même ce que mangent les cochons, lorsque notre péché nous a fait entrer dans une telle misère, dans une solitude et dans un isolement tels qu’ils nous deviennent insupportables, ce en quoi il nous faut imiter le fils cadet, c’est de nous souvenir du bonheur profond qu’il y a à vivre auprès de notre Dieu. C’est cela qui a bouleversé le cœur de ce prodigue. C’est cela qui devrait bouleverser notre cœur. Le seul motif pour lequel nous devrions nous convertir, ce n’est pas pour améliorer notre vie comme s’il fallait parfaire et fignoler ce personnage spirituel idéal auquel nous voudrions correspondre, le seul motif de nous convertir, c’est qu’il y a toujours, où que nous en soyons de notre péché et de l’oubli de Dieu, il y a toujours cette présence secrète, cette voix secrète qui nous dit : « Reviens vers le Père, car c’est là qu’est ton bonheur ». Voilà, je crois, ce qui caractérise au mieux, l’attitude du fils cadet et ce que nous devons essayer d’imiter dans notre propre vie : ce désir de nous convertir et de trouver le pardon de Dieu, parce que nous avons besoin et que nous avons soif du bonheur d’être auprès de Dieu.

Ce en quoi nous sommes des fils aînés, malheureusement, c’est aussi fréquent c’est que nous sommes sans cesse à calculer et à compter que les autres en font beaucoup moins que nous, qu’ils se cassent beaucoup moins la tête et que ça va toujours mieux pour eux que pour nous. Et c’est bien malheureux que nous ayons un tel regard sur l’existence des autres, parce qu’au fond ce qui fait le malheur de ce frère aîné, c’est qu’ayant toujours vécu auprès de son père, il n’imagine pas ce que c’est que le pardon.

amour de dieuLe pardon, ça ne peut pas se mesurer en affaire d’héritage, ça ne peut pas se mesurer au fait qu’on a gaspillé ou non cet héritage. Le pardon, c’est le fait qu’à un certain moment, dans la détresse de quelqu’un a surgi la grâce de Dieu. Et à ce moment-là, il n’y a qu’une chose à faire, c’est de se mettre à genoux et de rendre grâces, ce que ne fait précisément pas l’aîné et ce que nous ne faisons pas souvent. Chaque fois que nous sommes en présence de notre frère, nous devrions d’abord le voir comme un pécheur pardonné et ne pas d’abord nous préoccuper de savoir s’il est plus pécheur ou moins pécheur que nous. Cela n’a aucun intérêt, au contraire, cela ne sert qu’à nous égarer et à nous perdre nous-mêmes. Mais chaque fois que nous rencontrons nos frères, nous devrions être capables, à propos de chacun d’eux, de rendre grâces parce que ce frère est un pécheur pardonné et qu’il a connu la miséricorde comme nous aussi nous l’avons connue.

C’est vrai que, par certains aspects, nous sommes des frères aînés. C’est vrai que nous avons connu déjà d’immenses grâces de Dieu, que nous avons essayé, tant bien que mal, de rester toujours fidèles à l’appel de notre Dieu. Mais, de grâce, lorsque nous voyons nos frères qui sont en train de se convertir, de rentrer dans le sein de la miséricorde de Dieu, n’ayons pas le réflexe de celui qui se croit sur un terrain dont il est le possesseur, le propriétaire, de manière privée. Qu’au contraire nous ayons ce cœur ouvert, puisque Dieu a ouvert son cœur et sa miséricorde à nos frères. Que, nous aussi, à notre mesure, mais avec beaucoup d’amour et d’espérance, nous ouvrions notre cœur à la miséricorde et au pardon mutuel.

Je voudrais enfin insister sur un tout petit aspect qui est un des moteurs de la parabole. Lorsque le fils se dit qu’il doit retourner chez son père, à vrai dire il n’a pas, comme on dirait aujourd’hui « une image du père » tellement flatteuse. Il va lui dire : « Je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tes journaliers ! » Autrement dit, le fils imagine le stratagème suivant. Si je vais travailler chez mon père, j’aurais à manger. Il est conscient de son péché, de l’indignité dans laquelle il est tombé. Il a trahi le statut de fils qu’il avait eu, par grâce, par le simple fait qu’il était né dans cette maison. Et il se dit : « Etant donné que je suis déchu, on ne peut pas aller au-delà d’un contrat donnant-donnant. Si mon père, à cause de la reconnaissance et de l’aveu, acceptait que je puisse être chez lui un salarié, alors j’aurais de quoi manger ». Les motifs du retour ne sont reluisants ni du point de vue du jeune fils qui se trouve dans la misère, et c’est vraiment la faim qui fait sortir le loup du bois, ni du côté du but car il s’imagine que son père va signer avec lui un contrat.

misericordia

Or ce qui fait précisément le revirement et la tension de la situation, c’est que, au moment même où le fils arrive, il n’a pas le temps de raconter ce qu’il avait préparé. Il reconnaît simplement, à haute voix, qu’il a péché contre le ciel et contre son père, mais son père ne lui laisse pas finir la deuxième phrase qu’il avait soigneusement établie pour essayer d’entrer dans ses bonnes grâces. C’est que, dans l’attitude de Dieu, le pardon est préalable à tous les dons. Pour nous qui sommes pécheurs, nous devons comprendre que la grâce de Dieu n’est pas simplement un contrat en bonne et due forme, dans lequel nous essaierions au mieux d’aménager nos relations avec Dieu. Combien y a-t-il de chrétiens qui croient que c’est parce qu’on se donne la peine de dire ses fautes que Dieu nous les pardonne, ce qui est une compréhension extrêmement dévoyée du mystère du pardon, un peu d’ailleurs celle du jeune fils qui prend la résolution de retourner à la maison. Le pardon est immotivé. D’une certaine manière, il est aussi immotivé que le péché, que le départ du jeune fils. De la part de Dieu, pardonner signifie le maximum de la grâce. A l’intérieur de ce pardon, ensuite, pourront s’épanouir tous les dons.

C’est là un des aspects les plus fondamentaux de notre existence chrétienne. C’est que le pardon signe la gratuité absolue de la réconciliation et de la rentrée en grâce. Ainsi tout ce qui nous est donné par la suite, toutes les grâces qui nous sont faites, tous les dons qui nous sont accordés, sont faits, de la part de Dieu, « sur fond de pardon ». Ainsi donc, pour chacun d’entre nous, la grâce la plus fondamentale est celle d’être pardonné. Pardon = donner parfaitement. En l’occurrence, cette définition porte quelque chose de tout à fait vrai. Si nous sommes ainsi pardonnés, alors nous recevons, par ce pardon, l’assurance que Dieu ira jusqu’au bout de son don, c’est-à-dire jusqu’à l’achèvement de nous-mêmes dans la gloire et dans la réconciliation avec Dieu, puisqu’Il a commencé par le geste le plus absolu et le plus décisif pour chacun d’entre nous. Amen.




4ième Dimanche de Carême par P. Claude Tassin (Dimanche 6 mars 2016)

Josué 5, 10-12 (L’arrivée en Terre Promise et la célébration de la Pâque)

 

Dans l’histoire sainte tracée au long du carême par les lectures de l’Ancien Testament,, le 4ième dimanche chaque année rappelle le don de la *Terre promise.

 Il s’agit, en cette année C, de la première Pâque célébrée sur ce sol si longtemps espéré. Sous la conduite de Josué (en grec « Jésus »), successeur de Moïse, le peuple a traversé le Jourdain à pied sec et s’est installé à Guilgal le 10 du mois de nisan (cf. Josué 4, 19), jour prescrit pour la préparation de la Pâque. On a circoncis ceux qui ne l’avaient point été durant l’exode ; car ne peuvent participer à la Fête que les circoncis (cf. Exode 12, 48). Avec les premières récoltes dans le pays, on mange les pains sans levain, sans doute selon un rite ancien qui distingue encore la célébration des pains azymes (fête des sédentaires) et la Pâque elle-même (fête des nomades), puisqu’on n’évoque pas ici l’immolation de l’agneau. La consommation d’épis grillés est une particularité inconnue par ailleurs, sauf lors de l’offrande des prémices de la récolte (cf. Lévitique 2, 14).

Cette festivité clôt l’errance du Peuple de Dieu : une première Pâque avait préludé à la libération de l’oppression de l’Égypte (Exode 12 – 15) ; la nouvelle Pâque accomplit la promesse de Dieu. Dès lors cesse le don de la manne, ce pain « de pauvreté » (Deutéronome 8,16). qui avait nourri le « carême » d’Israël dans le désert

 

* Entrer en Terre promise. « Lorsque tu abandonnes les ténèbres de l’idolâtrie et que tu désires accéder à l’obéissance de la loi divine, alors tu commences ta sortie d’Égypte. Lorsque tu es inscrit au groupe des catéchumènes et que tu commences à suivre les préceptes de l’Église, tu traverses la mer Rouge. Dans les haltes que tu fais chaque jour au désert, tu t’appliques à écouter la voix de Dieu et à contempler le visage de Moïse qui te révèle la gloire du Seigneur. Mais lorsque tu arrives enfin à la source spirituelle du baptême et que tu es initié par les prêtres et les lévites à ces mystères vénérables et merveilleux que connaissent ceux-là seuls qui ont droit de les connaître, alors, avec l’aide des prêtres, tu traverses le Jourdain et tu entres dans la Terre de la promesse : c’est la Terre où, après Moïse, c’est Jésus lui-même qui te prend en charge et te guide sur la route nouvelle » (Origène [3e siècle], Homélies sur Josué).

 

Psaume 33

La liturgie nous offre les trois premières strophes de ce psaume. Le poème bénit, loue Dieu qui soutient les justes au milieu de leurs épreuves, le Seigneur qui vient au secours du pauvre persécuté en raison sa fidélité à Dieu. Le rapport de ces versets à la 1ère lecture est assez lâche, sinon par l’antienne, tirée du verset 9 ; « Goûtez et voyez ; le Seigneur est bon ! » Par leur première Pâque sur la Terre promise, par les produits du sol, les fils d’Israël ont enfin goûté, après leur long exode, la bonté du Seigneur.

De manière plus large, le psaume est mis en lien avec le Carême, parce que, dans les premières Églises, ce poème scandait la préparation des catéchumènes au baptême.

 

2 Corinthiens 5, 17-21 (Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ»)

Cette page de Paul nous prépare à entendre l’évangile du fils perdu et retrouvé, de la réconciliation entre le père et son fils entre les frères.

Les circonstances de la lettre

Au départ, l’Apôtre tente ici de régler un problème concret : les Corinthiens ont prêté l’oreille à des prédicateurs qui dénigrent sa manière d’exercer son ministère. Quelqu’un a même insulté Paul en public (cf. 2 Corinthiens 2, 5-7). L’heure est venue d’une vraie *réconciliation, qui sera le signe d’une réconciliation avec Dieu lui-même.

La réconciliation, pour une création nouvelle

Le chrétien est « une créature nouvelle ». Mieux vaudrait traduire ainsi : le croyant est « une création nouvelle ». L’accent de Paul ne porte pas sur le statut du baptisé, mais sur l’action de Dieu qui, par le don de la réconciliation ou, synonyme, de la restauration, crée un monde nouveau.

Le chrétien doit quitter « le monde ancien » de la discorde. Dieu a pris l’initiative d’une sorte d’amnistie générale du genre humain. Opérée par le Christ, grâce au pardon des péchés, cette œuvre se prolonge par le ministère des apôtres qui sont les ambassadeurs du Christ, ses représentants attitrés. Et si les Corinthiens restaient fâchés contre Paul, ils l’empêcheraient d’exercer son ministère de réconciliation, qui est aussi « ministère d’une alliance nouvelle » (lire 2 Corinthiens 3, 1-6). Qu’ils se rappellent l’essentiel de l’Évangile qu’ils ont reçu : ce Christ sans péché, Dieu a permis que tombe sur lui le sort des pécheurs (voir Isaïe 53, 4) afin qu’ainsi, le péché étant vaincu, oublié, nous puissions devenir des justes aux yeux de Dieu, des êtres nouveaux dans un monde à qui Dieu a offert et offre toujours sa réconciliation avec nous.

* Réconciliation ? Dans le langage d’aujourd’hui, la réconciliation suppose d’ordinaire une démarche de réciprocité entre deux personnes ou deux groupes. Tel n’est pas le sens du mot grec (katallagè) utilisé par Paul. Le terme, en son origine, a des résonnances politiques. Il s’agit du décret par lequel un souverain rend à une cité les droits qu’elle avait perdus – d’où, sous la plume de Paul, l’image complémentaire de l’ambassade. Après des affrontements séculaires, César avait accordé à la ville de Corinthe une katallagè. Ce n’est pas nous qui nous réconcilions avec Dieu. C’est Dieu qui nous offre sa réconciliation et nous propose de l’accepter.

 

Luc 15, 1-3.11-32 (Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie)

La liturgie de ce jour retient la dernière des trois « paraboles de la miséricorde », celle dite du Fils prodigue, ainsi que le dialogue d’introduction indiquant l’occasion de ces paraboles. Le problème est, à l’origine, celui des fréquentations de Jésus : pourquoi « fait-il bon accueil » à ceux que l’on classe comme pécheurs, qui n’observent pas la Loi ? Voilà le scandale des pharisiens et des scribes : lui, un juste appartenant à leur propre camp, pourquoi s’intéresse-t-il aux ennemis de Dieu ? En fait, comme dans la confrontation entre les pharisiens et les pécheurs, le ressort de la parabole tient dans la confrontation implicite entre le cadet et l’aîné.

Le cadre

Le personnage du fils cadet, représentatif sans doute de certaines fréquentations de Jésus, devait susciter le dégoût des auditeurs pharisiens : gaspillage de l’héritage paternel, vie dissolue, en terre païenne, au contact de cochons impurs et prêt à manger leur nourriture ! Et voici le premier déclic important du texte : dans sa décision de rentrer à la maison, le prodigue, dé »couvrant son indignité, a décidé de se situer en ouvrier, et non en fils, en oubliant ce que c’est peut-être aussi au père de déterminer sa propre réaction.

Nous avons oublié, par lecture routinière, que l’accueil du père tient du scandale : un oriental digne, maître d’un grand domaine, ne « court » pas, surtout pour étreindre pareil voyou ! La clé de cette attitude choquante sonne ainsi : « il fut saisi de compassion. » Il restaure le fils dans sa dignité de fils : vêtement de fête, bague (bague à sceau pour signer les factures ?), sandales du citoyen libre. Le père ordonne la fête. Pour ce fils mort, *le pardon est une nouvelle naissance.

L’aîné

Le récit culmine dans le dernier acte, avec l’arrivée du fils aîné dont on comprend aisément la colère. De nouveau se révèle ce père peu commun : il avait couru sans vergogne étreindre le cadet. À présent il sort au devant de l’aîné – et « le supplie », sans amour propre aucun. Dans la logique de Jésus, ce fils ne comprend pas mieux la fibre paternelle que son cadet : « je te sers… je n’ai jamais transgressé ton commandement… » Lui aussi se situe en serviteur. Il faut que le père lui rappelle le privilège d’une intimité qu’il semble oublier : « Mon enfant, tu es toujours avec moi… »

Le personnage du *fils aîné porte sur lui tout le poids de la parabole et représente l’attitude des pharisiens dans leur relation avec Jésus : ils l’estiment et voudraient le voir rentrer sans compromission dans le rang des justes. Mais lui voudrait au contraire les voir partager la tendresse de Dieu qu’il incarne dans ses fréquentations envers ceux qui sont perdus.

Relecture

Luc, évangéliste et missionnaire, relit la parabole dans le sens suivant : « Le fils aîné représente évidemment Israël, plus confiant dans la justice légale de ses propres œuvres que dans celle que Dieu donne par sa miséricorde, et qui refuse l’intégration des nations, représentées par le fils cadet. La proposition d’accueil reste cependant en vigueur et Israël ne peut donc être exclu, puisque sa situation dépend seulement de sa propre décision… » (S. Beaubœuf, La montée à Jérusalem).

Sauf si des parents entendent aussi incarner la tendresse de Dieu, cette parabole n’est pas une leçon de morale familiale. Mais il y a deux justices : celle qui établit les droits et les devoirs, et celle de l’amour, la tendresse du Père des cieux. Jésus nous invite à la partager en accueillant ceux qui sont perdus, pour qu’ils découvrent qu’ils ont un Père… et des frères.

* Le pardon, une naissance. « Je me lèverai et j’irai vers mon père. Celui qui dit ces paroles gisait à terre. D’où lui vient cet espoir ? Du fait même qu’il s’agit de son père. « J’ai perdu, se dit-il, ma qualité de fils; mais lui n’a pas perdu celle de père. » Il n’est pas besoin d’un étranger pour intercéder auprès d’un père : l’affection même de celui-ci intercède et supplie au plus profond de son cœur. Ses entrailles paternelles le pressent à engendrer de nouveau son fils par le pardon » (saint Pierre Chrysologue).

* Le fils aîné. « La position du fils aîné, dans laquelle nous place la finale du récit, est plus inconfortable que celle proposée par les liturgies pénitentielles; celles-ci se limitent au premier volet et nous conduisent de la sorte à nous identifier avec le cadet – ce qui est probablement plus facile ! Indéniablement, Luc insiste davantage sur le second volet. Quoi qu’il en soit, l’éclairage principal porte sur l’amour et la compassion du père à l’égard de chacun, à l’œuvre tout au long du récit » (H. Cousin, L’Évangile de Luc).