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2ième Dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER

Tous appelés à la Gloire (Lc 9,28-36) !

Environ huit jours après avoir prononcé ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier.
Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante.
Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie,
apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.
Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés.
Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait.
Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent.
Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! »
Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrentà personne rien de ce qu’ils avaient vu.

TRANSFIGURATION3« Pendant que Jésus priait, son visage apparut tout autre, ses vêtements devinrent d’une blancheur éclatante… Pierre Jean et Jacques étaient accablés de sommeil ; mais, se réveillant, ils virent la gloire de Jésus »… Le Fils prie. Il se tourne avec une intensité toute particulière vers le Père, et son Mystère apparaît, resplendissant, aux yeux de ses disciples. « Je Suis la Lumière du monde » (Jn 8,12), leur avait-il dit. Et ils constatent ici, dans le cadre de cette prière qui est bien référence à un Autre, le Père, à quel point Jésus est bien « Lumière née de la Lumière » : « Ils virent sa gloire ».

            Or, la notion de « gloire » dans la Bible vient d’un mot hébreu, kabôd, dont la racine évoque l’idée de ‘poids’ : peser lourdement, être lourd. Pour l’hébreu donc, la gloire ne désigne pas tant la renommée que la valeur réelle d’un être estimée à son poids, et c’est ce poids qui définit ensuite l’importance de cet être dans l’existence… Pour les hommes, ce ‘poids’ peut être celui de la richesse, d’un talent particulier, de la position sociale, etc… Pour Dieu, il renvoie à ce qu’Il Est en Lui-même, à sa nature divine, son Être divin… Ce que nous appelons « gloire de Dieu » n’est donc rien d’autre que la manifestation, d’une manière ou d’une autre, de ce que Dieu Est en Lui-même… Pas de gloire de Dieu sans la nature divine qui en est la source…

            Dans un tel contexte, la notion de « gloire » est alors indissociable de celle de « nature divine ». Ainsi par exemple : « Et le Verbe s’est fait chair, et nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique » (Jn 1,14). Et juste avant sa Passion, Jésus dira : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant même la création du monde » (Jn 17,24). Ainsi, de toute éternité, le Père donne au Fils « la gloire », c’est-à-dire la nature divine, et cela gratuitement, par amour… Et c’est ainsi qu’il l’engendre « avant tous les siècles » en « Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, de même nature que le Père ».

            Mais en percevant ainsi le Mystère du Fils, vrai Dieu et vrai homme, les disciples prennent conscience également de ce à quoi Dieu appelle tous les hommes : participer à sa gloire en recevant, comme le Fils et par le Fils, le Don de sa nature divine (2P 1,4). « Père, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée » (Jn 17,22)…                                 DJF





1er Dimanche de Carême – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

SI TU ES LE FILS DE DIEU …

désert1« Jésus fut conduit au désert pour y être tenté ». Frères et sœurs, qu’entendons-nous par tentation ? Quelles sont les images qui se présentent spontanément à notre esprit ? Le gamin au bord d’une vitrine de pâtisserie, devant les éclairs au chocolat ? La jeune femme devant une vitrine de prêt-à-porter, convoitant une robe à la mode ? Ou bien encore le monsieur qui regarde le dernier modèle automobile d’une marque trop chère pour lui ? Pour nous, la tentation désigne toujours une certaine complicité avec le mal. Alors pour le Christ, la tentation au désert est-elle aussi une complicité avec le mal ? Pour ma part, je pense que non, je pense que le Christ n’a pas été tenté comme cela.
D’abord entre gens bien, ce serait choquant. Mais surtout si on y réfléchit, les tentations du démon ne portent pas du tout sur des choses mauvaises. Prenez la première tentation : changer des pierres en pain, allez demander aux responsables du Secours Catholique si c’est une mauvaise chose que de pouvoir changer des pierres en pain pour nourrir tous les pauvres de la terre, ils vous diront que s’ils en avaient le pouvoir, ils ne se gêneraient pas. Prenez la troisième tentation : se jeter du haut du Temple, mais c’est quand même une publicité tout à fait légitime, un slogan publicitaire du style : « Je vis entre ciel et terre grâce à Jésus », ce n’est pas si mal. En réalité il semble même que le Seigneur, à d’autres moments, s’est montré beaucoup moins réservé sur les prodiges et les miracles. Quand Il avançait à pied à quatre heures du matin sur le lac de Tibériade agité par la tempête et que ses disciples le prenaient pour un fantôme, c’était une promesse tout à fait comparable à celle de se jeter du haut du pinacle du Temple. Il n’y a pas de mal à cela. Quant à la deuxième tentation, je suis bien persuadé qu’il y a beaucoup de catholiques qui pensent sincèrement que là le Seigneur s’est vraiment trompé. En effet, pour une toute petite génuflexion devant un diablotin barbu, poilu, biscornu, renoncer à la royauté sur toute la terre ! Vous imaginez un moment Jésus Roi dès maintenant, Lui, légiférant souverainement, royalement, divinement sur toutes les relations internationales, Jésus le Roi du cinéma, envoyant le feu du ciel qui tombe immédiatement sur toutes les salles où l’on passe le dernier film à grand spectacle. Mais il n’y a pas de mal à cela. Ce serait l’univers parfait. Cela aurait été tellement plus simple : une bonne religion, avec des bons principes. Et d’autant plus que le diable n’est pas du tout opposé à l’ordre moral, quand cet ordre moral est simplement destiné à diminuer la vérité de l’homme ou à amenuiser sa liberté. Il est tout à fait capable de s’en trouver fort aise.
Jésus au désertAlors en quoi consistent les tentations du Christ ? Comment a-t-Il été tenté ? Tout d’abord, il faut le dire, le démon qui est très intelligent, beaucoup plus intelligent que nous, a compris d’emblée qu’il n’y avait dans le Christ, qu’il ne pouvait y avoir aucune complicité avec le mal. Par conséquent, il ne l’a pas pris sous ce biais-là, il savait bien qu’il n’y avait pas de faiblesse à la cuirasse. Et c’est nous, parce que nous sommes des hommes, et parce que pour nous la vie chrétienne est un combat, nous qui pensons toujours que pour le Christ aussi il fallait qu’Il gagne des mérites et pour cela qu’Il se batte contre le diable. On serait presque tenté de dire : au fond dans le Christ, il devait y avoir comme en nous une sorte de complicité avec le mal, Il aurait peut-être pu pécher, au moins un petit peu, et ainsi il a eu du mérite, Il s’est donné du mal. Cela nous paraît tellement important. Et pourtant, il faut affirmer avec toute la Tradition de l’Église que le Christ ne pouvait pas pécher, qu’Il ne pouvait avoir aucune complicité avec le mal. Il est le Fils de Dieu et son être est tout entier tourné vers son Père.
Et c’est d’ailleurs pour ça que dans cet évangile le Christ nous est présenté en vis-à-vis avec le diable. Nous, nous ne comprenons pas ce que cela veut dire d’être en face du diable, car d’une certaine manière, il est toujours à côté de nous, nous avons toujours une sorte de complicité secrète pour le mal qui fait que nous ne l’affrontons jamais en face, il est toujours près de nous, de notre côté. Nous ne savons pas ce que c’est que le face à face avec le mal et avec le démon. Il n’y a que le Christ qui connaît cela, car Il n’a aucune complicité avec le mal ni le démon, avec qui Il est dans une sorte de duel permanent.
Mais alors vous allez me dire : Si la tentation du Christ n’est pas cela, s’Il n’a pas mérité par ses efforts notre salut, en quoi consiste cette tentation ? C’est quelque chose d’infiniment plus important. La tentation du Christ, n’est pas une tendance à s’acoquiner avec le mal, c’est la remise en question de tout son projet sauveur. Il s’agit de savoir si Jésus est vraiment Dieu et si nous, nous sommes vraiment des hommes, et quelle relation Il veut rétablir entre nous et Lui. Dans la tentation du Christ, l’enjeu ce n’est pas Lui, c’est nous, nous qui sommes entre le Christ et le démon, nous qui sommes là mystérieusement mais réellement présents. Et le combat ne se situe pas au niveau de la vitrine du pâtissier avec les éclairs au chocolat, mais au niveau du projet de Dieu. Le démon dit au Christ exactement ceci : « Tu crois que ça vaut la peine de se battre pour les hommes ! Regarde comme ils sont ; il suffit de les aguicher, de les attirer, il suffit de leur épargner la dure tâche de la liberté. Et à ce moment-là, tu verras, ça va tout seul ». Et le démon, en faisant cela, dit exactement ce qu’il pense, car lui-même, c’est l’expérience qu’il a avec chacun d’entre nous. Toute tentation, ultimement, est un appel à démissionner de notre liberté. C’est le démon qui nous présente un faux salut en nous disant : « Si tu mets la barre assez bas, tu passeras facilement, ne mets pas la barre si haut, ça va très bien comme ça, ça suffit largement ». Alors le démon dit au Christ : « Mais au fond, si tu veux vraiment les sauver, je te les donne, mais épargne-leur la rude tâche d’être libres, car au fond ils n’en ont pas besoin. Tu peux très bien les sauver comme ça, ça n’a pas grande importance ».
A ce moment-là, la réponse du Christ ne le concerne pas Lui-même, mais nous concerne, nous. Et le Christ répond au démon : « Non, parce que j’ai créé cet homme, moi, le Fils de Dieu, moi son Créateur, je crois en sa liberté ». « Je crois en sa liberté », « cela veut dire que ce que je viens rechercher, c’est lui-même, je veux qu’il se retrouve vraiment en face de moi. Quoi qu’il m’en coûte, je ne serai d’une certaine manière plus Dieu si je ne voulais pas que l’homme soi vraiment et pleinement libre en face de moi. C’est pour cela que je suis venu. Je suis venu pour qu’ils aient la vie, pour qu’ils vivent dans la liberté des enfants de Dieu. C’est là leur génie, c’est là ce que je veux pour eux. Et si je viens et si je me donne à eux, c’est pour les restaurer dans la plénitude de leur liberté, dans leur capacité d’aimer, non pas une capacité d’aimer qui viendrait d’eux-mêmes, mais que, Moi, je veux leur donner ».
Jésus bergerC’est comme si le Christ répondait à Satan : « Tu voudrais, d’une manière ou d’une autre, t’interposer comme un écran pour qu’ils soient diminués et pour effacer la liberté de l’homme en face de son Dieu. Cela je ne le permettrai jamais. Ce que je veux, c’est que mon amour brûlant et libre aille rejoindre cette possibilité qui est au fond de leur cœur et qui est aussi un amour brûlant et libre que Moi, je veux leur donner. Mais je ne veux pas leur donner mon amour à n’importe quel prix, je veux leur donner mon amour au prix d’un total don de soi. Et tout ce que toi, le démon, tu feras pour réduire, caricaturer ou défigurer ce don de soi et cette capacité de se donner qui est dans l’homme, cela je ne l’accepterai jamais, je ne m’en ferai jamais le complice ».
Frères et sœurs, dans ce temps de carême, les dés sont jetés. Chaque fois que nous relisons ce moment de la tentation du Christ, c’est cette question-là qui nous est posée : « Quel visage le Christ a-t-il pour nous ? Un Christ sécurisant ? Un Christ ordinateur du monde pour que tout marche bien ? Ou bien Celui qui nous apporte la liberté en nous restaurant pleinement dans notre être ? Et quel est notre propre visage dans la tendresse de Dieu ? Est-ce l’accomplissement bien honnête et bien droit d’un ordre moral ? Ou bien est-ce le respect infini de la liberté que Dieu nous a donnée pour que cette liberté se donne à Lui ? Est-ce un visage de liberté qui accepte d’être brûlé pour se donner ? Le carême c’est cela et nous ne pouvons pas échapper à ces questions. Nous pouvons imaginer trente-six mille manières d’organiser le monde. Nous pouvons penser que Dieu a mal fait le monde et que ce devrait être beaucoup plus simple. En réalité, le Christ n’a jamais voulu autre chose pour nous que la découverte à travers notre cœur et notre liberté de ce génie qu’Il veut nous donner, et ce génie ça s’appelle sa grâce. La grâce de Dieu qui est de nous faire vivre dans la plénitude de notre être, non pas selon les petites catégories que nous pourrions échafauder, mais de vivre dans notre être au rythme même du don brûlant de l’amour de Dieu qui se donne à nous dans sa liberté souveraine. AMEN.




1er Dimanche de Carême par P. Claude Tassin (Dimanche 14 février 2016)

Deutéronome 26, 4-10 (La profession de foi du peuple élu)

Le Deutéro-nome, c’est-à-dire « seconde-Loi », révise les règles de Moïse. Car, autrefois nomade, Israël vit maintenant en Canaan, dans le royaume du Nord qui a Samarie pour capitales dans des villes et des domaines agricoles.

Dieu et la terre

La réforme initiée par le Deutéronome, les auteurs du livre la mettent sur les lèvres de Moïse, puisque Dieu a promis qu’à chaque génération, il susciterait un prophète semblable à Moïse pour redresser les choses (voir Deutéronome 18, 18). La crise est celle-ci : comme autrefois un chrétien rural débarquant en ville pouvait perdre le Dieu de son enfance, de même Israël se demande si le vieux Dieu du désert est encore utile. Mieux vaut peut-être invoquer les Baals de Canaan. Car, dans l’Antiquité, la terre appartient aux dieux du lieu. À qui appartient la terre ? Cette question se pose au croyant de manière profonde en ce temps où l’humanité devient plus sensible à la sauvegarde de la création.

Une célébration

Ici, en conclusion, le Deutéronome ordonne une célébration. On viendra chaque année offrir au Dieu unique, « le Seigneur ton Dieu », et non pas aux dieux de Canaan, les premiers fruits récoltés. Avec cette offrande, on réveillera sa *mémoire, on récitera son credo, son histoire, devant le prêtre : depuis Jacob, « l’Araméen nomade », Dieu n’a eu qu’un but : nous conduire dans ce pays merveilleux qui lui appartient. Dans la deuxième lecture, Paul proposera aussi un credo qui réveille la mémoire du chrétien.

*Mémoire, histoire, amour. Tout amour se fonde sur la mémoire : « Te souviens-tu du jour où nous est arrivée ensemble telle chose…? » En enchaînant les souvenirs les uns aux autres, l’amour construit une histoire, se donne les moyens d’assurer l’avenir. Pendant le Carême, les textes de l’Ancien Testament (1ère lecture) tracent de dimanche en dimanche une histoire d’amour exemplaire dans laquelle les chrétiens aussi reconnaissent leur propre histoire avec Dieu. Car tout credo consiste à se rappeler et à proclamer bien haut ce que « l’autre » a fait pour moi.

 

Psaume 90 (« Je suis avec lui dans son épreuve »)

La liturgie de ce premier dimanche de Carême propose le Psaume 90 (91) en lien avec l’évangile, l’épisode des tentations du Christ, puisque c’est autour de ce psaume que s’organise en partie le débat entre le diable et Jésus.

Une première lecture

Le texte a une allure curieuse. S’agit-il d’un psaume de confiance, c’est-à-dire une sous-catégorie des psaumes de confiance ? En tout cas, on devine un échange entre trois personnages : le psalmiste qui dis « je », un interlocuteur qui s’adresse à lui en « tu », et la réponse finale du Très-Haut. L’identification de cette triple instance reste floue. On peut imaginer, sans certitude (j’ai passé l’âge des certirudes), que le « je » personnifie des pèlerins arrivant au Temple et que le « tu » représente un prêtre ou un sage ponctuant et approuvant leur démarche.
Le psalmiste, qu’il soit une personne ou un groupe, affirme sa confiance ferme envers le Très-Haut (1ère strophe). Le Puissant est une forteresse dans laquelle on peut passer la nuit en sécurité – tel est, en hébreu, le sens du verbe reposer.
Les strophes 2 et 3 légitiment et confortent la confiance du poète : vraiment, aucun malheur ne peut l’atteindre. Les anges sont ces êtres qui portent devant Dieu la prière des fidèles ; ils sont ceux que Dieu délègue pour assister ses protégés, lui qui portait son peuple comme sur les ailes de l’aigle jusqu’au Sinaï (Exode 19, 4). Ces auxiliaires célestes permettent au protégé non seulement de survoler les épreuves, sur tous ses chemins, en toutes les situations de la vie, mais encore, en de fugitifs atterrissages, d’écraser les forces du mal symbolisées par le lion et le Dragon – le dragon c’est-à-dire, au sens premier, les monstres marins mythiques. S’inspirant des anges de ce psaume dans leur récit des tentations du Christ, Marc (1, 13) a cette phrase : « Les anges le servaient » et ce motif, dans le même épisode, sert de conclusion en Matthieu (4, 11) : « Alors le diable le laisse. Et voici : des anges s’approchèrent, et ils le servaient. »
La dernière strophe, bien mise entre guillemets par le lectionnaire, livre la réponse de Dieu qui répond à la confiance du psalmiste et lui assure sa protection, chaque fois que, dans l’épreuve, il appellera au secours.

Le Psaume 90 : un poème « fétiche » ?

Le découpage liturgique omet une strophe qui éclaire pourtant le rapport entre le psaume et l’épisode des tentations du Christ : Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole au grand jour, ni la peste qui rôde dans le noir, ni le fléau qui frappe à midi (versets 5-6). Dans ce texte, les légendes juives voyaient différentes catégories d’esprits malfaisants : ceux qui sévissent le soir, la nuit, le jour, à midi. Déjà, la Bible grecque avait traduit le fléau qui frappe à midi par « le démon de midi ».
La tradition juive ancienne appelait ce poème psaume des fléaux ou psaume des pestes. On le disait pour éloigner les démons, comme un rabbin célèbre qui, selon le Talmud, le récitait chaque soir avant de s’endormir, pour se protéger des anges du mal. La Bible grecque attribuait ce psaume à David qui, sur la base de 1 Samuel 16, 23, avait la réputation de chasser les esprits mauvais. Dans la bibliothèque de Qoumrân, ce psaume fait partie d’une collection intitulée « psaumes d’exorcisme » par les découvreurs du site. Une autre tradition attribue le texte à Moïse. Celui-ci l’aurait composé au moment où il allait chercher la Loi sur le Sinaï. Car il allait traverser dans sa montée une « zone de turbulences » peuplée d’anges jaloux s’irritant de ce que le Seigneur veuille offrir aux humains sa Loi et son Alliance.
Quand les évangélistes intègrent ce psaume dans l’affrontement entre Jésus et le diable, ils ne songent pas au texte biblique lu à nu, mais à cette galaxie de légendes qui le commentaient. Cette surcharge de sens n’a pas disparu dans le monde chrétien. La liturgie affecte le Psaume 90 aux complies, dernier office avant d’aller dormir. Une des oraisons finales de cet office surenchérit : « … Seigneur, visite cette maison, et repousse loin d’elle toutes les embûches de l’ennemi ; que tes saints anges viennent l’habiter pour nous garder dans la paix… »

 

Romains 10, 8-13 (La profession de foi en Jésus Christ)

Paul reprend ici l’affirmation majeure de sa Lettre aux Romains : il y a égalité entre les chrétiens de race juive et ceux d’origine païenne (voir Romains 1, 16-17). Pour le prouver, il analyse l’acte de foi :
1. La Parole si proche de nous dont parlait Deutéronome 30, 14, c’est l’Évangile, « parole de la foi » inscrite dans le cœur et proclamée par la bouche du croyant.
2. Cette foi se résume en ceci : *Jésus est Seigneur ou, ce qui revient au même : Dieu a ressuscité Jésus.
3. Nous serons sauvés par cette foi qui déjà nous fait considérer par Dieu comme des justes. En citant Isaïe 28, 16, Paul insiste : seule la foi nous sauvera lors du jugement de Dieu.
4. Si le salut dépend, non de nos origines, mais de notre foi en Jésus comme Seigneur de tous les humains, Dieu ne fait pas de discrimination entre le païen et le Juif devenus chrétiens.
5. Paul cite enfin une ligne du prophète Joël que les premiers chrétiens comprenaient ainsi « Tous ceux (qu’ils soient d’origine juive ou païenne) qui invoqueront (par leur acte de foi) le nom de (Jésus comme) Seigneur seront sauvés » (voir Actes 2, 17-21).
Au seuil du carême, Paul rappelle avec profit l’essentiel de notre foi pascale.

Jésus est Seigneur… et le Seigneur, c’est Jésus. Voilà notre foi : elle tient sur le dos d’un timbre-poste. À ce Jésus qui vécut en Palestine, Dieu a confié le jugement de l’histoire humaine. Inversement, quand nous nous demandons qui mène l’histoire et à qui nous donnons le droit de régir nos vies, nous revenons à ce Jésus, tel qu’il vécut et mourut. « Jésus est Seigneur ». Par ce slogan, repris pour nous par Paul au seuil du Carême, les premiers chrétiens traduisaient leur foi dans le mystère de Pâques.

Luc 4, 1-13 (La tentation de Jésus)

La tradition évangélique situe au seuil de la vie publique de Jésus le récit des trois tentations qu’il éprouva. Elles résument par avance les occasions que Jésus repoussa, au long de sa vie, d’affirmer sa puissance terrestre de Messie. Ces tentations, fondées sur des citations du Deutéronome, sont celles auxquelles succomba le Peuple de Dieu durant sa marche dans le désert. Elles rappellent le risque de ne rechercher que les biens matériels (1ère tentation), de se compromettre avec le Mal pour conquérir le pouvoir (2e tentation) et enfin de mettre Dieu à l’épreuve en lui demandant d’opérer des signes extraordinaires (3e tentation). Avec ces trois épreuves dont Jésus sort vainqueur, Luc estime qu’ont été épuisées « toutes les formes de tentation », tant ces épreuves résument le visage du Messie puissant que Jésus a refusé d’assumer. Ajoutons quatre autres caractéristiques du récit des tentations selon Luc.

1. C’est « rempli de l’Esprit Saint » reçu au Baptême et le consacrant comme prophète et messie que Jésus se rend au désert pour choisir quel type de Fils de Dieu il sera. Comme les autres évangélistes, Luc souligne que c’est l’Esprit qui conduit Jésus à travers le désert, comme il conduisit jadis le Peuple élu (cf. Isaïe 63, 14). La tradition évangélique indique ainsi qu’il entrait dans le projet de Dieu de voir son Fils, au seuil de sa mission, affronter « le diable », l’Adversaire, symbole des forces opposées à Dieu.

2. Pour notre évangéliste, c’est « pendant quarante jours », et non au bout de quarante jours selon Matthieu, que Jésus subit la tentation. Luc est l’évangéliste de la persévérance (cf. Luc 8, 15) : à travers l’épreuve de Jésus, *c’est nous qui sommes tentés et invités par là à l’endurance dans le combat spirituel (voir Luc 21, 19). Dans l’esprit de Luc, les tentations que repousse Jésus durant ces quarante jours ne sont rien d’autre que celles assaillant les croyants que nous sommes.

3. C’est sans doute Luc qui, contre Matthieu et à partir de la même tradition, intervertit l’ordre des deux dernières tentations de manière à ce que l’épisode se conclue symboliquement à Jérusalem, là où s’achèvera le grand voyage de Jésus (cf. Luc 9, 51 et 19, 45).

4. L’évangéliste termine son récit par un rendez-vous avec le diable « au moment fixé », c’est-à-dire au moment où « Satan entra en Judas » (Luc 22, 3; comparer 22, 31.53). La véritable épreuve de Jésus, avec son vrai triomphe sur le Mal, sera la croix qui conduit à la résurrection. Jésus entrera libre et déterminé dans sa passion (cf. Luc 22, 51). Mais devant le scandale de la mort acceptée par le Messie, le disciple risque de tomber, comme Pierre (Lc 22, 31-32) ; l’antidote de la tentation est alors la prière (cf. Luc 22, 40.46).

Au seuil du Carême, ce sont déjà les événements de Pâques qui se dessinent dans l’épisode de la triple tentation du Christ et nous mobilisent pour le combat à la suite du Christ.

* C’est nous qui sommes tentés. « Dans son voyage ici-bas, notre vie ne peut pas échapper à l’épreuve de la tentation, car notre progrès se réalise par notre épreuve ; personne ne se connaît soi-même sans avoir été éprouvé, ne peut être couronné sans avoir vaincu, ne peut vaincre sans avoir combattu, et ne peut combattre s’il n’a pas rencontré l’ennemi et les tentations. Si c’est dans le Christ que nous sommes tentés, c’est en lui que nous dominons le diable. Tu remarques que le Christ a été tenté, et tu ne remarques pas qu’il a vaincu ? Reconnais que c’est toi qui es tenté en lui; et alors reconnais que c’est toi qui es vainqueur en lui. Il pouvait écarter de lui le diable; mais, s’il n’avait pas été tenté, il ne t’aurait pas enseigné, à toi qui dois être soumis à la tentation, comment on remporte la victoire » (saint Augustin, Homélie sur le Psaume 60).
Le dimanche après-midi, l’évêque Augustin occupait ses diocésains, qui n’avaient pas la télé, en leur donnant une conférence sur le psaume de la messe du jour. On ne sait pas si les chrétiens d’Hippone venaient l’écouter pour ses leçons spirituelles ou pour ses talents d’orateur…




1er Dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER

Accepter de tout recevoir d’un Autre (Lc 4,1-13)…

 

Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
Le diable lui dit alors : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. »
Alors le diable l’emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre.
Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux.
Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit : « Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ;
car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ;
et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui fit cette réponse : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.

saint-esprit« Dieu Est Esprit » et « c’est l’Esprit qui vivifie », « qui donne la vie » (Jn 4,24 ; 6,63 ; 2Co 3,6 ; Rm 8,2 ; Ga 5,25). « Né du Père avant tous les siècles », le Fils est éternellement « engendré » à la Vie par le Don que le Père ne cesse de faire de Lui-même, le Don de l’Esprit qui vivifie… « Tourné vers le sein du Père » (Jn 1,18), le Fils est donc de toute éternité « rempli d’Esprit Saint » (Lc 4,1) par le Père, un Esprit qui « l’engendre » en Fils et le fait vivre… « Comme le Père a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même… Je vis par le Père » (Jn 5,26 ; 6,57). Et cette Vie, la Vie de Dieu, est Plénitude, surabondance (Jn 10,10 ; 7,37-39)…
Après avoir jeûné quarante jours, Jésus a faim… « Le diable lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre qu’elle devienne du pain. » Nous l’avons vu, être Fils du Père, c’est tout recevoir du Père. Devenu vrai homme, Jésus va vivre ce principe à l’extrême, en témoin unique de l’Amour du Père. « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer la tête » (Lc 9,58). Et lorsqu’il invitera à faire confiance à la Providence du Père, il le fera en témoin, car c’est ce qu’il vit lui-même : « Ne cherchez pas ce que vous mangerez, ne vous tourmentez pas. Votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît » (Lc 12,22-32). Telle est la dynamique que le diable cherche à détruire : non pas celle de l’amour qui attend tout d’un autre, mais celle de l’orgueil qui n’a besoin de personne et qui fait tout par lui-même et pour lui même. Réponse immédiate de Jésus : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre ». Il le sait, lui qui reçoit sa vie du Père depuis toujours et pour toujours…
Puis le diable « lui fit voir tous les royaumes de la terre : « Je te donnerai tout ce pouvoir, si tu te prosternes devant moi. » Mais il se trompe. Dans sa soif de dominer, il raisonne en terme de « pouvoir ». Or « Dieu Est Amour » (1Jn 4,8.16), éternelle recherche du Bien de l’Autre, Don à l’Autre pour son Bien, tout au Service de l’Autre pour l’Autre… Lui obéir, c’est rester tourné de cœur vers Celui, qui de son côté, ne cesse de vouloir le meilleur pour celui, celle qu’il aime… Et « tout ce que Dieu veut, il le fait » (Ps 115,3). Telle est la certitude de Jésus vis-à-vis de son Père… Il restera donc « tourné vers le Père », « dans son amour » (Jn 15,10), se laissant aimer, combler et aimant à son tour dans le Don total de Soi pour l’Autre, pour tous les autres, pour chacun d’entre nous… DJF




Rencontre autour de l’Évangile – 1er Dimanche de Carême

Il est dit : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »

TA PAROLE SOUS NOS YEUX

Situons le texte et lisons (Lc 4,1-13)

Demander au groupe, du moins à ceux qui savent écrire, de souligner ou de noter sur un cahier les mots, expressions, qui leur paraissent importants.

Situons le texte
Ce passage vient après le baptême de Jésus par Jean-Baptiste. C’est clair maintenant pour Jésus. Il est le Fils du Père, solidaire d’une humanité de pécheurs, pour la délivrer du péché et de la mort. Et maintenant l’Esprit qui l’a rempli le pousse au désert pour commencer le combat contre l’Ennemi de Dieu son Père.

Soulignons les mots importants
“Conduit par l’Esprit à travers le désert.”
“Quarante jours”
“Mis à l’épreuve”
A quelle expérience importante du peuple Hébreu nous ramène saint Luc par ces expressions ?
Jésus a jeûné et “il a faim.”
Quelle est cette première épreuve à laquelle est affronté Jésus ?
A quoi le pousse le Tentateur ?
“Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre.”
Comment comprendre cette parole de Jésus ?
D’où vient cette parole ?
Les royaumes de la terre. Le pouvoir. La gloire.
A quoi nous font penser ces mots ?
A quoi le Prince de ce monde essaie de pousser Jésus ?
Comment Jésus repousse-t-il cette seconde tentation ?
“Sommet du Temple à Jérusalem”
Que se passera-t-il plus tard à Jérusalem ?
Au début de sa mission, quel chemin l’Adversaire du Projet du Père propose à Jésus ? Quelle parole utilise le démon ?
Comment Jésus le repousse ?
“Jusqu’au moment fixé”
A quel moment l’Adversaire de Dieu reviendra à la charge pour tenter de détourner Jésus de la voie voulue par le Père ?

Ensemble regardons Jésus
Suivons-le au désert. Seul, Il a faim. C’est un véritable combat spirituel au début de sa mission. Il doit faire des choix importants. Sa force, c’est la Parole de Dieu qui l’habite.
En silence laissons-nous toucher par son attitude, par telle parole qu’il prononce et que nous gravons dans notre cœur et dans notre mémoire.

 

 

Pour l’animateur

Jésus revit, pour son compte personnel, l’épreuve du désert que le peuple hébreu a connu autrefois (le chiffre 40). Comme le peuple de l’Exode était guidé par Dieu (symbolisé par la colonne de nuée ou de feu), Jésus est conduit par l’Esprit à travers le désert.
A l’inverse des hébreux qui murmuraient contre Dieu, qui ont été infidèles à l’Alliance en adorant le veau d’or, Jésus se met à l’écoute de la Parole de Dieu son Père. Avec lui va démarrer un peuple nouveau, le peuple de l’alliance nouvelle.
Il repousse Satan qui veut le détourner du chemin de solidarité avec notre humanité de faiblesse et de péché en lui proposant un chemin de puissance, de prestige et de merveilleux. Il veut le faire douter de son humanité (puisqu’il est le Fils de Dieu !).
C’est toujours dans la Parole Dieu, dont il a fait sa nourriture, que Jésus puise sa force pour vaincre le tentateur. Jésus cite l’Écriture. Le démon aussi essaie la même chose en citant un psaume. Mais c’est un usage magique de l’Écriture. Jésus lui y trouve la Parole du Père et la communion avec sa volonté.

 

L’ Évangile aujourd’hui dans notre vie

Jésus fut mis à l’épreuve.
Notre expérience prouve que nous sommes sans cesse affrontés aux tentations.
A quelles épreuves ou tentations sommes-nous affrontés dans le monde qui est le nôtre pour être fidèles à notre baptême, autrement dit pour suivre le Christ, pour vivre en vrai fils du Père ? (Tentation de tout laisser tomber, de tricher, de fermer les yeux sur l’injustice, de prendre nos distances par rapport à l’Église devant certains scandales…)
Quels sont les choix difficiles que nous avons à faire parfois? Est-ce que nous nous mettons à l’écoute de la Parole de Dieu, comme Jésus, afin de faire les bons choix ?

Jésus a refusé la tentation du “pain facile ”. Il a refusé d’utiliser sa puissance divine pour satisfaire ses besoins personnels. Il a refusé d’utiliser Dieu à son avantage. Il a fait plutôt de la Parole de Dieu sa nourriture. Il dira plus tard “ma nourriture est de faire la volonté de mon Père ” (Jn 4,34).
Et nous ? Ne nous arrive-t-il pas parfois de vouloir obtenir de Dieu à tout prix tel ou tel avantage matériel, de le mettre à notre service en quelque sorte, en faisant telle ou démarche religieuse, au lieu d’assumer notre responsabilité, de prendre notre vie en main, tout en faisant confiance à Dieu notre Père qui prend soin de nous, en nous mettant à l’écoute de sa parole qui nous éclaire ? (Être Fils de Dieu, c’est se laisser conduire par lui sans lui imposer nos voies et nos moyens, sans espérer de miraculeux prodiges qui nous démobiliseraient de nos engagements.)
Jésus a repoussé la tentation du “pouvoir pour le pouvoir”, de la gloire pour dominer et paraître, de la démagogie pour forcer l’adhésion du peuple (“ jette-toi en bas… ”).
Et nous? Quand on nous a confié une responsabilité, une tâche, une mission dans l’Église ou la société civile, comment le démon du pouvoir et de la gloire s’y prend-t-il pour nous tenter ?
Quel moyen Jésus nous offre pour le repousser ?

Ensemble prions
Notre Père… « ne nous laisse pas succomber à la tentation mais délivre-nous du Mal » ( de l’Adversaire, de l’Ennemi) qui veut nous faire rater notre vocation de fils du Père.

 

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Cinquième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 7 février 2016)

Isaïe 6, 1-2a.3-8 (« Me voici ; envoie-moi ! »)

La première lecture de dimanche dernier présentait la vocation de l’humble Jérémie, tout en omettant l’objection du prophète : « Je ne sais pas parler, je suis un gamin » (Jérémie 1, 6). Ce récit voulait annoncer la mission de Jésus comme prophète des nations. Aujourd’hui nous lisons la vocation d’Isaïe, un noble d’Israël, qui, sans timidité aucune, déclare au Seigneur : Je serai ton messager ; « Me voici : envoie-moi ! » Dieu appelle chacun à son service selon son tempérament personnel.

L’aveu du pécheur

Mais la noblesse suprême d’Isaïe s’exprime dans son aveu, son effroi sacré vis-à-vis de la majesté divine : « Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures… » L’expression annonce celle de Simon-Pierre appelé par Jésus : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur » (évangile). Tout appelé du Dieu saint devient digne de sa vocation lorsque, quel que soit son rang social, il prend conscience de son indignité.

L’expérience de la sainteté de Dieu

La vocation d’Isaïe a pour cadre le culte du Temple, avec ses portes monumentales pivotant sur leurs gonds avec bruit, au rythme des célébrations, avec l’épaisse fumée de l’encens La triple répétition de l’adjectif « Saint » vaut comme un superlatif. Les « séraphins » n’ont rien à voir avec les angelots de nos peintures. Il s’agit de figures, en forme de serpents peut-être, ornant le Saint (pièce centrale du Sanctuaire de Jérusalem). Leur nom signifie « les brûlants » et l’on comprend que ce soient eux, selon la symbolique du récit, qui brûlent les lèvres d’Isaïe pour rendre pur son message. N’est-ce pas dans l’émotion du culte, à l’instar d’Isaïe, que maint chrétien a découvert sa vocation ?

Saint, saint, saint, le Seigneur ! Cette triple acclamation du Saint, c’est-à-dire du « Tout Autre », entra très tôt dans la liturgie chrétienne, comme elle était entrée dans le Shemoné Esré (les Dix-Huit Bénédictions) du service synagogal : « Tu es saint, et ton Nom est saint. (…) Nous sanctifierons ton Nom dans le monde, comme on le sanctifie dans les hauteurs célestes, ainsi qu’il est écrit par ton prophète : Saint ! Saint ! Saint est le Seigneur des armées, sa gloire remplit toute la terre. (…) D’âge en âge nous dirons ta grandeur et d’éternité en éternité nous proclamerons ta sainteté. Ta louange, ô notre Dieu, ne quittera jamais notre bouche car tu es Dieu, Roi grand et saint. – Béni es-Tu, Seigneur, le Dieu saint ! »

 

Psaume 137 («Qu’elle est grande, la gloire du Seigneur ! »)

Ce psaume se divise en cinq strophes. La liturgie n’en omet qu’une, la quatrième, parce qu’elle a moins de rapport avec la première lecture. En effet, ce poème nous permet d’intérioriser, de nous approprier l’expérience spirituelle d’Isaïe dans le Temple de Jérusalem, là où il situe sa vocation prophétique.

Schéma des psaumes d’action de grâce

Les psaumes définis comme « actions de grâce » présentent d’ordinaire la charpente suivante. Retenons divers exemples : (A) une brève introduction de louange : « Je t’exalte, Seigneur » (Psaume 29, 2) ; (B) un récit évoquant l’épreuve dont le psalmiste a été tiré et se résumant parfois en ces termes : « J’étais pris dans les filets de la mort » (Ps 114, 3) ; (C) Le rappel de la supplication que l’on crié au sein du malheur : « J’ai invoqué le nom du Seigneur : Seigneur, je n’en prie, délivre-moi ! » (Ps 114, 4) ; (D) une brève mention de la réponse favorable du Seigneur : « Tu as changé mon deuil en une danse » (Ps 29, 12) ; (E) la promesse de rendre grâce toujours : « Sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rendrai grâce » (Ps 29, 13) ; ou la promesse d’offrir un sacrifice de remerciement au Temple : « Je t’offrirai de beaux holocaustes… » (Ps 65, 15).
D’une part, les poètes bibliques se sentent libres d’organiser à leur gré ces cinq éléménts. D’autre part, ils s’attardent sur le malheur dont ils ont été tirés, ce qui leur permet de souligner la puissance du Seigneur. Dans les ex-voto de chapelles bretonnes, de petites peintures naïves représentent des bateaux en perdition, une manière de souligner la puissance du Dieu qui a sauvé les marins dans la tempête.

Trois lectures du Psaume 137 (138)

Une lecture tant soit peu attentive de ce psaume y retrouvera, dispersés, les cinq éléments classiques. Mais le psalmiste ne s’attarde nullement sur son épreuve (laquelle ?) et son heureuse issue (laquelle ?), au jour où le Seigneur répondit à son appel. Dans les strophes aujourd’hui retenues, le mot Seigneur revient cinq fois. L’auteur s’intéresse à la dernière phase des actions de grâce, à savoir la reconnaissance proprement dite. Ce mot exprime à la fois une opération vérité, reconnaître ce qui est vrai et à qui je le dois, et une gratitude envers celui à qui je le dois. En ce sens se comprend la belle formule liturgique : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu. Cela est juste et bon. »
Le poète célèbre l’amour de Dieu à son égard et sa vérité, c’est-à-dire sa fidélité. Tel est le « cercle vertueux » des mots : l’amour de Dieu c’est sa vérité, et sa vérité c’est son amour (ruminons cette idée…) Le psalmiste chante la grandeur du Seigneur, la grandeur de son Nom, c’est-à-dire de son être qui s’exprime par l’amour et la fidélité, par sa parole active qui grandit l’humilié : « Tu fis grandir en mon âme la force », écrit le psalmiste. Mais qui s’exprime en ce psaume ?
1. Le livre des Psaumes intitule ce poème : De David. C’est bien sûr une fiction. Mais, selon cette lecture, le saint roi rend grâce à Dieu pour le rang messianique qu’il a acquis, pour son élévation, ses victoires dont « tous les rois de la terre rendent gloire », subjugués par l’ascension et la grandeur de l’humble pastoureau.
2. Ces rois chantent les chemins du Seigneur, la manière dont il se conduit, et qui révèlent sa gloire. Ces expressions renvoient à maints textes bibliques s’émerveillant du retour des Israélites exilés à Babylone, un événement qui, au moins selon l’idéalisation des poèmes de l’Ancien Testament, a ébahi les nations et leurs rois. Alors, c’est cet Israël libéré qui s’exprime dans le psaume.
3. Dans l’incessante relecture des psaumes au long des âges, la liturgie d’aujourd’hui met en miroir ce poème et l’expérience d’Isaïe (1ère lecture). À celui qui rend grâce, quel qu’il soit, en présence des anges, vers le Temple sacré, se compare la vocation du prophète découvrant dans le Temple la grandeur de Dieu, sa sainteté proclamée par les séraphins. « Me voici : envoie-moi ! ». Avec le psalmiste, Isaïe aurait pu ajouter : « N’arrête pas l’œuvre de tes mains. »

 

1 Corinthiens 15, 1-11 (La tradition de la foi au Christ mort et ressuscité)

L’avant-dernier chapitre cette épître pénètre au cœur de la foi, à savoir la résurrection du Christ, promesse de notre propre résurrection. Paul ramène les Corinthiens à ce fondement du christianisme en recourant au « kérygme (= message en forme de résumé) pascal ».

Mort et résurrection du Christ

Le Christ mourut « pour nos péchés », à la fois à cause de nos péchés et en faveur des pécheurs que nous sommes, et cet événement est conforme à l’Ancien Testament, par exemple au poème du Serviteur souffrant (Isaïe 52, 13 – 53, 12). Le Christ est réellement mort, puisque « mis au tombeau » (cf. Isaïe 53, 9). Certains courants chrétiens anciens entretenaient une théorie selon laquelle Jésus ne serait pas mort, mais aurait été remplacé sur la croix par un autre : Judas ou Simon de Cyrène, etc… L’islam reprend cette tradition de la « substitution ».
Mais celui qui est réellement mort, mis au tombeau, est, littéralement, le « réveillé », celui que Dieu a relevé de la mort, *le troisième jour, selon une expression du judaïsme ancien, et conformément aux psaumes annonçant le triomphe du Messie (par exemple Psaume 110 [109]).

Le Ressuscité s’est fait voir

La traduction « il est apparu » est trop faible et prête à confusion ; elle laisse entendre que les privilégiés de la période pascale ont eu « des apparitions », comme sainte Bernadette a eu des apparitions de la Vierge Marie. Une meilleure traduction, quoique peu élégante, serait celle-ci : « il s’est fait voir ». Le verbe grec souligne une initiative. Comme autrefois Dieu s’est fait voir à Abraham (Genèse 17, 1) ou à Moïse (Exode 3, 2) pour leur confier une mission,. Le Ressuscité s’est manifesté pour confier la mission chrétienne d’abord au groupe central de Pierre et des Douze, puis au cercle plus large des « apôtres » qui avait pour chef de file Jacques, appelé « le frère du Seigneur » (Galates 1, 19). Dans ce cercle s’inscrit Paul « l’avorton ». Ce mot n’évoque nullement une difformité physique de Paul ou quelque rachitisme. On le traduira plutôt par « fils posthume », voire né par césarienne. L’apôtre indique ainsi que, par rapport aux autres apôtres qui ont connu Jésus sur la terre, il n’est pas venu au christianime et à son statut missionnaire par des voies « normales ». Mais, ajoute-t-il, dans la ligne de l’annonce de l’Évangile de la résurrection, « qu’il s’agisse de moi ou des autres, voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez ».
Entre les deux groupes d’envoyés pour annoncer l’Évangile, les Douze et les apôtres, Paul situe une « apparition » à cinq cents frères qui, eux, ne sont pas envoyés. Le rappel de leur expérience, en forme de parenthèse anecdotique, veut prouver le caractère massif et indubitable de la manifestation du Ressuscité.

* Le troisième jour conformément aux Écritures. Cette expression du « kérygme » s’intègre dans notre Credo. Elle est moins une indication chronologique des apparitions du Christ qu’une allusion à la tradition juive ancienne selon laquelle, selon une interprétation d’Osée 6, 2, ce « troisième jour » désigne la résurrection des croyants à la fin des temps. La résurrection de Jésus inaugure notre propre résurrection à venir.

 

 

Luc 5, 1-11 (« Laissant tout, ils le suivirent »)

Selon la mise en scène de saint Luc et après le discours dans la synagogue de Nazareth, Jésus s’est rendu à Capharnaüm, au bord du lac de Galilée. Là, il a libéré un possédé et guéri « la belle-mère de Simon » (Luc 4, 38) – Simon qui n’est pas encore nommé Pierre. Et, « au coucher du soleil » (4, 40), la foule présente à Jésus une multitude de malades et de possédés. Le Nazaréen devient désormais célèbre. On se presse autour de lui pour « écouter la parole de Dieu » laquelle est, selon ce qui précède, « la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu » (Luc 4, 43). Mais le héraut de cet Évangile ne suffira pas à la tâche. Il lui faut des aides.

Simon, Jacques et Jean

Dans le présent épisode, Jésus constitue sa garde rapprochée en recrutant trois disciples : Simon et les deux frères, Jacques et Jean. Le trio sera témoin de la Transfiguration du Seigneur (Luc 9, 28). Pour l’heure, les trois pêcheurs ne se voient pas encore appelés « apôtres ». Ils ne recevront ce titre que lors de la composition de l’équipe des Douze (Luc 6, 13). Mais ici, la scène jette par avance les fondements de leur future mission apostolique et, à la différence des autres évangiles, Luc met déjà l’accent sur « Simon-Pierre », ce Pierre qui deviendra le premier héros des Actes Apôtres.
Nos évangélistes ne sont pas de simples copistes, mais des scénaristes théologiens, chacun d’eux organisant sa documentation en fonction de sa propre compréhension de Jésus, le Maître, le Seigneur ressuscité, et de l’Église. Luc, en cet épisode, construit une scène dans laquelle le lecteur doit reconnaître l’envoi en mission par le Christ ressuscité. Relevons quatre clés d’interprétation de sa manière d’écrire.

Quatre clés d’interprétation

1. Jésus bat en retraite sur une barque pour échapper à la pression d’une foule venue pour écouter la parole de Dieu. L’évangéliste a puisé cette mise en scène chez Marc (4, 1), dans l’introduction du discours en paraboles. Luc souligne ainsi le succès de l’Évangile et, par là, la nécessité pour le Christ (ressuscité) de s’adjoindre des envoyés.
2. Dans les premières Églises, au temps de Luc, circulaient diverses traditions sur Pierre, dont celle de la pêche miraculeuse. Jean (21, 1-8) situe le prodige après la résurrection de Jésus et il reflète vraisemblablement le cadre originel du récit. Sans grande crainte d’erreur, on peut rebâtir ainsi l’affaire : après la disparition de Jésus et lors d’une pêche incroyable, les disciples auront saisi la présence active du Seigneur ressuscité, modèle de leur mission.
3. Quoi qu’il en soit, l’épisode vaut comme une parabole sur la mission chrétienne, parabole que Luc décode en ces termes : « Désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Tout apôtre, tout serviteur de la Parole, peut peiner des nuits et des nuits, des jours et des jours, sans succès. Puis vient une pêche miraculeuse, l’œuvre du Seigneur.
Dans l’Ancien Testament, la pêche ou la chasse (on chassait « au filet », comme aujourd’hui encore dans certaines régions) évoquent le jugement de Dieu capturant celui qui croyait pouvoir lui échapper (Habacuc 1, 14-15 ; Jérémie 16, 16). Les évangiles ont « positivé » cette image : Dieu veut attraper les humains dans les filets de la Bonne Nouvelle qui, à la fois, propose le bonheur et oblige à se séparer du mal (cf. la parabole du filet en Matthieu 13, 47-50).
4. Alors, devant toute réussite inattendue de la Parole, l’Appelé, tel saint Pierre, ressentira un *effroi sacré, signe d’une juste humilité devant la mission qui nous est confiée. C’était déjà l’expérience du prophète Isaïe (1ère lecture).

* L’effroi. Ce mot (en grec thambos) n’apparaît que trois fois dans le Nouveau Testament et seulement sous la plume de saint Luc. Il traduit d’abord la réaction de l’assemblée, à la synagogue de Capharnaüm, quand Jésus chasse un démon (Luc 4, 36). Ce sera aussi la réaction des gens de Jérusalem quand Pierre guérira un impotent (Actes 3, 10). Bref, c’est le frisson qu’inspire une manifestation du miraculeux, du sacré. Mais si Jésus incarne un Dieu Amour (cf. 1 Jean 4, 8.18), pourquoi avoir peur ? Il y a crainte et crainte. Tout amour vrai, même dans les relations humaines, suscite la peur « sacrée » de n’être pas à la hauteur de l’amour qui m’est offert, un sentiment juste, noble et profond, d’indignité.




Cinquième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

L’Esprit Saint rend témoignage à Jésus (Lc 4,21-30)

 

En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth.
Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.
Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. »
Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »
Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer.
Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.
A cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »
En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ;
et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras.»
Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

 

pèche miraculeuse

« La foule serrait de près Jésus et écoutait la Parole de Dieu »… « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44), dit Jésus. Et comment fait-il ? Par le Don de l’Esprit qui se joint toujours à sa Parole, un Esprit qui est Vie (Ga 5,25), Plénitude de Vie (Ep 5,18) et donc bonheur profond, d’où ce mouvement de foule vers Jésus… « Celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34), et « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63) : « Tu as les Paroles de la vie éternelle », dira un jour Pierre à Jésus (Jn 6,68). Il expérimentait, en la vivant, cette Vie nouvelle, et c’était pour lui, comme ici pour la foule, une joie profonde : « Vous avez accueilli la Parole, parmi bien des souffrances, avec la joie de l’Esprit Saint » (1Th 1,6)…
Pour pouvoir s’adresser à tous, Jésus monte dans la barque de Pierre et « il le pria de s’éloigner un peu »… Notons au passage comment le Seigneur et Maître s’adresse ici à sa créature : quel respect, quelle délicatesse ! Et toute la suite ne sera qu’un signe que Jésus va donner à Pierre en lui parlant le langage de sa vie quotidienne : l’eau, les filets, la pêche, les poissons… D’habitude, ces derniers remontent du fond du lac la nuit : c’est donc le meilleur moment pour les capturer. Pierre, en pêcheur professionnel, le sait bien… Mais ici, Jésus va donner un sens nouveau à toutes ces réalités si communes… La nuit va symboliser les ténèbres intérieures dans lesquelles le pécheur ne peut que se retrouver en ayant fermé son cœur à ce « Dieu » qui « Est Lumière » (1Jn 1,5). Or, dans les ténèbres, même si l’on a des yeux, on est comme un aveugle : on ne sait pas où l’on va (Jn 12,35), on ne peut rien faire (Jn 15,5). « Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ». Mais maintenant, ils ont avec eux Jésus « Lumière du monde » (Jn 8,12), Celui-là seul qui, dans le domaine spirituel, peut agir : « La Lumière a brillé dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisies » (Jn 1,5). Avec Lui, « le Dieu qui a dit : « Que des ténèbres resplendisse la lumière », est Celui qui a resplendi dans nos cœurs », par ce Don de l’Esprit qui se joint toujours à sa Parole (Jn 4,24 et 1Jn 1,5), « pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ » (2Co 4,6). Avec le Christ Lumière, les disciples sont dans la Lumière, et c’est donc dans ce « jour » qu’ils vont lancer les filets en obéissant à son invitation : et « la grande multitude de poissons » prise ce jour-là annonce « la grande multitude » de celles et ceux qui accueilleront, grâce à l’action de l’Esprit en eux, la Parole de Lumière et de Vie proclamée plus tard par Pierre et par l’Eglise… DJF

 


 




4ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

CE QUE PARLER VEUT DIRE

3ième dimanche ordinaire c1« Aujourd’hui, en vérité, cette parole de l’Écriture s’accomplit devant vous ». Tous étaient stupéfaits et disaient : « Mais celui-là n’est-il pas le fils de Joseph ? » Alors ils furent pris de fureur contre Lui.
Depuis plus d’un mois, depuis le jour de Noël, nous allons de fête en fête et d’extase en extase, le Christ se manifeste. Il naît comme un enfant. Les bergers viennent d’Orient et lui offrent leurs présents. Puis Il est manifesté à Israël, dans la voix de son Père : « C’est Lui mon Fils Bien Aimé ». Puis Il est manifesté à l’Église par la Vierge Marie : « Faites tout ce qu’Il vous dira ».
Dans toute cette cascade de fêtes, c’est en silence que nous contemplons le Verbe de Dieu. Il ne nous dit rien, Il est là. Sa présence physique charnelle au cœur de l’humanité, sa présence rayonnante qui commence à mettre en mouvement vers Lui toutes les nations parce qu’Il est le Seigneur de l’humanité, attire les foules et les disciples qui sont témoins du Don de l’Esprit, et les invités de la noce qui sont témoins de la surabondante générosité de Dieu. En tout cela pratiquement pas une parole du Christ. Et voici qu’aujourd’hui, brusquement, le ton change, le Christ n’est plus simplement Celui que l’on voit, Celui que l’on regarde, Celui qui est tout simplement parmi nous. Voici qu’Il parle. Et le fait de « prendre la parole » comme on dit aujourd’hui, va bouleverser toute l’économie de ses relations avec ceux qui étaient pourtant les plus proches, les gens de son village, ceux qui le côtoyaient et l’appelaient « le fils de Jo-seph ».
On pourrait dire que, avec Jésus-Christ, il y a deux types, deux degrés de relation. Il y a la relation de la présence, Dieu est là : « Il a planté sa tente parmi nous ». Il vit au milieu des hommes. Il est la sagesse qui prend sa joie parmi les enfants des hommes. Et dans ce coude à coude quotidien, il ne se passe rien, tout juste quelques signes qui déclenchent dans le cœur de quelques hommes avertis prophétiquement une joie profonde, une reconnaissance qui constituent déjà les premiers balbutiements de la foi.
Alors curieusement se déchaîne tout un ensemble de comportements qui, de la part de ceux qui écoutent la voix du Fils de Dieu, la Parole de Jésus-Christ, adoptent des attitudes extrêmement bizarres et contradictoires. Pour ma part, c’est ainsi que j’interprète ce texte que nous lisons en ce jour et dans lequel nous voyons subitement la foule d’abord en admiration, tous sont en extase devant ce jeune prédicateur qui leur dit des choses si belles et qui explique si bien la Torah, et tout à coup lorsque la Parole se fait plus incisive et plus personnelle, elle devient comme le détonateur qui fait exploser un grondement de révolte, elle fait apparaître le refus de l’entendre, voire même le passage à la violence, à la menace, l’Évangile nous dit qu’ils voulaient le lapider.

Parole de dieu
Curieusement d’ailleurs, l’évangéliste note que Jésus passe au travers des rangs qui pourtant doivent être menaçants et qu’Il continue son chemin : la Parole de Dieu traverse l’assemblée malgré le mécontentement et la rage qui se lèvent dans le cœur de ces hommes. Qu’est-ce que cela veut dire ?
En réalité, avec Dieu nous avons nous aussi deux types de relations. Il y a la présence de Dieu, celle que l’on pourrait qualifier d’inoffensive. Il est là, Il ne nous dérange pas trop, Il ne dit rien, Il est d’une discrétion et d’un silence exemplaire. Ça ne nous empêche pas de continuer notre vie avec nos caprices, nos désirs et notre volonté propre, pour aménager les réalités de notre vie comme elles nous plaisent. Dans ce type de relation avec Dieu, il n’y a pratiquement aucun problème, tout va bien. Il se tait et nous continuons à bavarder entre nous et à considérer que la vie est notre affaire. Un peu d’action de grâce et de reconnaissance pour ce Dieu qui nous a donné ce don précieux de la vie ! Mais les relations sont d’une parfaite courtoisie ! On ne le dérange pas à condition qu’Il ne nous dérange pas. Cependant Dieu ne peut pas en rester là. Voici qu’Il parle, et l’exercice de la Parole est toujours un exercice dangereux.
dieu parleQu’est-ce que veut dire parler ? Vous le savez, depuis mai 1968, parler c’est s’exprimer. Quand on est ensemble, il ne faut plus qu’il y ait une parole magistrale qui tombe du haut de la chaire, mais au contraire il faut que se produisent une effervescence et un bouillonnement à la base par lesquels chacun s’exprime. On y trouvait d’ailleurs, dans les années qui ont suivi immédiatement cette époque, un plaisir profond. Chacun avait l’impression d’avoir « senti » quelque chose d’important, même si c’étaient des choses inexprimables. Et l’on faisait parler tout le monde, même les murs, en écrivant dessus des graffitis. C’était extraordinaire de voir toute cette société enthousiasmée par le seul désir de s’exprimer. Depuis cette mode a passé, on s’est un peu lassé. C’est normal parce qu’on n’avait peut-être moins de choses à exprimer qu’on ne pouvait le supposer. Peut-être d’ailleurs que cette expérience passagère nous a montré la misère et la pauvreté dans laquelle nous nous trouvions, alors que nous imaginions que du fond de ce cœur, nous allions, en nous exprimant, extraire des richesses et des trésors : en réalité, nous avons fait l’expérience de l’amertume de notre pauvreté. Mais dans la société où vivait Jésus, dans la tradition dans laquelle Il s’inscrivait, la parole ne servait pas tellement à s’exprimer. Il n’y avait pas de « phénomène de prise de parole ». Car la parole avait d’abord une valeur sacrée, une valeur de communion. La parole n’était pas simplement l’expression d’un sujet qui aurait voulu dire ce qu’il pensait, mais la parole était comme une force qui émanait de celui qui parlait, une force bien plus profonde et bien plus grande que celui-là même qui parlait. La parole c’était le pouvoir d’instaurer une communion, c’était la réalité même d’une force qui traversait celui qui prenait la parole en public et qui faisait l’unité de l’assemblée à qui elle était adressée.
Tel était le statut de la parole prophétique, de la parole lue dans la liturgie. Elle n’était pas l’émanation de l’expérience quotidienne, mais une Parole qui venait de Dieu et qui était offerte au peuple rassemblé. Écouter la Parole était d’abord une grâce, un accueil. La Parole ainsi proclamée devenait opératoire, active et transformait le cœur, elle commençait à convertir, à faire l’unité, à constituer le corps de ceux qui se rassemblent dans l’unité de l’appel de Dieu. La Parole à ce moment-là, manifestait une force et une efficience, qui lui conféraient une réalité presque tangible. Elle n’était pas simplement l’expression de la pensée d’un individu. Elle était le pouvoir qu’a Dieu d’opérer la convocation, l’Église. Car tel est le sens du mot Église, il veut dire « convocation ». Dans ce contexte, la Parole était le pouvoir de Dieu, la puissance de Dieu rassemblant son peuple.foule
Voilà donc ce qui s’accomplissait ce jour-là, en plénitude devant tous les habitants de Nazareth : le Christ Lui-même qui est la Parole de Dieu en personne, venait au-devant de son peuple et lui disait : « maintenant tout ce que Je vais dire et faire n’est que la mise en œuvre de la Parole qui doit vous rassembler ». Dieu ne vivait plus alors simplement dans une convivialité polie et glacée avec des gens qui étaient autour de Lui, mais par le simple fait qu’Il parlait. Il posait à chacun la question : « Veux-tu vivre en communion avec Moi ? Ou bien refuses-tu d’entrer dans le corps, dans l’assemblée que Je viens constituer pour vous, avec vous et parmi vous ? » Tel est le sens de la première prédication de Jésus à Nazareth. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Luc nous fait voir le réalisme de la Parole, ce n’est pas le message, mais l’appel et le pouvoir de convoquer, ce qui est infiniment plus fort. C’est la provocation de chacune des libertés des auditeurs de cette parole du Seigneur et la question est ainsi posée d’emblée : « Veux-tu entrer dans le jeu de la communion avec Dieu ? Ou au contraire, voudrais-tu refuser et continuer de vivre avec Dieu dans cette indifférence et cette coexistence pacifique un peu glacées qui ne te coûtent rien ? »
Ce que le Christ a dit ce jour-là ne se réduit pas simplement à des mots, c’était sa propre personne enracinée au milieu de l’assemblée des hommes et qui leur demandait : « Voulez-vous ne faire qu’un seul corps et qu’une seule chair avec moi ? Ou au contraire voulez-vous mener le jeu de votre solitude et de votre oubli de Dieu ? » Je crois que cette question nous est encore posée aujourd’hui.
AMEN




Quatrième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 31 janvier 2016)

Jérémie 1, 4-5.17-19 (« Je fais de toi un prophète pour les nations »)

La carrière prophétique de Jérémie commence vers l’an 627 et notre texte présente deux extraits du récit de sa vocation. Mais une *vocation se raconte souvent (et heureusement !) après coup, quand l’élu a expérimenté et compris à quelle mission Dieu l’avait appelé.
Jérémie constate que Dieu l’a choisi avant même sa naissance pour faire de lui un prophète pas comme les autres : « un prophète pour les nations ». Il parle au nom d’un Dieu qui exerce son action non seulement sur Israël, mais sur l’histoire de toutes les nations, et qui juge la conduite de tous les humains.
« Mets ta ceinture autour des reines », ne laisse pas pendre ton vêtement, car tu vas devoir te mettre au travail. « Lève-toi »… Chargé d’annoncer le jugement de Dieu contre un Israël impénitent, le prophète devra faire preuve de courage et subira de dures oppositions de la part des grands de son peuple ; on le jettera même dans une citerne (cf. Jérémie 38). Mais il découvrira qu’il n’a pas à trembler, sous peine de trahir le message du Dieu qui l’envoie et le « délivre » des complots ourdis contre lui. Faux espoir d’ailleurs, car Jérémie finira sa vie en Égypte, là où il ne voulait pas aller (Jérémie 43).
Dès son discours à la synagogue de Nazareth, Jésus se situe dans la lignée des prophètes dont l’action a débordé les frontières d’Israël. Dès ce moment, son peuple cherche sa perte ; mais Dieu le délivre, provisoirement, avant la croix, de ce danger qui l’empêcherait d’accomplir sa mission.

*Vocation et mission. La vocation de Jérémie s’inspire de celle de Moïse (Exode 3, 10-12). Mais c’est dès le sein de sa mère que Jérémie a été choisi et consacré par Dieu à son service. Si sa mission entre dans la catégorie des prophètes, sa vocation est un appel personnel qui fait de lui un prophète unique. De même, Paul revendiquera son rang d’apôtre (1 Corinthiens 9, 1-2), pour légitimer son travail missionnaire. Mais lorsqu’il évoque sa vocation propre (Galates 1, 15-16), c’est à la vocation de Jérémie qu’il se réfère (Jérémie 1, 5) et à celle du prophète Serviteur du Seigneur (Isaïe 49, 1), tous deux choisis dès le sein maternel. Tout croyant connaît cette tension entre le service d’Église qu’il exerce et son appel personnel reçu de Dieu.

 

Psaume 70 (« Toi, mon soutien dès avant ma naissance »)

Cette supplication livre sa clé au verset 9, omis légitimement par la liturgie de ce jour : Ne me rejette pas maintenant que j’ai vieilli ; alors que décline ma vigueur, ne m’abandonne pas.

Une première lecture

Au sein d’épreuves inhérentes à la vieillesse où l’on risque « d’être humilié pour toujours » en un monde devenu hostile, le poète biblique voit dans son Seigneur un rocher ferme, une forteresse, au-dessus de terrains mouvants et autres chaussées glissantes que redoute le troisième âge. L’espérance et la confiance du psalmiste s’appuient sur le souvenir d’une heureuse jeunesse fidèle à Dieu. L’auteur proclame – canne en main, imaginons-le ! – que le Seigneur a toujours été son appui, son soutien. Et cela en raison du projet divin d’accorder justice et salut à son futur fidèle, avant même sa naissance.
Ici se profile l’importance de la mémoire, la reconstruction par la mémoire d’une expérience, celle de la foi et de l’espérance. Au soir de sa vie, le psalmiste ne dit pas que la vieillesse est un naufrage ou que « c’était mieux avant ». Par une mémoire quasi juvénile, il contemple plutôt la fidélité du Seigneur à son égard, au long des ans : « Ma bouche annonce tout le jour », sans nostalgie, « tes actes de justice et de salut » qui m’accompagnent depuis ma jeunesse jusqu’à ma vieillesse.

La relecture liturgique de ce dimanche

Les psaumes, comme tout poème, se relisent sans cesse à travers l’histoire. Avec tous ses droits, la liturgie d’aujourd’hui détourne le sens originel du poème pour l’appliquer à la figure de Jérémie (1ère lecture). On ignore si celui-ci, traîné en Égypte contre son gré (Jérémie 42), a fait en ce pays « de vieux os ». Mais des rapprochements avec le psaume s’imposaient. Il a été choisi comme prophète dès le ventre maternel et appelé quand il était tout jeune, selon son objection, parallèle à celle de Moïse (Exode 4, 10) : « Ah, Seigneur mon Dieu ! Vois donc : je ne sais pas parler, je suis un gamin » (Jérémie 1, 6). C’est en tant que prophète, et non comme vieillard qu’il pouvait dire au Seigneur ; « Ma bouche annonce tout le jour tes actes de justice et de salut. » Il est invité à ne pas trembler dans sa difficile mission, à se considérer lui-même comme une forteresse, parce que, déclare le Seigneur, « je suis avec toi pour te délivrer ».
Bien sûr, tout chrétien, quelle que soit sa place dans l’Église et quels que soient son âge et ses épreuves peut s’approprier ce psaume et proclamer : « En toi, Seigneur, j’ai mon refuge. »

 

1 Corinthiens 12, 31 – 13, 13 (Hymne à la charité)

Depuis le chapitre 7 de l’épître, Paul répond aux questions que les Corinthiens lui ont adressées par écrit. Au chapitre 12, il tentait de classer les ministères, « les charismes », parce qu’à l’évidence, les ministres se jalousent entre eux et sèment la division. Le chapitre 14 soulignera la supériorité de la « prophétie », édification de la communauté à partir des Saintes Écritures, sur l’aspect clinquant du parler en langues. Auparavant, pour introduire ce message, l’Apôtre prend une hauteur lyrique dans ce qu’on appelle « l’hymne à la charité » : la *charité dépasse tous les services ecclésiaux ; elle est offerte à tout croyant comme le « charisme » fondamental, le don suprême de la grâce divine.
Paul recourt ici à un genre grec appelé « éloge de la plus haute vertu » (comparer Sagesse 7, 22 – 8, 1). La 1ère strophe se construit sur l’expression « j’aurais beau ». La connaissance des langues, avec le don de la prétendue langue des anges dit « glossolalie », la prophétie et la science des mystères divins, jusqu’à une foi miraculeuse et même l’ostentatoire distribution des biens aux affamés, tout cela ne vaut rien en l’absence de l’amour.
La 2e strophe personnifie l’Amour auquel 15 verbes donnent les plus hautes qualités d’humilité, de calme, de désintéressement et de totale patience.
La 3e strophe compare le temps présent dans lequel les Corinthiens surévaluent des donc transitoires (la prophétie, le parler en langues), aux temps futurs, l’état adulte qui aura pour repère définitif la vraie connaissance qui consiste dans les trois vertus : la foi, l’espérance et la charité. « Ce qui demeure » : sous la plume de Paul ce verbe signifie ce qui ne disparaitra jamais. Même dans le face-à-face avec Dieu, demeureront la foi comme confiance en lui et l’espérance comme aspiration sans cesse ravivée envers ses dons inépuisables ; mais la plus grande des vertus est la charité. Connaître vraiment, c’est aimer, comme Paul l’a souligné plus haut (1 Corinthiens 8, 1-2)

*Amour ou charité ? Il est difficile de traduire le mot grec agapè employé par Paul. Le mot charité tend à se dévaluer (« faire la charité ») et l’amour, dans l’usage courant, s’assimile trop souvent à l’affectivité, voire à la sensualité. Or, l’agapè, dans le Nouveau Testament, dépasse les variations saisonnières de l’affectivité. Dieu nous a aimés le premier et nous l’a prouvé dans le don de soi que fit le Christ sur la croix. En retour, la charité fraternelle, dépassant gratuitement les affinités familiales et sociales, prouve que nous commençons à comprendre l’amour gratuit de Dieu pour le monde (Jean 3, 16) et à en rendre témoignage.

 

Luc 4, 21-30 (Jésus, comme Élie et Élisée, n’est pas envoyé aux seuls Juifs)

Cette page d’évangile livre la suite de la scène commencée dimanche dernier, à savoir la prédication inaugurale de Jésus dans la synagogue de Nazareth, après son baptême et sa mise à l’épreuve au désert. Cet épisode, propre à saint Luc, permet à l’évangéliste de tracer le programme de son évangile et même des Actes des Apôtres.
Selon le scénario (« cette parole de l’Écriture [= Isaïe 61, 1-2], c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit »), Jésus prononce une homélie dont nous n’avons que la conclusion, due à un revirement de l’auditoire, aussi brusque que subtil sous la plume du narrateur. L’accueil est d’abord favorable : « Tous lui rendaient [un bon] témoignage ». La suite tourne à l’aigre. Si, en effet, le lecteur chrétien (nous !) reconnaît « le message de grâce » livré par Jésus, les Nazaréens, eux, « s’étonnent ». Le verbe peut signifier aussi « admirer » ; mais, chez Luc, le verbe a souvent le sens d’une incompréhension, Le scepticisme se précise par une question : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Le lecteur chrétien, lui, sait depuis la scène du baptême que Jésus est Fils de Dieu, mais pas l’auditoire de la synagogue.
La réponse de Jésus, à travers deux proverbes, précise un malentendu complexe et contradictoire. D’une part, en tant que « fils de Joseph », de classe très moyenne, comment ce prédicateur prétend-il accomplir les Saintes Écritures ? Mais, d’autre part, s’il a des talents de prophète et de guérisseur, pourquoi les exercer à Capharnaüm, et non dans sa propre patrie ? Luc s’exprime ici selon la culture grecque : Quiconque a de merveilleux pouvoirs doit d’abord en faire bénéficier sa cité d’origine. On lui dresserait une statue et la ville y gagnerait en célébrité.
L’affrontement permet à Jésus de préciser sa mission, comparée à celle d’*Élie et d’Élisée. Ces deux prophètes avaient exercé leur ministère hors d’Israël, en Samarie. Le premier avait ressuscité le fils de la veuve de Sarepta (1 Rois 17, 17-24), le second avait purifié l’officier syrien de sa lèpre (2 Rois 5). Certes, c’est en Israël que Jésus ressuscitera le fils d’une veuve (Luc 7, 11-17), mais il louera un « bon Samaritain » (Luc 10, 29-37), un étranger et, dans l’épisode des dix lépreux guéris, le Samaritain seul se montrera reconnaissant (Luc 17, 15-18).
L’épisode de la synagogue devient tragique. Les auditeurs de la synagogue semblent comprendre que leur privilège de Peuple élu est battu en brèche par le programme universel de Jésus. Luc ignore que Nazareth n’est pas bâtie sur un « escarpement », mais il a besoin de ce relief pour signifier un projet de lapidation. En effet, les règles juives de la lapidation consistaient à précipiter le condamné depuis une hauteur et à l’achever à coups de pierres s’il n’était pas encore mort. En d’autres termes, les Nazaréens veulent exécuter Jésus comme faux prophète (comparer Luc 13, 34).
Le dénouement est étonnant : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait (son chemin). » Au vrai, nous devons passer de l’étonnement à l’émerveillement face au génie de l’évangéliste. En effet, par cette phrase, la caméra de Luc sort du champ d’un fait divers pour embrasser toute la destinée de Jésus et de sa Bonne Nouvelle. « Passant au milieu d’eux » : cette expression deviendra, dans le discours de Pierre chez Corneille, un résumé de la mission terrestre de Jésus : « Lui qui a passé en faisant le bien » (Actes 10, 38). « Il allait (son chemin) » : ce verbe annonce le moment décisif et solennel où Jésus commence son voyage vers Jérusalem, verset qui se traduit ainsi, de manière littérale et rugueuse : « Il arriva, comme s’accomplissaient les jours de son enlèvement, que lui-même endurcit sa face pour aller vers Jérusalem » (Luc 9, 51). Il ira vers Jérusalem pour son « enlèvement », c’est-à-dire à la fois sa mort et son Ascension qui ouvriront l’annonce universelle de l’Évangile.
La dimension universelle de la Bonne Nouvelle n’est jamais une évidence, mais un drame, aujourd’hui encore. Pour honorer cette dimension, il nous faut, sans prétention, renoncer à nos privilèges de « bien-pensants » et savoir reconnaître l’accueil des valeurs évangéliques par des personnes et des groupes les plus inattendus. Ce drame de l’ouverture, les premiers chrétiens l’auront vécu dans la tension entre l’Église et le monde juif. La véritable conclusion de l’épisode de Jésus à la synagogue se trouve dans la déclaration finale de Paul à l’adresse des Juifs de Rome : « Sachez-le : c’est aux païens qu’a été envoyé ce salut de Dieu. Eux, ils écouteront » (Actes 28, 28).

*Élie. Au temps de saint Luc, Élie n’est pas seulement le prophète antique, mais celui dont le judaïsme attendait le retour pour la fin des temps (lire Malachie 3, 23-24). La tradition évangélique a vu en Jean Baptiste ce nouvel Élie (voir Matthieu 17, 9-13). Luc, lui, a contesté cette interprétation et a vu en Jésus lui-même le nouvel Élie, notamment en raison du caractère universel, depuis la Samarie jusqu’au bout du monde (Actes 1, 8), de son Évangile.




Quatrième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

L’Esprit Saint rend témoignage à Jésus (Lc 4,21-30)

 

En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” »
Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère.
Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux.

Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

ste trinité « Dieu est Amour », nous dit St Jean (1Jn 4,8.16), une affirmation valable pour chacune des Trois Personnes divines : le Père, le Fils et l’Esprit Saint…
Le Père est donc Amour : « Le Père aime le Fils et il a tout donné, il donne tout, en sa main » (Jn 3,35). C’est peut-être de ce verset que Ste Thérèse de Lisieux s’est inspirée lorsqu’elle a écrit : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même », un principe à appliquer pour Dieu au pied de la lettre… Le Père est Lumière ? Il aime le Fils et lui donne tout : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15). Le Fils sera donc lui aussi « Lumière » en tant qu’il est « Lumière né de la Lumière », et cela « avant tous les siècles »…
Mais si « Dieu est Amour » et si le Fils est « vrai Dieu né du vrai Dieu », il sera donc lui aussi Amour. Sur la base de ce Don qu’il reçoit du Père, il va donc aimer, et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même »… Le Père aime, il se donne, il engendre le Fils… Le Fils unique-engendré aime, il se donne et du Don du Père et du Fils « procède » « l’Esprit Saint qui est Seigneur » et qui « reçoit même adoration et même gloire » comme nous le confessons dans notre Crédo. Le Fils est « de même nature que le Père » en tant qu’il se reçoit du Père depuis toujours et pour toujours ? Il en sera de même de « l’Esprit Saint » en tant qu’il se reçoit, Lui, du Père et du Fils depuis toujours et pour toujours…
Mais si « Dieu est Amour », l’Esprit Saint lui aussi est « Amour », et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ». L’Esprit Saint Personne divine est donc tout entier Don de Lui-même, de ce qu’il est en Lui-même. Or, « Dieu est Esprit », nous dit Jésus (Jn 4,42), et « Dieu est Saint » (Lv 11,44). Notons ici, à la différence du nom propre « Esprit Saint » qui désigne une Personne divine unique, que les deux mots « Esprit » et « Saint » sont employés en tant que nom commun et adjectif pour nous dire ce que Dieu est en lui-même : sa nature divine… « L’Esprit Saint » Personne divine donne donc « l’Esprit Saint » nature divine… « L’Esprit Saint se cache derrière ses dons » (P. Y. Congar).
Telle est toute l’œuvre de « l’Esprit Saint » Personne divine. Et c’est ainsi qu’il rend témoignage à Jésus. Le Fils nous parle de la Vie éternelle ? Au même moment, l’Esprit Saint nous donne cette Vie éternelle en nous communiquant « l’Esprit » nature divine, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63)… Quiconque ouvre son cœur à Jésus et à sa Parole, ne pourra donc qu’accueillir au même moment cet Esprit qui est Vie… Voilà ce qu’ont vécu ici les auditeurs de Jésus, et plus tard St Pierre : « Tu as les Paroles de la vie éternelle »…