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4ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

CE QUE PARLER VEUT DIRE

3ième dimanche ordinaire c1« Aujourd’hui, en vérité, cette parole de l’Écriture s’accomplit devant vous ». Tous étaient stupéfaits et disaient : « Mais celui-là n’est-il pas le fils de Joseph ? » Alors ils furent pris de fureur contre Lui.
Depuis plus d’un mois, depuis le jour de Noël, nous allons de fête en fête et d’extase en extase, le Christ se manifeste. Il naît comme un enfant. Les bergers viennent d’Orient et lui offrent leurs présents. Puis Il est manifesté à Israël, dans la voix de son Père : « C’est Lui mon Fils Bien Aimé ». Puis Il est manifesté à l’Église par la Vierge Marie : « Faites tout ce qu’Il vous dira ».
Dans toute cette cascade de fêtes, c’est en silence que nous contemplons le Verbe de Dieu. Il ne nous dit rien, Il est là. Sa présence physique charnelle au cœur de l’humanité, sa présence rayonnante qui commence à mettre en mouvement vers Lui toutes les nations parce qu’Il est le Seigneur de l’humanité, attire les foules et les disciples qui sont témoins du Don de l’Esprit, et les invités de la noce qui sont témoins de la surabondante générosité de Dieu. En tout cela pratiquement pas une parole du Christ. Et voici qu’aujourd’hui, brusquement, le ton change, le Christ n’est plus simplement Celui que l’on voit, Celui que l’on regarde, Celui qui est tout simplement parmi nous. Voici qu’Il parle. Et le fait de « prendre la parole » comme on dit aujourd’hui, va bouleverser toute l’économie de ses relations avec ceux qui étaient pourtant les plus proches, les gens de son village, ceux qui le côtoyaient et l’appelaient « le fils de Jo-seph ».
On pourrait dire que, avec Jésus-Christ, il y a deux types, deux degrés de relation. Il y a la relation de la présence, Dieu est là : « Il a planté sa tente parmi nous ». Il vit au milieu des hommes. Il est la sagesse qui prend sa joie parmi les enfants des hommes. Et dans ce coude à coude quotidien, il ne se passe rien, tout juste quelques signes qui déclenchent dans le cœur de quelques hommes avertis prophétiquement une joie profonde, une reconnaissance qui constituent déjà les premiers balbutiements de la foi.
Alors curieusement se déchaîne tout un ensemble de comportements qui, de la part de ceux qui écoutent la voix du Fils de Dieu, la Parole de Jésus-Christ, adoptent des attitudes extrêmement bizarres et contradictoires. Pour ma part, c’est ainsi que j’interprète ce texte que nous lisons en ce jour et dans lequel nous voyons subitement la foule d’abord en admiration, tous sont en extase devant ce jeune prédicateur qui leur dit des choses si belles et qui explique si bien la Torah, et tout à coup lorsque la Parole se fait plus incisive et plus personnelle, elle devient comme le détonateur qui fait exploser un grondement de révolte, elle fait apparaître le refus de l’entendre, voire même le passage à la violence, à la menace, l’Évangile nous dit qu’ils voulaient le lapider.

Parole de dieu
Curieusement d’ailleurs, l’évangéliste note que Jésus passe au travers des rangs qui pourtant doivent être menaçants et qu’Il continue son chemin : la Parole de Dieu traverse l’assemblée malgré le mécontentement et la rage qui se lèvent dans le cœur de ces hommes. Qu’est-ce que cela veut dire ?
En réalité, avec Dieu nous avons nous aussi deux types de relations. Il y a la présence de Dieu, celle que l’on pourrait qualifier d’inoffensive. Il est là, Il ne nous dérange pas trop, Il ne dit rien, Il est d’une discrétion et d’un silence exemplaire. Ça ne nous empêche pas de continuer notre vie avec nos caprices, nos désirs et notre volonté propre, pour aménager les réalités de notre vie comme elles nous plaisent. Dans ce type de relation avec Dieu, il n’y a pratiquement aucun problème, tout va bien. Il se tait et nous continuons à bavarder entre nous et à considérer que la vie est notre affaire. Un peu d’action de grâce et de reconnaissance pour ce Dieu qui nous a donné ce don précieux de la vie ! Mais les relations sont d’une parfaite courtoisie ! On ne le dérange pas à condition qu’Il ne nous dérange pas. Cependant Dieu ne peut pas en rester là. Voici qu’Il parle, et l’exercice de la Parole est toujours un exercice dangereux.
dieu parleQu’est-ce que veut dire parler ? Vous le savez, depuis mai 1968, parler c’est s’exprimer. Quand on est ensemble, il ne faut plus qu’il y ait une parole magistrale qui tombe du haut de la chaire, mais au contraire il faut que se produisent une effervescence et un bouillonnement à la base par lesquels chacun s’exprime. On y trouvait d’ailleurs, dans les années qui ont suivi immédiatement cette époque, un plaisir profond. Chacun avait l’impression d’avoir « senti » quelque chose d’important, même si c’étaient des choses inexprimables. Et l’on faisait parler tout le monde, même les murs, en écrivant dessus des graffitis. C’était extraordinaire de voir toute cette société enthousiasmée par le seul désir de s’exprimer. Depuis cette mode a passé, on s’est un peu lassé. C’est normal parce qu’on n’avait peut-être moins de choses à exprimer qu’on ne pouvait le supposer. Peut-être d’ailleurs que cette expérience passagère nous a montré la misère et la pauvreté dans laquelle nous nous trouvions, alors que nous imaginions que du fond de ce cœur, nous allions, en nous exprimant, extraire des richesses et des trésors : en réalité, nous avons fait l’expérience de l’amertume de notre pauvreté. Mais dans la société où vivait Jésus, dans la tradition dans laquelle Il s’inscrivait, la parole ne servait pas tellement à s’exprimer. Il n’y avait pas de « phénomène de prise de parole ». Car la parole avait d’abord une valeur sacrée, une valeur de communion. La parole n’était pas simplement l’expression d’un sujet qui aurait voulu dire ce qu’il pensait, mais la parole était comme une force qui émanait de celui qui parlait, une force bien plus profonde et bien plus grande que celui-là même qui parlait. La parole c’était le pouvoir d’instaurer une communion, c’était la réalité même d’une force qui traversait celui qui prenait la parole en public et qui faisait l’unité de l’assemblée à qui elle était adressée.
Tel était le statut de la parole prophétique, de la parole lue dans la liturgie. Elle n’était pas l’émanation de l’expérience quotidienne, mais une Parole qui venait de Dieu et qui était offerte au peuple rassemblé. Écouter la Parole était d’abord une grâce, un accueil. La Parole ainsi proclamée devenait opératoire, active et transformait le cœur, elle commençait à convertir, à faire l’unité, à constituer le corps de ceux qui se rassemblent dans l’unité de l’appel de Dieu. La Parole à ce moment-là, manifestait une force et une efficience, qui lui conféraient une réalité presque tangible. Elle n’était pas simplement l’expression de la pensée d’un individu. Elle était le pouvoir qu’a Dieu d’opérer la convocation, l’Église. Car tel est le sens du mot Église, il veut dire « convocation ». Dans ce contexte, la Parole était le pouvoir de Dieu, la puissance de Dieu rassemblant son peuple.foule
Voilà donc ce qui s’accomplissait ce jour-là, en plénitude devant tous les habitants de Nazareth : le Christ Lui-même qui est la Parole de Dieu en personne, venait au-devant de son peuple et lui disait : « maintenant tout ce que Je vais dire et faire n’est que la mise en œuvre de la Parole qui doit vous rassembler ». Dieu ne vivait plus alors simplement dans une convivialité polie et glacée avec des gens qui étaient autour de Lui, mais par le simple fait qu’Il parlait. Il posait à chacun la question : « Veux-tu vivre en communion avec Moi ? Ou bien refuses-tu d’entrer dans le corps, dans l’assemblée que Je viens constituer pour vous, avec vous et parmi vous ? » Tel est le sens de la première prédication de Jésus à Nazareth. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Luc nous fait voir le réalisme de la Parole, ce n’est pas le message, mais l’appel et le pouvoir de convoquer, ce qui est infiniment plus fort. C’est la provocation de chacune des libertés des auditeurs de cette parole du Seigneur et la question est ainsi posée d’emblée : « Veux-tu entrer dans le jeu de la communion avec Dieu ? Ou au contraire, voudrais-tu refuser et continuer de vivre avec Dieu dans cette indifférence et cette coexistence pacifique un peu glacées qui ne te coûtent rien ? »
Ce que le Christ a dit ce jour-là ne se réduit pas simplement à des mots, c’était sa propre personne enracinée au milieu de l’assemblée des hommes et qui leur demandait : « Voulez-vous ne faire qu’un seul corps et qu’une seule chair avec moi ? Ou au contraire voulez-vous mener le jeu de votre solitude et de votre oubli de Dieu ? » Je crois que cette question nous est encore posée aujourd’hui.
AMEN




Quatrième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 31 janvier 2016)

Jérémie 1, 4-5.17-19 (« Je fais de toi un prophète pour les nations »)

La carrière prophétique de Jérémie commence vers l’an 627 et notre texte présente deux extraits du récit de sa vocation. Mais une *vocation se raconte souvent (et heureusement !) après coup, quand l’élu a expérimenté et compris à quelle mission Dieu l’avait appelé.
Jérémie constate que Dieu l’a choisi avant même sa naissance pour faire de lui un prophète pas comme les autres : « un prophète pour les nations ». Il parle au nom d’un Dieu qui exerce son action non seulement sur Israël, mais sur l’histoire de toutes les nations, et qui juge la conduite de tous les humains.
« Mets ta ceinture autour des reines », ne laisse pas pendre ton vêtement, car tu vas devoir te mettre au travail. « Lève-toi »… Chargé d’annoncer le jugement de Dieu contre un Israël impénitent, le prophète devra faire preuve de courage et subira de dures oppositions de la part des grands de son peuple ; on le jettera même dans une citerne (cf. Jérémie 38). Mais il découvrira qu’il n’a pas à trembler, sous peine de trahir le message du Dieu qui l’envoie et le « délivre » des complots ourdis contre lui. Faux espoir d’ailleurs, car Jérémie finira sa vie en Égypte, là où il ne voulait pas aller (Jérémie 43).
Dès son discours à la synagogue de Nazareth, Jésus se situe dans la lignée des prophètes dont l’action a débordé les frontières d’Israël. Dès ce moment, son peuple cherche sa perte ; mais Dieu le délivre, provisoirement, avant la croix, de ce danger qui l’empêcherait d’accomplir sa mission.

*Vocation et mission. La vocation de Jérémie s’inspire de celle de Moïse (Exode 3, 10-12). Mais c’est dès le sein de sa mère que Jérémie a été choisi et consacré par Dieu à son service. Si sa mission entre dans la catégorie des prophètes, sa vocation est un appel personnel qui fait de lui un prophète unique. De même, Paul revendiquera son rang d’apôtre (1 Corinthiens 9, 1-2), pour légitimer son travail missionnaire. Mais lorsqu’il évoque sa vocation propre (Galates 1, 15-16), c’est à la vocation de Jérémie qu’il se réfère (Jérémie 1, 5) et à celle du prophète Serviteur du Seigneur (Isaïe 49, 1), tous deux choisis dès le sein maternel. Tout croyant connaît cette tension entre le service d’Église qu’il exerce et son appel personnel reçu de Dieu.

 

Psaume 70 (« Toi, mon soutien dès avant ma naissance »)

Cette supplication livre sa clé au verset 9, omis légitimement par la liturgie de ce jour : Ne me rejette pas maintenant que j’ai vieilli ; alors que décline ma vigueur, ne m’abandonne pas.

Une première lecture

Au sein d’épreuves inhérentes à la vieillesse où l’on risque « d’être humilié pour toujours » en un monde devenu hostile, le poète biblique voit dans son Seigneur un rocher ferme, une forteresse, au-dessus de terrains mouvants et autres chaussées glissantes que redoute le troisième âge. L’espérance et la confiance du psalmiste s’appuient sur le souvenir d’une heureuse jeunesse fidèle à Dieu. L’auteur proclame – canne en main, imaginons-le ! – que le Seigneur a toujours été son appui, son soutien. Et cela en raison du projet divin d’accorder justice et salut à son futur fidèle, avant même sa naissance.
Ici se profile l’importance de la mémoire, la reconstruction par la mémoire d’une expérience, celle de la foi et de l’espérance. Au soir de sa vie, le psalmiste ne dit pas que la vieillesse est un naufrage ou que « c’était mieux avant ». Par une mémoire quasi juvénile, il contemple plutôt la fidélité du Seigneur à son égard, au long des ans : « Ma bouche annonce tout le jour », sans nostalgie, « tes actes de justice et de salut » qui m’accompagnent depuis ma jeunesse jusqu’à ma vieillesse.

La relecture liturgique de ce dimanche

Les psaumes, comme tout poème, se relisent sans cesse à travers l’histoire. Avec tous ses droits, la liturgie d’aujourd’hui détourne le sens originel du poème pour l’appliquer à la figure de Jérémie (1ère lecture). On ignore si celui-ci, traîné en Égypte contre son gré (Jérémie 42), a fait en ce pays « de vieux os ». Mais des rapprochements avec le psaume s’imposaient. Il a été choisi comme prophète dès le ventre maternel et appelé quand il était tout jeune, selon son objection, parallèle à celle de Moïse (Exode 4, 10) : « Ah, Seigneur mon Dieu ! Vois donc : je ne sais pas parler, je suis un gamin » (Jérémie 1, 6). C’est en tant que prophète, et non comme vieillard qu’il pouvait dire au Seigneur ; « Ma bouche annonce tout le jour tes actes de justice et de salut. » Il est invité à ne pas trembler dans sa difficile mission, à se considérer lui-même comme une forteresse, parce que, déclare le Seigneur, « je suis avec toi pour te délivrer ».
Bien sûr, tout chrétien, quelle que soit sa place dans l’Église et quels que soient son âge et ses épreuves peut s’approprier ce psaume et proclamer : « En toi, Seigneur, j’ai mon refuge. »

 

1 Corinthiens 12, 31 – 13, 13 (Hymne à la charité)

Depuis le chapitre 7 de l’épître, Paul répond aux questions que les Corinthiens lui ont adressées par écrit. Au chapitre 12, il tentait de classer les ministères, « les charismes », parce qu’à l’évidence, les ministres se jalousent entre eux et sèment la division. Le chapitre 14 soulignera la supériorité de la « prophétie », édification de la communauté à partir des Saintes Écritures, sur l’aspect clinquant du parler en langues. Auparavant, pour introduire ce message, l’Apôtre prend une hauteur lyrique dans ce qu’on appelle « l’hymne à la charité » : la *charité dépasse tous les services ecclésiaux ; elle est offerte à tout croyant comme le « charisme » fondamental, le don suprême de la grâce divine.
Paul recourt ici à un genre grec appelé « éloge de la plus haute vertu » (comparer Sagesse 7, 22 – 8, 1). La 1ère strophe se construit sur l’expression « j’aurais beau ». La connaissance des langues, avec le don de la prétendue langue des anges dit « glossolalie », la prophétie et la science des mystères divins, jusqu’à une foi miraculeuse et même l’ostentatoire distribution des biens aux affamés, tout cela ne vaut rien en l’absence de l’amour.
La 2e strophe personnifie l’Amour auquel 15 verbes donnent les plus hautes qualités d’humilité, de calme, de désintéressement et de totale patience.
La 3e strophe compare le temps présent dans lequel les Corinthiens surévaluent des donc transitoires (la prophétie, le parler en langues), aux temps futurs, l’état adulte qui aura pour repère définitif la vraie connaissance qui consiste dans les trois vertus : la foi, l’espérance et la charité. « Ce qui demeure » : sous la plume de Paul ce verbe signifie ce qui ne disparaitra jamais. Même dans le face-à-face avec Dieu, demeureront la foi comme confiance en lui et l’espérance comme aspiration sans cesse ravivée envers ses dons inépuisables ; mais la plus grande des vertus est la charité. Connaître vraiment, c’est aimer, comme Paul l’a souligné plus haut (1 Corinthiens 8, 1-2)

*Amour ou charité ? Il est difficile de traduire le mot grec agapè employé par Paul. Le mot charité tend à se dévaluer (« faire la charité ») et l’amour, dans l’usage courant, s’assimile trop souvent à l’affectivité, voire à la sensualité. Or, l’agapè, dans le Nouveau Testament, dépasse les variations saisonnières de l’affectivité. Dieu nous a aimés le premier et nous l’a prouvé dans le don de soi que fit le Christ sur la croix. En retour, la charité fraternelle, dépassant gratuitement les affinités familiales et sociales, prouve que nous commençons à comprendre l’amour gratuit de Dieu pour le monde (Jean 3, 16) et à en rendre témoignage.

 

Luc 4, 21-30 (Jésus, comme Élie et Élisée, n’est pas envoyé aux seuls Juifs)

Cette page d’évangile livre la suite de la scène commencée dimanche dernier, à savoir la prédication inaugurale de Jésus dans la synagogue de Nazareth, après son baptême et sa mise à l’épreuve au désert. Cet épisode, propre à saint Luc, permet à l’évangéliste de tracer le programme de son évangile et même des Actes des Apôtres.
Selon le scénario (« cette parole de l’Écriture [= Isaïe 61, 1-2], c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit »), Jésus prononce une homélie dont nous n’avons que la conclusion, due à un revirement de l’auditoire, aussi brusque que subtil sous la plume du narrateur. L’accueil est d’abord favorable : « Tous lui rendaient [un bon] témoignage ». La suite tourne à l’aigre. Si, en effet, le lecteur chrétien (nous !) reconnaît « le message de grâce » livré par Jésus, les Nazaréens, eux, « s’étonnent ». Le verbe peut signifier aussi « admirer » ; mais, chez Luc, le verbe a souvent le sens d’une incompréhension, Le scepticisme se précise par une question : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Le lecteur chrétien, lui, sait depuis la scène du baptême que Jésus est Fils de Dieu, mais pas l’auditoire de la synagogue.
La réponse de Jésus, à travers deux proverbes, précise un malentendu complexe et contradictoire. D’une part, en tant que « fils de Joseph », de classe très moyenne, comment ce prédicateur prétend-il accomplir les Saintes Écritures ? Mais, d’autre part, s’il a des talents de prophète et de guérisseur, pourquoi les exercer à Capharnaüm, et non dans sa propre patrie ? Luc s’exprime ici selon la culture grecque : Quiconque a de merveilleux pouvoirs doit d’abord en faire bénéficier sa cité d’origine. On lui dresserait une statue et la ville y gagnerait en célébrité.
L’affrontement permet à Jésus de préciser sa mission, comparée à celle d’*Élie et d’Élisée. Ces deux prophètes avaient exercé leur ministère hors d’Israël, en Samarie. Le premier avait ressuscité le fils de la veuve de Sarepta (1 Rois 17, 17-24), le second avait purifié l’officier syrien de sa lèpre (2 Rois 5). Certes, c’est en Israël que Jésus ressuscitera le fils d’une veuve (Luc 7, 11-17), mais il louera un « bon Samaritain » (Luc 10, 29-37), un étranger et, dans l’épisode des dix lépreux guéris, le Samaritain seul se montrera reconnaissant (Luc 17, 15-18).
L’épisode de la synagogue devient tragique. Les auditeurs de la synagogue semblent comprendre que leur privilège de Peuple élu est battu en brèche par le programme universel de Jésus. Luc ignore que Nazareth n’est pas bâtie sur un « escarpement », mais il a besoin de ce relief pour signifier un projet de lapidation. En effet, les règles juives de la lapidation consistaient à précipiter le condamné depuis une hauteur et à l’achever à coups de pierres s’il n’était pas encore mort. En d’autres termes, les Nazaréens veulent exécuter Jésus comme faux prophète (comparer Luc 13, 34).
Le dénouement est étonnant : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait (son chemin). » Au vrai, nous devons passer de l’étonnement à l’émerveillement face au génie de l’évangéliste. En effet, par cette phrase, la caméra de Luc sort du champ d’un fait divers pour embrasser toute la destinée de Jésus et de sa Bonne Nouvelle. « Passant au milieu d’eux » : cette expression deviendra, dans le discours de Pierre chez Corneille, un résumé de la mission terrestre de Jésus : « Lui qui a passé en faisant le bien » (Actes 10, 38). « Il allait (son chemin) » : ce verbe annonce le moment décisif et solennel où Jésus commence son voyage vers Jérusalem, verset qui se traduit ainsi, de manière littérale et rugueuse : « Il arriva, comme s’accomplissaient les jours de son enlèvement, que lui-même endurcit sa face pour aller vers Jérusalem » (Luc 9, 51). Il ira vers Jérusalem pour son « enlèvement », c’est-à-dire à la fois sa mort et son Ascension qui ouvriront l’annonce universelle de l’Évangile.
La dimension universelle de la Bonne Nouvelle n’est jamais une évidence, mais un drame, aujourd’hui encore. Pour honorer cette dimension, il nous faut, sans prétention, renoncer à nos privilèges de « bien-pensants » et savoir reconnaître l’accueil des valeurs évangéliques par des personnes et des groupes les plus inattendus. Ce drame de l’ouverture, les premiers chrétiens l’auront vécu dans la tension entre l’Église et le monde juif. La véritable conclusion de l’épisode de Jésus à la synagogue se trouve dans la déclaration finale de Paul à l’adresse des Juifs de Rome : « Sachez-le : c’est aux païens qu’a été envoyé ce salut de Dieu. Eux, ils écouteront » (Actes 28, 28).

*Élie. Au temps de saint Luc, Élie n’est pas seulement le prophète antique, mais celui dont le judaïsme attendait le retour pour la fin des temps (lire Malachie 3, 23-24). La tradition évangélique a vu en Jean Baptiste ce nouvel Élie (voir Matthieu 17, 9-13). Luc, lui, a contesté cette interprétation et a vu en Jésus lui-même le nouvel Élie, notamment en raison du caractère universel, depuis la Samarie jusqu’au bout du monde (Actes 1, 8), de son Évangile.




Quatrième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

L’Esprit Saint rend témoignage à Jésus (Lc 4,21-30)

 

En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” »
Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère.
Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux.

Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

ste trinité « Dieu est Amour », nous dit St Jean (1Jn 4,8.16), une affirmation valable pour chacune des Trois Personnes divines : le Père, le Fils et l’Esprit Saint…
Le Père est donc Amour : « Le Père aime le Fils et il a tout donné, il donne tout, en sa main » (Jn 3,35). C’est peut-être de ce verset que Ste Thérèse de Lisieux s’est inspirée lorsqu’elle a écrit : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même », un principe à appliquer pour Dieu au pied de la lettre… Le Père est Lumière ? Il aime le Fils et lui donne tout : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15). Le Fils sera donc lui aussi « Lumière » en tant qu’il est « Lumière né de la Lumière », et cela « avant tous les siècles »…
Mais si « Dieu est Amour » et si le Fils est « vrai Dieu né du vrai Dieu », il sera donc lui aussi Amour. Sur la base de ce Don qu’il reçoit du Père, il va donc aimer, et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même »… Le Père aime, il se donne, il engendre le Fils… Le Fils unique-engendré aime, il se donne et du Don du Père et du Fils « procède » « l’Esprit Saint qui est Seigneur » et qui « reçoit même adoration et même gloire » comme nous le confessons dans notre Crédo. Le Fils est « de même nature que le Père » en tant qu’il se reçoit du Père depuis toujours et pour toujours ? Il en sera de même de « l’Esprit Saint » en tant qu’il se reçoit, Lui, du Père et du Fils depuis toujours et pour toujours…
Mais si « Dieu est Amour », l’Esprit Saint lui aussi est « Amour », et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ». L’Esprit Saint Personne divine est donc tout entier Don de Lui-même, de ce qu’il est en Lui-même. Or, « Dieu est Esprit », nous dit Jésus (Jn 4,42), et « Dieu est Saint » (Lv 11,44). Notons ici, à la différence du nom propre « Esprit Saint » qui désigne une Personne divine unique, que les deux mots « Esprit » et « Saint » sont employés en tant que nom commun et adjectif pour nous dire ce que Dieu est en lui-même : sa nature divine… « L’Esprit Saint » Personne divine donne donc « l’Esprit Saint » nature divine… « L’Esprit Saint se cache derrière ses dons » (P. Y. Congar).
Telle est toute l’œuvre de « l’Esprit Saint » Personne divine. Et c’est ainsi qu’il rend témoignage à Jésus. Le Fils nous parle de la Vie éternelle ? Au même moment, l’Esprit Saint nous donne cette Vie éternelle en nous communiquant « l’Esprit » nature divine, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63)… Quiconque ouvre son cœur à Jésus et à sa Parole, ne pourra donc qu’accueillir au même moment cet Esprit qui est Vie… Voilà ce qu’ont vécu ici les auditeurs de Jésus, et plus tard St Pierre : « Tu as les Paroles de la vie éternelle »…

 




Troisième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 24 janvier 2016)

Néhémie 8, 1-4a.5-6.8-10 (Le peuple de Dieu redécouvre la Parole)

Grandiose scène du Livre ! C’est la fête des Tentes, au septième mois, celui du nouvel an religieux. Tout Jérusalem s’assemble près d’un portail du palais royal pour entendre la Parole. Mais c’est une fête exceptionnelle, résultat d’une longue histoire, et dans un contexte peu clair.

Le cadre historique supposé par l’auteur biblique

À partir de 538, certains exilés de Babylone revinrent en Judée. Mais leur élan religieux fit long feu. Aussi, entre 445 et 398, deux réformateurs juifs vinrent de Babylone : Esdras, un prêtre versé dans les écrits mosaïques, et Néhémie, un gouverneur laïc. On ignore si les deux personnages travaillèrent jamais ensemble. Mais leur réforme réussit en partie. Elle visait, avec l’aval du gouvernement perse, à régler la vie de la Judée, sous l’égide de la Loi de Moïse comme constitution politique légitime.

La scène symbolique d’un nouveau départ de la communauté des croyants

La présente scène solennise cet engagement : on y sent quelque tristesse, celle d’avoir été infidèle aux commandements, et la joie de repartir à neuf avec Dieu. La joie du Seigneur est notre rempart, dit le texte : Jérusalem s’est déjà reconstruit une muraille, un rempart, mais encore bien fragile et le Temple reconstruit, telles chez nous les églises reconstruites après la Guerre, n’a plus la splendeur de celui de Salomon, mais la fidélité du Seigneur envers son peuple, quels que soient les constructions de clochers et autres minarets, est la meilleure des protections et des remparts.
Dans cette scène grandiose profile déjà *l’office synagogal du temps de Jésus. C’est, selon saint Luc, lors d’un office de la synagogue de Nazareth (évangile), un jour de sabbat, que Jésus proposera à son peuple une route nouvelle.

Quand des églises rurales ou urbaines sont « désaffectées », voire démolies, quel avenir construisent, dans l’espérance, les communautés concernées ? Églises détruites au Proche Orient…, transformées en mosquées ailleurs…

*L’office synagogal. Dans la scène de Néhémie 8, l’auteur a en tête le scénario d’un office à la synagogue, le matin du sabbat. Le lecteur (Esdras) lit la Loi sur l’estrade qu’on appellera la chaire de Moïse (Matthieu 23, 2-3). On commence par des bénédictions et des prières (Quand il ouvrit le livre…). Puis vient la lecture. Esdras lisait un passage…, c’est-à-dire le texte hébreu; les lévites traduisaient, en araméen, qui était la langue du peuple – et cette traduction s’appelait le targoum ; et ils donnaient le sens : c’est l’homélie.

Psaume 18B (« La loi du Seigneur est parfaite »)

Ce psaume 18B appartient à un poème qui chante d’abord (psaume 18A) la création divine qui est un récit silencieux pour l’homme : « Pas de voix dans ce récit, pas de voix qui s’entende. » (verset 4). Mais le soleil de la création prend lumière et voix (Psaume 18B) dans la Loi, la Parole, que Dieu offre aux croyants.
Bien entendu, ce psaume 18B fait aujourd’hui écho à la redécouverte de la Loi, de la Parole de Dieu chez les croyants juifs revenus de l’exil de Babylone. Nous notons les termes par lesquels le poète évoque cette Parole divine : charte, préceptes, commandements, décisions. Ajoutons ses effets. Cette parole redonne vie ; elle rend intelligents les moins instruits ; elle réjouit le cœur, rend clair le regard sur le quotidien et sur le monde. Du point de vue moral, elle inspire la justice et l’équité. Elle suscite, chez ceux qui la reçoivent, la joie, l’intelligence, la crainte respectueuse. D’où le murmure du croyant apaisé qui récite la Loi s’appuie sur le roc et son défenseur qu’est Dieu.
Le lectionnaire a sauté cette expression du psaume : « Les décisions du Seigneur sont (…) plus savoureuses que le miel qui coule des rayons. » On comprend cette omission. De nos cinq sens, les chants liturgiques d’aujourd’hui les plus beaux évoquent la vue, l’ouïe, le toucher (« la main »). Mais où sont le goût (du miel !) et l’odorat (« la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement », Psaume 44, 9) ? Le sentir et le goûter entrent aussi dans l’expérience symbolique de la foi.

 

1 Corinthiens 12, 12-30 (Diversité des membres dans l’unité du corps du Christ)

Nous avons vu dimanche dernier à quel problème Paul répond en 1 Corinthiens 12. Pour conjurer les divisions dans l’Église de Corinthe, il recourt à présent à l’image du corps :
1. Notre corps est la figure qui unifie nos membres ; de même le Christ : lui seul unifie en lui les chrétiens de toute condition sociale, grâce à l’Esprit reçu dans le baptême et l’eucharistie.
2. Le corps n’est pas un seul membre… Paul insiste sur la nécessaire diversité des *membres et leur interdépendance. Puis il souligne ceci (Bien plus, les parties du corps …) : si nous vêtons décemment nos membres dits « honteux » (les parties génitales), honorons aussi les membres les plus fragiles de la communauté et vivons un soutien mutuel qui manifeste l’unité du corps du Christ.
3. Concrètement, parmi ceux que Dieu a placés dans l’Église au service de ses membres, il y a les trois ministères de la Parole (apôtre, prophète, enseignant), puis divers services. En queue, Paul met à dessein le « parler en langues » (en langage mystérieux ; voir 1 Corinthiens 14, 2.23), parce que les Corinthiens ont une admiration exagérée pour ce phénomène.
Tout le monde ne fait pas tout ! Pour Paul, l’unité ne réside pas dans l’uniformité, mais dans la reconnaissance mutuelle des dons de Dieu à son Église. Une lecture détaillée de la liste des ministères montre que ceux-ci répondent aux besoins fondamentaux de tout groupe humain : le sens de l’unité, le souci de l’objectif et l’attention aux faibles.

*Le corps et les membres. Au 5e siècle avant notre ère, la plèbe de Rome se révolta contre le Sénat jugé improductif et nuisible pour les basses couches du peuple. Le consul Ménénius Agrippa résolut le conflit en racontant la fable des membres et de l’estomac, reprise souvent depuis (cf. La Fontaine), à savoir, sans le gouvernement (le cerveau, dirait-on aujourd’hui !), les pauvres seraient encore plus pauvres. Paul connaît cet apologue. Mais, pour lui et contre la simple interprétation politique de la fable, les chrétiens sont membres les uns des autres parce qu’ils sont ensemble corps du Christ : leur unité ne vient pas d’une complémentarité sociale, mais du fait que tous et chacun, quelles que soient leurs classes sociales, appartiennent au Christ, à égalité – qu’ainsi soit-il !


Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21 (« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture »)

Nous entendons d’abord *le Prologue de Luc (Luc 1, 1-4) ; car aujourd’hui commence la lecture suivie de cet évangéliste (avant l’entrée en Carême). On saute ensuite au discours inaugural de Jésus dans la synagogue de Nazareth (Luc 4), le jour du sabbat. Mais nous ne lisons que la première partie de la scène : la suite viendra dimanche prochain !

Le cadre : une première tournée en Galilée

Selon le prélude à ce sabbat, Jésus entreprend en Galilée une brillante tournée et sa tribune favorite, comme celle des apôtres plus tard, est la synagogue, lieu central de la vie juive. C’est « avec la puissance de l’Esprit » que Jésus inaugure sa mission, l’Esprit qui s’est emparé de lui au baptême (Luc 3, 22) et l’a conduit au désert pour y être mis à l’épreuve, au seuil de sa mission (4, 1). Quel est cet Esprit qui marque tant les débuts de Jésus ? À cette question répond la scène de la synagogue de Nazareth.

La mise en scène de l’office synagogal du sabbat

En Terre sainte, on lisait d’abord, en hébreu, un passage de la Loi de Moïse et sa traduction dans la langue vivante, l’araméen. Puis venait un petit texte tiré des prophètes éclairant le passage de la Loi. On passait alors à l’homélie. Au temps de Jésus, n’importe qui pouvait, à l’invitation du chef de la synagogue, faire la lecture et l’homélie, et le choix des textes bibliques était assez libre. Jésus s’arrête à Isaïe 61, 1-2. Il aurait donc déroulé presque tout le rouleau d’Isaïe qui comporte 66 chapitres : c’est bien un choix. Ensuite, il prononcera l’homélie (cf. dimanche prochain).

Une lecture du livre d’Isaïe

Le texte d’Isaïe 61, 1-2 (« l’Esprit du Seigneur est sur moi ») présentait la vocation d’un prophète qui recevrait l’onction de l’Esprit pour proclamer une Bonne Nouvelle (un « évangile ») de libération en faveur des pauvres et de tous ceux qui considèrent leur vie comme un cachot sans lumière. Bien sûr, c’est l’évangéliste qui reconstruit cette scène pour nous expliquer quelle est la mission de Jésus. C’est aussi pourquoi il n’hésite pas à supprimer la promesse « du jour de vengeance » que l’on trouve en Isaïe 61, 2. « L’annonce d’une année de bienfaits accordée par le Seigneur » est une allusion à l’institution juive de l’année jubilaire (tous les 49 ans, voir Lévitique 25, 10-13) en laquelle les dettes étaient remises, les esclaves libérés, les captifs amnistiés. Jésus vient inaugurer une sorte d’année jubilaire définitive.

Le Seigneur m’a oint

Dans l’Ancien Testament, trois personnages peuvent être appelés « messies », c’est-à-dire oints, consacrés par l’Esprit en vue d’une fonction et d’une mission : le roi d’Israël, le grand prêtre, le prophète. Pour saint Luc, Jésus sera consacré comme messie royal par son Ascension auprès du Père (voir Actes 2, 36). Durant sa vie terrestre, il est messie en tant que prophète envoyé aux pauvres, à ceux qui sont opprimés par la société ou par leur propre conduite de pécheurs. Nous savons à présent que l’Esprit apparu au Jourdain pour investir Jésus est celui qui anime les prophètes. Oui, « aujourd’hui », jusque dans notre aujourd’hui, avec les actes et les paroles à venir de Jésus, la prophétie d’Isaïe 61,1-2 « s’accomplit », trouve sa pleine réalité. Dimanche prochain, en effet, nous découvrirons que la mission de ce prophète-messie déborde les frontières d’Israël.

*Le Prologue de l’Évangile de Luc 1, 1-4. En rédigeant ses quatre premiers versets à la manière des prologues aux traités scientifiques ou historiques des auteurs de son temps, Luc fait entrer l’Évangile dans la grande littérature. Comme dans ces prologues, il s’adresse à un destinataire, Théophile, un païen devenu chrétien, qui a peut-être une place en vue dans l’Empire, à moins qu’il ne s’agisse, comme il arrivait dans cette manière d’écrire, d’un personnage fictif représentant tous les lecteurs (vous et moi !). Luc, il le précise lui-même, ne fait pas partie des « témoins oculaires », les apôtres, qui devinrent ensuite des prédicateurs, « serviteurs de la Parole », comme le raconteront les Actes des Apôtres. Il appartient à la seconde génération chrétienne. Il travaille sur les traditions qu’ont « transmises » les premiers témoins « dès le commencement », c’est-à-dire, selon la pensée de Luc, depuis le baptême de Jésus par Jean, véritable commencement de l’Évangile (voir Actes 10, 37 – les récits de l’enfance de Jésus sont, pour Luc, une préface). L’évangéliste se propose d’écrire « un exposé suivi », non point tant chronologique que théologique, pour montrer comment, avec le Christ, Dieu est intervenu dans notre histoire. L’Évangile n’est pas un reportage, mais un murissement de la foi des premières générations chrétiennes.




Troisième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

La Bonne Nouvelle du Pardon (Lc 1,1-4 ; 4,14-21)

Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous,
d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole.
C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi,
afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus.
Lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région.
Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge.
Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

3ième dimanche ordinaire c1 

Au baptême de Jésus, son Mystère de Fils avait commencé à se révéler : « Le ciel s’ouvrit, et l’Esprit Saint descendit sur lui », un Esprit donné en fait depuis toujours et pour toujours par le Père qui l’engendre ainsi en Fils, « né du Père avant tous les siècles, Dieu né de Dieu »… « L’Esprit du Seigneur est sur moi », dit-il ici en citant le prophète Isaïe…
Comblé de toute éternité par le Père, le Fils ne va pas cesser de lui rendre témoignage. « Jésus tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint et dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre » (Lc 10,21-22)… Ah, « si tu savais le Don de Dieu ! » (Jn 4,10). « Je vis par le Père », car « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,57.63)… « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22) ! Telle est « la Bonne Nouvelle » de ce Dieu Père, Amour et Don de Lui-même qu’il est venu nous révéler afin que nous vivions nous aussi, dès maintenant et le plus pleinement possible, de cette Vie qui ne cesse de jaillir du Père de toute éternité…
Mais en se détournant de Dieu, l’humanité a abandonné sa Source de Vie (Jr 2,13), et elle s’est privée elle-même de cette Plénitude de Vie que Dieu veut voir régner dans tous les cœurs (Rm 3,23). Que ses enfants ne soient pas pleinement heureux, qu’ils connaissent la souffrance, l’angoisse, la détresse par suite de leurs fautes (Rm 2,9), voilà ce que Dieu ne supporte pas : « Dieu a tant aimé le monde… qu’il a envoyé son Fils dans le monde non pas pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui… Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (Jn 3,16-17 ; 1Tm 2,4-6).
Toute la mission du Fils est donc de travailler à cette réconciliation des hommes avec Dieu en leur offrant gratuitement, par amour, le pardon de toutes ces fautes par lesquelles ils se sont eux-mêmes privés de la Plénitude de sa Vie (Rm 6,23). Serons-nous assez « pauvres » de cœur pour reconnaître nos misères ? Ne sommes-nous pas tous « prisonniers » de tel ou tel mal qui nous « opprime » en fait, en ne nous apportant jamais le bonheur espéré ? Lui, il est venu nous offrir la « libération », la « liberté », un même mot grec, ἄφεσις, répété ici deux fois et qui partout ailleurs sera traduit par « pardon » (Lc 1,77 ; 3,3 ; 24,47)… L’accepterons-nous en vérité ? Car « celui qui fait la vérité » sur ses misères « vient à la Lumière » du « Père des Miséricordes » qui « exerce la Miséricorde en rayonnant de joie », heureux de ce vrai Bonheur qu’il sait pouvoir nous donner pour notre plus grande joie (Jn 3,21 ; 2Co 1,3 ; Rm 12,8 ; So 3,16-18 ; Jn 15,11 ; 17,13) ! DJF




Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 17 janvier 2016)

Isaïe 62, 1-5 (Les noces de Dieu et de son peuple)

Ce texte est déjà proposé, chaque année, pour la Vigile de Noël. Pour rebâtir une relation d’amour, il ne suffit pas que l’offenseur reconnaisse ses torts. Il faut aussi que l’offensé assume le risque d’un recommencement. Les prophètes de l’exil à Babylone soulignaient les torts d’Israël dans la rupture avec Dieu. Les prophètes du Retour (ici celui qu’on appelle le Troisième Isaïe) proclament que le Seigneur épouse à nouveau son Peuple vu sous les traits d’une jeune épouse.
La première partie du poème annonce la restauration de Jérusalem, œuvre de la *justice de Dieu amenant un rayonnement international, une renaissance (un nom nouveau) et une promotion royale : le Seigneur tournera entre ses doigts la couronne nuptiale qui représente les remparts et les tours de la Ville. La seconde partie précise l’origine de cette nouveauté : c’est la recréation de l’Alliance, sous l’image des noces dans lesquelles Dieu se refait jeune homme et rend à l’épouse sa propre jeunesse.
Nul reproche à l’Infidèle ! Il y eut un temps pour le délaissement, le désert et les reproches ; il y a un temps pour le renouveau. La suite du poème, non retenue ici (v. 9), ajoute l’image du vin de la fête : « Les vendangeurs boiront le vin, dans mes parvis sacrés. » La nouvelle Alliance nuptiale promise, Jésus la réalise pour nous, inaugurée par le récit symbolique des noces de Cana (évangile)..

*La justice de Dieu n’est pas un « jugement ». Dieu est juste envers lui-même quand il réalise son projet de nous sauver. Ainsi le poème ajoute deux synonymes à la justice : le salut – et la gloire, c’est-à-dire le rayonnement bienfaisant de Dieu). Et puisque le pécheur ne mérite pas la justice de Dieu, celle-ci équivaut au pardon de Dieu : « Dans ta justice écoute mes appels… N’entre pas en jugement avec ton serviteur… » (Psaume 142, 1 s.). Telle fut la découverte d’Israël, et le pivot de la pensée de saint Paul.

Psaume 95 (« Le Seigneur est roi »)

De ce psaume, la liturgie d’aujourd’hui retient quatre strophes. Il appartient à une collection de sept poèmes qui célèbrent la royauté de Dieu et que pour cette raison on appelle « les psaumes du Règne ». Ce sont, selon la numérotation liturgique, les psaumes 46, 92, 94 à 98. Ils comportent généralement la formule « le Seigneur est roi » (ici dans la dernière strophe), que l’on peut traduire aussi « le Seigneur est devenu roi ». Car il s’agissait, dans les cours orientales, d’une acclamation « Untel est devenu roi ») saluant, au son du cor, l’intronisation d’un nouveau souverain (voir 2 Samuel 15, 10). Bien entendu, dans les « psaumes du Règne », personne n’intronise Dieu comme roi. C’est lui-même qui s’affirme et se révèle comme tel.
Ce poème est un des quelques psaumes où les vers vont trois par trois. D’ordinaire ils vont deux par deux, selon, techniquement parlant, un « parallélisme binaire ». Ici, le troisième vers ne fait qu’ajouter un surcroit de solennité au texte. Faites l’expérience : lisez chaque strophe en supprimant le troisième vers, et vous verrez que le sens ne change pas.
Le présent « psaume du Règne » invite à chanter un chant nouveau, parce que le Seigneur fait du neuf ? a fait du neuf ? va faire du neuf ? La plasticité des conjugaisons grammaticales dans la langue hébraïque permet de comprendre le texte simultanément dans ces trois perspectives temporelles. La nouveauté que l’on doit chanter, c’est le salut de Dieu, sa gloire, ses merveilles. La terre entière, tous les peuples, toutes les nations, les familles des peuples doivent s’associer à cette louange, car le règne de Dieu les concerne tous. Depuis toujours (passé) des païens, attirés par la splendeur du Temple, venaient en pèlerinage à Jérusalem. Déjà le Seigneur était ainsi leur roi. Le Peuple élu revient d’exil (présent) ; c’est aux yeux des nations la preuve de la puissance royale du Seigneur dans les événements politiques du monde. Un jour (futur), le Seigneur règnera vraiment sur toutes les familles des peuples. Passé, présent, avenir habitent simultanément la pensée et la sensibilité croyante du psalmiste.
Ces extraits du psaume veulent faire écho à la promesse de la restauration de Jérusalem (1èrelecture) : Les nations verront ta justice, tous les rois verront ta gloire, la gloire qu’apportera le Seigneur éblouissant de sainteté.

1 Corinthiens 12, 4-11 (« L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier »)

Chaque année (A, B, C), le temps ordinaire s’ouvre par une lecture semi-continue de la 1ère lettre aux, l’épître qui reflète au mieux la maanière dont saint Paul conçoit l’’Église, les relations au sein de l’Église. Cette année C, nous lisons la dernière partie de cette épître. L’Apôtre, chemin faisant, fait écho à des problèmes qui se répètent au long des âges.

Une situation trouble

La jeune Église de Corinthe gère mal ses indéniables richesses spirituelles. Lors des assemblées, ceux qui ont le don impressionnant de parler en langues inspirées par l’Esprit s’affichent comme des détenteurs privilégiés de l’Esprit Saint. Ceux qui assurent des fonctions moins spectaculaires s’en trouvent découragés, et cette compétition déchire l’unité de la communauté. Les Corinthiens ont écrit à Paul à ce sujet. La réponse couvre 1 Corinthiens 12 à 15 (extraits en ces 2e, 3e et 4e dimanches). L’Esprit Saint ne saurait vouloir ces déplorables rivalités.

Diversité et unité

Il faut lire et relire lentement, attentivement les trois phrases par lesquelles l’Apôtre introduit son raisonnement. C’est une mini-tapisserie aux fils très serrés. Les dons de la grâce (« charismes ») ont pour synonymes les services qui animent la communauté et les activités de ceux qui ont le sens de concret. Tout cela se manifeste en diverses personnes, de manière variée. Voilà la première trame de la tapisserie. Or, tout cela vient du même Esprit, du même Seigneur, du même Dieu (le Père). Telle est l’autre trame de la tapisserie. On comprend que, de manière subtile et ironique, l’attribution des charismes à l’Esprit, des services au Seigneur et des activités au Père sont dans la pensée de Paul une fausse répartition qui doit faire réagir le lecteur intelligent : on ne saurait diviser le rôle de ces trois instances divines qui veulent l’unité de leurs dons dans la diversité de ses manifestations. Mais, puisque certains membres de l’Église de Corinthe revendiquent le monopole de l’Esprit en raison de leur parler en langues mystérieuses, Paul va se concentrer sur la multipliciété des dons de cet Esprit.

Le riche marché des dons de l’Esprit

Aux uns de parler avec une sagesse qui guide la vie de leurs frères. À d’autres d’enraciner cette sagesse dans une connaissance, une intelligence explicite de l’Évangile. Aux uns de manifester leur foi de manière particulière et sans le vouloir ; à d’autres, stimulés par cet exemple, de traduire cette foi par des actes de guérison, voire par des miracles étonnants. À certains inspirés de prophétiser, d’expliquer dans l’assmbleée les Saintes Écritures ; à d’autres de discerner et de dire si leur interprétation est correcte. À d’autres enfin, le don de « parler en langues », ce qu’on appelle aujourd’hui la « glossolalie ». Hiérarchiquement, c’est pour Paul le dernier des charismes. Il n’a de valeur que s’il est interprété par les sages, par les hommes de foi reconnus pour tels, par les prophètes et leurs interprètes, danvantage catéchètes.

Le trépied : Évangile et Société

Dans ce subtil ballet entre les différents charismes dans l’Église, on repère, sans qu’il vaille la peine de s’attarder ici aux correspondances sociologiques, à savoir les trois instances différentes et les trois types de personnes qui, tel un trépied, assurent l’assise d’un groupe, d’une communauté et jusque dans les conseils municipaux (qu’un des trois pieds se casse, on tombe sur le cul !). Il y a ceux qui défendent mordicus l’objectif que s’est fixé le groupe, ceux qui sont plus sensibles à l’unité du groupe, malgré l’objectif fixé, et ceux qui veulent que le groupe tienne compte des faibles, de la minorité silencieuse. Ces rapprochements rappelés à-la-va-vite ont peut-être un intérêt, quand il s’agit des rapports entre l’Évangile selon Paul et la vie sociale.

*Les charismes. Le langage courant applique le mot charisme aux chefs qui s’imposent par des talents exceptionnels, cette autorité charismatique s’opposant aux institutions officielles gérant le quotidien. Rien de tel dans la pensée de Paul. Chez lui, le mot grec charisma signifie le don de la grâce de Dieu (Rm 5, 15-16) qui se spécifie en des manières de vivre (mariage ou célibat, 1 Co 7,7) ou en des services communautaires (Rm 12, 6; 1 Co 12). Ainsi, les charismes ne s’opposent pas à l’institution de l’Église : ils en sont l’âme.

Jean 2, 1-11 (les noces – la noce ? – de Cana)

En finale de ce récit, saint Jean caractérisera les Noces de Cana comme le commencement des signes de Jésus, la manifestation de sa gloire et le premier accès des disciples à la foi. Ces expressions si fortes suggèrent donc que ce simple épisode recèle en fait de très riches symboles, spécialement celui des *noces. Un terme finalement, difficile à traduire. Le lectionnaire introduit l’épisode en ces termes : Il y eut un mariage à Cana. Mais, autre traduction équivalente : « Il y eut une noce à Cana ». Notre tradition parle des Noces de Cana, au pluriel. Aurions-nous, dans notre langage d’aujourd’hui, quelque difficulté à distinguer entre « célébrer des noces » et « faire la noce » ?

La mère de Jésus

La mère de Jésus (Jean ne l’appelle jamais autrement) est interpellée en tant que Femme (comme au pied de la croix, Jean 19, 26). Elle représente Israël, figure féminine dans la Bible, mais cet Israël qui accueille Jésus et qui, au calvaire, sera confié au Disciple bien-aimé pour devenir l’Église (voir Jean 19, 25-27). Que me veux-tu ? Cette question marque une certaine distance. La mère de Jésus, l’Église, doit comprendre que l’Heure n’est pas encore venue, l’heure de la croix où se révélera le don total de l’amour de Dieu (Jn 19, 30.34) à travers l’effusion de l’eau, du sang et de l’esprit (ou l’Esprit). Mais la Femme anticipe cette heure par sa prière discrète qui nous vaut un premier signe. Tout ce qu’il vous dira, faites-le, demande-t-elle aux serviteurs. Elle relance ainsi l’engagement prononcé par Israël au pied du Sinaï : Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons (Exode 19, 8).

Le vin

Le vin, élément nécessaire à la fête, annonçait aussi dans la Bible la venue de Dieu ou de son Messie, une ère prospère où le vin coulerait à flots (voir Osée 2, 21-24 ; Isaïe 62, 9). Or, ce temps heureux est venu, signifié, dans le miracle, par l’équivalent de quelque 700 ou 800 bouteilles. Jean insiste sur le support de la merveille : six jarres de pierre destinées aux rites de purification, le chiffre six symbolisant l’imperfection (signe de l’époque de la pierre, c’est-à-dire des « cœurs de pierre », Ézékiel 36, 26). Ainsi Jésus comble de sa présence (jusqu’au bord !) l’histoire d’Israël parvenue à épuisement.

Qui est le marié ?

Au marié et au maître du repas revenait le soin de fournir la noce en vin. Les deux personnages sont de pales anonymes dans cet épisode et l’interpellation finale adressée au marié explique cet anonymat : le vrai maître du festin et le véritable Époux, encore ignoré des convives, est Jésus lui-même, comme le disent aussi les autres évangiles (voir Marc 2, 18-20). L’histoire sainte d’Israël avait déjà du vin à offrir, mais du moins bon. Dieu a gardé le bon vin jusqu’à maintenant, c’est-à-dire jusqu’à la manifestation de son Envoyé.

Le commencement des signes

Ses disciples crurent en lui, à commencer par la mère de Jésus qui s’affirme ici comme l’avant-garde des croyants. Cette foi, Jean ne la fonde pas sur un stock inespéré de bon vin, mais sur la capacité des lecteurs que nous sommes à saisir sous le récit les signes bibliques, inscrits dans les symboles de l’Ancien Testament, de la venue de Jésus. De la page de l’évangile, le lecteur d’aujourd’hui doit passer aux signes que le Seigneur continue d’opérer quand nous lui avouons nos manques de fête, de vie et de bonheur.

*Les noces. Les prophètes ont comparé à un mariage l’Alliance entre Dieu et son peuple. Mais souvent l’expérience du péché les ont conduits à considérer Israël comme une épouse infidèle (voir Ézékiel 16). C’est pourquoi ces noces devinrent objet d’espérance ; un jour, la tendresse divine restaurerait l’union bafouée : « Crie de joie, stérile… Ton créateur est ton époux… Comme une femme délaissée et accablée, le Seigneur t’a appelée » (Isaïe 54, 1-8 ; voir aussi la 1ère lecture).
Le Nouveau Testament voit dans l’œuvre de Jésus, surtout dans son triomphe pascal, la réalisation des noces espérées (l’Apocalypse de Jean parle des noces de l’Agneau, Apocalypse 19, 7; cf. 21, 2.9). Les évangélistes voient en Jésus lui-même l’Époux qui ouvre sur terre une ère de joie (Matthieu 9, 15), un époux qu’il faut encore attendre dans la vigilance (ibid., 25, 1-6), mais qui entretient déjà avec son Église des liens d’amour nuptial (Éphésiens 5, 25-32). Le mariage chrétien, quand il tient bon, veut témoigner de cette union de Dieu avec son peuple.




Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

« Le bon vin de l’Esprit » (Jn 2,1-12)


Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là.
Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres).
Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord.
Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent.
Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié
et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

 noce de cana4

Dans l’Evangile selon St Jean, le récit du miracle des noces de Cana inaugure le ministère public de Jésus. Et il ne cesse de faire allusion à sa fin : « Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée », un clin d’œil à la Résurrection, « le troisième jour selon les Ecritures » (1Co 15,4). « Femme, que me veux-tu ? », demande ici Jésus à Marie. Et elle disparaît ensuite de l’Evangile pour ne réapparaître qu’au pied de la Croix, où Jésus l’appelle à nouveau « Femme ». Mère du Fils, elle sera désormais la Mère de l’humanité que Dieu appelle au salut : « Femme, voici ton fils… Voici ta Mère » (Jn 19,25-27).
Le Don de Jésus à Cana est donc un signe visible, matériel, du Don spirituel invisible qu’il est venu offrir au Nom de son Père à l’humanité toute entière, un Don qui sera à nouveau évoqué par le signe visible du sang et de l’eau jaillissant de son cœur ouvert sur la Croix : « L’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19,31-37). Or, on croyait à l’époque que « la vie de la chair est dans le sang » (Lv 17,11). Le sang versé de Jésus renvoie donc à sa Vie éternelle de Fils, qu’il est venu offrir gratuitement à tout homme pour que sa vocation de « fils » puisse également s’accomplir. « Je suis venu pour qu’on ait la Vie, et qu’on l’ait surabondante… Va dire à mes frères : je monte vers mon Dieu et votre Dieu, vers mon Père et votre Père… Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint » » (Jn 10,10 ; 20,17-22)…
Au moment du baptême de Jésus, « le ciel s’ouvrit » et du ciel « descendit » du Père sur le Fils la Plénitude de « l’Esprit Saint », en révélation de ce Don éternel que le Père ne cesse de faire au Fils, un Don par lequel il « l’engendre » en Fils, « né du Père avant tous les siècles. » « Comme le Père a la Vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la Vie en Lui-même », par ce Don de « l’Esprit qui vivifie » (Jn 5,26 ; 6,63). Et sur la Croix, le cœur de chair de Jésus « s’ouvrit », et il en jaillit « du sang et de l’eau » en signe visible de ce cœur spirituel toujours ouvert du Fils d’où jaillissent des « fleuves d’eau vive » pour laver, purifier, vivifier et combler l’humanité tout entière (Jn 7,37-39)…
« Cherchez donc dans l’Esprit votre plénitude » (Ep 5,18), car « c’est par elle », comblés par le Don de l’Esprit, « que vous entrerez dans toute la Plénitude de Dieu » (Ep 3,18). Et cela ne pourra qu’être synonyme de bonheur profond, de paix, de joie… « Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22), une joie annoncée ici par ce « bon vin » de l’Esprit, donné en surabondance : plus de six cents litres ! DJF

 




La fête du baptême de Jésus (P. Antoine Dennemont)

Dimanche dernier, c’était la fête de l’Épiphanie. Après la révélation de notre Dieu dans l’histoire des mages de l’Orient, aujourd’hui c’est le baptême de Jésus qui révèle son l’identité et sa mission. Jésus est celui qui rétablit le contact entre Dieu et nous. Le ciel s’ouvre de nouveau et le Père fait entendre sa voix. C’est le début d’une nouvelle période dans l’histoire de l’humanité. Comme lors de la Création, dans le livre de la Genèse, l’Esprit Saint descend et inaugure un temps nouveau, une création nouvelle. Il désigne Jésus comme le Messie, le Roi engendré, le « Fils bien-aimé ».

À plusieurs reprises dans l’Ancien Testament, à cause des péchés du peuple envers Dieu, les prophètes avaient affirmé que le ciel était fermé, que la relation avec Dieu était interrompue. Au baptême de Jésus, le ciel s’ouvre de nouveau : «alors le ciel s’ouvrit». Dans ce récit du baptême de Jésus, nous assistons à un double mouvement de descente et de remontée :

le Christ vrai Dieu et vrai homme descend de plus en plus bas dans la solidarité avec notre humanité de péché; il nous rejoint dans l’horreur de notre iniquité. Lui qui est sans faute Il est descendu jusqu’à la croix, jusqu’aux enfers (comme nous disons dans notre credo «  il est descendu aux enfers ») il vient nous en arracher.

Puis c’est la remontée. Après avoir été plongé par Jean Baptiste dans l’eau, Jésus est en prière. Et voilà que le ciel s’ouvre : c’est l’annonce de notre divinisation ; on attendait cela depuis les origines ; les cieux étaient fermés depuis le premier péché; tous attendaient le salut de Dieu. Tout au long de la Bible, nous trouvons des prières qui disent cette attente : « Ah ! Si tu ouvrais les cieux et si tu descendais ! » Aujourd’hui, le ciel s’est ouvert à la prière de Jésus. Cette espérance se réalise. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, « comme une colombe, descendit sur Jésus. » Cette colombe, qui rappelle celle de Noé après le déluge, annonce que le naufrage du monde a cessé définitivement. Les cieux se sont ouverts et ils ne se sont plus jamais fermés. On a de nouveau accès à Dieu. La communion avec lui est rendue parfaitement possible. En remontant de l’eau, Jésus entraîne et élève le monde avec lui.

Sur les bords du Jourdain, non seulement Jésus rétablit le contact avec Dieu, mais il pose un geste de solidarité profonde avec chacune et chacun d’entre nous. Il prend place dans la file des pécheurs et pécheresses qui veulent se convertir. Il est notre frère qui partage notre condition humaine, avec toutes ses joies et toutes ses souffrances. Cette révélation d’un Dieu solidaire fait suite à celle de la naissance de Jésus à Bethléem, où l’évangéliste nous présente le petit enfant comme l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous.

Cette bonne nouvelle était déjà annoncée par le prophète Isaïe (première lecture). Nous avons entendu des paroles très fortes : « Consolez, consolez mon peuple. » Ce message d’espérance est adressé à un peuple qui vient de vivre des années de guerre, de destruction et de déportation. Rien ne lui a été épargné. Et voilà que le prophète Isaïe lui annonce qu’il a reçu le double pour toutes ses fautes. Il ne s’agit pas d’une double punition mais d’une surabondance de consolation. « Là où le péché abondé, l’amour à surabondé » (lettre de saint Paul aux Romains). Quand on revient vers le Seigneur et qu’il nous console, nous retrouvons la joie. C’est cela dont nous avons besoin.

Dans sa lettre à Tite (deuxième lecture), saint Paul donne précisément à Jésus le titre de Sauveur. Il s’agit du « salut de tous les hommes ». Désormais plus rien ne peut être comme avant. Pour ceux qui venaient du monde païen, c’était un changement radical. Avec Jésus c’est une vie nouvelle qui commençait pour eux. C’était comme une nouvelle naissance.

Le baptême donné par Jean-Baptiste n’était qu’un geste de pénitence. Dans le texte du baptême de Jésus, saint Luc nous invite à réfléchir sur notre propre baptême. Le ciel s’est  ouvert et l’Esprit Saint est descendu sur chacun et chacune d’entre nous.
Avec Jésus Sauveur, nous sommes plongés dans cet océan d’amour qui est en Dieu Père, Fils et Saint Esprit, plongés dans l’amour Trinitaire pour devenir un avec Dieu. Le baptême de Jésus, c’est la révélation de la Trinite : le Père est dans la voix, le Fils est dans Jésus, l’Esprit est dans la colombe. Jean Baptiste annonçait le baptême dans l’Esprit Saint et le feu. C’est de cela qu’il s’agit : le baptême nous donne le Christ pour passer avec lui continuellement de la mort à la vie, du péché à la sainteté, de l’angoisse à l’amour.
Le pape François nous a fait entrer dans une année de la miséricorde. Cette porte sainte que nous avons passée ou par laquelle nous passerons, nous rappelle que le Christ est « la porte des brebis ». C’est par lui que nous passons pour aller à Dieu. Pour avancer sur cette route, nous sommes invités à nous nourrir de sa Parole et de son Eucharistie. Nous avons tous besoin de retrouver la force de cette présence du Seigneur dans notre vie et notre monde.




Le baptême du Seigneur (10 janvier ; P. Claude Tassin)

Isaïe 40, 1-11 (« La gloire du Seigneur se révélera, et tout être de chair verra »)

Consolez, consolez mon peuple, – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes. 

Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. » 

Une voix dit : « Proclame ! » Et je dis : « Que vais-je proclamer ? » Toute chair est comme l’herbe, toute sa grâce, comme la fleur des champs : l’herbe se dessèche et la fleur se fane quand passe sur elle le souffle du Seigneur. Oui, le peuple est comme l’herbe : l’herbe se dessèche et la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure pour toujours. 

Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! » Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent.

 

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« Consolez mon peuple ». À partir de cette expression, on appelle Livre de la consolation d’Israël les chapitres 40 à 55 du livre d’Isaïe dans lesquels un prophète anonyme, vers l’an 540 avant notre ère, annonce que l’exil des Israélites à Babylone touche à sa fin. Ils vont revenir. Mieux, Dieu va revenir en triomphe à la tête des rapatriés. Ce début du Livre de la consolation se déploie en trois parties.

Un décret royal

C’est un décret d’amnistie promulgué par Dieu : le peuple élu est absous des fautes pour lesquelles il a connu la déportation. Il a payé sa peine lourdement (« le double ») ; ses travaux forcés (« son service ») sont terminés. Le mot français « consoler » ne rend pas la richesse du texte biblique qui, dans ce verbe, implique l’idée de réconforter ceux qui sont dans l’épreuve, de les inviter, de les exhorter à se remettre debout. Dans le grec moderne, ce verbe, parakalô, signifie « s’il vous plaît ».

st jean

Une voix…

Non, ce n’est pas une voix qui prêche dans le désert ! C’est une voix disant aux amnistiés qu’ils doivent préparer à travers le désert le chemin de leur retour. Cette voix n’est sans doute que celle du prophète se proclamant porte-parole du Seigneur, de son projet libérateur, un rôle que s’attribuera Jean le Baptiste (Luc 3, 4-6). Pour l’heure, le retour se fera à travers le désert dans lequel les rapatriés devront aplanir, niveler tout escarpement incommode, comme une route préparée pour un souverain qui prendra la tête de leur cortège. Avec raison, les commentaires spirituels lisent ici une dimension morale : pour préparer la venue du Seigneur, c’est en nous qu’il faut aplanir tout excès et redresser ce qui est tortueux.

… pour un évangile

C’est sans doute encore le prophète, héraut de Dieu, qui s’imagine posté sur une haute montagne pour proclamer cet *évangile : Dieu, à la tête des rapatriés, revient en vainqueur pour régner sur Jérusalem et sur la province de Juda. Il s’avance en roi et en berger attentif aux faibles, ces deux titres étant liés dans la culture antique. Autrefois, Israël libéré de l’Égypte avait traversé le désert. Maintenant s’ouvre un nouvel exode, de Babylone à Sion.

Le nouvel Exode

disciple en missionTout chemin spirituel est un exode, des ténèbres à la lumière, de la servitude à la liberté. Selon saint Luc, Jésus est venu pour nous ouvrir un nouvel Exode, non seulement par l’enseignement qui jalonne sa route « exodale » vers Jérusalem (Luc 9, 51 – 19, 45), mais par son Ascension (Luc 9, 31) qui fait basculer notre vie terrestre en un exode « vertical », vers la gloire du Père. Le passage du Jourdain avait marqué l’entrée en Terre promise (Josué 3, 14-17) ; de même le baptême de Jésus dans le Jourdain inaugure une ère de liberté et de « consolation », de réconfort, d’exhortation.

*L’Évangile. Ce mot décalque un vocable grec signifiant « bonne nouvelle ». À l’origine, c’était un terme profane, la joyeuse annonce d’une victoire militaire ou de l’avènement d’un souverain. C’est l’auteur d’Isaïe 40 – 55 qui a fait passer le mot dans le domaine théologique. Telle est la Bonne Nouvelle : Dieu en personne vient régner au sein de son peuple. Au début de son ministère, Jésus s’est inspiré de ce prophète pour résumer sa propre mission : « Le Règne de Dieu a fini son approche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Marc 1, 15).

 

Psaume 103 (« Tu renouvelles la face de la terre »)

Ce long hymne chante le Dieu créateur et le souci de celui-ci pour ses créatures. Le texte trouve des traits parallèles dans d’autres psaumes (8 ; 19A ; 144 ; 145) et semble antérieur à la composition de Genèse 1. Surtout, il s’inspire, par le biais de relectures phéniciennes, d’un poème égyptien à la gloire du dieu soleil, Aton, hymne composé, pense-ton, par le pharaon Akhénaton vers 1350 avant notre ère.

Dieu Père (Giovanni Battista Cima) 2

La majesté du Créateur

Des cinq strophes du psaume aujourd’hui retenues par la liturgie, les deux premières évoquent la majesté du Seigneur. Il a établi son palais au-dessus du ciel visible, au-delà des perturbations météorologies, vents et pluies. Il n’est pourtant pas immobile, mais vivant. Son char royal se déplace au-dessus du vent et les humains devinent son mouvement à travers les orages impressionnants. Akhénaton s’adressait à son dieu en ces termes : « Tu te lèves, beau dans l’horizon du ciel, soleil vivant qui vis depuis l’origine. »

La providence du Créateur

De ce monde mythique d’en-haut, les trois strophes suivantes se tournent vers l’en-bas, vers la profusion des œuvres produites avec art, avec sagesse, par le Créateur. C’est la mer redoutable et la multitude des êtres vivants à qui le Seigneur offre la nourriture, continuellement, « au temps voulu ». Le pharaon disait à Aton : « Quand l’enfant sort du sein (…), tu ouvres sa bouche et tu pourvois à ses besoins (…). Tu as mis chaque homme à sa place et tu pourvois à leurs besoins. »

Le souffle du Dieu créateur

Esprit SaintLa dernière strophe retenue évoque le souffle divin créateur, continu, sans lequel les créatures ne peuvent vivre et subsister. Akhénaton louait son dieu par ces mots : « Tu donnes à ce que tu crées le souffle qui l’anime. » Ce souffle, pour notre psalmiste, n’est pas encore l’Esprit Saint (comparer Genèse 1, 1) ; mais son image l’annonce, et nous lisons ce psaume au jour de la Pentecôte.

 

La nouvelle création et l’Esprit du baptême de Jésus

Au premier abord, ce poème sur le Créateur et la création n’a qu’un lâche rapport avec les lectures du jour. Sauf à nous rappeler ceci : d’une part, le retour d’exil (1ère lecture) est envisagé par le prophète comme une nouvelle création (voir Isaïe 44, 1-5 ; 49, 8-13) ; d’autre part, en annonçant le Christ, Jean Baptiste s’est inscrit dans cette perspective. L’entrée en scène de Jésus est une nouvelle création, notamment dans l’épisode de son baptême où se manifeste l’Esprit Saint, le souffle du monde nouveau (cf. Genèse 1, 1).

 

Tite 2, 11-14 ; 3, 4-7 (« Par le bain du baptême, Dieu nous a fait renaître »)

 

La première partie du texte se lit la nuit de Noël. L’adjonction liturgique de la seconde partie est quelque peu artificielle, mais on en saisitt le but : établir un lien entre le baptême de Jésus par Jean et le sacrement du baptême chrétien.

La double manifestation du Christ

Visage de JésusLa première section a pour centre une double « manifestation » (en grec, une épiphanie). Celle d’abord de « la grâce de Dieu » visant « notre salut ». Elle correspond à la mission terrestre du Christ et à son « enseignement » (littéralement, une éducation) résumé en termes simples et forts : renier le péché et les passions pour vivre dans la justice et la piété. De fait, en se soumettant au baptême, Jésus signifiait qu’il se ralliait aux appels du Baptiste à la conversion (Luc 3, 7-18) et les approuvait. La seconde épiphanie sera celle du Christ glorieux quand il paraîtra, à la fin, comme « notre grand Dieu et notre Sauveur », après qu’il se soit manifesté dans l’humiliation de la croix (« il s’est donné pour nous »).

Le baptême chrétien

À cette double manifestation, début et terme de notre histoire, l’auteur de l’épître adosse l’expérience du *baptême chrétien conçu comme une renaissance et un renouvellement dû à l’Esprit Saint, but décisif du sacrement et signe d’une troisième « manifestation », celle, aujourd’hui, de la bonté et de la tendresse d’un Dieu Sauveur qui fait des baptisés des « justes », ajustés à son projet et qui suscite en eux l’espérance de l’inouï, « l’héritage de la vie éternelle ».

baptême

*Le baptême chrétien. En toute religion, les rites se transmettent, mais leur sens se modifie au long des âges. De leurs racines baptistes, les premières Églises ont reçu ce rite, mais elles ont dû en « christianiser » le sens. Pour Paul, le baptême nous plonge dans la mort du Christ pour accéder à une vie nouvelle (Romains 6, 1-4). Pour Luc, le baptême vise le don de l’Esprit Saint qui fait des baptisés un peuple de prophètes (Actes 2, 38). Pour Matthieu, le rite signe l’appartenance des disciples au Dieu Trinité (Matthieu 28, 19). Richesses de perspectives qui alimentent aujourd’hui encore la catéchèse baptismale !

 

Luc 3, 15-16.21-22 (« Comme Jésus priait, après avoir été baptisé, le ciel s’ouvrit »)

Le découpage liturgique de la Bible a ses facéties. Entre l’annonce par Jean du baptême « dans l’Esprit Saint et le feu » (1er paragraphe) et le baptême de Jésus (2e paragraphe), le lectionnaire supprime une transition capitale : l’arrestation du Baptiste et sa disparition (Luc 3, 19-20), c’est-à-dire une mise « hors jeu » de ce dernier, avant… le baptême de Jésus. Certes, cette manière de raconter ne trompait personne, mais elle permettait de souligner la venue de l’Esprit en Jésus et de minimiser l’apparente soumission du Christ au baptême de Jean, cette immersion qui resta longtemps le rite d’initiation pour certains groupes chrétiens (lire Actes 19, 1-7). En tout cas, le « trucage » littéraire de Luc, selon lequel le baptême de Jésus se réduit à une parenthèse (« après avoir été baptisé lui aussi »), met en relief, répétons-le, la venue de l’Esprit sur Jésus.

Baptême de jesus

L’annonce du baptême dans l’Esprit

Jean Baptiste émet cette prophétie : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » Au sens originel de la tradition évangélique, l’expression reste quelque peu énigmatique. Mais, sous la plume de Luc, il s’agit de l’Esprit de la Pentecôte, répandu dans les langues de feu (Actes 2, 3-4). L’évangéliste établit un parallèle entre le baptême de Jésus et la Pentecôte : c’est tandis que Jésus prie que descend sur lui l’Esprit Saint ; c’est sur l’Église en prière que viendra l’Esprit (Actes 1, 14). Dans la synagogue de Nazareth, Jésus interprètera le don de l’Esprit qu’il a reçu (Luc 4, 16-27). Au jour de la Pentecôte, Pierre commentera le sens de l’irruption de l’Esprit (Actes 2, 14-36) ?

Les auditeurs du Baptiste se demandaient s’il « n’était pas le Messie [= le Christ] ». Dans la tradition juive ancienne, le messie, celui qui est oint, consacré par l’Esprit de Dieu, peut être un roi, un prophète ou un prêtre. Saint Luc semble tenir la position suivante : durant sa mission terrestre, Jésus est Messie en tant que prophète. Par sa résurrection et son Ascension, Jésus devient le Messie royal : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié » (Actes 2, 36).

Le baptême de Jésus : un baptême dans l’Esprit

Selon la perspective de Luc, le baptême de Jésus, ou plutôt la venue sur lui de l’Esprit, constitue une scène de vocation prophétique. En ce sens, Jésus interprétera son baptême, lors de sa visite à la synagogue de Nazareth : « L’Esprit du Seigneur est sur moi. Il m’a oint pour porter l’Évangile aux pauvres… » (Luc 4, 18). Jésus s’identifie aux prophètes Élie et Élisée (Luc 4, 25-27) et, lors de la résurrection du fils de la veuve de Naïn, réédition d’un miracle d’Élie (1 Rois 17, 17-24), la foule s’écrie : « Un grand prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple » (Luc 7, 16).

Certes, Jésus est aux yeux de Luc « un grand prophète », supérieur à tous les autres. À preuve, la venue de l’Esprit « sous une apparence corporelle [insistance propre à Luc], comme une *colombe. »

BaptèmeJésusDans la déclaration de la voix céleste lors du Baptême, les manuscrits de l’évangile selon Luc hésitent entre deux textes. Celui retenu par la liturgie est celle-ci : « C’est toi mon Fils : moi, aujourd’hui, je t’ai engendré », c’est-à-dire une citation du Psaume 2, 7. Mais, avec honnêteté, le lectionnaire propose en note la version alternative : « C’est toi mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon amour. » Nous retenons cette seconde recension, parce que, chez Luc, la citation du Psaume 2 est réservée à la résurrection du Christ (Ac 13, 33), ce jour d’engendrement signifiant, dans le psaume, une intronisation royale. Mais, avouons-le, cette discussion peut durer à l’infini.

Le baptême de Jésus par Jean apparaissait comme un fait embarrassant pour les premiers chrétiens, parce qu’il plaçait le premier en soumission au second (cf. Jean 3, 22-26). Luc, par les contorsions de son récit, saisit bien ce problème. Mais on lui doit une réinterprétation qui réchauffe le cœur des baptisés chrétiens. Selon l’évangéliste, le baptême de Jésus annonce le baptême de l’Église dans l’Esprit Saint, à la Pentecôte. L’Esprit consacra Jésus comme prophète ; la Pentecôte fait des baptisés un peuple de prophètes, des femmes et des hommes qui s’efforcent de voir, spécialement par la prière, le monde et les événements comme Dieu lui-même les voit.

colombe_677*La colombe du baptême de Jésus reste une énigme. Certains commentateurs songent à l’Esprit de la création « voletant » sur les eaux primordiales (Gn 1, 2). En ce cas, le baptême de Jésus inaugure une nouvelle création. D’autres voient dans la colombe la Bien-Aimée du Cantique des Cantiques (4, 1). Il s’agit alors d’un renouvellement de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Autre interprétation : « C’est ainsi que, bien des siècles auparavant, une colombe est venue annoncer la bonne nouvelle de la fin du déluge » (Grégoire de Nazianze, 329-389). La liste des interprétations n’est pas close. Comme il arrive pour d’autres symboles, la tradition évangélique a fort bien pu vouloir titiller l’imagination des premiers lecteurs en les invitant à s’interroger sur les diverses mentions d’une colombe dans l’Ancien Testament.




Les fruits du baptême (Lc 3,15-16.21-22 ; Dimanche 10 janvier)

Le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.

Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. 

L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »

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Le baptême de Jésus, fresque du Moyen Age, Notre Dame de Paris

« Moi, je vous baptise avec de l’eau », dit Jean-Baptiste. « Lui », le Christ « vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ». Jean-Baptiste invitait à se reconnaître pécheur, et à exprimer ainsi un besoin de purification. Son baptême dans l’eau s’inscrivait dans la continuité avec tous les rituels de purification en usage à l’époque. Le baptême proposé par Jésus aura donc lui aussi cette dimension mais il sera le seul à être réellement efficace car le seul à pouvoir rejoindre le cœur profond de l’homme, ‘là’ où tout se joue : « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur » (Mc 7,21-23).

Nous les hommes, nous ne pouvons voir que les apparences, mais Dieu, lui, « sonde tous les cœurs et pénètre tous les desseins qu’ils forgent » (1Ch 28,9). « Tu sondes mon cœur » (Ps 17,3), et c’est ce cœur qui compte pour lui… Il le connaît déjà, et il le veut pur. Mais Lui seul peut le purifier… Ce travail nous dépasse… Mais pour qu’il se réalise vraiment, il a simplement besoin de notre coopération sincère, car Dieu nous respecte infiniment… Il ne fera rien pour nous sans notre accord… Il ne nous contraindra jamais à recevoir ses trésors… Certes, il insistera et déploiera tous ses talents pour vaincre nos résistances, mais rien ne se fera sans notre consentement profond à notre vérité de pécheurs acceptée dans l’Amour et offerte à l’Amour… Alors l’Amour accomplira son œuvre : « Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez lavés de toutes vos souillures… Je vous purifierai », et « heureux les cœurs purs », car purifiés : « Ils verront Dieu » (Mt 5,8)… Et comment fera-t-il ? « Je mettrai en vous mon Esprit », l’Esprit Saint, eau pure, spirituelle, qui purifie, eau vive, spirituelle, qui vivifie, éclaire et apaise nos cœurs…

Année jubilaire MiséricordeA nous de jouer, maintenant, jour après jour, en acceptant, avec son aide, Lui qui est toujours bienveillant, de faire la vérité dans nos vies et de lui offrir toutes nos misères… « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29… « Il n’y a qu’un mouvement au cœur du Christ : effacer le péché et emmener l’âme à Dieu… Nous sommes bien faibles, je dirais même que nous ne sommes que misère, mais Il le sait bien, Il aime tant nous pardonner, nous relever, puis nous emporter en Lui, en sa pureté, en sa sainteté infinie. C’est comme cela qu’Il nous purifiera, par son contact continuel » (Elisabeth de la Trinité), par ce Don toujours offert, gratuitement, par Amour, de l’eau pure de l’Esprit…

D. Jacques Fournier