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Commentaires des Lectures du dimanche 29 novembre 2015
Jérémie 33, 14-16 (« Je ferai germer pour David un Germe de justice »)
Durant l’Avent, la première lecture est toujours tirée des prophètes annonçant les perspectives d’avenir que Dieu nous promet. Chaque année, le 4e dimanche de l’Avent relève les prophéties les plus explicites sur le venue du Messie.
Paris, « ville lumière » ! Rome, « ville éternelle » ! Les prophètes, eux, surnommèrent Jérusalem « ville de justice ». C’était plus un vœu qu’une réalité. Notre poème rêve du jour où adviendra cette réalité :
1) Le bonheur qu’il avait promis à Jérémie, Dieu va l’accomplir pour son peuple entier, du Nord (le royaume de Samarie) au Sud (le royaume de Juda).
2) Car la dynastie de David donnera un *Germe de justice, c’est-à-dire un roi qui gouvernera avec équité et selon les commandements divins.
3) Alors le pays sera libéré de l’Occupant, la sécurité régnera dans la capitale. Et, puisque c’est le Seigneur qui aura fait tout cela, on rebaptisera la Ville du nom suivant : « Le-Seigneur-est-notre-justice ».
Ce poème n’est pas de Jérémie, mais d’un de ses disciples et admirateurs, un demi-siècle plus tard. Pour lui, Jérémie avait raison d’espérer, même si rien n’est encore arrivé. Il réécrit à sa manière le poème qu’on trouve en Jr 23, 5-6. Bonheur, justice, droit, libération, sécurité… Ces mots de nos campagnes électorales sont déjà ceux des prophètes ; car le Messie espéré n’est pas étranger à nos aspirations humaines.
* Un germe de justice. Le germe surgit du pourrissement de la semence en la morte saison. Germe « juste », pour le paysan d’Israël, puisque Dieu règle les saisons avec « justesse » pour nourrir ses créatures. Mais pour les prophètes (des poètes !), le pourrissement et la morte saison se voyaient dans les catastrophes nationales, le massacre des descendants de David. Alors le « Germe » serait un roi parfait, le Messie, issu miraculeusement de cette pourriture (lire Zacharie 3 8; 6, 12). Pour nous, ce Germe est le Christ, vie nouvelle jaillie du Mort du vendredi saint : la Pâque est déjà présente dans l’Avent.
1 Thessaloniciens 3, 12 – 4, 2 (« Que le Seigneur affermisse vos cœurs lors de la venue de notre Seigneur Jésus »)
Paul avait dû fuir la ville de Thessalonique, après trois maigres semaines de prédication (lire Actes 17, 1-10), et il s’inquiétait : y avait-il encore des chrétiens dans cette ville ? Avaient-ils résisté aux persécutions ? Or, finalement, les nouvelles sont excellentes, rapportées par Timothée : la communauté a survécu ; et elle est solide, malgré les tracasseries des païens.
Alors Paul envoie sa première Lettre aux Thessaloniciens, et c’est le premier écrit du Nouveau Testament (vers l’an 51). Il leur avait dit ceci : la vie chrétienne consiste à attendre activement la venue du Fils de Dieu qui condamnera toutes les forces du mal (voir 1 Th 1, 9-10). Sa lettre veut fortifier les croyants dans cette attente. Ici, deux mots d’ordre : 1) Aimer tous les hommes, sans discrimination. 2) Vivre dans la sainteté. La suite de la Lettre dira en quoi consiste la sainteté : respecter son corps et celui des autres, mener une vie exemplaire de travail (1 Th 4, 3-12). Au reste, les Thessaloniciens ont vu comment se comportaient leurs apôtres chez eux ; ils n’ont qu’à suivre leurs traces, à faire de nouveaux progrès*. Dimanche prochain, l’Apôtre précisera cette consigne, à l’adresse des Philippiens : « que votre amour vous fasse progresser de plus en plus… »
* « Faites de nouveaux progrès ». L’Église de Thessalonique n’a pas encore un an d’existence et n’a vu son fondateur que durant trois semaines. Pourtant, quelle confiance chez l’Apôtre ! « Vous avez appris de nous comment vous conduire… » ; « vous savez bien quelles instructions nous vous avons données… » De quoi s’agit-il alors ? Progresser ! Chrétiens qui entrons en Avent, nous entendons Paul à longueur d’année. Il nous redit simplement : « faites de nouveaux progrès ! ».
Luc 21, 25-28.34-36 (« Votre rédemption approche »)
Nous n’avons ici, dans le découpage liturgique, que deux tronçons du discours de Jésus sur la Fin des temps qui couvre Lc 21, 5-36 et commence par l’annonce de la ruine du Temple de Jérusalem. En fait, quand Luc réécrit ce discours (qu’il a repris de Marc 13), dans les années 80, le Temple est déjà détruit. Parmi les chrétiens d’alors, certains s’excitent et pensent que cette catastrophe annonce la fin du monde et la venue imminente du Christ. D’autres, au contraire, pensent que la ruine de Jérusalem était déjà le jugement définitif de Dieu et que les croyants, coulant des jours tranquilles, n’ont plus rien à craindre.
Contre ces conceptions, Luc réaffirme, comme Marc et Matthieu, que *le Fils de l’homme viendra (1er paragraphe de l’évangile). Il ajoute un avertissement de son cru : la question n’est pas de dater la venue du Seigneur, mais d’être prêt en tout temps pour cet événement (2e paragraphe).
Il y aura des signes
Ces signes ne se trouvent ni dans l’azur perturbé par le réchauffement climatique ni sur nos rivages marins pollués, mais dans l’Ancien Testament. Ce sont des images tirées des prophètes et traitées en « copié/collé », à la mode des livres juifs appelés apocalypses, et pour dire ici ceci : si la ruine de Jérusalem était déjà un séisme, attendez-vous à des bouleversements bien plus grands, à une sorte de retour du monde au chaos des origines pour que Dieu fasse du neuf. Alors paraîtra « Le Fils de l’homme », ce personnage céleste qui, en Daniel 7, 13-14, vient inaugurer un peuple nouveau. Luc ajoute une conclusion confiante : ces séismes doivent réveiller l’espérance des fidèles du Christ. Qu’ils relèvent la tête, car c’est l’heure de la délivrance de toutes les forces du mal. L’évangéliste songe, à partir de l’histoire d’Israël, aux prodiges de la libération de l’Égypte, lorsque, selon l’expression de la tradition juive, « les enfants d’Israël sortaient, libérés, la tête découverte ».
Tenez-vous sur vos gardes
Le langage du second paragraphe de l’évangile est moins étrange à nos oreilles et se fonde sur deux constats : 1) la vie humaine obéit à de tragiques imprévus : « L’homme ne connaît pas son heure. Comme les poissons pris au filet perfide, comme les oiseaux pris au piège, ainsi sont surpris les enfants des hommes… » (Qohélet 9, 12). 2) Le chrétien sait qu’au terme, il doit « paraître » devant le Christ . Il faut donc réagir contre la pente des plaisirs immédiats et contre les soucis de la vie en général. Aux yeux de Luc, ces soucis sont les épines qui étouffent la semence de la Parole (relire Lc 8, 14).
Luc sait que le langage apocalyptique juif de Jésus (1er paragraphe) étonnera ses lecteurs païens, que nous sommes encore aujourd’hui. Il l’a pourtant gardé, car cette poésie fantastique évoquant la peur devant la mort et les séismes de l’histoire exprime bien le mystère du Dieu qui vient. Mais Luc sait aussi notre goût pour les « images catastrophe », d’où le second paragraphe : il ne s’agit pas de « fantasmer », mais de gérer le temps qui nous est laissé, de le régler par le réveille-matin de notre vigilance morale et de la prière constante…
L’Avent nous fait méditer d’abord sur les attentes réelles de notre foi. C’est pourquoi, comme à rebours, le 1er dimanche s’attache à l’horizon de la fin de l’histoire et de notre histoire, avant d’évoquer la figure de Jean le Baptiste (2e et 3e dimanches) et d’en arriver directement aux événements préparant la naissance de Jésus.
* Le Fils de l’homme viendra. Est-ce que Jésus « reviendra » ? La Bible ne dit jamais que Jésus reviendra. La liturgie nous fait chanter : « Nous attendons ta venue (et non ton retour !) » ; « Viens, Seigneur Jésus (et non reviens) ». Nous attendons un Christ devenu le mystérieux « Fils de l’homme » dont parlait Daniel, 7, 13, le Juge de l’univers. L’hymne, transmise par Paul, en Philippiens 2, 6-11, proclame ceci : depuis la Croix, Dieu a élevé Jésus au-dessus de tout. Désormais, quand nous disons « Jésus », le nom d’un homme, nous devons penser « Seigneur », le nom de Dieu lui-même. Les témoins de la Transfiguration ont pressenti ce mystère et nous attendons un Seigneur qui nous étonnera, comme il étonnera ceux qui l’ont connu en Palestine autrefois. Cyrille, évêque de Jérusalem (4e siècle), enseignait ceci aux futurs baptisés : « Nous annonçons l’avènement du Christ ; non pas un avènement seulement, mais aussi un second, qui est beaucoup plus beau que le premier. Car le premier comportait une signification de souffrance, et le second porte le diadème de la royauté divine. »
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Commentaires des Lectures du dimanche 15 novembre 2015
Daniel 12, 1-3 (« En ce temps-ci, ton peuple sera délivré »)
Notre première lecture vient du livre de Daniel. La première partie de l’ouvrage (Daniel 1 – 6), un conte peut-être ancien, salue la sagesse de ce jeune Juif exilé à Babylone et qui prend une place éminente dans la cour royale de ce pays. La seconde partie (Daniel 7 – 12), après cette qualification, consiste en une série de visions relevant du genre apocalyptique. L’horizon historique, en la rédaction finale du livre, est l’an 164 avant notre ère. Le contexte est la lutte de Judas Maccabée pour reconquérir le Temple de Jérusalem, souillé par un culte païen (voir 1 Maccabées 1, 41-64). Mais cette reconquête (en 167) n’a pas encore réussi.
Le livre, à travers les visions célestes, affirme que Dieu protège les fidèles de son peuple, notamment grâce à l’archange Michel qui combat au ciel contre les forces invisibles du mal, hostiles à Israël. Selon certains interprètes – mais la question reste débattue –, le « Fils d’homme » de Daniel 7, 13 serait Michel lui-même. Voir la 1ère lecture de dimanche prochain (Christ Roi)
Un fait tourmente l’auteur : Dieu serait-il injuste ? Pourquoi les païens sont-ils vainqueurs et les fidèles massacrés, surtout « les sages », « maîtres de justice », ces scribes défendant au milieu du peuple la vraie religion ? La réponse de l’auteur se trouve dans la foi en la résurrection, prévue dans « le Livre (de Dieu) » qui tient de justes comptes. Si le Seigneur ne rend pas justice en ce monde-ci, il le fera après la mort.
Certains livres juifs anciens n’envisagent la résurrection que des justes. Ici, au contraire, il s’agit d’une résurrection de tous, en un jugement final qui condamnera les impies à une déchéance éternelle et qui fera triompher les justes.
Certaines apocalypses conçoivent la résurrection comme le retour à une vie terrestre paradisiaque, ainsi Isaïe 65, 19-25. D’autres, dont ce livre de Daniel, imaginent plutôt une transfiguration des élus prenant leur rang dans le monde des « étoiles » , c’est-à-dire, selon les représentations antiques, dans le monde des anges : comparer Sagesse 3, 7 ; Luc 20, 35-36 ; 1 Corinthiens 15, 51-53.
Le terme de la vie des croyants et de l’histoire du monde reste un grand mystère. La foi conserve la certitude d’un bonheur final, quelles que soient les images que l’on s’en fait vaille que vaille. Cette lecture de Daniel prépare la page d’évangile évoquant la venue en gloire du « Fils de l’homme », venue qui déclenchera cette échéance à la fois terrible et merveilleuse.
Psaume 15 : une promesse de résurrection ?
Comme tout poème, ce psaume à une vie. Il ne signifie pas seulement ce que son auteur a voulu dire, mais ce que les lecteurs lui font dire, de génération en génération.
Avec certains commentateurs, pensons qu’à l’origine, le texte est l’œuvre d’un lévite, prêtre de second rang à Jérusalem. Les lévites n’ont pas de propriété foncière en Israël : « Lévi n’a ni part ni héritage avec ses frères, c’est le Seigneur qui est son héritage » (Deutéronome 10, 9). Le lévite tient sa sécurité matérielle des offrandes et des dîmes que les fidèles apportent au Temple
Mais le lévite, auteur du poème et bénéficiaire de ces avantages, se réjouit surtout de la proximité spirituelle avec Dieu que lui offre sa condition. Cette communion de tout son être s’exprime par le langage du corps. Si l’on joint les versions anciennes du psaume (hébreu, grec, araméen, syriaque), l’auteur parle de son cœur, de son ventre, de son foie, de sa chair, de sa langue, de sa gorge. Cette communion totale incite le poète à s’adresser au Seigneur, selon l’hébreu, en ces termes : « Tu ne peux abandonner ma vie au shéol [= le séjour des morts], ni laisser ton ami voir la mort. » Qu’espère-t-il donc ? Que Dieu ne le laisse jamais mourir ? Que cette relation d’amour (comme tout amour) ne cesse pas avec la mort ? Mais comment ? Le psalmiste l’ignore.
Les sages juifs qui, à Alexandrie, ont traduit la Bible en grec sont allés plus loin et ont lu dans ce psaume une promesse de la résurrection. D’où leurs termes : « Ma chair reposera dans l’espérance (…), tu ne laisseras pas ton ami voir la destruction. » Tu ne m’abandonneras pas au pouvoir destructeur de la mort. Au jour de la Pentecôte et en suivant la version grecque, Pierre proclamera que ce verset prophétisait la résurrection du Christ (Actes 2, 2, 24-33).
Les extraits de ce psaume sont choisis aujourd’hui pour faire écho à la première annonce claire de la résurrection, dans le livre de Daniel (1ère lecture).
Hébreux 10, 11-14.18 (« Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie »)
Ici s’achève notre lecture semi-continue de la lettre aux Hébreux, commencée depuis plusieurs dimanches. Ce document tient une place importante chez les Catholiques qui s’intéressent plus que d’autres Églises à la dimension sacrificielle de la Passion du Christ, grand prêtre.
Le sacrifice unique
Notre passage oppose les holocaustes quotidiens que présentaient les prêtres du Temple, à Jérusalem, en vue d’obtenir le pardon des péchés d’Israël, au sacrifice unique du Crucifié. La subtile logique de l’argumentation est celle-ci : si les prêtres devaient renouveler chaque jour les sacrifices, c’est que ces rites n’obtenaient pas vraiment la miséricorde demandée à Dieu. Le sacrifice du Christ, « unique », nous obtient ce pardon, en cela qu’il est exemplaire, poussant les croyants à une attitude de « perfection », grâce à celui qui, grâce à son pardon, nous confère la « sainteté » tirant un trait sur notre passé de pécheurs.
La victoire du Christ
Pour fonder cette conviction, l’auteur revient au Psaume 110 [109], 1. Comparer Hébreux 1, 13 ; 5, 10 ; 8, 1. Prêtre « selon l’ordre de Melkisédek », Jésus Christ, par sa résurrection, « est assis » pour toujours « à la droite de Dieu », selon l’expression que nous répétons dans notre Credo dominical. Le texte prolonge la citation du Psaume chantant l’espérance de la victoire définitive du Messie, à savoir que « ses ennemis soient mis sous ses pieds ». Cette dernière expression évoque la victoire du Christ sur la mort. Comparer 1 Corinthiens 15, 24-28.
Quand le pardon est accordé
Le lectionnaire saute les versets 15 à 17 qui citent Jérémie 31, 31-34, c’est-à-dire la prophétie d’une nouvelle alliance en laquelle le culte deviendrait inutile, en tant que ce culte veut réparer la séparation de l’homme pécheur avec Dieu. Selon cette nouvelle alliance, les lois du Seigneur seraient inscrites dans les cœurs, en une sorte de connivence profonde entre le croyant et le vouloir de Dieu, le tout se fondant sur un pardon radical et définitif : « De leurs péchés et de leurs iniquités, je ne me souviendrai plus » (Jérémie 31, 34).
Si le culte cherche au jour le jour à restaurer l’harmonie, sans cesse menacée, entre l’humanité et la divinité, en régime chrétien, il n’y a plus de culte. En effet, cette harmonie a été définifivement restaurée par l’unique sacrifice du Crucifié. S’il y a un « culte chrétien », il ne s’agit que d’une communion, à travers les sacrements, avec celui qui, par le sacrifice de la croix, nous donne à jamais accès auprès de Dieu.
Marc 13, 24-32 (La venue du Fils de l’homme)
En quittant définitivement le Temple, Jésus marque sa rupture avec les autorités religieuses qui vont le condamner à mort. Le voici sur le mont des Oliviers, « assis », en position solennelle d’enseignant. Il vient de prédire, tel un nouveau Jérémie (cf. Jérémie 7, 14-15 ; 26, 4-6), la ruine de ce Temple qu’admirent ses disciples (Marc 13, 2). À présent, il répond à ses plus proches, Pierre, Jacques, Jean et André qui l’interrogent en ces termes : « Dis-nous quand cela aura lieu et quel est le signe que tout cela finira » (13, 4). La réponse porte à la fois sur la ruine du Temple et sur la fin des temps, déplace la question. À la différence des apocalypses juives qui supputent savamment la date de ces tragiques échéances, Jésus en affirme la réalité, mais refuse tout calcul chronologique.
Un retour au chaos
Notre extrait liturgique se situe vers la fin du discours. Jésus évoque le bouleversement cosmique qui, dans les apocalypses juives (voir par exemple Joël 2, 10 ; 3, 4 ; 4, 15), accompagnent le « jour du Seigneur ». Cette sorte de « dé-création », de retour au chaos, prélude au jugement universel que présidera le Fils de l’homme, l’être céleste prophétisé par Daniel 7, 13-14 (comparer Matthieu 25, 31). Jésus ne dit pas directement qu’il est ce Fils de l’homme, mais les lecteurs conçoivent aisément cette identification.. En tout cas, le personnage est escorté d’une armée d’anges dont l’évangéliste souligne la fonction positive, celle de rassembler « les élus » répandus dans le monde entier.
La parabole du figuier
La dernière partie du texte invite à la vigilance en des termes qui restent à dessein énigmatiques. Plus haut dans le discours (Marc 13, 5-23), Jésus a annoncé des persécutions, des guerres, des séismes. Ces fléaux qui se répètent au long de l’histoire signent à chaque fois en quelque sorte la fin d’un monde, celui de notre vie individuelle et de notre époque. À chaque fois, le croyant doit exercer sa lucidité, à l’instar du paysan qui sait prévoir quand le figuier va fructifier : « Vous savez que l’été est proche. » Dans la langue de Jésus, l’araméen, les mots « été » (qaïts) et « fin » (qéts) se ressemblent, si bien que l’on peut comprendre : « Vous savez que la fin est proche. » Ensuite, la traduction liturgique, « sachez que le Fils de l’homme est proche », est une sur-interprétation. Le texte est bien plus obscur, qui dit : « sachez qu’il est proche. » Le sujet sous-entendu du verbe peut être simplement l’événement final.
Une échéance inconnue
Suit une déclaration solennelle : « Amen, je vous le dis. » Elle affirme que « cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. » Au vrai, puisque l’humanité demeure toujours sur cette terre, de nombreuses générations se sont succédé, et la fin du monde, malgré les pseudo-prophètes d’aujourd’hui se nourrissant des peurs, la fin du monde ne semble pas promise pour demain. Avec émotion, nous rencontrons ici l’humanité profonde du Christ et l’honnêteté des évangélistes. En son humanité, Jésus dépend d’une culture apocalytique qui voit le terme de l’histoire pour demain. En leur honnêteté, les évangélistes ont conservé, bien des années après, cette parole déroutante. Pour eux, la phrase de Jésus reste vraie en cela que chaque génération de croyants voit arriver, au fil des ans, la fin d’un monde et doit rester vigilante. Car le cosmos, ciel et terre, aura une fin, on ne sait comment. De ce point de vue, les paroles de Jésus garderont à jamais leur valeur.
Au terme, Jésus lui-même, Fils de Dieu, se refuse à tout calcul sur ces événements décisifs. Il n’en veut rien savoir et laisse le soin de ce problème chronologique à Dieu son Père, à lui seul. En parlant de « l’heure », il prépare la conclusion du discours, à savoir la parabole des serviteurs (Marc 13, 33-37) qui ignorent à quelle heure « le Seigneur de la maison » va venir.
Selon le témoignage unanime des évangiles, Jésus se refuse à élucubrer sur une date de la fin du monde, ni sur le mont Blanc, ni ailleurs. Selon lui, cette question fantasmagorique doit céder le pas à un autre impératif : il faut veiller en tout temps, en une conduite morale irréprochable, car la fin de chacun et du siècle où nous vivons, reste une échéance imprévisible. Mais le Fils de l’homme, par ses anges, rassemblera ses « élus ».
Le discours de Jésus sur la fin des temps conclut l’année liturgique. Elle veut amorcer un lieu avec le 1er dimanche de l’Avent. Car l’Avent, période d’attente de la venue du Seigneur, n’est pas d’abord une préparation de la fête de Noël, mais la perspective de la venue du Fils de l’homme, mystérieuse, qui conclura l’histoire du cosmos et de notre humanité.