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Si l’importance de l’Épître de Clément de Rome aux Corinthiens est capitale, c’est qu’il s’agit d’un ouvrage incontestable de la fin du Ier siècle et assurément du premier témoignage littéraire de ce qu’était le christianisme romain (environ 30 ans après la mort de Pierre et Paul). Connue depuis Irénée de Lyon (fin du IIème siècle) et Clément d’Alexandrie (IIIème siècle) qui lui confèrent une haute autorité, cette correspondance fut conservée dans le manuscrit A du Nouveau Testament (après l’Apocalypse de Jean et avant une seconde homélie attribuée à Clément) et les lacunes furent complétées par l’édition d’un second manuscrit du Patriarcat grec de Jérusalem ; il en existe en outre une traduction latine fort ancienne ainsi que des versions syriaque et copte.
Rédigée (si l’on en croit le témoignage de l’auteur Hégésippe) sous la persécution (assez mal connue) du règne de Domitien (années 90), elle serait en gros contemporaine des textes de Jean (notamment l’Évangile). Son auteur est sans aucun doute Clément, épiscope de Rome – après Pierre, Lin et Anaclet selon certaines sources ou directement après Pierre selon d’autres. Quelques témoignages en font un compagnon direct de Paul. Destinée aux croyants de Corinthe, elle fait écho aux lettres antérieures de l’Apôtre des Gentils.
Offrants des indices précieux sur l’état de la communauté de Rome à son époque, l’épître a pour thème principal l’unité des croyants et la condamnation des jalousies pouvant aboutir au pire ; l’exemple de Pierre y est particulièrement clair, celui-ci ayant probablement été victime de dénonciation provenant des Chrétiens eux-mêmes (ce qui démontre la rivalité de groupes aux croyances divergentes déjà à cette époque). Elle semble destinée à apaiser une situation problématique dans la communauté de Corinthe relative à la déposition non justifiée de presbytres/épiscopes. Son style est très raffiné et particulièrement puissant, ce qui en fait l’une des colonnes de la littérature primitive.
Yannick Leroy
Bibliographie élémentaire
• Clément de Rome. Epître aux Corinthiens, A. Jaubert (éd. et trad.), Sources Chrétiennes, Le Cerf, Paris, 1971
• E. NORELLI – C. MORESCHINI, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I, Labor et Fides, Genève, 2000, pp. 133-137
Extraits
Mais, pour laisser de côté les exemples des anciens, venons-en aux athlètes tout récents, prenons les exemples de notre génération. C’est par l’effet de la jalousie et de l’envie que furent persécutés ceux qui étaient les colonnes les plus élevées et les plus justes et qu’ils combattirent jusqu’à la mort. Jetons les yeux sur les excellents Apôtres : Pierre, qui, victime d’une injuste jalousie, souffrit non pas une ou deux, mais de nombreuses fatigues, et qui après avoir ainsi accompli son martyre, s’en est allé au séjour de gloire qui lui était dû. C’est par suite de la jalousie et de la discorde que Paul a montré (comment on remporte) le prix de la patience. Chargé sept fois de chaînes, banni, lapidé, devenu un héraut en Orient et en Occident, il a reçu pour sa foi une gloire éclatante. Après avoir enseigné la justice au monde entier, atteint les bornes de l’Occident, accompli son martyre devant ceux qui gouvernent, il a quitté le monde et s’en est allé au saint lieu, illustre modèle de patience. A ces hommes dont la vie a été sainte vint s’adjoindre une grande foule d’élus, qui, par suite de la jalousie, endurèrent beaucoup d’outrages et de tortures, et qui laissèrent parmi nous un magnifique exemple. C’est poursuivies par la jalousie que des femmes, les Danaïdes et les Dircés, après avoir souffert de terribles et monstrueux outrages, ont touché le but dans la course de la foi et ont reçu la noble récompense, toutes débiles de corps qu’elles étaient.
Épître de Clément de Rome aux Corinthiens 5,1 – 6, 2
Pourquoi parmi vous des querelles, des emportements, des dissensions, des schismes et la guerre ? N’avons-nous pas un même Dieu, un même Christ, un même Esprit de grâce répandu sur nous, une même vocation dans le Christ ?
Pourquoi déchirer et écarteler les membres du Christ ? Pourquoi être en révolte contre notre propre corps ? Pourquoi en venir à cette folie d’oublier que nous sommes membres les uns des autres Rappelez-vous les paroles de Jésus Notre-Seigneur qui a dit « Malheur à cet homme ! Mieux vaudrait pour lui n’être pas né que de scandaliser un seul de mes élus ; mieux vaudrait pour lui avoir une meule passée au cou et être jeté à la mer que de pervertir un seul de mes élus. ». Votre schisme a dévoyé bien des âmes : il en a jeté beaucoup dans l’abattement, beaucoup dans le doute et nous tous dans la tristesse !
Et vos dissensions se prolongent !
Reprenez l’épître du bienheureux Paul apôtre. Que vous a-t-il écrit tout d’abord dans les commencements de l’Évangile ? En vérité, c’est sous l’inspiration de l’Esprit qu’il vous a écrit une lettre touchant Céphas, Apollos et lui-même parce que dès lors vous formiez des cabales.
Épître de Clément de Rome aux Corinthiens 46, 5 – 47.4
Nous t’en prions, Maître, fais-toi notre secours et notre protecteur
Parmi nous, sauve les opprimés,
Aux humbles fais miséricorde.
Ceux qui sont tombés, relève-les ;
A ceux qui sont dans la misère, montre ta face.
Les faibles, daigne les guérir,
Les égarés de ton peuple, veuille les ramener, Donne du pain aux affamés,
Délivre-nous de nos liens,
Rends-nous debout ceux qui languissent,
Console les pusillanimes.
Que toutes les nations connaissent
que tu es toi le seul Dieu
Et que Jésus-Christ est ton Fils
Et nous-mêmes, ton peuple et le troupeau de ton bercail
Épître de Clément de Rome aux Corinthiens 59, 4
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L’ÉPITRE DE BARNABÉ
Ouvrage fondamental des origines chrétiennes, rédigée à l’époque des Pères apostoliques (début du IIè siècle), l’Épître de Barnabé est un écrit dont le statut a toujours suscité le débat. Citée par Clément d’Alexandrie et Origène en tant que livre inspiré, elle sera pour la première fois placée à la liste des textes contestés par Eusèbe de Césarée à l’époque constantinienne. On la retrouve d’ailleurs incorporée au Codex Sinaïticus, une compilation des écrits du Nouveau Testament datant du IVè siècle. Faussement placée sous la plume du compagnon de Paul, Barnabé de Chypre, elle est composée de 22 chapitres. Elle est l’ouvrage d’un chrétien issu du judaïsme connaissant parfaitement l’interprétation rabbinique des Écritures. On place son origine en Syrie-Palestine, bien que l’Égypte ait pu paraître une localisation pertinente. Elle démontre brillamment le lien de l’enseignement du Christ avec les textes de la Loi et des Prophètes, tout en présentant quelques préceptes moraux et pragmatiques nécessaires à la vie du Chrétien. On y trouvera notamment des considérations relatives à l’alimentation ou la réfutation de pratiques devenues inutiles pour l’auteur, telles la circoncision. Pour l’anecdote, c’est cette épître qui démontre la forme de la croix en la mettant explicitement en relation avec la lettre grecque Tau (t). En résumé, l’Épître de Barnabé est l’une des meilleures lectures pour découvrir le dilemme des premiers fidèles tenaillés entre la foi dans le Christ et la persistance des usages ancestraux du judaïsme.
Bibliographie élémentaire
- Épître de Barnabé, R.-A. Kraft (éd. et trad.), Sources Chrétiennes, Le Cerf, Paris, 1971
- P. PRIGENT, Les Testimonia dans le christianisme primitif. L’Épître de Barnabé I-XVI et ses sources, Gabalda, Paris, 1961
- AUDET, J.-P., La Didachè, instructions des Apôtres, Etudes Bibliques, Gabalda, Paris, 1958
Extraits
Le Seigneur a enduré que sa chair fût livrée à la destruction ; c’était en vue de nous purifier par la rémission des péchés laquelle s’opère par l’aspersion de son sang. L’Écriture parle de lui à ce sujet, en partie pour Israël, en partie pour nous, et s’exprime ainsi :
« Il a été blessé à cause de nos iniquités,
Il a été brutalisé à cause de nos péchés ;
Nous avons été guéris par sa meurtrissure ;
On l’a conduit comme une brebis à l’égorgement,
Et comme un agneau sans voix devant le tondeur ».
Nous devons donc exprimer au Seigneur notre extrême reconnaissance de ce qu’il nous a fait connaître le passé, expliqué le présent, donné une certaine intelligence de l’avenir. Or l’Écriture porte que « ce n’est pas à tort qu’on tend les filets pour les oiseaux », ce qui veut dire que l’on mérite de périr lorsqu’ayant connaissance du chemin de la justice, on se tient dans le chemin des ténèbres.
Autre chose encore, mes frères : si le Seigneur a enduré de souffrir pour nos âmes, quoiqu’il fût le Seigneur de l’univers, à qui Dieu a dit dès la fondation du monde : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance », comment du moins a-t-il enduré de souffrir par la main des hommes ? Apprenez-le : les prophètes, par une grâce qu’ils tenaient de lui, ont émis des prophéties à son sujet. Or comme il fallait qu’il se manifestât dans la chair pour abolir la mort et prouver la résurrection d’entre les morts, il a enduré de souffrir ainsi afin d’acquitter la promesse faite à nos pères, afin de se préparer pour lui-même le peuple nouveau, et de montrer dès le temps de son séjour sur la terre que c’est lui qui opère la résurrection des morts, lui qui procèdera au jugement. Enfin, tandis qu’il instruisait Israël et accomplissait des miracles et des signes si prodigieux, il prêcha et lui témoigna un amour sans mesure ; puis il choisit pour ses apôtres, pour les futurs prédicateurs de son évangile, des hommes coupables des pires péchés, afin de montrer qu’ « il n’est point venu appeler les justes, mais les pécheurs », il fit bien connaître alors qu’il était le fils de Dieu. S’il n’était pas venu dans la chair, comment les hommes fussent-ils demeurés sains et saufs à sa vue, puisqu’en face du soleil qui s’achemine au néant et qui est l’ouvrage de ses mains, ils ne peuvent lever les yeux et en fixer les rayons. Si le fils de Dieu est venu dans la chair, c’est donc pour mettre le comble aux péchés de ceux qui ont poursuivi ses prophètes à mort. Voilà donc pourquoi il a enduré de souffrir. Dieu dit en effet que la plaie de sa chair, c’est d’eux qu’elle lui vient : « Lorsqu’ils auront frappé leur berger, les brebis du troupeau périront ». Mais c’est lui qui a résolu de souffrir en la manière (que l’on sait), car il fallait qu’il souffrît sur le bois ; le prophète en effet dit à son endroit : « Épargne mon âme avec l’épée », et : « perce de clous mes chairs, car des troupes de coquins se sont dressées contre moi », et ailleurs encore :
« Vois, j’ai présenté mon dos aux fouets
Et mes joues aux soufflets ;
J’ai raidi mon visage comme une pierre dure ».
Epître de Barnabé V, 1-14
Or voici quel est le chemin de la lumière : Si quelqu’un veut parvenir jusqu’à l’endroit assigné, qu’il s’applique avec zèle à ses œuvres. Et voici la connaissance qui nous a été donnée de la façon d’y cheminer : aime Celui qui t’a créé, crains Celui qui t’a façonné, glorifie Celui qui t’a racheté de la mort ; sois simple de cœur et riche de l’esprit ; point d’attache avec ceux qui marchent dans le chemin de la mort ; haine à tout ce qui déplaît à Dieu ; haine à toute hypocrisie. Tu n’abandonneras pas les commandements du Seigneur ; tu ne t’élèveras pas, mais tu seras humble en tout ; tu ne t’attribueras point la gloire ; tu ne formeras point de mauvais desseins contre ton prochain, tu ne permettras pas l’insolence à ton âme. Tu ne commettras ni fornication ni adultère, tu ne corrompras point l’enfance. Ne te sers pas de la parole, ce don de Dieu, pour dépraver quelqu’un. Tu ne feras point acception de personne en reprenant les fautes d’autrui. Sois doux, sois calme ; tremble aux paroles que tu entends ; ne garde pas rancune à ton frère. Tu ne te demanderas pas avec inquiétude si telle chose arrivera ou non. « Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur. » Tu aimeras ton prochain plus que ta vie. Tu ne feras pas mourir l’enfant dans le sein de la mère ; tu ne le tueras pas davantage après sa naissance. Tu ne retireras pas la main de dessus ton fils et ta fille ; mais dès leur enfance tu leur enseigneras la crainte de Dieu. Tu n’envieras point les biens de ton prochain ; tu ne seras pas cupide. Tu n’attacheras pas ton cœur aux orgueilleux, mais tu fréquenteras les humbles et les justes. Tu regarderas comme un bien tout ce qui t’arrive, sachant que rien n’arrive sans Dieu. Tu n’auras point de duplicité ni en pensées ni en paroles : car la duplicité de langage est un piège de mort. Tu te soumettras à tes seigneurs avec respect et crainte, comme à des représentants de Dieu. Tu ne commanderas pas avec amertume à ton serviteur ou à ta servante qui espèrent dans le même Dieu que toi, de peur qu’ils n’en viennent à ne plus craindre Dieu qui est votre commun maître et qui n’appelle point selon les différentes catégories de personnes, mais tous ceux que l’Esprit a disposés. Tu communiqueras de tous tes biens à ton prochain et tu ne diras point que tu possèdes quelque chose en propre, car si vous participez en commun aux biens impérissables, combien plus aux biens périssables. Ne sois pas bavard, car la langue est un piège de mort. Pour le bien de ton âme, tu seras chaste au degré qui te sera possible. N’aie pas les mains étendues pour recevoir, et fermées pour donner. Tu chériras « comme la prunelle de ton œil » quiconque te prêchera la parole de Dieu. Tu penseras nuit et jour au jour du jugement et tu rechercheras constamment la compagnie des saints, soit que tu travailles par la parole, allant porter des exhortations et cherchant par tes discours à sauver une âme, soit que tu travailles des mains pour racheter tes péchés. Tu donneras sans délai et sans murmure ; et tu reconnaitras un jour qui sait récompenser dignement. « Tu observeras » les commandements que tu as reçus, « sans y rien ajouter, sans en rien retrancher ». Tu haïras le mal jusqu’à la fin. « Tu jugeras avec équité. » Tu ne feras pas de schisme ; mais tu procureras la paix en réconciliant les adversaires. Tu feras l’exomologèse de tes péchés. Tu n’iras pas à la prière avec une conscience mauvaise. Tel est le chemin de la lumière
Épître de Barnabé XIX, 1-12
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Peu de textes concernant le Ier siècle et les racines de la foi chrétienne sont parvenus jusqu’à nous en dehors des écrits contenus dans le Nouveau Testament. Un ouvrage fut pourtant mentionné dans l’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée (IVe siècle) ainsi que dans de nombreuses listes anciennes se référant au Canon. Il s’agit de la Didachè, manuel à l’intention des premiers fidèles, se réclamant de l’autorité des douze Apôtres. Rédigé à la fin du Ier siècle, probablement en Syrie ou Palestine, ce précieux opuscule n’avait jamais mis au jour jusqu’en 1873 lorsqu’il fut découvert par le Métropolite Philothée Bryennios de Nicomédie dans la bibliothèque du Patriarcat Grec de Jérusalem sur une copie réalisée en 1056 et contenant également l’intégralité du texte de l’Epître de Barnabé. Rédigée en grec, la Didachè se présente effectivement sous forme d’un cours ouvrage mettant en avant l’enseignement des Douze à l’intention du croyant, à travers des préceptes moraux directement inspirés des racines judéennes de la foi dans le Christ. Son titre signifie « enseignement » ou « doctrine » ; l’ouvrage existe d’ailleurs également en latin, dans une version légèrement différente, sous l’appellation Doctrina Duodecim Apostolorum. Fondée sur un écrit très ancien appelé Les Deux Voies (Duae Viae) et perdu depuis longtemps, l’œuvre s’organise sur la distinction essentielle entre le chemin de la lumière et le chemin des ténèbres afin d’orienter le Chrétien sur la juste attitude à adopter dans l’attente de la Parousie. Bien que non intégrée au sein du Canon de l’Eglise Catholique, la Didachè n’a jamais été considérée comme ouvrage déviant et bénéficie jusqu’à nos jours d’une large estime de la part des milieux ecclésiastiques. Il convient de préciser qu’elle fut d’ailleurs incluse parmi les écrits canoniques par certaines des premières listes d’ouvrages reçus comme tels. Son statut est par ailleurs celui d’un écrit inspiré reconnu par l’autorité pontificale jusqu’à notre époque. Sa lecture révèle au croyant la profondeur de la foi des premiers Pères et démontre une incroyable actualité des propos choisis pour nourrir l’espérance intemporelle de ceux qui placent leur cœur dans le Christ.
Bibliographie élémentaire
• La Doctrine des Douze Apôtres, W. Rordorf (éd. et trad.), Sources Chrétiennes, Le Cerf, Paris, 1998
• AUDET, J.-P., La Didachè, instructions des Apôtres, Etudes Bibliques, Gabalda, Paris, 1958
Extraits
Il y a deux chemins : l’un de la vie, l’autre de la mort ; mais il est entre les deux chemins une grande différence. Or le chemin de la vie est le suivant : d’abord, tu aimeras Dieu qui t’a créé ; en second lieu, tu aimeras ton prochain comme toi-même ; et ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait, toi non plus ne le fais pas à autrui. Et voici l’enseignement signifié par ces paroles : « Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour vos ennemis, jeûnez pour ceux qui vous persécutent. Quel mérite, en effet, d’aimer ceux qui vous aiment ! Les païens n’en font-ils pas autant ? Quant à vous, aimez ceux qui vous haïssent », et vous n’aurez pas d’ennemis. Abstiens-toi des désirs charnels et corporels. Si quelqu’un te donne un soufflet sur la joue droite, présente lui l’autre aussi, et tu seras parfait ; si quelqu’un te requiert de faire un mille, fais-en deux avec lui ; si quelqu’un t’enlève ton manteau, donne-lui encore ta tunique ; si quelqu’un t’a pris ton bien, ne le réclame pas, car tu n’en as pas le pouvoir. Donne à quiconque t’implore, sans rien redemander, car le Père veut qu’il soit fait part à tous de ses propres largesses. Heureux celui qui donne, selon le commandement car il est irréprochable. Malheur à celui qui reçoit ! Certes si le besoin l’oblige à prendre, il est innocent ; mais, s’il n’est pas dans le besoin, il rendra compte du motif et du but pour lesquels il a pris ; il sera mis en prison, examiné sur sa conduite et il ne sortira pas de là qu’il n’ait rendu le dernier quart d’as. Mais il a été dit également à ce sujet : « Laisse ton aumône se mouiller de sueur dans tes mains, jusqu’à ce que tu saches à qui tu donnes ».
Didaché I, 1-6
Mon enfant, souviens-toi nuit et jour de celui qui t’annonce la parole de Dieu ; honore-le comme le Seigneur, car là où est annoncée sa souveraineté, là est aussi le Seigneur. Recherche tous les jours la compagnie des Saints, afin de te réconforter par leurs conversations. Tu ne feras point de schisme, mais tu mettras la paix entre ceux qui se combattent. Tu jugeras avec justice ; tu ne feras pas acception de la personne en reprenant les fautes. Tu ne demanderas pas avec inquiétude si une chose arrivera ou non. Ne tiens pas les mains étendues quand il s’agit de recevoir, et fermées quand il faut donner. Si tu possèdes quelque chose grâce au travail de tes mains, donne afin de racheter tes péchés. Ne balance pas avant de donner, mais donne sans murmure et tu reconnaîtras un jour qui sait récompenser dignement. Ne repousse pas l’indigent, mets tout en commun avec ton frère et ne dis pas que tu as des biens en propre, car si vous entrez en partage pour les biens immortels combien plus y entrez-vous pour les biens périssables ?
Didachè, IV, 1-8
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« Miséricorde de Dieu Oasis de paix ! »
Homélie de Mgr Gilbert Aubry (Fête de la Miséricorde divine, 8 avril 2018)
« Jésus est ressuscité. Il est vraiment ressuscité ! » La fête de Pâques se prolonge dans un océan de Miséricorde. La Miséricorde du Père se manifeste à travers Jésus Miséricordieux en ce passage de l’Evangile de saint Jean qui vient d’être proclamé. Une semaine après Pâques.
Pâques. Jésus apparaît à Marie Madeleine. Elle annonce la nouvelle à ceux qui ont vécu avec lui. Mais les disciples ne croient pas. Ils pensent que ce sont des racontages de femmes. Et puis, de manière indépendante, Jésus chemine avec les disciples d’Emmaüs, il leur explique les Ecritures et se fait reconnaître d’eux à la fraction du pain. Les disciples d’Emmaüs vont le dire aux disciples réunis en l’absence de Judas qui s’est suicidé sous le poids de son crime qu’il pensait impardonnable. Thomas n’est pas là. Marie Madeleine raconte. Les disciples d’Emmaüs racontent. Ils ont rencontré directement Jésus qui leur a parlé. Mais les dix disciples réunis, sans Judas et Thomas, ne croient pas.
Et voilà que les disciples se posent des questions et encore des questions. Ils balancent entre la certitude affirmée par les témoins et leur cœur endurci. Leur cœur sclérosé est comme mort parce qu’ils sont assommés par le drame qu’ils ont vécu. D’ailleurs ils deviennent des trouillards, ils ont peur des juifs qui se moquent d’eux. Ah le maître, le maître crucifié, quel maître ? Quel rabbi ? Un rabbi crucifié ? Et s’ils l’ont vraiment aimé, pourquoi ils se barricadent dans la maison, pourquoi ils verrouillent les portes du lieu où ils se trouvent ? Ils s’enferment comme des rats, prisonniers de leur incrédulité et se croyant protégés par leur enfermement mortifère. Ce n’est pas le moment de parler et ils ne veulent voir personne d’autant plus qu’on est en train de faire courir le bruit qu’ils ont volé le corps de Jésus. Le tombeau est vide. Les soldats font leur rapport. Taisez-vous. Ne dites rien.
Jésus est partout
Le tombeau est vide effectivement. Jésus est partout. Il est vraiment ressuscité. Il n’a pas besoin de passeport pour avoir un sauf conduit d’un lieu à un autre. Il n’a pas besoin d’un passeport et d’un visa pour circuler librement. Alors il passe à travers les murs, lui la Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Mais il n’est pas une lumière désincarnée, il n’est pas une lumière artificielle. Ce n’est pas un hologramme. C’est vraiment lui-même. Il est là au milieu de ses dix disciples qui alors prennent conscience de leur manque de foi, de leur manque de confiance dans leur Maître et Seigneur.
Trois avaient dormi pendant que Jésus transpirait du sang au jardin de l’agonie, tous sauf deux avaient fui par lâcheté. Un avait renié par peur. Et pire que tout, Judas s’est suicidé, ne pensant pas que Jésus pouvait pardonner une lâcheté et un reniement ainsi que le doute sur la possibilité du pardon. Jésus les connait tous. A part Jean, fidèle par amour, et Simon-Pierre fidèle à l’obéissance. C’est comme si Jésus n’a plus d’apôtres.
Jésus passe à travers les murs. Il est là au milieu des dix réunis. Il sait tout. Il sait qu’ils n’ont pas la paix. Alors, il leur dit « la paix soit avec vous ». Il leur montre ses mains et son côté pour montrer que c’est vraiment lui, qu’il a été crucifié et qu’il est vraiment ressuscité. Il est ressuscité. L’attitude de Jésus n’est pas une provocation. Il ne les accuse pas. Il se montre à eux pour leur donner la paix. Il se donne à eux dans le lieu de leur enfermement, dans le lieu de leur barricadage et de leur doute, de leur peur. Il n’est pas dans la provocation ni dans l’accusation. Jésus se donne à eux au-delà de tout ce qu’ils peuvent imaginer. Il se donne à eux dans le pardon. Par don. Don. Donner de lui-même. Se donner lui-même, encore et toujours. Alors oui, c’est la joie des retrouvailles. Et quelles retrouvailles ! La paix va en grandissant avec la confiance réciproque « ils furent remplis de joie ». Et une deuxième fois, Jésus leur dit « la paix soit avec vous ».
Jésus souhaite la paix à ses disciples, lui le Ressuscité. Et il avait déjà dit de son vivant terrestre avant sa résurrection à ces mêmes disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre » (Jn 14, 27). Jésus se donne, Jésus par-donne. Jésus enveloppe de sa miséricorde pour que ses disciples deviennent miséricordieux, qu’ils deviennent les apôtres de la miséricorde du Père. Jésus fait confiance à ceux qui sont pardonnés et il envoie en mission : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21). Les disciples ont connu l’épreuve d’un abandon apparent de la part de Jésus mais l’épreuve a été humiliante et salutaire. Il a fallu que les disciples soient pardonnés pour que vive en eux la paix du pardon, pour qu’ils puissent pardonner à leur tour. « Père pardonne-nous nos offenses… Si tu retiens les fautes Seigneur, qui subsistera… mais près de toi se trouve le pardon, je te crains et j’espère » (ps 129).
Jésus pardonne les péchés
Oui, Jésus passe à travers les murs. Il est là au milieu des dix rassemblés. Il leur donne la paix. Il leur pardonne pour qu’ils puissent pardonner les péchés de ceux à qui ils sont envoyés. Alors Jésus les enveloppe de sa miséricorde pour les cuirasser de sa tendresse, de sa lumière et de sa force en les enveloppant de son souffle vivant et chaud. « Il souffla sur eux et leur dit ‘Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus » (Jn 20). C’est l’Esprit Saint qui, par le ministère de l’Eglise dans les prêtres, pardonne les péchés. Telle est la volonté de Jésus à qui « tout pouvoir a été donné au ciel et sur la terre ». Nous connaissons la polémique concernant le paralytique guéri par Jésus à Capharnaüm : « Qui donc peut pardonner les péchés sinon Dieu seul ? » (Mc 2, 7). Le Crucifié-Ressuscité qui donne aux disciples le pouvoir exclusif de pardonner les péchés, leur délègue alors le pouvoir même de Dieu d’absoudre, de faire toute chose nouvelle. Le prophète Isaïe nous avait déjà dit ce privilège exclusif de Dieu : « C’est moi, oui, c’est moi qui efface tes crimes, à cause de moi-même, de tes péchés, je ne vais plus me souvenir » (Is. 43, 25). Et le prophète Michée nous fait découvrir la paix de Dieu dans l’oasis de sa miséricorde : « Qui est Dieu comme toi pour enlever le crime, pour passer sur la révolte comme tu fais à l’égard du reste, ton héritage, un qui ne s’obstine pas toujours dans sa colère mais se plaît à manifester sa faveur ? De nouveau, tu nous montreras ta miséricorde, tu fouleras aux pieds nos crimes, tu jetteras au fond de la mer tous nos péchés ! » (Mi 7, 18-19).
Et puis, Thomas finit par rejoindre les dix. Il ne peut pas rester dans son coin, faire bande à part et continuer à se demander ce qui est arrivé à Jésus, sans trouver de réponse. Il arrive dans le groupe qui est tout joyeux d’avoir vu Jésus ressuscité. Ils racontent comment Jésus était avec les plaies encore dans ses mains et son côté. Ils parlent de l’envoi en mission et du pouvoir de pardonner les péchés. C’est si important. Mais Thomas se braque. Il est seul contre tous et ne peut pas imaginer l’inimaginable. Il fait alors sa fameuse déclaration : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans son côté, non, je ne croirai pas ! » (Jn 20, 25). Quand il dit cela, il ne se rend même pas compte qu’il est contradictoire. En effet, si l’on voit quelque chose, l’on n’a pas besoin de croire. C’est une évidence, c’est une constatation. Quand il dit cela, il met en doute le témoignage du groupe des dix.
Cela ne veut pas dire nécessairement que Thomas doute de la divinité de Jésus. C’est peut-être justement parce qu’il croit que Jésus est Dieu et qu’il est triomphant au ciel. Il pourrait apparaître comme un esprit. Mais de là à croire qu’il est ressuscité en chair et en os. Non, ce n’est pas possible. En plus avec des trous dans ses mains, dans son côté. Non, non et non. Tous ensemble vous êtes des fous. C’est ce qu’il pense. Si Jésus est vraiment ressuscité, s’il est Dieu et puisqu’il est Dieu, il ne peut pas se rabaisser à défigurer Dieu de cette manière.
Huit jours après Pâques, les onze, les dix du soir de Pâques et Thomas sont réunis. Les disciples se retrouvent dans la maison. Jésus revient. Les portes sont verrouillées. Il est là au milieu d’eux. Il salue par « la paix soit avec vous ». Et tout de suite, alors qu’il n’était pas présent au moment de la déclaration de Thomas, il s’adresse directement à Thomas en reprenant les paroles mêmes de Tomas : « Avance ton doigt ici et vois mes mains ; avance ta main et mets-là dans mon côté ; cesse d’être incrédule, sois croyant » (Jn 20, 27). Alors, nous avons cette merveilleuse confession de foi « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Thomas adore le Serviteur souffrant et glorieux de l’Humanité, serviteur annoncé par le prophète Isaïe : « Ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées (…) c’est par ses blessures que nous sommes guéris » (Isaïe 53, 4 et 5).
Dieu a un cœur de Miséricorde
Les paroles d’Isaïe ne sont pas que pour le passé. Elles sont aussi pour aujourd’hui. N’oublions pas que de toute éternité, Jésus est le Verbe de Vie par qui le Père fait tout exister et sans qui rien ne pourrait exister. Il voit l’espace, le temps, le monde et les fautes infinies des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes, des personnes âgées. Il voit la beauté de la création, les joies et les peines des humains. Tout est en Lui. Il prend sur lui les massacres et les guerres, les paix menteuses et les horribles carnages, la haine, les coups, les vols, les viols, les harcèlements de toutes sortes, la sensualité et l’orgueil, toute la saleté du monde. Lui qui n’a pas de péché prend sur lui tous nos péchés. Il prend sur lui et nous fait vivre alors même que nous sommes en train de le tuer dans la chair humaine « ce que vous aurez fait au plus petit, c’est à moi que vous l’aurez fait » (Myh 25, 40). Si ce n’est pas de la miséricorde, je ne vois pas ce que c’est.
Oui, Dieu a un cœur qui porte toutes les misères du monde, un cœur de miséricorde éternelle avec le cœur de Jésus qui fait palpiter chacun de nos cœurs et tous les univers. Alors, venons à lui avec nos fardeaux d’espérance et de douleurs. Il y en a qui vacillent parce qu’il y a trop de douleurs et que le fardeau est trop lourd. Il y en a qui tombent au bord du chemin parce que d’autres plus forts les poussent pour les éliminer. Il y en a qui se sentent abandonnés par ceux qui passent, piétinés même, et qui se sentent mourir. Ils en arrivent à haïr et à maudire. Non, tout cela n’est pas conforme au plan de Dieu en Jésus-Christ, par Jésus-Christ et avec lui. Devenons des bons samaritains et des Symon de Cyrène et que chacun de nous puisse rencontrer sur sa route un bon samaritain ou un Symon de Cyrène quand l’espoir disparaît et qu’il ne reste plus que l’espérance au-delà de toute espérance. Que les faibles qui tombent trouvent une aide, une parole, une main secourable, un remède contre la maladie, qu’ils revoient la lumière, qu’ils entendent de nouveau la voix qui dit « Confiance. Espère. Tu n’es pas seul. Sur toi il y a Dieu. Avec toi il y a Jésus ! » (NB)
Que sainte Faustine nous soit en aide avec nos saints patrons, avec les saints de nos familles dans l’éternelle fête de la Toussaint, avec les saints de nos paroisses, pour que nous puissions grandir en sainteté, jour après jour. Ne comptons pas sur un miracle comme lors de la rencontre où Jésus passe à travers les murs pour rencontrer les dix, puis les onze. Le miracle est déjà là avec le don de l’Esprit Saint, la Parole, l’Eglise, les sacrements, l’Eucharistie, la confession, nos assemblées dominicales, nos relations.
Que l’Esprit Saint soit donné à tous nos prêtres, à tous nos diacres, à tous nos consacrés, à toutes nos religieuses pour que nous soyons ensemble serviteurs de la divine miséricorde.
Que nos familles vivent en abondance l’amour et la fidélité afin que la vie soit respectée depuis le sein maternel jusqu’à la mort naturelle.
Que des jeunes se lèvent, jeunes hommes et jeunes femmes pour donner joyeusement et totalement leur vie au Seigneur et au devenir humain de notre peuple.
Que la Miséricorde divine, par le sang glorieux de Jésus baigne notre île du battant des lames au sommet des montagnes.
Et que règnent l’amour et la liberté, la justice et la paix, la joie et l’espérance pour aujourd’hui, pour demain et pour l’éternité.
Monseigneur Gilbert Aubry
NB : Pour ce paragraphe, je reprends la vision de Maria Valtorta dans le « Poème de l’Homme Dieu ».