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L’Eucharistie au quotidien

Permettez-moi de commencer cet entretien par quelques versets de la première épître aux Corinthiens de saint Paul (11, 23-32) :

« Pour moi, en effet, j’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit : ‘Ceci est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi.’ De même, après le repas, il prit la coupe, en disant : ‘Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi.’ Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur. Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il ne discerne le Corps. Voilà pourquoi il y a parmi vous beaucoup de malades et d’infirmes, et que bon nombre sont morts. Si nous nous examinions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. Mais par ses jugements le Seigneur nous corrige, pour que nous ne soyons point condamnés avec le monde. »

La méditation des sacrements, et plus particulièrement sur l’eucharistie, nous permet de mieux comprendre ce qu’est la vie chrétienne. Le Concile Vatican II déclare que l’eucharistie est « source et sommet de toute la vie chrétienne » (LG 11). « Les autres sacrements ainsi que tous les ministères ecclésiaux et les tâches apostoliques sont tous liés à l’eucharistie et ordonnés à elle. Car la sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l’Église, c’est-à-dire le Christ lui-même, notre Pâque » (PO 5). L’eucharistie doit donc être la source, le centre et le sommet de toute vie chrétienne, parce que ce sacrement est le don parfait de l’amour de Dieu pour nous. Tous les sacrements conduisent à l’eucharistie et n’ont de raison que pour l’eucharistie. Le baptême permet à Dieu de régénérer notre âme pour nous permettre de recevoir Jésus dans l’eucharistie. La confirmation nous confère les dons du Saint Esprit pour avoir la force et le courage de vivre en conformité avec l’eucharistie et d’annoncer au monde entier l’amour de Dieu présent dans le sacrement des sacrements. Le sacrement de l’ordre permet de célébrer l’eucharistie pour donner Jésus vrai Dieu et vrai homme à tout le Peuple de Dieu. Le sacrement de réconciliation permet de recevoir la miséricorde de Dieu pour s’approcher de la sainte table de communion après avoir commis un péché grave. Le sacrement de mariage permet à Jésus d’entrer en procession dans le nouveau foyer pour que par l’eucharistie les époux vivent toujours plus chrétiennement selon le projet de Dieu sur leur famille. Enfin, le sacrement des malades permet d’être soutenu dans l’épreuve de la maladie d’une façon toute particulière et de recevoir l’eucharistie pour bien vivre la pâque de notre vie.

On appelle ce sacrement Eucharistie, mais il faut savoir qu’on lui donne aussi d’autres noms signifiant chacun un aspect du sacrement (CEC 1328-1332) :

  • « 1328 Eucharistie parce qu’il est action de grâces à Dieu. Les mots eucharistein (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 24) et eulogein (Mt 26, 26 ; Mc 14, 22) rappellent les bénédictions juives qui proclament – surtout pendant le repas – les œuvres de Dieu : la création, la rédemption et la sanctification. »

  • « 1329 Repas du Seigneur (cf. 1 Co 11, 20) parce qu’il s’agit de la Cène que le Seigneur a pris avec ses disciples la veille de sa passion et de l’anticipation du repas des noces de l’Agneau (cf. Ap 19, 9) dans la Jérusalem céleste.

  • « Fraction du Pain parce que ce rite, propre au repas juif, a été utilisé par Jésus lorsqu’il bénissait et distribuait le pain en maître de table (cf. Mt 14, 19 ; 15, 36 ; Mc 8, 6. 19), surtout lors de la dernière Cène (cf. Mt 26, 26 ; 1 Co 11, 24). C’est à ce geste que les disciples le reconnaîtront après sa résurrection (cf. Lc 24, 13-35), et c’est de cette expression que les premiers chrétiens désigneront leurs assemblées eucharistiques (cf. Ac 2, 42. 46 ; 20, 7. 11). Ils signifient par là que tous ceux qui mangent à l’unique pain rompu, le Christ, entrent en communion avec Lui et ne forment plus qu’un seul corps en Lui (cf. 1 Co 10, 16-17).

  • « Assemblée eucharistique (synaxis) parce que l’Eucharistie est célébrée en l’assemblée des fidèles, expression visible de l’Église (cf. 1 Co 11, 17-34).

  • « 1330 Mémorial de la passion et de la résurrection du Seigneur.

  • « Saint Sacrifice, parce qu’il actualise l’unique sacrifice du Christ Sauveur et qu’il inclut l’offrande de l’Église ; ou encore saint sacrifice de la messe, « sacrifice de louange » (He 13, 15 ; cf. Ps 116, 13. 17), sacrifice spirituel (cf. 1 P 2, 5), sacrifice pur (cf. Ml 1, 11) et saint, puisqu’il achève et dépasse tous les sacrifices de l’Ancienne Alliance.

  • « Sainte et divine Liturgie, parce que toute la liturgie de l’Église trouve son centre et son expression la plus dense dans la célébration de ce sacrement ; c’est dans le même sens qu’on l’appelle aussi célébration des Saints Mystères. On parle aussi du Très Saint Sacrement parce qu’il est le sacrement des sacrements. On désigne de ce nom les espèces eucharistiques gardées dans le tabernacle.

  • « 1331 Communion, parce que c’est par ce sacrement que nous nous unissons au Christ qui nous rend participants de son Corps et de son Sang pour former un seul corps (cf. 1 Co 10, 16-17) ; on l’appelle encore les choses saintes : ta hagia ; sancta (Const. Ap. 8, 13, 12 ; Didaché 9, 5 ; 10, 6) – c’est le sens premier de la « communion des saints » dont parle le Symbole des Apôtres -, pain des anges, pain du ciel, médicament d’immortalité (S. Ignace d’Antioche, Eph. 20, 2), viatique

  • « 1332 Sainte Messe parce que la liturgie dans laquelle s’est accompli le mystère du salut, se termine par l’envoi des fidèles (« missio ») afin qu’ils accomplissent la volonté de Dieu dans leur vie quotidienne. »

Jésus parle de l’eucharistie

Pour bien comprendre l’intention de notre Seigneur dans l’institution de l’eucharistie, il est indispensable de nous replonger dans l’évangile de saint Jean. Dans les chapitres 6 à 12, on trouve 7 grandes affirmations de Jésus : Je suis le pain de vie, je suis la lumière du monde, je suis, je suis la porte, je suis le bon pasteur, je suis le Fils de Dieu, je suis la résurrection. Ces affirmations de Jésus manifestent comment il se donne à nous. On retrouve la logique de l’Agneau (pain de vie, je suis la porte), de l’Époux (lumière du monde, bon pasteur) et du Fils de Dieu (je suis, je suis le Fils de Dieu, je suis la résurrection). Comprenons bien que la misère humaine fondamentale c’est de ne pas avoir de pain ni de toit. L’Agneau de Dieu se présente comme notre abri et notre pain. Jésus se fait le pain des pauvres et leur abri.

Entrons dans la logique du chapitre 6 où Jésus nous révèle qu’il est le pain de vie. Une foule innombrable suit Jésus sans savoir où elle va, sans se soucier de la nourriture. La foule lui fait confiance et accepte le jeûne. Les apôtres ont tendance à critiquer car ils ont faim ; ils ne comprennent pas. De là Jésus peut faire son geste prophétique, car ceux qui sont là ont faim et connaissent la valeur du pain. Jésus redonne la signification du pain au peuple, nourriture fondamentale de l’homme. De plus, il demande au petit enfant de lui offrir ces pains et ces poissons. Jésus se sert de l’offrande d’un enfant pour faire l’eucharistie (c’est la logique du don et de l’offrande). Jésus multiplie en abondance (quantité et qualité). Il est important de revenir à la préparation de cette journée avant d’aborder l’eucharistie (marche au désert, jeûne, offrande et confiance en Jésus). Une fois bien nourrie, la foule veut proclamer Jésus roi, mais d’une royauté temporelle. Jésus refuse cette royauté et part au désert. Pendant ce temps, les apôtres repartent à Capharnaüm. Jésus les rattrape en marchant sur l’eau. Par ce second miracle, Jésus manifeste qu’il est maître de la loi naturelle physique qu’il peut changer. Pendant ce temps-là la foule qui s’était endormie (superbe action de grâce !), cherche Jésus et le trouve près de la synagogue. Jésus leur reproche de le chercher pour des avantages matériels et non pour lui-même. Travaillez non pour la nourriture périssable mais pour la nourriture impérissable, le pain de vie. La fin du travail n’est pas, en fait, la nourriture terrestre, mais l’eucharistie. C’est pour cela que l’on offre le pain et le vin à la messe. L’offertoire permet de transformer le travail de chaque jour qui permet de gagner le pain et le vin, en offrande pour entrer dans l’eucharistie. C’est l’image de Jésus prenant toutes les peines du monde (fruit de la terre et du travail des hommes) sur lui pour les offrir au Père sur l’autel de la Croix.

Dans le discours qui suit (discours sur le pain de vie), en reprenant l’image de la manne, notre Seigneur dit que le Père est celui qui donne le pain, qui donne Jésus au monde. Cette manne donnée gratuitement préfigure le don de l’eucharistie. Il faut vivre divinement de la manne. Le miracle de la manne ne se reproduira pas matériellement, car il faut travailler pour vivre. Jésus se présente comme la nouvelle manne, le pain de vie. Cette manne était donnée chaque jour pour nourrir le peuple. Ici Jésus, à l’image de la manne, se présente comme le pain descendu du ciel pour qu’on ne meurt pas. Ce pain que Jésus veut nous donner c’est sa chair et son sang. Cette affirmation est grandiose. Nous sommes trop souvent blasés d’entendre ces paroles et nous n’y prêtons plus attention, alors que Jésus nous apporte une véritable révolution dans notre vie. Si on accepte de manger cette nourriture, elle nous rassasiera et Dieu sera en nous pour la vie éternelle.

Au lieu de recevoir ces paroles, la foule se met à discuter et refuse de croire. Par le pain de vie Jésus déclare qu’il est le Fils de Dieu et les grandes luttes commencent contre lui. Ces paroles sont trop dures et beaucoup de disciples le quittent. Jésus se tourne vers les apôtres et les interroge. Voulez-vous me quitter ou rester ? Pierre, au nom des autres apôtres, affirme sa fidélité à Jésus même s’il ne comprend pas le sens des paroles. Néanmoins, Jésus parle déjà d’un d’entre eux qui ne croit pas au pain de vie : c’est Judas. Intérieurement il ne croit pas, il refuse de croire au mystère du pain de vie, au mystère de l’eucharistie.

L’institution de l’eucharistie en saint Luc 22 et saint Jean 13.

Saint Luc nous montre que Jésus a institué l’eucharistie à la fin du repas pascal commémorant la libération des hébreux d’Égypte, du peuple d’Israël. Il anticipe la croix au cours de ce dernier repas familial. Il renouvelle l’Alliance comme législateur. Pour cela, il commence par commémorer la pâque ancienne, le passage de l’ange exterminateur dans les maisons non marquées par le sang de l’Agneau. Il résume en lui l’ancienne alliance, l’assume et l’achève pour lui donner un sens nouveau.

L’institution de l’eucharistie est d’une extrême simplicité après la célébration de l’ancienne pâque. Jésus se sert de ce qui a de plus simple, du pain azyme. Il fait cela sur les restes de l’ancienne alliance, qu’il mène à sa perfection par le pain et le vin qu’il transforme en son corps et son sang. L’ancienne pâque était un passage terrifiant de Dieu, mais libérateur ; la nouvelle pâque est le don de la personne même du Christ qui est la vraie libération. On passe d’une mémoire à une présence nouvelle.

Saint Jean. Pour faire comprendre ce qu’il va faire, il fait le geste du lavement des pieds. Les apôtres ne comprennent pas la signification. Jésus répond à Pierre qu’il n’aura pas part avec lui s’il n’accepte pas. Ne pas avoir part signifie ne pas suivre Jésus partout y compris sur la croix. Ne pas le suivre sur la croix signifie ne pas avoir part à la vie éternelle. Pierre, en tant que personne généreuse, donne une réponse excessive. Jésus, dans son amour pour Judas veut une dernière fois lui tendre la main en s’humiliant devant lui, en lui lavant les pieds alors qu’il avait déjà décidé de le livrer. Ainsi Jésus montre ce qu’est l’amour et le pardon. Le drame est que Judas n’a pas reçu le pardon de Jésus et est parti à sa perdition.

Il fallait qu’avant l’institution de la Cène que Jésus pardonne et que les apôtres reçoivent ce pardon. Ainsi le sacrement de réconciliation est intimement lié à l’eucharistie. Pour recevoir le pain de vie, il faut accepter d’être réconcilié avec le Père par le Fils qui nous lave les pieds. Ce dernier repas est enveloppé du pardon. En montrant cet exemple de pardon, il veut que tous les apôtres pardonnent aussi à ceux qui ont péché (cf. le Notre Père). Le pardon est la chose la plus difficile, le sommet de la miséricorde ; c’est pour cela que le pardon est lié et inséré dans l’eucharistie. L’eucharistie étant l’actualisation de la croix, est l’actualisation du pardon de Dieu pour chacun d’entre nous.

En faisant ce geste du lavement des pieds, Jésus ne renonce pas à son autorité en faisant le geste de l’esclave, mais montre l’exemple. À ce moment solennel où Jésus agit en tant que législateur, il fait ce geste. La portée de ce geste est capitale. Aujourd’hui on oppose le maître et l’esclave (dialectique de Marx et Hegel), alors que Jésus indique la bonne mesure de la pratique de l’autorité, la charité. Il nous explique ce qu’est l’autorité, un service qui relève de l’ordre de la charité. En dehors de cela, l’autorité est toujours exercée de façon tyrannique.

Jésus fait ce geste comme législateur (Jn : le Père lui a tout remis entre les mains) dans un repas familial, c’est-à-dire dans la charité fraternelle. De fait, on ne peut pas comprendre l’eucharistie si on ne regarde pas le lavement des pieds et l’ordonnancement de la charité avec le pardon. Ce sommet de la charité lui permet de devancer l’heure.

Jésus institue l’eucharistie au cours d’un repas. Regardons rapidement la signification des repas dans l’évangile de saint Jean. Nous en trouvons cinq : Cana, la multiplication des pains, Béthanie (le parfum symbolise l’action de grâce gratuite – on ne récupère pas le parfum versé), lavement des pieds (symbolise le pardon et le service), repas après la résurrection (l’eucharistie est la nourriture que Dieu veut nous donner pour refaire nos forces chaque jour). Cana permet de comprendre le symbolisme du vin. Dans l’A.T. le pain est lié au travail pénible (Genèse) au symbolisme de la nécessité vital (la manne). Le vin est la surabondance, la joie (Jésus commence par Cana pour montrer que la nouvelle alliance est du domaine de la surabondance de l’amour de Dieu).

De fait, on voit bien les différentes significations de l’eucharistie préfigurées et annoncées tout au long de l’évangile de saint Jean : le don de la surabondance de la grâce qui réjouit le cœur de l’homme ; ce don surabondant inclut la quantité et la qualité, le pardon et la gratuité ; ce don est institué pour refaire nos forces.

L’eucharistie est donc un repas car il a été institué au cours d’un repas pour montrer la dimension de la charité, mais c’est avant tout le sacrifice de la croix. L’amour de Dieu manifesté sur la croix veut venir en nous. La croix n’est pas seulement la rédemption, la purification, mais le don de Dieu lui-même, c’est-à-dire l’amour. Dieu ne fait pas qu’une action extérieure, mais se donne lui-même. Le don se réalise par la croix ; c’est pour cela que l’on ne peut pas séparer l’eucharistie-banquet (céleste) de l’eucharistie-sacrifice. L’eucharistie permet de comprendre la croix et la croix renvoie à l’eucharistie. L’un sans l’autre n’a pas de sens car on quitterait la logique de l’amour. La double consécration manifeste bien la réalité du sacrifice par la séparation du corps et du sang.

La présence réelle

Par les paroles que le prêtre prononce à la consécration, le Christ réactualise le Saint Sacrifice de la Croix et se rend présent sous l’apparence d’un peu de pain et d’un peu de vin. Et lorsque nous recevons, ce n’est-ce qu’un petit fragment d’une hostie consacrée, nous recevons la plénitude de l’humanité et de la divinité du Christ, mais les fruits de la communion dépendent en grande partie de nos dispositions suivant les avertissements de saint Paul dans la 1ère épître aux Corinthiens.

L’hostie consacrée reste du pain en apparence, mais la substance du pain a disparu au profit du Corps du Christ. Le Christ nous est donné de façon invisible ; seule la foi nous permet de voir cela et de venir au secours de l’intelligence qui ne peut comprendre un tel mystère. C’est le mystère de la transsubstantiation. Les apparences demeurent, mais la substance change. Jésus se sert du travail humain et non de simples grains de blé et de grains de raison. Seul Dieu peut opérer la transsubstantiation. L’homme peut transformer la matière, mais pas en changer sa nature tout en laissant les apparences.

Comprenons bien que le pain symbolise le réalisme de l’amour. Dieu se fait notre aliment et meurt sur la croix. Deux gestes forts qui montrent la réalité de l’amour de Dieu pour nous. Dieu veut aimer chacun d’entre nous comme si nous étions uniques et qu’il n’y a pas d’autres créatures. Dans l’eucharistie, on reçoit la totalité du sacrifice de la croix et de la résurrection comme si nous étions seuls au monde.

De même que la nourriture est individuelle et personnelle (on ne peut pas manger pour un autre !), l’eucharistie est le don personnel de Dieu pour chacun d’entre nous. Le pain nous nourrit, on l’assimile et devient notre substance. Le pain est le serviteur de l’homme par excellence. Contrairement au pain, l’eucharistie nous transforme et nous divinise de l’intérieur. Le symbole du pain permet de comprendre que Dieu va jusqu’au bout du don. Contrairement au pain terrestre qui devient nous, le pain du ciel nous fait devenir fils de Dieu. C’est un don substantiel que seul Dieu pouvait inventer. Jésus se sert de tout le travail des hommes pour se donner à chacun tous les jours.

L’eucharistie est un moyen divin, un sacrement, un signe qui nous conduit à vivre avec Jésus présent en nous. Le pain nous permet de comprendre que Jésus nous est tout entier donné pour nous, mieux qu’un ami ou qu’un conjoint présent. Dieu veut ainsi nous montrer combien il nous aime en se donnant à chacun, comme si nous étions unique. Il ne se contente pas de se donner en commun à tout le monde, car l’amour est personnel. Dans l’ordre du don, on ne peut pas aller plus loin que le pain de vie.

Mais pour recevoir ce don, il faut entièrement se donner à Dieu : c’est l’offrande du petit enfant (5 pains et 2 poissons). Pourquoi beaucoup ont trouvé les paroles de Jésus dures ? C’est parce qu’ils refusent de se donner à Dieu et de l’aimer jusqu’au bout à l’image de l’amour de Jésus pour nous. En fait, refuser le mystère eucharistique c’est refuser d’entrer dans la logique de l’amour de Dieu et comprendre que cela ne fait qu’un avec l’amour du prochain. Plus on aime Dieu, plus on rentre dans la logique de l’amour du Christ et de lui ressembler dans son don. Nous sommes appelés à nous donner comme pain des autres à l’image du Christ et par amour de Dieu.

De fait, recevoir l’eucharistie, c’est accepter de recevoir l’amour de Dieu et ainsi de pratiquer la charité et de vivre en chrétien à la suite du Christ.

            Les fruits de l’eucharistie

Le fruit de l’eucharistie est que Jésus demeure en nous et nous en lui, c’est le début de la vie éternelle. Il y a une unité substantielle de vie entre Dieu et nous. Mais cette union transformante ne remplace pas notre nature et ainsi on garde nos lenteurs (péchés, etc.). Ce sera petit à petit avec le temps que l’on change. La conversion s’opère dans le temps avec notre coopération à son œuvre. On peut dire alors les paroles du saint Paul, c’est plus moi qui vit mais le c’est le Christ qui vit en moi.

En résumé, la communion augmente en nous l’union à Jésus et est gage de la gloire future. Elle nous sépare du péché, efface les péchés véniels et préserve des péchés mortels. De plus l’eucharistie opère l’unité du Corps mystique du Christ. N’oubliez jamais que l’Église se réalise et opère son unité lorsque le « Peuple de Dieu » est réuni et uni autour de l’évêque dans l’eucharistie. Être nourri de l’eucharistie fait donc entrer dans la logique du don et est source d’engagement envers le pauvre pour la plus grande gloire de Dieu.

Les miracles eucharistiques au secours de notre foi

De plus en plus, j’entends des personnes qui considèrent que l’eucharistie est un symbole, un signe, etc., et qui ne croient plus en la présence réelle. Notre Seigneur, connaissant notre incrédulité a donné des preuves réelles de sa présence dans l’eucharistie, ce sont les miracles eucharistiques. Le premier eut lieu à Rome en 600 à la prière de saint Grégoire le Grand face à l’incrédulité d’une princesse. Le pain se changea en chair. Le second plus ancien miracle est celui de Lanciano en Italie où un moine douta de la présence réelle et vit les espèces consacrées se changer en chair et en sang.

            En 1970 puis en 1974 (OMS) après accord de Rome, on procéda à des examens scientifiques. Pour résumer plus brièvement ces conclusions scientifiques, voici ce qu’elles disent :    1. Les matières du miracle de Lanciano sont véritablement de la chair et du sang. 2. Cette chair et ce sang sont d’origine humaine. 3. La chair est constituée de tissu musculaire du cœur (myo­carde). 4. La chair et le sang sont du même groupe sanguin AB. 5. Le diagramme de ce sang correspond à celui d’un sang humain qui aurait été prélevé sur un corps humain dans la même journée. 6. La chair et le sang sont exactement semblables à ceux d’une personne humaine ayant réellement existé. 7. Nulle part on n’a trouvé de restes d’une imprégnation du tissu par une quelconque substance destinée à le conserver par momification. 8. La manière dont cette tranche de chair a été obtenue par dis­section dans le myocarde suppose une habileté exceptionnelle de la part du «praticien». 9. Aucune trace de corruption, ne fût-ce qu’un début, n’a été observée, alors que les reliques ont été exposées pendant des siècles à l’action d’agents physiques atmosphériques et biologiques. Ce miracle eucharistique permet d’avoir la confirmation que l’eucharistie est le sacrement de l’amour (le cœur) et que Jésus se donne à nous (vivant).

            Ces miracles ne sont pas que des évènements du moyen âge, mais toujours d’actualité. À Naju en Corée du Sud en 1995, une hostie s’est transformée en chair et a pris la forme d’un cœur. Au cours de la messe deux personnes ont aussi été miraculeusement guéries.

Conclusion

La plus grande chose est de pouvoir célébrer la messe (cf. Jean-Paul II, DC 1788, p. 599 : « Je dirai donc d’abord : il y a deux ans que je suis Pape ; plus de vingt ans que je suis évêque, et cependant le plus important pour moi demeure toujours le fait d’être prêtre. Le fait de pouvoir chaque jour célébrer l’Eucharistie.De pouvoir renouveler le propre sacrifice du Christ, en rendant en lui toutes choses au Père : le monde, l’humanité, et moi-même. C’est en cela, en effet, que consiste une juste dimension de l’Eucharistie. ») et d’y assister. Le prêtre agit in personna Christi. Le prêtre n’agit pas seulement au nom du Christ, mais c’est le Christ qui actualise la Cène et actualise la Croix par le prêtre. Le Christ se sert des paroles du prêtre pour continuer son mystère d’amour et nous le montrer à chacun d’entre nous.

Si on était vraiment chrétien, toute notre vie serait orientée autour de l’eucharistie. Si on ne peut pas être présent tous les jours à la messe, on peut toujours spirituellement en vivre. Il ne faut jamais s’habituer à l’eucharistie mais chercher à la vivre de façon nouvelle à chaque fois, comme si c’était la première fois, comme si nous étions présents à la Sainte Cène.

La liturgie, si belle qu’elle soit, n’est rien par rapport au mystère. Il faut dépasser la sensibilité pour aller à l’essentiel. La grandeur de l’eucharistie et de la croix c’est le cœur de Jésus et non les accidents extérieurs. Sur la croix ce qui compte ce n’est pas tant les clous, que l’offrande intérieure du Christ pour nous. Ce qui compte à la messe c’est l’offertoire, la consécration et la communion. Le reste est uniquement là pour nous aider à comprendre la réalité du mystère. Mais le mystère étant tellement grand qu’on n’y entre pas avec l’intelligence, mais avec le cœur.

Benoît XVI aux prêtres de Rome (13 mai 2005) : « Dans le mystère eucharistique le Christ se redonne constamment et, précisément dans l’Eucharistie, nous apprenons l’amour du Christ et donc l’amour pour l’Église. Je répète donc avec vous, chers frères dans le sacerdoce, les inoubliables paroles de Jean-Paul II : « La Messe est de façon absolue le centre de ma vie et de chacune de mes journées » (Discours du 27 octobre 1995, à l’occasion du 30e anniversaire du Décret Presbyterorum ordinis ; cf. ORLF n. 46 du 14 novembre 1995). Cela devrait être une parole dont chacun de nous peut dire qu’elle est sienne : la Messe est de façon absolue le centre de ma vie et de chacune de mes journées. »




Notre Père, Chemin d’unité de vie

Permettez-moi de commencer cet entretien sur le Notre Père, chemin d’unité de vie, par les paroles de Notre Seigneur : « Et il advint, comme il était quelque part à prier, quand il eut cessé, un de ses disciples lui dit : “Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples.” Il leur dit : “Lorsque vous priez, dites : Père, que ton Nom soit sanctifié ; que ton règne vienne ; donne-nous chaque jour notre pain quotidien ; et remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit ; et ne nous soumets pas à la tentation”. » (Lc 11, 1-4)

Outre les interminables controverses d’exégètes sur les deux versions du Notre Père de saint Matthieu et de saint Luc, regardons ces textes avec la foi et l’amour qui cherchent à entrer dans le cœur de Dieu pour s’y réfugier et y vivre. Que voyons-nous ? Nous voyons des disciples en admiration devant Jésus qui prie son Père. Nous voyons un d’entre eux qui demande humblement au Maître de lui apprendre à prier, car il ne sait pas. Cette demande du disciple aimant est le fruit de son humilité, car il avoue ne pas savoir, et de son espérance, car il sait que Jésus va lui enseigner la prière la plus parfaite et ainsi lui permettre de s’approcher un peu plus du Père. Devant cette demande, Jésus livre son cœur ; Jésus livre son expérience humaine de la prière ; Jésus livre l’enseignement de la deuxième Personne de la Très Sainte Trinité pour nous permettre d’approcher du Père et ainsi connaître la joie de l’aimer par l’action de l’Esprit Saint.

De très nombreux saints ont essayé de réfléchir et de méditer sur le sens de cette prière du Seigneur. Ainsi Saint Thomas d’Aquin, à la suite de saint Augustin, considère le Notre Père comme la prière parfaite résumant tout l’enseignement du Christ sur la prière. Il a donc cherché à montrer l’importance et l’excellence de cette prière pour l’ensemble de la vie chrétienne. Il commence par expliquer que les sept demandes de l’Oraison dominicale sont l’expression parfaite de la recherche de la vie bienheureuse. Tout ce qu’on peut demander à Dieu est contenu dans cette prière. Toute la loi évangélique est contenue et est résumée dans les sept demandes de la prière du Seigneur.

Par la prière, on demande à Dieu la grâce, les dons du Saint Esprit pour pratiquer les vertus chrétiennes et ainsi vivre les sept béatitudes qui sont le véritable testament moral et spirituel de Jésus. De fait, dans chaque demande du Notre Père, nous demandons un don du Saint Esprit pour pratiquer une vertu et ainsi vivre une béatitude. La prière opère donc le lien entre la vie active (vie familiale, vie professionnelle, etc.) et la vie contemplative (vie spirituelle, les sacrements, la prière), entre l’agir et la relation intime de l’âme avec son divin Créateur. Par elle, nous laissons Dieu nous rejoindre et nous élever à lui en nous inspirant une conduite conforme aux desseins de la divine Providence. La prière permet ainsi de coopérer à l’œuvre de la grâce pour que Dieu puisse nous justifier, nous transformer de l’intérieur afin de nous préparer à jouir de sa vision dans la Gloire. Il est intéressant de visualiser la concordance dans un tableau.

Concordance Notre Père / dons / vertus / béatitudes

Notre Père

Dons

Vertus

Béatitudes

Notre Père qui es aux cieux

I. La fin

Que ton nom soit sanctifié

Crainte

Espérance

Béatitude des pauvres

Que ton règne vienne

Piété

Justice

Béatitude des doux

II. Les moyens

Que ta volonté soit faite

Science

Tempérance

Béatitude des larmes

Donne-nous notre pain

Force

Force

Béatitude des affamés de justice

III. Les obstacles

Pardonne-nous nos offenses

Conseil

Prudence

Béatitude des miséricordieux

Ne nous soumets pas à la tentation

Intelligence

Foi

Béatitude des cœurs purs

Mais délivre-nous du mal

Sagesse

Charité

Béatitude des artisans de paix

Tenter de voir la vie autrement, de chercher un chemin d’unité de vie, tenter d’envisager la morale et l’ensemble de la vie humaine avec l’Oraison dominicale semble ce qu’il y a de plus conforme à ce que l’on peut appeler la morale évangélique. Pourquoi ? L’homme reste toujours au centre de la morale. Néanmoins, conscient de sa nature créée à l’image et à la ressemblance de Dieu mais blessée par le péché, l’homme demande à son Père de l’aider et de l’éduquer à agir conformément à son être en vue de l’obtention de la vie éternelle. Plus nous prions la prière du Seigneur, plus notre âme est travaillée et transformée de l’intérieur par l’Esprit Saint pour nous permettre d’avancer sur le chemin étroit des béatitudes par la pratique des vertus.

La réorganisation de la morale à partir de l’oraison dominicale présente un autre avantage d’une extrême importance. La première demande étant reliée à la vertu d’espérance, toute la vie morale est désormais empreinte d’un optimisme intrinsèque extraordinaire, fondement d’une dynamique impressionnante. L’espérance, moteur du désir et de la prière, plonge l’âme dans une profonde humilité et dépendance vis-à-vis de Dieu, auteur de tout bien, sans lequel nous ne pouvons rien faire (Jn 15, 5). Par là même, nous entrons dans la béatitude des pauvres en esprit. De plus, face à nos blessures intérieures et à nos épreuves, la vertu d’espérance permet de dépasser un regard négatif sur la vie et sur nous-même puisque nous prenons du recul pour épouser le regard de Dieu sur sa création. De fait, l’espérance permet de vivre en ressuscité, confiant en la victoire du Christ sur nos péchés ; elle permet de vivre en fils adoptif d’un Père qui nous aime. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que le démon cherche toujours en premier lieu à déstabiliser cette vertu pour faire tomber l’âme dans le péché et la couper de Dieu. C’est pourquoi la vertu d’espérance est ce moteur de la vie morale et spirituelle, qui permet de tirer tout notre être vers ce Dieu d’Amour que l’on ne considère plus comme un juge impartial condamnant les moindres écarts de conduite, mais comme un Père aimant et rassurant qui nous donne à chaque instant les moyens de se rapprocher de lui. À l’inverse, la peur paralyse l’âme et l’enferme sur elle-même, l’empêchant d’aimer Dieu et le prochain dans les moindres détails de sa vie. C’est bien là le drame de la société moderne où, entre autre, la consommation de psychotropes ne cesse d’augmenter pour fuir une dure réalité que l’on est incapable d’assumer, faute d’espérance en la miséricorde et l’amour de Dieu pour chacun d’entre nous. L’oraison dominicale est bien plus qu’une simple prière, c’est la prière parfaite recouvrant toute notre vie et nous éduquant à la perfection.

La logique de l’ordre des demandes se prend dans l’intention selon le principe, ce qui est premier dans l’intention est dernier dans la réalisation. L’intention, la fin fixée, permet de discerner les moyens à mettre en œuvre en vue de cette fin. C’est ainsi que les deux premières demandes concernent la fin et les autres, les moyens pour y parvenir. En effet, seul le bien est un principe éducateur conformément à la psychologie de l’acte humain. La raison conçoit le bien et le propose à la volonté pour qu’elle meuve les autres facultés en vue de son obtention. Ce ne sera que secondairement que la volonté en écartera les obstacles considérés comme des maux. C’est pourquoi, pour nous écarter du mal, il est d’abord nécessaire de s’attacher au bien et de vouloir l’atteindre, ce que propose le Notre Père dans un but éminemment pédagogique.

  1. Les demandes concernant la fin

L’oraison dominicale débute par Notre Père et commence ainsi le mouvement de la volonté selon l’ordre de la vertu de charité. En réponse à l’amour infini de Dieu, l’homme commence sa prière par un acte de foi, d’espérance et de charité. Ainsi, les premières paroles manifestent notre amour désintéressé pour Dieu, qui nous a appris à l’appeler Père. Dire Père à Dieu comporte une charge affective très forte. Dire Notre Père permet aussi de prendre conscience que nous sommes membres du Corps du Christ et que nous sommes fils dans le Fils ; notre salut, tout en étant personnel, est lié à celui de l’ensemble de l’Église (cf. Abel et Caïn). Nous cherchons à aimer Dieu pour ce qu’il est et nous l’appelons donc Père pour trois raisons : 1. il nous a créés à son image et à sa ressemblance. Dieu est auteur de la vie ; 2. il exerce continuellement sa sollicitude à notre égard par son gouvernement divin, Dieu maintient sa création constamment dans l’existence ; 3. il nous a adopté par son Fils : le baptême et le mystère de la Croix.

En l’appelant Père, nous confessons par là même toute notre foi, puisque nous le reconnaissons comme Créateur et Sauveur de l’humanité sans lequel rien ne peut subsister et dont nous espérons la Béatitude. Cela engendre de notre part une certaine attitude : 1. nous lui devons l’honneur qui lui est dû en justice en nous acquittant de nos devoirs envers lui, envers nous-même et envers le prochain ; 2. nous devons chercher à l’imiter par la charité, la miséricorde et la perfection ; 3. nous lui devons l’obéissance à l’image du Christ ; 4. nous devons être patients quand il nous corrige pour nous remettre dans le chemin de la vie bienheureuse.

Notre Père qui es aux cieux. La précision qui es aux cieux, prépare l’âme à être dans les bonnes dispositions pour lui exprimer ultérieurement nos requêtes. En effet, cette incise éveille la confiance en un Dieu proche et tout-puissant, en nous tournant vers lui et en regardant vers le Ciel. De fait, cette phrase introductive permet de prendre conscience de notre origine et de notre fin. Ne sommes-nous pas au cœur de la nouvelle évangélisation, reprendre conscience que Dieu est auteur de la vie et qu’il nous aime en nous appelant à la vie éternelle et au bonheur dès ici-bas ? « Entrez dans l’espérance » est bien le cri prophétique de Jean-Paul II au monde moderne pour retrouver le chemin de l’amour du Père par le Fils dans l’Esprit Saint.

Que ton Nom soit sanctifié. Animé par la vertu d’espérance, la première demande exprime notre réponse d’amour à Dieu, qui pousse à lui réclamer, par le don de crainte et en vivant la première béatitude des pauvres de cœur, que son Nom soit manifesté, tenu pour saint et proclamé en nous et par nous à tout le genre humain. Nous demandons donc au Père de vivre la première béatitude : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, parce que le royaume des Cieux est à eux. » Cette perfection que nous propose Jésus-Christ pour nous procurer le bonheur dès ici-bas commence par l’esprit de pauvreté. Ceux qui ont une âme de pauvre sont détachés des richesses tant matérielles que spirituelles. Peu importe ce qu’ils ont ou ce qu’ils font, l’important est d’aimer Dieu en toutes choses, de vivre selon la vertu d’espérance jusqu’au détachement de soi-même. Avoir une âme de pauvre, c’est faire un bon usage des talents que Dieu nous a donnés à la naissance et qu’il continue de nous donner à chaque instant. Avoir une âme de pauvre, c’est être humble. L’humilité est l’inverse de l’orgueil, source de tout péché. L’humilité est donc le fondement nécessaire pour entrer dans la vie spirituelle. Le don de crainte permettra d’avoir un cœur contrit et humilié, d’avoir conscience de notre condition mortelle et de la nécessité de la croix. Pour avoir cette âme de pauvre, être humble, il est donc indispensable d’avoir conscience que Dieu nous aime. Il est donc indispensable de vivre de l’espérance comme je l’ai souligné plus haut. La vertu d’espérance permet d’entrer dans la vie spirituelle, car confiant dans l’amour de Dieu, je peux m’abandonner à lui. De fait, que ton Nom soit sanctifié par moi aujourd’hui. Que ton Nom soit le but de ma vie. Que ton Nom soit mon unique amour car j’espère tout de toi.

Que ton règne vienne. Ce ne sera que secondairement, dans la deuxième demande, que nous solliciterons la venue de son règne par le don de piété et en vivant la béatitude des doux, c’est-à-dire que nous participions à sa gloire dans son Royaume. Poussé intérieurement par l’amour de Dieu, nous voulons aimer (nous et le prochain) en Lui et pour Lui par l’obtention de la vie bienheureuse dans la Cité céleste. Nous demandons donc que son règne vienne et, par conséquent, que les justes progressent dans l’amour de Dieu, que les pécheurs se convertissent ou s’ils s’obstinent à haïr Dieu qu’ils soient châtiés, et que la mort soit détruite à la fin des temps. Autrement dit, nous demandons d’aller au Paradis, que tout soit soumis au Christ et que la loi du péché soit éradiquée. « Heureux les doux, parce qu’ils hériteront de la Terre. » L’humilité et l’esprit de pauvreté sont la condition indispensable pour être doux, car il n’est pas possible à une âme remplie d’elle-même qui ne recherche que son propre intérêt, d’aimer Dieu de façon désintéressée ainsi que de se mettre au service du prochain sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons la sainte Volonté du Christ. Ceux qui sont doux, sont ceux qui pratiquent la vertu cardinale de justice, et qui traitent le prochain avec douceur à l’imitation de la douceur que Jésus montre envers nous à chaque instant. Les doux souffrent avec patience les défauts des autres et les torts qu’ils en subissent sans chercher à se venger. Le don de piété filiale permet à l’âme de conformer sa volonté avec celle de Dieu, y compris dans les contrariétés. Ce don permet ainsi être doux. De fait, que ton règne s’instaure dans mon cœur pour que je témoigne de ton amour là où je vis.

En résumé, les deux premières demandes permettent d’exprimer le but de notre vie et de demander à Dieu qu’à chaque instant notre vie soit tournée vers Lui. Mais cela ne peut se faire que si son Nom est le centre de mes préoccupations et que par amour pour ce même Nom, je sois bien déterminé à étendre son règne en moi et autour de moi.

  1. Les demandes concernant les moyens

Il faut distinguer deux sortes de moyens, ceux qui ordonnent essentiellement à la fin et ceux qui ne le font que secondairement. Il faut donc séparer les troisième et quatrième demandes des trois suivantes. La première catégorie a un lien nécessaire à la Béatitude, en demandant l’obéissance à la volonté divine et les moyens pour y tendre. En revanche, la seconde catégorie ordonne indirectement à Dieu en lui demandant d’écarter les obstacles à la quête de la vie bienheureuse.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. La troisième demande concerne tous les actes méritoires faits par obéissance à Dieu. Nous lui demandons donc par le don de science et en vivant la béatitude des larmes, de nous donner la grâce de l’Esprit-Saint pour bien agir, pour observer ses commandements et pour faire sa volonté, c’est-à-dire bien user de notre liberté pour accomplir les desseins de la divine Providence sur nous, comme ont pû le faire les justes qui nous ont précédé et sont maintenant au ciel. Par cette demande, nous touchons directement au mystère de la coopération de l’homme à la grâce. Dieu veut nous sauver et réaliser notre justification, mais pas sans nous. Il veut que sa volonté soit faite à la fois par sa grâce et par nos efforts de constante conversion. Nous demandons donc à Dieu de vivre la troisième béatitude : « Heureux ceux qui sont dans le deuil, parce qu’ils seront consolés. » La douceur permet d’avoir une âme d’affligé, c’est-à-dire de souffrir avec patience et résignation les épreuves et le mal, ainsi que de s’attrister de voir autant de péchés dans le monde et aussi peu d’amour de Dieu. Pour cela, il faut que la vertu théologale d’espérance soit bien ancrée dans l’âme. Ceux qui ont une âme d’affligé offrent à Dieu ces souffrances en s’unissant à la Passion du Christ pour la conversion des pécheurs et le salut du monde. Encore faut-il ne pas réagir de façon trop humaine, mais avec tempérance. Le don de science va permettre de nous faire prendre conscience de notre condition de pécheur ainsi que la façon dont nous devons aimer Dieu et notre prochain. La science nous pousse à la pénitence et nous protège de tout désespoir.

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. La quatrième demande, concerne l’obtention des biens nécessaires à la vie présente pour notre salut. Nous demandons à Dieu les biens matériels indispensables à chacun afin d’en faire un bon usage par le don de force et en vivant la béatitude des affamés de justice. Nous réclamons aussi, à côté des biens terrestres, le pain de la Parole de Dieu et des sacrements, véritables nourritures de notre âme. Nous demandons donc à Dieu de vivre la quatrième béatitude : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés. » Ceux qui ont une âme affamée et assoiffée de justice sont ceux qui désirent devenir meilleurs avec la grâce de Dieu et qui espèrent en la conversion de tous les hommes afin que commence le Royaume de Dieu dès maintenant. Ces âmes pratiquent la vertu cardinale de force et le don de force vient soutenir l’effort fourni. Pour être affamé et assoiffé de justice, encore faut-il avoir conscience de l’horreur du péché et que le Christ a voulu nous faire comprendre la laideur du péché en mourant sur la Croix.

En résumé, ces deux demandes permettent directement de nous orienter vers notre fin en réalisant la volonté de Dieu avec des moyens proportionnés et bons. Les trois demandes suivantes sont plus orientées à enlever les obstacles à notre cheminement vers Dieu pour purifier notre cœur.

Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé. La cinquième demande nous introduit dans la catégorie des demandes pour ôter les obstacles à notre marche vers la Béatitude. Par le don de conseil et en vivant la béatitude des miséricordieux, nous demandons une sincère contrition, le pardon de nos péchés et la grâce de pardonner à ceux qui ont péché contre nous. Cette demande permet à l’âme de se maintenir dans l’humilité par la reconnaissance de ses péchés et dans l’espérance de la miséricorde divine qui seule peut nous pardonner et nous restaurer dans l’intimité de Dieu. Cette supplique permet aussi d’imiter Dieu dans la perfection de la charité, c’est-à-dire dans le pardon des ennemis, condition indispensable pour recevoir la miséricorde divine. Refuser le pardon témoigne d’une dureté de cœur contraire à l’amour de Dieu et à la perfection à laquelle il nous appelle. Nous demandons à Dieu de vivre la cinquième béatitude : « Heureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. » L’esprit de justice permet d’être miséricordieux, car il n’y a pas de vraie miséricorde qui ne repose pas sur la justice. Elle consiste à aimer son prochain en Dieu et pour Dieu, à pardonner sans cesse, à soulager les besoins et les misères du corps et de l’âme. Pour cela, il est nécessaire de pratiquer la vertu cardinale de prudence en étant assisté du don de conseil. Cet esprit de miséricorde vécu dans la foi purifie les cœurs de tout mal et de tout ce qui blesse l’Amour divin.

Ne nous soumets pas à la tentation. La sixième demande nous fait demander par le don d’intelligence et en vivant la béatitude des cœurs purs, la grâce de ne pas pécher et de surmonter toutes sortes de tentations. La tentation, issue soit de notre propre chair, du démon ou encore du monde, est une épreuve nécessaire pour éprouver notre vertu afin de la faire croître et de nous éloigner du mal. Cependant, la grâce de Dieu est indispensable pour la vaincre et progresser dans le bien. Nous demandons à Dieu de vivre la sixième béatitude : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. » Les cœurs purs sont ceux qui détestent tous les péchés aussi petits soient-ils, et qui n’y ont plus aucune attache. Ils ont la volonté ferme de ne plus en commettre. Ils fuient toutes sortes d’impureté. Les cœurs purs ne tiennent pas compte du mal ; ils ne regardent que le bien et n’agissent que pour la plus grande gloire de Dieu. Cette pureté du cœur, que l’on appelle aussi l’enfance spirituelle, s’acquiert petit à petit par la pratique de la vertu théologale de foi accompagnée de la charité sans laquelle tout n’est que vanité. Le don d’intelligence permet la purification du cœur.

Délivre-nous du mal. La dernière demande concerne tous les maux qui peuvent nous arriver, à commencer par l’action du démon. Nous demandons donc à Dieu par le don de sagesse et en vivant la béatitude des artisans de paix, d’être délivrés du péché, de la maladie, des afflictions, du démon et des adversités du monde. Nous implorons aussi la grâce de ses consolations et de ses bienfaits pour supporter et vaincre toutes ces tribulations de telle manière qu’Il en retire un plus grand bien pour nos âmes et ainsi les transforme en bien. Nous demandons à Dieu de vivre la septième béatitude : « Heureux ceux qui font œuvre de paix, parce qu’ils seront appelés fils de Dieu. » La pureté de cœur permet d’être un artisan de paix, c’est-à-dire avoir une âme conservant la paix intérieure et ainsi être un fidèle instrument de la transmission de la paix divine aux âmes de bonne volonté. Les artisans de paix, assistés du don de sagesse, pratiquent la vertu théologale de charité.

Faut-il conclure ? En cette année de l’Eucharistie, j’ai seulement envie de dire de ne jamais cesser de méditer le Notre Père devant le Saint Sacrement pour que l’auteur même de cette prière dirige votre vie. De même qu’on ne fait pas n’importe comment le signe de croix, de même on ne récite pas mécaniquement l’Oraison dominicale. Prier le Notre Père ne signifie pas oublier l’Ave Maria, car Jésus nous a donné sa Mère pour nous conduire à lui. Sachons humblement lui demander de nous aider à prier le Notre Père. N’est-ce pas là un des objectifs du chapelet ?

Père Marc Antoine Fontelle




Ouvrier de la paix par la justice et la charité Le problème de la guerre

“Seigneur, faites de moi un instrument de votre Paix !

Là où il y a de la haine, que je mette l’amour.

Là où il y a l’offense, que je mette le pardon.

Là où il y a de la discorde, que je mette l’union.

Là où il y a l’erreur, que je mette la vérité.

Là où il y a le doute, que je mette la foi.

Là où il y a le désespoir, que je mette l’espérance.

Là où il y a les ténèbres, que je mette votre lumière.

Là où il y a la tristesse, que je mette la joie.

Ô Maître, que je ne cherche pas tant

à être consolé qu’à consoler ;

à être compris qu’à comprendre ;

à être aimé qu’à aimer ;

car : c’est en donnant qu’on reçoit ;

c’est en s’oubliant qu’on trouve ;

c’est en pardonnant qu’on est pardonné ;

c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie. Amen”

Prière de saint François d’Assise

 

Commencer par la prière de saint François d’Assise peut, de prime abord, vous surprendre. Et pourtant, quelle prière admirable, exprimant à la perfection l’état d’âme dont tout chrétien devrait nourrir son comportement social : être un instrument de paix par lequel notre Seigneur Jésus-Christ peut étendre sa royauté sociale dans les âmes et dans nos cités.

            De prime abord la guerre, l’usage de la violence (de moyens ne respectant pas la dignité de la personne humaine) se présente comme l’opposé de la paix en tant que tranquillité de l’ordre, mais surtout comme l’opposé de la paix intérieure, fruit de l’Esprit Saint présent dans l’âme. En fait, la véritable force de l’homme ne réside pas dans l’usage de la violence, mais dans sa capacité à dialoguer avec son prochain et à être charitable. Le dialogue, la parole qui peut tuer ou sauver, nécessite plusieurs conditions, à commencer par le respect de l’autre dans toutes ses dimensions d’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Pour dialoguer, il faut vivre de la prière de saint François d’Assise qui nous en donne toutes les conditions et surtout la finalité, être un instrument de paix, mettre en pratique la septième béatitude, « Bienheureux les artisans de la paix ». Paul VI nous indique les caractéristiques pour réaliser un véritable dialogue dans son Encyclique Ecclesiam suam[1] : la clarté, la douceur, la confiance, la prudence pédagogique. À cela, nous pouvons ajouter une cinquième caractéristiques, le devoir de rechercher et de dire la vérité dans le respect de l’autre. En d’autres termes, le dialogue est le grand moyen pour respecter la dignité de la personne et rechercher la paix, rechercher des solutions pour établir la justice et exercer la charité. Mais pour entrer dans la logique de la paix et du dialogue, il faut avant tout posséder une grande force d’âme, ou plus précisément la vertu cardinal de force vivifiée par le don du Saint Esprit de force. Ne pouvoir dialoguer manifeste une faiblesse personnelle et/ou une faiblesse institutionnelle. Au lieu de rechercher le bien commun, on recherche alors son bien propre au mépris du bien propre de l’autre. Le bien commun n’est aucunement la somme des intérêts personnels, mais il ne peut être atteint au mépris du bien personnel de l’autre.

            Puisque notre sujet est la paix dans le cadre de l’éthique de la défense, nous allons d’abord réfléchir sur les conditions de l’usage de moyens violents (armes, paroles, images, etc.) et plus particulièrement de la force armée avant de nous attarder sur la paix et les moyens pour y tendre tant dans nos cœurs que dans la cité. Ces principes, nous pouvons aisément les transposer dans d’autres types de conflit, par exemple dans une entreprise, pour rétablir la paix quand il s’agit d’employer des moyens extrêmes.

A. La guerre juste ou le’ ius ad bellum’

Nous pourrions consacrer tout un traité rien que sur ce sujet. Les raisons qui poussent à faire la guerre peuvent toutes se résumer à une réalité toute simple : Le Christ ne règne pas dans les âmes des personnes qui provoquent ces mêmes guerres.[2] L’usage de la force ne peut avoir qu’un seul but, rétablir la justice, rétablir la paix en rétablissant le dialogue afin de “créer des conditions sociales qui n’ont de valeur que pour rendre à tous possible et aisée une vie digne de l’homme et du chrétien.”[3] D’un point de vue moral, la guerre ne légitime pas tout. Les normes morales sont toujours valables durant les conflits armés, c’est le droit de la guerre ou le ‘ius in bello’.[4] Il ne faut jamais oublier que l’adversaire d’un jour doit toujours être considéré comme le partenaire de demain.

Seul l’État (seule l’autorité légitime) est compétent pour l’appréciation de ces conditions et de la légitimité de déclarer une guerre, et employer la force armée. Et à ce moment là, “les pouvoirs publics ont dans ce cas le droit et le devoir d’imposer aux citoyens les obligations nécessaires à la défense nationale. Ceux qui se vouent au service de la patrie dans la vie militaire sont les serviteurs de la sécurité et de la liberté des peuples. S’ils s’acquittent correctement de leur tâche, ils concourent vraiment au bien commun de la nation et au maintien de la paix. Les pouvoirs publics pourvoiront équitablement au cas de ceux qui, pour des motifs de conscience, refusent l’emploi des armes, tout en demeurant tenus de servir sous une autre forme la communauté humaine.”[5]

Cependant, l’État peut se tromper ou errer dans l’idéologie. L’histoire du XXe siècle n’aura été qu’une succession de guerres injustes. Dans ce cas là, les chrétiens ont le devoir de l’objection de conscience. Combien de crimes de guerres, jugés encore aujourd’hui comme crimes contre l’humanité, auraient été évités si les chrétiens avaient refusé d’obéir à de tels ordres ? L’objection de conscience, en cas de guerre injuste, est un devoir. La guerre injuste est une guerre qui n’entre pas dans le cadre de la légitime défense. Deux éléments doivent entrer en compte pour le discernement de l’attitude à tenir : les critères pour une guerre juste et les critères de la légitime défense. Ces deux éléments sont comme les deux faces d’une même pièce de monnaie et ne peuvent être considérés l’un sans l’autre.

L’Église a déterminé certains critères pour une guerre juste car toute guerre est loin d’être juste : “Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d’une légitime défense par la force militaire. La gravité d’une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois : que le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain ; que tous les autres moyens d’y mettre fin soient révélés impraticables ou inefficaces ; que soient réunies les conditions sérieuses de succès ; que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l’appréciation de cette condition.”[6] À cela nous devons ajouter un autre critère, celui de la droiture morale de l’intention. En effet, pour qu’un acte soit moralement bon, il faut que l’objet, l’intention et les circonstances soient bons. Ces critères nous font comprendre qu’un grand nombre de guerres actuelles sont injustes puisque les critères définis par l’Église ne sont pas remplis.

Nous devons insister sur les conséquences d’une décision d’employer la force. En effet, les conséquences, en théologie morale, appartiennent à l’acte et contribuent à sa moralité. Autrement dit, lorsqu’on pose un acte, on doit, en proportion de la gravité de cet acte, envisager les conséquences raisonnablement prévisibles. Si les conséquences risques d’être plus néfastes que la situation que l’on désire changer, alors il faut s’abstenir. L’action perd de fait toute sa légitimité. De plus, la morale catholique insiste sur la notion d’acte à double effet. L’un est directement voulu et l’autre en est une conséquence indirecte. Lorsque la conséquence indirecte est pire que la fin recherchée ou qu’elle est voulue, alors la moralité de l’acte change de connotation. Pour rejoindre l’actualité, le Pape refuse la légitimité de l’intervention armée à cause des conséquences qui risquent d’être pire que le mal certain que l’on veut extirper. De plus, de vives réserves doivent être mises sur l’usage de moyens de destruction disproportionnés, avant d’avoir user tous les moyens diplomatiques pour éviter le conflit. À cela s’ajoute la question de l’intention et des véritables motifs de cette guerre.

L’emploi de la force doit aussi entrer dans le cadre de la légitime défense. La légitime défense consiste à repousser un agresseur injuste. “La légitime défense peut être non seulement un droit, mais un devoir grave, pour celui qui est responsable de la vie d’autrui, du bien commun de la famille ou de la cité.”[7] La question de la légitime défense se pose dans le cadre du cinquième commandement, de l’interdit du meurtre, car bien souvent pour repousser un injuste agresseur, il s’ensuit l’homicide de ce dernier. Nous sommes dans une situation paradoxale, le devoir de défendre sa vie peut aller jusqu’à la suppression de la vie de l’agresseur.[8] Alors la question est : Est-il moral ou non de tuer l’agresseur ? Existe-t-il des circonstances légitimant l’homicide de l’agresseur ?

En premier lieu, nous devons rappeler avec le magistère que “la défense des personnes et des sociétés n’est pas une exception à l’interdit du meurtre de l’innocent que constitue l’homicide volontaire. ‘L’action de se défendre peut entraîner un double effet : l’un est la conservation de sa propre vie, l’autre la mort de l’agresseur. … L’un seulement est voulu ; l’autre ne l’est pas’ (saint Thomas, Som. Th., IIa-IIae, Q. 64, a. 7).[9] L’amour envers soi-même demeure un principe fondamental de la moralité. Il est donc légitime de faire respecter son propre droit à la vie. Qui défend sa vie n’est pas coupable d’homicide même s’il est contraint de porter à son agresseur un coup mortel : ‘Si pour se défendre, on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite. Mais si l’on repousse la violence de façon mesurée, ce sera licite. … Et il n’est pas nécessaire au salut que l’on omette cet acte de protection mesurée pour éviter de tuer l’autre ; car on est davantage tenu de veiller à sa propre vie qu’à celle d’autrui’ (saint Thomas, Som. Th., IIa-IIae, Q. 64, a. 7).”[10] En effet, la charité commence à s’exercer envers soi-même. Le sacrifice de sa vie n’est exigible que pour défendre le bien commun en cas d’agression du pays ou de sa famille.

On peut tuer un agresseur injuste lorsque les conditions suivantes sont effectivement réunies :

  1. Les biens que nous devons défendre doivent être de très grande valeur comme : la nation, la vie et les biens temporels de grande valeur. S’il s’agit de défendre des biens de moindre valeur, la légitimité de l’homicide de l’agresseur existe que lorsque sa propre vie est en danger. Ce que nous disons ici pour soi-même, nous devons le dire lorsque nous défendons une autre personne et ses biens.

  2. L’agresseur doit être actuel, c’est-à-dire lorsque l’agression est en train de se produire où va se produire prochainement. La simple crainte de l’agression ne suffit pas. Il faut des éléments objectifs de préparation ou de début d’agression. Lorsque l’agression est passée, la légitime défense porte un autre nom, la vengeance qui n’est jamais permise.

  3. L’agression doit être injuste, c’est-à-dire que l’agresseur attaque sans motifs justes.

  4. La défense doit être proportionnée à l’attaque et que l’on doit causer du dommage à l’agresseur pour autant que cela est absolument nécessaire à la défense. En d’autres termes l’homicide doit être un cas extrême, mais la norme générale doit être de mettre l’agresseur hors d’état de nuire en le blessant par exemple. Cependant, en raison de la grande excitation que peut occasionner une agression, celui qui se défend ne commettra rarement une faute en infligeant un dommage plus grand que ce qui était nécessaire, à moins que la personne ait un parfait contrôle de ses nerfs et de la portée de ses actes.

Dans tous les cas, il y a un devoir de modération dans la légitime défense. En effet, il n’y pas qu’un pas à franchir pour passer de la légitime défense à la vengeance qui occasionne des dommages injustifiés.

En ce qui concerne la course aux armements, à la suite de l’enseignement de Jean XXIII[11] et du Concile Vatican II,[12] le Catéchisme de l’Église Catholique enseigne : “L’accumulation des armes apparaît à beaucoup comme une manière paradoxale de détourner de la guerre des adversaires éventuels. Ils y voient le plus efficace des moyens susceptibles d’assurer la paix entre les nations. Ce procédé de dissuasion appelle de sévères réserves morales. La course aux armements n’assure pas la paix. Loin d’éliminer les causes de guerre, elle risque de les aggraver. La dépense de richesses fabuleuses dans la préparation d’armes toujours nouvelles empêche de porter remède aux populations indigentes ; elle entrave le développement des peuples.[13] Le surarmement multiplie les raisons de conflits et augmente le risque de la contagion. La production et le commerce des armes touchent le bien des nations et de la communauté internationale. Dès lors les autorités publiques ont le droit et le devoir de les réglementer. La recherche d’intérêts privés ou collectifs à court terme ne peut légitimer des entreprises qui attisent la violence et les conflits entre les nations, et qui compromettent l’ordre juridique international.”[14] Évidemment, un État se doit de disposer d’un minimum d’armes pour assurer sa défense, mais cela ne signifie pas d’entrer dans la logique de la course aux armements.

            Ceci dit, vous allez me dire que très peu de conflits sont légitimes surtout dans le cadre strict de la légitime défense. Je vous répondrai sans aucune hésitation par l’affirmative mais en mettant une nuance de taille : la justice et la charité peuvent obliger une personne, une collectivité, un État à user de la force pour rétablir la paix et la justice. En effet, lorsqu’une personne a la possibilité de secourir une autre et qu’elle ne le fait pas, elle peut être poursuivie pour non-assistance à personne en danger. Ce principe ne vaut pas uniquement pour des personnes physiques, mais aussi pour des États. C’est ainsi que l’ingérence peut être légitime lorsqu’il s’agit de rétablir la paix et la justice dans un pays où le peuple n’en a pas les moyens. Mais, il faut ici, peut être plus qu’ailleurs, être excessivement prudent, notamment à cause des conséquences. Il faut surtout veiller à ne pas ajouter une nouvelle injustice à une situation déjà explosive sous peine de créer une nouvelle situation encore pire qu’avant.

            Quoiqu’il en soit, le but est le rétablissement de la justice et de la paix en restaurant le dialogue entre les personnes pour instaurer de nouveau une vie digne de l’homme.

B. La paix

L’autorité, aussi bonne soit-elle, ne peut rien faire en matière de paix sans notre coopération. Nous devons agir là où nous sommes, à commencer par soi, sa famille, son travail, sa commune, ses loisirs, etc. Par nos efforts nous devons instaurer la paix sociale. Cependant, il est un devoir fondamental de l’autorité d’instaurer un climat de paix et d’unité.[15] En effet, il ne peut y avoir de réel développement, ni de fécondité sans une certaine paix sociale. Dans les conflits ou les périodes de trouble, les personnes se replient sur elles-mêmes, et ne font pas fructifier leurs talents. Le résultat se fait de suite sentir par un recul du développement de la société et des personnes.

Mais qu’est-ce que la paix ? Nous ne pouvons donner d’autres définitions de la paix que celle de saint Augustin dans La cité de Dieu (XIX, 13, 17-18) : “La paix de toutes choses, c’est la tranquillité de l’ordre. L’ordre, c’est la disposition des êtres égaux et inégaux, désignant à chacun la place qui lui convient. … Et cette paix terrestre, elle la rapporte à la paix céleste, qui est si bien la véritable paix, du moins la paix de la créature raisonnable, et d’en recevoir le nom : à savoir, la communauté parfaitement ordonnée et parfaitement harmonieuse dans la jouissance de Dieu et dans la jouissance les uns des autres en Dieu.”

De fait, saint Augustin ne conçoit la paix terrestre, temporelle, que comme moyen en vue de notre fin qui est d’être dans la paix céleste, c’est-à-dire en train d’adorer Dieu. La paix temporelle n’est pas une fin en soi, mais un moyen résultant de l’instauration de la justice. Cependant c’est un moyen un peu particulier, puisqu’il faut le considérer comme un bien commun en vue du vrai Bien. La paix est donc une partie du bien commun de la communauté, car elle permet une plus grande fécondité des biens matériels et spirituels. Elle n’est jamais acquise, mais c’est le travail de tous les jours : “La paix n’est pas une pure absence de guerre et elle ne se borne pas seulement à assurer l’équilibre de forces adverses ; elle ne provient pas non plus d’une domination despotique, mais c’est en toute vérité qu’on la définit ‘œuvre de justice’ (Es 32, 17). Elle est le fruit d’un ordre inscrit dans la société humaine par son divin Fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d’aspirer à une justice plus parfaite. … La paix n’est jamais chose acquise une fois pour toutes, mais sans cesse à construire. Comme de plus la volonté humaine est fragile et qu’elle est blessée par le péché, l’avènement de la paix exige de chacun le constant contrôle de ses passions et la vigilance de l’autorité légitime.”[16]

Pour l’instauration de la paix, il faut que les États, les dirigeants, recherchent avant tout le bien commun, qui est l’ensemble des conditions sociales permettant aux sociétés d’arriver à leur fin. Le bien commun comprend : la paix sociale, la prospérité matérielle de la société ; le bon usage des biens et des ressources ; une communication des biens temporels et surtout spirituels ; la sagesse des institutions et des lois ; les bonnes mœurs, coutumes, religion et traditions ; tout le patrimoine historique et artistique. Le Catéchisme de l’Église Catholique nous dit : “Par bien commun, il faut entendre ‘l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection, d’une façon plus totale et plus aisée’. Le bien commun intéresse la vie de tous. Il réclame la prudence de la part de chacun, et plus encore de la part de ceux qui exercent la charge de l’autorité. Il comporte trois éléments essentiels : il suppose, en premier lieu, le respect de la personne en tant que telle. … En second lieu, le bien commun demande le bien-être social et le développement du groupe lui-même. … Le bien commun implique enfin la paix, c’est-à-dire la durée et la sécurité d’un ordre juste. Il suppose donc que l’autorité assure, par des moyens honnêtes, la sécurité de la société et celle de ses membres. il fonde le droit à la légitime défense personnelle et collective.”[17] “Conformément à la nature sociale de l’homme, le bien de chacun est nécessairement en rapport avec le bien commun. Celui-ci ne peut être défini qu’en référence à la personne humaine.”[18] Le bien commun n’est pas la somme des biens propres, individuels, mais il permet au bien propre d’être orienté vers le plus grand bien de tous, et donc de chaque personne en particulier. Le bien commun appartient à tous pour le service de tous ; cela demande de la part des particuliers un effort de justice et de charité pour y concourir.

La paix ne pourra être instaurée qu’à partir du moment où il y a un minimum de justice et de solidarité dans la société. Jean-Paul II affirme que “la paix n’est pas seulement le fruit d’un accommodement, d’une négociation, d’une coopération solidaire toujours plus large. Plus profondément encore, elle est une valeur universelle parce qu’elle doit s’appuyer partout sur la justice et le respect identique des droits de l’homme qui s’imposent à tous. Les deux exigences vont de pair : Justitia et pax. Et comme le rappelait Pie XII : ‘opus justitia pax’ : la paix est le fruit de la justice.”[19] Ailleurs, il précise sa pensée en disant que « aujourd’hui on pourrait dire, avec la même justesse et la même force d’inspiration biblique (Is 32, 17 ; Jc 3, 18) : ‘Opus solidaritas pax’, la paix est le fruit de la solidarité. L’objectif de la paix, si désiré de tous, sera certainement atteint grâce à la mise en œuvre de la justice sociale et internationale, mais aussi grâce à la pratique des vertus qui favorisent la convivialité et qui nous apprennent à vivre unis afin de construire dans l’unité, en donnant et en recevant, une société nouvelle et un monde meilleur” (Encyclique Sollicitudo rei socialis, n°39).

Mais de quelle justice parle-t-on ? Saint Thomas développe longuement la vertu de justice[20] dans sa Somme Théologique (IIa-IIae Q. 57-122). Il commence le traité sur la justice par une question sur le droit : Qu’est-ce que le droit ? Et à partir de là, il nous explique ce qu’est la vertu de justice qui a pour objet propre le droit. En effet, la vertu de justice règle nos relations avec le prochain suivant une certaine égalité qui doit être juste. Le juste, c’est précisément le droit (jus en latin) à proprement parler, d’où la définition classique de la justice : “la justice est la disposition permanente de la volonté à rendre à chacun ce qui lui est dû.”[21] Le est ce qui est juste par rapport à chacun. En d’autres termes, le est le droit propre de chacun.[22] Ce dû doit être respecté tant dans les rapports interpersonnels (justice commutative) que dans les rapports avec la collectivité où la personne est ordonnée au bien commun (justice légale ou générale) et que dans les rapports de la collectivité avec les personnes (justice distributive).

Cependant, la justice ne suffit pas pour que tout aille bien dans le meilleur des mondes. Si la justice implique le respect d’un certain ordre, ce que prescrit la loi, ce n’est pas par simple conformité à l’égard de la loi, mais c’est à cause de l’amitié pour l’autre. Les Saintes Écritures nous invitent à pratiquer la justice, mais le Christ nous demande plus, il nous demande d’être parfait comme son Père qui est aux Cieux ; cela passe par la pratique de la charité si nous voulons espérer un jour la vision béatifique. La charité ne contredit pas la justice, mais l’accomplit. Il n’y a pas de charité sans l’accomplissement de la justice et il n’y a pas non plus de véritable justice qui ne réclame pas la charité.[23] La charité, dont le sommet est la miséricorde et le pardon, englobe la justice et la finalise en lui donnant sa dimension surnaturelle. Dieu est miséricordieux parce qu’il est juste. Il y a un ordre à respecter pour que les deux parviennent à leur plénitude. Cet ordre repose sur une hiérarchie des valeurs. Pie XI est très ferme dans l’Encyclique Quadragesimo anno au numéro 148 : “Mais pour assurer pleinement ces réformes, il faut compter avant tout sur la loi de charité qui est le lien de la perfection (Col 3, 14). Combien se trompent les réformateurs imprudents qui, satisfaits de faire observer la justice commutative, repoussent avec hauteur le concours de la charité ! Certes, l’exercice de la charité ne peut être considéré comme tenant lieu des devoirs de justice qu’on se refuserait à accomplir. Mais, quand bien même chacun ici-bas aurait obtenu tout ce à quoi il a droit, un champ bien large resterait encore ouvert à la charité. La justice seule, même scrupuleusement pratiquée, peut bien faire disparaître les causes des conflits sociaux ; elle n’opère pas, par sa propre vertu, le rapprochement des volontés et l’union des cœurs. Or, toutes les institutions destinées à favoriser la paix et l’entraide parmi les hommes, si bien conçues qu’elles paraissent, reçoivent leur solidité surtout du lien spirituel qui unit les membres entre eux. Quand ce lien fait défaut, une fréquente expérience montre que les meilleures formules restent sans résultat. Une vraie collaboration de tous en vue du bien commun ne s’établira donc que lorsque tous auront l’intime conviction d’être les membres d’une grande famille et les enfants d’un même Père céleste, de ne former même dans le Christ qu’un seul corps dont ils sont réciproquement les membres (Rm 12, 5), en sorte que si l’un souffre, tous souffrent avec lui (1 Co 12, 26).”

Cependant la charité doit être bien comprise en matière sociale pour qu’elle puisse véritablement compléter la justice. En effet, il ne peut y avoir de charité si préalablement, il n’y a aucun respect de la justice. La charité vient parfaire la justice et non la remplacer : “Mais, pour être authentiquement vraie, la charité doit toujours tenir compte de la justice. L’Apôtre nous enseigne : ‘celui qui aime son prochain a accompli la loi’ ; et il en donne la raison : ‘Ces commandements : Tu ne commettras point d’adultère ; tu ne tueras point ; tu ne déroberas point, et ceux qu’on pourrait citer encore, se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même’ (Rm 13, 8-9). Puisque, selon l’Apôtre, tous les devoirs se ramènent au seul précepte de la charité, cette vertu commande aussi les obligations de stricte justice, comme le devoir de ne pas tuer et de ne pas commettre de vol ; une prétendue charité qui prive l’ouvrier du salaire auquel il a un droit strict n’a rien de la vraie charité, ce n’est qu’un titre faux, un simulacre de charité. L’ouvrier ne doit pas recevoir à titre d’aumône ce qui lui revient en justice ; il n’est pas permis de se dérober aux graves obligations imposées par la justice en accordant quelques dons à titre de miséricorde. La charité et la justice imposent des devoirs, souvent par rapport au même objet, mais sous un aspect différent : lorsqu’il s’agit des obligations d’autrui envers eux, les ouvriers ont le droit de se montrer particulièrement sensibles par conscience de leur propre dignité.”[24]

Nous pouvons compléter les propos de Pie XI par une citation de Justitia in mundo (Synode des Évêques de 1971) au numéro 37 : “L’amour du prochain et la justice sont inséparables. L’amour est avant tout exigence absolue de justice, c’est-à-dire reconnaissance de la dignité et des droits du prochain. Et pour sa part la justice n’atteint sa plénitude intérieure que dans l’amour. Parce que tout homme est l’image visible du Dieu invisible et le frère du Christ, le chrétien trouve en chaque homme Dieu Lui-même avec son exigence absolue de justice et d’amour.”[25]

Cette charité qui englobe la vertu sociale de solidarité pousse à dépasser la justice avec la mise en pratique des œuvres de miséricorde, à commencer par le pardon et la correction fraternelle.

En tant que moyen, cette recherche de la paix a des limites, ce qui fait que le magistère peut parler de guerre juste dans certains cas, dans la mesure où l’injustice et le désordre sont tellement grands que tous les autres moyens pour rétablir l’ordre sont épuisés.

Il serait vain d’espérer instaurer un climat de paix sur des bases purement humaines. La paix est la conséquence d’un climat de justice et de charité qui lui-même ne peut être durable et vrai que là où Jésus-Christ règne en Roi dans les cœurs : “Prêcher l’Évangile, comme son divin Fondateur lui en a commis le soin (l’Église), en inculquant aux hommes la vérité, la justice et la charité, faire effort pour en enraciner solidement les préceptes dans les âmes et dans les consciences : voilà le plus noble et le plus fructueux travail en faveur de la paix.”[26] C’est là que nous comprenons l’importance de revenir aux principes de vie sociale et spirituelle formulés dans la Règle de saint Benoît en tant que facteur d’équilibre entre toutes les dimensions de la personne et de la vie humaine. Même si tous les principes exposés dans la Règle ne sont pas imposables à tous les hommes puisque l’application regarde les conseils évangéliques et pas seulement les préceptes du Décalogue, il est important de constater que ce qui fait la fameuse paix bénédictine, c’est l’harmonie entre la prière et le travail, ora et labora. De même pour nous, si nous voulons retrouver la paix de nos sociétés, nous devons plus la rechercher dans l’équilibre entre la prière et le travail entendu dans son sens le plus large, plutôt que dans des compromis diplomatiques qui ne durent jamais très longtemps.

La paix dans la société commence par la paix dans la famille. Mais la véritable paix est intérieure à l’homme et se communique au dehors de nous par notre exemple et notre action.[27] Cette paix intérieure est la paix que le Christ nous donne, la seule digne de ce nom. Elle est un des principaux fruits du Saint Esprit. Il ne faut pas confondre l’absence de conflits avec la paix, de même que ne pas pécher, ne signifie pas de soi pratiquer la justice et la charité. Cette paix intérieure résulte d’une unité de vie entre le spirituel et le temporel, entre la pensée et l’agir. ‘Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.’ La paix intérieure permet d’agir en profondeur et de rayonner autour de soi de façon à véritablement changer les structures de la société en vue d’une société où la justice et la charité aient la première place.

Jean-Paul II message du 1/1/2003 pour la paix nous donne les quatre piliers de la paix, les quatre grands moyens pour développer la culture de la paix et la faire croître : « Avec la clairvoyance qui le caractérisait, Jean XXIII identifia les conditions essentielles de la paix, à savoir les quatre exigences précises de l’esprit humain : la vérité, la justice, l’amour et la liberté (cf. ibid., I: l.c., pp. 265-266; La Documentation catholique, l.c., col. 519). La vérité, disait-il, constituera le fondement de la paix si tout homme prend conscience avec honnêteté que, en plus de ses droits, il a aussi des devoirs envers autrui. La justice édifiera la paix si chacun respecte concrètement les droits d’autrui et s’efforce d’accomplir pleinement ses devoirs envers les autres. L’amour sera ferment de paix si les personnes considèrent les besoins des autres comme les leurs propres et partagent avec les autres ce qu’elles possèdent, à commencer par les valeurs de l’esprit. Enfin, la liberté nourrira la paix et lui fera porter du fruit si, dans le choix des moyens pris pour y parvenir, les individus suivent la raison et assument avec courage la responsabilité de leurs actes. … Le chemin vers la paix, enseignait le Pape dans l’encyclique, devait passer par la défense et la promotion des droits humains fondamentaux. En effet, toute personne humaine jouit de ces droits, non comme d’un privilège concédé par une certaine classe sociale ou par l’État, mais comme d’une prérogative qui lui est propre en tant que personne. »

Conclusion

            J’ai déjà été bien long, mais je désirerai conclure en vous disant que le conflit, quel qu’il soit et y compris dans une entreprise, n’est pas une fatalité. Notre responsabilité de chrétien est justement de rechercher l’intimité avec Dieu pour vivre de sa présence à chaque instant par la transformation de notre conversation intérieure de nous même avec nous même avec notre divin Créateur et notre Mère du Ciel. De cette intimité, tel un prisme recevant et diffusant la lumière, nous pourrons transmettre la paix de Dieu car notre âme en sera premièrement remplie. Mais n’oublions pas que le plus cours chemin de la paix reste la pratique de la justice et de la charité, qui passe par le respect de l’autre avec qui nous sommes appelés à dialoguer pour construire la civilisation de l’Amour dont nous parle si souvent Jean-Paul II.

            Sans dialogue dans la vérité et le respect de l’autre, il ne peut y avoir de paix durable. À l’heure de la communication, l’homme vit de plus en plus replié sur lui-même et ne dialogue plus ni avec Dieu, ni avec son prochain, ce qui crée un climat social inverse à la paix. Voilà notre véritable programme de chrétien : le service fondé sur le dialogue avec Dieu et notre prochain pour établir la paix, œuvre de justice et de charité. Plus tard, nous serons jugés sur cela, sur la charité et la justice qui construisent et réalisent la béatitude des artisans de paix afin d’être appelé fils de Dieu par notre témoignage de son amour dans le monde.

[1] Encyclique Ecclesiam suam, n°47 et 49 et 50 : Paul VI nous indique les caractéristiques pour réaliser un véritable dialogue : “Le dialogue est donc un moyen d’exercer la mission apostolique ; c’est un art de communication spirituelle. Ses caractères sont les suivants : La clarté avant tout : le dialogue suppose et exige qu’on se comprenne ; il est une transmission de pensée et une invitation à l’exercice des facultés supérieures de l’homme ; ce titre suffirait pour le classer parmi les plus nobles manifestations de l’activité et de la culture humaine. Cette exigence initiale suffit aussi à éveiller notre zèle apostolique pour recevoir toutes les formes de notre langage : celui-ci est-il compréhensible, est-il populaire, est-il choisi ? Un autre caractère est la douceur, celle que le Christ nous propose d’apprendre de Lui-même : ‘Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur’ (Mt 11, 29) ; le dialogue n’est par orgueilleux ; il n’est pas piquant ; il n’est pas offensant. Son autorité lui vient de l’intérieur, de la vérité qu’il expose, de la charité qu’il répand, de l’exemple qu’il propose ; il n’est pas commandement et ne procède pas de façon impérieuse. Il est pacifique ; il évite les manières violentes ; il est patient ; il est généreux. La confiance, tant dans la vertu de sa propre parole que dans la capacité d’accueil de l’interlocuteur. Cette confiance provoque les confidences et l’amitié ; elle lie entre eux les esprits dans une mutuelle adhésion à un Bien qui exclut toute fin égoïste. La prudence pédagogique enfin, qui tient compte des conditions psychologiques et morales de l’auditeur : selon qu’il s’agit d’un enfant, d’un homme sans culture ou sans préparation, ou défiant, ou hostile. Elle cherche aussi à connaître la sensibilité de l’autre et à se modifier, raisonnablement, soi-même, et à changer sa présentation pour ne pas lui être déplaisant et incompréhensible. Dans le dialogue ainsi conduit se réalise l’union de la vérité et de la charité, de l’intelligence et de l’amour. … Il faut avant même de parler, écouter la voix et plus encore le cœur de l’homme ; le comprendre et, autant que possible, le respecter et, là où il le mérite, aller dans son sens. … Le climat du dialogue, c’est l’amitié. Bien mieux, le service. … Notre dialogue ne peut être une faiblesse vis-à-vis des engagements de notre foi.”

[2] “Les injustices, les inégalités excessives d’ordre économique ou social, l’envie, la méfiance et l’orgueil qui sévissent entre les hommes et les nations, menacent sans cesse la paix et causent les guerres. Tout ce qui est fait pour vaincre ces désordres contribue à édifier la paix et à éviter la guerre” (Catéchisme de l’Église Catholique, n°2317).

[3] Pie XII, Radio Message du 1er juin 1941, n°26.

[4] “Il faut respecter et traiter avec humanité les non-combattants, les soldats blessés et les prisonniers. Les actions délibérément contraires au droit des gens et à ses principes universels, comme les ordres qui les commandent, sont des crimes. Une obéissance aveugle ne suffit pas à excuser ceux qui s’y soumettent. Ainsi l’extermination d’un peuple, d’une nation ou d’une minorité ethnique doit être condamnée comme un péché mortel. On est moralement tenu de résister aux ordres qui commandent un génocide. Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants, est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation” (Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et seps, n°80,4). “Un risque de la guerre moderne est de fournir l’occasion aux détenteurs des armes scientifiques, notamment atomiques, biologiques ou chimiques, de commettre de tels crimes” (Catéchisme de l’Église Catholique, n°2313-2314). Le Concile Vatican II dit : “Il existe, pour tout ce qui concerne la guerre, diverses conventions internationales, qu’un assez grand nombre de pays ont signées en vue de rendre moins inhumaines les actions militaires et leurs conséquences. Telles sont les conventions relatives au sort des soldats blessés, à celui des prisonniers, et divers engagement de ce genre. Ces accords doivent être observés ; bien plus, tous, particulièrement les autorités publiques ainsi que les personnalités compétentes, doivent s’efforcer autant qu’ils le peuvent de les améliorer, et de leur permettre ainsi de mieux contenir, et de façon plus efficace, l’inhumanité des guerres. Il semble en outre équitable que des lois pourvoient avec humanité au cas de ceux qui, pour des motifs de conscience, refusent l’emploi des armes, pourvu qu’ils acceptent cependant de servir sous une autre forme la communauté humaine. La guerre, assurément, n’a pas disparu de l’horizon humain. Et, aussi longtemps que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense. Les chefs d’État et ceux qui partagent les responsabilités des affaires publiques ont donc le devoir d’assurer la sauvegarde des peuples dont ils ont la charge, en ne traitant pas à la légère des questions aussi sérieuses. Mais faire la guerre pour la juste défense des peuples est une chose, vouloir imposer son empire à d’autres nations en est une autre. La puissance des armes ne légitime pas tout usage de cette force à des fins politiques ou militaires. Et ce n’est pas parce que la guerre est malheureusement engagée que tout devient, par le fait même, licite entre parties adverses” (Constitution pastorale Gaudium et spes, n°79, 3-4).

[5] Catéchisme de l’Église Catholique, n°2310-2311.

[6] Catéchisme de l’Église Catholique, n°2309.

[7] Catéchisme de l’Église Catholique, n°2265.

[8] Jean-Paul II nous dit dans l’Encyclique Evangélium vitae (n°55) : “Cela ne doit pas surprendre : tuer l’être humain, dans lequel l’image de Dieu est présente, est un péché d’une particulière gravité. Seul Dieu est maître de la vie. Toutefois, depuis toujours, face aux cas nombreux et souvent dramatiques qui se présentent chez les individus et dans la société, la réflexion des croyants a tenté de parvenir à une compréhension plus complète et plus profonde de ce que le commandement de Dieu interdit et prescrit. Il y a des situations dans lesquelles les valeurs proposées par la Loi de Dieu apparaissent sous une forme paradoxale. C’est le cas, par exemple, de la légitime défense, pour laquelle le droit de protéger sa vie et le devoir de ne pas léser celle de l’autre apparaissent concrètement difficiles à concilier. Indubitablement, la valeur intrinsèque de la vie et le devoir de s’aimer soi-même autant que les autres fondent un véritable droit à se défendre soi-même. Ce précepte exigeant de l’amour pour les autres, énoncé dans l’Ancien Testament et confirmé par Jésus, suppose l’amour de soi présenté parallèlement : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même’ (Mc 12, 31). Personne ne pourrait donc renoncer au droit de se défendre par manque d’amour de la vie ou de soi-même, mais seulement en vertu d’un amour héroïque qui approfondit et transfigure l’amour de soi, selon l’esprit des béatitudes évangéliques (cf. Mt 5, 38-48), dans l’oblation radicale dont le Seigneur Jésus est l’exemple sublime. D’autre part, ‘la légitime défense peut être non seulement un droit, mais un grave devoir, pour celui qui est responsable de la vie d’autrui, du bien commun de la famille ou de la cité’. Il arrive malheureusement que la nécessité de mettre l’agresseur en condition de ne pas nuire comporte parfois sa suppression. Dans une telle hypothèse, l’issue mortelle doit être attribuée à l’agresseur lui-même qui s’y est exposé par son action, même dans le cas où il ne serait pas moralement responsable par défaut d’usage de sa raison.”

[9] Saint Thomas nous dit : “Rien n’empêche qu’un même acte ait deux effets, dont l’un seulement est voulu, tandis que l’autre ne l’est pas. Or les actes moraux reçoivent leur spécification de l’objet que l’on a en vue, mais non de ce qui reste en dehors de l’intention, et demeure, comme nous l’avons dit, accidentel à l’acte. Ainsi l’action de se défendre peut entraîner un double effet : l’un est la conservation de sa propre vie, l’autre la mort de l’agresseur. Une telle action sera donc licite si l’on ne vise qu’à protéger sa vie, puisqu’il est naturel à un être de se maintenir dans l’existence autant qu’il le peut. Cependant un acte accompli dans une bonne intention peut devenir mauvais quand il n’est pas proportionné à sa fin. Si donc, pour se défendre, on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite. Mais si l’on repousse la violence de façon mesurée, la défense sera licite. Les droits civil et canonique statuent, en effet, ‘il est permis de repousser la violence par la violence, mais avec la mesure qui suffit pour une protection légitime.’ Et il n’est pas nécessaire au salut que l’on omette cet acte de protection mesurée pour éviter de tuer l’autre ; car on est davantage tenu de veiller à sa propre vie qu’à celle d’autrui. Mais parce qu’il n’est permis de tuer un homme qu’en vertu de l’autorité publique et pour le bien commun, nous l’avons montré, il est illicite de vouloir tuer un homme pour se défendre, à moins d’être investi soi-même de l’autorité publique. On pourra alors avoir directement l’intention de tuer pour assurer sa propre défense, mais en rapportant cette action au bien public ; c’est évident pour le soldat qui combat contre les ennemis de la patrie et les agents de la justice qui luttent contre les bandits. Toutefois ceux-là aussi pèchent s’ils sont mus par la une passion personnelle” (Som. Th., IIa-IIae, Q. 64, a. 7).

[10] Catéchisme de l’Église Catholique, n°2263-2264.

[11] Jean XXIII nous dit : “On a coutume de justifier les armements en répétant que, dans les conjonctures du moment, la paix n’est assurée que moyennant l’équilibre des forces armées. Alors toute augmentation du potentiel militaire en quelque endroit provoque de la part des autres États un redoublement d’efforts dans le même sens. … La justice, la sagesse, le sens de l’humanité réclament, par conséquent, qu’on arrête la course aux armements ; elles réclament la réduction parallèle et simultanée de l’armement existant dans les divers pays, la proscription de l’arme atomique, et enfin le désarmement dûment effectué d’un commun accord et accompagné de contrôles efficaces. … Mais que tous soient bien convaincus : l’arrêt de l’accroissement du potentiel militaire, la diminution effective des armements et – à plus forte raison – leur suppression sont choses irréalisables ou presque sans un désarmement intégral qui atteigne aussi les âmes : il faut s’employer unanimement et sincèrement à y faire disparaître la peur et la psychose de guerre. Cela suppose qu’à l’axiome qui veut que la paix résulte de l’équilibre des armements, on substitue le principe que la vraie paix ne peut s’édifier que dans la confiance mutuelle. Nous estimons que c’est là un but qui peut être atteint, car il est à la fois réclamé par la raison, souverainement désirable, et de la plus grande utilité” (Encyclique Pacem in terris, n°110 et 112-113).

[12] Le Concile Vatican II dit : “Quoi qu’il en soit de ce procédé de dissuasion, on doit néanmoins se convaincre que la course aux armements, à laquelle d’assez nombreuses nations s’en remettent, ne constitue pas une voie sûre pour le ferme maintien de la paix et que le soi-disant équilibre qui en résulte n’est ni une paix stable ni une paix véritable. Bien loin d’éliminer ainsi les causes de guerre, on risque au contraire de les aggraver peu à peu. Tandis qu’on dépense des richesses fabuleuses dans la préparation d’armes toujours nouvelles, il devient impossible de porter suffisamment remède à tant de misères présentes de l’univers. Au lieu d’apaiser véritablement et radicalement les conflits entre nations, on ne répand plutôt la contagion à d’autres parties du monde. Il faudra choisir des voies nouvelles en partant de la réforme des esprits pour en finir avec ce scandale et pour pouvoir ainsi libérer le monde de l’anxiété qui l’opprime et lui rendre une paix véritable. C’est pourquoi, il faut derechef déclarer : la course aux armements est une plaie extrêmement grave de l’humanité et lèse les pauvres d’une manière intolérable” (Constitution pastorale Gaudium et spes, n°81, 2-3).

[13] Jean-Paul II dit : “Si la production des armes est un grave désordre qui règne dans le monde actuel face aux vrais besoins des hommes et à l’emploi des moyens aptes à les satisfaire, il n’en est pas autrement pour le commerce de ces armes. Et il faut ajouter qu’à propos de ce dernier le jugement moral est encore plus sévère. Il s’agit, on le sait, d’un commerce sans frontière, capable de franchir même les barrières des blocs. Il sait dépasser la séparation entre l’Orient et l’Occident, et surtout celle qui oppose le Nord et le Sud, jusqu’à s’insérer – ce qui est plus grave – entre les diverses parties qui composent la zone méridionale du monde. Ainsi, nous nous trouvons devant un phénomène étrange : tandis que les aides économiques et les plans de développement se heurtent à l’obstacle de barrières idéologiques insurmontables et de barrières de tarifs et de marché, les armes de quelque provenance que ce soit circulent avec une liberté quasi absolue dans les différentes parties du monde. Et personne n’ignore… qu’en certains cas les capitaux prêtés par le monde développé ont servi à l’achat d’armements dans le monde non développé” (Encycliques Sollicitudo rei socialis, n°24).

[14] Catéchisme de l’Église Catholique, n°2315-2316.

[15] Saint Thomas nous dit : “En effet, l’intention de tout gouvernant doit tendre à procurer le salut de ce qu’il a entrepris de gouverner. Car il appartient au pilote en protégeant son navire des périls de la mer de le conduire indemne à bon port. Or le bien et le salut d’une multitude assemblée en société est dans la conservation de son unité, qu’on appelle paix ; si celle-ci disparaît, l’utilité de la vie sociale est abolie, bien plus, une multitude en dissension est insupportable à soi-même. Tel est donc le but auquel celui qui dirige la multitude doit le plus viser : procurer l’unité de la paix. … Un gouvernement sera donc d’autant plus utile qu’il sera plus efficace pour conserver l’unité de la paix. Car nous appelons plus utile ce qui amène mieux à la fin” (De Regno, Livre I, ch. 2).

[16] Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, n°78, 1.

[17] Catéchisme de l’Église Catholique, n°1906-1909.

[18] Catéchisme de l’Église Catholique, n°1905.

[19] Jean-Paul II, Discours au corps diplomatique du 11/1/1986.

[20] La vertu de justice est une des quatre grandes vertus cardinales. Ces “quatre vertus jouent un rôle charnière. Pour cette raison on les appelle ‘cardinales’ ; toutes les autres se regroupent autour d’elles. Ce sont la prudence, la justice, la force et la tempérance.”[20] Autour de la vertu de justice, se regroupent la vertu de religion et les vertus sociales qui se composent de la piété filiale, du respect, de la dulie (respect et honneur que l’on rend aux anges et aux saints) ou du devoir de rendre les honneurs à qui de droit, de l’obéissance, de la reconnaissance ou de la gratitude et de la vérité. À la vertu de Justice s’opposent l’injustice, l’homicide, l’exclusion ou l’acception des personnes (action de considérer la qualité d’une personne, d’en tenir compte au préjudice d’une autre personne), la mutilation, les coups, la violence contre les personnes, le vol, l’injure, la diffamation, la médisance, la moquerie, la malédiction, la fraude, l’usure. En tant que péchés contraires à la vertu de Religion : la superstition, l’idolâtrie, la tentation de Dieu, le parjure, le sacrilège, la simonie. En tant que péchés contraires aux vertus sociales : la désobéissance, l’ingratitude, la vengeance, le mensonge, la simulation et l’hypocrisie, la jactance, l’ironie, l’adulation ou flatterie ; l’avarice, la prodigalité.

[21] Som. Th., IIa-IIae, Q. 58, a. 11 : “Nous venons de voir que la matière de la justice est l’activité extérieure qui, par elle-même ou par la réalité dont elle fait usage, se trouve proportionnée à la personne avec qui la justice nous met en relation. Or on dit qu’une chose appartient en propre à une personne donnée, lorsqu’elle lui est due selon une égalité de proportion. C’est pourquoi l’acte propre de la justice consiste bien à rendre à chacun son dû.”

[22] Som. Th., IIa-IIae, Q. 58, a. 1 : “Cette définition de la justice est exacte, si elle est bien comprise. Toute vertu étant un habitus, c’est-à-dire le principe d’actes bons, il faut définir la vertu par l’acte bon ayant pour objet la matière même de la vertu. Or, la justice envisage comme sa matière propre tout ce qui est relation avec autrui, on le verra bientôt. C’est pourquoi l’on considère l’acte de la justice dans sa relation avec sa matière propre et son objet lorsqu’on dit qu’elle attribue à chacun son droit car Isidore donne l’étymologie suivante du mot juste : ‘Celui qui observe le droit (jus).’ Mais pour qu’un acte, quelle que soit la matière sur laquelle il s’exerce, soit vertueux, il faut qu’il soit volontaire et qu’il soit stable et ferme ; car le Philosophe nous dit que tout acte de vertu requiert trois conditions : 1. que son auteur sache ce qu’il fait, 2. qu’il le fasse par un choix réfléchi et pour la fin requise, 3. qu’il agisse avec constance. La première condition est incluse dans la deuxième, parce que ‘l’action faite par ignorance est involontaire’, dit encore Aristote. C’est pourquoi, dans la définition de la justice que nous avons donnée, on a d’abord posé la volonté, pour montrer que tout acte de justice doit être volontaire. On a ensuite ajouté la constance et la perpétuité, pour indiquer la fermeté de l’acte. Et cette définition de la justice est ainsi complète, si ce n’est qu’à la place de l’habitus on a posé l’acte qui le spécifie, l’habitus se définissant par l’acte. Si l’on voulait mettre cette définition dans une forme logique parfaite, il faudrait dire que ‘la justice est l’habitus par lequel on donne, d’une perpétuelle et constante volonté, à chacun son droit’. Et c’est presque la définition que nous trouvons chez Aristote : ‘La justice est un habitus qui fait agir quelqu’un conformément au choix qu’il a fait de ce qui est juste’.”

[23] “Il n’y a pas de distance entre l’amour prochain et la volonté de justice. C’est dénaturer à la fois l’amour et la justice que de les opposer. Bien plus, le sens de la miséricorde complète celui de la justice en l’empêchant de s’enfermer dans le cercle de la vengeance” (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Libertatis conscientia, n°57).

[24] Encyclique Divini Redemptoris, n°49.

[25] Pour compléter le sujet, il serait bon de relire l’Encyclique Dives et misericordia de Jean-Paul II (n°12, 3 ; n°14, 4-8 ; n°14, 10-11) : “Cependant, il serait difficile de ne pas percevoir que, souvent, les programmes fondés sur l’idée de justice et qui doivent servir à sa réalisation dans la vie sociale des personnes, des groupes et des sociétés humaines subissent en pratique des déformations. Bien qu’ils continuent toujours à se réclamer de cette même idée de justice, l’expérience démontre que souvent des forces négatives, comme la rancœur, la haine et jusqu’à la cruauté, ont pris le pas sur elle. Alors le désir de réduire à rien l’adversaire, de limiter sa liberté, ou même de lui imposer une dépendance totale, devient le motif fondamental de l’action ; et cela s’oppose à l’essence de la justice qui, par nature, tend à établir l’égalité et l’équilibre entre les parties en conflit. Cette espèce d’abus de l’idée de justice et son altération pratique montrent combien l’action humaine peut s’éloigner de la justice elle-même, quand bien même elle serait entreprise en son nom. Ce n’est pas pour rien que le Christ reprochait à ses auditeurs, fidèles à la doctrine de l’Ancien Testament, l’attitude qui se manifeste dans ces paroles : ‘Œil pour œil, dent pour dent’ (Mt 5, 38). Telle était la manière d’altérer la justice à cette époque ; et les formes modernes continuent à se modeler sur elle. Il est évident, en effet, qu’au nom d’une prétendue justice (par exemple historique ou de classe), on anéantit parfois le prochain, on tue, on prive de la liberté, on dépouille des droits humains les plus élémentaires. L’expérience du passé et de notre temps démontre que la justice ne suffit pas à elle seule, et même qu’elle peut conduire à sa propre négation et à sa propre ruine, si on ne permet pas à cette force plus profonde qu’est l’amour de façonner la vie humaine dans ses diverses dimensions. L’expérience de l’histoire a conduit à formuler : ‘summum ius, summa iniura’, le summum du droit, summum de l’injustice. Cette affirmation ne dévalue pas la justice et n’atténue pas la signification de l’ordre qui se fonde sur elle ; mais elle indique seulement, sous un autre aspect, la nécessité de recourir à ces forces encore plus profondes de l’esprit qui conditionnent l’ordre même de la justice. … Ainsi donc, le chemin que le Christ nous a indiqué dans le Sermon sur la Montagne avec la béatitude des miséricordieux est bien plus riche que ce que nous pouvons parfois découvrir dans la façon dont on parle habituellement de la miséricorde. On considère communément la miséricorde comme un acte ou un processus unilatéral, qui présuppose et maintient les distances entre celui qui fait miséricorde et celui qui la reçoit, entre celui qui fait le bien et celui qui en est gratifié. De là vient la prétention de libérer les rapports humains et sociaux de la miséricorde, et de les fonder seulement sur la justice. Mais ces opinions sur la miséricorde ne tiennent pas compte du lien fondamental entre la miséricorde et la justice dont parlent toute la tradition biblique et surtout la mission messianique de Jésus-Christ. La miséricorde authentique est, pour ainsi dire, la source la plus profonde de la justice. Si cette dernière est de soi propre à ‘arbitrer’ entre les hommes pour répartir entre eux de manière juste les biens matériels, l’amour au contraire, et seulement lui (et donc aussi cet amour bienveillant que nous appelons ‘miséricorde’), est capable de rendre l’homme à lui-même. La miséricorde véritablement chrétienne est également, dans un certain sens, la plus parfaite incarnation de ‘l’égalité’ entre les hommes, et donc aussi l’incarnation la plus parfaite de la justice, en tant que celle-ci, dans son propre domaine, vise au même résultat. L’égalité introduite par la justice se limite cependant au domaine des biens objectifs et extérieurs, tandis que l’amour et la miséricorde permettent aux hommes de se rencontrer entre eux dans cette valeur qu’est l’homme même, avec la dignité qui lui est propre. En même temps, ‘l’égalité’ née de l’amour ‘patient et bienveillant’ (1 Co 13, 4) n’efface pas les différences : celui qui donne devient plus généreux lorsqu’il se sent payé en retour par celui qui accepte son don ; réciproquement, celui qui sait recevoir le don avec la conscience que lui aussi fait du bien en l’acceptant, sert pour sa part la grande cause de la dignité de la personne, et donc contribue à unir les hommes entre eux d’une manière plus profonde. Ainsi donc, la miséricorde devient un élément indispensable pour façonner les rapports mutuels entre les hommes, dans un esprit de grand respect en ce qui est humain et envers la fraternité réciproque. Il n’est pas possible d’obtenir l’établissement de ce lien entre les hommes si l’on veut régler leurs rapports mutuels uniquement en fonction de la justice. Celle-ci, dans toute la sphère des rapports entre les hommes, doit subir pour ainsi dire une ‘refonte’ importante de la part de l’amour qui est – comme le proclame St Paul – ‘patient’ et ‘bienveillant’, ou, en d’autres termes, qui porte en soi les caractéristiques de l’amour miséricordieux, si essentielles pour l’Évangile et pour le christianisme. Rappelons en outre que l’amour miséricordieux comporte aussi cette tendresse et cette sensibilité du cœur dont nous parle si éloquemment la parabole de l’enfant prodigue (Lc 15, 11-32), ou encore celles de la brebis et de la drachme perdues (Lc 15, 1-10). Aussi l’amour miséricordieux est-il indispensable, surtout entre ceux qui sont les plus proches : entre les époux, entre parents et enfants, entre amis ; il est indispensable dans l’éducation et la pastorale. Cependant, son champ d’action ne se borne pas à cela. Si Paul VI a indiqué à plusieurs reprises que la ‘civilisation de l’amour’ était le but vers lequel devaient tendre tous les efforts dans le domaine social et culturel comme dans le domaine économique et politique, il convient d’ajouter que ce but ne sera jamais atteint tant que, dans nos conceptions et nos réalisations concernant le domaine large et complexe de la vie en commun, nous nous en tiendrons au principe ‘œil pour œil et dent pour dent’ ; tant que nous ne tendrons pas, au contraire, à le transformer dans son essence, en agissant dans un autre esprit. Il est certain que c’est aussi dans cette direction que nous conduit le Concile Vatican II lorsque, parlant d’une manière répétée de la nécessité de rendre le monde contemporain comme la réalisation de cette tâche. Le monde des hommes ne pourra devenir toujours plus humain que si nous introduisons dans le cadre multiforme des rapports interpersonnels et sociaux, en même temps que la justice, cet ‘amour miséricordieux’ qui constitue le message messianique de l’Évangile. Le monde des hommes pourra devenir ‘toujours plus humain’ seulement lorsque nous introduirons, dans tous les rapports réciproques qui modèlent son visage moral, le moment du pardon, si essentiel pour l’Évangile. Le pardon atteste qu’est présent dans le monde l’amour plus fort que le péché. En outre, le pardon est la condition première de la réconciliation, non seulement dans les rapports de Dieu avec l’homme, mais aussi dans les relations entre les hommes. Un monde d’où on éliminerait le pardon serait seulement un monde de justice froide et irrespectueuse, au nom de laquelle chacun revendiquerait ses propres droits vis-à-vis de l’autre ; ainsi, les égoïsmes de toute espèce qui sommeillent dans l’homme pourraient transformer la vie et la société humaine en un système d’oppression des plus faibles par les plus forts, ou encore en arène d’une lutte permanente des uns contre les autres. … Le Christ souligne avec insistance la nécessité de pardonner aux autres : lorsque Pierre Lui demande combien de fois il devrait pardonner à son prochain, Lui indique le chiffre symbolique de ‘soixante-dix fois sept fois’ (Mt 18, 22), voulant lui montrer ainsi qu’il devrait savoir pardonner à tous et toujours. Il est évident qu’une exigence aussi généreuse de pardon n’annule pas les exigences objectives de la justice. La justice bien comprise constitue pour ainsi dire le but du pardon. Dans aucun passage du message évangélique, ni le pardon ni même la miséricorde qui en est la source, ne signifient indulgence envers le mal, envers le scandale, envers le tort causé ou les offenses. En chaque cas, la réparation du mal et du scandale, le dédommagement du tort causé, la satisfaction de l’offense sont conditions du pardon. Ainsi donc, la structure frontière de la justice entre toujours dans le champ de la miséricorde. Celle-ci toutefois a la force de conférer à la justice un contenu nouveau, qui s’exprime de la manière la plus simple et la plus complète dans le pardon. Le pardon, en effet, manifeste qu’en plus du processus de ‘compensation’ et de ‘trêve’ caractéristique de la justice, l’amour est nécessaire pour que l’homme s’affirme comme tel. L’accomplissement des conditions de la justice est indispensable surtout pour que l’amour puisse révéler son propre visage.”

[26] Pie XII, Encyclique Summi Pontificatus.

[27] Jean XXIII dit : “De fait, la paix ne saurait régner entre les hommes, si elle ne règne d’abord en chacun d’eux, c’est-à-dire si chacun n’observe en lui-même l’ordre voulu par Dieu. ‘Ton âme veut-elle vaincre les passions qui sont en elles ?’ interroge saint Augustin. Et il répond : ‘Qu’elle se soumette à Celui qui est en haut et elle vaincra ce qui est en bas. Et tu auras la paix : la vraie paix, la paix sans équivoque, la paix pleinement établie sur l’ordre. Et quel est l’ordre propre à cette paix ? Dieu commande à l’âme et l’âme commande au corps. Rien de plus ordonné’.” Encyclique Pacem in terris, n°165) ; L’imitation de Jésus-Christ (Livre II, ch. 3) nous dit : “Conservez-vous premièrement dans la paix : et alors vous pourrez la donner aux autres. Le pacifique est plus utile que le savant. Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément. L’homme paisible et bon ramène tout au bien. Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne ; mais l’homme inquiet et mécontent est agité de divers soupçons : il n’a jamais de repos, et n’en laisse point aux autres. Il dit souvent ce qu’il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu’il faudrait faire. Attentif au devoir des autres, il néglige ses propres devoirs. Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez ensuite avec justice l’étendre sur le prochain. … Au reste, toute notre paix, dans cette misérable vie, consiste plus dans une souffrance humble que dans l’exemption de la souffrance. Qui sait le mieux souffrir possédera la plus grande paix. Celui-là est vainqueur de soi et maître du monde, ami de Jésus-Christ et héritier du ciel.”




Pourquoi l’Église a-t-elle une Doctrine Sociale ?

Depuis l’élection de Jean-Paul II, l’Église parle beaucoup de sa doctrine sociale. Ceci pourrait être perçu comme un étrange paradoxe : l’Église qui a une mission d’ordre spirituelle et surnaturelle, s’intéresse de prêt à la vie de la société. En fait, l’Église cherche à éclairer notre comportement en société pour permettre de conformer en tout point notre vie à l’Évangile.

Depuis l’avènement de Jean-Paul II au souverain pontificat, nous entendons régulièrement parler de la Doctrine Sociale de l’Église (D.S.E.), mais qu’est-ce que c’est exactement ? Pourquoi l’Église qui a une mission spirituelle, s’intéresse-t-elle à la vie et à l’organisation de la société ? Quelle influence pratique la D.S.E devrait-elle avoir dans la vie de chaque chrétien ?

La Doctrine Sociale de l’Église a une longue histoire[1] qui commence le jour de la Pentecôte, où les Apôtres, recevant les dons du Saint-Esprit, partent à travers le monde annoncer l’Évangile. Même si la dénomination de D.S.E. est récente, cela ne signifie pas que ses principes n’ont pas été appliqués dès les temps apostoliques. Croire qu’elle ne débute qu’avec la première grande encyclique sociale de Léon XIII en 1891, Rerum novarum, serait une grave erreur. Tout au long de l’Ancien Testament, nous trouvons de véritables textes de doctrine sociale, notamment dans le prophète Jérémie qui critique vigoureusement les abus de sont époques. Les Pères de l’Église ont, à leur tour, abondamment parlé et écrit sur le sujet. Il nous suffit de regarder les écrits de saint Clément d’Alexandrie, de saint Basile, saint Ambroise, de saint Augustin ou encore de saint Jean Chrysostome pour voir comment ils se sont élevés, par exemple, contre les injustices sociales provoquées par les grands propriétaires fonciers, contre l’avortement et le divorce, contre la guerre injuste, etc.. Au Moyen-Âge, nous pouvons citer saint Thomas d’Aquin qui parla beaucoup de la loi, de la justice, de la guerre juste, de l’autorité et du gouvernement. À la renaissance Francisco de Vitoria se pencha plus particulièrement sur le sort des indiens d’Amérique et fut ainsi à l’origine du droit international. Au XIXème siècle les catholiques sociaux ont lutté contre les injustices de la révolution industrielle et ont ainsi permis à Léon XIII de faire une série d’encycliques sociales rappelant les exigences de l’Évangile. Devant le refus grandissant des hommes du XXème siècle de vivre chrétiennement, les papes n’ont cessé de rappeler les exigences sociales du christianisme, élaborant ainsi une véritable Doctrine Sociale.

Avant même de définir ce qu’est la Doctrine Sociale de l’Église, nous devons nous interroger sur sa compétence pour intervenir en cette matière. En effet, l’Église, par sa mission, a le droit et le devoir d’intervenir en matière sociale dès que la nécessité s’en fait sentir. La raison est triple :

  1. Dieu voulant sauver la création, l’Église doit annoncer ce message de salut à tous les peuples[2];

  2. L’Église, de par sa mission, est ‘Mère et éducatrice’ des consciences des hommes[3] et, par conséquent, doit les éclairer tous les hommes sur ce qui est conforme à l’Évangile ou ce qui s’y oppose radicalement ;

  3. L’Église doit préserver l’unité et la charité au sein du Corps Mystique du Christ. Pour cela, elle doit dénoncer les atteintes portées à la foi, à la morale et à la dignité de la personne humaine,[4] car l’Église est “gardienne et interprète de la doctrine de Jésus-Christ”,[5] et “gardienne, par la volonté de Dieu et par mandat du Christ, de l’ordre naturel et surnaturel”.[6]

Par conséquent, l’Église s’est toujours reconnue ce droit d’intervention dans le domaine temporel selon diverses modalités suivant les situations historiques. Si l’Église s’arroge un droit de regard sur le temporel, ce n’est pas pour s’accaparer un pouvoir, mais pour éclairer les hommes sur leurs devoirs et les aider, voire même de façon concrète par des œuvres caritatives, et ceci en raison de sa compétence provenant de sa mission. Le Catéchisme de l’Église Catholique rappelle que “l’Église porte un jugement moral, en matière économique et sociale, ‘quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent’ (Gaudium et spes, n°76, 5). Dans l’ordre de la moralité elle relève d’une mission distincte de celle des autorités politiques : l’Église se soucie des aspects temporels du bien commun en raison de leur ordination au souverain Bien, notre fin ultime. Elle s’efforce d’inspirer les attitudes justes dans le rapport aux biens terrestres et dans les relations socio-économiques” (n°2420).

Maintenant que nous avons vu la compétence de l’Église en matière sociale, nous pouvons la définir en disant que la Doctrine Sociale de l’Église est un ensemble de vérités morales et religieuses, un ensemble de principes, ainsi qu’un ensemble de valeurs, une hiérarchie des valeurs qu’il faut croire, respecter, défendre, aimer et mettre en œuvre dans notre vie quotidienne.[7] Ces valeurs sont des exigences fondamentales de la condition humaine créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, en vue de sa fin surnaturelle, la vision béatifique. Le Catéchisme de l’Église Catholique résume ainsi ce qu’est la D.S.E. : “La doctrine sociale de l’Église propose des principes de réflexion ; elle dégage des critères de jugement ; elle donne des orientations pour l’action” (n.2423). Jean-Paul II dit en d’autres termes : “Elle (la D.S.E.) n’est pas non plus une idéologie, mais la formulation précise des résultats d’une réflexion attentive sur les réalités complexes de l’existence de l’homme dans la société et dans le contexte international, à la lumière de la Foi et de la Tradition ecclésiale. Son but principal est d’interpréter ces réalités, en examinant leur conformité ou leurs divergences avec les orientations de l’enseignement de l’Évangile sur l’homme et sur sa vocation à la fois terrestre et transcendante ; elle a donc pour but d’orienter le comportement chrétien. C’est pourquoi elle n’entre pas dans le domaine de l’idéologie mais dans celui de la théologie et particulièrement de la théologie morale. L’enseignement et la diffusion de la doctrine sociale, font partie de la mission d’évangélisation de l’Église. Et s’agissant d’une doctrine destinée à guider la conduite de la personne, elle a pour conséquence ‘l’engagement pour la justice’ de chacun suivant son rôle, sa vocation, sa condition”.[8]

La D.S.E. est une doctrine, c’est-à-dire un enseignement constant de l’Église en matière sociale, mais cet enseignement, tout en étant fidèle à ses principes, doit toujours s’adapter aux situations changeantes de la vie de la société. Le Catéchisme de l’Église Catholique dit : “L’enseignement social de l’Église comporte un corps de doctrine qui s’articule à mesure que l’Église interprète les événements au cours de l’histoire, à la lumière de l’ensemble de la parole révélée par le Christ Jésus avec l’assistance de l’Esprit Saint. Cet enseignement devient d’autant plus acceptable pour tous les hommes de bonne volonté qu’il inspire davantage la conduite des fidèles” (n.2422).[9] Jean-Paul II rappelle à ce sujet : “En effet, continuité et renouvellement apportent une confirmation de la valeur constante de l’enseignement de l’Église. Ces deux qualités caractérisent son enseignement en matière sociale. D’un côté, cet enseignement est constant parce que identique dans son inspiration de base, dans ses ‘principes de réflexion’, dans ses ‘critères de jugement’, dans ses ‘directives d’action’ fondamentales et surtout dans son lien essentiel avec l’Évangile du Seigneur ; d’un autre côté, il est toujours nouveau parce que sujet aux adaptations nécessaires et opportunes entraînées par les changements des conditions historiques et par la succession ininterrompue des événements qui font la trame de la vie des hommes et de la société”.[10]

Les principaux sujets dont traite la D.S.E. sont la justice sociale et la solidarité, la propriété et la répartition des biens, la famille, le travail, les lois, l’autorité et le gouvernement, les droits et devoirs de l’homme à commencer par le droit à la vie, l’État, l’entreprise et les associations, les syndicats, l’économie, les relations internationales, la guerre, la culture.

La D.S.E. a pour fondement la loi naturelle et la Révélation, la sagesse humaine et l’Évangile.[11] Ces deux piliers sont complémentaires et n’en font qu’un comme les deux faces d’une même pièce de monnaie.

En constituant ainsi une véritable Doctrine Sociale, l’Église a pour unique objectif d’aider les hommes à vivre l’Évangile à travers les réalités quotidiennes de notre vie afin de “créer des conditions sociales qui n’ont de valeur que pour rendre à tous possible et aisée une vie digne de l’homme et du chrétien.”[12] Elle a donc pour finalité de construire la civilisation de l’Amour, dont parle si souvent Jean-Paul II, et être un véritable instrument d’évangélisation. Le but de l’Église n’est pas de créer une société humainement parfaite, mais de permettre à l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, de vivre l’Évangile et d’avoir, dès ici-bas, une grande intimité avec la très Sainte Trinité au plus profond de son âme, et cela quels que soient le pays dans lequel il vit et quel que soit sa condition sociale. L’important n’est pas tant ce que l’on fait, ce que l’on a, où l’on est, mais l’amour que nous montrons à Dieu dans les moindres détails de notre vie, ainsi que dans les personnes que nous sommes appelées à côtoyer tout au long de nos journées à l’image de Jésus lavant les pieds de ses disciples avant d’instituer l’Eucharistie, le sacrement de son amour pour nous. Par conséquent, la Doctrine Sociale de l’Église nous invite à entrer dans la logique de l’amour de Dieu dans notre vie quotidienne, car il ne peut y avoir de dissociation entre l’assistance à la messe dominicale et notre vie familiale et professionnelle, cela ne forme qu’un tout pour la plus grande gloire de Dieu et la sanctification de notre âme. De ce fait, vivre les principes de la D.S.E. constitue une réponse de l’homme à l’Amour que Dieu nous manifeste constamment, pour rentrer dans son amour.

Autrement dit, la D.S.E. nous donne des repères pour vivre au quotidien l’Évangile. L’ensemble des principes et valeurs de la D.S.E sont là pour nous aider à vivre notre foi, notre espérance et notre charité. Ces trois vertus théologales peuvent rester lettres mortes si on ne cherche pas à les vivre dans nos relations avec les autres. Dans notre vie quotidienne, la bonne volonté ne suffit pas, ce ne sont pas ceux qui disent ‘Seigneur, Seigneur’ qui pourront voir le Père au terme de notre pèlerinage terrestre, mais bien ceux qui font la volonté du Père en cherchant à aimer et servir dans ‘les plus petits de ses frères’.

Comment prétendre aimer Dieu si par nos bulletins de vote on ne cherche pas à défendre la vie dès sa conception ainsi que la famille ? Comment prétendre suivre le Christ si on réduit le travail à une obligation et si on l’organise de façon inhumaine et sans une juste rétribution ? Comment prétendre être à l’écoute de l’Esprit Saint si on organise la vie économique et politique sans Dieu en laissant la loi du plus fort s’instaurer ? Comment prétendre aimer le Père si on ne remet pas la vie spirituelle au cœur de notre vie pour pouvoir promouvoir la vraie paix, objet de la septième béatitude ?

En conclusion, il faut savoir que la Doctrine sociale de l’Église existe, la découvrir, l’étudier pour la mettre en pratique. Souvent on croit que l’Église observe un certain mutisme sur les problèmes sociaux de notre temps, alors qu’il n’en ait rien. Évidemment les médias n’en font pas échos, c’est pourquoi, il faut s’en intéresser par soi-même selon les recommandations de Jean XXIII dans l’Encyclique Mater et Magistra aux numéros 222-224 : “Nous réaffirmons tout d’abord que la doctrine sociale enseignée par l’Église fait partie intégrante de son enseignement sur la vie humaine. Aussi désirons-Nous vivement la voir de plus en plus étudiée. Nous demandons qu’elle soit enseignée comme matière obligatoire dans toutes les écoles catholiques à tous les degrés. … Nous désirons aussi que la doctrine sociale de l’Église figure au programme de formation des paroisses comme des associations d’apostolat des laïcs et qu’elle soit propagée par tous les moyens modernes de diffusion : quotidiens et périodiques, ouvrages scientifiques ou de vulgarisation, émissions radiophoniques et télévisées.” Le Concile Vatican II confirmera solennellement ces recommandations en disant que “les laïcs doivent assimiler tout particulièrement les principes et les conclusions de cette doctrine sociale, de sorte qu’ils deviennent capables de travailler pour leur part à son développement aussi bien que de l’appliquer correctement.”[13] Jean-Paul II fait de la D.S.E. l’instrument privilégié de la nouvelle évangélisation. S’il a écrit autant de documents sur le sujet, il va sans dire qu’il attache une importance sans commune mesure à son étude et à sa mise en pratique.

[1] Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n.72 : “La doctrine sociale n’a pas été pensée depuis le commencement comme un système organique, mais elle s’est formée au cours du temps, à travers les nombreuses interventions du Magistère sur les thèmes sociaux.”

[2] Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n.50 : “L’Église se place concrètement au service du Royaume de Dieu avant tout en annonçant et en communiquant l’Évangile du salut et en constituant de nouvelles communautés chrétiennes. … Il en découle, en particulier, que l’Église ne se confond pas avec la communauté politique et n’est lié à aucun système politique.” N.62-63 : “Par son enseignement social, l’Église entend annoncer et actualiser l’Évangile au cœur du réseau complexe des relations sociales. … Avec sa doctrine sociale, l’Église se charge du devoir d’annonce que le Seigneur lui a confié. Elle concrétise dans les événements historiques le message de libération et de rédemption du Christ, l’Évangile du Royaume.”

[3] Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n.70-71 : “L’Église a le droit d’être pour l’homme maîtresse de vérité de la foi : de la vérité non seulement du dogme, mais aussi de la morale qui découle de la nature humaine et de l’Évangile. … Ce droit est en même temps un devoir, car l’Église ne peut y renoncer sans se démentir elle-même et sans démentir sa fidélité au Christ.”

[4] Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n.81 : “La doctrine sociale assume une fonction d’annonce et de dénonciation. Avant tout, l’annonce de ce que l’Eglise possède en propre : ‘une vision globale de l’homme et de l’humanité’, à un niveau non seulement théorique mais pratique. La doctrine sociale, en effet, n’offre pas seulement des significations, des valeurs et des critères de jugement, mais aussi des normes et les directives qui en découlent. … La doctrine sociale comporte également un devoir de dénonciation… Cette dénonciation se fait jugement et défense des droits bafoués et violés, en particulier des droits des pauvres, des petits, des faibles.”

[5] Léon XIII, Encyclique Diuturnum illud

[6] Pie XII, Radio Message du 24/12/1942

[7] Cf. Mgr Guerry, La Doctrine Sociale de l’Église, éd. Centu-rion, 1957, page 13 : “La Doctrine Sociale de l’Église est un ensemble de conceptions (fait de vérités, de principes et de valeurs), que le Magistère vivant puise dans la loi naturelle et la révélation, et qu’il adapte et applique aux problèmes sociaux de notre temps afin d’aider, selon la manière propre de l’Église, les peuples et les gouvernants à organiser une société plus humaine, plus conforme au Dessein de Dieu sur le monde.”

[8] Encyclique Sollicitudo rei socialis, n°41

[9] Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n.53 et 54 : “La transformation des rapports sociaux répondant aux exigences du Royaume de Dieu n’est pas établie dans ses déterminations concrètes une fois pour toutes. Il s’agit plutôt d’une tâche confiée à la communauté chrétienne, qui doit l’élaborer et la réaliser à travers la réflexion et la pratique inspirées de l’Évangile. … La transformation du monde se présente aussi comme une requête fondamentale de notre temps. La doctrine sociale de l’Église entend offrir à cette exigence les réponses qu’appellent les signes des temps, en indiquant avant tout que l’amour réciproque entre les hommes, sous le regard de Dieu, est l’instrument le plus puissant de changement, au niveau personnel et social.” N. 86 : “La doctrine sociale se présente comme un ‘chantier’ toujours ouvert où la vérité éternelle pénètre et imprègne la nouveauté contingente, en traçant les voies de justice et de paix.”

[10] Encyclique Sollicitudo rei socialis, n°3

[11] Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n.74 : “Le fondement essentiel de la doctrine sociale réside dans la Révélation biblique et dans la tradition de l’Eglise. … La foi, qui accueille la parole divine et la met en pratique, agit en une interaction efficace avec la raison.” N.75 : “La foi et la raison constituent les deux voies cognitives de la doctrine sociale puisque celle-ci puise à deux sources : la Révélation et la nature humaine.”

[12] Pie XII, Radio Message, 1/6/1941

[13] Décret Apostolicam actuositatem, n.31

 

Père Marc Antoine FONTELLE

 

 




Les ancêtres des douze tribus du peuple d’Israël

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La composition littéraire du Pentateuque : l’hypothèse des sources

Tout d’abord, l’expression « le pentateuque » désigne les cinq premiers livres de la bible (grec πέντε (α) – cinq – τευχη – « instruments », d’où étuis pour rouleaux de papyrus, et finalement « livres »).

            Dès que l’on ouvre le livre de la Genèse, des problèmes se posent:

                      j Double récit de la création de l’homme: Gn 1-2,4a et Gn 2,4b-7 (création de l’h…) + 2,18-24 (complète avec celle de la femme.)

                         j Gn 4,26: Adam a eu un fils: Seth et l’humanité commence à invoquer le nom de Yahvé. Mais en 5,1, on reprend brusquement l’histoire d’Adam à zéro, la naissance de Seth revient en 5,3, le nom de Yahvé disparaît jusqu’en 5,29.

                        j Gn 7,7: le déluge commence et Noé entre dans l’arche avec ses fils et les animaux, mais le récit s’arrête au v.10 pour faire place à un autre récit, où est mentionné à nouveau le début du déluge et le texte continue par l’entrée de Noé et de ses fils dans l’arche (v.13) comme si rien n’avait été dit… Remarquons aussi cette contradiction, qui provient de cette superposition de deux récits différents: Noé doit faire entrer dans l’arche tantôt un couple d’animaux de chaque espèce (sans distinction entre espèces pures et espèces impures, Gn 6,19), tantôt un couple d’animaux impurs et sept couples d’animaux purs (Gn 7,2) : ces deux façons de compter sont incompatibles…

                        j Gn20: ce chapitre commence par: « Abraham partit de là… » alors que les versets précédents ne parlent même pas d’Abraham…

                        j Dieu est parfois appelé Yahvé, parfois Elohim: ainsi le 1° récit de la création parle d’Elohim, et le second de Yahvé-Elohim, puis de Yahvé seulement… d’où l’habitude de distinguer des textes yahvistes et des textes élohistes.

                        j La montagne du désert où Dieu se révèle tout en étant identifiée au Sinaïe (Ex 3,12), est appelée « Horeb » dans le Dt et en Ex 3,1; 17,6; 33,6, et Sinaï dans bien d’autres passages…

                        j Ex 2,18: le beau-père de Moïse s’appelle Réuel et… Jethro en 3,1; 18,1…

                        j Enfin,toute une série de textes emploie un vocabulaire très spécifique en rapport avec les rites de la liturgie juive, d’où le nom de textes sacerdotaux donné à cette série, caractérisé par un style précis et sec.

                        j Le Deutéronome a aussi son vocabulaire particulier: « faire ce qui est bien aux yeux de Yahvé », « garder les commandements »… Certains y ont vu la trace d’une rédaction indépendante des autres textes et l’ont appelé D.

                        j Enfin, Moïse était considéré comme étant l’auteur unique des cinq livres, mais comment a-t-il pu être inspiré au point de décrire sa propre mort (Dt 34,5-12)? A.B. Karlstadt (1486-1541) fut le 1° à démontrer que cela est impossible.

            Résumons-nous: quatre familles de textes ont été différenciées:

                        1) Yahviste (de « Yahvé ») ou Jahviste, d’où le sigle J qu’on lui donne.

                        2) Elohiste (de « Elohim »): E.

                        3) Famille d’origine « sacerdotale » : P comme « prêtres ».

                        4) Famille « deutéronomiste », principale responsable de la rédaction du Dt: sigle D.

            Telle est l’hypothèse documentaire rendue fameuse par les travaux de Julius Wellhausen (1876-78) : 4 récits (ou documents) continus, rédigés à des époques différentes par des milieux différents ont été par la suite juxtaposés, imbriqués:

                                                                       

                                                                                  ß                  —                                     

                                                                       

                                               ——————

Deux autres modèles furent développés pour expliquer la naissance du Pentateuque:

                        A – L’hypothèse des fragments: des récits épars, des textes isolés ont été rassemblés pour former un seul récit (défendue aujourd’hui par R. Rendtorff, 1977, et C. Houtman, 1980).

                        B – L’hypothèse des compléments: un texte de base aurait été augmenté par des ajouts successifs (S. Tengström, 1976 et H.C. Schmitt, 1980).

            Reprenons donc la première hypothèse « documentaire », la plus suivie (cf notes BJ ; Henri Cazelles, Introduction critique à l’AT, Paris 1973) avec J. Wellhausen:

Epoque monarchique

vers 950 av. JC

J1,2,3 E1,2,3

(J et E auraient connu 3 rédactions successives)

vers 750 av. JC

JERéforme religieuse de Josias,

roi de Juda.

vers 620 av. JC

D         vers 550 av. JC

JED                    Q (P) + Textes législatifs         vers 500 av. JC

JEDQ (P)

 La composition littéraire du Pentateuque




Le regard parfois imparfait de l’Ancien Testament sur les réactions de Dieu face au mal

Un jour, « en passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : « Rabbi (Maître), qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents » » (Jean 9,1-3)

Beaucoup pensaient donc qu’il existe un lien direct entre péché et maladie. Cette conception s’enracine dans les temps les plus anciens. Déjà, les peuples voisins d’Israël, croyaient en ce que l’on appelle souvent « Le Principe de Rétribution selon les actes ». Cette croyance était totalement païenne, au sens où les dieux n’intervenaient pas. Elle est très certainement née de l’expérience, mais la vision du monde qu’elle transmet est non seulement simpliste, mais encore erronée. Selon cette conception, lorsque quelqu’un commet le mal, il déclenche une puissance malfaisante qui, tôt ou tard, retombera sur lui et sur son entourage.

et de ce fait libère une puissance malfaisante

k                                                                             l

qui déclenche toutes sortes

commet le mal                                               de conséquences mauvaises

sur lui et sur son entourage

j                 m

Un homme

Israël va accueillir cette croyance et l’intégrer dans sa foi encore toute jeune. Lors de la sortie d’Egypte, racontée dans le Livre de l’Exode, ils ont vu le Seigneur à l’œuvre avec une grande Puissance, et ils en ont déduit que cette Puissance ne pouvait qu’être celle du Dieu Créateur, ce Dieu Tout Puissant qui a fait surgir l’univers du néant. Et ils se faisaient une idée si grande de cette Toute Puissance de Dieu qu’ils pensaient que rien ne pouvait lui échapper, pas même le mal (Amos 3,6 ; Lamentations 3,38)… Ces conséquences mauvaises qui, soi disant, retombent sur le pécheur ne pouvaient donc venir que de Dieu. « Le Principe de Rétribution selon les actes » a donc conduit Israël à s’imaginer que Dieu était un Juge qui, du haut du ciel, récompensait les justes et punissait ceux qui font le mal :

       1Rois 8,32 (cf Ezéchiel 7,3 et 22,31) : « Toi, écoute au ciel et agis ; juge entre tes serviteurs : déclare coupable le méchant en faisant retomber sa conduite sur sa tête,

et justifie l’innocent en lui rendant selon sa justice ».

 

L’ensemble peut se représenter par le schéma suivant :

                                             Dieu, du haut du ciel, voit et juge…

k                                                                                … et châtie.

                                          et de ce fait libère une puissance malfaisante                  l

(conception païenne)

toutes sortes de conséquences

commet le mal                                               mauvaises frappent le pécheur

et son entourage

j              m

Un homme

Disons le tout de suite : même appliquée à Dieu, cette conception est fausse.

Déjà, dans l’Ancien Testament, beaucoup réagirent en trouvant injuste que Dieu fasse retomber sur la tête des enfants la conduite de leurs parents (Exode 20,5 ; 2Samuel 24,10-17). Aussi, certains prophètes commencèrent à annoncer que seuls ceux qui ont commis une faute recevront le châtiment qui lui correspond (Jérémie 31,29-30 ; Ezéchiel 18,1-3 et 18,20). C’était déjà mieux, mais les croyances ont la vie dure : la question des disciples de Jésus cinq siècles plus tard le prouve ! Le Christ balaiera d’une phrase une telle conception de Dieu. Non, Dieu n’est pas un juge qui punit et nous fait du mal parce que nous-mêmes avons mal agi. Certes, il fait la vérité, mais cette vérité est inséparable chez Lui de son Amour et de son infinie Miséricorde. Lorsque Dieu veut nous faire prendre conscience de notre péché, il nous révèle toujours en même temps son amour (Isaïe 1,2-4 ; 1,15-18). Petit à petit, il nous montre ce qui ne va pas dans notre vie pour que nous puissions aller à lui sans peur et lui offrir toutes nos misères. Voilà ce qu’Il attend. Et il enlèvera bien vite tout ce qui nous empêche d’être pleinement en relation avec lui et avec nos frères (Psaume 103(102),11-12), il nous purifiera et il nous rétablira par le don de son Esprit ((Ezéchiel 36,25-28) dans cette communion avec Lui que nous n’aurions jamais dû quitter !

Quoiqu’il en soit, une telle conception de Dieu a conduit les auteurs de l’Ancien Testament à nous le décrire souvent de façon contradictoire : « Il blesse, puis il panse la plaie ; il meurtrit, puis il guérit de sa main » (Job 5,18) ; « C’est moi qui fais mourir et qui fait vivre ; quand j’ai frappé, c’est moi qui guéris » (Deutéronome 32,39). Et nous lisons peut-être le pire dans ce même livre du Deutéronome : « Autant Yahvé avait pris plaisir à vous rendre heureux et à vous multiplier, autant il prendra plaisir à vous perdre et à vous détruire » (28,63). Non ! Dieu n’est pas ainsi ! Il n’est qu’Amour et Bonté (1Jean 4,8 ; 4,16 ; Tite 3,4-7), un Amour pleinement manifesté en Jésus-Christ (1Jean 3,16 ; Jean 15,13 ; 15,9 ; Actes 10,37-38 ; Romains 8,35-39). Jamais Il ne juge au sens de condamner (Jean 3,16-17 ; 8,11). Son seul désir est que nous connaissions le plus possible la Vie en plénitude (Jean 10,10), le vrai Bonheur (Deutéronome 5,27-33 ; 6,18 ; 6,24), la vraie Paix (Jean 14,27) et la vraie Joie qui est communion à sa Joie (Jean 15,11)…

D. Jacques Fournier

Intreprétation du mal AT

 




Les grandes dates de l’Histoire d’Israël

1850 Av JC: Abraham, originaire d’Ur en basse Mésopotamie

                                             |

Joseph, son père Jacob et ses frères en Egypte

                                             |

1250 av JC: sous le Pharaon Ramsès II, l’Exode avec Moïse.

La Loi donnée au sommet du Mont Sinaï

                                             |

1200 av JC: Josué pénètre en Palestine (Terre de Canaan)

                                             |

1200 à 1025: les Juges

Confédération des douze tribus d’Israël, chacune étant dirigée par un « Juge ».

A partir de 1040 av JC, le prophète Samuel.

                                             |

1030-1010 av JC, Saül, premier roi d’Israël, consacré par Samuel.

                                            |

1010-970 av JC: le roi David. Il fait de Jérusalem la capitale de son grand Royaume.

                                            |

970-931 av JC: Salomon, fils de David,

grand constructeur (Temple de Jérusalem) et administrateur.

                                            |

931: mort de Salomon, assemblée de Sichem; Israël se divise en deux royaumes:

                     ___________|_____________________

                     |                                                                |

Royaume d’Israël (Nord)                           Royaume de Juda (Sud)

                     |                                                                |

931-910 av JC: Jéroboam I                                             931-913 av JC: Roboam, fils de Salomon.

                     |                                                                |

………………….                                           ………………….

                     |                                                                |

885-874 av JC: Omri, fonde la capitale Samarie.  ………………

                     |                                                                |

874-853 av JC: Achab; le prophète Elie.           ………………….

                     |                                                                |

853-852 av JC: Ochozias                                   ………………….

                     |                                                                |

852-841 av JC: Joram; le prophète Elisée       ………………….

                     |                                                                |

………………….                                            …………………

                     |                                                                |

783-743 av JC: Jéroboam II ;

les prophètes Amos puis Osée                         ………………….

                     |                                                                |

………………….                       781-740 av JC: Ozias; 740: vocation d’Isaïe.

                     |                                                                |

………………….                    740-736 av JC: Yotam. Débuts de Michée.

                     |                                                                |

………………….                 736-716 av JC: Achaz; prophétie d’Isaïe sur « l’Emmanuel ».

                     |                                                                |

732-724 av JC: Osée,

dernier roi du Royaume du Nord                      ………………….

 

721 av JC: prise de Samarie par l’Assyrien Sargon II.   

Fin du Royaume du Nord. Déportation massive en Assyrie.

(Suite des grandes dates de l’Histoire d’Israël)  Royaume de Juda (Sud)

                                                                                    |

716-687 av JC: Ezéchias

En 701 av JC Sennachérib lui prend 46 villes et impose un tribut.

                                                                                    |

………………….

                                                                                    |

640-609 av JC: le roi Josias

Vers 630, le prophète Sophonie

627: vocation du prophète Jérémie

622: Réforme religieuse sur la base d’un texte de Loi découvert dans le Temple de Jérusalem.

                                                                                    |

………………….

                                                                                    |

598-597 av JC: Joïaqim règne trois mois.

Nabuchodonosor, roi de Babylone assiège et prend Jérusalem.

Première déportation à Babylone (10.000 personnes).

                                                                                    |

597-587 av JC: Sédécias.

Le prophète Ezéchiel prédit la ruine de Jérusalem.

Vers 589, révolte de Sédécias malgré les avis de Jérémie.

                                                 587 av JC: Nabuchodonosor prend Jérusalem.

                                                   Destruction du Temple. Seconde déportation.

                                                              Fin du Royaume de Juda.

Jérémie est entraîné en Egypte.

Ministère d’Ezéchiel auprès des déportés.

Vers 550 av JC: Is 40-55 (le livre de la consolation).

 

Le 29 Octobre 539, le roi perse Cyrus entre en triomphateur à Babylone.

538 av JC: édit de Cyrus; retour des exilés à Jérusalem.

            515: Dédicace du second Temple de Jérusalem. Reprise de la vie religieuse.

445 av JC: Néhémie relève les murailles de Jérusalem.

 

336 av JC: Alexandre le Grand, roi de Macédoine, bat les Perses à Issos en 333.

332 av JC: Alexandre le Grand occupe la Palestine.

Déportation en Egypte dans sa nouvelle ville d’Alexandrie.

Diffusion de la culture grecque dans tout le bassin méditerranéen.

323 av JC: décès à 33 ans d’Alexandre aux confins de l’Inde.

Ses généraux se partagent l’empire:   les Séleucides en Syrie Babylonie,

les Lagides en Egypte.

La Judée est soumise aux Lagides jusques vers 200 av JC.

Vers 250 av JC, commencement de la traduction des Ecritures juives

                                               en grec, à Alexandrie (la Septante).

             200-142 av JC: la Judée est soumise aux Séleucides. Révolte maccabéenne (167-142).

63 av JC: prise de Jérusalem par Pompée;

                                   la palestine devient province romaine.

 40-4 av JC: Hérode le Grand, roi des Juifs.

Vers l’an 5 av JC, naissance de Jésus…

 

Les grandes dates -Histoire d’Israël PDF pour éventuelle impression




Pour lire un texte d’Evangile…

Se munir si possible d’une Bible complète avec notes : Bible de Jérusalem ou TOB.

    1- Commencer toujours par un temps de prière

La Parole de Dieu est un texte qui ressemble à tous les autres textes, et pourtant, il est différent. Nos journaux nous transmettent des informations ; les romans nous entraînent dans une histoire et nous font rêver… Ici, il ne s’agit pas d’un homme qui s’adresse à d’autres hommes par l’intermédiaire de l’écriture, mais de Dieu qui, par sa Parole, vient à notre rencontre: « Dans les Saints Livres, le Père qui est aux cieux vient avec tendresse au devant de ses fils et entre en conversation avec eux » (Concile Vatican II, Dei Verbum &21).

            « Je me tiens à la porte et je frappe : si tu m’ouvres ton cœur, je ferai chez toi ma demeure« ... Dieu parle au cœur : pour l’écouter, il nous faut d’abord nous recueillir par un moment de silence où nous allons laisser de côté (temporairement) tous nos soucis. Et tout de suite, nous allons nous confier à l’Esprit Saint : c’est Lui le maître intérieur. Qu’il fasse régner dans nos cœurs son silence et sa paix pour nous permettre ensuite de mieux accueillir, toujours avec son aide, la Parole de Dieu. Nous vivrons toute cette aventure avec Lui et grâce à Lui : qu’il nous garde fidèles !

Pour prier, nous pouvons commencer par lire un texte où il est fait mention de l’Esprit Saint, en demandant que cette Parole s’accomplisse pour nous, en cet instant que nous consacrons à Dieu (Exemples : Luc 11,9-13 ; Jean 14,15-20 ; 14,23-26 ; 16,12‑15 ; Ephésiens 3,14-21). On peut ensuite prier un « Notre Père » et un « Je vous salue Marie ».

2- Bien lire et relire le texte choisi.

Prendre son temps, dans la gratuité. Bien faire attention au texte lui-même. Le lire et le relire, tout simplement.

Puis noter ce qui a pu nous sembler le plus important, le plus beau, le point à garder et à conserver précieusement comme lumière pour ma vie.

Dès cette première étape, il est important de ne jamais se décourager : un jour, tel texte peut être feu dans nos cœurs. Tel autre jour, tout peut nous sembler lourd et pesant, aride et bien peu engageant. En cet instant précis, Dieu nous attend : qu’allons-nous faire ? Abandonner la lecture, ou persévérer avec Lui, creuser et creuser encore jusqu’à ce que l’eau jaillisse ? Lire la Parole de Dieu est déjà le lieu où cette Parole de Jésus nous est adressée : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive« . Mais n’oublions pas aussi que ce que nous lisons est « Bonne Nouvelle » : « Heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce ce qu’elles entendent », disait Jésus à ses disciples; « Amen, je vous le dis: beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu » (Mc 8,34 ; Mt 13,16-17).

3 – Pour continuer à creuser…

Après ce premier contact, essentiel, voici quelques points pour nous aider à poursuivre notre travail « d’attention » :

  1. a) Le contexte : Repérer, dans une Bible complète, où se situe notre texte (Les têtes de paragraphe, rédigées par nos traducteurs, et les notes sont ici très précieuses). Faire attention à ce qui précède. Essayer de bien repérer sa place dans la dynamique générale de l’œuvre où il se trouve.

Cette démarche est très importante pour une bonne interprétation. Noter toutes les informations recueillies.

  1. b) Mettre en lumière le mouvement interne du texte :

j Repérer les personnages, les indications de temps, de lieu…

j Faire attention aux répétitions, et éventuellement à la place de ces mots dans notre passage. Parfois, tout tourne autour d’un centre qu’il s’agit de repérer, car tel est alors le cœur du texte.

j Observer les différents acteurs : qui sont-ils ? Que font–ils ? Que disent-ils ?

j Qu’est-ce qui change entre le début et la fin? Quelle est la signification de ces changements ? Que nous révèlent ces changements sur les personnes concernées, sur celui qui les opère ? Essayer de repérer quel est l’enjeu…

  1. c) Les citations ou les allusions à l’Ancien Testament (AT) :

 j Elles sont écrites en caractères gras ou en italiques pour nous aider à les repérer. Les Bibles complètes indiquent leurs références en marge ou dans les notes (Parfois, l’auteur fait seulement allusion à l’AT sans le citer : les références sont aussi indiquées en marge).

j Retrouver dans l’AT lui-même les textes cités ; repérer les paragraphes d’où ils sont extraits. Les lire. Essayer de retrouver le contexte dans lequel ce texte a été écrit, puis observer les personnages : qui sont-ils, que disent-ils, que font‑ils ? Noter toutes ces informations, puis se reporter à l’Evangile où notre citation est peut-être appliquée à d’autres personnages. Noter ces glissements. Que nous apprennent les informations recueillies dans l’AT sur l’identité et la mission de nos personnages du NT ?

L’Ancien Testament annonce le Christ : sa lecture est essentielle pour mieux comprendre Celui qui accomplit toutes ces Ecritures…

  1. d) Signification et enjeux

j Essayer de bien définir « le message central » de notre texte.

j Ces lignes ont été écrites par des croyants qui désiraient nous partager leur foi, nous faire grandir dans notre foi, nous introduire dans le mystère du Christ.

– Tout d’abord, ce passage d’Evangile, a-t-il été vraiment pour moi « une Bonne Nouvelle » ?

– Que m’a-t-il appris sur Dieu et sur le Christ ?

– M’a-t-il aidé vis à vis de ma relation à Dieu et au Christ ? M’a-t-il permis de mieux appréhender l’amour que Dieu porte sur le monde? De mieux pressentir toutes les grâces qu’Il désire nous donner?

– « Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui comme il le sera à jamais » (Hb 13,8). Ce texte a-t-il contribué à rendre ma foi plus vivante, à mettre davantage le Christ ressuscité au cœur de ma vie, à espérer toujours plus en Lui ? M’a-t-il invité à changer pour mieux accueillir cette Présence bienveillante et toujours offerte ? Prier davantage? Consacrer plus de temps à Dieu ? Ne pas manquer l’Eucharistie du Dimanche ? S’ouvrir plus souvent à la guérison intérieure offerte dans le sacrement de réconciliation ?

– M’a-t-il interpellé aussi sur la qualité de ma relation avec ma famille, mes proches, les voisins de mon quartier, mes frères croyants, ma communauté paroissiale ? M’a-t-il aidé à mieux vivre le commandement de l’amour, à mieux m’engager dans l’Eglise pour annoncer la Bonne Nouvelle du Christ ?

Jacques Fournier




Allocution de Jean Paul II sur l’interprétation de la Bible dans l’Eglise 23 Avril 1993

Elle fut prononcée à l’occasion du centenaire de l’encyclique Providentissimus Deus (PD) et du cinquantenaire de Divino afflante Spiritu (DAS).

Rappels :

– En 1902 Léon XIII crée la commission biblique.

– En 1909 Pie X fonde l’Institut Biblique.

– En 1920 Benoît XV célèbre le 1500° anniversaire de la mort de St Jérôme par une encyclique sur l’interprétation de la Bible.

– Importance de Dei Verbum (DV) lors du Concile Vatican II.

PD a voulu protéger l’interprétation catholique de la Bible contre les attaques de la science rationaliste, à une époque marquée par de virulentes polémiques contre la foi de l’Église. Au lieu de jeter l’anathème sur l’utilisation des sciences dans l’interprétation de la Bible, l’encyclique invite instamment les exégètes catholiques à acquérir une véritable compétence scientifique de façon à surpasser leurs adversaires sur leur propre terrain

« Le premier moyen de défense se trouve dans l’étude des langues anciennes de l’Orient ainsi que dans l’exercice de la critique scientifique ».

DAS a réagi face aux attaques qui s’opposent à l’utilisation de la science par les exégètes et qui veulent imposer une interprétation non scientifique, dite « spirituelle », des Saintes Ecritures. Elle a constaté la fécondité des directives données par PD:

« Grâce à une meilleure connaissance des langues bibliques et de tout ce qui concerne l’Orient,… un bon nombre des questions soulevées au temps de Léon XIII contre l’authenticité, l’antiquité, l’intégrité et la valeur historique des Saints Livres… se trouvent aujourd’hui débrouillées et résolues. »

(5) D’autre part, Pie XII

– a souligné la portée « théologique » du sens littéral, méthodiquement défini

– et a affirmé que le sens spirituel, pour pouvoir être reconnu comme sens d’un texte biblique, doit présenter des garanties d’authenticité: on doit pouvoir montrer qu’il s’agit d’un sens « voulu par Dieu Lui-même ». La détermination du sens spirituel appartient donc, elle aussi, au domaine de la science exégétique.

Ainsi DAS et PD refusent la rupture entre l’humain et le divin, entre la recherche scientifique et le regard de foi, entre le sens littéral et le sens spirituel, demeurant ainsi pleinement en harmonie avec le mystère de l’Incarnation.

(6) « De même que la Parole substantielle de Dieu s’est faite semblable aux hommes en tous points, excepté le péché, ainsi les Paroles de Dieu, exprimées en des langues humaines, se sont faites semblables au langage humain en tous points, excepté l’erreur » (DAS 559; cf Dei Verb.13).

Les écrits inspirés de la Première Alliance tout comme ceux de la Nouvelle constituent un moyen vérifiable de communication et de communion entre le Peuple croyant et Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. Ce moyen ne peut assurément pas être séparé du fleuve de vie spirituelle qui jaillit du coeur de Jésus crucifié et qui se propage grâce aux sacrements de l’Eglise. Il a néanmoins sa consistance propre, celle précisément d’un texte écrit qui fait foi.

(7) Ainsi, les exégètes catholiques doivent rester en pleine harmonie avec le mystère de l’Incarnation. L’Eglise prend au sérieux son réalisme et c’est pour cette raison qu’elle attache une grande importance à l’étude historico-critique.

(8) DAS a particulièrement recommandé l’étude des genres littéraires, mue par le souci de comprendre le sens des textes avec toute l’exactitude et la précision possible, dans leur contexte culturel historique. Certains chrétiens pensent que Dieu étant l’Etre absolu, chacune de ses paroles a une valeur absolue, indépendamment de tous les conditionnements du langage humain. Il n’y a donc pas lieu selon eux d’étudier ces conditionnements pour opérer des distinctions qui relativiseraient la portée de ces paroles.

Mais Dieu, créateur de l’étonnante variété des êtres, loin d’écraser toutes leurs différences et leurs nuances, les respecte et les valorise. Lorsqu’il s’exprime dans un langage humain, il ne donne pas à chaque expression une valeur uniforme, mais il en utilise les nuances possibles avec une souplesse extrême et il en accepte également les limitations. C’est ce qui rend la tâche des exégètes si complexe, si nécessaire et si passionnante! Aucun des aspects humains du langage ne peut être négligé.

Cependant cette étude ne suffit pas. Loin de s’en tenir aux aspects humains du texte biblique, il faut aussi et surtout aider le peuple chrétien à percevoir plus nettement dans ces textes la parole de Dieu, de façon à mieux l’accueillir, pour vivre pleinement en communion avec Dieu. A cette fin, il est évidemment nécessaire que l’exégète lui-même perçoive dans les textes la parole divine et cela ne lui est possible que si son travail intellectuel est soutenu par un élan de vie spirituelle.

Faute de ce soutien, la recherche exégétique perd de vue sa finalité principale en se confinant dans des tâches secondaires; elle peut alors faire oublier que la Parole de Dieu invite chacun à sortir de lui-même pour vivre dans la foi et la charité.

« Les Livres saints ne peuvent être assimilés aux écrits ordinaires, mais, puisqu’ils ont été dictés par l’Esprit Saint lui-même et ont un contenu d’extrême gravité, mystérieux et difficile sous bien des aspects, nous avons toujours besoin, pour les comprendre et les expliquer, de la venue de ce même Esprit Saint, c’est à dire de sa lumière et de sa grâce, qu’il faut assurément demander dans une humble prière et conserver par une vie sanctifiée » (DAS 89).

Oui, pour arriver à une interprétation pleinement valable des paroles inspirées par l’Esprit Saint, il faut être soi-même guidé par l’Esprit Saint et, pour cela, il faut prier, prier beaucoup, demander dans la prière la lumière intérieure de l’Esprit et accueillir docilement cette lumière, demander l’amour, qui seul rend capable de comprendre le langage de Dieu, qui « est amour » (1 Jn 4, 8.16). Durant le travail même d’interprétation, il faut se maintenir le plus possible en présence de Dieu.

(10) La docilité à l’Esprit Saint produit et renforce une autre disposition, nécessaire pour la juste orientation de l’exégèse: la fidélité à l’Eglise. Ces textes n’ont pas, en effet, été donnés aux chercheurs individuels, « pour la satisfaction de leur curiosité ou pour leur fournir des sujets d’étude et de recherche » (DAS 566), mais à la communauté des croyants, à l’Eglise du Christ, pour nourrir la foi et guider la vie de charité. Le respect de cette finalité conditionne la validité de l’interprétation.

« Tout ce qui concerne la manière d’interpréter l’Ecriture est finalement soumis au jugement de l’Eglise, qui exerce le ministère et le mandat divinement reçus de garder la Parole de Dieu et de l’interpréter » (DV 12); il n’en reste pas moins vrai qu’il « appartient aux exégètes de s’efforcer … de pénétrer et d’exposer plus profondément le sens de la Sainte Ecriture, afin que, par leurs études en quelque sorte préparatoires, mûrisse le jugement de l’Eglise » (PD; DV 12).

(11) Les exégètes auront à coeur de rester proches de la prédication de la Parole de Dieu, pour éviter de se perdre dans les méandres d’une recherche scientifique abstraite, qui les éloignerait du vrai sens des Ecritures, un sens inséparable de leur finalité qui est de mettre les croyants en relation personnelle avec Dieu.

(13) Le document actuel, L’interprétation de la Bible dans l’Eglise, frappe par:

– son ouverture d’esprit: en commençant par la base historico-critique, dégagée de présupposés philosophiques ou autres contraires à la vérité de notre foi, elle met à profit toutes les méthodes actuelles, en cherchant dans chacune « la semence du Verbe ».

– son équilibre et sa modération; diachronie et synchronie se complètent de façon indispensable.

L’exégèse catholique s’efforce de mettre en lumières et les aspects humains de la révélation biblique et ses aspects divins, unis dans la divine « condescendance » (DV 13).

– Enfin, la Parole biblique agissante s’adresse universellement dans le temps et dans l’espace à toute l’humanité. Si la tâche première de l’exégèse est d’atteindre le sens authentique du texte sacré ou même ses différents sens, il faut ensuite qu’elle communique ce sens au destinataire de l’Ecriture Sainte qui est, si possible, toute personne humaine.

Un processus constant d’actualisation s’efforcera aussi de retraduire la pensée biblique dans le langage contemporain.

Tous les moyens possibles doivent être utilisés pour que la portée universelle du message biblique soit largement reconnue et que son efficacité salvifique puisse se manifester partout.