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L’unité dans l’Eglise (Vendredi saint 29 mars 2024) par Père Rodolphe EMARD

Durant cette journée du vendredi saint, méditons sur le thème de l’unité ; ce devoir d’unité que nous avons à faire et à vivre dans l’Église.

Faire l’unité est un devoir pour plusieurs raisons :

  • Le Christ lui-même le demande dans les évangiles, notamment celui de Jean : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jean 17, 21).

Cette parole de Jésus soulève deux points :

  • Jésus veut l’unité de ses disciples à l’image de son unité avec le Père. L’unité de l’Église est donc à l’image de l’unité divine.

  • Jésus nous dit que l’unité de l’Église permettra au « monde » de croire qu’il est l’envoyé du Père. Faire l’unité est donc indispensable, en vue d’un témoignage crédible du Christ.

  • L’Église est UNE, elle est le Corps du Christ et le Christ en est à la tête, il en est le Chef. Nous sommes membres de ce Corps par la grâce de notre baptême.

Saint Paul dans sa lettre aux Éphésiens donne bien la signification de l’unité de l’Église : « Ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous ». (Éphésiens 4, 3-6)

Supprimer l’unité dans l’Église serait supprimer l’Église elle-même. Nous devons donc surmonter nos divisions et nos rivalités. Comment ? Saint Paul nous donne là encore des pistes dans sa lettre aux Éphésiens (voir et méditer sur le chapitre 2, versets 1 à 5) : nous réconforter les uns les autres, s’encourager mutuellement avec amour, avoir de la tendresse et de la compassion pour les autres, ne pas être vaniteux, calculateurs ou opportunistes, opter pour l’humilité jusqu’à estimer l’autre supérieur à soi-même, ne pas chercher son propre intérêt mais chercher celui de l’autre.

Nous comprenons alors qu’il nous faut fuir l’égoïsme qui amène à la désunion. Travailler à l’unité suppose l’acception de l’autre dans sa différence parce que l’unité ne signifie pas uniformité ou une sorte de « fusion » où chacun perdrait son identité et le charisme qui lui est propre et que le Seigneur lui a donné. NON ! Chacun a ses propres dons à mettre au service de l’Église et que nous devons accueillir…

Que chacun puisse prendre au sérieux cet appel à l’unité qui rappelons-le est une exigence pour notre entrée dans le Royaume de Dieu.




Conférence Carême 2024 : « Le Notre Père, prière d’espérance » par Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis/ La Réunion, le 20 mars 2024.

 

Le « Notre Père », prière d’espérance. Pourquoi ? Parce que c’est la prière du désir profond de l’homme.

Saint Thomas d’Aquin (+1274) souligne les trois questions fondamentales de l’existence humaine : qu’est-ce que je dois croire ? ; qu’est-ce que je dois faire ? qu’est-ce que je dois désirer ? Le Credo nous révèle ce que nous avons à croire ; la Loi d’amour de Dieu et du prochain comme de soi-même nous indique ce que nous devons faire et le Notre Père nous éclaire sur ce que pouvons désirer : désirer que le Nom de Dieu soit sanctifié, que son Règne vienne et que la volonté de Dieu se fasse partout sur la terre comme elle est accomplie au Ciel chez les saints. Nous demandons aussi ardemment que le pain quotidien de la Parole de Dieu et de l’eucharistie nous soit accordé sans oublier évidemment la nourriture tout court nécessaire à la survie de notre corps ; nous désirons le pardon et la délivrance du mal et du Malin.

Tout d’abord, le Notre  Père est une prière qui jaillit du fond de l’âme par la grâce de l’Esprit : « Il n’y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais une eau vive qui murmure et dit en moi : « Viens vers le Père », s’écriait saint Ignace d’Antioche (+115) à l’approche du martyre.

La prière vient de Dieu. Dieu est le premier à prier parce que la prière est un dialogue d’amour et de sagesse. Notre Dieu n’est pas solitaire mais dialogue, échange entre le Père et le Fils dans la communion de l’Esprit Saint.

Prier ne veut pas dire réciter des formules mais entrer dans la prière du Fils au Père grâce à l’action de l’Esprit Saint. Saint Paul le précise à deux reprises dans ses lettres aux Galates et aux Romains : « Vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : « Abba ! Père ! » (Rm 8, 15) ; « La preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie :  « Abba, Père !»   (Ga 4,6).

L’Esprit Saint, le Maître intérieur, éveille la prière et il conduit au Fils de Dieu, Jésus-Christ, dans une attitude filiale.

Jésus lui-même nous a enseigné à prier le Notre Père en réponse à la demande des disciples qui jalousaient les prières transmises par Jean le Baptiste :  « Apprends-nous à prier comme Jean le Baptiste le fait envers ses disciples » (Lc 11, 2-4). Et ce jour-là, Jésus prononça le Notre Père qui dans l’évangile selon saint Luc comporte quatre demandes et dans celui de saint Matthieu sept demandes (cf. Mt 6, 9-13). C’est cette dernière version qui a été retenue par la liturgie chrétienne.

Jésus nous enseigne la fécondité de la prière : « Demandez et l’on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à qui frappe on ouvrira » (Lc 11, 9-10).

En réponse aux demandes, « Dieu le Père donne l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient » ( Lc 11,13). Prier c’est demander Dieu à Dieu. La prière est ainsi toujours féconde car par elle le Père répand l’Esprit de son Fils dans nos cœurs.

La prière du chrétien devient « gémissement  ineffable » (Rm 8, 22) de l’Esprit Saint lui-même en l’humanité « en travail d’enfantement ».

S’il est vrai que l’homme plaide pour sa cause auprès de Dieu, c’est surtout Jésus, notre avocat, qui intercède pour nous (cf. 1 Jn 2, 1). L’Esprit Saint, consolateur, intercède aussi pour les croyants. La Vierge Marie, modèle de prière, est appelée « Advocata nostra », « notre avocate », dans le Salve Regina.

Dieu demeure le premier et le principal protagoniste de notre prière. Et  les saints veillent aussi sur nous dans la prière.

La prière nourrit l’espérance en Dieu. Le Seigneur a agi en libérateur hier dans l’histoire et il agira demain et aujourd’hui. Dans l’aujourd’hui de Dieu vécu dans la prière, l’Église affermit son espérance en Dieu fidèle.

Le but de la prière est l’acquisition du Saint Esprit. Prière de désir : « Viens, Esprit Saint, emplis les cœurs de tes fidèles, et allume en eux le feu de ton amour » (Séquence de Pentecôte).

Nous comprenons sans peine que certains manuscrits anciens du Notre Père en grec aient mis à la place de la demande « Que ton Règne vienne » : « Fais venir ton Esprit Saint sur nous, et qu’il nous purifie », probablement sous l’influence d’une liturgie baptismale.

L’Esprit Saint reçu dans la prière devient la vie de Dieu au cœur de la liturgie sacramentelle, de la prière familiale et de la prière personnelle. Tertullien (+240) voyait dans le Notre Père le résumé de tout l’Évangile. Prière brève et parfaite qui nourrit l’espérance au milieu des combats spirituels contre le découragement et les tromperies du Tentateur. Le Notre Père est aussi appelé l’« oraison dominicale », c’est-à-dire « la prière du Seigneur », enseignée et donnée par Jésus lui-même, notre Seigneur. C’est aussi la prière des assemblées chrétiennes qui traditionnellement priaient trois fois par jour le Notre Père à la place de la prière de « Dix-huit bénédictions » de la spiritualité juive.

Le Notre Père éduque et oriente les désirs de l’homme : « Vous demandez et ne recevez pas parce que vous demandez mal, afin de dépenser pour vos passions », écrit l’apôtre saint Jacques (Jc 4, 2-3). Dans le Notre Père, le fidèle demande l’accomplissement de la volonté de Dieu en lui et cette volonté n’est rien d’autre que l’amour fraternel : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34), demande Jésus à la dernière Cène.

Abordons maintenant phrase par phrase le Notre Père.

« Notre Père », disons-nous et non pas « mon Père », car nous prions pour toute l’Église et pour l’humanité,  prière universelle, catholique. Prière qui nous met en mouvement dans la montée de l’Église vers Dieu. Prière d’espérance dans l’attente de la rencontre avec le Christ lors de l’achèvement de l’histoire humaine. Le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, finit dans le désir et l’espérance  : « Viens Seigneur Jésus », « Marana tha » (Ap 22,20).

« Père »

Jésus a prié son Père en l’appelant « Papa », « Abba », en sa langue maternelle, l’araméen. Le Notre Père nous introduit dans le moi profond de Jésus, son moi filial, révélé dans la prière sacerdotale au chapitre 17è de l’Évangile selon saint Jean : « Père, l’heure est venue ». C’est pourquoi le Notre Père commence dans l’adoration de Dieu plutôt que dans la prière de demande. Prière de bénédiction aussi en communion avec la prière de Jésus : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre » (Mt 11, 25). Jésus se réjouit de la révélation faite aux pauvres et aux petits tandis que les forts et les intelligents de ce monde sont restés enfermés dans leur rêve de toute-puissance. Le Notre Père nous révèle aussi à nous-mêmes en tant que fils de Dieu et frères et sœurs de Jésus, notre frère aîné.

Quand nous disons « Notre Père » nous ne pensons pas uniquement au Père créateur, source de vie, mais au Père de Jésus, qui devient notre Père comme le Ressuscité de Pâques l’a révélé à Marie Madeleine dans le jardin de Jérusalem : « Va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père » (Jn 20,17).

« Qui es aux cieux »

Il ne s’agit pas d’un lieu mais de la majesté de Dieu qui est partout et au-delà de tout.

Les Pères de l’Église voient aussi dans le mot « cieux » la présence de Dieu dans les saints glorifiés dans la demeure céleste.

Nous trouvons dans cette prière sept demandes. Les trois premières nous tournent vers la Gloire de Dieu : « ton Nom », « ton Règne », « ta volonté ». Elles nous font partager le désir ardent de Jésus voire son angoisse comme à Gethsémani : « Que ton Nom soit sanctifié » ; « que ton Règne vienne » ; « que ta volonté soit faite ». Prières d’espérance en son accomplissement final. Le Notre Père est prié entre le « déjà là » et le « pas encore ». Jésus a déjà sauvé et sanctifié l’humanité mais pas encore dans sa plénitude qui se réalisera quand Dieu sera « tout en tous » (1 Cor 15, 28).

Les quatre autres demandes concernent le temps présent : « donne-nous » ; « pardonne-nous » ; « délivre-nous ».

« Que ton nom soit sanctifié »

Dans la Bible le nom désigne la personne. Dieu est saint. Seul Dieu est saint.

Que voulons-nous dire alors par « sanctifier le Nom de Dieu » ? Dieu saint sanctifie. Nous le sanctifions quand nous le célébrons comme Dieu saint dans la prière et la charité.

Nous sanctifions le Nom de Dieu quand nous le prions et chaque fois que nous en témoignons par le pardon, l’amour fraternel et le travail bien fait au service du bien commun.

Nous le sanctifions aussi par la transmission de l’Évangile dans la prière en famille, « église domestique », par la catéchèse et la prédication.

 

« Que ton Règne vienne »

Le Règne de Dieu n’est rien d’autre que Dieu lui-même présent en son Église, Corps du Christ.

C’est l’Esprit Saint qui fait advenir le Règne de Dieu. Comme nous le prions dans la prière eucharistique IV, c’est lui « qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification ».

Saint Paul révèle le Règne de Dieu qui est « justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14, 17).

Les amoureux disent « viens ». L’Église, Épouse du Christ, dit « viens ». L’anamnèse à la suite de la consécration lors de la célébration eucharistique manifeste l’attente de l’Eglise qui désire dans l’espérance le retour du Seigneur Jésus en gloire : « Quand nous mangeons ce Pain et buvons à cette Coupe, nous annonçons ta mort, Seigneur ressuscité, et nous attendons que tu viennes ».

 

« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »

« Si quelqu’un fait la volonté de Dieu, celui-là Dieu l’exauce », enseigne Jésus (Jn 9,31). Quelle est cette volonté divine pour chacun de nous ? Il s’agit de croire en Jésus, l’Envoyé du Père, et de nous aimer comme il nous aime. L’accomplissement de la volonté divine dans la foi et l’amour est bien la condition sine qua non pour que notre prière devienne féconde par l’action de l’Esprit Saint.

Cette demande du Notre Père concerne chaque chrétien et toute la terre, car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la Vérité » (1 Tim 2,4).

C’est à Gethsémani, la veille de sa Passion, que Jésus a prié dans l’effroi et l’angoisse : « Abba (Père) ! tout t’est possible : éloigne de moi cette coupe ; pourtant pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14, 36). La coupe représente la communion du Père et du Fils dans le projet du salut de l’humanité par le sacrifice de la Croix, acte suprême d’amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » (Jn 15,13).

Lors des mariages, les conjoints boivent à la même coupe en signe d’union des volontés et de partage de la même destinée.

Maître Eckhart, grand mystique dominicain de l’École rhénane à la fin du XIIIè siècle, a commenté de manière lumineuse l’obéissance de Jésus comme fondement de l’obéissance des chrétiens dans l’accomplissement de la volonté de Dieu[1]. Dans des conférences données aux frères novices dominicains en Allemagne, Maître Eckhart montre comment Dieu entre dans l’âme des fidèles qui renoncent à faire leur volonté propre, à leur ego dominateur : « Là où je ne veux rien pour moi, Dieu veut pour moi ».

Nombreux sont ceux qui cherchent et demandent des prières efficaces, des neuvaines magiques faites à des saints influents dans la Cour céleste. Maître Eckhart tranche ce débat en montrant que l’efficacité de la prière ne relève pas des formules employées mais de l’esprit qui renonce à son amour propre : « Plus l’esprit humain est renoncé, plus la prière et l’œuvre sont fortes, dignes, utiles, louables et parfaites ».

C’est pourquoi le premier mot de l’aventure spirituelle est « quitte ». Abraham a quitté son pays ; le jeune de l’Évangile qui a eu peur de quitter ses biens a sombré dans la tristesse, mais surtout il s’agit de se quitter soi-même. C’est en se quittant soi-même que l’homme reçoit la paix. Il serait vain d’aller dans un ermitage ou au désert à la recherche de la paix intérieure tout en voulant faire sa propre volonté. La première des béatitudes, fondement de toutes les autres, part de la pauvreté d’esprit (Mt 5,3). Pour suivre Jésus, il faut se quitter soi-même (Mt 16,24).

La Vierge Marie brille comme modèle de foi. À l’Annonciation, elle se remet à la volonté de Dieu. Marie ne dit pas « je ferai ceci ou cela », mais elle répond au message de l’ange Gabriel : « Qu’il me soit fait selon ta parole », c’est-à-dire que la volonté de Dieu s’accomplisse en moi. Et Maître Eckhart de commenter : « Aussitôt que Marie eut abandonné sa volonté, elle devint la vraie mère du Verbe éternel et elle conçut Dieu immédiatement « (Lc 1,26s). « Plus nous nous appartenons, moins nous appartenons à Dieu », enseigne le mystique dominicain. A contrario, pour ceux qui cherchent à faire la volonté de Dieu, Dieu fait tout concourir à leur bien (Rm 8,28). Et saint Augustin d’ajouter à la lumière de son expérience de la miséricorde divine : « Oui, même le péché ». Même le péché peut rapprocher de Dieu si le pécheur demande pardon dans la joie d’être sauvé.

Dieu ne vole personne. Dieu donne et il se donne ; mais il ne se donne qu’à ceux qui font sa volonté de foi et d’amour. Dans ses entretiens aux novices dominicains, Maître Eckhart déclare : « L’homme doit apprendre en tous les dons à se désapproprier de lui-même, et à ne rien garder en propre, ni rien chercher, ni utilité, ni plaisir, ni intimité, ni douceur, ni récompense, ni royaume des cieux, ni volonté propre. Dieu ne s’est jamais donné et il ne se donne jamais dans un vouloir qui lui soit étranger. Il ne se donne qu’à sa propre volonté. (…) Plus nous nous désincorporons de nous-mêmes, plus véritablement nous nous incorporons en lui ».

Saint Paul a célébré ce mystère du renoncement de Jésus dans son Épître aux Philippiens (Ph 2,6s). Jésus, de condition divine, s’est dépouillé de sa gloire et il s’est humilié, obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix. Maître Eckhart prend l’exemple du puits pour relier profondeur et hauteur, humilité et élévation : « Plus profond est le puits, plus haut est-il ; hauteur et profondeur, c’est un tout un ».

L’homme dépouillé trouve Dieu en toute chose et voit toute chose à la lumière de Dieu ; c’est dans cette attitude que réside la paix de l’âme : « Autant tu es en Dieu, autant tu es en paix, et autant tu es loin de Dieu, autant tu es loin de la paix » (Maître Eckhart ».

Ayant découvert la grâce de la paix intérieure, don de Dieu, Maître Eckhart ose écrire dans la lumière du renoncement de Jésus en sa Passion : « Ne te plains en rien, plains-toi seulement de ce que tu te plains encore et ne trouve pas ton contentement ». Il ne s’agit pas de dire « amen » à tout et à n’importe quoi, dans de s’unir à Jésus dans le renoncement à la volonté propre et de recevoir la gloire de la résurrection, au moment voulu par le Père.

 

« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour »

Dans sa règle, saint Benoît demande aux moines de prier et de travailler : « Ora et labora ».

Nous demandons à Dieu le pain quotidien et la force pour travailler. « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus », écrit saint Paul aux chrétiens de Thessalonique (2 Th 3,10).

L’ouvrier aussi bien que le chef d’entreprise ont besoin de l’aide de Dieu pour vivre aujourd’hui.

Nous demandons aussi à Dieu le Pain de Vie, la Parole de Dieu, et le Corps du Christ reçu dans l’Eucharistie.

 

« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés »

Dans le Notre Père, nous confessons dans l’espérance la miséricorde de Dieu et notre misère.

Nous serions bien ingrats et indignes si après avoir reçu le pardon de Dieu nous refusions ce même pardon à ceux qui nous ont fait du mal.

Jésus a pardonné même à ses ennemis qui l’ont cloué à la croix. Dieu nous demande de l’imiter.

Gardons dans notre cœur ce mot-clé de notre foi « comme ». Ce mot apporte l’identité et l’originalité de la foi chrétienne : aimer comme Jésus aime, être miséricordieux comme le Père est miséricordieux. Loin d’être une idée ou un idéal, la conjonction « comme » nous connecte à l’amour du Christ et dans le Christ au Père pour aimer et pardonner par la grâce de l’Esprit Saint.

 

« Ne nous laisse pas entrer en tentation »

Il nous arrive d’aimer et de chercher les tentations.

Nous demandons à Dieu de ne pas nous laisser emprunter la route du péché.

Dieu ne tente personne. Nous sommes tentés par notre propre convoitise (cf. Jc 1,14) qui nous pousse à posséder des biens et à manipuler les autres.

 

« Mais délivre-nous du mal »

Dans sa prière sacerdotale, que chapitre 17è de l’évangile selon saint Jean, Jésus prie : « Père, je ne te prie pas de les retirer du monde mais de les garder du Mauvais ».

Le démon existe. Nous pouvons discerner ses agissements au quotidien. Sa spécialité est de créer la division et l’embrouille, en montant les uns contre les autres au nom de grands principes de sa justice à lui. Le diable se déguise souvent en avocat, il offre ses services soi-disant pour nous aider, en réalité, le diable par ses séductions conduit toujours au malheur.

L’embolisme de la messe nous fait prier en communauté ecclésiale pour être délivrés du Mauvais : « Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps ; par ta miséricorde, libère-nous du péché, rassure-nous devant les épreuves en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur ».

 

La doxologie finale

La liturgie chrétienne se plaît à couronner le Notre Père par une doxologie où les fidèles glorifient et adorent Dieu vainqueur du prince de ce monde : « Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles. Amen ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Le père Festugière a traduit les enseignements donnés aux frères novices par Maître Eckhart sur l’obéissance : Discours sur le discernement, Arfuyen éditeur. 2003 ; traduction publiée auparavant dans La Vie spirituelle, 1982-1983.

 




« Un bébé sauvé de la mort » – Fr Manuel RIVERO O.P. (6/04/24)

« Quelle est la grande nation dont Dieu soit aussi proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ? », se demandait Moïse, ce grand prophète, libérateur de l’esclavage, que la fille de Pharaon avait sauvé de la mort alors qu’il venait de naître.

Dieu écoute les cris des hommes, des femmes et des enfants en détresse. Dieu a entendu les gémissements des esclaves en Égypte. C’est pourquoi Dieu a choisi Moïse comme leader de la libération.

Moïse a été choisi à cause de la souffrance du Peuple de Dieu opprimé en Égypte. Son appel et sa vocation prophétique trouvent leur origine dans l’oppression des faibles par les forts et non pas dans ses qualités personnelles. Pour se rendre proche des hommes humiliés et courbés sous le poids des fardeaux, Dieu envoie Moïse au puissant Pharaon.

Dans le Nouveau Testament, Dieu se rend encore plus proche des hommes aux prises avec le mal et le malin. Pour  libérer l’homme, le Fils de Dieu devient homme en prenant chair dans le sein de la Vierge Marie par la puissance de l’Esprit Saint.

« Dieu plus intime à moi que moi-même », s’exclamait saint Augustin. Baptisés dans la mort et la résurrection de Jésus, les chrétiens sont habités par Dieu lui-même. Ils deviennent les temples de la sainte Trinité et les tabernacles du Dieu Très-Haut.

« Reconnais, ó chrétien, ta dignité. Tu participes à la nature divine », enseigne saint Léon le Grand (+461), pape.

Il y a vingt siècles, dans l’empire romain, les pères de famille avaient droit de vie et de mort sur l’enfant. Le christianisme a apporté un grand progrès dans la reconnaissance de la dignité de l’enfant et de son droit à la vie.

Le préambule de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 déclare : « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres[1] ». La Suisse, façonnée par les Églises catholique et protestante, fait apparaître dans son droit constitutionnel la manière évangélique de faire de la politique qui consiste à partir du plus vulnérable des citoyens et non des projets idéologiques ou des entreprises multinationales.

Il n’y a pas de politique chrétienne mais il y a une manière chrétienne de faire de la politique. Le chrétien se rend proche des personnes en danger et en souffrance comme Dieu se rend proche des malades, des victimes des injustices et des pauvres.

L’enfant figure comme le pauvre par excellence à tel point sa vie dépend du bon vouloir des adultes.

Dieu aime les enfants. Jésus bénissait les enfants en leur imposant les mains afin qu’ils reçoivent l’Esprit de force et de sainteté. Dieu non seulement défend la vie des enfants mais il choisit ce qui est méprisé par les puissants pour manifester sa gloire.

C’est ainsi que Dieu choisit Moïse, « sauvé des eaux », qui avait échappé à la loi de mort décrétée par Pharaon, pour manifester son amour envers Israël.

Lors de mon séjour en Haïti de 2008 à 2011, j’ai été marqué par la découverte d’un bébé dans une décharge de la capitale, Port-au-Prince. Une religieuse haïtienne des Sœurs de saint Joseph de Cluny serrait ce bébé dans ses bras. L’une des jambes du bébé était recouverte de bandages. Abandonné dans les poubelles, un cochon laissé en liberté avait commencé à dévorer le bébé. Des passants l’ont sauvé de la mort. Lors de son baptême, il reçut le prénom de Moïse.

Nous connaissons le joueur de football, Cristiano Ronaldo, plusieurs fois ballon d’or. La presse a fait part de son enfance dans la pauvreté. Quand sa mère l’attendait, certaines personnes l’avaient conseillé d’enlever l’enfant car elle était pauvre. Chrétienne, elle garda l’enfant. Plus tard, en grandissant, Cristiano Ronaldo dira à sa mère : « Maman, tu es pauvre mais je te rendrai riche ! ».

En ce temps de Carême, l’Église du Christ exhorte les fidèles à se rendre proches de Dieu et proches des personnes en difficulté, par la prière, la solidarité et les demandes de pardon.

L’occasion nous est donné d’implorer le pardon du Seigneur pour nous et pour ceux qui nous ont blessé physiquement, moralement ou spirituellement. Nous avons aussi à demander pardon à ceux que nous avons offensé par action ou par omission. Que les pères irresponsables qui ont abandonné leurs enfants et la mère de leurs enfants fassent une demande de réconciliation. Que les mères qui ont mis fin à la vie de leurs enfants prient pour eux. Que les enfants qui ont survécu de justesse à la mort rendent grâce à Dieu et remercient leur mère et les avocats de leur survie. Que la richesse et la grâce du pardon descende de Dieu vers l’humanité, des parents vers leurs enfants et que la miséricorde remonte des enfants vers Dieu et vers leurs parents.

Seul le pardon libère.

Bon Carême ! Que Dieu fasse du neuf dans nos vies !

                                                                                  Fr Manuel RIVERO (O.P.)

[1] Cf. https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html




La spiritualité conjugale. Équipes Notre-Dame par Fr. Manuel Rivero O.P. (conseiller spirituel END du Secteur La Réunion).

Le corps révèle le mystère de Dieu créateur et aimant envers l’humanité

L’amour de Dieu, Esprit invisible, se manifeste dans l’amour de l’homme et de la femme : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » (Gn 1,27).

Dieu qui est relation, relation trinitaire du Père et du Fils et de l’Esprit Saint, crée l’homme et la femme pour la relation à son image : égale dignité dans la différence et l’unité de l’amour réciproque.

« Dieu est amour » (1 Jn 4,16) et le couple « qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4,16). C’est dans l’amour à l’image de la Trinité que l’homme et la femme atteignent leur perfection humaine, l’un et l’autre, l’un par l’autre, l’un avec l’autre, ensemble. L’homme et la femme se complètent pour dire dans leur relation la relation de la sainte Trinité. À l’image de Dieu le Père qui se donne au Fils et du Fils qui se donne au Père dans la communion de l’Esprit Saint, Amour du Père et du Fils, l’homme et la femme se donnent et se reçoivent réciproquement jusqu’à ne faire « une seule chair » (Gn 2,24). Cette union sans confusion passe par un changement du lien aux parents qui demeurent aimés tout en laissant paraître la nouvelle création qu’est le couple : « L’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2,24). La nouvelle réalité du couple exige séparation et renoncement par rapport à la présence des parents. La nouvelle création ne se fait pas par accumulation mais par séparation. Nous comprenons les épouses qui déclarent parfois avec regret : « Mon mari n’a jamais quitté sa mère ».

Tout comme Dieu, l’amour humain reste caché dans les cœurs de l’homme et de la femme. Ce Dieu caché (cf. Is 45,15) s’est manifesté et révélé dans la création et dans l’Incarnation du Fils de Dieu.

Dans le prologue du quatrième évangile, saint Jean affirme : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1,18). L’homme et la femme font connaître leur amour caché dans le cœur à travers les gestes de tendresse, les paroles, les cadeaux, les services … D’où l’importance des réalités visibles et matérielles pour révéler l’amour qui vit  dans l’esprit : la bague de fiançailles et de mariage, les bouquets de fleurs, les boîtes de chocolat, les paroles et les gestes d’amour …  Ces dons manifestent le don de la personne qui aime à la personne aimée. « La Vie s’est manifestée » (1 Jn 1,2), écrit saint Jean. Le Fils de Dieu s’est manifesté physiquement à travers l’ouïe, la vision et le toucher.

Ces manifestations matérielles ou physiques appellent une parole d’interprétation à l’image des sacrements qui comportent une réalité matérielle comme le pain et le vin et qui sont accompagnés d’une parole performative qui explicite le sens de la matière du sacrement : l’eau pour le baptême, l’huile pour le saint chrême et l’onction des malades … Dans le sacrement de mariage, c’est le don réciproque des personnes, corps et âme, qui trouve son accomplissement dans les paroles de l’échange des consentements : « Je te reçois comme épouse/époux et je me donne à toi pour t’aimer fidèlement tout au long de notre vie ».

Les réalités matérielles et les gestes ne portent pas leur plénitude de sens en eux-mêmes. Il leur faut la parole créatrice et performative. La communication et l’engagement passent par des signes comme l’alliance : « Je te donne cette alliance, signe de notre amour et de notre fidélité. » (bénédiction des alliances).

Dans les Équipes Notre-Dame, le devoir de s’asseoir repose sur ce besoin d’expliciter dans le dialogue, fait d’écoute et de parole, la signification des comportements qui peuvent évoluer à travers l’intelligence de l’autre et le pardon si nécessaire. « Soyez exigeant, vous ne décevrez jamais », enseignait le père Henri Caffarel, fondateur des Équipes Notre-Dame. L’amour n’exclut pas l’intelligence, parfois atrophiée. Chesterton (+1936), écrivain britannique, catholique, déclarait avec humour : « Quand on entre dans une église, il nous est demandé d’enlever le chapeau, pas la tête ! ». Un ami à qui je présentais l’exercice du devoir de s’asseoir a apporté ce commentaire : « C’est comme une confession dans le couple ! ». Et j’ai ajouté : « Et ils se donnent l’absolution ! ».

Faute de parole vraie qui engage tout l’être, la bague en or, les bouquets de fleurs voire les baisers pourraient souffrir du doute, devenir un mensonge ou donner prise aux sarcasmes : les pigeons sont « bagués », les entreprises offrent des bouquets pour des raisons commerciales, les prostituées embrassent pour de l’argent.

« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14). Dieu aime le corps humain au point que le Fils de Dieu s’est fait chair. La chair humaine, bonne dès le début de la création, trouve sa plénitude dans la sainteté et la divinisation. C’est pourquoi plutôt que de parler du « péché de la chair » il faudrait évoquer « le péché contre la chair », cette chair humaine que le Fils de Dieu a uni à sa divinité en s’unissant « en quelque sorte » à tout homme (cf. Vatican II, Gaudium et spes n°22). Saint Paul parlera du péché « contre son propre corps » (I Cor 6, 18). 

La sexualité n’est pas un but en soi, elle relève de la communication et de la communion entre l’homme et la femme. Dissociée de l’amour, la sexualité devient triste : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres », écrivait  Stéphane Mallarmé (+ 1898) dans son poème « Brise marine ». L’orgasme, appelée « petite mort », est suivi de fatigue. Mais dans l’amour et la prière, l’union sexuelle représente une célébration joyeuse, spirituelle, une sorte de liturgie de la création accomplie par le couple comme un hymne à la gloire de Dieu. Acte d’adoration du Seigneur qui unit l’homme et la femme dans l’émerveillement et l’action de grâce.

L’union des corps ne va pas sans le mélange des esprits. Quand les corps se connectent dans l’union conjugale, ce sont les âmes qui se connectent aussi. Saint Paul décrivait cette union dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe : « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? Et j’irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée ! Jamais de la vie ! Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s’unit à la prostituée n’est avec elle qu’un seul corps ? ( 1 Co 6,15-16).

À l’heure actuelle, la pornographie agit comme une épidémie qui rend malade les relations des hommes et des femmes. Véritable addiction dont il s’avère fort difficile d’en sortir. Ceux et celles qui se découvrent porno-dépendants restent enchaînés aux images qui s’impriment dans leur cerveau et leur mémoire, ineffaçables. Les scènes pornographiques agissent à la manière des marqueurs indélébiles. Ces images obscènes resurgissent à n’importe quel moment même lors de la prière. En ce qui concerne les enfants, la violence des images est comparée par certains psychologues et thérapeutes à un viol, à tel point que ces représentations fabriquées dans un contexte d’exploitation économique et de domination portent atteinte à la liberté.

La pornographie fausse et appauvrit les relations sentimentales et sexuelles, les vidant de leur contenu amoureux, ce qui entraîne frustration et colère. La puissance des images fait que l’on devient ce que l’on regarde. L’apprentissage se faisant souvent par mimétisme, la pornographie formate l’imaginaire et le comportement.

La foi chrétienne propose une ligne de crête au-dessus de l’angélisme et du rejet du plaisir. Religion qui met en valeur le corps par l’Incarnation du Fils de Dieu, Jésus le Christ, le christianisme protège le diamant de l’amour conjugal dans l’écrin de l’alliance du Christ et de l’Église, dans l’exclusivité du don total et réciproque, porteur de la vie qui peut grandir tout au long de l’existence.

Dieu ne fait pas dans le quantitatif mais dans le qualitatif. Il aime ce qui est petit et qui se déploie de manière lente et naturelle à l’image du grain de blé semé en terre qui porte du fruit.

C’est le soupçon envers Dieu introduit par le serpent dans les esprits d’Adam et d’Ève qui cassera leur harmonie. Ils ont voulu être dieu sans Dieu. Péché d’orgueil, de démesure et d’indépendance. Créés intelligents et libres, l’homme et la femme étaient autonomes, capables de gérer leur existence, mais non indépendants. L’amour rend dépendant non pas à la façon d’un esclavage mais à l’image d’une source de vie qui jaillit et s’offre gratuitement. Le mystère de la vie humaine repose sur le don. La vie a été donnée. Chaque être humain a pu survivre et grandir grâce à l’accueil d’autres personnes. La dépendance à l’égard de Dieu rend libre, libre pour aimer. Ce serait se faire illusion que de penser que la liberté se trouverait dans l’absence de liens et d’engagements. C’est dans l’engagement historique de chaque conjoint qu’ils se découvrent et qu’ils construisent leur amour et non de manière abstraite et à l’avance. L’engagement accorde la connaissance de l’autre et de soi-même. Dieu ne se donne qu’à ceux qui perdent pied dans la foi en lui. Les époux ne se donnent et ne se connaissent qu’en perdant pied pour aimer l’autre.

Dans le sacrement du mariage, l’Esprit Saint, le don du Père, est répandu sur les époux. C’est bien l’Esprit Saint qui unit les époux et s’engage dans le sacrement ; aussi est-il indissoluble parce qu’ayant Dieu comme partenaire de l’alliance conjugale. L’Esprit Saint n’est pas une tierce personne pour l’amour des deux conjoints, il ne fait pas nombre avec eux ; tout au contraire Dieu agit-il comme l’origine, la force et le but de l’amour conjugal.

Cet engagement de l’Esprit Saint rassure les époux qui redoutent l’infidélité et l’usure.

Habité par le Christ, le chrétien devient un message de Dieu, une lettre envoyée par Dieu. Dans le mariage, l’époux représente une lettre de Dieu adressée à l’épouse et vice-versa : « Vous êtes manifestement une lettre du Christ remise à nos soins, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les cœurs » (2 Cor 3, 3).

Dès les premières pages de la Bible, Dieu révèle que la femme a été le   merveilleux de Dieu à l’homme qui s’est exclamé, ému et surpris, en prenant la parole pour la première fois dans le récit de la création : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn 2,23). En la femme, l’homme se redécouvre lui-même comme dans un miroir tout en constatant l’altérité de la femme qui est différente de lui. L’homme se donne à sa femme et il se reçoit d’elle. Il ne s’agit pas de l’amour du même mais de l’amour du semblable et du différent à la fois. Désormais, l’homme verra la création à travers la femme que Dieu lui a donné. Dante (+1321) dans la Divine Comédie dit : « Je regardais Béatrice et Béatrice regardait Dieu ». Il voyait Dieu à travers Béatrice et grâce à elle. C’était bien le dessein premier de Dieu pour le couple avant la chute dans le soupçon inoculé par le serpent. À ce moment-là, par le péché, en opposition à la volonté de Dieu, la femme détourne l’homme de son Créateur au lieu de l’y conduire.

C’est ainsi que le corps humain dit le projet de Dieu pour l’homme, créé par amour pour grandir dans l’amour.

Saint Augustin s’était un jour exclamé : « Tu vois la Trinité quand tu vois la charité (Vides Trinitatem si caritatem vides). Je t’amènerai, si je le puis, à te faire voir ce que tu vois[1] ». L’amour du couple resplendit dans sa beauté comme l’icône de la Trinité sainte, « petite église », maquette de la communion ecclésiale qui ne fait qu’un avec Dieu. Saint Paul appliquera les paroles de la Genèse à l’amour du Christ et de l’Église : « Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair : ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église » (Eph 5,31-32). Dans le sacrement du mariage, les époux manifestent l’amour du Christ pour son Église et ils en vivent.

Amour rime avec fécondité. L’amour porte toujours du fruit. Chaque conjoint rayonne par la présence de l’autre en lui. Il y a la fertilité de l’enfant qui arrive au monde par l’union des parents. Il y a aussi la vie donnée dans le quotidien du couple, du travail et des relations sociales. Chaque conjoint porte en lui la force de l’amour de son partenaire. Il arrive souvent que des amis proches en découvrant une allégresse lumineuse sur le visage de l’ami/e et un élan nouveau déclarent : « Tu es amoureux/amoureuse, ne me dis pas que non ! ». L’amour caché se manifeste dans la joie de vivre. Ce n’est pas sans raison que l’amour est considéré comme le bonheur de l’existence et son sommet.

Un saint prêtre à Marseille, le père Jean Arnaud, aimait à prêcher que « l’Esprit Saint rend les jeunes filles belles ». L’amour embellit car il est démarche artistique sur soi et sur l’autre. Qui dit art dit travail et compétence. Aimer, c’est un art, un travail, qui exige l’endurance et la confiance pour écouter, dialoguer et pardonner. L’amour ne donne pas nécessairement la connaissance de l’autre ; il s’avère nécessaire d’expliciter les raisons des comportements et le sens des paroles sous peine de tomber dans des contresens. « Dans la solitude j’ai vu clairement des choses qui étaient fausses », avouait le poète castillan Antonio Machado.

Lors des malentendus et des doutes dans le couple, il est bon de prendre des décisions de communication comme s’il s’agissait du dernier jour de l’existence ; si l’on devait mourir ce soir, qu’est-ce qu’il faudrait dire au conjoint ? Dans toute relation il y a des non-dits et des blessures cachées. Par leurs paroles ou par leurs gestes, les autres touchent des blessures de notre histoire, de notre enfant intérieur, qui réagit, ému, et parfois sa colère retenue comme une bombe à retardement explose.

Le rythme de la vie s’est accéléré. Les médias déversent un déluge de messages chaque jour. L’existence peut ressembler à une fuite en avant où la personne avance comme le nageur sur une vague qui l’emporte. Comment parvenir à une vie équilibrée dans le chaos quotidien ? Un grand besoin de calme et d’écoute se fait ressentir au plus profond des cœurs pour échapper au vide et aux tourbillons. La communication dans la prière vient libérer les conjoints du sentiment de subir la vie plutôt que de la savourer et de la diriger. Dans la prière commune, partagée, chacun parle à Dieu de l’autre et à l’autre de Dieu. Ensemble, ils reconnaissent leur pauvreté et leur vulnérabilité, le besoin du Christ et la nécessité de l’autre et des autres.  La Parole de Dieu partagée purifie et elle agit comme un ciment au service de la construction du couple. Se tourner vers Dieu équivaut à se rapprocher de l’autre. Se détourner de Dieu c’est aussi s’éloigner de l’autre. Dieu rapproche toujours dans la paix. Le diable, le dia-bolos, est comme son étymologie l’indique, le diviseur qui oppose.

Parmi les prières, le couple peut choisir de renouveler les promesses de l’échange des consentements au jour de leur mariage, en relevant ce qui va bien plutôt que ce qui fait obstacle : « Ce qui unit dépasse ce qui divise ». Loin d’être une drogue douce, la prière met sur le chemin du regard pénétrant, du discernement et de la transformation : « Chacun de nous naît par son propre choix … et nous sommes en quelque sorte nos propres pères, parce que nous nous enfantons nous-mêmes, tels que nous le voulons » (Saint Grégoire de Nysse, Vita Moysis, P.G. XLIV, 327b).

L’homme et la femme s’entraident ainsi en bons compagnons de route, compagnons d’éternité.

Saint-Denis (La Réunion), le 17 janvier 2024.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Saint Augustin, De Trinitate VIII, 11, CC 50, p. 287.




Homélie pour la Toussaint 2023 par Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis/La Réunion, le 1er novembre 2023.

Introduction :

Nous célébrons dans l’allégresse notre Dieu trois fois Saint qui nous donne de participer à sa sainteté.

Une foule immense d’hommes, de femmes et d’enfants louent au Ciel le Seigneur Jésus ressuscité : saints de l’Ancien Testament comme Abraham, Moïse et le roi David ; saints du Nouveau Testament comme Marie Madeleine et l’apôtre Pierre ; saints de l’histoire de l’Église représentés dans nos vitraux et patrons de nos villes ; saints discrets et non moins importants de la foi et de l’amour au quotidien dans nos familles et au-delà des frontières visibles de notre Église.

Ce ne sont pas des héros mais des sauvés qui ont lavé leurs âmes dans le Sang de l’Agneau immolé pour nos péchés.

Maintenant ils intercèdent pour nous.

Nos fautes sont plus fortes que nous mais le Seigneur vient les effacer par sa Parole de Vérité et par le Corps et le Sang du Christ Jésus.

Faisons confiance à sa divine miséricorde.

………………………..

Homélie

Êtes-vous heureux ? Question fondamentale posée parfois par les supérieurs religieux dans leurs visites aux communautés. Question capitale que nous avons à nous poser dans notre vie personnelle, familiale, sociale et ecclésiale. Qu’est-ce qui me rend heureux ? Pourquoi ?

Habituellement bonheur veut dire pouvoir d’achat, loisirs et plaisirs. Il y a aussi l’industrie du développement personnel, le droit au bonheur, une Journée mondiale du bonheur, décrétée par l’O.N.U., et même le devoir d’être heureux au milieu de tant de moyens technologiques dans la société de consommation.

En cette fête de la Toussaint, c’est Dieu lui-même qui prend la parole pour dévoiler la source du bonheur. Le bonheur est un don, un don de Dieu, qui se donne lui-même : « Dieu est amour » (1 Jn 4,16). Mais pas n’importe quel bonheur : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 3). Et nous voici plongés dans un apparent paradoxe : comment devenir heureux en étant pauvre ?

Cette première béatitude représente le fondement de la vie chrétienne : la foi en l’Incarnation du Fils de Dieu. Jésus-Christ, de riche qu’il était s’est vidé de la gloire qui était la sienne dès avant la fondation du monde pour nous enrichir par sa pauvreté (cf. 2 Cor 8,9).

Dieu n’a pas voulu se révéler dans la force et la domination mais dans l’abaissement. Toutes les religions ne se valent pas. Le mystère de Dieu et sa manière d’entrer en relation avec les hommes diffèrent essentiellement.

Pour comprendre la Toussaint, allons à l’Annonciation de l’archange Gabriel à la Marie. Dieu ne s’impose pas ; Il ne reste pas loin ; Il s’adresse à la liberté et à l’intelligence d’une femme. Plus encore, le Fils de Dieu va se recevoir en tant qu’homme d’une femme, Marie, devenue par l’action de l’Esprit Saint, la mère du Messie, Mère de Dieu. Jésus a grandi dans le sein d’une femme, façonné par la tendresse des mains de Marie, rassuré et guidé par la vigilance de Joseph.

Le Fils de Dieu a pris le chemin de la fragilité et de la vulnérabilité. Humilité de Dieu qui n’ira pas sans des humiliations jusqu’au supplice de la Croix. Dans son amour pour l’humanité, Jésus a pris des risques. Aussi est-il devenu victime de l’aveuglement et de l’injustice jusqu’au Calvaire. Le Sauveur n’a pas survolé le monde ni les événements tragiques de l’histoire, Jésus le Christ est entré dans le chaos angoissant des hommes pour sauver le monde du dedans, en habitant le mal, la souffrance et la mort.

L’expérience nous enseigne que nous apprenons davantage des échecs que des succès. L’apparent échec de la Croix de Jésus nous révèle davantage sur la gloire de Dieu que la grandeur de la création. C’est en Jésus que se trouve caché le mystère de la connaissance de Dieu et du bonheur de l’homme.

Bonheur pascal dans l’amour fidèle et fort de Jésus jusqu’à la mort. Amour à mort, amour plus fort que la mort. « Celui qui offrirait toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour ne recueillerait que du mépris », s’exclame la bien-aimée du Cantique des cantiques (Ct 8,7).

Le bonheur divin ne s’achète pas même pas avec des vertus et des sacrifices. Dieu donne sa grâce gratuitement non pas à cause de nos mérites mais parce qu’Il est bon, saint.

La fête de la Toussaint réalise plusieurs mises au point. Tout d’abord, nous sommes créés pour le bonheur de Dieu. Rien ni personne ne peut combler ce désir d’amour éternel. Nous restons menacés par l’idolâtrie, non pas celle d’un veau d’or comme dans l’Ancien Testament, mais par l’adoration des personnes dont la vie sentimentale et sexuelle s’avèrent incapables de combler la capacité d’amour du cœur humain. Je pense à un jeune marié qui me partageait un jour : « Je ne comprends pas pourquoi ma femme a besoin de prier dans une église, est-ce que je ne  suffis pas ? ». Et non, tu ne suffis pas. Vérité de Lapalisse !

La Vierge de la grotte de Lourdes avait déclaré à sainte Bernadette : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse dans ce monde mais dans l’autre ». Nous sommes déjà dans le bonheur de Dieu mais cette plénitude d’amour divin n’a pas  encore atteint son accomplissement.

Les béatitudes de Jésus nous guident sur le chemin de la perfection à travers la prière, les relations fraternelles et le partage de biens.

La fête de la Toussaint nous invite à mettre en valeur la prière familiale à la maison. Les enfants aiment avoir leur coin de prière. La prière du soir apporte réconciliation et paix à la fin des journées. C’est là que l’on s’initie à ouvrir son cœur et à faire part de l’expérience personnelle de Dieu. Par ailleurs, la prière conjugale, plus difficile à vivre, développe l’amour des époux et le rend plus sincère.

Il arrive souvent, trop souvent, qu’à table, chacun regarde son téléphone portable, au détriment des échanges. La solitude engendre la douleur et le partage de pensées et de sentiments fait grandir le bonheur.

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus raconte sans son autobiographie « Histoire d’une âme » comment toute petite elle aimait faire l’aumône aux pauvres. De retour des journées de pêche avec son bien-aimé père, elle apportait les poissons attrapés aux pauvres du Refuge. Éduquons les enfants selon les valeurs traditionnelles de la culture créole comme la prière et le partage de biens, plutôt que de courir pour qu’ils soient toujours contents et satisfaits au risque de les rendre inaptes à traverser les frustrations qui marqueront leur existence.

Toussaint. Tous appelés au bonheur. Mais le bonheur, c’est quoi ? L’amour de Dieu, la sainteté, don de l’Esprit Saint par la foi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




L’Ordination Episcopale par Elie Pothin

          « Parmi les différents ministères qui s’exercent dans l’Église depuis les premiers temps, la première place, au témoignage de la Tradition, appartient à la fonction de ceux qui, établis dans l’épiscopat, dont la ligne se continue depuis les origines, sont les sarments par lesquels se transmet la semence apostolique. »

                                                           Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°1555

          « Pour remplir leur haute mission, « les apôtres furent enrichis par le Christ d’une effusion spéciale de l’Esprit Saint descendant sur eux ; eux-mêmes, par l’imposition des mains, transmirent à leurs collaborateurs le don spirituel qui s’est communiqué jusqu’à nous à travers la consécration épiscopale. »

                                                           Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°1556

Qu’est-ce qu’un évêque ?

          L’évêque est un successeur direct des Apôtres. Il est chargé de veiller sur son Église locale, le diocèse, d’assurer la liturgie, l’enseignement de la foi catholique et le service aux plus démunis. Il peut convoquer un synode diocésain pour l’aider à discerner les orientations pastorales pour son diocèse. Il est assisté dans sa tâche par des vicaires généraux et épiscopaux, des conseils, par des diacres et des prêtres, ou même des laïcs, dûment mandatés.

          « Les évêques sont, chacun pour sa part, le principe et le fondement de l’unité dans leurs Églises particulières ; celles-ci sont formées à l’image de l’Église universelle, c’est en elles et par elles qu’existe l’Église catholique une et unique. » Concile Vatican II, Lumen Gentium n°23

Comment sont nommés les évêques ?

          En France, quand un siège est à pourvoir, le Nonce apostolique, représentant du Pape dans le pays propose, après enquête, trois noms à la Congrégation des Evêques*.

Entre ces trois noms ou en dehors d’eux, la Congrégation donne son avis au pape à qui appartient la nomination. L’évêque nommé est libre d’accepter ou de refuser.

       S’il accepte, le gouvernement français est prévenu et quelques semaines lui sont laissées pour faire valoir d’éventuelles objections. Durant tout ce délai, la discrétion est maintenue.

          La nomination est ensuite publiée par le Saint-Siège, toujours à midi.

Quels sont les sacrements que seuls les évêques peuvent administrer ?

       La confirmation, qui peut être déléguée aux prêtres diocésains, mais qui requiert pour l’onction le Saint-Chrême consacré par l’évêque.

 

 

Le sacrement de l’ordre :

ordination diaconale et presbytérale, consécration Épiscopale.

 

 

A la Réunion :

         L’annonce a été faite le 19 juillet à 14 heures par Mgr Gilbert Aubry : l’évêque « nommé » est Mgr Pascal CHANE TEUNG, qui sera ordonné le 15 Octobre 2023 au stade de la Redoute.

 

 

 

Comment se déroule une ordination en France ?

          L’ordination doit être célébrée au cours d’une messe solennelle, de préférence un dimanche, jour de la Résurrection.

          Les prêtres et les fidèles du diocèse sont tous invités à cette messe. C’est par l’Eucharistie que le Christ rassemble son peuple et le nourrit de sa vie ; « l’Eucharistie fait l’Église ».

          L’évêque est à la tête de son diocèse, mais il est aussi en communion avec tous les autres évêques du monde, le collège épiscopal, unis autour du Pape. Pour marquer cette communion, il faut au moins que trois évêques soient présents pour l’ordination d’un nouvel évêque.

          La liturgie de l’ordination est présidée par l’archevêque de la province ecclésiastique dont dépend le diocèse du futur évêque. L’archevêque n’est pas à proprement parler le supérieur hiérarchique des évêques de la province, mais il est chargé d’y veiller à la communion et à ce que la vie de l’Église s’y déroule paisiblement. Deux évêques l’assistent.

A la Réunion :

          La liturgie de l’ordination sera peut-être présidée par le Nonce apostolique et les évêques de la CEDOI et par notre évêque Monseigneur Gilbert Aubry qui prendra ensuite le titre d’évêque « Emérite »

 

 

Accueil et demande de l’ordination

          Au début de la cérémonie, le diocèse est présenté, puis le futur évêque.
Deux prêtres assistent le futur évêque, dont l’un demande à l’archevêque qu’on ordonne le futur évêque, pour la charge de l’épiscopat.

Lecture de la bulle papale

          On ne peut, dans l’Église catholique, devenir évêque sans avoir été nommé par le successeur de l’Apôtre Pierre : le Pape. Après la présentation du diocèse et du futur évêque, « l’archevêque » ou le Nonce apostolique demande qu’on lise la lettre apostolique du Pape, nommant le futur évêque. Puis l’assemblée rend grâce en chantant le Gloire à Dieu.

L’engagement

          Avant d’être ordonné, le futur évêque prend devant toute l’assemblée les engagements au bon exercice de sa mission au nom du Christ.

          Il promet, entre autres, de servir le peuple de Dieu et d’annoncer l’Évangile du Christ, de garder la pureté et l’intégralité du dépôt de la foi selon la tradition reçue des Apôtres, de prendre soin du peuple qui lui est confié et de le diriger sur le chemin du salut, avec les prêtres, les diacres et les collaborateurs de son ministère, d’intercéder sans relâche auprès de Dieu pour le peuple et de remplir de façon irréprochable la fonction de grand prêtre et de pasteur.

Prostration et litanie des saints

          L’ordinand s’allonge sur le sol alors que l’assemblée chante la litanie des saints. Ce rite signifie l’abandon à Dieu en imitant Jésus-Christ, mort et ressuscité et la confiance dans la communion des saints

Imposition des mains et prière d’ordination

          C’est le rite essentiel de l’ordination : l’archevêque impose les mains sur la tête du futur évêque. À sa suite, tous les évêques présents en font de même. Puis « l’archevêque » ou le Nonce apostolique proclame la longue prière d’ordination qui redit le sens de l’épiscopat et demande à Dieu la grâce pour celui qui la reçoit. C’est par ce rite (imposition des mains et prière d’ordination) qui fait l’ordination qu’est transmise la charge que Jésus a confiée aux Apôtres. C’est le geste le plus ancien dans l’Église. Pendant le temps de la prière d’ordination, on tient ouvert au‑dessus de la tête de celui qui est ordonné l’évangéliaire : c’est soumis à la Parole de Dieu que l’Église accomplit sa mission et que le futur évêque devra exercer son ministère d’évêque.

L’onction

          « L’archevêque » ou le Nonce apostolique répand ensuite sur la tête de l’ordonné le Saint Chrême consacré lors de la messe chrismale. Cette onction signifie que l’Esprit Saint le pénètre de sa grâce pour sa nouvelle mission. L’onction marque la configuration au Christ puisque le mot Christ, en grec, signifie celui qui a reçu une onction.

Remise des insignes

          On remet au nouvel évêque des objets caractéristiques de sa mission :

L’évangéliaire qu’il aura la charge d’annoncer, un anneau qu’il portera en signe de sa fidélité à l’Église.

  – La mitre : invitation à mener une vie sainte à la tête de la communauté.

                   – La crosse appelée aussi bâton pastoral : signe de la charge pastorale de l’évêque qui prend soin du peuple de Dieu et le dirige sur le chemin du salut comme un berger prend soin et guide son troupeau.

Le nouvel évêque s’assoit sur la cathèdre

          La cathèdre est le siège de l’évêque. Elle est le symbole de sa mission apostolique. En s’asseyant sur la cathèdre, le nouvel évêque est installé officiellement dans sa cathédrale. Le mot cathèdre a donné son nom à la cathédrale, église mère de toutes les églises du diocèse, celle où l’évêque a son siège.

Le baiser de paix

          Le nouvel évêque échange un baiser de paix avec les évêques présents : ce geste marque l’accueil du nouvel évêque dans le corps épiscopal.

Liturgie eucharistique

          La liturgie eucharistique qui suit est celle de toute messe présidée par l’évêque. Si jusque-là la célébration était présidée par l’archevêque, c’est maintenant le nouvel évêque qui préside la liturgie eucharistique, comme nouvel évêque du lieu. À l’offertoire, le pain et le vin sont apportés par des personnes représentant la diversité des paroisses.

La rencontre de son peuple

          À la fin de la célébration eucharistique, le nouvel évêque va à la rencontre de son peuple qu’il bénit.

 

Le rôle de la congrégation pour les évêques

          À Rome, les « congrégations » sont l’équivalent des ministères dans un gouvernement, mais leurs attributions sont très différentes. La Congrégation des évêques, sous divers noms, existe depuis le XVIe siècle. Elle comporte environ vingt‑cinq cardinaux et archevêques, dont Mgr Michel Aupetit. Certains résident à Rome mais d’autres y viennent à l’occasion. Le préfet de la Congrégation, actuellement le cardinal Marc Ouellet, rencontre très régulièrement le pape pour lui présenter les candidatures, mais le pape reste libre de sa décision. L’absence de publicité évite les pressions et permet des nominations originales.

D’où vient la crosse des évêques ?

          C’est le bâton du berger qui guide son troupeau vers les pâturages : le pedum, ou houlette, ce bâton recourbé dont se servaient les bergers pour attraper le bétail par l’encolure. La comparaison n’est pas anodine, puisque c’est de celui-ci que la crosse épiscopale tire son origine, depuis le bâton que Dieu donne à Moïse pour guider son peuple vers la Terre Promise. Ce n’est qu’au Ve siècle que les évêques se l’approprient, avant de devenir au fil des siècles un attribut incontournable de la charge épiscopale.

          Dans le rite byzantin, la forme de la crosse épiscopale n’est pas tout à fait similaire puisque le bâton se termine en son sommet par deux serpents se faisant face et séparés par une croix pour symboliser les vertus de force et de prudence, ainsi que les serpents confondus par Moïse

          La crosse du pape nommée « férule papale », est quant à elle en forme de croix. Ses deux parties rappellent elles aussi sa fonction symbolique : tandis que le bâton manifeste la gouvernance ecclésiastique de celui qui doit guider les fidèles au salut, le crosseron symbolise le devoir de ramener à Dieu les pécheurs et les égarés, comme le berger saisissant le bétail sans le blesser. La crosse, ici, rappelle précisément le Psaume 22 : « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. […] Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure ».

Pourquoi les évêques portent-ils une mitre ?

          La mitre est cette longue coiffe pointue fendue en son milieu et garnie de deux fanons qui retombent sur la nuque.

          La forme de la mitre n’est pas laissée au hasard : comme souvent, dans l’iconographie chrétienne, tout est symbole. Ainsi, les deux pointes, nommées cornes, qui se rejoignent à la base de la coiffe, symbolisent l’Ancien et le Nouveau Testament. Les deux fanons qui tombent dans la nuque dérivent quant à eux des rubans qui servaient autrefois à l’attacher sous la tête. Benoît XVI est le premier à faire figurer la mitre sur ses armoiries papales, qui, jusqu’alors, représentaient la tiare.

          Petit détour par l’étymologie : la mitre viendrait du grec mítra, « ceinture », qui tient lui-même son origine de mítos, c’est-à-dire « fil », qui désignait à l’origine la bande de tissu portée par les guerriers, puis par les femmes dans une fonction ornementale. Si l’on retrouve déjà la mitre dans l’iconographie médiévale, sa forme actuelle vient plus précisément de la tiare, en usage jusqu’au pontificat de Paul VI, en tant qu’accessoire non-liturgique arboré lors des cortèges solennels.

          Elle est aujourd’hui la coiffe la plus imposante dans la hiérarchie ecclésiastique: blanche ou dorée et souvent brodée de fils d’or, voire de pierres semi-précieuses, elle manifeste la splendeur de l’Église que représente la figure de l’évêque.

D’où vient la calotte violette que portent les évêques ?

 

          La calotte, autrefois appelée submitrale, car placée sous la mitre de l’évêque, est cette « petite coiffure, violette pour les évêques, rouge pour les cardinaux et blanche pour le Pape qui couvre le sommet du crâne » nous dit l’Eglise.

          Ce petit couvre-chef circulaire qui épouse la forme du crâne était initialement portée par tous les ecclésiastiques selon la couleur de leur soutane (jusqu’au noir pour le bas‑clergé) et avait une fonction purement pratique puisqu’elle servait à protéger le sommet du crâne du froid après la tonsure.

          Cette tradition, qui disparaît avec le concile Vatican II, quoique toujours d’usage dans certains rares ordres monastiques, voulait que les hommes qui entraient dans les ordres se fassent raser une partie de la tête en forme de cercle pour exprimer leur renoncement au monde.

          La calotte, désormais réservée aux évêques, aux cardinaux et au pape, manifeste leur appartenance à la hiérarchie.

Quelle symbolique pour la calotte ?

          Dans l’Église, les dignitaires portent la calotte à certains moments de la messe, mais la retirent au moment de la Consécration. A chaque autorité sa coiffe et sa couleur : l’évêque porte la calotte violette sous sa mitre, tandis que celle du cardinal, sous sa barrette (ce bonnet rigide quadrangulaire), est rouge. Le blanc est quant à lui réservé au pape, comme le veut la tradition depuis saint Pie V, pape au XVIe siècle.

          Pour Michel Pastoureau, historien de l’art et grand spécialiste de la couleur, son usage vient « du concile de Trente et l’instauration du missel romain de saint Pie V (1570) » (L’Eglise et la couleur, des origines à la Réforme). « Le violet, dont les reflets chatoyants et sombres saturent les yeux, était regardé dans l’Antiquité comme la couleur significative de la royauté, de la puissance, des hautes dignités, de la richesse » explique-t-il en citant La Sainte Messe d’Eugène Vandeur, bénédictin de Maredsous. Il désigne ainsi la dignité hiérarchique de l’évêque, en sa qualité de représentant du pouvoir divin sur terre.

La prière d’ordination d’un évêque

Dieu et Père de Jésus-Christ notre Seigneur, Père plein de tendresse,

Dieu de qui vient tout réconfort,

Toi qui es au plus haut des cieux et qui regardes les plus humbles,

Toi qui connais toutes choses avant même qu’elles soient,

          tout au long de l’ancienne Alliance,

tu commençais à donner forme à ton Église par ta parole de grâce ;

dès l’origine, tu as destiné le peuple issu d’Abraham à devenir un peuple saint ;

tu as institué des chefs et des prêtres et toujours pourvu au service de ton sanctuaire,

car, depuis la création du monde,

          tu veux trouver ta gloire dans les hommes que tu choisis.

Et maintenant, Seigneur, répands sur celui que tu as choisi, la force qui vient de toi,

          l’Esprit souverain que tu as donné à ton Fils bien-aimé, Jésus-Christ,

          l’Esprit qu’il a lui-même communiqué aux saints Apôtres

                    qui établirent l’Église en chaque lieu comme ton sanctuaire,

     à la louange incessante et à la gloire de ton Nom.

Père, toi qui connais le cœur de chacun,

donne à celui que tu as choisi pour l’épiscopat

          de remplir sans défaillance la fonction de grand prêtre

                    et de pasteur de ton peuple saint en te servant jour et nuit.

Qu’il s’emploie sans relâche à intercéder auprès de toi

et à te présenter l’offrande de ton Église.

Accorde-lui, par la force de l’Esprit qui donne le sacerdoce,

le pouvoir de remettre les péchés ainsi que tu l’as commandé ;

Qu’il répartisse les ministères comme tu l’as disposé toi-même,

et qu’il délie de tout lien avec l’autorité que tu as confiée aux Apôtres.

Que sa bonté et la pureté de son cœur fassent de sa vie un sacrifice qui te plaise.

Par ton Fils, Jésus Christ, par qui te sont rendus, à toi, notre Père,

la gloire, l’honneur et la puissance, avec l’Esprit-Saint dans la sainte Église,

maintenant et pour les siècles des siècles.                                                Amen

Pontifical romain pour l’ordination de l’évêque, des prêtres, des diacres, Desclée/Mame, 1996, p. 39-41.




« Les Religions et la Paix » – Conférence ce Samedi 24 juin à Saint Denis (16h00 – 18h00)

Ce samedi 24 juin le Groupe de Dialogue Inter-religieux de la Réunion organise  une conférence ouverte à tous sur le thème « Les Religions et la Paix », à la salle polyvalente de la Mairie de Saint Denis, 2 rue Pasteur, de 16h 00 à 18h 00.

Chaque représentant interviendra entre 5 et 10 mn, puis, un temps de débat permettra d’échanger librement…

Entrée libre… Bienvenue à tous…




« Dans un unique Esprit », Mgr Gilbert Aubry, Homélie du Lundi de Pentecôte (29 mai 2023)


Pour lire l’homélie de Mgr Aubry prononcée le lundi de Pentecôte au Chaudron, cliquer sur le lien suivant :

Homélie lundi de Pentecôte

 

 

 




« Jésus-Christ s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté » – Conférence aux couples des Équipes Notre-Dame de La Réunion par Fr. Manuel Rivero O.P.

Carmel des Avirons, les 25-26 février 2023.

Fr. Manuel Rivero O.P., conseiller spirituel du secteur La Réunion.

Les Équipes Notre-Dame soutiennent les couples dans leur désir de mieux communiquer grâce aux réunions mensuelles de partage et de formation ainsi que par la pédagogie spirituelle de l’oraison, le cœur à cœur avec Dieu dans le silence, la prière et le devoir de s’asseoir.

 

Le devoir de s’asseoir

Ce devoir de s’asseoir que l’on pourrait aussi appeler « plaisir de s’asseoir » représente un apport original pour la croissance de l’amour conjugal. En quoi consiste-t-il ? Il s’agit d’un rendez-vous que le couple prend afin de se rendre disponible de manière réciproque dans un climat de prière, de calme et d’exigeante vérité. D’aucuns déclarent a priori qu’ils communiquent déjà beaucoup et qu’ils se voient tout le temps. À quoi bon ajouter un rendez-vous qui pourrait sembler artificiel ? En réalité, dans toutes les relations humaines il y a des non-dits, ces pensées que l’on garde en soi de peur de provoquer un conflit. Ces pensées cachées, fermées, fermentent petit à petit et elles peuvent tourner au « cancer » ou à « la gangrène ». Ces cellules infectieuses grandissent et finissent par rendre malade la relation du couple. Le malaise intérieur se manifeste aussi dans la violence verbale ou physique. Il convient d’arrêter la maladie en ses débuts. Le devoir de s’asseoir (DSA) permet l’expression et la libération de l’agressivité qui peut couver en chacun ;  il freine la violence qui provient de la frustration. Ce qui était négatif dans le silence intérieur peut devenir énergie positive par l’écoute, la compréhension et la réconciliation.

Au cours du devoir de s’asseoir on ne coupe pas la parole au conjoint qui s’exprime et on lui dit « merci » pour avoir partagé ce qu’il pensait même si cette pensée peut être erronée ou douloureuse à entendre. Habituellement trois questions scandent l’échange : est-ce que ça va ? ; est-ce que quelque chose te dérange ? ; y a-t-il quelque chose que tu aimerais ?. Plus les couples partagent en profondeur dans la bienveillance et la miséricorde et plus ils ont envie de mettre en commun davantage de sentiments et d’idées.

Communiquer à partir des fragilités et des pauvretés.

Habituellement les conjoints pensent que le partage des forces et des réussites apportera bonheur et estime réciproque. Ce n’est pas faux. Mais l’expérience montre que c’est dans la reconnaissance de ses propres faiblesses que la rencontre devient plus sincère et bienfaisante.

Ceux qui fréquentent des personnes handicapées avouent que ces personnes pauvres en pouvoir et en réussite sociale leur font du bien. Il en va de même dans la rencontre avec des personnes détenues en prison. Ils n’ont à offrir qu’eux-mêmes avec la grandeur de leur dignité humaine sacrée. En laissant tomber les masques, la personne manifeste son besoin d’aide et sa vulnérabilité. « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre » (Mt 5,3), enseigne Jésus dans les béatitudes. D’ailleurs, c’est la première des béatitudes qui figure comme le fondement du projet chrétien de réussite, non pas de la réussite « dans la vie » mais de « la réussite de la vie ». En effet, les pauvres ne seront plus pauvres. Dieu comble leur manque : « le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3).

Si le mariage unit des forces il n’en demeure pas moins l’union de deux solitudes et de deux pauvretés. Chaque conjoint porte en lui une solitude infinie, espace d’accueil de Dieu et pour les autres. Plutôt qu’un vide, la solitude peut devenir la demeure intérieure riche en hospitalité et en échange. Il importe de reconnaître sa propre fragilité et d’accepter avec amour la fragilité de l’autre.

Dieu a choisi de se révéler et de nous sauver en s’abaissant et en se dépouillant de la gloire qui était la sienne dès avant la fondation du monde. La science divine de la communication se trouve cachée en Jésus-Christ qui aurait pu nous sauver du haut du Ciel et dans sa toute-puissance mais qui a préféré le dépouillement et l’humilité jusqu’à l’humiliation et la douleur de la croix : « S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! » (Ph 2,8).

Le couple chrétien devient disciple de Jésus en s’unissant aux sentiments du fils de Marie dans la méditation du Chemin de croix. Les récits de la Passion de Jésus représentent non pas un échec mais l’art d’aimer du Fils de Dieu fait homme.

Saint Paul le dit dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe : « Jésus-Christ s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté » (2 Cor 8,9). Formule paradoxale ! Dans la logique humaine, la pauvreté ne peut pas enrichir. Pourtant dans la sagesse de Dieu le partage de la pauvreté enrichit le cœur et l’âme de l’amour de Dieu et de l’amour humain, amours inséparables dans la personne de Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme.  « Il n’y a qu’un amour », s’exclamait saint Augustin. L’amour de Dieu répandu dans le cœur des fidèles (cf. Rm 5,5) devient la force d’aimer les autres et soi-même. Le symbole du triangle équilatéral, où Dieu figure au sommet tandis que l’homme et la femme représentent les côtés, permet de visualiser ce qui se passe dans les âmes : plus les conjoints montent vers Dieu par la foi, la prière et la charité plus ils se rapprochent l’un de l’autre et non seulement de Dieu. Le mystère de l’amour chrétien abolit les séparations et il fait disparaître les compartiments étanches : l’oratoire et le laboratoire, l’église et l’entreprise, la foi et la raison, le quotidien du profane et le sacré dans les temples. « Dieu est dans les marmites », enseignait sainte Thérèse d’Avila. Dieu est partout. Pour le croyant, la vie ordinaire devient sacrement de la rencontre avec Dieu : « Voir Dieu en toutes choses et toute chose en Dieu », selon la spiritualité de saint Ignace de Loyola.

Les conjoints remettent souvent le devoir de s’asseoir à plus tard afin d’éviter des conflits ou la honte d’avoir à reconnaître leurs torts. Jésus a aimé les hommes alors qu’ils étaient coupables. Dans la lumière de l’amour de Jésus pour chacun, le rendez-vous des conjoints dépasse la peur du jugement pour partager la vulnérabilité et la pauvreté de chacun dans une démarche de miséricorde réciproque.

Lors de mon séjour en Haïti, à l’occasion d’une session de l’école des parents, un couple avait témoigné sur la communication conjugale en disant : « Dans le mariage, il est impossible de durer sans prononcer deux phrases : « Tu m’as fait mal » et « je te prie de m’excuser ». La souffrance doit être exprimée et le pardon accordé. Sans la verbalisation des sentiments douloureux l’agressivité, voire la haine grandissent jour et nuit. Sans les excuses pour les manques d’attention ou sans la demande de pardon pour les fautes commises, la confiance disparaît et les blessures restent ouvertes. L’envie de tout arrêter jaillit. Le besoin de reconnaissance de la vérité et la soif d’une vie meilleure poussent à la fuite et à la rupture des engagements. Il n’y a de liberté que dans la vérité : « La vérité rend libre » (Jn 8, 32), enseigne Jésus dans l’Evangile. Sans l’aveu des fautes et sans le pardon, les conjoints se condamnent à porter des « sacs de ciments » sur leurs têtes. Ces « sacs de ciment » sont déposés à terre dans le dialogue et la miséricorde. La réconciliation affermit alors l’estime réciproque, la confiance en soi-même et elle ouvre un chemin de lumière pour l’avenir.




L’Église, notre mère (conférence de carême, 29 Mars 2023) par Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis (La Réunion)

 

« Femme, voici ton fils » (Jn 19, 26) , a dit Jésus à sa mère, Marie, sur le Calvaire, en voyant son disciple Jean. Les théologiens chrétiens ont interprété cette dernière parole de Jésus en croix, comme l’achèvement du mystère de la Rédemption de l’humanité, qui comprend le don et l’accueil de la Mère du Messie comme modèle et mère spirituelle des croyants.

Jésus a dit aussi à son disciple bien-aimé : Voici ta mère » (Jn 19,27). Jean, habité par la lumière de l’amour, a accueilli chez lui la mère de Jésus. « Chez lui » veut dire dans son âme et non seulement dans sa maison. Visiblement Joseph était déjà parti vers Dieu quand Jésus a expiré sur la croix ; autrement Marie aurait été confiée à son époux. Il n’est pas question non plus de frères et de sœurs de Jésus sur le Golgotha. Si la Vierge Marie avait eu d’autres enfants, Jésus leur aurait demandé de prendre soin de leur mère. L’accueil dont il est question ici dépasse l’hospitalité matérielle, bonne et nécessaire, pour conduire les disciples de Jésus vers la maternité spirituelle de Marie qui veillera par son intercession sur la foi et la croissance de l’Église, Corps du Christ, dont son fils Jésus-Christ en est la tête, et les baptisés ses membres.

À La Réunion, les catholiques aiment « Maman Marie », notre Mère du Ciel. Notre île brille comme une île mariale par sa foi et par sa prière. De nombreux pèlerinages témoignent de l’attachement et la proximité des fidèles envers la Mère de Dieu : pèlerinage de la Salette, de la Vierge Noire, de la Vierge au Parasol … Des grottes de Lourdes et des statues de la Vierge Marie marquent les routes et les chemins comme des invitations à des haltes d’élévation spirituelle dans la prière. Les mères veillent sur le fruit de leurs entrailles. La Vierge Marie demeure attentive aux besoins de ses enfants à La Réunion.

Les catholiques croient en un seul Dieu. Ils n’ont pas besoin d’une déesse. Marie n’est pas une déesse mais une créature, la plus grande des sauvés par la foi en son Fils Jésus. Les catholiques adorent le Fils de Dieu, Jésus. Ils vénèrent la Vierge Marie, la Mère de Dieu.

Loin de représenter un obstacle pour la foi en Jésus, comme le craignent quelques protestants qui critiquent la ferveur mariale, la dévotion envers la Vierge Marie garantit la véritable foi en Jésus, le Fils de Dieu fait homme, seul médiateur entre Dieu et les hommes, le seul Sauveur.

Il arrive que des sociologues s’étonnent de l’impact de la spiritualité mariale auprès des chrétiens qui ont subi la violence, l’emprisonnement, la pauvreté et toutes sortes de persécutions. Avec la Vierge Marie, ils ont gardé la foi au Christ.

Notre âme s’appelle « Marie »

C’est ainsi que l’âme, par la foi, peut devenir mère du Christ et elle reçoit le nom de la mère de Jésus « Marie ». Saint Ambroise de Milan (†397) enseigne ce mystère : « Lorsque cette âme commence à se convertir au Christ, elle s’appelle « Marie » : c’est-à-dire qu’elle reçoit le nom de celle qui a mis au monde le Christ ; elle est devenue une âme qui engendre le Christ de manière spirituelle[1] ». Le chrétien devient mère du Seigneur. Le Christ Jésus va grandir en lui à l’image du bébé porté par la mère dans son sein et qui se développe de jour en jour, jour et nuit. Il s’agit d’accueillir le Christ Jésus comme Marie l’a fait à l’Annonciation. Selon la chair, il n’y a qu’une maternité divine, celle de Marie, « mais selon la foi, le Christ est le fruit de tous[2] ».

 

Mère spirituelle des chrétiens, Mère de l’Église, la Vierge Marie, femme au regard pénétrant, active dans son amour, conduit au Christ comme elle l’a fait lors des noces de Cana : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2,5).

Le père Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), dominicain, fondateur de l’École biblique de Jérusalem notait dans son Journal spirituel au cours de son noviciat au couvent royal de Saint-Maximin : « La bienheureuse Vierge Marie a détruit dans sa personne toutes les hérésies : elle est Mère de Dieu, donc, le Fils de Dieu, Jésus-Christ, n’est qu’une seule Personne, et il a deux natures puisqu’il est aussi vraiment son Fils, né de sa substance[3] ». Les hérésies font de Jésus un Dieu sans humanité ou un homme sans divinité. Marie conduit à l’unité du mystère de Jésus, « visage humain de Dieu et visage divin de l’homme » selon la belle expression du saint pape Jean-Paul II dans Ecclesia in America (n°47), le seul pape qui soit venu dans notre île et traversé l’allée centrale de cette cathédrale.

La conférence de ce soir a pour titre « L’Église, notre Mère ». J’ai choisi de commencer par l’évocation de la Vierge Marie comme Mère spirituelle des chrétiens car les titres attribués à la Vierge Marie ont d’abord concerné l’Église, notre Mère par la transmission de la Parole de Dieu et de la grâce pascale dans les sacrements.

Et si l’Église est appelée Mère, c’est grâce à l’Esprit Saint qui donne la vie, comme nous le disons dans le Credo de Nicée-Constantinople à la messe du dimanche : « Je crois en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie »[4].

C’est pourquoi il y aura trois parties dans mon exposé : la Vierge Marie, notre Mère ; l’Église, notre Mère ; l’Esprit Saint qui donne la vie et qui fait renaître.

La Vierge Marie, Mère du Christ, Mère de l’Église, notre mère

C’est le saint pape Paul VI qui a tenu à vénérer la Vierge Marie sous le vocable de « Mère de l’Église » au cours du concile Vatican II, le 21 novembre 1964, lors du discours d’approbation de la Constitution dogmatique sur l’Église « Lumen Gentium », tout en ne faisant pas partie de celle-ci. De son côté, le Catéchisme de l’Église catholique a intégré officiellement dans la foi catholique ce vocable riche en signification théologique, même s’il n’a pas été le résultat d’un vote lors de ce concile (n°963).

Le saint pape Paul VI avait déclaré lors de la clôture du concile Vatican II le 8 décembre 1965 : « Alors que nous clôturons le concile œcuménique, nous honorons la Très Sainte Vierge Marie, Mère du Christ, et, par conséquent, (…) la Mère de Dieu et notre Mère spirituelle (…) c’est la femme, la vraie femme idéale et réelle (…) cette femme qui est tout à la fois notre humble sœur et notre céleste Mère et Reine ».

La foi de l’Église trouve sa naissance dans la Bible. La prière de l’Église manifeste aussi le projet de salut de Dieu pour l’humanité : « Lex orandi, lex credendi » (« La loi de la prière est la loi de la foi »). C’est pourquoi, il convient de faire appel à la liturgie de l’Église pour comprendre le mystère de la Vierge Marie. À l’Annonciation, la Vierge Marie est devenue la Mère du Fils de Dieu fait homme, qui recevra le nom de Jésus. L’événement de l’Annonciation représente non seulement la nouveauté de l’Incarnation mais aussi le commencement de l’Église. La liturgie de cette fête appelée par certains Pères de l’Église « la fête de la racine », car cachée et fondatrice, exprime le mystère de l’accueil du Fils de Dieu « par la foi de Marie » et sa tendresse maternelle envers le corps de son fils Jésus (cf. Préface de la messe), tandis que la prière sur les offrandes met en lumière la naissance de l’Église, Corps du Christ : « L’Église n’oublie pas qu’elle a commencé le jour où ton Verbe s’est fait chair ».

Si Marie est mère de Jésus, elle est aussi la mère de l’Église. Étant la Mère de la Tête du Corps elle demeure aussi la Mère du reste du Corps, les membres unis au Christ par la foi et le baptême. S’il n’est pas possible de séparer la Tête du Corps ; il n’est pas possible non plus de séparer la maternité divine de Marie de sa maternité spirituelle envers le Corps de son Fils Jésus, l’Église.

Un théologien du XIIe siècle, Isaac de l’Étoile[5], moine cistercien, a su mettre en valeur l’union du Christ et de l’Église, la maternité de Marie envers le Christ et à l’égard de l’Église : « ʺCe que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare donc pas. Ce mystère est grand, je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église.ʺ Garde-toi bien de séparer la tête du corps ; n’empêche pas le Christ d’exister tout entier ; car le Christ n’existe nulle part tout entier sans l’Église, ni l’Église sans le Christ. Le Christ total, intégral, c’est la tête et le corps. [6] »

Et dans un autre sermon sur l’Assomption, Isaac d’enseigner : « Ce Christ unique est le Fils d’un seul Dieu, dans le ciel et d’une seule mère sur la terre. Il y a beaucoup de fils, et il n’y a qu’un seul fils. Et, de même que la tête et le corps sont un seul fils et plusieurs fils, de même Marie et l’Église sont une seule mère et plusieurs mères, une seule vierge et plusieurs vierges. L’une et l’autre ont conçu du Saint-Esprit, sans attrait charnel (…). L’une a engendré, sans aucun péché, une tête pour le corps ; l’autre a fait naître, dans la rémission des péchés, un corps pour la tête. L’une et l’autre sont mères du Christ, mais aucune des deux ne l’enfante tout entier sans l’autre. Aussi c’est à juste titre que, dans les Écritures divinement inspirées, ce qui est dit en général de la vierge mère qu’est l’Église, s’applique en particulier à la Vierge Marie ; et ce qui est dit de la vierge mère qu’est Marie, en particulier, se comprend en général de la vierge mère qu’est l’Église.

De plus, chaque âme croyante est également, à sa manière propre, épouse du Verbe de Dieu, mère, fille et sœur du Christ, vierge et féconde. Ainsi donc c’est la Sagesse même de Dieu, le Verbe du Père, qui désigne à la fois l’Église au sens universel, Marie, dans un sens très spécial et chaque âme croyante en particulier.

C’est pourquoi l’Écriture dit : « Je demeurerai dans l’héritage du Seigneur ». L’héritage du Seigneur, dans sa totalité, c’est l’Église, c’est tout spécialement Marie, et c’est l’âme de chaque croyant en particulier. En la demeure du sein de Marie, le Christ est resté neuf mois ; en la demeure de la foi de l’Église, il restera jusqu’à la fin du monde ; et dans la connaissance et l’amour du croyant, pour les siècles des siècles[7] ».

Au XIIIe siècle, le grand théologien dominicain, saint Thomas d’Aquin voit dans les noces de Cana l’image de l’union mystique du Christ et de l’Église, union commencée à l’Annonciation : « Ces épousailles eurent leur commencement dans le sein de la Vierge, lorsque Dieu le Père unit la nature humaine à son Fils dans l’unité de la personne, en sorte que le lit nuptial de cette union fut le sein virginal … Ce mariage fut rendu public lorsque l’Église s’est unie au Verbe par la foi[8] ».

Le Docteur Angélique s’inspire de la pensée de saint Augustin pour qui le sein de la Vierge Marie est une chambre nuptiale où s’unissent dans la personne du Verbe la nature divine et la nature humaine. Pour saint Augustin, le corps de Jésus s’unit à l’Église formant ainsi « le Christ total, Tête et Corps[9] ».

L’Incarnation comporte une dimension ecclésiale. Marie a accueilli le Verbe au nom de l’humanité et pour l’humanité. Marie, nouvelle Ève, accomplit la prophétie du livre de la Genèse en écrasant la tête du serpent par sa foi (cf. Gn 3,15). Elle est aussi la femme de l’Apocalypse qui enfante une nouvelle humanité (cf. Ap 12).

La Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps « Gaudium et spes » enseigne que « par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » (n°22,2). Par conséquent, la Vierge Marie est devenue aussi mère de cette humanité ce qui peut expliquer en partie la dévotion des croyants des religions non chrétiennes qui se rendent en pèlerinage dans les sanctuaires mariaux comme Lourdes ou Notre-Dame de la Garde à Marseille.

L’Église, notre mère

Le concile Vatican II dans sa constitution dogmatique sur l’Église « Lumen Gentium » (« Lumière des nations ») a choisi de ne pas présenter la Vierge Marie pour elle-même. Dans le chapitre VIIIe, Lumen Gentium met en lumière la grâce et la mission de la Vierge Marie, Mère de Dieu, « dans le mystère du Christ et de l’Église » : « La bienheureuse Vierge se trouve en intime union avec l’Église : de l’Église, selon l’enseignement de saint Ambroise, la Mère de Dieu est le modèle dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ » (n°63). Le concile Vatican II relie la maternité divine de la Vierge Marie à la maternité de l’Église. Jésus, le Fils de Dieu, a été engendré en Marie par l’Esprit Saint. Ceux qui croient en Jésus sont engendrés aussi par l’Esprit Saint pour devenir fils de Dieu en union avec le Fils unique engendré du Père. Le Prologue de saint Jean révèle cette nouvelle naissance par la foi au Verbe : « À tous ceux qui l’ont accueilli, le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12). Marie qui occupe la première place dans l’Église a été enveloppé par l’Esprit Saint donnant naissance au « premier-né parmi une multitude de frères » (Rm 8,29). Cette multitude de frères c’est l’Église : « L’Église devient à son tour une Mère, grâce à la parole de Dieu qu’elle reçoit dans la foi : par la prédication et par le baptême elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu » (Lumen Gentium n° 64).

La maternité de l’Église grandit par la prédication de l’Évangile. Les prédicateurs, les catéchistes et tous les témoins du Seigneur actualisent par la parole et par l’exemple le mystère de la charité du Christ, présent et agissant, ici et maintenant, dans l’histoire de l’humanité. L’Église ne se développe pas par le prosélytisme mais par l’attraction de Jésus glorifié qui touche les cœurs par l’Esprit Saint, Amour : « élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,32). L’Église est mère à la manière de la Vierge Marie, par la foi, le service dans l’humilité, la proclamation des merveilles de Dieu et la prière.

L’Esprit Saint, qui a fait jaillir la vie du Fils de Dieu dans le sein de Marie, fait jaillir la grâce divine dans le sein de l’Église au baptême. L’eau baptismale devient le liquide amniotique qui donne la vie de Dieu par l’action de l’Esprit Saint.

L’Esprit Saint a formé le corps de Jésus en Marie. Aujourd’hui l’Esprit Saint forme le Corps du Christ, l’Église. L’Esprit Saint forme le Corps et le sang de Jésus dans l’eucharistie au moment miraculeux de l’épiclèse : « Toi qui es vraiment saint, sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ; qu’elles deviennent pour nous le Corps et le Sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur » (Prière eucharistique n°2). Former le Corps du Christ est la spécialité de l’Esprit Saint. Former le Corps du Christ devient la spécialité de l’Église par l’Esprit Saint. L’Esprit Saint formera aussi nos corps de gloire à la résurrection finale.

Le pape François a donné un bel enseignement sur « l’Église, mère des chrétiens » citant la symbolique baptismale : « Si vous allez au baptistère de Saint-Jean-de-Latran, à la cathédrale du pape, il y a à l’intérieur une inscription latine qui dit plus ou moins ceci : « Ici naît un peuple d’origine divine, engendré par l’Esprit Saint qui féconde ces eaux ; notre mère l’Église met au monde ses enfants dans ces flots ». (11 septembre 2013, audience générale).

Saint Paul, célèbre le Christ « Tête du Corps, c’est-à-dire de l’Église » (Col 1,18). Dans son épître aux Colossiens, l’apôtre des nations appelle l’Église « Corps du Christ » (Col 1,24). L’image du corps humain avec la tête et ses membres correspond au Christ total, qui rassemble dans l’unité le Christ, sa Tête, et les chrétiens, ses membres. Dans son épître aux Corinthiens (1 Cor 12,12.27), saint Paul explique la dépendance des membres du même corps avec ses différentes fonctions, image qui s’applique à l’Église, « le Christ répandu et communiqué », selon la belle formule de Bossuet, où chaque baptisé participe à la vie du Fils de Dieu en tant que membre vivant de son Corps.

C’est une erreur que d’imaginer l’Église comme existant sans le Christ. L’Église, c’est nous tous et non seulement les évêques ou les prêtres. Quand des chrétiens critiquent l’Église ils se critiquent eux-mêmes. Le Catéchisme de l’Église catholique rappelle « l’esprit filial à l’égard de l’Église » (n°2040).

L’Église est appelée « notre mère » (cf. LG n°6 ; Ga 4,26 ; cf. Ap 12,17) parce qu’elle nourrit ses enfants du pain de la Parole de Dieu et de l’eucharistie. L’Église prend soin de ses enfants malades dans le sacrement de l’onction des malades. Elle éduque par la catéchèse. L’Église nous accompagne dans notre croissance spirituelle à travers les étapes parfois difficiles, voire tourmentés de notre existence. Mère fidèle, elle est toujours là, heureuse d’accueillir ses enfants quand ils reviennent à la maison. L’Église travaille pour la paix dans le monde à travers la doctrine sociale de l’Église et la diplomatie vaticane. L’Église divinise l’amour humain dans le sacrement du mariage. L’Église se construit et se développe à travers les sacrements de la Confirmation et des ordinations diaconales, presbytérales et épiscopales.

C’est l’Église, par son rayonnement universel du mystère du Christ Sauveur, qui évangélise et convertit. Si chaque chrétien est appelé à témoigner de sa foi et à favoriser la conversion joyeuse des hommes, c’est en réalité le témoignage et la prédication qui convertit. On raconte cet aveu d’un vieux prêtre : « Jeune prêtre j’aspirais à convertir le monde ; au bout de vingt ans, je me suis dit qu’arriver à convertir quelques personnes ce serait bien ; maintenant après tant d’années de sacerdoce, je me dis : si j’arrive à me convertir moi-même ce sera déjà très bien ».

Au cours des premiers siècles de l’histoire de l’Église, les grands théologiens ont été africains. Les Pères de l’Église ont mis en lumière la maternité spirituelle de la Vierge Marie envers les chrétiens. C’est ainsi que saint Cyprien, évêque de Carthage, martyr en l’an 258, déclarait : « On ne peut pas avoir Dieu pour père quand on n’a pas l’Église pour mère[10] ».

Plus tard, saint Augustin (+430) prêchera à ses fidèles : « Nul ne peut compter sur la grâce de Dieu son Père, s’il méprise l’Église sa mère[11] ».

Au VIIIe siècle, en Angleterre, saint Bède le Vénérable, écrira : « Toujours à nouveau l’Église engendre le Christ, chaque jour l’Église engendre l’Église[12] ». Par le sacrement du baptême, par la prédication et le témoignage, l’Église donne naissance au Christ dans le cœur des hommes. En engendrant le Christ, elle s’engendre elle-même.

L’Esprit Saint qui donne la vie

Dieu est Esprit, il n’a pas de sexe. Pour nous adresser à Dieu qui est au-delà de tout, au-delà de tous nos mots et concepts, nous utilisons des exemples, des métaphores et des analogies. Les amoureux connaissent bien les limites du langage pour partager les émotions du cœur qui dépassent les déclarations d’amour. Pourtant les mots demeurent une médiation nécessaire pour communiquer. Les amoureux font aussi appel à la communication non verbale, aux symboles et aux cadeaux pour manifester l’amour caché dans le cœur, invisible aux regards extérieurs.

Il en va de même dans notre relation de foi et d’amour envers Dieu. Nous avons besoin de mots, de symboles et des réalités tangibles comme l’eau, le pain, le vin ou l’huile.

Dans la révélation biblique Dieu est appelé Père mais il a des sentiments maternels de tendresse et de miséricorde. L’hébreu de l’Ancien Testament trouve dans l’utérus maternel, « rahamin », qui frémit devant la souffrance des enfants, une image des sentiments de Dieu envers l’humanité dans la douleur. En Dieu il y a des sentiments propres à l’homme et à la femme, au père et à la mère, tout en restant au-delà de tout ce que nous connaissons. À proprement parler, en rigueur de termes, Dieu n’est ni père, ni mère, mais Esprit qui donne la vie.

Les mères donnent la vie. La Vierge Marie est appelée « notre mère » parce qu’elle nous donne Jésus. L’Église est appelée « notre Mère » parce qu’elle nous donne la Parole de Dieu et les sacrements de la vie divine. En réalité, la Vierge Marie et l’Église transmettent ce qu’elles reçoivent de Dieu : l’Esprit Saint. C’est l’Esprit Saint qui nous engendre à une vie nouvelle et qui nous fait renaître.

Jésus a bien déclaré à Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jn 3,3). Et comme Nicodème ne comprenait pas cette parole qu’il interprétait au sens matériel d’un retour au sein maternel, Jésus lui a précisé : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit » (Jn 3, 5-6).

Naissance mystérieuse mais bien réelle : « Le vent souffle où il vaut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » (Jn 3,8).

Cette nouvelle naissance nous rappelle le don de Dieu aux fidèles annoncé dans le livre de l’Apocalypse : « Un caillou blanc portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit » (Ap 2, 17). 

Ce nom nouveau reçu au baptême est bien « enfant de Dieu ».

Puissions-nous nous souvenir non seulement du jour anniversaire de notre naissance mais aussi du jour anniversaire de notre nouvelle naissance dans le baptême. Au jour de notre naissance, nous sommes nés de notre père et de notre mère. Au jour de notre nouvelle naissance, nous sommes renés du Père de Jésus et nous avons eu pour mère l’Église qui nous transmis la vie de l’Esprit Saint.

Nous sommes dans la cathédrale du diocèse, l’Église-mère du diocèse, signe de l’unité du peuple de Dieu. Dans la tradition ecclésiale, les ordinations épiscopales et presbytérales ont lieu à la cathédrale, c’est dans sa cathédrale que l’évêque célèbre la messe chrismale où sont bénies les saintes huiles pour tout le diocèse : huile de catéchumène, le Saint Chrême et huile pour l’onction des malades. C’est dans sa cathédrale que l’évêque promulgue ses orientations pastorales pour dynamiser la mission. La cathédrale manifeste la dimension maternelle de l’Église.

Les mères rassemblent les enfants. La cathédrale rassemble les fidèles venus de plusieurs villes du diocèse.

C’est curieux, le carreau-cathédrale est devenu le lieu du rassemblement à Saint-Denis. Il doit y avoir une plusieurs raisons pour cela. Ne faut-il pas y penser aussi à l’attrait spirituel et maternel de la cathédrale, Église mère ?

La Vierge Marie nous a été donnée pour mère spirituelle par Jésus lui-même. Elle nous accompagne de manière fidèle tout au long de notre vie, de la naissance à la mort, comme la Mère Église, depuis notre naissance dans les eaux baptismales jusqu’au jour de la mort, naissance au Ciel. Aussi prions-nous dans l’Ave Maria : « Prie pour nous, maintenant et à l’heure de notre mort ». L’heure de notre mort étant l’heure de la rencontre avec Dieu où nous ouvrons les yeux à la lumière de la gloire de Dieu.

C’est l’Esprit Saint qui donne la vie et qui accomplira cela, nous dit saint Paul : « Si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Rm 8,11).

« À Celui dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir, à Lui la gloire, dans l’Église et le Christ Jésus, pour tous les âges et tous les siècles. Amen » (Ep 3,20-21).

 

[1] Saint Ambroise de Milan, Sur la Virginité, IV, 20 (P.L. XVI, 271 B).

[2] Saint Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de Luc, II, 26, édition « Sources chrétiennes », tome I, p. 84.

[3] Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel. Paris. Édition du Cerf. 2014. 16 novembre 1880. P. 104.

[4] Voir Edward Schillebeeckx, Mariologia : ayer, hoy y mañana. Conférence donnée au mois d’octobre 1990 à Huissen (Pays-Bas) lors du congrès international des Frères prêcheurs sur la Vierge Marie. Salamanca. Ediciones Sígueme. 2000. P. 29-76.

[5] Isaac de l’Étoile (1100-1178), moine de Pontigny, puis abbé de l’Étoile en Poitou, ami de saint Thomas Becket.

[6] Sermon d’Isaac de l’Étoile. Liturgie des heures IV. Temps ordinaire. 23e semaine.

[7] Sermon d’Isaac de l’Étoile pour l’Assomption. Marie et l’Église. La liturgie des heures I. Avent – Noël. II Samedi de l’Avent.

[8] Saint Thomas d’Aquin, In Ioan. 1, n°338.

[9] Cf. Jean-Pierre TORRELL, Le Christ en ses mystères. La vie et l’œuvre de Jésus selon saint Thomas d’Aquin, tome I. Paris. Desclée. 1999.  PP. 76-77.

[10] Saint Cyprien de Carthage : « Habere non potest Deum patrem qui ecclesiam non habet matrem », De catholica ecclesiae unitate, 6 (CSEL 3/1,214).

[11] Saint Augustin, Sermo 92 : De Alleluia (Miscellanea Agostiniana I, Rome, 1930, 332-333).

[12] Saint Bède, Expl. Apoc., 11,12 (PL 93, 166D)