1

Message du Pape François pour la 28° journée des malades (11 février 2020)

« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau,
et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28)

 

Chers frères et sœurs,

1. Les paroles que Jésus prononce : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28) indiquent le mystérieux chemin de la grâce qui se révèle aux simples et qui offre un soulagement à ceux qui peinent et qui sont fatigués. Ces mots expriment la solidarité du Fils de l’homme, Jésus-Christ, face à une humanité affligée et souffrante. Que de personnes souffrent dans leur corps et dans leur esprit ! Il appelle tous les hommes à aller vers lui, « venez à moi », et il leur promet soulagement et repos. « Quand Jésus dit cela, il a face à lui les personnes qu’il rencontre chaque jour sur les routes de Galilée : tant de gens simples, pauvres, malades, pécheurs, exclus par le poids de la loi et du système social oppressif… Ces personnes l’ont sans cesse poursuivi pour écouter sa parole – une parole qui donnait l’espérance » (Angélus, 6 juillet 2014).

En cette XXVIIIème Journée Mondiale du Malade, Jésus adresse son invitation aux malades et aux opprimés, aux pauvres qui savent bien qu’ils dépendent entièrement de Dieu et qui, blessés par le poids des épreuves, ont besoin de guérison. Jésus-Christ, n’impose pas de lois à ceux qui vivent l’angoisse de leur propre situation de fragilité, de douleur et de faiblesse, mais il offre sa miséricorde, c’est-à-dire sa personne qui les réconforte. Jésus regarde l’humanité blessée. Lui, il a des yeux qui voient, qui s’aperçoivent, car ils regardent en profondeur. Il ne s’agit pas d’un regard rapide et indifférent, mais qui s’attarde et accueille tout l’homme, tout homme, dans sa condition de santé, sans écarter personne, mais en invitant chacun à entrer dans sa vie pour faire une expérience de tendresse.

2. Pourquoi Jésus-Christ nourrit-il ces sentiments ? Parce qu’il s’est fait faible lui-même, faisant ainsi l’expérience de la souffrance humaine et recevant à son tour le réconfort du Père. De fait, seul celui qui fait personnellement cette expérience saura être un réconfort pour l’autre. Il existe diverses formes graves de souffrance : les maladies incurables et chroniques, les pathologies psychiques, celles qui nécessitent de la rééducation ou des soins palliatifs, les divers handicaps, les maladies de l’enfance et de la vieillesse… Dans ces circonstances, on ressent parfois un manque d’humanité et il apparaît alors nécessaire de personnaliser l’approche à l’égard du malade, non plus seulement en soignant mais aussi en prenant soin, pour une guérison humaine intégrale. Lorsqu’elle est malade, la personne ressent que, non seulement son intégrité physique est compromise, mais aussi ses dimensions relationnelle, intellectuelle, affective et spirituelle. Elle attend donc, en plus des thérapies, un soutien, une sollicitude, une attention… en somme, de l’amour. En outre, aux côtés du malade, il y a une famille qui souffre et qui demande, elle aussi, réconfort et proximité.

3. Chers frères et sœurs malades, la maladie vous place d’une façon toute particulière parmi ceux qui sont « fatigués et opprimés », ceux qui attirent le regard et le cœur de Jésus. C’est de là que vient la lumière pour vos moments d’obscurité, l’espérance pour votre réconfort. Il vous invite à aller à lui : « Venez ». En lui, en effet, les inquiétudes et les interrogations qui surgissent en vous, dans cette “ nuit ” du corps et de l’esprit, trouveront de la force pour être traversées. Certes, le Christ ne nous  a pas donné de recettes, mais, par sa passion, sa mort et sa résurrection, il nous libère de l’oppression du mal.

Dans votre condition, vous avez certainement besoin d’un lieu pour vous réconforter. L’Église veut être toujours davantage et toujours mieux l’“ auberge ” du bon Samaritain qu’est le Christ (cf. Lc 10, 34), à savoir la maison où vous pouvez trouver sa grâce, qui s’exprime par la familiarité, l’accueil, le soulagement. Dans cette maison, vous pourrez rencontrer des personnes qui, guéries par la miséricorde de Dieu dans leur fragilité, sauront vous aider à porter la croix en faisant de leurs propres blessures des ouvertures par lesquelles regarder l’horizon au-delà de la maladie et recevoir la lumière et l’air pour votre vie.

C’est dans cette œuvre de réconfort envers les frères malades que se situe le service du personnel de santé, médecin, infirmiers, agents sanitaires et administratifs, aides-soignants et volontaires qui, par leur compétence, agissent en faisant sentir la présence du Christ, qui offre sa consolation et se charge de la personne malade en soignant ses blessures. Mais, eux aussi, sont des hommes et des femmes, avec leurs fragilités et leurs maladies. Pour eux, en particulier, s’applique ce propos selon lequel « une fois que nous avons reçu le repos et le réconfort du Christ, nous sommes appelés à notre tour à devenir repos et réconfort pour nos frères, avec une attitude douce et humble, à l’imitation du Maître » (Angélus, 6 juillet 2014).

4. Chers agents du monde de la santé, toute intervention diagnostique, préventive, thérapeutique, de recherche, de soin et de rééducation, s’adresse à la personne malade, où le substantif “ personne ” prime toujours sur l’adjectif “ malade ”. Par conséquent, votre action doit tendre constamment à la dignité et à la vie de la personne, sans jamais céder à des actes de nature euthanasiste, de suicide assisté ou de suppression de la vie, pas même quand le stade de la maladie est irréversible.

Dans l’expérience de la limite et même de l’échec possible de la science médicale face à des cas cliniques toujours plus problématiques et à des diagnostics funestes, vous êtes appelés à vous ouvrir à la dimension transcendante, qui peut vous offrir le sens plénier de votre profession. Rappelons que la vie est sacrée, qu’elle appartient à Dieu et, par conséquent, qu’elle est inviolable et qu’on ne peut en disposer (cf. Instr. Donum vitae, n. 5 ; Enc. Evangelium vitae, n. 29-53). La vie doit être accueillie, protégée, respectée et servie, de la naissance à la mort : c’est à la fois une exigence tant de la raison que de la foi en Dieu auteur de la vie. Dans certains cas, l’objection de conscience est pour vous le choix nécessaire pour rester cohérents au “ oui ” à la vie et à la personne. En tout cas, votre professionnalisme, animé par la charité chrétienne, sera le meilleur service rendu au vrai droit humain : le droit à la vie. Quand vous ne pouvez pas guérir, vous pouvez toujours soigner grâce à des gestes et à des procédures qui apportent soulagement et réconfort au malade.

Hélas, dans certains contextes de guerre et de conflit violent, le personnel de santé et les structures qui s’occupent de l’accueil et de l’assistance des malades sont pris pour cibles. Dans certaines zones, le pouvoir politique aussi prétend manipuler l’assistance médicale en sa faveur, limitant la juste autonomie de la profession sanitaire. En réalité, attaquer ceux qui se consacrent au service des membres souffrants du corps social ne profite à personne.

5. En cette XXVIIIème Journée Mondiale du Malade, je pense aux nombreux frères et sœurs qui, dans le monde entier, n’ont pas la possibilité d’accéder aux soins, parce qu’ils vivent dans la pauvreté. Je m’adresse donc aux institutions sanitaires et aux Gouvernants de tous les pays du monde, afin qu’ils ne négligent pas la justice sociale au profit de l’aspect économique. Je souhaite qu’en conjuguant les principes de solidarité et de subsidiarité, il soit possible de coopérer pour que tous aient accès aux soins appropriés pour sauvegarder et retrouver la santé. Je remercie de tout cœur les volontaires qui se mettent au service des malades, en allant souvent suppléer les carences structurelles et en reflétant, par des gestes de tendresse et de proximité, l’image du Christ bon Samaritain.

Je confie à la Vierge Marie, Santé des malades, toutes les personnes qui portent le poids de la maladie, avec leurs familles, ainsi que tous les personnels de santé. Je vous assure que je suis proche de vous tous dans la prière et je vous envoie de grand cœur la Bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 3 janvier 2020, Mémoire du Saint Nom de Jésus. 

François




La richesse du message de Lourdes ; Journée mondiale du malade le 11 février 2020 (Fr. M. Rivero)

Lourdes attire des millions de pèlerins des cinq continents,  appartenant parfois à d’autres religions que le christianisme mais qui adhèrent au message de la miséricorde de Dieu envers les pécheurs et les malades que la Vierge Marie a transmis à sainte Bernadette en 1858 : « Pénitence ! » ; « priez pour la conversion des pécheurs ».

Grotte de Lourdes, années 1860

La vie de Bernadette en fut bouleversée. L’amour de Dieu grandit en elle au point de déclarer : « Je ne vivrai pas un instant que je ne le passe en aimant » ; « Ô Jésus, mettez tant d’amour dans mon cœur, qu’un beau jour il se brise pour aller à vous ».


Ste Bernadette

Les malades mis en valeur

Des malades et des handicapés occupent la première place sur l’esplanade de la basilique de Notre-Dame du Rosaire. Leurs brancards forment la croix du Christ Jésus aujourd’hui. Alors qu’ils passent le plus clair de leur temps cachés dans les hôpitaux ou les arrière-cours des maisons, ces malades retrouvent à Lourdes la reconnaissance de leur dignité sacrée. La vie est un don de Dieu et elle appartient à Dieu. Les malades sont plus grands que leur maladie.

Des grâces de conversion et de guérison alimentent l’espoir de tous ceux qui souffrent dans leur âme ou dans leur corps : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Évangile selon saint Matthieu 11,28)[1]. Jésus est venu apporter la guérison intégrale de la personne humaine : le corps animé par l’âme.

À Lourdes, il y a la face visible et la dimension invisible du mystère de Dieu manifesté en Jésus-Christ et présenté par Marie, sa mère.

À Lourdes, la Vierge Marie rappelle l’Évangile : la guérison des malades qui croient en Jésus le Messie et le pardon des péchés.

Loin de faire écran entre l’humanité et Dieu, sans prendre nullement la place de Dieu, la Vierge Marie ressemble à un miroir où chacun peut découvrir son propre mystère et sa destinée. La beauté de Marie, glorifiée dans son âme et dans son corps, ayant dépassé la mort par sa foi en Jésus, le Ressuscité de Pâques, annonce le salut à ceux qui souffrent moralement et physiquement. Sainte Bernadette affirmait : « Ma Dame à moi, elle si belle que lorsqu’on l’a vue, on voudrait mourir pour la revoir ».

« Immaculée Conception »

C’est le 25 mars 1858 que la Vierge Marie se présente à Bernadette Soubirous comme l’Immaculée Conception en s’adaptant au dialecte bigourdan de la jeune voyante : « Que soy era Immaculada Conceptiou ». Il est significatif que cette déclaration de la Dame de la grotte à Bernadette ait eu lieu le jour de la fête de l’Annonciation. Le dogme de l’Immaculée Conception, déclaré par le bienheureux pape Pie IX en 1854, n’éloigne pas la mère de Jésus du commun des mortels. Tout au contraire, comblée de grâce, la Vierge Marie partage les joies et les souffrances de l’humanité. Elle devient mère spirituelle par sa maternité divine et son intercession puissante auprès de son Fils Jésus.

Dans la Bible, quand Dieu accorde une grâce particulière ce don comporte un but universel au service de tous. Comblée de grâce dès l’instant de sa conception, la fille conçue par l’union sexuelle d’Anne et de Joachim, deviendra une source de grâce pour l’humanité entière.

À Lourdes, « la Dame de la grotte » comme l’appelle Bernadette rayonne de beauté : « Elle était tellement belle que l’on voudrait mourir pour la revoir » (saint Bernadette de Lourdes). Marie prie le chapelet. Le salut ne vient que de son Fils Jésus, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, mais la prière de sa mère change le cours de l’histoire de manière imprévisible comme aux noces de Cana où Jésus changea l’eau en vin en manifestant sa gloire (cf. Évangile selon saint Jean 2).

La Parole intérieure du Père

À Lourdes, Marie ne se montre pas bavarde. Femme de silence et d’intériorité, Marie continue de garder dans son cœur les événements et les paroles de son Fils Jésus (cf. Évangile selon saint Luc 2,51). Marie ne sauve ni ne sanctifie qui que ce soit. Seul Dieu sauve et sanctifie. La Vierge Marie brille comme la plus grande des sauvés. La puissance de Marie se déploie uniquement dans sa prière pleine de foi en son Fils Jésus. C’est Jésus qui a sanctifié et sauvé Marie et son père adoptif Joseph. Le cœur immaculé de Marie a accueilli le Verbe de Dieu. Quand saint Jean, l’évangéliste théologien, parle du Verbe, il ne pense pas à une simple parole humaine qui ferait vibrer l’air à l’image de nos paroles humaines. Il annonce la Parole intérieure du Père manifestée dans l’Incarnation.

Marie, Basilique Notre Dame de Bonne Garde (Longpont-sur-Orge)

La Parole du Père caché en Dieu a pris chair en Marie. Le Verbe fait chair est devenu alors visible et saint Jean annonce  « ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, car la Vie s’est manifestée » (Première épître de saint Jean 1,1s).

« Marie », le prénom de l’âme

Saint Augustin (354-430) enseigne que Marie conçut d’abord le Verbe dans son cœur par la foi avant de le concevoir dans ses entrailles. Cette naissance du Verbe par la foi annonce la naissance de Jésus dans l’âme de ceux qui croient en lui comme l’Envoyé du Père. C’est pourquoi saint Ambroise de Milan (+397) se plaisait à baptiser l’âme croyante du prénom de Marie car c’est l’âme de chaque chrétien qui engendre par la foi Jésus à l’exemple de Marie : « Chaque âme qui croit (comme Marie) conçoit et enfante le Verbe de Dieu . . . Selon la chair il n’y a qu’une seule Mère du Christ ; selon la foi, le Christ est le fruit de tous »[2] ; « Lorsque cette âme commence à se convertir au Christ, elle s’appelle « Marie » : c’est-à-dire qu’elle reçoit le nom de celle qui a mis au monde le Christ : elle est devenue une âme qui engendre le Christ de manière spirituelle »[3]. Par la foi, l’âme chrétienne devient mère de Dieu sous l’action de l’Esprit Saint. L’âme a aussi « un prénom » : Marie.

Toutes les grâces sont mises en commun

La liturgie de la messe de l’Annonciation enseigne la naissance de l’Église en ce jour-là : « Daigne accepter, Dieu tout-puissant, les dons offerts par ton Église : elle n’oublie pas qu’elle a commencé le jour où ton Verbe s’est fait chair » (prière sur les offrandes). Première chrétienne, première Église, « la première en chemin », Marie apparaît dans l’Église comme la sœur aînée dans la foi pour tous les fidèles. Le mystère de « la Communion des saints » fait que les grâces répandues sur Marie bénéficient à tous les croyants dans le partage des biens spirituels. Il s’agit d’un profit mutuel de biens réalisés par chacun. Dieu est communication, partage et communion. La mise en commun vécue au cœur de la sainte Trinité, un seul Dieu, rejaillit dans la mise en commun des grâces personnelles données en vue du bien de tous. Ni l’envie ni la jalousie n’ont de place dans le mystère de l’Église. La richesse des uns devient la richesse de tous dans la Communion des saints. Marie n’est pas une privilégiée sans points communs avec la commune condition des mortels. Marie met en commun toutes les grâces reçues.

La souffrance de la Vierge Marie

Ni l’Immaculée Conception ni la maternité divine quelques années après n’éloignent Marie du reste des croyants. Le privilège de l’Immaculée Conception la rapproche de tous les hommes. Marie sera aussi la première à être frappée par la souffrance à cause de sa fidélité comme l’avait annoncé Syméon lors de la Présentation de Jésus au Temple de Jérusalem : « Une épée te transpercera l’âme !» (Évangile selon saint Luc 2, 35). Sur le Calvaire, le cœur immaculée et maternel de Marie a été transpercé de douleur. Saint Thomas d’Aquin O.P. (+1274) enseigne que l’amour des mères ressemble le plus à Dieu parce que les mères cherchent davantage à aimer qu’à être aimées. 

Marie, Basilique de Vézelay

Sainte Bernadette, envoyée par la Vierge Marie

Sainte Bernadette de Lourdes a été choisie par la Vierge Marie et envoyée comme témoin de la miséricorde divine. Chargée de mission, Bernadette a connu le même sort que Jésus : scepticisme, moqueries, humiliation … Dans l’Évangile, l’envoi établit un lien fort entre Dieu qui envoie et l’envoyé : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Évangile selon saint Jean 20, 21). La voyante de Lourdes a bénéficié des apparitions de la Vierge Marie mais elle a partagé aussi les souffrances physiques et spirituelles de son maître, Jésus. Elle disait avoir reçu « l’emploi de malade ». À l’approche de sa mort, Bernadette s’était exclamée : « Je suis moulue comme un grain de blé » ; « Je n’aurais pas cru qu’il fallait tant souffrir pour mourir ».

Ste Bernadette, esplanade de Lourdes

Agonie de sainte Bernadette

Entrée en agonie, son confesseur l’avait entendu répéter : « Va-t-en , Satan ! ». C’est dans le crucifix qu’elle puisait sa force. Ses dernières paroles répétées deux fois manifestent son humilité, en véritable fille de Marie, l’humble servante du Seigneur : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi, pauvre pécheresse, pauvre pécheresse. »

Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis (La Réunion), le 7 février 2020.




Messe de Noël: le Pape François invite à « se laisser envelopper par la tendresse de Jésus »

Le Pape François a présidé la messe de la nuit de Noël ce mardi soir à la basilique Saint-Pierre.

Conformément à un usage établi par son prédécesseur Benoît XVI, c’est une “messe de Minuit” anticipée à 21h30 que le Pape François a présidé ce mardi 24 décembre 2019 à la basilique Saint-Pierre. Cette célébration, qui bénéficie toujours d’une très large diffusion télévisée dans le monde entier, était concélébrée par la plupart des responsables de la Curie romaine.

Nous vous proposons tout d’abord un résumé tel qu’il a été conçu par « vatican news » sur la page suivante :

https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2019-12/messe-nuit-de-noel-pape-francois-basilique-saint-pierre.html

Cette page donne également accès à l’intégralité, en vidéo, de la messe de Noël célébrée par le Pape François à St Pierre de Rome…

Et après ce résumé, vous trouverez également le texte complet de l’homélie du Pape François. Elle est vraiment particulièrement belle car elle nous entraîne, une fois de plus, au coeur du Mystère de notre foi. Le mercredi 14 juin 2017, il avait déjà déclaré lors d’une audience à Rome : « Le premier pas que Dieu accomplit vers nous est celui d’un amour donné à l’avance et inconditionnel. Dieu nous aime parce qu’il est amour, et l’amour tend de nature à se répandre, à se donner. Dieu ne lie même pas sa bienveillance à notre conversion : celle-ci tout au plus est une conséquence de l’amour de Dieu. Saint Paul dit que Dieu nous a aimés même lorsque nous nous étions trompés. Qui de nous aime de cette manière, sinon un père ou une mère ?  Une mère aime son enfant même quand il est pécheur. Dieu fait la même chose avec nous, nous sommes ses enfants bien-aimés. L’amour appelle l’amour ! ». Nous retrouvons ici ce grand principe… L’accueillir est certainement le plus beau cadeau de Noël qui puisse exister car cette Joie, cette Plénitude de Lumière et de Vie qui transparaît déjà quelque peu dans l’obscurité de notre foi se propose d’être notre Bonheur et notre Plénitude pour l’éternité…

Résumé de l’homélie du Pape François

Dans son homélie, le Pape François est revenu sur les textes proposés par la liturgie en cette nuit de Noël en mettant en évidence la gratuité de l’amour de Dieu, offert aux hommes à travers la naissance de Jésus. «Cette nuit, l’amour de Dieu s’est montré à nous : c’est Jésus. En Jésus, le Très Haut s’est fait petit, pour être aimé de nous. En Jésus, Dieu s’est fait Enfant, pour se laisser embrasser par nous», et ce en toute gratuité : «nous n’avons rien fait pour le mériter et nous ne pourrons jamais le récompenser».

L’amour de Dieu ne dépend pas de nos mérites

«Dieu ne t’aime pas parce que tu penses juste et que tu te comportes bien ; il t’aime et c’est tout. Son amour est inconditionnel, il ne dépend pas de toi. Tu peux avoir des idées erronées, tu peux avoir créé des situations très compliquées, mais le Seigneur ne renonce pas à t’aimer», a expliqué le Pape François.

«La grâce de Dieu est apparue» pour tous, sans discrimination : «Dans le bien et dans le mal, dans la santé et dans la maladie, heureux ou tristes, à ses yeux nous apparaissons beaux : non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Il y a en nous une beauté indélébile, intangible, une beauté irrépressible qui est le noyau de notre être. Aujourd’hui Dieu nous le rappelle, en prenant avec amour notre humanité et en la faisant sienne, “en l’épousant” pour toujours», a martelé l’évêque de Rome.

Un don offert à tout le peuple

«Vraiment la “grande joie” annoncée cette nuit aux bergers est “pour tout le peuple”, a expliqué le Pape. Parmi ces bergers, qui n’étaient certes pas des saints, nous y sommes aussi, avec nos fragilités et faiblesses. Comme il les a appelés, Dieu nous appelle aussi, parce qu’il nous aime. Cette nuit, l’amour a vaincu la crainte, une espérance nouvelle est apparue, la douce lumière de Dieu a vaincu les ténèbres de l’arrogance humaine.»

La seule responsabilité qui nous incombe directement est donc de savoir «accueillir le don». «Avant d’aller à la recherche de Dieu, laissons-nous chercher par lui. Ne partons pas de nos capacités, mais de sa grâce, parce que c’est Lui, Jésus, le Sauveur. Posons le regard sur l’Enfant et laissons-nous envelopper de sa tendresse. Nous n’aurons plus d’excuses pour ne pas nous laisser aimer par Lui : ce qui dans la vie va mal, ce qui dans l’Église ne fonctionne pas, ce qui dans le monde ne va pas ne sera plus une justification. Cela passera au second plan, parce que devant l’amour fou de Jésus, un amour toute douceur et proximité, il n’y a pas d’excuses», a souligné le Pape

François a aussi invité chacun à s’investir dans le don, dans le dynamique ouverte par Dieu qui a donné son Fils à l’humanité. «Nous changeons, l’Église change, l’histoire change quand nous commençons non pas à vouloir changer les autres, mais nous-mêmes, en faisant de notre vie un don.»

Recevoir le don permet de se donner soi-même

«Jésus nous le montre cette nuit : il n’a pas changé l’histoire en forçant quelqu’un ou à force de paroles, mais avec le don de sa vie, a précisé le Pape. Il n’a pas attendu que nous devenions bons pour nous aimer, mais il s’est donné gratuitement à nous. Nous aussi, n’attendons pas que notre prochain devienne bon pour lui faire du bien, que l’Eglise soit parfaite pour l’aimer, que les autres nous considèrent pour les servir. Commençons les premiers. Ça, c’est accueillir le don de la grâce. Et la sainteté n’est autre que conserver cette gratuité.»

François a ensuite évoqué une légende traditionnelle, qui ne figure pas dans les récits canoniques, mais qui montre bien la dynamique engendrée par la naissance de Jésus. Elle concerne un berger très pauvre, venu voir Jésus sans cadeau à offrir. Cette histoire représente Joseph et Marie qui, presque gênés par l’afflux de cadeaux, mirent Jésus dans les bras de ce berger venu les mains vides. «Ce berger, en l’accueillant, se rendit compte d’avoir reçu ce qu’il ne méritait pas, d’avoir entre les bras le don le plus grand de l’histoire, a raconté François. Il regarda ses mains, ces mains qui lui paraissaient toujours vides : elles étaient devenues le berceau de Dieu. Il se sentit aimé et, en surmontant la honte, il commença à montrer Jésus aux autres, parce qu’il ne pouvait pas garder pour lui le don des dons.»

Au terme de son homélie, le Pape a ainsi interpellé chacun : «Cher frère, chère sœur, si tes mains te semblent vides, si tu vois ton cœur pauvre d’amour, cette nuit est pour toi. La grâce de Dieu est apparue pour resplendir dans ta vie. Accueille-la et la lumière de Noël brillera en toi.»

Comme c’est la tradition, François a ensuite déposé l’Enfant Jésus dans la crèche située à l’intérieur de la basilique. Il était entouré en procession par des enfants venus notamment d’Irak, du Kenya, d’Ouganda ou encore des Philippines, représentant essentiellement des nations visitées par le Pape ou dans lesquelles il a le projet de se rendre.

 

Texte complet de l’homélie du Pape François

« Sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Is 9, 1). Cette prophétie de la première Lecture s’est réalisée dans l’Evangile : en effet, alors que les bergers veillaient la nuit sur leurs terres, « la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière » (Lc 2,9). Dans la nuit de la terre est apparue une lumière venant du ciel. Que signifie cette lumière apparue dans l’obscurité ? L’Apôtre Paul nous le suggère, lui qui nous a dit : « La grâce de Dieu est apparue ». La grâce de Dieu, qui « s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tt 2,11), a enveloppé le monde cette nuit.

Mais qu’est-ce que cette grâce ? C’est l’amour divin, l’amour qui transforme la vie, qui renouvelle l’histoire, qui libère du mal, qui répand la paix et la joie. Cette nuit, l’amour de Dieu s’est montré à nous : c’est Jésus. En Jésus, le Très Haut s’est fait petit, pour être aimé de nous. En Jésus, Dieu s’est fait Enfant, pour se laisser embrasser par nous. Mais, nous pouvons encore nous demander pourquoi saint Paul appelle la venue de Dieu dans le monde “grâce” ? Pour nous dire qu’elle est complètement gratuite. Alors qu’ici sur terre, tout paraît répondre à la logique du donner pour avoir, Dieu arrive gratuitement. Son amour n’est pas négociable : nous n’avons rien fait pour le mériter et nous ne pourrons jamais le récompenser.

La grâce de Dieu est apparue. Cette nuit, nous nous rendons compte que, tandis que nous n’étions pas à la hauteur, Il s’est fait pour nous petitesse ; tandis que nous allions à nos affaires, Il est venu au milieu de nous. Noël nous rappelle que Dieu continue d’aimer tout homme, même le pire. A moi, à toi, à chacun de nous aujourd’hui, il dit : “Je t’aime et je t’aimerai toujours, tu es précieux à mes yeux”. Dieu ne t’aime pas parce que tu penses juste et que tu te comportes bien ; il t’aime et c’est tout. Son amour est inconditionnel, il ne dépend pas de toi. Tu peux avoir des idées erronées, tu peux avoir créé des situations très compliquées, mais le Seigneur ne renonce pas à t’aimer. Combien de fois ne pensons-nous pas que Dieu est bon si nous sommes bons et qu’il nous châtie si nous sommes mauvais. Ce n’est pas ainsi. Dans nos péchés, il continue de nous aimer. Son amour ne change pas, il n’est pas susceptible ; il est fidèle, il est patient. Tel est le don que nous trouvons à Noël : nous découvrons avec stupeur que le Seigneur est toute la gratuité possible, toute la tendresse possible. Sa gloire ne nous aveugle pas, sa présence ne nous effraie pas. Il naît pauvre de tout, pour nous conquérir avec la richesse de son amour.

La grâce de Dieu est apparue. Grâce est synonyme de beauté. Cette nuit, dans la beauté de l’amour de Dieu, nous redécouvrons aussi notre beauté, parce que nous sommes les bien-aimés de Dieu. Dans le bien et dans le mal, dans la santé et dans la maladie, heureux ou tristes, à ses yeux nous apparaissons beaux : non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Il y a en nous une beauté indélébile, intangible, une beauté irrépressible qui est le noyau de notre être. Aujourd’hui Dieu nous le rappelle, en prenant avec amour notre humanité et en la faisant sienne, “en l’épousant” pour toujours.

Vraiment la « grande joie » annoncée cette nuit aux bergers est « pour tout le peuple ». Parmi ces bergers, qui n’étaient certes pas des saints, nous y sommes aussi, avec nos fragilités et faiblesses. Comme il les a appelés, Dieu nous appelle aussi, parce qu’il nous aime. Et, dans les nuits de la vie, à nous comme à eux il dit : « Ne craignez pas » (Lc 2,10). Courage, ne perds pas confiance, ne perds pas l’espérance, ne pense pas qu’aimer est du temps perdu ! Cette nuit, l’amour a vaincu la crainte, une espérance nouvelle est apparue, la douce lumière de Dieu a vaincu les ténèbres de l’arrogance humaine. Ô Humanité, Dieu t’aime et pour toi il s’est fait homme, tu n’es plus seule !

Chers frères et sœurs, que faire devant cette grâce ? Une seule chose : accueillir le don. Avant d’aller à la recherche de Dieu, laissons-nous chercher par lui. Ne partons pas de nos capacités, mais de sa grâce, parce que c’est Lui, Jésus, le Sauveur. Posons le regard sur l’Enfant et laissons-nous envelopper de sa tendresse. Nous n’aurons plus d’excuses pour ne pas nous laisser aimer par Lui : ce qui dans la vie va mal, ce qui dans l’Eglise ne fonctionne pas, ce qui dans le monde ne va pas ne sera plus une justification. Cela passera au second plan, parce que devant l’amour fou de Jésus, un amour tout de douceur et de proximité, il n’y a pas d’excuses. La question à Noël est : “Est-ce que je me laisse aimer par Dieu ? Est-ce que je m’abandonne à son amour qui vient pour me sauver ?”.

Un don aussi grand mérite une profonde gratitude. Accueillir la grâce est savoir remercier. Mais nos vies sont souvent vécues loin de la gratitude. Aujourd’hui, c’est le jour idéal pour nous approcher du tabernacle, de la crèche, de la mangeoire, pour dire merci. Accueillons le don qui est Jésus, pour ensuite devenir don comme Jésus. Devenir don est donner du sens à la vie. Et c’est le meilleur moyen pour changer le monde : nous changeons, l’Eglise change, l’histoire change quand nous commençons non pas à vouloir changer les autres, mais nous-mêmes, en faisant de notre vie un don. Jésus nous le montre cette nuit : il n’a pas changé l’histoire en forçant quelqu’un ou à force de paroles, mais avec le don de sa vie. Il n’a pas attendu que nous devenions bons pour nous aimer, mais il s’est donné gratuitement à nous. Nous aussi, n’attendons pas que notre prochain devienne bon pour lui faire du bien, que l’Eglise soit parfaite pour l’aimer, que les autres nous considèrent pour les servir. Commençons les premiers. Ça, c’est accueillir le don de la grâce. Et la sainteté n’est autre que conserver cette gratuité.

Une belle légende raconte qu’à la naissance de Jésus, les bergers accourraient à la grotte avec divers dons. Chacun apportait ce qu’il avait, celui-ci des fruits de son travail, celui-là quelque chose de précieux. Mais, tandis que tous se dépensaient avec générosité, il y avait un berger qui n’avait rien. Il était très pauvre, il n’avait rien à offrir. Tandis que tous rivalisaient pour présenter leurs dons, il se tenait de côté, tout honteux. A un certain moment, saint Joseph et la Vierge se trouvèrent en difficulté pour recevoir tous ces dons, surtout Marie, qui devait porter l’Enfant. Alors, en voyant ce berger avec les mains vides, elle lui demanda de s’approcher. Et elle lui mit Jésus dans les bras. Ce berger, en l’accueillant, se rendit compte d’avoir reçu ce qu’il ne méritait pas, d’avoir entre les bras le don le plus grand de l’histoire. Il regarda ses mains, ces mains qui lui paraissaient toujours vides : elles étaient devenues le berceau de Dieu. Il se sentit aimé et, en surmontant la honte, il commença à montrer Jésus aux autres, parce qu’il ne pouvait pas garder pour lui le don des dons.

Cher frère, chère sœur, si tes mains te semblent vides, si tu vois ton cœur pauvre d’amour, cette nuit est pour toi. La grâce de Dieu est apparue pour resplendir dans ta vie. Accueille-la et la lumière de Noël brillera en toi.

     Pape François, Rome, 24 décembre 2019.




Que signifie « adorer Dieu » ? (Pape François – 6 janvier 2020)

Dans l’Evangile (Mt 2,1-12), nous avons entendu que les Mages commencent par manifester leurs intentions: « Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui » (v. 2). Adorer est l’objectif de leur parcours, le but de leur cheminement. En effet, arrivés à Bethléem, « ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, ils se prosternèrent devant lui » (v. 11). Si nous perdons le sens de l’adoration, nous perdons le sens de la marche de la vie chrétienne, qui est un cheminement vers le Seigneur, non pas vers nous. C’est le risque contre lequel l’Evangile nous met en garde, en présentant, à côté des Mages, des personnages qui n’arrivent pas à adorer.

Il y a surtout le roi Hérode, qui utilise le verbe adorer, mais avec une intention fallacieuse. Il demande, en effet, aux Mages de l’informer sur le lieu où se trouve l’Enfant « pour que– dit-il – j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui » (v. 8). En réalité, Hérode n’adorait que lui-même, et c’est pourquoi il voulait se libérer de l’Enfant par le mensonge. Qu’est-ce que cela nous enseigne ? Que l’homme, quand il n’adore pas Dieu, est amené à adorer son moi. Et même la vie chrétienne, sans adorer le Seigneur, peut devenir un moyen raffiné pour s’affirmer soi-même et son talent : des chrétiens qui ne savent pas adorer, qui ne savent pas prier en adorant. C’est un risque sérieux : nous servir de Dieu plutôt que de servir Dieu. Combien de fois n’avons-nous pas échangé les intérêts de l’Evangile avec les nôtres, combien de fois n’avons-nous pas couvert de religiosité ce qui nous arrangeait, combien de fois n’avons-nous pas confondu le pouvoir selon Dieu, qui est de servir les autres, avec le pouvoir selon le monde, qui est de se servir soi-même !

En plus d’Hérode, il y a d’autres personnes dans l’Evangile qui n’arrivent pas à adorer : ce sont les chefs des prêtres et les scribes du peuple. Ils indiquent à Hérode, avec une précision extrême, où serait né le Messie : à Bethléem de Judée (cf. v. 5). Ils connaissent les prophéties et les citent avec exactitude. Ils savent où aller – des grands théologiens, des grands ! –, mais n’y vont pas. De cela aussi, nous pouvons tirer un enseignement. Dans la vie chrétienne, il ne suffit pas de savoir : sans sortir de soi-même, sans rencontrer, sans adorer, on ne connaît pas Dieu. La théologie et l’efficacité pastorale servent à peu de choses ou même à rien si on ne plie pas les genoux ; si on ne fait pas comme les Mages, qui ne furent pas seulement des savants organisateurs d’un voyage, mais qui marchèrent et adorèrent. Quand on adore, on se rend compte que la foi ne se réduit pas à un ensemble de belles doctrines, mais qu’elle est la relation avec une Personne vivante à aimer. C’est en étant face à face avec Jésus que nous en connaissons le visage. En adorant, nous découvrons que la vie chrétienne est une histoire d’amour avec Dieu, où les bonnes idées ne suffisent pas, mais qu’il faut lui accorder la priorité, comme le fait un amoureux avec la personne qu’il aime. C’est ainsi que l’Eglise doit être, une adoratrice amoureuse de Jésus son époux.

Au début de l’année, redécouvrons l’adoration comme une exigence de la foi. Si nous savons nous agenouiller devant Jésus, nous vaincrons la tentation de continuer à marcher chacun de son côté. Adorer, en effet, c’est accomplir un exode depuis l’esclavage le plus grand, celui de soi-même. Adorer, c’est mettre le Seigneur au centre pour ne pas être centrés sur nous-mêmes. C’est remettre les choses à leur place, en laissant à Dieu la première place. Adorer, c’est mettre les plans de Dieu avant mon temps, mes droits, mes espaces. C’est accueillir l’enseignement de l’Ecriture : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras » (Mt 4, 10). Ton Dieu : adorer c’est se sentir d’appartenir mutuellement avec Dieu. C’est lui dire “tu” dans l’intimité, c’est lui apporter notre vie en lui permettant d’entrer dans nos vies. C’est faire descendre sa consolation sur le monde. Adorer, c’est découvrir que, pour prier, il suffit de dire : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20, 28), et se laisser envahir par sa tendresse.

Adorer, c’est rencontrer Jésus sans une liste de demandes, mais avec l’unique demande de demeurer avec lui. C’est découvrir que la joie et la paix grandissent avec la louange et l’action de grâce. Quand nous adorons, nous permettons à Jésus de nous guérir et de nous changer. En adorant, nous donnons au Seigneur la possibilité de nous transformer avec son amour, d’illuminer nos obscurités, de nous donner la force dans la faiblesse et le courage dans les épreuves. Adorer, c’est aller à l’essentiel : c’est la voie pour nous désintoxiquer de nombreuses choses inutiles, des dépendances qui anesthésient le cœur et engourdissent l’esprit. En adorant, en effet, on apprend à refuser ce qu’il ne faut pas adorer : le dieu argent, le dieu consommation, le dieu plaisir, le dieu succès, notre moi érigé en dieu. Adorer, c’est se faire petit en présence du Très Haut, pour découvrir devant Lui que la grandeur de la vie ne consiste pas dans l’avoir, mais dans le fait d’aimer. Adorer, c’est nous redécouvrir frères et sœurs devant le mystère de l’amour qui surmonte toute distance : c’est puiser le bien à la source, c’est trouver dans le Dieu proche le courage d’approcher les autres. Adorer, c’est savoir se taire devant le Verbe divin, pour apprendre à dire des paroles qui ne blessent pas, mais qui consolent.

Adorer, c’est un geste d’amour qui change la vie. C’est faire comme les Mages : c’est apporter au Seigneur l’or, pour lui dire que rien n’est plus précieux que lui ; c’est lui offrir l’encens, pour lui dire que c’est seulement avec lui que notre vie s’élève vers le haut ; c’est lui présenter la myrrhe, avec laquelle on oignait les corps blessés et mutilés, pour promettre à Jésus de secourir notre prochain marginalisé et souffrant, parce que là il est présent. D’habitude, nous savons prier – nous demandons, nous remercions le Seigneur –, mais l’Eglise doit encore aller plus loin avec la prière d’adoration, nous devons grandir dans l’adoration. C’est une sagesse que nous devons apprendre tous les jours. Prier en adorant : la prière d’adoration.

Chers frères et sœurs, aujourd’hui chacun de nous peut se demander : “Suis-je un chrétien adorateur ?”. De nombreux chrétiens qui prient ne savent pas adorer. Faisons-nous cette demande. Trouvons du temps pour l’adoration dans nos journées et créons des espaces pour l’adoration dans nos communautés. C’est à nous, comme Eglise, de mettre en pratique les paroles que nous avons priées aujourd’hui dans le Psaume : “Toutes les nations, Seigneur, se prosterneront devant toi”. En adorant, nous aussi, nous découvrirons, comme les Mages, le sens de notre cheminement. Et, comme les Mages, nous expérimenterons « une très grande joie » (Mt 2, 10).

Pape François, solennité de l’Epiphanie, lundi 6 janvier 2020

 




Intérêt général ou bien commun ? Les mots sont importants… (Fr Manuel Rivéro – OP)

Ces deux expressions apparaissent parfois comme synonymes dans les articles sur la vie économique et politique. Sont-ils vraiment équivalents ? Quelles en sont les différences ?

Tout d’abord, les mots ne sont pas les mêmes. Les mots donnent à penser, à interpréter et à agir. Les politiques invoquent l’intérêt général dans leurs projets et décisions. Apparemment « intérêt général » et « bien commun » pourraient recouvrir le même sens puisqu’il s’agit de dépasser l’intérêt individuel par rapport à l’intérêt du groupe social. C’est l’État qui décide de  l’intérêt général et qui le fixe dans des lois. Des groupes de pression, expressions de puissances financières et idéologiques, parviennent parfois à obtenir ce label d’intérêt général à travers de minorités agissantes et à l’imposer à l’ensemble de citoyens.  Les droits de la personne ne sont plus alors respectés et le concept « intérêt général » devient un masque pour cacher des intérêts privés. 

Par ailleurs, le mot « intérêt » renvoie au libéralisme économique et à la maximisation des profits. Bernard Mandeville avait écrit en 1714 son fameux livre « La fable des abeilles » où il défendait la thèse que « l’égoïsme et le vice de chacun contribue à la prospérité et au bonheur de tous » par le développement des dépenses qui favoriserait la production et par conséquent l’emploi … Maintenant les modèles mathématiques de microéconomie visent à maximiser les profits de l’ « homo economicus ». Un professeur d’économie, partisan du libéralisme, disait un jour non sans humour que « le socialisme est le dogme de l’Immaculée Conception appliqué à l’économie », c’est-à-dire tout le monde est bon sans idée du mal. « L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête », écrivait Blaise Pascal dans ses Pensées.

Dans la réalité, les choses s’avèrent beaucoup plus compliquées. La spéculation à outrance entraîne des crises financières qui déstabilisent les nations et les entreprises et qui provoquent chômage et misère dans les familles. On attribue à Jean Jaurès cette image du capitalisme : « Le renard libre dans le poulailler libre ». Évidemment cette comparaison qui cherche à choquer et à faire réagir ne correspond pas exactement à la situation sociale exact des individus libres mais elle met en exergue la différence de pouvoir entre le riche et le pauvre et à la très relative liberté des faibles.

En tout homme, il y a le penchant  vers le bien et vers le mal. L’économie et la politique relèvent d’une anthropologie. Si la solution aux problèmes économiques et politiques était simple tout le monde l’aurait su depuis longtemps. Le philosophe et sociologue contemporain, Jürgen Habermas, fait remarquer que ni le capitalisme ni le collectivisme ne sont parvenus à dépasser les rapports de domination qui ont causé des millions de morts dans les révolutions pour la justice au long de l’histoire. Le dépassement de cette volonté de domination exige un travail, personnel et collectif, jamais achevé.

Qu’en dit l’Église ? La doctrine sociale de l’Église ne propose pas un modèle économique ou politique ni une troisième voie entre capitalisme et collectivisme mais des principes d’action à partir de la dignité sacrée de toute personne humaine et de la destination universelle des biens. « Développement de tout l’homme et tous les hommes », selon l’expression du saint pape Paul VI. La propriété privée ne figure pas dans le Credo de la messe et le marché ne fait pas partie non plus des « dogmes » ni des « divinités ». « La terre est à tous », enseignent les papes dans leurs encycliques sociales. Le propriétaire de la terre est Dieu lui-même. C’est pourquoi l’Église ne parle pas d’ « intérêt général » mais du « bien commun ». Saint Thomas d’Aquin (+1274), le grand Docteur de l’Église,  enseigne qu’une loi ne mérite ce nom que si elle conduit au bien, autrement il s’agirait d’une perversion de la loi et l’homme devrait en conscience s’y opposer.

La doctrine sociale de l’Église dénonce aussi bien les erreurs du libéralisme que ceux du marxisme matérialiste. Que propose-t-elle ? L’Église plaide pour un personnalisme qui situe la personne humaine au cœur de l’économie et de la politique non pas de manière individualiste mais en communauté. La personne n’est jamais un moyen mais un but. À la suite du philosophe chrétien, Emmanuel Mounier, le saint pape Jean-Paul II enseigne le primat de la personne sur le capital. La fonction du capital est de servir le travail selon son encyclique « Le travail humain ». L’homme représente le sommet et la fin de la création.

Le Concile Vatican II donne la définition suivante du bien commun : « Cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée » (Gaudium et spes, n°26). Les deux mots « bien » et « commun » sont importants. Cette définition met en lumière le sens de la vie humaine et la vocation à la perfection dans la liberté et la créativité non pas de manière individualiste mais en communauté da façon solidaire. Le principe de subsidiarité défend et soutient l’autonomie de la personne. Chacun doit pouvoir exercer ses capacités selon ses responsabilités sans être court-circuité par des supérieurs hiérarchiques sauf en cas de faute ou de défaillance. La définition du bien commun accorde un rôle important à la société civile et à la démocratie participative.

Le mot « commun » rappelle le vivre ensemble, le partage, la solidarité. Nous retrouvons la même étymologie dans les mots « commune », « communication », « communion ».

Il y a quelques années, dans un échange avec des professeurs d’économie, les uns libéraux et les autres marxistes, tous sûrs d’eux-mêmes, j’avais été surpris de leurs sourires  condescendants ou narquois à l’égard de la doctrine sociale de l’Église qu’ils estimaient naïve. Les dernières crises sociales et économiques ont montré la gravité du problème. Il n’y a pas de quoi rire. La classe politique aussi bien de droite que de gauche  a été remise en cause voire rejetée. Chaque citoyen veut participer aux décisions politiques et au partage des biens. La définition du bien commun par la doctrine sociale de l’Église va dans le sens de la participation de chacun au service de tous et en particulier des plus faibles.

Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis de La Réunion

 

Si vous désirez imprimer cet article, il suffit de cliquer sur le titre ci-après pour accéder au format PDF:

Fr Manuel Rivero; « Intérêt général ou bien commun, les mots sont importants »…

 




Sainteté et humilité (Thomas Merton)

Il n’y a pas de paix possible pour l’homme qui s’imagine qu’un talent, une grâce ou une vertu quelconques le séparent et le placent au-dessus des autres. Solitude ne signifie pas séparation. Dieu ne nous donne ni talents, ni grâces, ni vertus pour nous seuls. Nous sommes membres d’un même corps et tout ce qu’un membre reçoit doit bénéficier au corps tout entier. Ce n’est pas pour que mes pieds soient plus beaux que mon visage que je les lave.

Les saints sont heureux de leur sainteté, non parce qu’elle les sépare de nous et les place au-dessus de nous, mais au contraire parce qu’elle les rapproche de nous, et en un certain sens, les place au-dessous de nous. Leur sainteté leur est donnée pour qu’ils puissent nous aimer et nous servir – car les saints sont des médecins et des infirmières qui sont supérieurs aux malades par le fait qu’ils sont en bonne santé et savent comment les guérir, et qui cependant se font leurs serviteurs puisqu’ils consacrent cette santé et cette science à les guérir.

Les saints sont ce qu’ils sont, non parce que leur sainteté les rend admirables aux autres, mais parce qu’elle leur permet d’admirer tous les autres. Elle leur donne une lucidité compatissante qui les aide à discerner le bien chez les plus affreux criminels. Elle les délivre du fardeau de juger les autres, de les condamner, et leur apprend à faire apparaître le bien qui est en eux par la pitié, la miséricorde et le pardon. L’homme devient saint non parce qu’il se croit différents des pécheurs, mais parce qu’il comprend qu’il est semblable à eux, et qu’ils ont tous besoin de la miséricorde de Dieu !

C’est dans l’humilité que se trouve la vraie liberté. Tant que nous sommes obligés de défendre le moi imaginaire que nous croyons important, nous perdons la paix de l’âme. Dès que nous comparons cette apparence avec les apparences des autres, nous perdons toute joie, parce que nous avons affaire à des choses imaginaires et qu’il n’y a pas de joie dans ce qui n’existe pas.

Dès que nous commençons à nous prendre au sérieux et à nous imaginer que nos vertus ont de l’importance parce qu’elles sont nôtres, nous devenons prisonniers de notre vanité et nos meilleures actions nous aveuglent et nous trompent.

Alors, pour nous défendre, nous commencerons à voir des péchés et des fautes dans toutes les actions du prochain. Et plus nous attacherons une importance disproportionnée à nous-mêmes et à ce que nous faisons, plus nous aurons tendance à nous créer une fausse idée de nous-mêmes en condamnant les autres. Parfois les hommes vertueux sont malheureux et amers, parce qu’ils en sont arrivés, inconsciemment, à croire que leur bonheur dépend de leur supériorité sur les autres.

Lorsque l’humilité délivre l’homme de l’attachement qu’il porte à ce qu’il fait et à ce qu’on dit de lui, il découvre que la joie parfaite n’est possible que dans une abnégation complète. C’est seulement lorsque nous ne prêtons plus la moindre attention à nos actions, à notre réputation et à nos mérites, que nous sommes enfin entièrement libres de servir Dieu, et Lui seul.

 

Thomas Merton (Semences de contemplation – Editions Points 2010).




Le père Laval, le père Lataste et le pape François, apôtres des prisons (Fr Manuel Rivéro O.P.)

 Dans ses voyages apostoliques, le pape François se rend souvent dans les prisons pour rencontrer les personnes détenues. Il avoue humblement se poser cette question : « Chaque fois que je franchis le seuil d’une prison, pour une célébration ou pour une visite, je me demande toujours : ‘Pourquoi eux et pas moi ?’ ».

Au Mexique, le 17 février 2016, lors de sa visite à la prison de Ciudad Juarez, le pape avait offert un crucifix en cristal : « « Le Christ sur la Croix est la plus grande fragilité de l’humanité. Pourtant, avec cette fragilité, il nous sauve, il nous aide, nous fait avancer et nous ouvre les portes de l’espérance.» Il a aussi vu dans la prison le symptôme des problèmes sociaux. Les drames des personnes détenues renvoient aux failles des familles et du système éducatif, économique et social. Il serait trop facile et injuste de déclarer sans plus que les condamnés l’ont bien cherché et qu’ils n’ont qu’à payer les conséquences de leurs actes.

La réinsertion rappelle le travail de prévention à faire. Don Bosco, le grand apôtre de la jeunesse, se rendant un jour dans une prison avait ressenti ce besoin de s’occuper des jeunes avant la prison.

Le pape François plaide aussi pour une « conversion culturelle urgente »[1] des mentalités de manière à veiller à la réinsertion et à la resocialisation des détenus sans rester prisonniers du passé.

Le codé pénal français précise le sens de la peine : la sanction et l’amendement, l’insertion ou la réinsertion[2]« Si l’on fait grâce au méchant, il n’apprend pas la justice »[3], enseigne la Bible. Les crimes et les délits doivent être punis. Les citoyens ont droit à la sécurité. Mais n’oublions pas le but de la réinsertion. L’opinion publique veut punir mais ce n’est pas le seul but de la prison. 

Toute personne peut se trouver en prison.  Il suffit d’avoir trop bu à un repas d’anniversaire pour découvrir les risques de la conduite en état d’ébriété et le malheur de provoquer un accident. Un coup de colère peut aboutir au meurtre.

La Réunion peut être fière de ses valeurs culturelles et spirituelles. Chaque génération reçoit la mission de transmettre à la jeunesse le sens d’une appartenance heureuse afin de pouvoir dire : « Nous sommes un grand peuple ». La grandeur d’une civilisation se manifeste dans le soin qu’elle prend des faibles en veillant  à son inclusion et non à son exclusion. À ce propos, il est bon de rappeler le préambule de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999[4] : « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ». Les détenus dans nos trois prisons réunionnaises font partie des personnes faibles. L’attitude et le comportement à leur égard parlent des qualités morales et spirituelles de La Réunion.

La prison joue un rôle de test dans l’évaluation des politiques. Les normes européennes pour la détention font partie du projet européen. La France, pays des droits de l’homme, a été blâmée il y a quelque temps par le Conseil de l’Europe à Strasbourg pour non-respect dans les prisons des conditions humaines dignes.

Le bienheureux père Laval (1803- 9 septembre 1864) se rendait quotidiennement à la prison de Port-Louis (Maurice) pour aider et soutenir spirituellement les détenus dans l’épreuve.

Quand le bienheureux père Lataste O.P. (5 septembre 1832-1869) avait été envoyé par ses supérieurs pour prêcher aux femmes de la prison de force de Cadillac, près de Bordeaux, dans le sud de la France, il s’y était rendu, le cœur serré, avec « la pensée que ce serait sans doute inutile. »

En voyant ces femmes plongées dans des conditions misérables dans une prison sordide, son premier mouvement avait été de reculer. Mais le père Lataste s’était repris pour dire : « Mes chères sœurs ».

Ces femmes au visage fermé s’ouvrirent à la grâce, rayonnantes, en découvrant l’amour de Jésus, à l’image des fleurs qui se relèvent fraîches  après la pluie.

Saint Paul décrit ce mouvement vers l’avenir : « Oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus »[5].

Le changement humain est possible. Dieu ouvre un chemin nouveau à ceux qui se tournent vers lui.

                                                                           Fr. Manuel Rivero O.P.

                                                               Aumônier de la prison de Domenjod

 

[1] Lettre du pape François au centre de détention Due Palazzi de Padoue, le 17 janvier 2017.

 

[2] Cf. Article 130-1, créé par LOI n°2014-896 du 15 août 2014 – art. 1.

 

[3] Is 26,10.

[4] Cf. https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html

[5] Épître de saint Paul aux Philippiens 3, 13-14.




La Vierge Marie, Théologienne (Fr. Manuel Rivero O.P.)

Le pape François a participé le 21 juin 2019 à la Rencontre théologique organisée par la Faculté pontificale de théologie de l’Italie méridionale à Naples ; elle avait pour thème « La théologie après Veritatis gaudium dans le contexte de la Méditerranée ».

Dans son exposé sur l’exercice de la théologie, le pape François n’a pas évoqué la figure de la Vierge Marie, toujours présente dans sa pensée et dans sa prière.

Je voudrais ici mettre en parallèle l’enseignement du pape avec la Vierge Marie, qui occupe dans l’Église la première place parmi les fidèles sauvés par son Fils, Jésus le Christ. En effet, les prières eucharistiques placent la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, avant les apôtres, les martyrs, les docteurs et les saints. Elle est « la toute sainte », habitée par le Saint-Esprit.

La grandeur de Marie trouve sa source dans sa foi en la Parole de Dieu. Aussi est-elle appelée bienheureuse. La foi de Marie est la foi de l’Église. Par son Immaculée Conception, mystère d’absence de péché et de plénitude de grâce au commencement de son existence dans le sein de sa mère que la tradition appelle Anne, épouse de Joachim, Marie jouit d’une intelligence exceptionnelle de la foi en la Parole de Dieu. Sanctifiée par le Saint-Esprit, Marie vit de la foi dans le Verbe de Dieu à travers les questions et l’abandon.

La théologie suppose le déploiement de la raison pour répondre aux questions dans la lumière de la foi en Dieu. Puisqu’il s’agit du mystère de Dieu, la théologie ne peut s’exercer que dans la foi. Le théologien cherche à comprendre et à rendre compte de l’espérance qui est en lui. La foi, grâce de Dieu et tâche humaine, fait entrer dans le cœur de Dieu par la médiation et l’étude de la Révélation divine transmise dans les Saintes Écritures.

La théologie, la foi et la prière

Seul Dieu peut faire connaître Dieu. Seul Dieu parle bien de Dieu. Le théologien se met à l’écoute de la Parole de Dieu dans un climat de prière contemplative en implorant la lumière de l’Esprit Saint.

Le pape souligne que « l’on ne peut faire de la théologie qu’à « genoux ». Les évangélistes aussi bien que l’art chrétien présentent Marie en prière.

Dans son cheminement spirituel de foi, Marie, femme intelligente et libre, s’est posé des questions : « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1, 34), à l’Annonciation ; « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! ton père et moi, nous te cherchons angoissés. » (Lc 2,48), lors du recouvrement de Jésus au Temple de Jérusalem. Et saint Luc, l’évangéliste de préciser que Marie et Joseph ne comprirent pas la réponse de Jésus : « Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? » (Lc 2, 49).

Marie n’a pas tout compris à l’avance. Elle a avancé dans la foi, avec la lumière et l’ombre propres à la démarche de foi. La foi biblique renvoie à la Parole de Dieu. Croire, c’est adhérer à la Parole révélée qui est lumière mais les prophéties comportent aussi leur part d’obscurité. Aussi des mystiques comme saint Jean de la Croix parlent-ils de la nuit de la foi et des exégètes comme le père Lagrange évoquent l’obscurité du texte biblique.

Le théologien se pose des questions sur Dieu et il pose des questions sur Dieu aux autres. Saint Thomas d’Aquin (+1274), le grand maître de la théologie, commence chaque article de la Somme théologique par une question. Et il n’a pas peur des questions. Tout au contraire, la joie du théologien se trouve dans le dialogue et le débat contradictoire à la recherche de la Vérité, qui étant une personne, le Christ Jésus, ne saurait rester enfermée dans des définitions conceptuelles ou des mots : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6).

Le bienheureux Pierre Claverie O.P., évêque martyr en Algérie, affirmait : « J’ai besoin de la vérité des autres. » Loin de tout relativisme ou scepticisme, il partageait son expérience de Dieu et des hommes.

À l’exemple de Marie, le théologien se pose des questions et il cherche des réponses en mettant en œuvre la lumière de la raison éclairée par la grâce de la foi.

La théologie, les processus et le progrès dans la connaissance de la Vérité

Tout au long de son existence, Marie a approfondi le mystère de la foi, gardant les paroles et les événements de la vie de son fils Jésus dans son cœur » (cf. Lc 2, 51). Marie a progressé dans la foi en son Fils, jour après jour dans la vie ordinaire de Nazareth. Sur le Calvaire aussi, quand une épée a transpercé son âme (cf. Lc 2, 35), dans la communion de la prière au Cénacle au jour de la Pentecôte, au cœur de la communauté apostolique réunie au nom de Jésus dans l’attente de la descente de l’Esprit Saint.

Marie a grandi dans la connaissance de Dieu auprès de son Fils et au milieu de l’Église. La Constitution « Lumen gentium » du concile Vatican II au chapitre VIII a tenu à situer la Vierge Marie dans le mystère du Christ et de l’Église. Les théologiens chrétiens s’interrogent sur Dieu « dans le mystère du Christ et de l’Église ».

La théologie est toujours en chemin puisque le Christ Jésus est Chemin, Vérité et Vie. Marie-Joseph Lagrange a toujours été habité par une vision dynamique et progressive de l’histoire et de l’exégèse. Pour lui, la vérité était « une vérité en marche ». Dans son discours pour l’inauguration de l’École biblique de Jérusalem, il avait déjà entrevu le beau chemin à parcourir : « Dieu a donné dans la Bible un travail interminable à l’intelligence humaine et, remarquez-le bien, il lui a ouvert un champ indéfini de progrès dans la vérité[1]. » À la suite de saint Vincent de Lérins, le père Lagrange tenait à l’idée du développement de la connaissance de Dieu qui s’exprime dans les dogmes. Il ne s’agit pas d’un changement mais d’un progrès à la manière de la maturation du grain de blé qui devient épi ou de l’enfant qui parvient à l’âge adulte.

Dans la Constitution apostolique « Veritatis Gaudium » sur les universités et les facultés ecclésiastiques, en date du 27 décembre 2017, le pape François a cité la pensée de saint Vincent de Lérins : « Le théologien qui se satisfait de sa pensée complète et achevée est un médiocre. Le bon théologien et philosophe a une pensée ouverte, c’est-à-dire incomplète, toujours ouverte au maius de Dieu et de la vérité, toujours en développement, selon la loi que saint Vincent de Lérins décrit ainsi : « annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate » (Commonitorium primum, 23 ; PL 50,668) [2]« . » La vérité se consolide avec les années, elle se développe dans le temps, devenant plus profonde avec l’âge.

D’une manière poétique, Juan Ramón Jiménez, Prix Nobel de littérature en 1956, reliait ainsi l’ancien et le nouveau : « Des racines et des ailes. Mais que les ailes s’enracinent et que les racines volent. » Cette découverte infinie de la vérité se trouve explicitée dans l’Évangile. Jésus exige du bon professeur qu’ « il tire de son trésor du neuf et de l’ancien » (Évangile selon saint Matthieu 13, 52). Le théologien n’est pas un répétiteur ni la vie spirituelle un moule. « Chacun va à Dieu par un chemin virginal », s’exclamait le poète Léon Felipe. Il n’y a pas un seul évangile mais quatre approches différentes du mystère de la vie de Jésus et ces quatre évangiles vont engendrer une multitude de commentaires et d’approfondissement au cours de l’histoire de l’Église qui manifesteront la richesse inépuisable de la Parole de Dieu, transmise de génération en génération sous l’action de l’Esprit Saint. Il y a pluralisme dans la présentation du mystère de Jésus dans les quatre évangiles. Il y a aussi un pluralisme théologique voulu par Dieu dans l’unité de la foi manifesté dans le Credo. Le pape François aime l’image et le modèle du polyèdre pour évoquer la théologie vécue en dialogue et dans l’inculturation.

Femme théologienne

Le pape François a insisté à Naples sur la nécessité de « promouvoir des processus ». La Vierge Marie, femme et mère, a œuvré au développement du salut dans le temps. La femme, de par son corps, a un rapport au temps différent de celui de l’homme. Elle connaît le processus mensuel de sa féminité féconde. Elle sait par son corps que le don d’elle-même à l’homme engagera un processus interne de maternité de neuf mois et pratiquement toute une vie au service de l’enfant. En ce sens, la Vierge Marie représente un modèle d’hospitalité de la Vie de Dieu et de la vie humaine ainsi qu’un paradigme dans l’amour durable, fidèle et absolu.

Marie a préparé la venue du Messie. Elle a impulsé la manifestation publique de Jésus à Cana lors de l’accomplissement du premier miracle dans l’Évangile selon saint Jean. Après l’Ascension de Jésus au Ciel, Marie a préparé la venue de l’Esprit Saint sur les apôtres en priant au Cénacle en communion avec les disciples de Jésus. Maintenant Marie prépare par son intercession la venue du Christ dans nos cœurs et son retour à la fin de l’histoire.

La maternité spirituelle de Marie envers l’Église et l’humanité ne va pas sans douleur. Si la tradition de l’Église parle de la virginité de Marie, avant, pendant et après son accouchement de Jésus, il n’en va pas de même de sa maternité spirituelle qui provoque en elle « des déchirures de l’âme » à comparer aux déchirures de la mise au monde.

Le pape François met en valeur la contribution des femmes à la théologie, à Naples et ailleurs dans le monde[3].

La théologie et le discernement

La plénitude de la pensée théologique passe par la sainteté. Il y a une sainteté de l’intelligence de la foi nécessaire aux théologiens. Seule la sainteté conduit au sommet de la théologie par l’intelligence de la foi. Les grands théologiens sont de grands saints. Marie, la toute sainte, la Mère du bel amour, brille au Ciel comme la grande théologienne. Saint Paul enseigne que l’amour donne le discernement : « Et voici ma prière : que votre charité croissant toujours de plus en plus s’épanche en cette vraie science et ce tact affiné qui vous donneront de discerner ce qui est important. » (Épître aux Philippiens, 1, 9-10).

Le théologien reçoit la mission de discerner les signes des temps et d’orienter la marche de l’histoire selon la volonté de Dieu. Les événements appellent interprétation et discernement en vue d’un choix pour que « nos peuples aient la vie en Jésus-Christ » selon le titre de la Ve Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes au sanctuaire brésilien d’Aparecida au mois de mai 2017 : « Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en lui (Jn 14, 6)[4] » Le cardinal argentin Jorge Bergoglio avait reçu la charge de diriger la rédaction finale de cette Conférence latino-américaine. Devenu pape, il enlèvera dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium[5] la conjonction « et » du début du titre pour mieux relier et de manière inséparable le fait d’être disciple et l’envoi en mission : « disciple-missionnaire ». Le disciple de Jésus, l’Envoyé du Père, est automatiquement missionnaire sinon il n’est pas un vrai disciple. Le missionnaire annonce Jésus comme témoin et disciple selon l’enseignement voulu par le maître qui l’a envoyé. A fortiori, le théologien exerce son ministère d’intelligence de la foi comme disciple-missionnaire, à l’image de la Vierge Marie, premier disciple de Jésus, la première chrétienne, ainsi que la première missionnaire de Jésus qu’elle a porté dans son sein. Lors de la Visitation à sa cousine Élisabeth, Marie porte en elle le Verbe fait chair. La présence de Jésus dans le cœur et dans le sein de Marie fait exulter d’allégresse Jean le Baptiste porté dans le sein de sa mère, Élisabeth. Marie a transmis la Bonne Nouvelle de la venue du Messie, le Verbe fait chair en elle.

La transmission de l’Évangile

Saint Thomas d’Aquin nous enseigne dans la Somme théologique « qu’il est plus beau d’éclairer que de briller seulement, de même est-il plus beau de transmettre aux autres ce qu’on a contemplé que de contempler seulement.[6] » Il y a des « stars », des étoiles qui brillent et des étoiles qui éclairent. Marie est une étoile qui éclaire. Contemplative dans l’action, elle voit Dieu en toute chose et toute chose en Dieu. Disciple-missionnaire de son fils Jésus, elle transmet la richesse du mystère de Dieu contemplé dans son cœur.

Marie n’a pas fait de prosélytisme. Elle a porté Jésus en elle comme mère physique et en tant que disciple et missionnaire. N’agissant jamais en mère possessive, Marie conduit toujours à Jésus comme le montrent les noces de Cana où elle oriente les serviteurs vers le seul Sauveur : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2, 5).

Marie a transmis aussi aux apôtres et à la première communauté chrétienne de Jérusalem son expérience de Dieu. Qui d’autre aurait pu renseigner les premiers chrétiens sur l’Annonciation et l’enfance de Jésus hormis sa propre mère, Marie ? Dans son ouvrage de vulgarisation exégétique « L’Évangile de Jésus-Christ », le père Marie-Joseph Lagrange commente cette transmission du mystère de l’Incarnation du Verbe par saint Luc, évangéliste et historien, qui relie la vie cachée du Sauveur à la grande histoire du temps : « C’est de la Mère de Jésus elle-même que les disciples tenaient ce qu’il y a de plus intime dans ses origines très humbles.[7] »

Femme juive, cent pour cent juive, première chrétienne, cent pour cent chrétienne, Marie relie à la manière d’un chaînon l’Ancien et le Nouveau Testament. En devenant chrétienne, elle accomplit sa foi juive. Fille d’Abraham, Marie établit un pont entre la Première Alliance et l’Alliance nouvelle et éternelle de Jésus-Christ. Elle fait passer l’ancienne Loi de Moïse dans la nouvelle Loi de Jésus, celle de l’Esprit Saint, répandu à la Pentecôte.

À la synagogue, Marie exulte de bonheur en entendant la lecture en hébreu de la Loi, des Prophètes et des Psaumes. Le commentaire a lieu en langue araméenne, la langue que Marie parle au quotidien. Elle connaît probablement quelques mots de la langue grecque et de la langue latine. Parler deux langues représente déjà un dialogue intérieur et deux regards différents sur le monde, ce qui facilite l’ouverture à l’altérité et la reconnaissance des valeurs dans l’autre.

Le dialogue interreligieux et interculturel passe par la connaissance et le pluralisme des langues. Le pape François désire « la rencontre des cultures avec les sources de la Révélation et de la Tradition », en allant dans le sens d’une « Pentecôte théologique ».

Par sa foi à l’Annonciation, Marie accueille le Verbe dans son sein au nom de toute l’humanité. Nouvelle Ève, elle devient cause de salut pour tous les hommes. Marie a accueilli le Fils de Dieu qui prendra chair en elle devenant ainsi la Tête de l’Église qui est le Corps du Christ, le Christ total : Jésus, la Tête, et les baptisés, ses membres. En accueillant le Fils de Dieu, Marie va accueillir aussi l’humanité sauvée par son Fils. Elle sera Mère de Jésus, Mère de Dieu et Mère de l’Église.

Le concile Vatican II, dans sa constitution « Gaudium et spes » (n°22), enseigne que par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est uni « en quelque sorte » à tout homme. Il y aura désormais un commun dénominateur entre la Sainte Trinité et tous les hommes : l’humanité de Jésus le Christ. Par cette humanité partagée, Jésus relie tout homme à l’amour trinitaire du Père, du Fils et de l’Esprit. Le dialogue interreligieux repose sur ce mystère de l’Incarnation où le Fils de Dieu rejoint et élève tout homme de bonne volonté à la gloire du Père. Le pape François travaille pour que les hommes se gardent mutuellement « dans l’unique famille humaine ».

Par ailleurs, la prière sur les offrandes de la messe en la fête de l’Annonciation, annonce la naissance de l’Église dans le sein de Marie en ce jour-là : « Daigne accepter, Dieu tout-puissant, les dons offerts par ton Église : elle n’oublie pas qu’elle a commencé le jour où ton Verbe s’est fait chair ; accorde-nous, en cette fête de l’Annonciation, de célébrer avec joie les mystères du Christ. »

Jésus étant la Tête de l’Église, là où se trouve la Tête du Corps tous les membres de l’Église présents et à venir, se trouvent aussi reliés dans l’Incarnation du Fils de Dieu. Si l’Église est née dans le sein de Marie au jour de l’Annonciation, selon la loi « lex orandi, lex credendi », chaque croyant en Jésus a Marie pour Mère spirituelle. Celle qui a donné la vie humaine au fils de Dieu, intercède comme mère spirituelle pour les membres du Corps de son Fils, l’Église. Bossuet définissait l’Église comme « le Christ répandu et communiqué ». La maternité de Marie est répandue en son Fils pour tous ceux qui l’accueillent avec foi et qui deviennent enfants de Dieu faisant corps avec le Fils unique de Dieu (cf. Jn 1, 12).

Marie agit avec sa tendresse maternelle de manière inclusive en veillant à rassembler tous les hommes. La joie de toute mère est de voir ses enfants réunis dans la paix et l’harmonie. Marie intercède auprès de son Fils Jésus pour que l’humanité se rencontre dans le respect et l’esprit fraternel. Marie prend la défense de chaque enfant de Dieu et elle favorise des liens entre les enfants fort différents les uns des autres dans un esprit d’égale dignité, l’opposé du « syndrome de Babel » commenté par le pape François, qui consiste « à ne pas écouter ce que dit l’autre et à croire que je sais ce que l’autre pense et ce que l’autre dira ».

En bonne éducatrice, Marie, mère de Jésus, cherche à effacer le désir de puissance et de domination, en apportant une culture du dialogue et du respect des différences entre les enfants des hommes. La violence étant le langage de ceux qui n’en ont pas, Marie met en lumière la Parole, le Verbe, le Logos en grec qui désigne la raison et la parole, et le dialogue, « dia-logos », en grec. Le dialogue dans l’Église ne correspond pas à une mode mais à l’être même de Dieu qui est dialogue entre le Père et le Fils dans la communion du Saint-Esprit. En ce sens, le dialogue représente une expérience de Dieu.

Théologie de la miséricorde

Aujourd’hui, dans les sanctuaires consacrés à la Mère de Dieu, Marie écoute, parle et donne la parole. Auprès de Marie, les hommes se sentent écoutés, respectés et aimés. Que de dialogues entre Marie et l’humanité sur les cinq continents depuis des siècles. Les malades, les humiliés et les pauvres ont confiance en Marie. Ils lui parlent et se confient à sa prière. En hébreu, le mot miséricorde vient du mot « utérus », « rehem » ; « rahamin », entrailles. Avoir miséricorde renvoie à la sensibilité intime de la mère devant la souffrance de son enfant. Frémissement et réaction. La Vierge Marie, Mère de miséricorde, frémit et réagit en faveur de ceux qui sont considérés ou plutôt déconsidérés comme des « déchets », les naufragés de l’histoire.

Une théologie de l’hospitalité et du dialogue

Modèle d’hospitalité, Marie exercera sa maternité spirituelle selon la volonté de Jésus sur le Calvaire. Le pape François voit dans le mystère pascal la clé de l’interprétation de l’histoire humaine. La Vierge Marie témoigne de la descente du Fils de Dieu sur la terre et dans les ténèbres du mal et de la mort. Debout, près de la croix, elle a vu son fils Jésus souffrir et mourir. La croix joue le rôle d’une clé qui permet d’ouvrir les portes du sens de l’histoire. Par la croix de Jésus le Christ, le théologien déverrouille les énigmes des événements. Au lieu d’interpréter l’histoire uniquement en fonction des rapports de force pour aboutir à un résultat matériel, la croix de Jésus interpelle les rapports sociaux et elle illumine le mystère de l’homme en dévoilant les pensées secrètes des hommes (cf. Évangile selon saint Luc 2, 35).

Si les évangiles ne rapportent pas d’apparition de Jésus ressuscité à sa mère, de nombreux saints et théologiens y croient dans une logique de l’amour filial : saint Vincent Ferrier O.P., saint Ignace de Loyola, le serviteur de Dieu, le père Marie-Joseph Lagrange, le saint pape Jean-Paul II et bien d’autres.

Marie est témoin de la descente et de l’Ascension de Jésus. Mère de miséricorde, comme le chante le Salve Regina, Marie frémit dans son sein devant les souffrances de l’humanité. Théologienne de la miséricorde et de la proximité, Marie est la femme la plus connue et la plus aimée au monde et dans l’histoire des hommes. Fille d’Israël, pays baigné par la mer Méditerranée, elle a chanté la miséricorde de Dieu dans le Magnificat.

Le pape François parle de la Méditerranée comme « un pont historique, géographique, humain entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Il cite Giorgio La Pira, ancien maire de Florence (Italie), laïc dominicain, qui proposait d’installer « une grande tente de paix », à l’image des tentes de la rencontre et de la justice décrites dans l’Ancien Testament. Il s’agit de se rassembler « sous la même tente », un tente commune, à l’image de la terre, appelée par François « la maison commune ». Le pape voit aussi dans la Méditerranée « la matrice historique, géographique et culturelle » de l’annonce du mystère de la mort et de la résurrection de Jésus ainsi que « le laboratoire » de la recherche théologique.

Notre-Dame des réfugiés

Marie et Joseph ont vécu la fuite en Égypte (cf. Évangile selon saint Matthieu 2, 13-16). Réfugiés politiques, s’éloignant de la menace du roi Hérode pour protéger la vie de l’enfant Jésus, ils ont souffert dans leur exil. Ils savent ce que c’est que d’être regardés comme des inconnus qui dérangent. Aussi pouvons-nous invoquer la Vierge Marie sous le vocable de « Notre-Dame des réfugiés » et saint Joseph, comme le patron des réfugiés.

Le pape fait appel à la création de nouveaux récits pour renforcer les liens entre les populations de la Méditerranée, caractérisées par le métissage et l’ouverture culturelle à l’autre. Pourquoi ne pas actualiser les paraboles de l’Évangile dans ce souci de renouveler les références littéraires symboliques de la Méditerranée ? La parabole du bon Samaritain[8], étranger détesté par les autorités de la capitale Jérusalem, qui prend soin d’une victime des bandits à la différence des gens religieux qui ferment les yeux sur ce malheur, pourrait illustrer la réalité des réfugiés étrangers dans la Méditerranée. Des gens bien-pensants et religieux peuvent faire semblant de ne pas voir leur souffrance et accorder la priorité au bien-être de leur famille ou de leur nation. Le saint pape Jean XXIII écrivait déjà avant la Seconde Guerre mondiale dans son journal spirituel : « Les deux grands maux qui intoxiquent aujourd’hui le monde sont le laïcisme et le nationalisme. (…) Au second les ecclésiastiques eux-mêmes apportent leur concours[9] ».

En Méditerranée, quand la tempête soulève le vent et les vagues qui menacent de renverser les bateaux, les marins se tournent vers la Vierge Marie. Un grand nombre de chapelles et d’ex-voto témoignent des grâces reçues.

Puisse l’intercession de la Vierge Marie, fille bien-aimée du Père, épouse du Saint-Esprit et mère de Jésus, le Fils de Dieu, obtenir à l’Église le renouvellement de la théologie et l’envoi de théologiens, hommes et femmes, ayant soif de vérité, de dialogue et de paix.

Saint-Denis (La Réunion. France), en la fête du Sacré-Cœur de Jésus et de saint Irénée de Lyon, le 28 juin 2019.

[1] Discours pour l’inauguration de l’École biblique de Jérusalem, le 15 novembre 1890. Le père Lagrange au service de la Bible. Souvenirs personnels, Paris, Cerf, 1967, p. 104.

 

[2] Pape François. Discours à la Communauté de l’Université Pontificale Grégorienne et aux Membres de l’Institut Biblique et de l’Institut Oriental Pontifical, 10 avril 2014, AAS 106 (2014), 374.

[3] Voir l’exemple en France des sœurs dominicaines de la Présentation de Tours : https://precheraufeminin.com/

[4] Ve Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes. Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en lui. Aparecida, Paris, Cerf, 2008.

[5] Pape François, La joie de l’Évangile, exhortation apostolique Evangelii gaudium, 24 novembre 2013.

[6] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, q. 188, art. 6.

 

[7] Marie-Joseph Lagrange, O.P., « L’Évangile de Jésus-Christ avec la synopse évangélique, traduite par le père Ceslas Lavergne, O.P. », préface de Jean-Michel Poffet, O.P., présentation de Manuel Rivero O.P.Paris, éditions Arthège/Lethielleux. 2017. P. 41.

[8] Cf. Manuel Rivero. Pour une théologie de la communication. Paris. Éditions Parole et silence. 2015. P. 29s. L’actualisation des paraboles.

[9] Jean XXIII. Journal de l’âme, écrits spirituels. Paris. Éditions du Cerf. 1965. P. 407.

 




Qu’est-ce que la contemplation ? (Thomas Merton)

La contemplation est la plus haute expression de la vie intellectuelle et spirituelle de l’homme. C’est cette vie même, pleinement alerte, active, consciente de sa vitalité. C’est un émerveillement spirituel. C’est un respect spontané devant le caractère sacré de la vie et des êtres. C’est la gratitude que nous éprouvons devant la vie, la connaissance et l’être. C’est une compréhension profonde qu’en nous, la vie et l’être procèdent d’une Source invisible, transcendante et infiniment généreuse.

La contemplation, c’est, par-dessus tout, la conscience que nous avons de la réalité de cette Source. Nous la connaissons de manière obscure, inexplicable, mais avec une certitude qui dépasse la raison et la simple foi. Car la contemplation est une sorte de vision spirituelle à laquelle aspirent la raison et la foi, par leur nature même, parce que, sans elle, foi et raison demeurent incomplètes. Cependant contemplation n’est pas vision, car elle voit « sans voir » et connaît « sans connaître ». C’est une profondeur de foi plus grande, une connaissance trop profonde pour les images, les paroles ou même les concepts précis. On peut tenter d’expliquer par des mots ou des symboles, mais l’esprit contemplatif, au moment même où il s’efforce de communiquer ce qu’il sait, retire ce qu’il avait dit, nie ce qu’il avait affirmé. Car il connaît par « inconnaissance », ou plutôt ce qu’il sait dépasse la connaissance ou l’inconnaissance ».

Bien qu’elle ait quelque chose de commun avec la poésie, la musique et l’art, l’expérience contemplative les dépasse, comme elle dépasse la philosophie et la théologie spéculative. Elle les résume et les accomplit, tout en semblant, par certains côtés, les remplacer et les repousser. La contemplation transcende toujours nos propres lumières, les systèmes, les explications, les entretiens, les dialogues, notre être même.

Pour entrer dans le domaine de la contemplation, nous devons, en un certain sens, mourir : mais cette mort n’est, en fait, que notre entrée dans une vie qui nous fait abandonner notre existence, nos pensées, notre expérience, nos joies et notre être tels que nous les connaissons ou les gardions précieusement.

C’est en ce sens que la contemplation semple remplacer et écarter toutes les autres formes d’intuition et d’expérience qui sont du domaine de l’art, de la philosophie, de la théologie, de la liturgie ou de ceux, plus courants, de l’amour et de la croyance. Mais ces refus ne sont qu’apparents : la contemplation est, et doit être, compatible avec toutes ces choses dont elle est l’accomplissement le plus achevé. Néanmoins toutes les autres expériences sont momentanément perdues pendant que dure l’expérience contemplative. Elles « meurent » pour renaître à un niveau plus élevé. En d’autres termes, la contemplation tend vers la connaissance et même l’expérience de Dieu, transcendant et inexprimable. L’âme connaît Dieu car elle Le touche presque ; ou plutôt, elle Le connait comme si elle avait été, invisiblement, touchée par Lui… par Lui Qui n’a pas de mains, mais Qui est Réalité pure et Source de toute réalité ! C’est pourquoi la contemplation est un don de prise de conscience subite, un éveil à la Réalité de tout ce qui est réel, une vive compréhension de l’Être Infini qui est à la racine même de notre être fini, de notre réalité contingente reçue comme un don de Dieu, un don gratuit de Son amour. C’est le contact existentiel dont nous parlons lorsque nous employons cette métaphore : « Être touché par Dieu. »

La contemplation, c’est aussi la réponse à un appel : l’appel de Celui qui n’a pas de voix, et qui cependant parle dans tout ce qui est, et surtout dans les profondeurs de notre être, car nous sommes, nous-mêmes Ses paroles. Mais ces paroles sont destinées à Lui répondre, à Lui faire écho, et même, en un certain sens, à Le comprendre et à L’exprimer. Cet écho, c’est la contemplation, c’est cette profonde résonance au plus intime de notre esprit, lorsque notre vie même perd sa voix distincte et que seules la majesté et la miséricorde du Dieu vivant et caché la font retentir. Il répond Lui-même en nous, et cette réponse, c’est la vie divine, la force créatrice divine, qui renouvelle toutes choses. Nous devenons nous-mêmes Son écho et Sa réponse, comme si, en nous créant, Dieu nous avait posé une question, qu’en nous appelant à la contemplation Il y répondît, de sorte que le contemplatif est, à la fois, question et réponse.

Aussi la vie contemplative implique-t-elle deux degrés de compréhension : il faut d’abord connaître la question, puis la réponse. Et bien que ce soient deux degrés distincts et totalement différents, ils reviennent au même. La question est elle-même la réponse. Et nous-mêmes sommes à la fois l’une et l’autre. Mais nous ne pouvons le savoir avant d’avoir atteint le second degré de compréhension. Nous percevons alors, non pas que la réponse est absolument distincte de la question, mais que la question est sa propre réponse. Tout se résume non dans un concept, mais dans une expérience : « Je suis ».

La contemplation dont nous traitons ici n’est pas philosophique. Ce n’est pas la compréhension statique de principes métaphysiques essentiels perçus comme des objets spirituels, immuables et éternels. Ce n’est pas la contemplation d’idées abstraites. C’est la prise de conscience religieuse de Dieu, à travers une vie en Dieu, ou par une « filiation », comme l’exprime le Nouveau Testament. « Car ceux qui sont conduits par l’Esprit Dieu sont les fils de Dieu… L’Esprit Lui-même prouve à notre esprit que nous sommes les fils de Dieu… » « Et à tous ceux qui L’ont reçu, Il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu… »

Aussi la contemplation dont il est question ici est-elle un don religieux transcendant. Nous ne pouvons l’acquérir seuls, par des efforts intellectuels, ou en perfectionnant nos talents naturels. Ce n’est pas une sorte d’hypnose à laquelle nous parvenons en nous concentrant sur notre être spirituel. C’est un don de Dieu qui, dans Sa miséricorde, complète en nous le travail mystérieux et caché de la création en éclairant nos esprits et nos cœurs, et en nous faisant comprendre que nous sommes des paroles englobées dans Son Verbe unique, que l’Esprit Créateur (Créator Spiritus) demeure en nous, et nous en Lui, que nous vivons dans le Christ et le Christ en nous, que notre vie naturelle a été complétée, élevée, transformée et accomplie dans le Christ, par le Saint-Esprit. La contemplation, c’est la compréhension, et même, en un certain sens, l’expérience, de ce que croient obscurément tous les Chrétiens : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »

C’est pourquoi la contemplation est davantage que la méditation de vérités abstraites sur Dieu, davantage même qu’une méditation affective sur ce que nous croyons. C’est l’éveil, l’illumination et l’étonnante compréhension intuitive par lesquels l’amour acquiert la certitude de l’intervention créatrice et puissante de Dieu dans notre vie quotidienne. C’est pourquoi la contemplation ne se contente pas de « découvrir » une idée claire de Dieu, pour Le laisser dans les limites de cette idée, comme un prisonnier vers lequel elle peut toujours se tourner. La contemplation, au contraire, est transportée par Dieu dans Son royaume, Son mystère et Sa liberté. C’est une connaissance pure et virginale, pauvre en concepts, plus pauvre encore en raisonnements, mais capable, par cette pauvreté et cette pureté mêmes, de suivre le Verbe « partout où Il va ».

 

Extrait de « Semences de contemplation » aux Editions POINTS.




La démarche contemplative, fondement de la seule vraie liberté…

Célébrez la vie contemplative n’est pas rejeter toute autre forme de vie, mais chercher un fondement solide pour toutes les autres activités humaines. Sans le silence et le recueillement de la vie intérieure, l’homme perd contact avec ses vraies sources d’énergie, de clarté, et de paix. Quand il tente d’être son propre dieu et veut à toutes forces tout régenter, tout se rappeler, et tout maîtriser, il œuvre à sa propre perte. Car lorsqu’il se croit puissant, c’est alors qu’à tout moment il se trouve dans le plus extrême besoin – de connaissance, de force, de maîtrise des choses -, et tributaire d’une foule d’instruments. Mais lorsqu’il se souvient de la puissance indéfectible de Dieu, et s’avise qu’en sa qualité de fils de Dieu, cette puissance lui appartient déjà, il n’a plus à penser à ce dont il a besoin. Car cela lui sera donné quand il le faudra, et en ce sens, Dieu pensera et agira à sa place.

Que ce soit là une conduite de fuite, l’homme moderne a peut-être été tenté de le penser. En réalité, c’est le plus noble et le plus simple des courages : le courage faute duquel on ne peut affronter la vie telle qu’elle est, et faute duquel elle perd son vrai sens. C’est le message central du Sermon sur la montagne :

Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas plus qu’eux ?… Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain s’inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine (Mt 6, 25-34).

Il est bon ton aujourd’hui de faire état du mal qui règne dans le monde comme démontrant la fausseté de cet enseignement sur la Providence. Mais l’ironie, c’est que les plus grands maux dont souffre aujourd’hui le monde (guerres, génocide, esclavage, exil massif, pauvreté, déchéance) sont tous la conséquence directe du rejet par l’homme de cet enseignement du Christ. On ne peut pas servir deux maîtres. Si nous avons rejeté Dieu et choisi Mammon, et que la conséquence en soit ce que l’on nous avait prédit, pourquoi donc nous plaindre ?

La vie contemplative, par conséquent, est de la plus grande importance pour l’homme moderne, et cela, au niveau de tout ce qui est le plus valable dans son idéal. Aujourd’hui plus que jamais, l’homme enchaîné cherche l’émancipation et la liberté. Sa tragédie, c’est qu’il la cherche par des moyens qui l’amènent à toujours davantage s’asservir. Or la liberté est chose spirituelle. C’est une réalité sainte et religieuse. Ses racines ne sont pas en l’homme, mais en Dieu ; car la liberté de l’homme, qui fait de lui l’image de Dieu, est une participation à la liberté divine ; l’homme est libre dans la mesure où il ressemble à Dieu. Sa lutte pour la liberté est donc en fait une lutte pour renoncer à une autonomie fausse et illusoire afin de devenir libre par-delà lui-même et au-dessus de lui-même : en d’autres termes, pour être libre, il lui faut être libéré seulement de l’un de ses semblables : car la tyrannie de l’homme sur l’homme n’est que l’expression extérieures de l’asservissement de chacun à ses propres désirs. Car être l’esclave de ses propres désirs, c’est nécessairement exploiter autrui de manière à payer tribut au tyran intérieur.

Avant que puisse exister la moindre liberté extérieure, l’homme doit apprendre à découvrir en lui-même le chemin de la liberté. Alors seulement en effet, il peut se permettre de desserrer son emprise sur les autres et de les laisser se détacher de lui, car alors, il n’a pas besoin de leur dépendance à son égard. C’est le contemplatif qui garde vivante dans le monde cette liberté, et qui montre aux autres, obscurément et à son insu, ce que signifie la liberté réelle.

C’est pourquoi saint Grégoire de Nysse disait que l’homme vraiment libre, c’était le contemplatif, qui avait restauré dans son âme l’image de Dieu ; lui seul en effet pouvait marcher avec Dieu comme Adam avait marché avec lui au paradis. Lui seul pouvait se tenir debout et parler librement à Dieu son Père, en pleine confiance. Lui seul pouvait dignement assumer sa dignité de fils de Dieu et de roi de la création divine : L’âme humaine manifeste alors fièrement son caractère royal, hors de toute bassesse, en ce qu’elle est sans maître, autonome, disposant souverainement d’elle-même… (De Hominis Opificio, Patrologia Graeca, 44, 136).

Thomas Merton, « L’expérience intérieure » aux éditions du Cerf.