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Dieu ne se laisse pas saisir ou expliquer par nos mots : il se vit…

La réalité profonde de l’histoire humaine, c’est l’homme lui-même, l’homme, fils et image de Dieu. Cette réalité n’est pas seulement humaine mais divine, car Dieu s’est uni l’homme à lui dans le Christ. Mais bien qu’on puisse la conceptualiser et la symboliser, cette réalité divine, qui est le cœur de l’histoire, ne peut en aucun cas être pleinement saisie ou contenue dans un symbole. On peut isoler[1] la réalité dans un symbole, mais il faut alors se rappeler qu’elle n’est pas le symbole, mais il faut alors se rappeler qu’elle n’est pas le symbole, et que le symbole, de son côté est incapable de communiquer la pleine réalité. Si bien qu’il faut être capable de dire, aussitôt après avoir utilisé le symbole : « Mais la réalité, ce n’est pas cela. » Qu’est-ce que la réalité ? Une seule réponse à cela : elle est inconnue, mais on la connaît par l’Inconnaissance.

Nous voici ramenés à la nécessité d’une profonde pénétration contemplative de la réalité. L’expression en elle-même est équivoque, évidemment. Mais quiconque a suivi avec attention notre traitement du sujet dans les pages qui précèdent fera d’instinct à présent les ajustement requis : la « réalité » à travers laquelle le contemplatif « pénètre » afin de trouver le contact avec ce qu’il y a de plus « profond » en elle, c’est en fait son être à lui, sa vie à lui. N’est pas contemplatif celui qui projette sur d’autres objets une intuition spirituelle magique, mais celui qui, étant parfaitement unifié en lui-même et recueilli au centre de son humilité, entre en contact avec la réalité par une immédiateté oublieuse[2] , pour ainsi dire, de la division entre sujet et objet. En un certain sens, c’est en se perdant et en s’oubliant comme objet de réflexion qu’il se trouve lui-même, et avec lui toute autre réalité. Ce genre de « trouvaille » se situe au-delà des concepts et au-delà des réalisations concrètes.

Le contemplatif ne se propose pas d’acquérir une sorte de maîtrise intuitive de l’histoire, ou de l’esprit humain, ou des choses divines. Il cherche à rejoindre le centre de sa propre vérité vivante, ou de l’esprit humain, ou des choses divines. Il cherche à rejoindre le centre de sa propre vérité vivante, et arrivé là, tout ce qu’il a besoin de percevoir de ces autres mystères lui est accordé au moment où il en a besoin. S’il n’a besoin de rien, rien ne lui est accordé. Et si rien ne lui est accordé, rien non plus n’est désiré. La sagesse du contemplatif, par conséquent, n’est pas la sagesse de celui qui a besoin de posséder savoir et culture (encore qu’il puisse être homme de culture) ; c’est la sagesse de celui qui, vivant dans l’oubli de lui-même et l’oubli de la sagesse, ne cherche pas à rien posséder parce qu’il n’a besoin de rien. Tout ce dont il a besoin lui vient de Dieu, avant même qu’il commence à en sentir le besoin.

[1] Au sens physico-chimique (N. d. T.)

[2] En anglais : … an immediacy that forgets the division…

                 Thomas Merton, “L’expérience intérieure”




Quelques clés pour la recherche de la vie intérieure…

La vie contemplative est fondamentalement une vie d’unité. Le contemplatif est un homme qui a dépassé les divisions pour atteindre une unité qui transcende toute division. Il est vrai qu’il doit commencer par se séparer des activités ordinaires des hommes dans une certaine mesure. Il lui faut se recueillir, se tourner vers l’intérieur, de manière à découvrir le centre intime d’activité spirituelle qui lui reste inaccessible tant qu’il est immergé dans le cours extérieur de la vie. Mais aussitôt ce centre découvert, il est de la plus grande importance qu’il prenne conscience de ce qui suit.

Les contemplatifs contrariés[1] sont pour nombre d’entre eux, des gens qui ont réussi à rompre avec les distractions[2] extérieures et se frayer un chemin jusqu’au centre spirituel de leur être. Ils ont perçu par moments la présence de Dieu et les possibilités ouvertes par la vie contemplative. Mais ils se sont imaginé que le moyen de la vivre, c’était de rester assis en silence, recroquevillés sur eux-mêmes, à couver l’expérience intérieure qu’ils ont découverte. C’est une méprise fatale. D’abord, elle entraîne l’isolement du contemplatif à l’intérieur de lui-même, et le coupe de toutes les autres réalités. Mais ce faisant, il ne fait que s’absorber tout entier en lui-même. Son introversion l’amène à une sorte d’emprisonnement torpide en lui-même, ce qui est l’arrêt de mort évidemment de toute vraie contemplation.

Il ne faut pas confondre contemplation et abstraction (au sens étymologique). La vie contemplative ne consiste pas en un retrait permanent à l’intérieur de son esprit. Le fait pour un petit groupe spécialisé et isolé de choisir une existence diminuée et limitée ne suffit pas pour qu’il y ait « contemplation ». Le vrai contemplatif n’est pas moins attentif que les autres à la vie normale, pas moins concerné par ce qui se passe dans le monde, mais au contraire, plus attentif, plus concerné. Et ceci, du fait même qu’il est contemplatif. Puisqu’il est détaché, puisqu’il a reçu le don d’un cœur pur, il n’est pas limité à des vues étroites et provinciales. Il ne se laisse pas facilement entraîner dans l’espèce de confusion superficielle que la plupart des hommes prennent pour la réalité. Et c’est pourquoi il voit plus clairement, et pénètre plus directement, la pure factualité[3] de la vie humaine. Ce qui le distingue des autres hommes, et lui donne sur eux un net avantage, c’est qu’il a une appréhension beaucoup plus spirituelle de ce qui est « réel » et ce qui est « factuel »[4]

Il a le don inestimable d’apprécier à leur vrai prix les valeurs qui sont permanentes, authentiquement profondes, humaines, vraiment spirituelles, et même divines… Sa mission est d’être un homme complet et équilibré, animé du besoin instinctif et généreux d’aider à développer ce même équilibre chez autrui et dans toute l’humanité. Il y arrive cependant non point en vertu de dons supérieurs et de talents particuliers, mais grâce à la simplicité et à la pauvreté qui sont essentielles à son état, parce qu’elles seules lui permettent de poursuivre sur sa voie qui est spirituelle, divine, et passe toute compréhension.

Thomas Merton, « L’expérience intérieure »

[1] En anglais : frustrated.

[2] Toujours au sens pascalien de « divertissement » (N. d. T.).

[3] En anglais : the pure actuality of human life.

[4] En anglais : …he has a much more spirutal grasp of what is « real » and what is « actual ».




Accepter la pauvreté de notre prière…

Le développement le plus significatif de la vie contemplative « dans le monde », c’est l’émergence de petits groupes d’hommes et de femmes qui vivent à tous égards comme les laïcs de leur entourage, à part le fait qu’ils sont consacrés à Dieu et centrent toute leur vie de travail et de pauvreté sur la contemplation. C’est ainsi que sont nées les Fraternités des Petits Frères de Jésus… La seule chose qui distingue leur habitat de celui de n’importe quel autre travailleur, c’est le fait qu’il s’y trouve un autel, un tabernacle et le Saint Sacrement… Ce dernier est le cœur vivant de leur vie contemplative. Ils passent le plus possible de leur temps libre en adoration silencieuse devant le tabernacle, de jour ou de nuit. Naturellement, comme l’a souligné leur supérieur, le frère René Voillaume, ils doivent s’attendre à la pauvreté là aussi et pleinement l’accepter dans leur contemplation. Leur vie est celle des pauvres à tous égards, leur prière doit donc l’être également ; d’où par conséquent des distractions, la lassitude, l’incapacité à méditer, le manque de ferveur sensible, le désarroi, la faiblesse, et même, apparemment, l’échec. Mais c’est ici le lieu de citer quelques mots sur ce sujet dus à la plume de René Voillaume :

« Votre constante inquiétude est de savoir comment trouver dans votre vie les conditions d’une prière authentique et comment vous y prendre pour vous y livrer généreusement. Il vous est même peut-être arrivé de douter, à certains moments, que ce soit possible. Devant la gravité de ce problème, j’avoue m’être senti parfois comme à l’entrée d’un chemin inconnu, d’un sentier terriblement étroit et dangereux. Avais-je le droit de vous y pousser ? Mais comment faire autrement…

Les chemins les plus abrupts sont souvent les meilleurs, les plus rapides, car ils sont peu propices à la flânerie en cours de montée… Il faut en prendre notre parti ; à l’heure de la prière, nous serons la plupart du temps incapables de méditer, de penser. Et toute la question est de savoir si une autre voie s’offre à nous pour rejoindre Dieu dans la prière…

Nous allons à Dieu de tout notre être, comme nous le pouvons. Nous y allons d’abord par toutes nos activités humaines que surnaturalise la présence de la grâce en nous. Mais déjà, et de plus en plus, c’est la foi, l’espérance et la charité vivantes en nous qui nous portent en Dieu même. Là, il vous faudra beaucoup de courage. Mais il faut savoir que de tels actes ne dépendent pas des impressions sensibles et « consolées » que nous en avons. Il vous suffit de savoir que nous sommes Fils de Dieu, et que nous voulons nous donner à Lui. La meilleure partie de notre être n’est pas celle que nous pouvons sentir » (René VOILLAUME, Au cœur des masses, Ed. du Cerf, 1950).

Extrait de « L’expérience intérieure » de Thomas Merton




Le désir de la contemplation (Thomas Merton)

Quoique nous puissions penser du champ couvert par la vocation contemplative (si elle est ou non, à notre avis, « ouverte à tous »), le fait est que c’est quelque chose d’ordinaire », du moins en droit, dans toutes les religions évoluées. Partout en effet, que ce soit dans le christianisme ou le bouddhisme, l’hindouisme et l’islam, on trouve des exemples de vie contemplative, au moins au sens large. Partout, on trouve au moins une forte aspiration naturelle à l’unité intérieure et à la communion[1] intuitive avec l’Absolu. Et partout, on trouve l’une ou l’autre expression de quelque forme d’expérience spirituelle, souvent naturelle, parfois surnaturelle. Cette dernière est possible théoriquement au moins n’importe où sous le soleil pour n’importe quel homme droit en quête sincère de la vérité, et qui répond aux inspiration de la grâce divine.

C’est ici évidemment un sujet délicat et subtil, e je n’ai pas voulu entrer dans les questions âprement débattues qui surgissent de tous côtés à son propos. Mais il me semble nécessaire d’avoir quelque compréhension des faits, et que pour cela, le mieux est de les voir sous leur angle le plus simple et moins sensationnel. Car il ne faut pas exagérer, déformer, et magnifier, la contemplation. Elle est essentiellement simple et humble. Nul ne peut y entrer que par le chemin de l’obscurité et de l’oubli de soi. Elle implique également toute une discipline, mais par-dessus tout celle, normale, de la vertu quotidienne ; notamment la justice envers autrui, l’honnêteté intellectuelle, beaucoup de travail, l’absence d’égoïsme, la fidélité aux devoirs de son état de vie, l’obéissance, la charité, l’esprit de sacrifice. Nul ne devrait se laisser leurrer par ses aspirations contemplatives s’il n’est pas prêts à assumer, en premier lieu, les travaux et obligations ordinaires de la vie morale. La contemplation n’est pas une espèce de raccourci magique et facile pour arriver au bonheur et à la perfection. Et pourtant, puisqu’elle vous met effectivement en contact avec Dieu dans une relation je-Tu d’amitié mystérieusement expérimentée, elle apporte nécessairement cette paix que le Christ a promise et que « le monde ne peut pas donner ». Il peut y avoir beaucoup de désolation et de souffrance dans l’esprit du contemplatif, mais il y a toujours plus de joie que de chagrin, plus d’assurance que de doute, plus de paix que de désolation. Le contemplatif est un homme qui a trouvé ce que tout homme, d’une façon ou d’une autre, recherche.

S’il en est bien ainsi, il est à coup sûr légitime que tout un chacun désir et recherche cet accomplissement de soi, cette expérience de la réalité, cette voie d’entrée dans la vérité. Mais ici encore, on se heurte à un paradoxe : si ce désir est, en soi, légitime, est-il néanmoins licite pour ceux qui se méprennent totalement à son sujet ? Doit-on encourager quelqu’un à désirer la contemplation s’il est pour le moment incapable d’en saisir la vraie nature et plus encore, de remplir les conditions requises ?

Laissons tout un chacun la désirer, dirai-je, pourvu seulement qu’il soit sincère et réfléchi et qu’il reste ouvert à la vérité. Rigidité et préjugés sont les grands obstacles à la contemplation. Celui qui croit savoir à l’avance ce qu’elle est s’empêche d’en découvrir la vraie nature puisqu’il est hors d’état de changer d’avis[2] et d’admettre quelque chose de totalement nouveau. Celui qui croit que la contemplation est chose sublime et spectaculaire n’est pas réceptif à l’intuition d’une Réalité suprême et transcendante, et en même temps immanente à son moi ordinaire. Celui qui a besoin d’être exalté, et pour qui le mysticisme est le summum de l’ambition humaine, ne pourra jamais connaître la libération accordée à ceux-là seuls qui ont renoncé à réussir. Et puisque nous sommes pour la plupart rigides, attachés à nos idées, convaincus de notre sagesse, fiers de nos capacités, et livrés à l’ambition personnelle, le désir de la contemplation est dangereux pour n’importe lequel d’entre nous. Mais si nous voulons vraiment nous libérer de ces péchés, il y a des chances pour que le désir de la liberté contemplative et de l’expérience de la réalité transcendante s’éveille en nous de lui-même, à notre insu ; et que ce désir soit satisfait presque avant que nous en prenions conscience. C’est ainsi que se réalise une vraie vocation contemplative.

Extrait de « L’expérience intérieure », par Thomas Merton (Editions du Cerf)

[1] « communion » remplace « contact ».

[2] En anglais : change his mind, expression toute faite équivalente en général à un simple changement d’avis ou d’opinion. Faute de mieux, j’ai utilisé la traduction habituelle même si elle laisse ici à désirer dans la mesure où il s’agirait en fait d’une véritable conversion de l’esprit (N. d. T.).




Donner sa juste place à l’expérience spirituelle (Thomas Merton)

Le grand danger auquel doit faire face tout homme qui prend l’expérience spirituelle au sérieux est celui de l’illuminisme, ou (pour reprendre le terme utilisé par Mgr Knox) de l’ « enthousiasme »[1]. Le problème ici consiste à prendre son expérience subjective tellement au sérieux qu’elle devint plus importante que la vérité, plus importante que Dieu. A partir du moment où l’on objective l’expérience spirituelle, elle devient une idole. Elle devient une « chose », une « réalité » que nous servons. Or nous n’avons pas été créés pour le service d’une « chose » quelconque, mais pour le service de Dieu seul, qui n’est pas, ni ne peut être, une « chose ». Servir Celui qui n’est pas un « objet », c’est cela, la liberté. Vivre en vue de l’expérience spirituelle, c’est l’esclavage, et pareil esclavage rend la vie contemplative tout aussi séculière (encore que plus subtilement) que le service de n’importe quelle autre « chose », si vile soit-elle : argent, plaisirs, réussite. De fait, ce qui a perdu bon nombre de contemplatifs en herbe est cette avidité de réussite spirituelle. C’est pourquoi, dès le début de cet essai, j’ai insisté sur le danger qu’il y avait à se proposer le « bonheur » comme but dans la vie de contemplation. Et ce danger est d’autant plus grand qu’est pur et parfait le contentement procuré par les choses spirituelles ; et d’autant plus difficile à soumettre à une critique objective.

D’où le risque d’attacher une importance exclusive à notre expérience personnelle, et de croire que toutes nos intuitions nous viennent de Dieu. Les pires erreurs peuvent passer pour la vérité quand on a oublié d’analyser les mouvements qui naissent dans le cœur paré de la lumière de l’inspiration…

L’expérience spirituelle serait recherchée pour elle-même. Mais ce genre d’attachement est aussi dangereux, sinon plus, que tout autre. Saint jean de la Croix, notamment, a mis en garde contre le fait d’ajouter foi trop rapidement même à des visions et des inspirations que tout paraît indiquer comme venant gratuitement et directement de Dieu :

« Bien que ces jouissances répandues dans les sens corporels puissent venir de Dieu, on ne doit jamais s’y fier ni les admettre : ceci est bien à noter. Tout au contraire, il faut les fuir absolument, sans examiner si elles procèdent du bon ou du mauvais esprit. Plus elles sont extérieures et corporelles, plus il est douteux que Dieu en soit l’auteur… Aussi celui qui donne son estime à ces choses sensibles s’égare notablement et se met en grand danger d’être trompé. A tout le moins, il y rencontre un obstacle absolu à son élévation aux choses spirituelles. »

                                                           La Montée du Carmel, livre 2, chap. 11, 2-3 (Œuvres).

C’est là une observation importante, parce qu’elle montre que ce qui compte réellement dans l’expérience spirituelle n’est pas son intériorité, ou sa pureté naturelle, ou la joie, la lumière, l’exaltation, et l’influence transformatrice qu’elle paraît avoir : ce sont là choses secondaires et accidentelles. Ce qui compte n’est pas ce qu’on ressent, mais ce qui se produit réellement, au-delà du sentir ou de l’expérience. Ce qui a lieu dans la vraie contemplation, c’est un contact entre la réalité intime de la personne créée et la Réalité infinie de Dieu. L’expérience qui accompagne ce contact peut bien être un signe plus ou moins fidèle de ce qui a eu lieu ; mais l’expérience (la vision, l’intuition) n’est qu’un signe et qui plus est, dissociable de n’importe quelle réalité et réductible à une simple forme vide. L’illuministe est celui qui s’attache au signe, à l’expérience, sans égard pour la substance invisible d’un contact qui transcende l’expérience…

Le vrai contemplatif aime la sobriété et l’obscurité. Il préfère tout ce qui est discret, humble, sans prétention. Il n’est pas amateur de grandes exaltations spirituelles. Elles le fatiguent vite. Il incline vers ce qui paraît n’être rien, qui lui dit peu ou pas grand-chose, qui ne lui promet rien ; Il n’y a que celui qui sait rester en paix dans le vide, sans projets ou vaines rêveries[2], sans discours pour justifier son apparente inutilité, qui soit à l’abri de l’attrait fatal[3] exercé par ses sortes d’impulsions spirituelles qui le poussent à s’affirmer et à « être quelque chose » aux yeux des autres. De tous les esprits religieux, le contemplatif est celui qui est le plus susceptible de se rendre compte qu’il n’est pas un saint, et le moins désireux de passer pour tel aux yeux des autres. Il est en effet libéré de la sujétion aux apparences, et n’en a que faire. En même temps, puisqu’il n’a ni l’envie ni le besoin de se poser en rebelle, il n’a pas à afficher son mépris des apparences. Il les ignore, un point c’est tout. Elles ne l’intéressent plus. Il se satisfait parfaitement d’être regardé comme un simple d’esprit si nécessaire, et il a en cela une longue tradition derrière lui. Saint Paul disait il y a longtemps qu’il était heureux d’être regardé comme « fou pour l’amour du Christ ». Et l’Eglise d’Orient a ses fols en Christ, les yurodivi, imités à l’occasion en Occident par des hommes comme saint François d’Assise et beaucoup d’autres. Le contemplatif n’a pas besoin de se vouloir systématique en rien, même en ce qui concerne sa « folie » apparente. Il se contente de la sagesse de Dieu, qui est folie pour les hommes non point parce qu’elle est contraire à la sagesse humaine, mais parce qu’elle lui est totalement transcendante…

 

Thomas Merton (L’expérience intérieure; Editions du Cerf)

[1] Ronald Arthbutnott Knox (1888-1957), anglican converti au catholicisme (1917), et ordonné prêtre en 1919… Parmi ses écrits, figure notamment A Spiritual Aeneid and Enthusiasm, une histoire des mouvements charismatiques et sectaires dans le christianisme.

[2] En anglais : …without projects or vanities…

[3] « Fatal », en anglais, peut signifier aussi bien « mortel » que « fatal » (N. d. T.).




Exhortation Apostolique « GAUDETE ET EXSULTATE » du Saint-Père 
FRANÇOIS sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel

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EXHORTATION APOSTOLIQUE GAUDETE ET EXSULTATE




Les éléments essentiels de la contemplation spirituelle (Thomas Merton ; 11)

  • Cette mise à l’épreuve de l’individu peut à l’occasion être intensifiée par les conditions institutionnelles. L’angoisse et la peur qui le font renoncer à sa précaire fidélité à des inspirations purement intérieures procèdent d’un conflit intime de valeurs. Être appelé à entrer dans l’obscurité de la contemplation, c’est être appelé à renoncer aux schèmes familiers et conventionnels de pensée et d’action pour juger en fonction d’un critère totalement nouveau et caché : la lumière invisible de l’Esprit Saint. Ce qui évidemment, d’un certain point de vue, est lourd de danger. Comment savoir qu’on est guidé par Dieu et non par le diable ? Comment faire la distinction entre grâce et illusion ?

Ce conflit est particulièrement délicat. Puisque d’un côté il est certain que Dieu guide le contemplatif par des inspirations personnelles (au moins en ce qui concerne la prière intérieure), l’appel à la contemplation ne peut qu’être une invite directe à quitter les voies ordinaires et familières de la vie intérieure pour vivre (ou du moins prier) suivant d’autres règles : non pas celles des livres et manuels de piété, mais les inspirations concrètes de Dieu ici et maintenant. Mais de l’autre côté, on n’est pas toujours sous la conduite directe de Dieu, et en même temps on reste membre d’un groupe social plus ou moins institutionnalisé, avec ses normes objectives de vie auxquelles on est tenu de se conformer.

On peut dire tout de suite que les inspirations de l’Esprit Saint sont rarement en désaccord total avec les normes sainement traditionnelle[1] des sociétés religieuses. Il n’empêche que l’histoire des saints est pleine de cas où ceux qui étaient sous la conduite directe de Dieu furent en butte à la réprobation virulente de saintes gens professionnels. Le procès de Jeanne d’Arc en est la meilleure illustration. La vie du contemplatif a tendance à être marquée par une tension et un conflit permanents entre ce qu’il ressent comme les mouvements intérieurs de la grâce, et les pressions extérieures et objectives exercées sur lui par la société[2] aux lois de laquelle il est soumis. Cette tension est encore aggravée quand on s’avise que les faux mystiques sont toujours prêts à revendiquer une dispense des normes sociales au nom de l’inspiration privée. Et la société[3] elle-même, s’exprimant par la voix de ses membres les plus avertis, ne se fait pas scrupule de rappeler ce fait à l’intéressé.

Même lorsque celui-ci ne se voit pas expressément interdire de suivre ce qu’il croit profondément être l’inspiration divine (et le cas n’est pas si rare que cela), il peut très bien se sentir continuellement et totalement en désaccord avec les idéaux admis par son entourage. Leurs exercices spirituels peuvent lui paraître ennuyeux et n’être qu’une perte de temps ; leurs sermons et leur conversation, le laisser accablé par un sentiment de vanité, comme bombardé de mots vides de sens ; leurs offices solennels, leur enthousiasme par rapport au plain-chant et au cérémonial liturgiques, lui voler le goût délicat d’une manne intérieure qui ne se trouve pas dans les prières toutes préparées et les rites extérieurs. Si seulement il pouvait être seul et au calme, et rester dans le vide, l’obscurité, la vacance d’esprit[4] où Dieu parle, et avec quel effet bouleversant ! Mais non, il se voit imposer des lumières et des bouquets spirituel[5], penser et dire des paroles, chanter des « Alleluias » dont un autre veut lui faire partager l’allégresse. Il lui faut s’évertuer à faire son miel de paroles – à son goût – affreusement vulgaires et écœurantes : non pas à cause de ce qu’elles aspirent à dire, mais simplement parce qu’elles sont de seconde main. On me dit que chez certains peuples du Proche-Orient c’est une marque d’honneur, dans un festin, que l’hôte donne à l’invité un morceau qu’il a lui-même en partie mâché. Pour un contemplatif, la vie dans une communauté consacrée à la prière finit par devenir ce genre de banquet du matin au soir : on est toujours là à essayer d’avaler une friandise que quelqu’un d’autre a mâchée le premier. La réaction naturelle est de la recracher. Mais on n’ose pas, ou alors, on éprouve une culpabilité insupportable.

Ce conflit douloureux serait plus aisément évité si les institutions monastiques n’étaient pas devenues tellement rigides et stéréotypées ces derniers siècles, et si elles n’avaient pas très largement perdu contact avec le solide bon sens de la tradition antique. Rien en réalité n’est plus contraire à la vie contemplative qu’un excès de règles. Les règles sont nécessaires, certes, mais la vie sous une règle monastique n’est nullement condamnée à être strictement encadrée, d’autant que toutes les règles saines prévoient des exceptions dans les cas individuels, et laissent le soin au supérieur de décider si et quand – en raison de sa santé, de son emploi, ou même de sa vie intérieure – un moine a besoin de bénéficier d’un régime plus personnel. Il a toujours été entendu dans le monachisme oriental, par exemple, qu’en avançant en âge, le moine pouvait se donner plus complètement à la contemplation et à la solitude. Dans ce cas, il peut vivre seul comme ermite ou comme reclus (comme l’attestent les nombreux ermites des grottes du mont Athos encore aujourd’hui), ou du moins, dans un cenobium, profiter d’heures de prière plus longues. Si l’on prévoit que passée une certaine étape de votre développement spirituel, l’Esprit Saint prendra la relève et dirigera votre vie à son gré, il est compréhensible qu’une certaine latitude d’action lui soit laissée. Il va sans dire bien sûr que l’indiscipline[6] et l’entêtement irréductible[7] sont la marque évidente qu’on n’est pas guidé par l’Esprit Saint.

Malheureusement, la tendance moderne en Occident consiste à assimiler « la volonté de Dieu » et « l’action de l’Esprit Saint » à la norme habituelle et universelle sans laisser place à l’épanouissement de grâces spéciales chez un individu. Chaque fois qu’il y a conflit entre l’intérieur et l’extérieur, c’est toujours l’extérieur qui doit l’emporter. Il faut toujours, et par-dessus tout, se conformer à l’idée collective. Or s’il est vrai que ce peut être un sacrifice très méritoire, il est tout aussi vrai que les esprits bornés ont, par ce moyen, transformé la vie religieuse en un lit de torture où des saints et contemplatifs en puissance ont été tellement écartelés et estropiés qu’ils ont fini leur vie en marginaux et en excentriques. Et c’est pourquoi, dans tellement de monastères contemplatifs, il y a peu, ou point, de vrais contemplatifs. C’est aussi pourquoi, très souvent, des hommes de caractère et d’une grande délicatesse intérieure sont rebutés par l’atmosphère de ces monastères une fois qu’ils y ont passé quelques mois, et partent profondément découragés, en renonçant totalement à la vie intérieure.

Pourtant, si l’on se trouve dans une institution rigide ou fermée, il n’y a lieu de céder à l’angoisse et au désespoir. Ni de gaspiller sont temps en vains actes de rébellion. Faire preuve d’une trop grande assurance est fatal à ses propres aspirations[8] intérieures. S’il est possible de trouver un directeur sage [et de le suivre[9]], on doit prendre en compte les grâces divines autant que possible, et ne pas craindre de les suivre si l’occasion s’en présente, même si cela signifie qu’on va contre les idées communément reçues. Mais en même temps, il faut éviter l’excentricité, l’entêtement, et la vaine ostentation. Si une personne est vraiment guidée par l’Esprit Saint, la grâce elle-même fera le nécessaire, car la simplicité extérieure et l’obscurité sont des signes de grâce ; et de même, la douceur et l’obéissance. Chaque fois qu’il a vraiment conflit avec l’obéissance, celui qui cède et obéit n’est jamais perdant. Il ne continuera pas moins à grandir en grâce, et ne doit pas laisser cours à la frustration concernant son sacrifice. Mais celui qui désobéit par orgueil perdra la grâce divine.

[1] « sainement traditionnelles » : ajout.

[2] « Society » remplace « institution ».

[3] Idem

[4] En anglais : purposelessness.

[5] « spirituels » : ajout.

[6] « contumacy » remplace « disobedience ».

[7] « intractable willfulness » remplace   « self will ».

[8] « aspirations » remplace « attractions ».

[9] « And follow him » : effacé.




Les éléments essentiels de la contemplation spirituelle (Thomas Merton ; 9-10)

  • La contemplation, c’est la lumière divine jouant directement sur l’âme. Mais toutes les âmes sont affaiblies et aveuglées par leur attachement aux choses créées, qu’elles ont tendance à aimer immodérément en raison du péché originel. Par suite, la lumière divine affecte l’âme à la façon dont la lumière du soleil affecte un œil malade : elle est cause de souffrance. L’amour de Dieu est trop pur. L’âme, impure et malade, affaiblie par son propre égoïsme[1] est heurtée, rebutée, rebutée par cette pureté divine précisément. Elle n’arrive pas à comprendre la souffrance que provoque cette lumière. Elle s’est formé ses propres idées de Dieu, idées qui sont fondées sur la connaissance naturelle et qui, inconsciemment, flattent son amour-propre. Or Dieu contredit ces idées. Sa lumière rejette[2] et pulvérise toutes les notions naturelles que l’âme s’était formées à son endroit. L’expérience de Dieu dans la contemplation infuse contredit purement et simplement tout ce qu’elle avait imaginé le concernant. Le feu de son Amour infus attaque impitoyablement l’amour-propre de l’âme attachée aux consolations humaines et aux lumières et sentiments dont elle avait besoin comme débutante, mais qu’elle s’imaginait à tort être les grâces suprêmes de la prière.

  • La contemplation infuse entraîne donc avec elle, tôt ou tard, une terrifiante révolution intérieure. C’en est fini de la douceur de la prière. La méditation devient impossible, voire odieuse. Les cérémonies liturgiques lui pèsent comme un fardeau insupportable. L’esprit n’arrive pas à penser. La volonté a l’air incapable d’aimer. La vie intérieure n’est qu’obscurité, sécheresse, souffrance. L’âme est tentée de croire que tout est fini et que, en punition de ses infidélités, toute vie spirituelle est terminée.

               On est ici à un point crucial de la vie de prière. C’est ici très souvent que des âmes, pourtant appelées par Dieu à la contemplation, sont rebutées par tant de « dureté » (voir Jn 6, 60-67, « elle est dure, cette parole »)[3], font demi-tour, et « ne marchent plus avec Lui ». Dieu a illuminé leur cœur d’un rai de sa lumière. Mais elles, aveuglées qu’elles sont par son intensité, ne voient en lui qu’un rai d’obscurité. Elles s’insurgent là contre. Elles ne veulent pas croire et rester dans l’obscurité, elles veulent voir. Elles ne veulent pas cheminer dans le vide, avec une confiance aveugle : elles veulent savoir où elles vont. Elles veulent pouvoir dépendre d’elles-mêmes. Elles veulent pouvoir se fier à leur intelligence et à leur volonté, leur jugement et leurs décisions à elles. Elles veulent être leurs propres guides. Ce sont par conséquent des êtres sensuels qui « ne perçoivent pas ce qui est de l’Esprit de Dieu ». Cette obscurité et cette impuissance, c’est folie pure à leurs yeux. Le Christ leur a donné sa Croix, et cette croix, en fin de compte, est une pierre d’achoppement[4]. Elles ne peuvent pas aller plus loin. Elles restent en général fidèles à Dieu, et font leur possible pour le servir. Mais elles tournent le dos à ce qui est intérieur et s’acquittent de leur service par des activités extérieures. Elles s’extériorisent en pratiques pieuses, ou s’immergent dans le travail de manière à échapper à la souffrance et au sentiment d’échec qu’elles ont éprouvés dans ce qui, à leurs yeux, est le sort final de toute contemplation. « La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas comprise » (Jn 1).

[1] « affaiblie… » : ajout.

[2] « … rejects » remplace « defeats ».

[3] Traduction volontairement plus proche de la lettre du texte mertonien que de celle de la Bible de Jérusalem (N. d. T.)

[4] En anglais, « a scandal ». Utilisé ici, manifestement, dans son sens étymologique (N. d. T.).




Les éléments essentiels de la contemplation spirituelle (Thomas Merton ; 7-8)

  • Saint Bernard fait remarquer que l’amour se suffit à lui-même, qu’il est sa propre fin, son propre mérite, sa propre récompense. Il ne cherche point de cause au-delà de lui-même, ni de fruit en dehors de lui. L’acte même d’aimer est la plus grande récompense de l’amour. Aimer d’un amour désintéressé et pur le Dieu qui est la source de tout amour ne peut qu’être la joie la plus pure et la plus parfaite, et la plus grande de toutes les récompenses. Amor praeter se non requirit causam, non fructum : fructus ejus, usus ejus ([1]). Et il s’exclame : « J’aime parce que j’aime ; j’aime pour aimer », Amo quia amo, amo ut amen (Sermon 83 dans Cantica).

  • L’expérience de la prière contemplative, et les états successifs de contemplation par lesquels on passe, sont tous affectés par le fait que l’âme est passive, ou en partie passive, sous la conduite de Dieu. C’est une consolation singulière que de percevoir soudain, et d’éprouver la profonde conviction expérientielle, qu’on est emporté ou entraîné par l’amour de Dieu. Mais c’est également une angoisse singulière que d’avoir le sentiment aigu de son impuissance et sa déréliction lorsqu’on se trouve incapable de rien faire par soi-même. Quand les facultés ne peuvent plus assurer leur service comme à l’ordinaire, on passe forcément par des périodes d’incapacité étrange, d’amertume, et même de quasi-désespoir. Dans les deux cas, mieux vaudrait ne pas accorder trop d’attention au « phénomène » dont on fait apparemment l’expérience. Mieux vaut purifier son intention et se garder de s’analyser. Les « profondeurs[2]» de déréliction et d’amertume où nous baignons une fois sortis de notre sphère[3] naturelle ne se prêtent pas à une observation exacte. Dans ces moments-là, la réflexion sur nous-mêmes devient trop facilement morbide ou angoissée à l’excès. La foi, la patience, et l’obéissance sont les guides qui doivent nous aider à avancer paisiblement dans l’obscurité sans regard sur nous-mêmes. Quant aux consolations de la quiétude contemplative, notons qu’à trop se concentrer sur elles, la réflexion ne tarde pas à se transformer en une sorte de complaisance narcissique, et qu’il vaut mieux l’éviter. Même à supposer qu’on soit vraiment passif sous l’action divine (et certaines personnes excellent à imaginer qu’elles le sont alors qu’il n’en est rien), reste que la réflexion sur soi serait exactement le type d’activité qui s’avérait faire obstacle à l’action de la grâce. Le « rai de ténèbres » par lequel Dieu éclaire notre âme dans la contemplation passive a ceci de singulier qu’il nous rend indifférents à nous-mêmes, à nos ambitions spirituelles, et notre « état ». Si nous laissons la lumière divine jouer comme elle l’entend sur la profondeur de notre âme, et nous abstenons de trop curieusement nous examiner, nous cesserons progressivement de nous inquiéter de nous-mêmes, et oublierons ces questions sans intérêt. Ce mélange d’indifférence et de confiance est lui-même une grâce mystique, un don divin de sagesse[4], qui laisse toutes les décisions à Dieu dans le non-dit[5] d’un présent qui ne connaît aucune explication, aucun projet, ni aucun plan. Comme le dit Eckhart, l’amour mystique de Dieu est un amour qui ne pose pas de questions [6].

[1] Traduction (proposée en note par l’éditeur) : « L’amour n’a pas d’autre cause que lui-même ni de fruit autre que lui-même : son fruit, c’est sa pratique. »

[2] « depths » remplace « heights ».

[3] « sphere » remplace « depth ».

[4] En anglais : « a gift of Divine Counsel ».

[5] En anglais : wordlessness.

[6] « … Comme le dit Eckhart… questions » : ajout.




Les éléments essentiels de la contemplation spirituelle (Thomas Merton ; 4-6)

Poursuivons, en cette seconde étape, le résumé des éléments essentiels de la contemplation spirituelle :

  • 4 – La contemplation est l’œuvre de l’amour, et le contemplatif donne la preuve de son amour en quittant tout, y compris les choses les plus spirituelles, pour Dieu, et en vivant dans le néant, le détachement, et « la nuit ». Mais le facteur décisif dans la contemplation, c’est l’action gratuite et imprévisible de Dieu. Lui seul peut accorder le don de la grâce mystique et se faire connaître par le contact ineffable et secret qui révèle sa présence dans les profondeurs de l’âme. Ce qui compte, ce n’est pas l’amour de l’âme pour Dieu, mais l’amour de Dieu pour l’âme.

  • 5 – Cette connaissance de Dieu dans l’inconnaissance n’est pas intellectuelle, ni même, au sens strict, affective. Elle n’est pas l’œuvre de telle ou telle faculté unissant l’âme à quelque objet extérieur. Elle est œuvre d’union intérieure et d’identification dans la charité divine : on connaît Dieu en devenant un avec Lui. On l’appréhende en devenant l’objet de ses miséricordes infinies.

  • 6 – La contemplation, c’est un amour et une connaissance surnaturels de Dieu, à la fois simples et obscurs, infusés par lui au sommet de l’âme, et donnant à l’âme un contact direct et expérimental avec lui. La contemplation mystique, c’est l’intuition de Dieu procédant d’un amour pur. C’est un don de Dieu qui transcende absolument toutes les capacités naturelles de l’âme et que nul ne peut acquérir par un quelconque effort de sa part. Mais Dieu le donne à l’âme pour autant qu’elle est pure et vidée de toute affection pour les choses extérieures à Lui. Autrement dit, elle est Dieu se manifestant Lui-même, selon la promesse du Christ, à ceux qui l’aiment. Et pourtant l’amour dont ils l’aiment est également un don de Lui ; nous ne l’aimons que parce que Lui nous a aimés le premier. Nous le cherchons parce que Lui nous a déjà trouvés. Ipse prior dilexit nosMais ce qu’il faut souligner, c’est que la contemplation est elle-même le fruit et la perfection de la charité pure. Celui qui aime Dieu a conscience que la joie la plus grande, la perfection de la béatitude, est d’aimer Dieu et de renoncer à tout pour l’amour de Dieu seul… ou pour l’amour de l’amour seul, puisque Dieu Lui-même est amour. La contemplation est l’expérience intellectuelle du fait que Dieu est l’Amour infini, qu’Il s’est donné totalement à nous, et que dès lors, l’amour est la seule chose qui compte.

 

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