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Les éléments essentiels de la contemplation spirituelle (Thomas Merton ; 1-3)

Les éléments essentiels de la contemplation spirituelle sont les suivants  :

  • C’est une intuition qui, à son niveau inférieur, transcende le sens. A son niveau supérieur, elle transcende l’intellect lui-même.

  • De ce fait, elle se caractérise par l’existence d’une certaine lumière dans l’obscurité, d’une certaine connaissance dans l’inconnaissance. Elle est au-delà de la sensibilité, au-delà même des concepts ([1]).

  • Dans ce contact avec Dieu dans la ténèbre, il doit y avoir, des deux côtés, une certaine activité de l’amour. Du côté de l’âme, il doit y avoir une cessation de l’attachement aux choses sensibles ; une libération, au niveau de l’esprit et de l’imagination, de toute forte adhérence, affective et passionnée, aux réalités sensibles. Penser dans le feu de la passion[2] déforme notre vision intellectuelle, nous empêche de voir les choses telles qu’elles sont. Mais de plus, il faut impérativement dépasser l’intelligence elle-même et ne pas s’attacher même à des « pensées simples (intuitives[3]) ». Toute pensée, si pure soit-elle, est transcendée dans la contemplation. Ainsi, le contemplatif doit nécessairement rester en éveil et détaché de tout ce qui est attachement sensible et même spirituel. Il doit, nous dit saint Jean de la Croix, se détourner même des visions apparemment surnaturelles de Dieu et de ses saints afin de rester dans la ténèbre de l’inconnaissance. De toute manières, la contemplation présuppose une ascèse, généreuse, de tout soi-même, de renoncement de soi. Mais le mouvement extatique final[4] par lequel le contemplatif passe outre à toute chose est passif et au-delà de son vouloir.

[1] « Elle est… des concepts » : ajout.

[2] En anglais : « thinking passionately », entre guillemets et en italique : cette formule, courante en effet dans la langue, est utilisée aussi bien par les tenants d’un rationalisme rigoureux que par leurs adversaires (N. d. T.)

[3] (Intuitive) : ajout.

[4] « Le mouvement extatique final » : ajout.

Extraits de « L’expérience intérieure », Thomas Merton, Editions du Cerf p. 135-136.




La nouvelle traduction du Notre Père : « Ne nous laisse pas entrer en tentation »…

Nous pouvons tout d’abord être surpris par cette manière de s’exprimer… Dieu pourrait-il avoir un lien quelconque avec la tentation ? Certainement pas ! St Jacques le dit clairement (1,12‑15) : « Heureux l’homme qui supporte l’épreuve avec persévérance, car, une fois vérifiée sa qualité, il recevra la couronne de la vie comme la récompense promise à ceux qui aiment Dieu. Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : « Ma tentation vient de Dieu. » Dieu en effet ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne. Mais chacun est tenté par ses propres désirs qui l’entraînent et le séduisent. Puis le désir engendre et met au monde le péché, et le péché, parvenu à sa maturité, enfante la mort ».

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Longtemps, nous avons dit : « Ne nous soumets pas à la tentation »… Mais le Pape François nous a invités à dire : « Ne nous laisse pas entrer en tentation« … Pourquoi?

Littéralement, le texte grec « Καὶ μὴ εἰσενέγκῃς ἡμᾶς εἰς πειρασμόν » se traduit par : « Et ne nous introduis pas (ou ne nous conduis pas… ou encore ne nous emporte pas…) dans la tentation ».

Le P. Tournay[14] explique que Jésus parlait habituellement en araméen, une langue très proche de celle de l’Ancien Testament, l’hébreu. Or l’araméen et l’hébreu ont des formes verbales particulières qu’il est difficile de traduire en grec. Le P. Tournay a ainsi étudié une forme dite « causative » dont la nuance la plus fréquente est celle de « faire faire », mais qui peut aussi se traduire parfois par « laisser faire, permettre de faire ». Et il a remarqué que la traduction grecque de l’Ancien Testament ne prend jamais en compte la seconde nuance. Ainsi par exemple, le Psaume 119(118),10 demande comme traduction de l’hébreu la nuance « laisser faire » (cf. TOB) : « De tout mon cœur je t’ai cherché, ne me laisse pas errer loin de tes commandements ». Or le texte grec réalisé à Alexandrie entre le 1° et le 3° siècle avant Jésus Christ a : « De tout mon cœur je te cherche, ne me repousse pas loin de tes commandements », ce qui correspond à la nuance « faire faire » : « ne me fais pas errer loin de tes commandements »… Comme deuxième exemple, nous pouvons prendre le Psaume 141(140),4 qui, là encore, demande en hébreu comme traduction : « Ne laisse pas mon cœur pencher vers une parole (ou une chose) mauvaise ». Et la traduction liturgique de nos missels a bien : « Ne laisse pas mon cœur pencher vers le mal ». Mais là encore, la traduction grecque de l’Ancien Testament a choisi non pas la nuance du « laisser faire », mais celle du « faire faire » : « Ne fais pas pencher mon cœur vers des paroles mauvaises »…

Visage de JésusLe P. Tournay suggère donc que Jésus a employé, en araméen, cette forme verbale particulière qui demandait, dans un tel contexte, de la comprendre en termes de « laisser faire », c’est-à-dire : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Mais lorsque toutes ces paroles furent transcrites en grec, la nuance de « faire faire » supplanta une fois de plus celle du « laisser faire », ce qui a donné notre « ne nous fais pas entrer en tentation », ou « ne nous introduis pas en tentation » ou encore « ne nous soumets pas à la tentation »…

Si nous choisissons donc « ne nous laisse pas entrer en tentation », une nuance en parfait accord avec le contexte général de la Révélation biblique, Dieu apparaît alors comme étant une fois de plus notre compagnon de route et de combat face ce que nous appelons « le péché ». Et tel est bien son Mystère : quelles que soient les circonstances, bonnes ou mauvaises, de fidélité ou d’infidélité, le Dieu de l’Alliance est toujours Celui qui, dans sa Bienveillance éternelle, est avec nous tous et pour nous tous (1Jean 2,1-2 ; Romains 8,31-39)…

Quant au « péché », il renvoie à un mystère de désobéissance de cœur vis-à-vis de Dieu, à un manque d’amour à son égard. Et il est destructeur pour l’homme, car il abîme la relation vitale qui, de toute façon, l’unit à son Créateur. Que nous le voulions ou pas, et cela fait partie de notre statut de créature, nous vivons tous en effet de Dieu qui nous a créés à son image et ressemblance (Genèse 1,26-28), et qui, instant après instant, nous maintient dans l’existence par son propre Souffle, l’Esprit Saint (Genèse 2,4b-7 ; Job 34,14-15 ; Isaïe 42,5). Le mystère de notre vie est donc tout entier entre ses mains, que nous pensions à lui ou pas, que nous croyions en Lui ou pas, que nous lui soyons fidèles ou pas… Mais en nous créant ainsi, Dieu a aussi voulu que nous soyons des êtres libres appelés à développer et à faire fructifier toutes les potentialités de cette Vie divine qui, de toute façon, nous habite tous. La lumière de Dieu-lumierenotre conscience, qui participe à la Lumière même de Celui qui n’est que Lumière (1Jean 1,5), est là pour nous aider, comme un signal perpétuellement offert à notre liberté de choisir. Sans cesse, elle nous rappelle la direction du Vrai, du Beau, du Bon, du Juste (Romains 2,14-15)… L’écoutons-nous ? Y faisons-nous attention ? Le premier enjeu est là, et il est loin d’être facile car l’homme se découvre habité par toutes sortes de désirs contraires, mystérieusement attisés par une créature qui, de son côté, a fait le choix du « non » à Dieu et qui cherche à nous entraîner dans son refus. Nous l’avons vu, la Bible l’appelle Satan, « l’adversaire, l’ennemi » de Dieu et donc des hommes créés à son Image et Ressemblance… Or se laisser entraîner, d’une manière ou d’une autre, sur la pente d’un désir contraire à Celui de notre Créateur, c’est toujours abîmer, occulter, mettre de côté notre relation de cœur à Dieu, une relation qui est vitale pour nous et qui détermine la qualité même de notre « vivre ». Dieu, en effet, est Vie, Vie toujours offerte (Jean 6,35.48 ; 10,10), foisonnement de Vie, Soleil de Vie (Psaume 84(83),12 (TOB et Traduction Liturgique) ; Jean 1,4 ; 8,12), Source d’Eau Vive (Jérémie 2,13 ; Psaume 42(41),2 ; Isaïe 12,3 ; 55,1 ; 66,12-13 ; Ezéchiel 47,1-12 ; Jean 4,10-14 ; 7,37-39 ; 19,33-35). Que la relation avec Lui ne soit plus ce qu’elle devrait être, et aussitôt l’homme ne reçoit plus la Vie comme il devrait la recevoir… Il ressent un manque, il est intérieurement blessé, il vit une souffrance… « Heureux l’homme qui m’écoute, qui veille jour après jour à mes portes pour en garder les montants ! », dit la Sagesse, une figure féminine qui personnifie Dieu Lui-même… « Car celui qui me trouve trouve la vie, il obtient la faveur du Seigneur ; mais qui pèche contre moi blesse son âme » (Proverbes 8,34-36)… L’homme pécheur est donc un être blessé, et par suite un souffrant… Et Dieu le regarde ainsi : il ne s’attarde pas à l’offense, mais il voit seulement la souffrance de celui ou celle qu’Il aime… Son cœur en est bouleversé (Osée 11,7-9), et il va agir par ses prophètes, puis par son Fils Jésus, pour appeler ses enfants à revenir avec Lui sur le Chemin de la Vie…

miséricorde de dieuDieu désire donc de tout son Etre que nous retrouvions tous la Vie en Plénitude, sa Vie. Pour celui qui l’accueille, il sera toujours son compagnon de route pour l’aider et le guider sur des chemins de Vie où il pourra expérimenter dès maintenant, dans la foi, quelque chose de cette Vie éternelle à laquelle nous sommes tous appelés. Alors, quelle Joie au ciel (Sophonie 3,17‑18 ; Luc 15,7) comme sur la terre (Jean 15,11) ! Mais nous avons à collaborer avec Lui à cette œuvre de Vie qui nous concerne, par les multiples choix que nous avons à faire tout au long de nos journées…

Dieu nous invitera donc tout d’abord à « veiller », à « faire attention » à toutes ces sollicitations qui nous rejoignent, soit par nos désirs intérieurs, soit par les circonstances extérieures : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible » ; oui, « plus que sur toute chose, veille sur ton cœur, c’est de lui que jaillit la vie » (Matthieu 26,41 ; Proverbes 4,23 ; 16,17 ; Josué 1,7-8 ; Siracide (Ecclésiastique) 32,23 puis 1Timothée 4,16 ; Hébreux 12,14-15 ; Marc 13,33-37 ; Luc 12,35‑40). Et s’il s’agit de « veiller » pour éviter le mal, combien plus devrions-nous le faire pour accueillir et reconnaître Celui qui parsème notre vie de ses visites ! « Je dors, mais mon cœur veille… J’entends le Seigneur qui m’appelle : ouvre-moi mon ami ! » (Cantique 5,2 ; Apocalypse 3,20 ; Sagesse 6,12-16). Elles seront toujours Salut offert (Luc 1,76-79) et donc Vie, Plénitude de Vie…

veillez_et_priezEt si Dieu nous invite à « veiller », il est comme toujours le premier à mettre en pratique ce qu’Il nous demande : Il « veille » sur chacun d’entre nous, toujours et partout (cf. Job 10,9‑12 ; 29,2-3 ; Exode 23,20-22 ; Deutéronome 2,7 ; 32,7-14 ; Proverbes 2,6-13 ; Esther 5,1 ; 2Maccabées 15,2 ; Ezéchiel 34,15-16). C’est ce que fit Jésus vis-à-vis de ses disciples (Jean 17,12). Or, Ressuscité, Il est toujours avec nous (Matthieu 28,18‑20 ; Jean 14,3.18.23) et Il continue de veiller sur chacun d’entre nous en nous envoyant la Lumière de l’Esprit qui nous permet de discerner entre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas (1Thessaloniciens 5,19-22). Et elle sera au même moment « force » offerte pour renoncer au mal et choisir le bien (2Timothée 1,7). Et cette sollicitude, il l’exerce encore par ceux qu’Il a appelés à devenir les Pasteurs de son troupeau (1Thessaloniciens 5,12-13 ; Hébreux 13,17 ; 1Pierre 5,2-3). Le Pape Jean-Paul II en fut un magnifique exemple…

Et si la tentation devient plus pressante, St Paul nous assure que la grâce se fera plus forte encore : « Aucune tentation ne vous est survenue, qui passât la mesure humaine. Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ; mais avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter » (1Corinthiens 10,13). Cette idée de « supporter » nous invite à la patience. La tentation, qui a toujours quelque part prise sur nous, ne disparaîtra pas comme par un simple coup de baguette magique… mais « Dieu nous encourage puissamment, nous qui avons trouvé un refuge (avec Lui et en Lui), à saisir fortement l’espérance qui nous est offerte. En elle, nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide » (Hébreux 6,18-19)… Cette espérance s’enracine et se nourrit dans le don de l’Esprit Saint (Romains 15,13 ; 1Pierre 1,3), qui est l’ancre véritable lancée au cœur de tout chrétien, le roc sur lequel il peut ensuite construire toute sa vie (Matthieu 7,24-25)…

Et si, hélas, la chute survient, « si nous sommes infidèles, Dieu, Lui, reste à jamais fidèle » (2Timothée 2,13)… La grâce surabondera là où le péché a abondé (Romains 5,20) et avec elle, le Bon Pasteur cherchera sa brebis perdue jusqu’à ce qu’il la retrouve (Luc 15,4-7)… Il consolera celui qui s’est fait mal en tombant, et il l’invitera à se relever le plus vite possible : « Fait-on une chute sans se relever ? Se détourne-t-on sans retour ?… Reviens, rebelle Israël, car Je Suis miséricordieux. Je veux guérir vos rébellions » et toutes leurs conséquences (cf. Jérémie 8,4 ; 3,11.22)…

Therese novice
Ste Thérèse de Lisieux nous donne quelques conseils dans notre combat de tous les jours :

– Tout d’abord, elle ne désespérait jamais de la Miséricorde de Dieu, car elle avait découvert à quel point elle s’était révélée et offerte en Jésus-Christ, Lui qui, par amour, a voulu descendre au plus profond de la misère humaine : « En descendant ainsi le Bon Dieu montre sa grandeur infinie »…

– Elle essayait de « rester un petit enfant devant le Bon Dieu », et qu’est-ce que cela veut dire ? « C’est », disait-elle « reconnaître son néant, attendre tout du bon Dieu, comme un petit enfant attend tout de son Père ; c’est aussi ne s’inquiéter de rien … Enfin, c’est ne pas se décourager de ses fautes, car les enfants tombent souvent, mais ils sont trop petits pour se faire beaucoup de mal… Voyez les petits enfants : ils ne cessent de casser, de déchirer, de tomber, tout en aimant beaucoup, beaucoup leurs parents. Quand je tombe ainsi, cela me fait voir encore plus mon néant et je me dis : « Qu’est-ce que je ferais, qu’est-ce que je deviendrais si je m’appuyais sur mes propres forces ? » »

3 – Une mauvaise pensée survient ? Elle essaye de ne pas s’y arrêter : « Faut-il tant aimer le bon Dieu et la Sainte Vierge et avoir ces pensées-là !… Mais je ne m’y arrête pas ».

4 – Elle regrette un geste, une attitude, une parole ? « Quand j’ai commis une faute qui me rend triste, je sais bien que cette tristesse est la conséquence de mon infidélité. Mais croyez-vous que j’en reste là ? Oh non ! Pas si sotte ! Je m’empresse de dire au Bon Dieu : Mon Dieu, je sais que ce sentiment de tristesse, je l’ai mérité, mais laissez-moi vous l’offrir tout de même comme une épreuve que vous m’envoyez par amour. Je regrette mon péché, mais je suis contente d’avoir cette souffrance à vous offrir ». En agissant ainsi, elle mettait alors en œuvre cet autre conseil : « Aimer, c’est tout donner », le bien comme le mal… Et en offrant au Seigneur ce qui n’avait peut‑être pas été totalement conforme à sa volonté, elle se retrouvait aussitôt dans les bras de Celui dont l’unique désir est de nous « délivrer du mal » et de tous ses liens pour nous arracher aux ténèbres et nous transférer dans le Royaume de son Fils Bien-Aimé, en sa Lumière, sa Présence et son Amour (Colossiens 1,12-14 ; Actes 26,15‑18 ; Jean 8,31-36 ; Ephésiens 1,3-6)… « Le Dieu que nous avons est un Dieu de délivrances ». Aussi, Seigneur, puisque « je suis pauvre et malheureux », puisque « mon cœur est blessé au fond de moi », « agis pour moi selon ton Nom, délivre-moi, car ton amour est bonté » (Psaume 68(67),21 ; 109(108),21-22 ; 6,5 ; 18(17),17-20)…

                                                                                                                  D. Jacques Fournier

[1] POUILLY J., Dieu notre Père (Cahiers Evangile 68, Saint-Etienne 1989) p. 36.

[2] Catéchisme de l’Eglise catholique & 2794.

[3] Catéchisme de l’Eglise catholique & 2780-2781 p. 568.

[4] C’est ainsi que la TOB traduit en Ezéchiel l’expression « sanctifier le Nom de Dieu » par « montrer la sainteté du Nom de Dieu ».

[5] « La malédiction » en soi n’existe pas ; Dieu ne sait que bénir. Ce mot de « malédiction » ne fait que traduire l’état de celui qui, s’étant séparé de Dieu, est devenu étranger à toutes ces bénédictions qu’il ne cesse pourtant de vouloir lui offrir.

[6] A l’époque, pour St Paul, si on n’était pas Juif, on était Grec ou de culture grecque… L’expression « Juifs et Grecs » englobe donc toute l’humanité…

[7] DURRWELL F.-X., Le Père. Dieu en son mystère (Paris 1998) p. 235.

[8]Catéchisme de l’Eglise catholique p. 573: « Le Père, qui nous donne la vie, ne peut pas ne pas nous donner la nourriture nécessaire à la vie, tous les biens « convenables », matériels et spirituels ».

[9] Catéchisme de l’Eglise catholique p. 573.

[10] Catéchisme de l’Eglise Catholique & 2840 p. 580.

[11] JEREMIAS J., Paroles de Jésus (Paris 1963) p. 75. Cité par POUILLY J., Dieu notre Père (Cahiers Evangile 68) p. 48.

[12] Catéchisme de l’Eglise catholique & 2843 p. 580.

[13] Catéchisme de l’Eglise catholique & 2842 p. 580.

[14] TOURNAY R.J., « Ne nous laisse pas entrer en tentation », Nouvelle Revue Théologique n° 120 (1998).




Le Père, le Fils et le Saint Esprit, Don éternel d’eux-mêmes (4)

« Dieu Est Amour » (1Jn 4,8.16), le Père Est Amour, et ainsi, depuis toujours et pour toujours, « le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35), tout ce qu’il Est, « tout ce qu’il a » (Jn 16,15 ; 17,10). « Né du Père avant tous les siècles, engendré non pas créé, le Fils Est ainsi de même nature que le Père ». « Dieu Est Amour » ? Le Fils est donc Lui aussi Amour en tant qu’il se reçoit du Père de toute éternité… Mais nous l’avons vu avec le Père, le propre de l’Amour en Dieu est de tout donner, tout ce qu’il Est, tout ce qu’il a… Recevant du Père d’Être Amour, le Fils reçoit donc également de Lui de pouvoir se donner en tout ce qu’Il Est… Et tout comme le Fils est éternellement « engendré » par le Don que le Père fait éternellement de Lui-même, l’Esprit Saint, Troisième Personne de la Trinité « procède du Père et du Fils » en tant qu’il se reçoit lui aussi du Don éternel que le Père et le Fils font d’eux-mêmes… « La tradition latine du Credo confesse que l’Esprit « procède du Père et du Fils ». Le Concile de Florence, en 1438, explicite : « Le Saint Esprit tient son essence et son Être à la fois du Père et du Fils et Il procède éternellement de l’Un comme de l’Autre comme d’un seul Principe… Et parce que tout ce qui est au Père, le Père Lui-même l’a donné à Son Fils unique en L’engendrant, à l’exception de son être de Père, cette procession même du Saint Esprit à partir du Fils, Il la tient éternellement de son Père qui L’a engendré éternellement » (CEC & 246).

« Dieu est Amour » ? L’Esprit Saint, Troisième Personne de la Trinité, reçoit donc éternellement du Père et du Fils d’Être Lui aussi Amour… Et nous avons vu avec la relation Père – Fils, que le propre de l’Amour en Dieu est de tout donner, tout ce qu’Il Est, tout ce qu’Il a… L’Esprit Saint « Amour » sera donc éternellement Don de Lui-même, Don de tout ce qu’Il Est en Lui-même… « Dieu Est Vie » ? « Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la Vie » (Crédo). « Dieu Est Lumière » (1Jn 1,5) ? L’Esprit Saint Est éternellement Don de sa Lumière, et c’est ainsi que « Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5,45)… « Le Seigneur Dieu est un Soleil… Il donne la grâce », la grâce de cet Esprit qui est Lumière (Jn 4,24 et 1Jn 1,5), et donc, poursuit le Psalmiste, « il donne la Gloire » (Ps 84(83),12).

Et si l’eau qui lave, purifie, vivifie est aussi un symbole du Don de l’Esprit Saint ‘nature divine’ (Ez 36,24-28 ; Jn 4,10-14 ; 7,37-39 ; 1Co 6,11), l’Esprit Saint Personne divine Est éternellement Don de cette Eau, de telle sorte que Jésus dit encore que « Dieu fait tomber la pluie sur les justes et les injustes » (Mt 5,45). Le Don de l’Amour est absolument gratuit, car le propre de l’Amour, de toute éternité, est de tout donner, gratuitement, par amour, le Père au Fils, le Père et le Fils à l’Esprit Saint, et tout particulièrement l’Esprit Saint à toutes les créatures de Dieu… Mais pour recevoir ce Don, gratuit de l’Amour, encore faut-il être tourné de tout cœur vers Lui, en renonçant bien sûr au même moment à tout ce qui lui est contraire… D’où l’appel de Jésus, ses premières paroles en St Marc : « Repentez-vous et croyez à la Bonne nouvelle » de l’Amour…

                                                                                                                         D. Jacques Fournier




La Trinité, Mystère de relations éternelles (3)

Le Catéchisme de l’Eglise Catholique (CEC &253.255)) écrit : « La Trinité est Une. Nous ne confessons pas trois dieux, mais un seul Dieu en trois personnes… Les personnes divines ne se partagent pas l’unique divinité mais chacune d’elles est Dieu tout entier : « Le Père est cela même qu’est le Fils, le Fils cela même qu’est le Père, le Père et le Fils cela même qu’est le Saint-Esprit, c’est-à-dire un seul Dieu par nature » (Concile de Tolède XI en 675). « Chacune des trois personnes est cette réalité, c’est-à-dire la substance, l’essence ou la nature divine » (Concile de Latran IV 1215).

Les personnes divines sont relatives les unes aux autres. Parce qu’elle ne divise pas l’unité divine, la distinction réelle des personnes entre elles réside uniquement dans les relations qui les réfèrent les unes aux autres : « Dans les noms relatifs des personnes, le Père est référé au Fils, le Fils au Père, le Saint-Esprit aux deux ; quand on parle de ces trois personnes en considérant les relations, on croit cependant en une seule nature ou substance » (Concile de Tolède XI). En effet, « tout est un [en eux] là où l’on ne rencontre pas l’opposition de relation » (Concile de Florence en 1442). « A cause de cette unité, le Père est tout entier dans le Fils, tout entier dans le Saint-Esprit ; le Fils est tout entier dans le Père, tout entier dans le Saint-Esprit ; le Saint-Esprit tout entier dans le Père, tout entier dans le Fils » (Concile Florence). Et souvenons-nous : « Celui qui est le Fils n’est pas le Père, et celui qui est le Père n’est pas le Fils, ni le Saint Esprit n’est celui qui est le Père ou le Fils » (Concile de Tolède XI). Les Trois sont toujours en face à face…

Et les relations qui les unissent depuis toujours et pour toujours sont vitales, existentielles. En effet, St Jean écrit : « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35). Cette réalité est éternelle : depuis toujours et pour toujours, le Père aime le Fils, et cet Amour est Don total de Lui-même, de tout ce qu’Il Est en Lui-même. Et c’est par ce Don que le Père engendre le Fils en « Fils né du Père avant tous les siècles », avant le temps, de toute éternité… Depuis toujours et pour toujours, le Père est ainsi Don de Lui-même au Fils, un Fils qui ne cesse d’accueillir « le Don de Dieu » (Jn 4,10), le Don du Père. « Dieu Est Lumière » (1Jn 1,5), le Père Est Lumière ? Le Fils est ainsi « Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu ». Pour le Fils, la relation avec le Père est donc vitale, existentielle : sans Lui, Il n’Est rien… « Comme le Père a la vie en Lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même » (Jn 5,26), et cela « avant tous les siècles »… Ce Don de la Vie du Père au Fils est éternel : « Je vis par le Père », nous dit Jésus (Jn 6,57).

Ainsi, « Jésus a révélé que Dieu est « Père » dans un sens inouï : Il ne l’est pas seulement en tant que Créateur, Il est éternellement Père en relation à son Fils unique, qui éternellement n’est Fils qu’en relation au Père » (CEC & 240). Sans le Père, Il n’Est rien, il ne peut rien (Jn 5,19-20)…

                                                                                                   D. Jacques Fournier




L’infinie richesse de la Sainte Trinité (2)

Nous avons vu précédemment les notions de « Personne divine », et de « nature divine », ce que chaque Personne divine Est en elle-même, ce par quoi elle vit et s’exprime. Si nous posons cette question à Dieu : « Qui es-tu ? », nous aurons trois réponses. Seul le Père dira : « Je Suis le Père », les deux autres restant en silence. Seul le Fils dira : « Je Suis le Fils », les deux autres restant en silence. Seul l’Esprit Saint dira : « Je Suis l’Esprit Saint », le Père et le Fils restant en silence.

Mais si nous posons cette question à Dieu : « Qu’est ce que tu Es ? » Alors, les Trois Personnes divines diront en même temps d’une seule voix : « Je Suis » (Ex 3,13-15), « Je Suis Amour » (1Jn 4,8.16), « Je Suis Lumière » (1Jn 1,5), « Je Suis Esprit » (Jn 4,24).

Et pour reprendre encore le vocabulaire de St Jean, nous pourrions écrire aussi « Dieu est Vie ». En effet, nous lisons en Jn 1,4 : « Ce qui fut en Lui, le Verbe, était la Vie et la Vie était la Lumière des hommes ». La Vie est donc Lumière, la Lumière est Vie, de telle sorte que le Christ peut parler de « la Lumière de la Vie » : « Je Suis la Lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie » (Jn 8,12). Ainsi, « Dieu Est Lumière », la Lumière est Vie et donc : « Dieu Est Vie ».

Nous arrivons à la même conclusion avec la notion d’Esprit. En effet, si « Dieu Est Esprit » dit Jésus (Jn 4,24), il dit aussi : « C’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). St Paul écrit également : « La lettre tue, l’Esprit vivifie » (2Co 3,6). Ou encore : « La Loi de l’Esprit qui donne la Vie » (Rm 8,2). Et : « Si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts donnera aussi la Vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Rm 8,11). « Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir » (Ga 5,25). « Qui sème dans sa chair, récoltera de la chair la corruption ; qui sème dans l’esprit, récoltera de l’Esprit la Vie éternelle » (Ga 6,8). Ainsi, « Dieu Est Esprit » (Jn 4,24), « l’Esprit est Vie » (Rm 8,10) et donc « Dieu Est Vie »…

« Je vous laisse la Paix, je vous donne ma Paix » (Jn 14,27), nous dit Jésus. St Paul, lui, nous parle du « Dieu de la Paix » (Rm 15,33). Nous pourrions donc dire aussi « Dieu Est Paix ». « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11,29). Dieu Est Douceur, Humilité… « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous » (Jn 15,11). Dieu Est Joie… « Je Suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6). « Dieu Est Vérité ». « Dieu est juste » (Rm 3,26). Marie, « la Puissance du Très Haut te prendra sous son ombre » (Lc 1,35)… Dieu Est Tout Puissant…

Mais souvenons-nous… Tout ce que nous disons de Dieu est une expression de son Amour. Il s’agira donc de la Vérité de l’Amour, de la Justice de l’Amour, de la Puissance de l’Amour. C’est ainsi que « Dieu ne peut pas tout. Il ne peut que ce que peut l’Amour » (François Varillon)…

                                                                                                                 D. Jacques Fournier

 




La Sainte Trinité : les notions de « personne » et de « nature » (1)

« Le Mystère de la Très Sainte Trinité est le mystère central de la foi et de la vie chrétienne. Il est le mystère de Dieu en lui-même. Il est donc la source de tous les autres mystères de la foi, lumière qui les illumine. Il est l’enseignement le plus fondamental et essentiel dans la hiérarchie des vérités de la foi. Toute l’histoire du salut n’est autre que l’histoire de la voie et des moyens par lesquels le Dieu vrai et unique, Père, Fils et Saint-Esprit, se révèle, se réconcilie et s’unit les hommes qui se détournent du péché » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, & 234).

Dieu est ainsi un mystère de relations éternelles entre trois personnes distinctes. Ce terme même de personne renvoie à « quelqu’un » d’unique, le seul à être « qui » il est. Il est un centre d’existence irréductible à lui-même. A ce titre, deux personnes ne peuvent qu’être en face en face. Une personne ne peut pas être « dans » une autre personne. Leur différence est la base même de la relation qui les unit. Ainsi, « celui qui est le Fils n’est pas le Père, et celui qui est le Père n’est pas le Fils, ni le Saint Esprit n’est celui qui est le Père ou le Fils » (Concile de Tolède XI, 675ap JC).

St Pierre, dans sa seconde Lettre, parle de « nature divine » (2P 1,4). Cette notion renvoie à ce qu’est en elle-même une Personne divine, ce par quoi elle vit et s’exprime. Cette nature divine, ce qui fait que « Dieu Est Dieu », est commune aux trois Personnes divines. St Jean nous offre trois affirmations à son sujet. La première, la plus importante, apparaît deux fois : « Dieu Est Amour » (1Jn 4,8.16). Nous sommes ici au cœur de notre foi. « Dieu Est Amour », Il n’Est qu’Amour, tout en Lui est de l’ordre de l’Amour… Puis St Jean écrit : « Dieu Est Lumière » (1Jn 1,5). Cette Lumière est donc celle de l’Amour… Il écrit encore : « Dieu Est Esprit » (Jn 4,24). A nouveau, il s’agit de l’Esprit d’Amour… Notons que dans cette dernière affirmation, « Esprit » est un nom commun qui évoque ce que Dieu Est en Lui-même… Dans la Bible, nous lisons souvent également, sous une forme ou sous une autre, « Dieu Est Saint » (Lv 11,44-45 ; 19,2 ; 21,8…). « Saint » est ici un adjectif qui qualifie à nouveau ce que Dieu Est en Lui même. En mettant les deux ensembles, nous obtenons « Dieu Est Esprit Saint », une affirmation qui renvoie encore une fois à la nature divine, à ce que Dieu Est en Lui-même. Mais attention, « Esprit Saint » ou « Saint Esprit » peut aussi être employé comme un nom propre pour désigner la Troisième Personne de la Trinité, la seule à être « qui » elle est. Chaque fois que nous rencontrerons cette expression « Esprit Saint », il faudra donc se poser cette question : de quelle réalité parle-t-on, Personne divine ou nature divine ?

Pour conclure ce point et l’illustrer, appliquons à chaque Personne divine ce que nous venons de voir. Le Père Est Esprit, il Est Saint, il Est Esprit Saint. Le Fils Est Esprit, il Est Saint, il Est Esprit Saint. L’Esprit Saint Est Esprit, il Est Saint, il Est Esprit Saint. Le Père n’est pas le Fils, l’Esprit Saint n’est ni le Père, ni le Fils, mais tout ce qui Est dans le Père Est également dans le Fils et dans l’Esprit Saint. Car les Trois possèdent pleinement une seule et même nature divine…

                                                                                          D. Jacques Fournier




Prédication pour la fête de saint Thomas d’Aquin (28/01/2017).

Qui es-tu Seigneur ? Je ne t’ai jamais vu. Depuis des siècles tout le monde parle de toi. Discours contradictoires qui me laissent dans le brouillard. Qui es-tu Seigneur ? Où es-tu ? A quoi tu penses ?

Enfant, Thomas a demandé à ses maîtres bénédictins du Mont Cassin : « Qu’est-ce que Dieu ? » Les questions des enfants sont souvent passionnantes. Einstein, le grand physicien, aimait s’entretenir avec les enfants de cinq ans. Cet âge lui paraissait propice à la fraîcheur dans l’expression et à la pertinence des questions qui désarçonnent parfois les adultes.

L’enfant veut apprendre. Il vous est sûrement arrivé de prendre un enfant sur vos genoux pour lui lire un conte ou des passages de la Bible : qui est celui ? Pourquoi cela ? Les questions sont accompagnées de commentaires inattendus, savoureux. Nous comprenons pourquoi Jésus nous dit : « Si vous ne devenez pas comme des enfants vous ne comprendrez pas le mystère de Dieu ».

Tout au long de sa vie Thomas aimera les questions. Chaque article de la Somme théologique commence par une question. Les questions éveillent et l’intelligence et la liberté. Elles donnent le goût de s’engager personnellement dans une réflexion. La foi suscite la question. La Parole de Dieu donne à penser. Plus on aime Dieu plus on veut le connaître, plus on le connaît plus on l’aime.

Assoiffé de sagesse, Thomas découvre à Naples l’Ordre de saint Dominique qui vient de naître à Toulouse en 1215. Il a le coup de foudre pour l’idéal évangélique des Prêcheurs. Sa famille ne dit pas : « Thomas est un gentil garçon ». Thomas n’est ni mou ni lâche. Combatif, il s’oppose aux projets de réussite sociale prévus par ses proches. La vie de château, la carrière ecclésiastique, les honneurs et les mondanités, tout cela ne l’intéresse pas. Son cœur est déjà pris. Thomas sait ce qu’il veut. A Naples, à la fin de ses études à la Faculté des Arts, il reçoit l’habit de lumière au seuil de ses vingt ans.

Homme de paix et de prière silencieuse, surnommé « le bœuf muet de Sicile », Thomas ressemble plutôt à un volcan. C’est du feu. Il va accomplir une œuvre titanesque. Son écriture en zigzag révèle un esprit bouillonnant et rapide. Initié aux sciences, à la philosophie et à la théologie par Albert le Grand, Thomas va s’épanouir dans l’enseignement et dans la prédication à Paris, à Milan, à Naples.

L’enseignement de Thomas se caractérise par l’innovation. Il fait du neuf en introduisant la philosophie d’Aristote dans la réflexion théologique. Aristote et sa philosophie réaliste vont marquer l’aventure intellectuelle de l’université de Paris. Ce philosophe grec répondait à ceux qui lui demandaient où il avait tant appris : « Dans les choses qui ne peuvent mentir ». Thomas d’Aquin reçoit la pensée d’Aristote à travers les études d’Averroès, arabe d’Espagne, et de l’iranien Avicenne, deux grands intellectuels musulmans. Pour Thomas, la raison est une participation à la lumière divine. Par la raison, l’homme devient sa propre providence. La raison et la liberté de l’homme sont à prendre au sérieux. Ni le sentimentalisme ni la pensée molle n’ont ici de place. Et celui qui renonce à prendre en main sa vie au nom de sa foi dans les horoscopes commet un péché grave.

Par ailleurs, Thomas sait que la vérité vient toujours du Saint Esprit et que l’Esprit de Dieu ignore les frontières. Esprit libre et universel, il conseille aux étudiants de « graver dans leur mémoire tout ce qu’ils pouvaient entendre de bon, quel que soit d’ailleurs celui qui le leur apprenne ». Innovateur audacieux, il réplique à ceux qui lui reproche d’affaiblir le contenu de la foi avec des commentaires des philosophes non chrétiens : « Je ne mets pas de l’eau dans le vin de la révélation mais l’eau des philosophes devient du vin au contact de la Parole de Dieu ».

L’œuvre intellectuelle immense de Thomas comprend les sciences profanes, la philosophie, les commentaires bibliques, la théologie, la composition de textes liturgique poétiques comme l’Office du Saint Sacrement avec ses prières toujours jeunes comme le « Tantum ergo » ou le « Pange lingua », sans oublier le but et le sommet de l’œuvre théologique : la prédication pour le salut des âmes. Thomas s’est évertué à mettre en lumière la volonté divine de libération et de divinisation de tout homme. Ses sentiments, ses pensées et ses paroles, expriment l’Evangile de Jésus-Christ. En lui Amour et Vérité se rencontrent. Pour aimer il faut être bien dans sa tête. En Thomas l’amour de l’intelligence et l’intelligence de l’amour ne font qu’un. En lui les lèvres, le cœur et la tête s’épanouissent harmonieusement.

A Naples, en 1273, une année avant sa mort, Thomas a prêché le Carême en dialecte napolitain. « Père, sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité » (Jn. 17). Pédagogue, Thomas commente les commandements de Dieu d’une manière simple, imagée, accessible à tous. Le cœur de l’homme, dit-il, est comme un lit étroit qui ne peut pas contenir plusieurs personnes. Nous ne pouvons pas aimer Dieu et l’argent.

Encore une autre image, celui réussit dans la vie mais qui ne réussit pas à donner sa vie par amour ressemble à un cadavre recouvert de pierres précieuses. Il est mort.

Théologien de la loi nouvelle, Thomas se laisse conduire par l’Esprit Saint. Il sait que l’Esprit Saint descend sur l’assemblée chrétienne au moment de la prédication. Le croyant fait alors l’expérience de l’Amour de Dieu répandu dans les cœurs (Rm. 5,5). L’Esprit de Dieu se met à aimer en l’homme : « Dieu est Amour. Celui qui aime demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (I Jn. 4,16).

Thomas est un saint, un mystique. L’essentiel, pour lui, c’est d’aimer comme le montre la scène bouleversante, rapportée par un témoin, où l’on voit, de nuit, Thomas offrir au pied du Crucifix de Jésus-Christ son traité sur l’Eucharistie, avec la question du Crucifié : « Tu as bien parlé de moi, Thomas. Que veux-tu en récompense ? ». Et la réponse qui vient sublime : « Toi-même, Seigneur ».

A 50 ans, Thomas approche de la mort. Vidé, Thomas ouvre son cœur au frère Reginald de Piperno, son secrétaire, son confesseur, son ami fidèle. Son œuvre lui semble peu de chose par rapport au mystère de Dieu : « Ce que j’ai écrit est de la paille ».

Thomas meurt au monastère cistercien de Fossa Nova, près de Rome, le 7 mars 1274, en route vers le Concile de Lyon.

La pape Jean XXII l’a canonisé en 1323 à Avignon. Pie V l’a proclamé docteur de l’Eglise en 1567. En 1880, Léon XIII l’a proposé comme patron des universités, des collèges et des écoles catholiques.

La pensée du « Docteur Angélique » continue de façonner sur les cinq continents l’esprit de ceux qui cherchent à mieux comprendre leur foi chrétienne mais la présence de saint Thomas se fait plus intense auprès de ses reliques que la ville de Toulouse a l’honneur de garder aux Jacobins depuis le XIVè siècle.

Demandons au Seigneur de nous accorder la sagesse dont nous avons besoin.

Louons Dieu pour le don fait à l’Eglise de saint Thomas d’Aquin notre frère.

 

Fr. Manuel Rivero O.P.




Quel projet d’Église en détention ? (Fr Dominique CHARLES – OP)

Il n’est pas si simple d’imaginer l’Église que nous sommes amenés à construire en prison. Il y a beaucoup d’obstacles et de difficultés que nous ne pouvons pas ignorer. Il y a aussi de vraies chances à ne pas manquer, pour faire advenir un type de communauté chrétienne, sinon nouvelle, du moins plus proche de ce que furent celles dont nous parlent les Actes des Apôtres et du projet que Jésus a essayé de réaliser avec ses disciples et les foules qui venaient à lui.

L’Église invitée à renaître

En prison, nous avons une chance de faire naître un visage d’Église renouvelé. Car nous n’y sommes pas perçus comme serviteurs d’une Église instituée ; nous y sommes au service d’une Église à naître. Nous y rencontrons, au hasard, des gens de toutes origines et de toutes religions. C’est un des rares lieux, avec l’hôpital, où les frontières sont perméables. Permettez-moi d’évoquer cette histoire évangélique de la pèche infructueuse. Simon et ses proches revenaient épuisés après une nuit de travail. Les filets étaient vides. Alors Jésus surgit, monte dans la barque et les invite à recommencer, à lancer les filets en sa présence (Lc 5,4) « Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre, dit Simon, mais sur ton ordre je vais jeter les filets. » N’oublions pas cette leçon. Rappelons-nous que nous travaillons en présence de Jésus, avec lui dans la barque. C’est lui le maître de la pèche. Nous ne travaillons jamais seuls ! Nous sommes au service d’une mission qui nous dépasse, celle de l’Église. Jésus en est la tête. Ce n’est pas notre mission ! Nous ne faisons que collaborer à la sienne. C’est lui qui nous a appelés et c’est lui qui nous envoie.

saint-esprit

J’interrogerai notre choix d’être aumônier de prison, avec ces mots de Pierre Claverie, l’ancien évêque d’Oran, assassiné en 1996, qu’il adressait aux chrétiens de son diocèse dans l’éditorial du numéro d’octobre 1994 du lien, le journal diocésain d’Oran : « Viens, suis-moi ! Rappelons-nous que Jésus ne nous a pas promis un bonheur facile. Il nous met en garde contre l’évasion hors de notre condition humaine et de l’histoire concrète où elle se déroule. Dans cette existence concrète, il nous avertit de ne pas accrocher notre espérance et notre raison d’être à la « gloire qui vient des hommes » et à nos succès humains. Lui-même n’a pas pris ce chemin et l’Église se trompe si elle croit qu’elle peut faire l’économie de la Croix en se contentant d’être une multinationale de la charité, avec ses œuvres et ses volontaires tout-terrain. Lorsque le sens se dérobe et que paraît l’échec, Jésus nous appelle à ne pas renoncer au don de notre vie, avec lui. En deçà de ce moment, il n’y a que confiance en soi. Au-delà, et au-delà seulement, commence la foi. (…) L’avenir, alors, n’a plus rien de terrifiant. Quel qu’il soit, quels qu’en soient les passages, il est le lieu d’une rencontre qui se renouvelle et s’approfondit à la mesure de notre confiance et de notre abandon. (…) Par où la foi en Jésus a-t-elle saisi notre vie et jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans la confiance et l’abandon[1] ? »

amour-du-christ

Nous serons au service de l’Église en prison en nous remettant, quoi qu’il arrive, dans cette confiance au Christ que nous avons décidé de servir : il nous accompagne en détention et c’est lui que nous rencontrons en chaque personne détenue : « J’étais en prison, et vous êtes venus vers moi » (Mt 25,36). Il importe pour un aumônier d’avoir cette attitude de remise profonde en Dieu. Si vous n’en êtes pas convaincus, écoutez ce passage de l’impressionnante « confession de foi » que fit Mgr Guy-Marie Riobé, huit jours avant sa mort : « (…) Je crois que Dieu nous accompagne tous dans notre aventure humaine et que seule sa présence est éternelle, et non pas les structures, les paroles, les images que, peu à peu, au fil des siècles, nous avons adoptées pour nous signifier à nous-mêmes son compagnonnage. Notre Église n’a rien à redouter des critiques qui lui viennent d’ailleurs quand elle sait les écouter comme un appel de Dieu. Elle ne saurait verrouiller les portes pour disposer plus sûrement d’elle-même. Elle se reçoit à chaque instant de Dieu pour être sans cesse envoyée, immergée dans le monde, pauvre, modeste, fraternelle, messagère de joie, donnant sa voix aux pauvres, aux hommes que l’on torture ou que l’on tue, à tous ceux-là qui nous crient silencieusement l’Évangile. (…) C’est bien l’humanité tout entière qui a rendez-Jésus christvous avec Dieu : à sa naissance ? À certains moments de son histoire ? À l’apogée de son évolution ? Que m’importe, c’est le secret de Dieu et non le mien, mais je crois qu’il est et sera là, de manière inattendue aux rendez-vous de l’histoire humaine, comme il est et sera aux rendez-vous de chacune de nos histoires personnelles. Il me suffit de retrouver dans cette immense espérance une grande part de l’Évangile. C’est alors que je me souviens de Jésus de Nazareth. Je le retrouve aujourd’hui au cœur de tout ce peuple des chercheurs de Dieu. Oui, je crois que Jésus est vivant, ressuscité, source de l’Esprit, qu’il est une personne présente, qu’il peut être l’ami des hommes et que cette amitié peut faire le but de toute une vie. Être chrétien, après tout, n’est-ce pas accepter de se recevoir continuellement du Christ comme on se reçoit de tout regard d’amour ? Tous les jours, il me semble rencontrer le Christ pour la première fois[2]. »

Il est bon d’écouter ces paroles de prophètes de notre temps. Ils croyaient en l’Église au service de laquelle ils se sont donnés. Si Mgr Riobé invitait à « une Église du courage », le pape actuel nous invite à une « Église en sortie » (Evangelii gaudium 24). Cela peut sembler paradoxal de se penser au service d’« une Église en sortie » en rassemblant des personnes détenues ! Pourtant, l’« Église en sortie » et l’« Église du courage » sont des modèles qui me semblent féconds pour penser une aumônerie en détention.

Le sens du mot « Église »

foulePardonnez-moi de faire ce petit détour sémantique. Vous savez que le mot « Église » vient du grec ekklèsia, un terme qui a une longue histoire biblique. Dans la Bible grecque des Septante, en effet, il traduit le plus souvent le mot hébreu qahal, qui signifie « assemblée ». On trouve souvent ce mot dans l’expression « assemblée du Seigneur[3] ». Ekklèsia vient du verbe grec kaléô qui signifie « appeler, convoquer ». Le mot « Église » suggère ainsi une action de Dieu semblable à celle du mot hébreu, lui-même apparenté au substantif qôl qui désigne la « voix » : l’Église c’est donc l’assemblée de ceux qui ont entendu l’appel ou la convocation du Seigneur, et qui lui ont répondu par la foi. Le mot « église » ne se trouve qu’une fois dans les évangiles (Mt 16,10). Il est surtout présent dans les Actes des Apôtres, les lettres pauliniennes et l’Apocalypse. En le choisissant pour caractériser leur assemblée, les premiers chrétiens ont probablement voulu marquer la rupture avec le judaïsme : la Bible grecque des Septante traduit également le mot qahal par sunagôguè ; ils ont aussi voulu marquer la continuité avec la tradition héritée du Premier Testament qui impliquait de fonder l’existence de la communauté dans une initiative de Dieu qui rassemble lui-même son peuple et dans une réponse active de ceux qui ont reconnu sa voix et ont répondu à son appel.

BonPasteurSi le mot « église » ne se trouve pas dans les évangiles, la réalité de l’appel s’y trouve bien. Tout particulièrement dans les paraboles de Jésus où il est question des repas, surtout dans saint Luc. En effet, si le verbe kaléô signifie « appeler », il peut aussi se traduire par « inviter ». Vous vous souvenez de ces paraboles des invités qui se mettent à la première place ou qui se dérobent parce qu’ils ont d’autres occupations prévues (Lc 14). Je crois que nous nous retrouvons bien dans la seconde, où « le maître de maison dit à son serviteur : « Vas vite par les places et les rues de la ville, et introduis ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. » (Lc 14,21). On pourrait ajouter à la liste les détenus et tous les exclus de notre société. Notre mission est justement celle du serviteur de la parabole. Nous sommes envoyés au nom d’un autre qui veut rassembler à son repas tous ceux qui acceptent son invitation.

L’Église que nous voulons former en prison est donc faite de ceux que Dieu appelle, en faisant une expérience personnelle de conversion intérieure, ou en répondant à l’invitation que nous pouvons faire en son nom. Nous sommes « serviteurs » du « Maître ». Ces mots employés dans la parabole évoquent ceux du lavement des pieds en Jn 13. Je vous laisse prolonger la méditation de ce rapprochement entre « Église » et « serviteur ».

Le projet de Jésus et le nôtre

Jésus n’a pas cessé d’appeler ceux qu’il a rencontrés sur les routes de Galilée, de Samarie et de Judée. Certains ont répondu à son appel et l’ont suivi. D’autres non. Il a constitué une petite « Église », avec les disciples et les femmes. Ce qu’ils ont vécu se résume dans la formule « être avec lui » (Lc 8,1-2). Faire Église, c’est avancer ensemble avec Jésus ; c’est cela que nous essayons de réaliser en prison.

Pape François - jeudi saint en prison

Pour nous, aumôniers en détention, il est un passage qui fonde notre activité en prison. Jésus ouvre sa mission en lisant solennellement dans la synagogue de Nazareth le chapitre 61 d’Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle (euangélizô)[4] aux pauvres. Il m’a envoyé (apostellô) annoncer (kèrussô) aux captifs la délivrance (aphésis) et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer (apostellô) en liberté (aphésis) les opprimés, proclamer une année d’accueil par le Seigneur » (Lc 4,18-19). Jésus dit qu’il est « envoyé » pour « évangéliser » les pauvres ; et il explique ce que cela veut dire : libérer les captif, guérir les malades, proclamer la grâce et l’accueil du Seigneur pour tous les pauvres.

Jésus commence sa mission en commentant la Parole de Dieu et en invitant la communauté à s’ouvrir, à élargir ses frontières. Il fait comprendre que l’Évangile demande qu’on se convertisse pour accueillir tous ceux qui « sont perdus ». La réaction de la communauté de Nazareth est caricaturale et instructive : elle rejette Jésus ! On peut voir ici l’intention de Luc d’annoncer la passion qui ponctuera la mission de Jésus. Mais on peut aussi en conclure qu’il est difficile pour une communauté de s’ouvrir à l’étranger, à celui qui est du dehors. En prison, nous vivons l’enjeu de l’ouverture de la mission de l’Église ! Il nous sera toujours difficile de faire comprendre cela dans les communautés chrétiennes, en dehors de nos prisons ; pourtant, cela fait partie de notre mission. Comme celle du Christ, elle consiste à aller à la rencontre de gens qui sont le plus souvent des étrangers de nos communautés d’Église, ou qui s’en sont éloignés.

prodigueD’une certaine manière, ceux qu’un comportement déviant a éloignés de l’Église ressemblent à l’enfant prodigue : le milieu carcéral, comme la famine de la parabole, provoque une « rentrée en soi-même » (Lc 15,17) qui rend possible une vraie prise de conscience de la situation sans issue dans laquelle ils se sont mis. Nous sommes souvent témoins de ce retournement, de ces itinéraires de conversion ; un changement de vie est vraiment souhaité, pas seulement rêvé. C’est l’occasion de faire l’expérience d’un Dieu miséricordieux qui n’enferme pas le pécheur dans la situation où il s’est mis lui-même, mais qui accueille sans condition ses enfants perdus qui reviennent vers lui, comme le Père de la parabole. Notre mission est sans doute d’aider de telles personnes à découvrir ce vrai Dieu, qui sait toujours redonner une chance, qui réintroduit le fils converti dans sa maison. Perçu comme un ami du Christ, qui va vers ceux qui sont abandonnés, perdus, pécheurs, l’aumônier renvoie à ce Dieu miséricordieux. Le plus important dans sa mission est sa disponibilité à l’écoute. Dans la parabole, le Père ne pose aucune question au fils qui revient. Simplement il va à sa rencontre et il l’accueille en silence. Il l’habille avec de beaux vêtements et fait préparer un repas de fête. Il accueille sans prononcer un seul reproche, sans même demander ce qui s’est passé ! N’est-ce pas le premier rôle de l’aumônier que d’être là, simplement pour l’accueil ! Être signe, par la présence, du Dieu miséricordieux, et du Christ dont la mission est de chercher tous ceux qui sont perdus.

Le document de janvier 2009 Accompagner des coupables souligne que l’aumônier est au service de tout détenu qui appelle, sans distinction : « Nous devons répondre présent quand quelqu’un nous appelle, quel que soit l’acte qu’il a commis. Nous nous interdisons de l’enfermer dans la condamnation sans appel, plaquée sur lui, y compris à l’intérieur d’un monde carcéral sans pitié pour les auteurs présumés ou avérés de certains actes criminels. À ceux-ci, nous essayons d’être particulièrement attentifs : les indéfendables, eux aussi, font partie des exclus ! » (p. 2). À l’aumônerie, toute personne doit pouvoir se sentir accueillie sans préjugé. Accueillir comme Jésus n’est pas facile ! Lui-même s’est heurté à des réactions st jeannégatives quand il accueillait des prostituées (Lc 7,37-39), mangeait avec des publicains ou s’invitait dans la maison de Lévi après l’avoir appelé à sa suite (Lc 5,29-32) ou dans celle de Zachée (Lc 19,7). Comme Dieu, dont on dit qu’il « ne fait pas acception des personnes », qu’il est « impartial » (cf. Ac 10,34-35 ; Rm 2,11 ; Ep 6,9 ; Col 3,25 ; 1 P 1,17), Jésus ne juge pas les personnes d’après leurs actes ou leurs conduites (cf. la femme adultère en Jn 8,10-11) ; quand ils les rencontrent, elles se trouvent rétablies dans leur dignité et décident de changer de vie ! Jésus ne leur impose aucune conversion ; s’il invite à un changement de vie, il laisse toujours la liberté, comme on le voit pour le jeune homme riche (Lc 18,22-23). Ayant rencontré Jésus, beaucoup décident librement de changer de vie, souvent de suivre Jésus, tel Bartimée, l’aveugle de Jéricho (Lc 18,42-43).

Le document Accompagner des coupables dit encore : « Quand bien même un condamné aurait causé l’irréparable, il mérite notre attention et notre respect. Nous avons à aider cette personne qui compte sur nous, sur ce que notre ministère représente pour elle » (p. 2). Au fond, ce qui importe avant tout c’est la façon dont les membres de l’aumônerie accueillent les Pape françois et jeune enfantdétenus et sont disponibles pour écouter leurs détresses et leurs souffrances. Nous pouvons nous référer à ce beau passage de Gaudium et spes : « De nos jours surtout, nous avons l’impérieux devoir de nous faire le prochain de n’importe quel homme et, s’il se présente à nous, de le servir activement : qu’il s’agisse de ce vieillard abandonné de tous, ou de ce travailleur étranger, méprisé sans raison, ou de cet exilé, ou de cet enfant né d’une union illégitime qui supporte injustement le poids d’une faute qu’il n’a pas commise, ou de cet affamé qui interpelle notre conscience en nous rappelant la parole du Seigneur : ‘Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait’ (Mt 25,40) » (n° 27 § 2).

Il me semble que les fondements d’une Église en prison sont très bien exprimés dans ces mots de Pierre Claverie, prononcés dans une homélie en 1981 : « Nous sommes et nous Dieu-Amourvoulons être des missionnaires de l’amour de Dieu tel que nous l’avons découvert en Jésus-Christ. Cet amour, infiniment respectueux des hommes ne s’impose pas, n’impose rien, ne force pas les consciences et les cœurs. Avec délicatesse et par sa seule présence, il libère ce qui était enchaîné, réconcilie ce qui était déchiré, remet debout ce qui était écrasé, fait renaître à une vie nouvelle ce qui était sans espoir et sans force. Cet amour, nous l’avons connu et nous y avons cru : nous l’avons vu à l’œuvre dans la vie de Jésus et de ceux qui vivent de son Esprit. Il nous a saisis et entraînés. Nous croyons qu’il peut renouveler la vie de l’humanité pour peu qu’elle le reconnaisse. Mais comment le reconnaîtrait-elle si elle n’était mise en présence d’authentiques témoins ? Dieu nous a donné de connaître son Christ pour que nous soyons ces témoins. »

Pourquoi l’Église en prison ?

Quelques semaines avant sa mort, le même Pierre Claverie disait avec insistance que la mission de l’Église du Christ est avant tout de se tenir au pied de la croix, où Jésus meurt, abandonné des siens. Il ajoutait : « Je crois que l’Église meurt de ne pas être assez proche de la croix de son Seigneur. Sa force et sa fidélité, son espérance et sa fécondité viennent de là et de nulle part ailleurs. » S’il y a une justification théologique de la présence de l’Église en prison, il faut donc la chercher dans cette présence silencieuse de la Mère et du disciple au pied de la croix. En étant dans les lieux de détention, nous nous tenons au pied de la croix du Christ, parce que nous sommes dans des lieux où des femmes et des hommes souffrent. C’est une place difficile et humble que de se tenir au pied de la croix. Cela nous demande une attitude spirituelle qui consiste à confier, à celui qui est sur la croix et qui est vainqueur du mal, chaque détenu que lui seul peut rejoindre dans le mystère de sa personne, un mystère qui nous reste inaccessible. La justification de l’aumônerie en détention est donc principalement théologique, avant même d’être pastorale.

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Pour finir, j’aimerais vous lire un texte assez ancien qui a été écrit par un détenu du Centre de Détention de Mulhouse, sous la forme d’une lettre de Jésus, intitulée « Lettre de Jésus aux hommes abandonnés ».

Tu n’es pas seul entre tes quatre murs.

Avec toi, je suis là.

Je partage ta peine.

Chaque jour de ton enfer, je pleure avec toi.

Ton angoisse, je la connais.

Je l’ai vécue comme toi.

Moi aussi, j’ai été abandonné de tous.

C’est pour cela que je te dis

que je suis avec toi,

car si je ne connaissais pas ta peine,

comment pourrais-je dire

que je suis avec toi ?

 

Croix de Lumière

N’écoute pas ceux qui t’ont parlé de moi.

Ils ne me connaissent pas.

Car pour me connaître,

il faut être comme moi,

seul et abandonné de tous.

Ta peine, ils ne la porteront pas,

car ils ne savent pas.

Non tu n’es pas seul dans ta cellule.

Car, sache-le, je te vois.

Dans cette ombre où seul retentit

le bruit des clefs et des portes.

Dans ce lieu

où l’on t’a jeté et rejeté,

moi je suis là.

Désormais dis-toi

que tu as un ami.

Ton Dieu aime

les plus pauvres de ce monde

et les plus abandonnés.

Et moi, Jésus,

je suis mort sur une croix

où comme pour toi,

plus personne n’était là…

Signé : Jésus.

[1] Lettres et messages d’Algérie, Karthala, 1996, p. 155.

[2] Le Monde, 9-10 juillet 1978.

[3] Voir Michel Trimaille, Cahiers Évangile 39, p. 13-16.

[4] Littéralement : « évangéliser ».




Le Crédo, un commentaire (P. Rodophe Eymard)

Aux messes dominicales, la paroisse a pris la décision de prendre le Crédo de Nicée Constantinople pour proclamer notre foi après la méditation de la Parole de Dieu. Je vous propose d’expliciter sommairement les grands aspects de ce Crédo à partir de l’enseignement du Catéchisme de l’Eglise Catholique (CEC). Dans le Crédo, nous avons l’essentiel de la foi.

« Je crois en un seul Dieu,

le Père tout puissant,

créateur du ciel et de la terre,

de l’univers visible et invisible,

Je crois en un seul Seigneur,

Jésus Christ,

le Fils unique de Dieu,

né du Père avant tous les siècles :

Il est Dieu, né de Dieu,

lumière, né de la lumière,

vrai Dieu, né du vrai Dieu

Engendré non pas créé,

de même nature que le Père ;

et par lui tout a été fait.

Pour nous les hommes, et pour notre salut,

il descendit du ciel ;

par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie,

et s’est fait homme.

Crucifié pour nous sous Ponce Pilate,

Il souffrit sa passion

et fut mis au tombeau.

Il ressuscita le troisième jour,

conformément aux Ecritures,

et il monta au ciel;

il est assis à la droite du Père.

Il reviendra dans la gloire,

pour juger les vivants et les morts

et son règne n’aura pas de fin.

Je crois en l’Esprit Saint,

qui est Seigneur et qui donne la vie;

il procède du Père et du Fils.

Avec le Père et le Fils,

il reçoit même adoration et même gloire;

il a parlé par les prophètes.

Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique.

Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés.

J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir.

Amen »

Je crois en un seul Dieu

 

Je crois : crédo en latin. En disant Je crois, je professe ma foi. La foi est un acte personnel, une adhésion.

Icône de la TrinitéEn un seul Dieu : Dieu est unique. Les chrétiens sont monothéistes (foi en un seul Dieu ≠ polythéisme). Les chrétiens sont baptisés « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » et non au nom du Père, au nom du Fils et au nom du Saint-Esprit. Au nom d’un seul et unique Dieu qu’on nomme la Trinité. Et le mystère de la Sainte Trinité est le mystère central de notre foi. Une seule unité, une seule nature divine, trois personnes : trois personnes en un seul Dieu. Mais les trois personnes sont distinctes entre elles. Chacune des trois personnes participe d’une façon personnelle dans l’œuvre unique de Dieu, dans le plan de Dieu pour l’humanité1. C’est ce que nous allons voir.

 

 

Le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre de l’univers visible et invisible.

 

Le Père tout puissant : Dieu est Père. Dieu est tout puissant parce qu’il créateur. Tout ce qui existe c’est lui qui l’a fait. La toute-puissance de Dieu se comprend par sa paternité. Sa paternité s’exprime par l’amour et la miséricorde infinis. Dieu est tout puissant en amour et en pardon. Il faut bien comprendre cette toute-puissance car nous avons en arrière-fond des visions filmographiques de la toute-puissance : des guerriers, des conquérants. La toute-puissance de Dieu s’exprime dans la croix du Christ. Dieu a révélé son pardon et son amour infinis dans la croix. Se pose la question du mal : comment Dieu qui est tout puissant peut-il le tolérer ? Dieu a créé l’homme libre, c’est un mystère. En l’homme, il y a un libre arbitre pour choisir le bien et le mal. C’est l’homme en exerçant mal sa liberté, en se détournant de Dieu qui commet le mal. Le mal n’est pas une création de Dieu car Dieu n’est qu’amour. Dieu aime tellement l’homme qu’il ne l’enchaîne pas. Ce dernier est libre de choisir Dieu ou de le refuser.

Dieu Père (Giovanni Battista Cima) 2

Créateur du ciel et de la terre de l’univers visible et invisible : Pourquoi Dieu a-t-il créé ? Dieu a créé par sagesse et par amour, pour sa plus grande gloire. Dieu crée ‘de rien’, il n’avait besoin d’aucune aide pour créer. C’est un acte de liberté. Dieu n’avait pas besoin de créer pour exister… A l’origine, Dieu a créé le monde bon et bien ordonné (avant que le péché soit commis). Dieu a créé par le Fils et par le Saint Esprit. Donc la création est l’œuvre de la Trinité.

Du ciel et de la terre de l’univers visible et invisible : Tout ce qui existe. La terre est le monde des hommes. Le ciel désigne le « lieu » propre de Dieu. Dieu a créé l’homme et des entités invisibles : les anges (une vérité de foi !).

Les anges sont des créatures spirituelles qui glorifient Dieu sans cesse. Ils sont au service de Dieu.

« Dieu créa l’homme et la femme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il le créa » (Gn 1, 27). L’humanité est sexuée : homme et femme ; différence sexuelle voulue par Dieu. L’homme seul est à l’image de Dieu. L’homme seul a le souffle de Dieu en lui. L’homme seul est doté d’une conscience pour discerner le bien et le mal, pour discerner ses actes. L’homme a une place particulière au sein de la création. Dieu lui confie sa création, il est co-créateur. L’homme n’est pas un animal parmi d’autres !

Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ

 

Deuxième personne de la Trinité. Jésus est au cœur de la catéchèse. Le CEC précise : « La transmission de la foi chrétienne, c’est d’abord l’annonce de Jésus-Christ, pour conduire à la foi en Lui » (n°425).

 

Jésus : En hébreu : « Dieu sauve ». Ce nom signifie que Dieu est présent en la personne de Jésus. Nom divin qui seul apporte le Salut : « C’est Lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 21).

jésus enseignant 2

Christ : Messie = oint. Jésus est l’envoyé de Dieu. Jésus est le Christ car Dieu « l’a oint de l’Esprit Saint et de puissance » (Ac 10, 38). Il est ce Messie attendu par Israël, annoncé par les prophètes dans les Ecritures Saintes.

Seigneur : Titre divin. Souveraineté divine.

 

le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles : Il est Dieu, né de Dieu, lumière, né de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu Engendré non pas créé, de même nature que le Père ; et par lui tout a été fait.

 

Unique : Jésus est l’unique Fils de Dieu. Nous sommes fils de Dieu par adoption. Nous sommes fils dans le Fils unique.

marieDe toute éternité, bien avant la création, la Trinité existe : Père, Fils et Saint-Esprit. De toute éternité, le Fils qu’on dit aussi le Verbe de Dieu est engendré par le Père c’est-à-dire que toute éternité, le Fils tire sa source du Père. Le Verbe est vrai Dieu, de même nature que le Père. Il est de toute éternité donc non crée. Et à un jour précis de notre histoire, le Verbe de Dieu s’est fait chair dans le sein de la Vierge Marie. Conséquence : une des personnes de la Trinité, le Verbe de Dieu est depuis le jour de l’incarnation est pour l’éternité vrai Dieu et vrai homme.

 

Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel ; par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme.

 

Visage de JésusPourquoi le Verbe de Dieu s’est fait chair ? Pour notre Salut c’est-à-dire pour nous sauver. Le Verbe de Dieu fait chair par l’action de l’Esprit Saint nous sauve en réconciliant avec Dieu car l’homme de par son péché s’est détourné de Dieu. Le Verbe de Dieu s’est fait chair pour nous révéler l’amour du Père. Le Verbe de Dieu s’est fait chair pour être notre modèle de sainteté : Jésus nous montre le chemin à suivre pour aller vers Dieu (selon ce que nous enseigne l’Evangile). Le Verbe de Dieu s’est fait chair pour nous rendre participants de la nature divine, pour faire de nous des fils qui partagent la vie même de Dieu.

Jésus est vrai Dieu et vrai homme. Il est le trait d’union, la médiation entre Dieu et les hommes. En Jésus, Dieu se fait proche de l’homme et l’homme se fait proche de Dieu. Dieu n’a jamais été aussi proche de nous !

Nous comprenons alors pourquoi Jésus est au cœur de notre foi. Il est le seul chemin pour atteindre de Dieu.

Crucifié pour nous sous Ponce Pilate, Il souffrit sa passion et fut mis au tombeau. Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Ecritures, et il monta au ciel; il est assis à la droite du Père. Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin.

 

La deuxième personne de la Trinité occupe le plus grand développement au sein du credo. Cette partie du credo est le cœur du cœur de la foi chrétienne. Nous faisons exprimons ce mystère de la foi à chaque Eucharistie : c’est l’anamnèse : « Tu as connu la mort, tu es ressuscité et tu reviendras dans la gloire ! » Tel est le cœur de notre foi. Le mystère pascal : la passion, la mort et la résurrection du Christ est la première annonce faite par les apôtres et que l’Eglise doit continuer à annoncer au monde.

Croix Lumière

Jésus est venu pour annoncer le Règne de Dieu. Il n’est pas venu abolir la loi comme il le dit lui-même : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir » (Mt 5, 17). La loi donnée par Dieu au peuple par l’intermédiaire de Moïse est bonne en elle-même mais Israël la pratiquait mal. Jésus est venu montrer comment la pratiquer en remettant au centre ce pourquoi la Loi était donnée : en vue de l’amour de Dieu et du prochain.

En s’annonçant comme le Fils de Dieu, beaucoup se sont opposés à Jésus. Les autorités de l’époque l’ont donc mis à mort. Par sa mort et sa résurrection, Jésus a vaincu la mort, le mal et le péché de toute l’humanité. Jésus s’est offert librement sur la croix pour aller jusqu’au bout du témoignage de Dieu et de l’amour2. Ainsi, il a porté tous les péchés du monde. Par son obéissance radicale, Jésus répare nos fautes, la désobéissance de l’homme vis-à-vis de Dieu. La croix exprime donc l’amour infini de Dieu pour l’humanité qui a accepté de livrer son propre Fils en vue de la libération. Le sacrifice du Christ est unique et définitif. Il n’est plus à refaire. Le mystère pascal du Christ apporte le Salut définitif. Chaque homme doit coopérer pour recevoir le Salut apporté par le Christ. Dieu compte sur notre liberté car il ne peut pas nous sauver si nous le refusons.

Jésus ressuscite Adam et Eve

Le symbole des apôtres nous dit que le Christ est descendu aux enfers. Il faut faire une distinction entre « les enfers » et « l’enfer ». Le séjour des morts où le Christ mort est descendu, l’Ecriture l’appelle les enfers, le Shéol ou l’Hadès. Ce sont les morts qui étaient privés de la vision de Dieu. Tous ces morts ont précédé la venue de Jésus sur terre et l’âme du Christ est descendue aux enfers pour libérer les âmes justes qui attendaient le Libérateur annoncé par les Prophètes et les Ecritures. Les enfers sont un « lieu » d’attente. Jésus a sauvé toute l’humanité, de toutes les générations. L’enfer est la séparation éternelle d’avec Dieu. Par un choix libre, à sa mort, l’homme peut refuser l’amour miséricordieux de Dieu. C’est l’état de l’enfer.

Il monta au ciel; il est assis à la droite du Père. Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin : Depuis son ascension, Jésus est entré dans la gloire totale de Dieu dans son humanité. Il n’est plus présent physiquement en ce monde mais par son Esprit. Il est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes. Il reviendra dans la gloire3 où il instaurera une fois pour tout son règne, sa victoire définitive sur le mal existant en ce monde. Mais sa victoire est déjà acquise par son mystère pascal. Il jugera les vivants et les morts. Tous, nous serons jugés et le Christ n’étant que l’amour nous jugera sur l’amour c’est-à-dire sur les œuvres d’amour qui seront faites en ce monde. Se pose à nous la question de la responsabilité et de la conversion.

 

Je crois en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie; il procède du Père et du Fils. Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire; il a parlé par les prophètes.

 

Esprit SaintL’Esprit Saint : Troisième personne de la Trinité. L’Esprit Saint est Dieu. Ce n’est pas un esprit quelconque. Toute la mission de Jésus a été accomplie dans l’Esprit Saint. Au cœur même de Dieu, il y a l’amour et cet amour c’est l’Esprit Saint. L’Esprit Saint est l’amour que le Père a pour le Fils et que le Fils a pour le Père. C’est lui qui nous permet de rentrer en relation avec Dieu, de nous aimer les uns les autres à la manière de Jésus. L’Esprit Saint nous permet de nommer Dieu, notre Père Abba, de nous rappeler de l’enseignement de Jésus et de le mettre en pratique. L’Esprit Saint dépose en nous ses dons pour nous aider à vivre et agir en chrétiens. Jésus nous a promis cet Esprit Saint reçu à la pentecôte pour constituer et élargir l’Eglise aux dimensions du monde. L’Esprit Saint anime, sanctifie et dirige l’Eglise.

       Ce qui est premier c’est cette foi en Dieu qui est Père, Fils et Saint Esprit. Le reste du credo est l’œuvre de Dieu, le projet de Dieu pour l’humanité, le don de Dieu…

Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique

Le mot Eglise signifie « convocation ». Une assemblée convoquée par le Christ. L’Eglise est à la fois visible et invisible. Il y a l’Eglise du ciel et l’Eglise de la terre qui ne forment qu’une seule et unique Eglise. Elle est le sacrement du Salut c’est-à-dire que c’est dans l’Eglise que le Salut se réalise par Jésus Christ. Elle est l’instrument par lequel le Christ agit, le signe et l’instrument de l’Alliance de Dieu avec l’humanité. L’Eglise est à la fois humaine et divine : humaine car elle est composée d’hommes et de femmes, elle est structurée pour sa bonne marche mais divine car elle est instituée et dirigée par le Dieu trinitaire. C’est pourquoi on dit de l’Eglise qu’elle est le peuple de Dieu, le corps du Christ et le temple de l’Esprit Saint.

 Jésus Eglise

Une : Car l’Eglise confesse un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Elle ne forme qu’un seul corps vivifié par l’Esprit Saint.

Sainte : Bien qu’elle soit composée de membres pécheurs, l’Eglise est sainte parce que le Christ qui est la Tête est saint. C’est l’Esprit Saint qui la sanctifie.

Catholique : C’est-à-dire universelle, L’Eglise est de tous temps et répandue à travers le monde.

 

Apostolique : Elle repose sur le témoignage des 12 apôtres. Elle a l’unique mission de continuer le témoignage des apôtres.

Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés.

BaptemeLe baptême est le premier et principal sacrement pour le pardon des péchés, c’est-à-dire que nous échappons à l’esclavage du péché pour vivre dans la liberté des enfants de Dieu. Au baptême, nous sommes unis au Christ mort et ressuscité, nous recevons l’Esprit Saint, nous devenons enfants de Dieu et nous entrons dans la famille des chrétiens (= l’Eglise).

J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir.

 

Résurrection - Lourdes Basilique du RosaireJ’attends la résurrection des morts : c’est-à-dire je crois à la résurrection de la chair. L’homme est corps et âme, il ne faut jamais dissocier ces deux aspects. A la mort, l’âme qui est immortelle est séparée du corps. Au dernier jour, nous croyons que nous ressusciterons dans un corps semblable à celui du Christ. Non pas dans ce corps que nous connaissons en ce monde voué à disparaitre mais dans un corps glorieux et spirituel. La résurrection du Christ est le gage, l’espérance de notre propre résurrection.

Baptême signifie « plongée ». Nous sommes plongées dans la mort et la résurrection du Christ. Pour ressusciter il faut passer par la mort. La mort est donc un passage et non une fin… Par le baptême, la résurrection est déjà inscrite en nous.

La vie du monde à venir : La vie éternelle, dans le Royaume de Dieu. Jésus a prêché la venue de ce Royaume qui nous est promis en héritage. La vie éternelle c’est vivre dans la plénitude de Dieu.

Le symbole des apôtres évoque « la communion des saints » : ce sont toutes les personnes qui nous ont précédées dans la foi et que nous attestons être déjà dans la gloire de Dieu car ils ont mis l’Evangile en pratique tout au long de leurs existences. La communion des saints témoigne de cette espérance en la vie éternelle.

Amen

Amen se rattache à la même racine que le mot « croire ». Il exprime la solidité, la fiabilité, la fidélité. En le disant, il confirme tout ce qui a été dit. On pourrait dire : « OK je crois ! »

                                                                                                                P. Rodolphe Eymard

 

Credo – P. Rodolphe Eymard : cliquer sur le titre précédent pour avoir accès au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.




Les cinq Pâques de saint Thomas d’Aquin

Ah ! qu’on est bien dans le ventre de sa maman. Bien au chaud. Vivre et couvert assurés. Et pourtant, sous peine d’asphyxie, à un moment, il faut passer, il faut sortir, il faut « mourir » pour naître et entrer dans la vie. Mourir à une forme de vie, qui est certes bonne en son temps, mais qui est orientée vers autre chose, qui est appelée à se dépasser dans une forme de vie supérieure. La naissance n’est d’ailleurs que le premier des passages qui rythment l’existence de cet être toujours en croissance qu’est l’homme. Il devra ensuite mourir à l’enfance pour entrer dans le monde des adultes, mourir à une certaine idée qu’on se fait d’une vie réussie pour entrer paisiblement dans le troisième voire le quatrième âge. Chaque passage est une crise qui nous place face à l’alternative radicale de la vie ou de la mort. Si l’appel au dépassement n’est pas entendu, l’homme vivote, s’enfonce dans la régression et la tristesse. Qui n’avance pas, recule. Il en va de notre vie comme de la retraite de Russie, s’arrêter, c’est mourir sur place. Oui, l’exode, la pâque, le passage est la loi même de l’existence humaine.

C’est aussi la loi de la vie chrétienne. D’abord, parce que, comme Jésus l’enseigne à Nicodème, on devient chrétien par une « nouvelle naissance ». Il faut renaître de l’eau et de l’Esprit. Il faut mourir à une vie purement humaine, dont les motivations profondes viennent de la chair et le sang, de l’égoïsme naturel, pour entrer dans une vie selon l’Esprit, une vie d’enfant de Dieu, animée par la charité, dont les motivations et les principes viennent de plus haut. Ensuite parce qu’on ne parvient pas d’emblée à l’état adulte dans la vie chrétienne, c’est-à-dire à la sainteté. Le développement en nous de la vie surnaturelle est marqué par toute une série de crises et de passages qu’il faut consentir (non sans lien d’ailleurs avec les grandes étapes de notre vie naturelle). L’aventure de la sainteté chrétienne emprunte donc, à la suite du Christ, un chemin pascal. Nul n’en est dispensé. Mais, s’il y a des lois générales du développement pascal de la vie chrétienne (nous passons tous, par exemple, par une phase de ferveur initiale sensible suivie par un temps de sécheresse), les itinéraires sont infiniment variés. Autre est le chemin de sainteté dans l’amour d’une mère de famille, autre celui d’un militaire… Je voudrais aujourd’hui vous présenter le chemin pascal d’un Frère Prêcheur engagé dans la recherche théologique – et pas le moindre puisqu’il s’agit de saint Thomas d’Aquin. En suivant les grandes étapes de sa vie, je vous présenterai les cinq pâques que Thomas a accomplies et qui l’ont conduit à la sainteté. Pour spécifique qu’il soit, ce chemin éclaire notre propre chemin.

1 – La Pâque de la vie religieuse

Thomas naît en 1224-1225 dans une Italie déchirée par la lutte entre les partisans du pape et ceux de l’empereur Frédéric II Hohenstaufen (1250). La famille d’Aquin, qui appartient à la petite noblesse terrienne, est, dans un premier temps du moins, au service de l’Empereur. Dans son enfance, le petit Thomas a donc baigné dans une atmosphère guerrière. Il a même connu l’« évacuation » d’urgence pour cause d’opérations militaires. Mais, à l’occasion d’une trêve, en 1230, les parents de Thomas l’offrent comme oblat au célèbre monastère bénédictin du Mont-Cassin. Il s’agit d’un acte traditionnel de piété mais il n’exclut pas des desseins plus terre-à-terre. Qui sait si le fiston ne deviendra pas un jour abbé du monastère, ce qui permettrait à la famille d’Aquin d’arrondir ses domaines qui sont justement limitrophes de ceux de l’abbaye…

Pendant une dizaine d’années, Thomas va donc mener la vie des oblats bénédictins. Il est confié à un moine qui est chargé de l’instruire et de l’initier à la vie chrétienne, et à qui – c’est la première parole conservée de Thomas – il ne cessait de demander : « Quid est Deus ? – Dis, c’est quoi Dieu ? ». Toute sa vie sera finalisée par la recherche d’une réponse à cette question vitale, car « la vie éternelle, disait Jésus, qu’est-ce d’autre que de te connaître, toi le seul vrai Dieu ».

En 1239, la guerre reprend. Thomas, qui n’avait pas encore pris d’engagement définitif dans la vie monastique, part étudier à l’université de Naples. Là, il fait une double rencontre, qui va orienter sa vie de façon décisive. D’abord, dans les rues de Naples, il croise ces nouveaux religieux que sont alors les Frères Prêcheurs, et, séduit, non pas par leur réputation intellectuelle, mais bel et bien par leur idéal de pauvreté évangélique radicale, il demande en avril 1244 l’habit de l’Ordre. C’est la première Pâque de Thomas, son premier exode : la pâque de la vie religieuse. « Quitte ton pays, tes parents et va vers le pays que je te montrerai », dit le Seigneur à Abraham. « Va, vends tout ce que tu as, donnes-le aux pauvres puis viens et suis-moi », prescrit Jésus au jeune homme riche.

Saint Thomas a beaucoup écrit sur la vie religieuse. Il y voit un moyen privilégié pour atteindre le but commun à tous les chrétiens : la sainteté, c’est-à-dire la perfection de la charité, le plein épanouissement de l’amour en nos vies. La mort à soi-même que réalisent les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance fait place nette pour l’irruption en nous de la vie de Dieu. Elle nous libère. Cette vie religieuse, Thomas l’a choisie avec résolution, n’hésitant pas à rompre avec sa famille, son milieu social, pour embrasser cette folie aux yeux du monde qu’est l’abjection de la pauvreté volontaire et suivre nu le Christ nu.

Ce choix pour un ordre mendiant n’était manifestement pas du goût de sa famille et ses soudards de frères galvanisés par une mère énergique le récupèrent manu militari. Ils le placent en résidence surveillée au château familial pendant environ une année, mais doivent finalement le laisser partir. Il rejoint alors le célèbre couvent Saint-Jacques de Paris, haut lieu international des études dominicaines.

2 – La Pâque de la vérité

Car c’est à l’université, au cœur de cette étonnante institution d’enseignement et de recherche qu’inventa la chrétienté médiévale, que saint Thomas est appelé à vivre l’aventure de la sainteté. La vie intellectuelle est, en effet, la seconde grande rencontre de son séjour napolitain. Il a su en faire un chemin pascal de sainteté – la pâque de la vérité. Je veux dire par là que saint Thomas n’est pas devenu un saint malgré sa vie intellectuelle ou à côté mais par elle et en elle.

De fait, saint Thomas a une vision très positive de la connaissance. Je dirais même qu’il y a chez lui une véritable mystique de la connaissance. Connaître, comprendre, c’est tout simplement vivre ! La connaissance est la nourriture de l’esprit comme les aliments sont la nourriture du corps. La connaissance consiste à accueillir en soi, dans son monde intérieur, spirituel, la réalité extérieure et donc à s’unir à elle, à la laisser nous transformer. Elle est une forme d’union, d’assimilation entre le sujet qui connaît et l’objet qui est connu. Saint Thomas était fasciné par le verset de saint Jean : « Nous lui serons semblables [à Dieu] parce que nous le verrons tel qu’il est ».

Cette forme supérieure de vie qu’est la connaissance intellectuelle suscite en chacun de nous un désir. Ce désir est excellent, mais il doit être bien orienté, réglé en fonction des finalités profondes de la vie humaine. Sinon le désir de connaissance se transforme en curiosité (un vice qui est tout autre chose que regarder par le trou de la serrure). Un homme qui passerait sa vie à étudier la reproduction des protozoaires ou la résolution des équations du xeme degré aurait gâché sa vie. Il faut étudier primo ce qui est vraiment important et secundo harmoniser la vie d’étude avec les autres aspects de notre vie humaine. Le désir de connaître doit être intégré aux finalités les plus profondes de l’homme (et du chrétien). Par exemple, être mis au service de la charité sans laquelle il n’y a qu’airain qui résonne. Voilà pourquoi, il existe une vertu qui règle l’usage de l’étude : la studiosité (Somme de théologie, IIa-IIae, q.166).

La studiosité nous pousse tout d’abord vers l’effort qu’exige toute acquisition de connaissance. En ce sens, l’étude est une ascèse. Elle se définit, d’après saint Thomas (IIa-IIae, q. 166, a. 1), comme l’application intense, violente même (vehemens), de l’esprit à l’acquisition de la connaissance. Bref, saint Thomas est pour la violence à l’école, du moins la violence qu’on se fait à soi-même ! Un effort est en effet indispensable pour faire prévaloir les valeurs de l’esprit sur les pesanteurs corporelles. Il s’agit d’une pâque, d’une forme de mort, de renoncement, qui ouvre à une vie d’ordre supérieur. Et nous savons bien aujourd’hui que l’ascèse intellectuelle ne va pas de soi dans une culture qui est dominée par l’image, par la satisfaction immédiate des besoins les plus matériels.

Mais il y a davantage. C’est surtout en tant que recherche de la vérité que la vie intellectuelle est un chemin pascal. Qu’est-ce en effet que la vérité ? Saint Thomas la définit comme l’adaequatio rei et intellectus, c’est-à-dire la conformité entre l’intelligence et la réalité. Notre intelligence est dans le vrai lorsqu’elle se représente intérieurement, subjectivement, les choses telles qu’elles sont extérieurement, objectivement. Par conséquent, la recherche de la vérité exige un effort constant d’objectivité, d’ouverture au réel, à ce qui est plus grand que nous. Et je précise que cette recherche « passionnée » de l’objectivité est implicitement une recherche de Dieu. Le réel est en effet l’expression de la sagesse et de la volonté de Dieu. En m’ouvrant au réel, je m’ouvre en fait à Dieu lui-même.

Au cœur de notre vie d’étude doit donc rayonner une docilité radicale au réel. La docilité est cette disposition d’esprit ou vertu rare qui consiste à savoir écouter, à savoir se laisser enseigner. Elle est inséparable d’une profonde humilité devant le réel dans sa complexité. Elle implique un « exode », un décentrage permanent, un véritable dépouillement. Car la spiritualité de la vérité dont a vécu saint Thomas est un combat de tous les instants contre le subjectivisme, cette tendance irrépressible de l’homme pécheur à tout juger en fonction de lui-même, en se faisant le centre. Ce qui est l’expression de notre orgueil. L’orgueil est l’amour de sa propre excellence. Il nous fait aimer quelque chose de bon, certes, mais nous l’aimons non pas parce que c’est un bien objectif, mais parce que sa possession nous met à part, nous distingue des autres, fait que nous sommes différents. Nous aimons telle ou telle qualité que nous avons parce que c’est notre bien propre, notre bien à nous. La vie intellectuelle est un terrain terriblement propice à l’orgueil. Au lieu de chercher la vérité, je travaille de toute mon ardeur à justifier mes opinions propres, à imposer mon point de vue. Je préfère avoir raison tout seul que d’être dans la vérité avec d’autres. Contre cette tendance lourde, il y a donc un combat spirituel à mener.

Le véritable « intellectuel », celui qui cherche vraiment la vérité, est donc par définition un ennemi de l’esprit de parti, un homme ouvert qui cherche la communion dans la vérité objective. Tel est bien le cas de saint Thomas, comme l’a bien noté l’encyclique Fides et ratio : « Intimement convaincu que `toute vérité, quel que soit celui qui la dit, vient de l’Esprit Saint’, saint Thomas aima la vérité de manière désintéressée. Il la chercha partout où elle pouvait se manifester, en mettant le plus possible en évidence son universalité. »

Cette attitude spirituelle lui permit de faire face au grand défi de son temps : l’assimilation de la nouvelle philosophie gréco-arabe. Vous savez, en effet, que le grand événement intellectuel en Occident, à partir du milieu du XIIe siècle, est l’arrivée d’un ensemble impressionnant de textes scientifiques et philosophiques en provenance du monde musulman. On y trouve l’intégralité de l’œ uvre d’Aristote, mais aussi des textes de la pensée grecque tardive et les riches productions intellectuelles que la fréquentation d’Aristote et de la pensée hellénistique avait déjà suscité chez les intellectuels musulmans (Avicenne et Averroès) et juifs (Maïmonide), et qu’on appelle la falsafa. Face à cette nouvelle vision du monde, cohérente et si peu chrétienne, saint Thomas va tenter de tracer une voie moyenne entre l’adoption intégrale et le refus intégral : le discernement à la lumière de la foi, l’assimilation critique.

3 – La Pâque du service de l’Eglise

Revenons à Paris. Le jeune Thomas semble s’y être distingué dans ses études puisqu’en 1248, Albert le Grand le prend avec lui comme son secrétaire-assistant lorsqu’il est envoyé à Cologne pour y fonder un centre d’étude dominicain, qui sera comme la première université allemande.

En 1252, Thomas est choisi par le maître de l’Ordre pour occuper une des deux chaires que les dominicains possédaient alors à la Faculté de théologie de Paris. Pour s’y préparer Thomas, rentré à Paris, doit commenter le manuel de base des études théologiques : les Sentences de Pierre Lombard. Ayant satisfait à cette épreuve, il est reçu Maître en théologie au printemps 1256.

Thomas prend sa charge très au sérieux. L’enseignement de la théologie n’est pas pour lui un métier comme un autre. Il y voit un authentique ministère, un service d’Eglise, dont l’exercice est animé par une vive charité et mobilise toutes ses énergies. Pour saint Thomas, le théologien est un chaînon dans la transmission salvifique de la sacra doctrina. La sacra doctrina (enseignement sacré) est ce fleuve de vie qui prend sa source en Dieu et qui doit irriguer le monde. Il est constitué par la Parole de Dieu, transmise et interprétée sous l’action de l’Esprit par la Tradition de l’Eglise et actualisée par l’enseignement des théologiens.

Conscient de la dignité de sa charge et des responsabilités qu’elle implique, Thomas va se dépenser sans compter dans sa mission d’enseignement. Comme le demandent les statuts universitaires, il « lit », c’est-à-dire commente, l’Écriture sainte, tient des disputes (débats contradictoires) et donne des sermons universitaires. En dehors de ces activités strictement universitaires, déjà bien capables de remplir la vie d’un homme, il trouve encore le temps de rédiger des ouvrages majeurs comme la célèbre Summa contra Gentiles.

Après trois ans d’enseignement à Paris, Thomas est rappelé en Italie. Il enseigne dans différents couvents de sa province d’origine. A Rome, au couvent Sainte-Sabine, il met en chantier son chef d’œuvre destiné à la formation des débutants : la Somme de théologie.

L’étude ne visant pas la promotion personnelle mais cette œuvre de charité spirituelle qu’est le service doctrinal de l’Eglise, Thomas n’hésite pas à répondre à des demandes multiples et variées qui lui prennent un temps précieux.

Il est sollicité tout d’abord par ses frères. Un chantre d’Antioche lui demande un exposé de la foi chrétienne répondant aux objections des musulmans, un confrère italien sollicite son avis sur la moralité du prêt à intérêt… Il ne s’agace qu’une fois, lorsqu’un fr. Gérard, professeur à Besançon, lui demande si l’étoile des mages avait la forme d’une croix ou d’une figure humaine…

Il répond aussi aux laïcs qui le consultent. Un médecin italien lui demande son avis sur le fonctionnement du cœur. La comtesse de Flandres l’interroge sur la légitimité morale de certains impôts et sur la conduite à tenir vis-à-vis des juifs.

Enfin, les papes eux-mêmes recourent volontiers à ses services. Urbain IV lui demande par exemple de rédiger un commentaire continu sur les quatre évangiles (la Catena aurea), un rapport sur les principaux points controversés entre l’Orient et l’Occident (Filioque, primauté pontificale, purgatoire, matière du pain eucharistique…) (Contra errores Graecorum). Toujours à la demande du pape, il compose la liturgie romaine de la Fête du Corps et du Sang du Christ, promulguée en 1264, et nous chantons encore aujourd’hui les textes de saint Thomas, comme le Tantum ergo.

Quand on sait combien les intellectuels sont d’ordinaire jaloux de leur temps, il y a dans cette disponibilité du fr. Thomas une humilité étonnante, plus encore le signe d’un immense amour de l’Eglise, de cette communauté des croyants dont il a voulu être un serviteur. C’est sa troisième pâque, la pâque du service de l’Eglise

4 – La Pâque de la foi

En 1268, Thomas est rappelé à Paris. Les quatre années qu’il y passe sont les plus fécondes de sa vie intellectuelle. Il abat un travail qui défie l’imagination (12 pages A4 par jour !). Mais il est surtout confronté à la montée en force d’un courant intellectuel qui met en crise l’équilibre de la pensée chrétienne : l’aristotélisme radical ou averroïsme latin. En effet, dans les années 1260, certains professeurs de la faculté des arts (philosophie) sont à ce point fascinés par la cohérence du système philosophique d’Aristote, commenté par Averroès, qu’ils l’adoptent intégralement, sans trop se soucier de le concilier avec la foi. Plus grave, persuadés par Aristote que la vraie dignité de l’homme consiste à mettre en œuvre ce qu’il y a de plus divin en lui, à savoir la raison, ils font de l’étude de la philosophie un idéal de vie à connotation élitiste. Il n’est pas vraiment homme, disent-ils, celui qui ne s’adonne pas à la philosophie (…à Paris, précisera un averroïste du XIVe siècle). Cet idéal n’est pas tout à fait celui de la sainteté chrétienne.

Aussi certains théologiens conservateurs, comme saint Bonaventure, réagissent-ils vigoureusement et n’hésitent pas à jeter le bébé avec l’eau du bain : « Je vous l’avais bien dit. La `nouvelle philosophie’ est dangereuse. Elle conduit tout droit à l’hérésie ».

Saint Thomas est pris entre deux feux. A droite, on lui reproche d’être trop ouvert à la nouvelle philosophie aristotélicienne et à gauche de ne l’être pas assez ! Il élabore alors une stratégie originale : montrer au plan strictement philosophique que l’aristotélisme authentique n’a rien à voir avec les interprétations durcies qu’en a données Averroès. Non seulement l’aristotélisme authentique est compatible avec la foi chrétienne mais il est un instrument hors pair pour la théologie. Soucieux, en apôtre qu’il est, de détourner les jeunes artiens de l’hérésie sans pour autant les obliger à renoncer à la philosophie, il rédige un commentaire « chrétien » de toutes les œuvres d’Aristote, un guide de lecture qui, à la différence de celui d’Averroès, n’éloigne pas du Christ.

Ce débat avec le rationalisme averroïste conduit Thomas à approfondir sa quatrième pâque. La pâque de la foi. L’homme n’est ni le créateur ni le maître du sens. Pour accéder à la plénitude de la vérité, l’homme doit mourir à la prétention de tout expliquer par sa seule raison. Il doit se faire tout accueil à la Parole de Dieu, qui ne contredit pas la raison mais la dépasse et l’accomplit. Face à la tentation qu’a la raison humaine de se replier sur elle-même, saint Thomas fait valoir l’existence en tout homme d’un désir naturel de voir Dieu. L’homme désire comprendre – c’est le fondement de toute philosophie. Il désire connaître les causes, les pourquoi et les comment, et son cœur est sans repos tant qu’il n’a pas saisi le principe explicatif ultime. « L’homme ne peut être parfaitement heureux tant qu’il lui reste quelque chose à désirer et à chercher ». Or le philosophe peut bien arriver à savoir qu’il existe un Dieu, une Explication, mais cela ne suffit pas à apaiser son désir : il ne peut pas ne pas vouloir savoir quelle est cette Explication, quelle est la nature de Dieu. Or cela, Dieu seul peut le lui donner en se révélant à lui, en lui découvrant le mystère de sa vie intime et en l’y associant. Bref, l’entreprise philosophique ne peut arriver par elle-même à son but. Elle appelle son propre dépassement dans la foi et dans la vision de gloire. Elle doit « passer ».

5 – La Pâque de la Rencontre

Au printemps 1272, Thomas quitte Paris pour Naples où il va poursuivre son enseignement et ses travaux intellectuels. Mais le 6 décembre 1273, pendant qu’il célèbre la Messe, se produit un « étonnant changement ». En rentrant à la sacristie, il déclare à son fidèle secrétaire et ami Réginald de Piperno qu’il arrête tout. Il ne peut plus écrire ni travailler. « Tout ce que j’ai écrit me semble si peu de chose, comme de la paille ». De fait, Thomas cesse son activité. Il reçoit peu après l’ordre de se rendre au concile de Lyon, se met en route mais n’arrive pas au terme puisqu’il meurt en chemin, le 7 mars 1274, en l’abbaye cistercienne de Fossanova.

Que s’est-il passé le 6 décembre ? Sans doute un sérieux accident de santé dû au surmenage intellectuel. Mais cet accident s’accompagne aussi d’une expérience spirituelle. Saint Thomas ne renie certes pas ce qu’il a fait ou écrit, mais il est temps pour lui, personnellement, de passer à autre chose. Saint Thomas lui-même distingue deux grandes formes de la sagesse chrétienne. D’une part, la sagesse théologique qui s’acquiert par l’étude et la recherche rationnelle à la lumière de la foi. D’autre part, « la sagesse d’en haut » (Jc 3, 17), la sagesse mystique qui est une connaissance non plus conceptuelle et raisonnante mais expérimentale des choses de Dieu. Prenant appui sur l’affinité que l’amour et la prière tissent entre l’âme et Dieu, elle ouvre – mais dans la ténèbre – d’autres horizons à la connaissance de Dieu.

En Thomas d’Aquin, ces deux sagesses ont grandi ensemble, se sont confortées l’une l’autre. Mais l’heure vient – et nous y sommes en ce 6 décembre – où la sollicitation mystique se fait plus pressante, plus exclusive. Vient un temps où l’homme, y compris le théologien, ne se satisfait plus de la théologie. Certes, la théologie atteint vraiment quelque chose du Mystère de Dieu, mais c’est encore et toujours à la manière humaine. C’est encore et toujours à travers le pesant échafaudage de la rationalité humaine. Des images, des mots, des signes, des raisonnements ! Alors que c’est la Réalité, la Res, que nous voulons. Au-delà de la paille, qui tout à la fois le contient et le cache, nous voulons le Grain. Nous voulons le Pain substantiel qu’est Dieu. L’amour veut la présence sans intermédiaire. La foi veut la vision, car l’intelligence est faite pour la lumière, pour le plein jour. Pas pour l’énigme ni le clair-obscur. « Quand viendrai-je et verrai-je la Face de Dieu ? » (Ps 42, 3). C’est cette pâque ultime que désire saint Thomas : le passage à la claire vision.

Quelques semaines plus tôt, alors qu’il priait devant une icône du Crucifié, saint Thomas entendit le Christ lui dire : « Tu as bien parlé de moi, Thomas, que désires-tu en récompense ». Et lui de répondre : « Rien d’autre que toi, Seigneur ».

 

 Frère Serge-Thomas Bonino, dominicain