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Comment croire encore en Dieu face au mal et à la souffrance ?

La présence du mal et de la souffrance, surtout lorsqu’elle touche des innocents, est et sera toujours un scandale… Beaucoup s’interrogent : « Comment se fait-il que Dieu Tout Puissant, s’il existe, puisse regarder tout cela sans réagir ? » « Pourquoi le mal semble-t-il triompher ? » « Pourquoi ces personnes âgées, ces jeunes enfants, ces femmes enceintes, alors qu’ils dormaient tranquillement chez eux, meurent-ils sous les bombes, sans que Personne, Là Haut, ne réagisse ? »

C’est incompréhensible, absurde, injuste, révoltant…

Sans apporter de réponse humainement satisfaisante – nous souhaiterions tous tellement que tout ceci n’existe pas ! – le Christ nous ouvre une porte, rude, difficile… Il est « passé« , nous dit St Luc, « en faisant le bien » (Ac 10,38). Il n’était que bonté, douceur (Mt 11,29) ; avec lui, « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent » (Mt 11,5). Et pourtant, par jalousie, les foules courant après lui, il sera arrêté, jugé, condamné sur la base de fausses accusations et finalement crucifié, une mort atroce pour un innocent… Et il ne réagira pas… Il se laissera arrêter, frapper, lacérer par les fouets, transpercer par les clous… Pire : il ne répondra que par de la bienveillance à toute cette méchanceté, priant même, juste avant de mourir, pour que ses persécuteurs soient pardonnés : « Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Il nous révélait ainsi, en actes et en paroles, que « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16) et qu’il n’est qu’Amour, incapable de répondre au mal par le mal, à la violence par la violence, une violence que nous, nous jugeons pourtant nécessaire pour éradiquer le mal… Mais Dieu n’est pas ainsi… Et sa résurrection d’entre les morts manifestera la victoire finale et définitive de l’Amour sur la haine, de la Vie sur la mort… Mais tout ceci ne se laisse percevoir que dans l’invisible de la foi, car c’est encore et avant tout une question… d’amour… « On ne voit bien qu’avec le coeur », dit le Petit Prince (Antoine de Saint Exupéry)…

On peut aussi aborder cette question du mal et de la souffrance d’un point de vue simplement réflexif, à la manière des philosophes grecs d’autrefois, qui réfléchissaient de questions en réponses… Voici à ce sujet un magnifique témoignage reçu tout récemment d’un ami :

« Compte-tenu du mal et de la souffrance dans le monde, il est impossible qu’il y ait un Dieu », déclara un jeune étudiant.

Je lui demandais s’il acceptait que nous discutions quelques instants de ce problème. Il acquiesça.

« En déclarant qu’il y a beaucoup de mal, n’êtes-vous pas en train d’affirmer l’existence d’une réalité qui serait le bien ? »

— « Si », répondit-il.

— « S’il existe une entité que vous appelez “bien”, vous devez également admettre une loi morale qui vous permet de différencier le bien du mal ».

— Oui, dit-il d’une voix faible et mal assurée.

C’était un point important. La plupart des sceptiques n’y ont pas prêté l’attention qu’il mérite.

C’est pourquoi je rappelai à mon interlocuteur la controverse qui avait opposé le philosophe athée Bertrand Russel au philosophe chrétien Frédérick Copleston. Lors de ce débat, Copleston avait demandé à Russel s’il croyait à l’existence du bien et du mal.

— « Oui », avait répondu l’athée.

— « Comment faites-vous pour les différencier ? » Avait alors demandé le chrétien.

— « De la même façon que je différencie les couleurs ».

— « Mais vous distinguez les couleurs entre elles au moyen de la vue, n’est-ce pas ? Comment faites-vous pour différencier le bien du mal ? »

— « En me fiant à mes sentiments. Sur quoi d’autre ? » répondit Russel agacé.

Quelqu’un aurait dû à ce moment-là rétorquer au philosophe athée que dans certaines cultures, les gens aimaient leur prochain, et que dans d’autres, ils les mangeaient. Dans les deux cas, c’était sur la base des sentiments. Monsieur Russel aurait-il préféré un traitement à l’autre ?

Au nom de quelle raison peut-on justifier la différenciation entre le bien et le mal sur la base des sentiments ? Les sentiments de qui ? Ceux d’Hitler ou ceux de Mère Thérésa ? En d’autres mots, il doit bien exister une loi morale, un étalon qui sert de référence pour dire que ceci est bien et cela mal. Comment distinguer le bien du mal autrement ? Mon interlocuteur reconnut le bien-fondé de ma remarque.

Permettez-moi de résumer jusqu’où cet étudiant était arrivé. Je lui avais demandé s’il admettait l’existence du bien et du mal. Il avait répondu affirmativement. Puis je lui avais fait remarquer que s’il croyait en l’existence du bien et du mal, il devait nécessairement supposer l’existence d’une loi morale permettant de différencier les deux. De nouveau, il avait été d’accord.

« Or, l’existence d’une loi morale implique l’existence d’un législateur moral. C’est justement ce que vous cherchez à nier, et non à prouver ! Sans législateur moral, pas de loi morale. Sans la loi morale, pas de bien. Sans bien, pas de mal. Quel est donc le sens de la question que vous m’avez posée ? ».

Il y eut alors un silence pesant que le jeune homme rompit en déclarant d’un air penaud : “Que suis-je donc en train de vous demander ?”

Le côté humoristique de la situation n’échappa à personne. Mon interlocuteur était visiblement désemparé. Il venait de découvrir que sa question comportait une présupposition qui contredisait sa conclusion. C’est pourquoi j’ai dit plus haut que le sceptique doit non seulement répondre à sa question, mais la justifier. Malgré sa confusion, je dis à l’étudiant qui m’avait interpellé que j’acceptais cependant de bon cœur sa question, car elle confirmait mes présuppositions qu’il existait un univers moral. Si Dieu n’est pas l’auteur de la vie, les termes “bien” et “mal” n’ont aucun sens.

L’athée qui pense avoir fait une brèche dans la logique chrétienne en posant la question du mal tombe en fait dans la fosse qu’il a creusée. Sa question met en lumière une présupposition cachée. Ce qui nous amène à placer le sceptique au pied du mur : de quel droit soulever un problème moral s’il n’y a pas d’univers moral ? À partir du moment où nous utilisons le mot “mieux”, nous supposons un point de référence. Mieux par rapport à quoi ?

Dans le même ordre d’idées, nous soulevons une question très légitime en demandant comment l’univers peut sembler immoral s’il ne repose pas sur une base ou une raison d’être morale. Ceux qui posent la question de l’existence du mal doivent se rendre compte que le chrétien propose une réponse cohérente, alors que l’athée est obligé de résoudre la question du mal (qui est d’ordre moral) dans un univers qu’il déclare à priori amoral. Il est donc impossible de résoudre le problème du mal en décrétant l’inexistence de Dieu. C’est au contraire en intégrant le concept de l’existence de Dieu que l’homme peut espérer trouver une réponse à cette angoissante question du mal et de la souffrance »…

Et l’aventure est possible, car le Christ lui-même, juste avant de mourir pour nous révéler l’Amour, a fait cette promesse, valable jusqu’à la fin des temps : « Père, je leur ai fait connaître ton nom, et je le leur ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux » (Jn 17,26). « Quand je serai élevé, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,32), pour « leur faire connaître ton nom » et leur révéler ainsi que « Dieu est Amour« , qu’il n’est qu’Amour… Qu’il en soit donc ainsi pour chacun d’entre nous…

D. Jacques Fournier