Comment lire la Bible, œuvre tout à la fois de Dieu et des hommes…

« Dieu est invisible », nous dit le Concile Vativan II, mais « il lui a plu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté » (Dei Verbum (DV) & 2)… Tel est le point de départ que nous ne devrons jamais oublier… « Dieu Est Esprit » (Jn 4,24), nous dit St Jean, et il est donc, par nature, « invisible » à nos seuls yeux de chair. Mais il prend l’initiative de « se révéler », une notion qui intervient 32 fois dans notre texte. C’est donc Lui, en premier, qui vient à nous et qui désire se faire connaître tel qu’Il Est… A nous maintenant d’accepter les moyens qu’il a choisis de mettre en œuvre pour « se révéler », et surtout d’accepter ce qu’il désire nous « révéler »… « A Dieu qui révèle, il faut apporter « l’obéissance de la foi » (Rm 16,26 ; 1,5 ; 2 Co 10, 5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier librement à Dieu… Pour apporter cette foi, l’homme a besoin de la grâce de Dieu qui fait les premières avances et qui l’aide, et du secours intérieur de l’Esprit Saint pour toucher son cœur et le tourner vers Dieu, pour ouvrir les yeux de son âme, et donner à tous la joie profonde de consentir et de croire à la vérité » (DV & 5). C’est à cet Esprit Saint que nous nous confions tous aujourd’hui…

            Pour se révéler, Dieu a choisi un homme « Abraham », puis des hommes issus de sa lignée, « les fils d’Abraham », les Israélites, qui vont mettre par écrit ce qui leur a été donné de percevoir de son Mystère : « Pour la rédaction des Livres saints, Dieu a choisi des hommes ; il les a employés en leur laissant l’usage de leurs facultés et de toutes leurs ressources, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils transmettent par écrit, en auteurs véritables, tout ce qu’il voulait, et cela seulement » (DV & 11). Ainsi, « Dieu parle dans la Sainte Ecriture par des intermédiaires humains, à la façon des hommes ». « Pour comprendre correctement ce que l’auteur sacré a voulu affirmer par écrit, il faut donc soigneusement prendre garde aux façons de sentir, de dire ou de raconter, qui étaient habituelles dans son milieu et à son époque » (DV & 12).

            Ainsi par exemple, les archéologues ont trouvé en Irak une tablette d’argile qui raconte l’histoire de Sargon Ier, dit l’ancien, un Sémite, fondateur de la puissante dynastie akkadienne, et qui vécut aux environs des années 2350 av. JC, donc plus de mille ans avant Moïse : « Ma mère m’enfanta en cachette, elle me plaça dans un panier de jonc et elle en ferma la porte avec du bitume. Elle m’abandonna au Fleuve, et il ne me submergea point. Le Fleuve m’apporta à Akki, le puiseur d’eau. Akki me prit dans la bienveillance de son cœur »… Or, en 1887, une mission archéologique découvrit en Egypte la capitale du Pharaon Aménophis IV (1370-1353; rappel: Ramsès II, 1290-1224), à Tell el Amarna, et dans une des salles de l’ancien palais, ils trouvèrent des tablettes d’argile… L’une d’entre elles raconte l’épopée du roi akkadien Sargon Ier. Ce type de récit légendaire faisait donc partie du folklore du Proche Orient. Les Israélites, en écoutant le récit de la naissance de Moïse savaient donc bien à quoi s’en tenir quant à sa valeur strictement historique. Quelle était donc l’information qu’ils en retenaient ? Avant tout que Moïse était un personnage exceptionnel quant à sa destinée, comparable aux plus grands des rois de la terre…

            Les textes bibliques portent aussi la trace des connaissances considérées comme acquises au moment où l’auteur écrivait… Les anciens, par exemple, pensaient que la terre était plate, reposant sur les colonnes de l’univers, et que le ciel était comme une demi sphère posée sur elle. Par dessous, les oiseaux du ciel volaient tout « contre » elle (Gn 1,20), et par dessus se trouvaient les eaux d’en haut (Gn 1,7) qui tombaient sur la terre lorsque Dieu ouvrait « les écluses du ciel » (Gn 7,11 ; 8,2)… Deuxième exemple : ils pensaient que la vie de l’homme est « dans son sang » (Lv 17,11 ; 17,14). Puisque la vie est sacrée, qu’elle est donnée par Dieu et qu’elle n’appartient qu’à lui seul, il était donc interdit de consommer ce sang (Dt 12,23)… Les progrès de la médecine nous donnent maintenant une autre compréhension de la vie humaine… Ces considérations sur le sang et les interdits liés à sa consommation sont donc « dépassés ». Mais il reste du texte biblique le respect incontournable qui doit être manifesté à toute vie humaine…

            Pour bien interpréter les textes bibliques, il faut aussi tenir compte du cheminement d’Israël, au fil des siècles, dans la découverte progressive du Mystère de Dieu. Dei Verbum parle ainsi des « cheminements de Dieu avec les hommes » (DV &14). Au départ, Dieu a, par exemple, été présenté comme ayant des réactions semblables à celles des hommes : il s’irrite des infidélités, se met en colère, tape, frappe et punit en tuant non seulement le pécheur mais encore tous ceux et celles qui l’entourent… Petit à petit cette vision sera corrigée : non, seul le pécheur mourra par suite de ses actes, diront les prophètes Jérémie (Jr 31,29-30) et Ezéchiel (Ez 18)… Mais avec le Christ, nous découvrons un Dieu qui prend sur lui les conséquences de nos péchés pour nous en libérer (Mt 8,17) : Lui qui n’a jamais péché va expérimenter notre mort et nos ténèbres, pour que nous vivions de sa Vie, dans sa Lumière…

            « Dieu est donc, l’inspirateur et l’auteur des livres des deux Testaments » (DV & 16) mais il le fait en respectant pleinement l’homme qu’il inspire, cet homme qui appartient à son époque et qui chemine, pas à pas, avec ses frères vers la vérité tout entière, guidé, éclairé et soutenu par l’Esprit Saint (Jn 16,13). L’auteur biblique est donc tout à la fois inspiré par Dieu et pleinement lui‑même, avec ses convictions, et les connaissances propres à son époque et au milieu où il vit, autant d’éléments qui ont peut-être besoin d’être corrigés … « Les livres de l’Ancien Testament présentent à tous, selon la situation du genre humain avant le salut apporté par le Christ, une connaissance de Dieu et de l’homme et des méthodes dont Dieu, qui est juste et miséricordieux, agit avec les hommes. Ces livres contiennent donc des choses imparfaites et provisoires » (DV & 15) et il faut bien sûr en être conscients lorsque nous les lisons… Mais c’est la pleine révélation apportée par le Christ qui nous permettra, petit à petit, avec l’aide de ce même Esprit qui les a inspirés, de tendre vers une interprétation de plus en plus juste de tous ces textes bibliques…

            Tout l’Ancien Testament n’avait donc d’autre but que de « préparer la venue du Christ Rédempteur de tous » en « l’annonçant prophétiquement » (DV & 15). A ce titre, il est tout entier « une prophétie » où « est caché le Mystère de notre salut ». « Dieu donc, inspirateur et auteur des livres des deux Testaments, s’y est pris si sagement que le Nouveau Testament était caché dans l’Ancien, et que l’Ancien devenait clair dans le Nouveau » (DV & 16).

            Et ce Nouveau Testament a été écrit avec les mêmes principes que l’Ancien :

              – L’Esprit Saint était là pour éclairer, guider, inspirer les Apôtres : « Après l’Ascension du Seigneur, les Apôtres ont transmis à leurs auditeurs ce que Jésus avait dit et fait, avec cette intelligence plus profonde dont ils jouissaient eux‑mêmes, instruits qu’ils étaient par les événements glorieux du Christ et enseignés par la lumière de l’Esprit de vérité » (DV & 19).

         – Mais ils étaient toujours pleinement eux-mêmes. Ils ont donc écrits en « vrais auteurs », chacun avec son tempérament, ses goûts, son éducation, dans le contexte historique et social de son époque, avec les connaissances, coutumes et conventions propres à cette époque. « Les auteurs sacrés ont composé les quatre Évangiles, en triant certains détails entre beaucoup de ceux que la parole ou déjà l’écriture avait transmis, en en faisant entrer quelques-uns en une synthèse, ou en les exposant en tenant compte de l’état des églises, en gardant enfin la forme d’une proclamation, afin de pouvoir ainsi toujours nous communiquer des choses vraies et authentiques sur Jésus » (DV & 19).

            Ainsi, « après avoir à maintes reprises, et sous diverses formes, parlé jadis par les Prophètes, Dieu, « en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils » (Hb 1,1‑2). Il a en effet envoyé son Fils, c’est-à-dire le Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour habiter parmi les hommes et leur faire connaître les secrets de Dieu » (DV & 4). Et quels sont-ils ? « Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté : par le Christ, Verbe fait chair, les hommes ont, dans le Saint-Esprit, accès auprès du Père, et deviennent participants de la nature divine » (DV & 2). « Cette révélation », apportée par le Christ, « provient de l’immensité de la charité » de Dieu, de sa miséricorde et de son infinie tendresse pour tous les hommes. En effet, « Jésus‑Christ, c’est Dieu avec nous, pour que nous soyons délivrés des ténèbres du péché et de la mort, et que nous soyons ressuscités pour la vie éternelle » (DV & 4). Avec Lui et par Lui, « Dieu s’adresse aux hommes comme à des amis, et converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir en cette communion » (DV & 2). « Quand il écoute religieusement et proclame hardiment la parole de Dieu, le saint Concile obéit donc aux paroles de saint Jean : « Nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous est apparue : ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous soyez vous aussi en communion avec nous, et que notre communion soit avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (1Jn 1, 2-3).

        St Jean a donc bien conscience d’avoir été introduit par sa foi au Christ dans un Mystère de Communion avec Lui, et ce Mystère est de l’ordre de la vie, la Vie de Dieu, la Vie éternelle… « Ainsi l’Eglise, dans sa doctrine, sa vie et son culte, perpétue et transmet à toutes les générations tout ce qu’elle est elle-même, tout ce qu’elle croit » (DV & 8). A ce titre, ce qu’ils écrivent, en vrais auteurs sous l’inspiration de l’Esprit Saint, est aussi un témoignage de ce qu’ils vivent, « des réalités spirituelles qu’ils expérimentent » eux-mêmes (DV & 8). Et ils ont conscience que ce trésor de Vie reçu du « Père des Miséricordes » (2Co 1,3) est offert à tout homme qui accueillera leur témoignage avec bonne volonté…

           Le premier but de la Parole de Dieu n’est donc pas de nous apporter une connaissance de type purement intellectuelle : elle nous est donnée pour qu’avec elle et par elle, nous entrions petit à petit dans un Mystère de Communion avec Dieu, Mystère de Communion et de Vie dont l’Esprit Saint est l’artisan. En effet, lorsque nous ouvrons notre cœur à cette Parole, l’Esprit Saint nous rejoint et nous communique « quelque chose » qui est de l’ordre de la Vie même de Dieu. « C’est l’Esprit qui vivifie », et c’est bien parce qu’il en est ainsi que « mes paroles sont Esprit et elles sont Vie » (Jn 6,63). Autrement dit, au moment où Jésus et les Apôtres nous parlent de cette Vie éternelle qui vient du Père, « l’Esprit Saint touche nos cœurs » (DV & 5) en leur communiquant une réalité qui est de l’ordre de la vie, la Vie même de Dieu… « Tu as les Paroles de la Vie éternelle », dit un jour St Pierre à Jésus… Il vivait en l’écoutant « quelque chose » qu’il n’avait jamais vécu auparavant…Les Ecritures « inspirées par Dieu et consignées une fois pour toutes par écrit, nous communiquent, de façon immuable, la parole de Dieu lui-même, et dans les paroles des Prophètes et des Apôtres font retentir à nos oreilles la voix du Saint-Esprit » (DV & 21), une voix qui est de l’ordre de la Vie, et que l’on entend en « vivant » ce qu’il nous est donné de vivre, gratuitement, par Amour, par Miséricorde… « L’Esprit Saint, par qui la voix vivante de l’Evangile retentit dans l’Eglise et par l’Eglise dans le monde, introduit ainsi les croyants dans tout ce qui est vérité » (DV & 8), une vérité qui est Vie, Mystère de Communion avec le Dieu Vivant et Source de Vie…

            Aussi est-il nécessaire que « les prêtres du Christ, les diacres, les catéchistes », bref, tous les fidèles, « s’attachent aux Ecritures par une lecture assidue et une étude soigneuseMais la prière — qu’on se le rappelle — doit accompagner la lecture de la Sainte Ecriture pour que s’établisse un dialogue entre Dieu et l’homme » (DV & 25), dialogue où « Dieu », « dans l’immensité de sa charité », « s’adresse aux hommes comme à des amis, et converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir en cette communion » (DV & 2). Nous avons tous été créés pour vivre de cette Vie de l’Esprit qui, seule, est capable de combler pleinement nos cœurs, et donc de nous communiquer ce à quoi nous aspirons tous : ce vrai Bonheur qui est Plénitude de Vie et de Paix… Tel est le trésor offert à toute lecture priante de la Parole de Dieu, « surtout du Nouveau Testament, et en tout premier lieu, des Evangiles » (DV & 25).

            « Ainsi donc, par la lecture et l’étude des Livres saints,  » que la Parole de Dieu accomplisse sa course et soit glorifiée  » (2 Th 3,1), et que le trésor de la révélation, confié à l’Eglise, remplisse de plus en plus les cœurs des hommes ». Ce trésor, c’est l’Esprit Saint, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63) et qui remplissait les cœurs de Jésus (Lc 4,1), Jean‑Baptiste (Lc 1,15), Marie (Lc 1,28 avec Hb 10,29), Elisabeth (Lc 1,41), Zacharie (Lc 1,67), Etienne (Ac 7,55), Paul (Ac 9,17) et tous les Apôtres et disciples de Jésus (Ac 2,4). Nous avons tous été créés pour cela : être « un seul esprit avec le Seigneur » (1Co 6,17), dans « l’unité de l’Esprit » (Ep 4,4), « l’Esprit s’unissant à notre esprit » (Rm 8,16) pour nous introduire dans cette « communion du Saint Esprit » (2Co 13,13) qui est Mystère de Vie avec Dieu puisque « l’Esprit vivifie » (Jn 6,63). Et chaque fois que nous lisons la Parole de Dieu, qui est un témoignage de Jésus sur cette Vie de l’Esprit qu’il reçoit du Père avant tous les siècles (Jn 5,26), ou un témoignage des Apôtres sur cette même Vie de l’Esprit qu’ils ont reçu eux aussi par leur foi en Jésus (Ga 2,20), l’Esprit se joint à cette Parole pour nous donner de « vivre » ce qu’elle nous dit… « Celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34).

            C’est pourquoi il est « permis d’espérer une nouvelle impulsion de la vie spirituelle à partir d’un respect accru pour la Parole de Dieu, qui « demeure à jamais » (Is 40,8 ; cf. 1P 1,23-25) » par « l’Esprit qui est Seigneur et qui donne la Vie », la Vie éternelle…

  1. Jacques Fournier

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