Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 17 janvier 2016)
Isaïe 62, 1-5 (Les noces de Dieu et de son peuple)
Ce texte est déjà proposé, chaque année, pour la Vigile de Noël. Pour rebâtir une relation d’amour, il ne suffit pas que l’offenseur reconnaisse ses torts. Il faut aussi que l’offensé assume le risque d’un recommencement. Les prophètes de l’exil à Babylone soulignaient les torts d’Israël dans la rupture avec Dieu. Les prophètes du Retour (ici celui qu’on appelle le Troisième Isaïe) proclament que le Seigneur épouse à nouveau son Peuple vu sous les traits d’une jeune épouse. La première partie du poème annonce la restauration de Jérusalem, œuvre de la *justice de Dieu amenant un rayonnement international, une renaissance (un nom nouveau) et une promotion royale : le Seigneur tournera entre ses doigts la couronne nuptiale qui représente les remparts et les tours de la Ville. La seconde partie précise l’origine de cette nouveauté : c’est la recréation de l’Alliance, sous l’image des noces dans lesquelles Dieu se refait jeune homme et rend à l’épouse sa propre jeunesse. Nul reproche à l’Infidèle ! Il y eut un temps pour le délaissement, le désert et les reproches ; il y a un temps pour le renouveau. La suite du poème, non retenue ici (v. 9), ajoute l’image du vin de la fête : « Les vendangeurs boiront le vin, dans mes parvis sacrés. » La nouvelle Alliance nuptiale promise, Jésus la réalise pour nous, inaugurée par le récit symbolique des noces de Cana (évangile)..
*La justice de Dieu n’est pas un « jugement ». Dieu est juste envers lui-même quand il réalise son projet de nous sauver. Ainsi le poème ajoute deux synonymes à la justice : le salut – et la gloire, c’est-à-dire le rayonnement bienfaisant de Dieu). Et puisque le pécheur ne mérite pas la justice de Dieu, celle-ci équivaut au pardon de Dieu : « Dans ta justice écoute mes appels… N’entre pas en jugement avec ton serviteur… » (Psaume 142, 1 s.). Telle fut la découverte d’Israël, et le pivot de la pensée de saint Paul.
Psaume 95 (« Le Seigneur est roi »)
De ce psaume, la liturgie d’aujourd’hui retient quatre strophes. Il appartient à une collection de sept poèmes qui célèbrent la royauté de Dieu et que pour cette raison on appelle « les psaumes du Règne ». Ce sont, selon la numérotation liturgique, les psaumes 46, 92, 94 à 98. Ils comportent généralement la formule « le Seigneur est roi » (ici dans la dernière strophe), que l’on peut traduire aussi « le Seigneur est devenu roi ». Car il s’agissait, dans les cours orientales, d’une acclamation « Untel est devenu roi ») saluant, au son du cor, l’intronisation d’un nouveau souverain (voir 2 Samuel 15, 10). Bien entendu, dans les « psaumes du Règne », personne n’intronise Dieu comme roi. C’est lui-même qui s’affirme et se révèle comme tel. Ce poème est un des quelques psaumes où les vers vont trois par trois. D’ordinaire ils vont deux par deux, selon, techniquement parlant, un « parallélisme binaire ». Ici, le troisième vers ne fait qu’ajouter un surcroit de solennité au texte. Faites l’expérience : lisez chaque strophe en supprimant le troisième vers, et vous verrez que le sens ne change pas. Le présent « psaume du Règne » invite à chanter un chant nouveau, parce que le Seigneur fait du neuf ? a fait du neuf ? va faire du neuf ? La plasticité des conjugaisons grammaticales dans la langue hébraïque permet de comprendre le texte simultanément dans ces trois perspectives temporelles. La nouveauté que l’on doit chanter, c’est le salut de Dieu, sa gloire, ses merveilles. La terre entière, tous les peuples, toutes les nations, les familles des peuples doivent s’associer à cette louange, car le règne de Dieu les concerne tous. Depuis toujours (passé) des païens, attirés par la splendeur du Temple, venaient en pèlerinage à Jérusalem. Déjà le Seigneur était ainsi leur roi. Le Peuple élu revient d’exil (présent) ; c’est aux yeux des nations la preuve de la puissance royale du Seigneur dans les événements politiques du monde. Un jour (futur), le Seigneur règnera vraiment sur toutes les familles des peuples. Passé, présent, avenir habitent simultanément la pensée et la sensibilité croyante du psalmiste. Ces extraits du psaume veulent faire écho à la promesse de la restauration de Jérusalem (1èrelecture) : Les nations verront ta justice, tous les rois verront ta gloire, la gloire qu’apportera le Seigneur éblouissant de sainteté.
1 Corinthiens 12, 4-11 (« L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier »)
Chaque année (A, B, C), le temps ordinaire s’ouvre par une lecture semi-continue de la 1ère lettre aux, l’épître qui reflète au mieux la maanière dont saint Paul conçoit l’’Église, les relations au sein de l’Église. Cette année C, nous lisons la dernière partie de cette épître. L’Apôtre, chemin faisant, fait écho à des problèmes qui se répètent au long des âges.
Une situation trouble
La jeune Église de Corinthe gère mal ses indéniables richesses spirituelles. Lors des assemblées, ceux qui ont le don impressionnant de parler en langues inspirées par l’Esprit s’affichent comme des détenteurs privilégiés de l’Esprit Saint. Ceux qui assurent des fonctions moins spectaculaires s’en trouvent découragés, et cette compétition déchire l’unité de la communauté. Les Corinthiens ont écrit à Paul à ce sujet. La réponse couvre 1 Corinthiens 12 à 15 (extraits en ces 2e, 3e et 4e dimanches). L’Esprit Saint ne saurait vouloir ces déplorables rivalités.
Diversité et unité
Il faut lire et relire lentement, attentivement les trois phrases par lesquelles l’Apôtre introduit son raisonnement. C’est une mini-tapisserie aux fils très serrés. Les dons de la grâce (« charismes ») ont pour synonymes les services qui animent la communauté et les activités de ceux qui ont le sens de concret. Tout cela se manifeste en diverses personnes, de manière variée. Voilà la première trame de la tapisserie. Or, tout cela vient du même Esprit, du même Seigneur, du même Dieu (le Père). Telle est l’autre trame de la tapisserie. On comprend que, de manière subtile et ironique, l’attribution des charismes à l’Esprit, des services au Seigneur et des activités au Père sont dans la pensée de Paul une fausse répartition qui doit faire réagir le lecteur intelligent : on ne saurait diviser le rôle de ces trois instances divines qui veulent l’unité de leurs dons dans la diversité de ses manifestations. Mais, puisque certains membres de l’Église de Corinthe revendiquent le monopole de l’Esprit en raison de leur parler en langues mystérieuses, Paul va se concentrer sur la multipliciété des dons de cet Esprit.
Le riche marché des dons de l’Esprit
Aux uns de parler avec une sagesse qui guide la vie de leurs frères. À d’autres d’enraciner cette sagesse dans une connaissance, une intelligence explicite de l’Évangile. Aux uns de manifester leur foi de manière particulière et sans le vouloir ; à d’autres, stimulés par cet exemple, de traduire cette foi par des actes de guérison, voire par des miracles étonnants. À certains inspirés de prophétiser, d’expliquer dans l’assmbleée les Saintes Écritures ; à d’autres de discerner et de dire si leur interprétation est correcte. À d’autres enfin, le don de « parler en langues », ce qu’on appelle aujourd’hui la « glossolalie ». Hiérarchiquement, c’est pour Paul le dernier des charismes. Il n’a de valeur que s’il est interprété par les sages, par les hommes de foi reconnus pour tels, par les prophètes et leurs interprètes, danvantage catéchètes.
Le trépied : Évangile et Société
Dans ce subtil ballet entre les différents charismes dans l’Église, on repère, sans qu’il vaille la peine de s’attarder ici aux correspondances sociologiques, à savoir les trois instances différentes et les trois types de personnes qui, tel un trépied, assurent l’assise d’un groupe, d’une communauté et jusque dans les conseils municipaux (qu’un des trois pieds se casse, on tombe sur le cul !). Il y a ceux qui défendent mordicus l’objectif que s’est fixé le groupe, ceux qui sont plus sensibles à l’unité du groupe, malgré l’objectif fixé, et ceux qui veulent que le groupe tienne compte des faibles, de la minorité silencieuse. Ces rapprochements rappelés à-la-va-vite ont peut-être un intérêt, quand il s’agit des rapports entre l’Évangile selon Paul et la vie sociale.
*Les charismes. Le langage courant applique le mot charisme aux chefs qui s’imposent par des talents exceptionnels, cette autorité charismatique s’opposant aux institutions officielles gérant le quotidien. Rien de tel dans la pensée de Paul. Chez lui, le mot grec charisma signifie le don de la grâce de Dieu (Rm 5, 15-16) qui se spécifie en des manières de vivre (mariage ou célibat, 1 Co 7,7) ou en des services communautaires (Rm 12, 6; 1 Co 12). Ainsi, les charismes ne s’opposent pas à l’institution de l’Église : ils en sont l’âme.
Jean 2, 1-11 (les noces – la noce ? – de Cana)
En finale de ce récit, saint Jean caractérisera les Noces de Cana comme le commencement des signes de Jésus, la manifestation de sa gloire et le premier accès des disciples à la foi. Ces expressions si fortes suggèrent donc que ce simple épisode recèle en fait de très riches symboles, spécialement celui des *noces. Un terme finalement, difficile à traduire. Le lectionnaire introduit l’épisode en ces termes : Il y eut un mariage à Cana. Mais, autre traduction équivalente : « Il y eut une noce à Cana ». Notre tradition parle des Noces de Cana, au pluriel. Aurions-nous, dans notre langage d’aujourd’hui, quelque difficulté à distinguer entre « célébrer des noces » et « faire la noce » ?
La mère de Jésus
La mère de Jésus (Jean ne l’appelle jamais autrement) est interpellée en tant que Femme (comme au pied de la croix, Jean 19, 26). Elle représente Israël, figure féminine dans la Bible, mais cet Israël qui accueille Jésus et qui, au calvaire, sera confié au Disciple bien-aimé pour devenir l’Église (voir Jean 19, 25-27). Que me veux-tu ? Cette question marque une certaine distance. La mère de Jésus, l’Église, doit comprendre que l’Heure n’est pas encore venue, l’heure de la croix où se révélera le don total de l’amour de Dieu (Jn 19, 30.34) à travers l’effusion de l’eau, du sang et de l’esprit (ou l’Esprit). Mais la Femme anticipe cette heure par sa prière discrète qui nous vaut un premier signe. Tout ce qu’il vous dira, faites-le, demande-t-elle aux serviteurs. Elle relance ainsi l’engagement prononcé par Israël au pied du Sinaï : Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons (Exode 19, 8).
Le vin
Le vin, élément nécessaire à la fête, annonçait aussi dans la Bible la venue de Dieu ou de son Messie, une ère prospère où le vin coulerait à flots (voir Osée 2, 21-24 ; Isaïe 62, 9). Or, ce temps heureux est venu, signifié, dans le miracle, par l’équivalent de quelque 700 ou 800 bouteilles. Jean insiste sur le support de la merveille : six jarres de pierre destinées aux rites de purification, le chiffre six symbolisant l’imperfection (signe de l’époque de la pierre, c’est-à-dire des « cœurs de pierre », Ézékiel 36, 26). Ainsi Jésus comble de sa présence (jusqu’au bord !) l’histoire d’Israël parvenue à épuisement.
Qui est le marié ?
Au marié et au maître du repas revenait le soin de fournir la noce en vin. Les deux personnages sont de pales anonymes dans cet épisode et l’interpellation finale adressée au marié explique cet anonymat : le vrai maître du festin et le véritable Époux, encore ignoré des convives, est Jésus lui-même, comme le disent aussi les autres évangiles (voir Marc 2, 18-20). L’histoire sainte d’Israël avait déjà du vin à offrir, mais du moins bon. Dieu a gardé le bon vin jusqu’à maintenant, c’est-à-dire jusqu’à la manifestation de son Envoyé.
Le commencement des signes
Ses disciples crurent en lui, à commencer par la mère de Jésus qui s’affirme ici comme l’avant-garde des croyants. Cette foi, Jean ne la fonde pas sur un stock inespéré de bon vin, mais sur la capacité des lecteurs que nous sommes à saisir sous le récit les signes bibliques, inscrits dans les symboles de l’Ancien Testament, de la venue de Jésus. De la page de l’évangile, le lecteur d’aujourd’hui doit passer aux signes que le Seigneur continue d’opérer quand nous lui avouons nos manques de fête, de vie et de bonheur.
*Les noces. Les prophètes ont comparé à un mariage l’Alliance entre Dieu et son peuple. Mais souvent l’expérience du péché les ont conduits à considérer Israël comme une épouse infidèle (voir Ézékiel 16). C’est pourquoi ces noces devinrent objet d’espérance ; un jour, la tendresse divine restaurerait l’union bafouée : « Crie de joie, stérile… Ton créateur est ton époux… Comme une femme délaissée et accablée, le Seigneur t’a appelée » (Isaïe 54, 1-8 ; voir aussi la 1ère lecture). Le Nouveau Testament voit dans l’œuvre de Jésus, surtout dans son triomphe pascal, la réalisation des noces espérées (l’Apocalypse de Jean parle des noces de l’Agneau, Apocalypse 19, 7; cf. 21, 2.9). Les évangélistes voient en Jésus lui-même l’Époux qui ouvre sur terre une ère de joie (Matthieu 9, 15), un époux qu’il faut encore attendre dans la vigilance (ibid., 25, 1-6), mais qui entretient déjà avec son Église des liens d’amour nuptial (Éphésiens 5, 25-32). Le mariage chrétien, quand il tient bon, veut témoigner de cette union de Dieu avec son peuple.