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Fiche N° 19 : Jésus se déclare Fils de Dieu (Jn 10,22-42)…

Cet entretien est le dernier de Jésus avec ceux qui, parmi les Juifs, refusaient de croire en lui… St Jean les appelle « les Juifs », mais nous avons toujours à bien interpréter le contenu d’une telle expression…

            « La scène se passe dans le Temple, lors de la fête de la Dédicace. Celle-ci commémore la nouvelle consécration, en décembre 164 avant JC, de l’autel du sanctuaire qui avait été profané trois ans auparavant par Antiochus Epiphane. D’où son nom hébreu « hannuka, consécration », en grec « egkainia, renouvellement ». Sa liturgie qui s’étend sur huit jours, ressemblait à celle de la fête des Tentes, car, durant cette dernière solennité, avait eu lieu la Dédicace du premier Temple par Salomon »[1] (970-931 avant JC).

            Nous sommes donc « vers la fin de décembre », d’après une note de la TOB. C’est l’hiver, il fait froid, « Jésus allait et venait dans le Temple sous le portique de Salomon » pour se réchauffer. « Le portique de Salomon, sur le côté Est du Temple, était l’une des galeries à l’air libre, délimitée par des colonnades, qui entouraient la grande esplanade et qu’une muraille abritait du vent. C’était un lieu fréquenté par la foule, qui s’y rassemblait pour entendre l’enseignement de la Loi ». Mais avec Jésus, « le Verbe fait chair », ils entendront la Parole du Père qu’il est venu nous transmettre…

            Noter la liberté de Jésus en Jn 10,23. Que se passe-t-il au verset suivant ? Sur quel point précis se centre la question de ses interlocuteurs ? N’oublions pas que le terme employé vient du grec « khriô, oindre » ; quel autre terme, venant cette fois de l’hébreu, lui est synonyme (cf. Jn 1,41 ; 4,25 ; on le retrouve en Ps 2,2 ; 20(19),7 ; 28(27),84(83),10 ;  132(131),10.17 ; Dn 9,25-26 ; noter qu’il apparaît en tout dix fois dans la Bible, un chiffre qui renvoie à la Parole de Dieu (les « Dix Paroles » d’Ex 20,1-17). Et tout s’accomplira avec Jésus, « la Parole faite chair » (Jn 1,14) !) ? Toutes les Ecritures annonçaient sa venue (cf. Mt 2,1-8 et tout spécialement les versets 4-6 qui citent Mi 5,1 ; cf. Mt 21,1-11 qui cite Za 9,9-10 ; cf. Lc 4,16-22 où Jésus se présente avec un extrait du prophète Isaïe (61,1-2) comme étant celui que « le Seigneur a consacré par l’onction » ; enfin, voir Lc 24,44-48). Et qu’est-ce que Jésus a dit ouvertement en Jn 5,39 ?

            Mais pour les aider à croire, Jésus va les inviter à reprendre le chemin emprunté autrefois par Nicodème, un Pharisien spécialiste des Ecritures, bien connu parmi les Juifs… Noter en Jn 3,1-2 qu’il part des « œuvres » accomplies par le Christ pour reconnaître que « Dieu est avec lui » et qu’il « vient de la part de Dieu comme un Maître »… C’est un premier pas vers la pleine reconnaissance de son Mystère…

            Jésus repart donc ici des œuvres, des signes… Bien noter les expressions employées aux versets 25, 32, 37, 38 puis, relire Jn 5,19-20, un texte unique dans l’Evangile de Jean où Jésus nous révèle son Mystère de Fils. Qui donc accomplit tous ces signes ? Comment Jésus se comprend-il (cf. Ac 3,13.26 ; 4,27.30) ? Les expressions relevées précédemment suggèrent au moins deux points vis-à-vis de Jésus :

            1 – Comment se présente-t-il en Jn 10,36 ; 11,42 ; 12,44 ; 5,37 ; 6,38… ?

                        Est-il à l’origine de sa venue dans le monde (cf. Jn 7,28) ?

           2 – Que vit-il, instant après instant, au plus profond de lui-même (cf. Hb 5,8 ; Rm 5,19) ? Cette notion est à la racine de l’expression « au nom de… » qui intervient en Jn 5,43 et 10,25. En tout ce qu’il vit (cf. Jn 6,57), en tout ce qu’il dit (cf. Jn 8,40 ; 12,49-50), en tout ce qu’il fait (cf. Jn 5,19-20), Jésus n’a qu’un seul souci, lequel (cf. Jn 4,34) ? Dans ce dernier texte, le mot « œuvre » intervient également en une expression très large qui englobe toute la mise en « œuvre » du salut : de quel pronom possessif est-il précédé ? Autrement dit, cette « œuvre » que Jésus accomplit, est-ce la sienne ?

            Insistons bien sur cette disposition de cœur qui l’habite continuellement, car, si nous désirons nous mettre à sa suite, nous devrions être habités nous aussi par la même disposition…

           La réalité de ces actes concrets qui se mettent en œuvre dans son ministère lui rendent donc témoignage : il est vraiment l’Envoyé du Père, le Serviteur du Père avec qui et par qui le Père agit pour le salut du monde… Mais ces œuvres, ces signes, « visibles », renvoient à leur cause « invisible » : le Père qui « est Esprit » (Jn 4,24). « L’Esprit » en effet est par nature « invisible » et « insaisissable ». Celui qui n’accepte pas la possibilité de son existence cherchera toujours une autre raison susceptible d’avoir produit ces œuvres, ces signes. En effet, un signe, un miracle est « un fait extraordinaire où l’on croit reconnaître une intervention divine, bienveillante, auquel on confère une signification spirituelle » (Définition du Petit Robert). Notons bien tous les termes. « Où l’on croit reconnaître une intervention divine » : un signe, un miracle ne peut qu’être accueilli par la foi. Celui qui refuse de croire et donc d’envisager la possibilité d’une « intervention divine » ne pourra jamais reconnaître un miracle comme tel… Mais celui qui, de bonne volonté, acceptera une telle éventualité, pourra examiner avec toute la rigueur nécessaire les faits survenus et il constatera qu’aucune explication « naturelle » n’est satisfaisante… Cette conclusion, qui ne dit toujours rien de la cause du miracle, pourra alors l’aider à faire le saut de la foi… En effet, « guérison ou pas, miracle ou pas, un tel événement a d’abord et avant tout valeur de signe, ni plus ni moins. Et un signe s’adresse obligatoirement à notre liberté, sinon ce n’est plus un signe ; ce qui fait qu’un signe ne se prouve pas : ce ne serait plus un signe ! Et un signe religieux – dans la mesure où il s’effectue dans un contexte religieux – est fait pour éprouver la foi de tout un chacun, non pour contraindre quiconque à croire ! », écrit le Docteur Patrick Theillier, responsable du Bureau médical de Lourdes[2]. Et Dieu ne contraindra jamais qui que ce soit à croire en Lui et en son Fils : il nous a tous créés libres, il nous veut libres, et sa grande œuvre accomplie par son Fils est justement de travailler à ce que nous soyons vraiment libres. Car ce n’est qu’au cœur de notre liberté pleinement vécue que naîtra dans nos cœurs un Amour vrai, pour Lui et pour nos frères… Nul ne peut contraindre qui que ce soit à aimer, pas même Dieu !

            Souvenons-nous de Jn 8,31-36 où Jésus s’adresse à ceux qui, parmi les Juifs, avaient accepté de croire en Lui : « Jésus dit alors aux Juifs qui l’avaient cru : Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera… En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave. Or l’esclave ne demeure pas à jamais dans la maison, le fils y demeure à jamais. Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres ». Indirectement, nous retrouvons ici toute l’œuvre du Père accomplie par le Fils : nous faire « connaître » par sa Parole « la vérité » de son Amour qui, pour nous pécheurs, ne cesse de prendre le visage de la Miséricorde. Dieu poursuit inlassablement notre bien, désirant faire disparaître de nos cœurs tout ce qui les tourmente, les blesse, les abime, les souille. Tant qu’il y aura encore du péché dans nos vies, son seul mouvement sera de l’enlever pour que nous retrouvions vite avec Lui la Plénitude de sa Paix… « Demeurer dans sa Parole » revient donc en fait à demeurer exposé de cœur à cet Amour de Miséricorde pour qui rien n’est jamais perdu… Alors il agira et nous aidera petit à petit, par cette Présence douce, discrète mais victorieuse de l’Esprit, à sortir de nos ornières, ce péché ayant le redoutable pouvoir de faire de nous ses esclaves… « Quiconque commet le péché est esclave du péché, mais si le Fils vous libère, vous serez réellement libres »… De plus, l’esclave du péché et des ténèbres ne peut pas « demeurer dans la Maison » « du Père des lumières, chez qui n’existe aucun changement, ni l’ombre d’une variation » (Jc 1,17). Sa Miséricorde inaltérable est toujours prête à accomplir le meilleur pour chacun d’entre nous… Alors, si « l’esclave du péché » accepte de se laisser aimer, le meilleur arrivera pour lui : sa libération de l’emprise des ténèbres pour expérimenter enfin cette liberté intérieure qui fera de lui, en toutes circonstances, un homme libre. « Si le Fils vous libère, vous serez réellement libres », profondément libres… Telle est donc l’œuvre que le Père désire accomplir pour chacun d’entre nous par son Fils sur la seule base de sa Miséricorde qui ne cesse de nous proposer le pardon de toutes nos fautes pour que nous puissions connaître le seul vrai bien qui soit : être en communion de cœur avec Lui dans la Plénitude et la Paix de son Esprit. Et c’est de ce bonheur intérieur reçu gratuitement, par amour, que naîtra notre « merci ! » : « Avec joie, vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés » (Col 1,12-14). Et notre joie fera la joie de Dieu… « Il y a plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion » (Lc 15,7).

            Le Petit Robert parlait d’un signe comme « une intervention divine, bienveillante, auquel on confère une signification spirituelle ». Le but de tout signe est ainsi de renvoyer au-delà de lui-même, vers une réalité qu’il « signifie »… Il s’agit donc face à un signe de chercher sa « signification spirituelle », ce qu’il veut dire… Le signe, le miracle, n’est donc pas un point d’arrivée mais au contraire le début d’un cheminement vers plus de vie, de joie intérieure, de paix…

            Avec le Christ, cette « signification spirituelle » est toute centrée sur l’homme. Sa Parole et son action n’ont d’autre but que son plein accomplissement : qu’il soit pleinement lui-même ! Or tout homme est un être à la fois :

                    1 – De chair et de sang, avec son corps.

                    2 – Mais aussi avec une dimension d’intériorité : son âme qui englobe de multiples aspects : sa volonté, sa sensibilité, son intelligence, sa mémoire…

               3 – Et les racines de son être, ce qu’il fait qu’il est ce qu’il est, une personne humaine unique, sont à chercher du côté de « l’esprit ». Chacun de nous, en ses racines les plus profondes, « est esprit »…

            St Paul reprend ces trois aspects en 1Th 5,23-24 : « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ. Il est fidèle, celui qui vous appelle : c’est encore lui qui fera cela ».

            Or, notre esprit a la mystérieuse capacité d’accueillir l’Esprit de Dieu. St Paul en parle en termes « d’union » : « Dieu ne nous a pas réservés » pour les ténèbres et les multiples tourments qui sont les conséquences de nos fautes, « mais pour entrer en possession du salut par notre Seigneur Jésus Christ, qui est mort pour nous afin que nous vivions unis à lui » (1Th 5,9-10). Ainsi, l’Esprit de Dieu, qui reste l’Esprit de Dieu, vient-il s’unir à notre esprit qui nous constitue, qui fait que nous sommes ce que nous sommes : cette personne humaine unique créée à un instant du temps… Cet Esprit est celui que la Personne divine du Fils reçoit de la Personne divine du Père de toute éternité… Et nous avons tous été créés pour que nous puissions vivre de sa Plénitude en le recevant à notre tour… St Paul l’explique en un texte unique : nous avons tous été « prédestinés à reproduire l’image du Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,29). Ainsi, celui qui, par sa foi au Fils, reçoit du Père le même Esprit que reçoit le Fils de toute éternité, vit en communion avec le Fils, et bien sûr avec le Père, dans « l’unité » de ce même « Esprit » (Ep 4,3). St Paul le redit autrement : « Celui qui », par le « oui » de sa foi, « s’unit au Seigneur, n’est avec lui qu’un Esprit » (1Co 6,17). Toute l’aventure de notre vie est à creuser « par là »… C’est « là » que se trouve le vrai bonheur qu’il est possible d’expérimenter dès maintenant, dans l’invisible de la foi, en le vivant… « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » (Jn 20,29), car ils ont par leur foi et dans la foi, accueilli le Don de Dieu, l’Esprit que le Père des Miséricordes ne cesse de mettre dans nos cœurs en nous arrachant à toutes nos misères… Et le fruit de l’Esprit est « vie » (Jn 6,63), « paix, joie » (Ga 5,25)… St Luc évoquera cet accomplissement de l’homme avec l’expression « être rempli d’Esprit Saint » (Lc 1,15.41.67 ; 4,1 ; Ac 2,4 ; 4,8.31 ; 5,3 ; 6,3.5 ; 7,55 ; 9,17 ; 11,24 ; 13,9.52 ; voir aussi Dt 34,9 ; Si 39,6 ; 48,12) … Dieu, au plus profond de notre être, nous a créés « esprit » pour nous remplir de son Esprit. Notre « esprit » est donc une capacité spirituelle destinée à être remplie de l’Esprit de Dieu… Marie, « comblée de grâce » (Lc 1,28), nous montre le chemin. La Plénitude de la vie est à chercher par « là »… Et St Paul nous présente l’accomplissement de l’humanité, lorsque tout ce qui s’oppose à la vie n’existera plus, en ces termes : « Dieu sera tout en tous » (cf. 1Co 15,24-28). Chacun sera alors pleinement « rempli » de cet « Esprit » que le Père donne au Fils de toute éternité…

            Tel est donc le but que Jésus poursuit pour chacun d’entre nous… Tous les signes qu’il accomplit disent en actes, de manière visible, cette Plénitude de Vie qu’il est venu nous offrir par le Don de l’Esprit… Mais il faut que nous apprenions, petit à petit, à reconnaître cet Esprit déjà donné (1Th 4,8), invisible mais réellement présent à nos cœurs et à nos vies. Et la signature de sa Présence est la paix intérieure… Cette paix, nous la reconnaîtrons d’autant mieux, en contraste, lorsque Dieu, inlassablement, nous arrachera à nos misères et à ses tourments, pour nous la donner gratuitement, par amour… Telle est « la Maison du Père » dans laquelle il veut que nous entrions dès maintenant, dans la foi et par notre foi… Tel est « le Royaume de Dieu » qui, avec le Fils, s’est approché de tous les pécheurs pour qu’ils puissent enfin connaître avec lui le repos et la paix…

            Hélas, ici, en Jn 10,25-26, les interlocuteurs de Jésus ne croient pas en lui… Ils ne peuvent donc pas accueillir tout ce bien qu’il veut leur faire… Plus tard, il en pleurera : « Quand il fut proche, à la vue de la ville, il pleura sur elle, en disant : Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! Mais non, il est demeuré caché à tes yeux » (Lc 19,41‑42). Ce message de paix était « la Bonne Nouvelle de la Paix, par Jésus Christ » (Ac 10,36), cette Paix qui est celle de l’Esprit Saint, invisible à nos yeux de chair, mais que seuls nos cœurs peuvent reconnaître, en la vivant… Alors, à tous ceux et celles qui venaient à lui avec confiance, le Père, par l’Esprit, ouvrait les cœurs à sa Lumière et à sa Vie en les purifiant de tout ce qui les empêchaient de la recevoir. Tout cela était dit par signes : « Les aveugles voient, les sourds entendent, les morts ressuscitent » (Lc 7,22)…

            « Mais, vous ne croyez pas », dit Jésus, « car vous n’êtes pas de mes brebis » (Jn 10,26). « Pour croire à Jésus », explique en note la Bible de Jérusalem, « il faut lui être accordé intérieurement : « être d’en haut » (Jn 8,23), « de Dieu » (Jn 8,47), « de la vérité » (Jn 18,37), « être de ses brebis » (Jn 10,14). La foi suppose une affinité spirituelle avec la vérité (Jn 3,17‑21) ». Quelle est, en effet, la seule chose que Jésus nous demande d’après ce dernier texte, et tout spécialement le début de Jn 3,21 ? De quoi cela est-il synonyme pour nous (cf. Lc 15,18-19 ; 5,8) ? Mais si nous osons accomplir cette démarche en toute vérité, devant le Seigneur qui, de toute façon, connaît déjà notre vie mieux que nous‑mêmes, qu’entendrons-nous alors (cf. Jn 8,11 ; Lc 5,20) ? Que fera alors le Christ (cf. Jn 1,29 où le mot « péché », dans la culture biblique, renvoie non seulement à l’acte commis, mais encore à toutes ses conséquences) ? Et que nous donnera-t-il en retour au Nom de son Père (cf. Rm 6,23 ; Jn 10,10 ; 6,47) ? Quelle réalité mettra très concrètement tout cela en œuvre dans nos cœurs et dans nos vies (cf. Jn 6,63 ; Ga 5,25 ; Ez 36,25 avec Jn 7,37-39) ?

            Voilà la réalité ultime qu’accueillent tous ceux et celles qui acceptent de se présenter devant Dieu tel qu’ils sont, avec toutes leurs blessures, leurs défaillances, leurs faiblesses de toutes sortes. Ils font la vérité de leurs misères. Et cela fait longtemps que Dieu, de son côté, a fait la vérité de sa Miséricorde, Lui qui n’a qu’un seul désir : nous guérir profondément de toutes les conséquences du mal dans nos vies… « Être une brebis » de Jésus, n’est donc pas synonyme d’être parfait, sans failles… Il suffit simplement d’être vrai, et de consentir à l’œuvre de Dieu dans nos cœurs. Son pardon nous relève, nous fortifie et nous entraîne à sa suite loin de ces ornières où nous ne récoltions que la tristesse, l’amertume et le mal-être… Répétons-nous : que reçoivent aussitôt de Dieu tous ceux et celles qui acceptent de faire la vérité dans leur vie (cf. Jn 14,17 ; 15,26 ; 16,13) ? Et que pourront-t-ils faire ensuite grâce à ce Don de Dieu (cf. 1Co 12,3) ? Ils seront alors de ses brebis : ils croiront… Pour l’instant, le seul fait que les interlocuteurs de Jésus ne croient pas en lui manifeste qu’ils ne sont pas de ses brebis : « Vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis », vous n’êtes pas de la vérité… Si vous étiez de la vérité, vous croiriez, car « Je Suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6), la vérité de la Miséricorde qui donne la Vie aux pécheurs, gratuitement, par amour… Et Jésus, « le Sauveur du monde » (Jn 4,42), « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) est le chemin par lequel Dieu est venu à la rencontre des pécheurs, et le chemin par lequel les pécheurs peuvent retrouver cette Plénitude de Vie qu’ils avaient perdue par suite de leurs fautes…

            Et souvenons-nous, d’après Jn 3,34, traduction Bible de Jérusalem (Jn 3,34 : « Celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure » ; ce verset peut être interprété à juste titre de deux façons, cf.TOB), quelle réalité se joint toujours à la Parole donnée par Jésus ? Souvenons-nous également de l’expression employée par Jésus en Jn 3,8 : « L’Esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas ni d’où il vient ni où il va ». Dans ce dernier verset, de quelle voix s’agit-il ? Conclusion : lorsque Jésus donne les Paroles qu’il a reçues du Père avec sa voix de chair, quelle « voix » se joint toujours à la sienne pour dire mystérieusement cette même Parole aux cœurs de bonne volonté qui l’accueillent ? Voilà pourquoi « les brebis » de Jésus « écoutent sa voix » : quand elles accueillent sa Parole en acceptant, à sa Lumière, de faire la vérité dans leur vie, elles s’ouvrent au même moment à « l’Esprit de Vérité » qui joint toujours « sa voix » à celle de Jésus pour dire cette Parole dans les cœurs… Et la « voix » de l’Esprit n’est rien d’autre que la Paix de Dieu, la Vie de Dieu, la Joie de Dieu… Quand Jésus nous parle de cette Paix, de cette Vie, de cette Joie, l’Esprit au même moment nous communique cette richesse de Dieu et nous donne de la vivre… Alors, si nous faisons bien attention à ce que Jésus dit, et à ce que nous vivons au même moment grâce à l’Esprit, nous pourrons dire de tout notre être : « C’est vrai, je crois, j’en suis sûr car je le vis ! » Et nous ne nous lasserons jamais de vivre cette Paix, de vivre cette Vie, de vivre cette Joie… Nous ne nous lasserons donc jamais de lire et de relire la Parole de Dieu pour « écouter » avec elle « la voix » de Jésus, qui est en fait « la voix » de l’Esprit qui, par sa simple Présence dans nos cœurs, est Vie, Lumière et Paix. Grâce à Lui, nous vivons ce que Jésus nous dit, et là est tout notre bonheur… Jean-Baptiste en a fait l’expérience avant nous, et il témoigne : « L’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend est ravi de joie à la voix de l’époux. Telle est ma joie et elle est complète » (Jn 3,29). En écoutant la Parole du Père donnée par Jésus, le Fils Unique, Jean-Baptiste vivait la Joie de l’Esprit, et constatait tout simplement que « là » est le vrai bonheur… Le désir de Jésus à son égard était exaucé : « Je vous ai dit cela pour que ma joie », la joie de l’Esprit que je reçois du Père de toute éternité, « soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11). « Heureux alors ceux qui croient » (Jn 20,29)…

« Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent » (Jn 10,27)… Souvenons-nous de Jn 10,1-21 : que signifie en St Jean le verbe « connaître » ?

« Je leur donne la vie éternelle » (Jn 10,28)… Rappelons-nous là aussi quelques versets de St Jean. Que donne Jésus d’après Jn 17,8 ? Et en agissant ainsi, que donne-t-il d’après Jn 3,34 (Traduction Bible de Jérusalem) lu précédemment ? Et quel est le premier fruit de ce Don d’après Jn 6,63 (TOB : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. ») et Ga 5,25 ? Mettre toutes ces réponses ensemble et la boucle est bouclée : nous voyons comment Jésus « donne la vie éternelle »… Et n’oublions jamais que tous les actes de Jésus sont aussi des Paroles de Dieu. Il se passe donc exactement la même chose lorsque l’Eglise « Corps du Christ » agit à son invitation et en son Nom et qu’elle nous donne les Sacrements…

Le verset suivant (Jn 10,29) peut être compris de deux façons, et les deux sont vraies… Littéralement, nous lisons dans le grec des Evangiles : « Mon Père qui m’a donné (et qui continue de le faire…) est plus grand que tout »… L’objet du don n’est pas précisé… Regardons les deux possibilités :

             – D’après le contexte qui précède, la réponse la plus immédiate est celle que l’on trouve également en Jn 17,9 ; qu’elle est elle ? Voir aussi Jn 6,44.65. Et par quel moyen tout ceci s’accomplit-il (cf. Lc 2,27) ?

         2 – Que donne le Père à Jésus d’après Jn 5,26 ? Et par quel moyen tout ceci s’accomplit-il (cf. Jn 6,63 (TOB) ; Ga 5,25) ?

Cette dernière réponse nous entraîne au cœur du Crédo, à la lumière de Jn 4,24. Nous l’avons déjà vu souvent : de toute éternité, le Père se donne entièrement à Jésus. Il lui donne tout ce qu’il est, et il est « Dieu », il est « Esprit » (Jn 4,24). Le Fils reçoit ainsi du Père, de toute éternité, cette Plénitude de l’Esprit qui fait que lui aussi est « Dieu »… Depuis toujours et pour toujours, « il est Dieu né de Dieu (le Père), Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu (le Père). Engendré non pas créé, de même nature que le Père », pour la recevoir du Père de toute éternité, etc… C’est ainsi que le Père et le Fils, bien que différents l’un de l’autre, sont unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit, cet Esprit que le Père donne au Fils de toute éternité…

St Jean le dit en Jn 10,30 (Voir la fiche n°15) en un verset unique dans tout le Nouveau Testament : « Egô kai ho patêr en esmen », soit littéralement « Moi et le Père un nous sommes ». Or en grec, comme en allemand d’ailleurs, il existe trois genres : le masculin qui s’applique en général à des personnes de sexe masculin ; le féminin pour des personnes de sexe féminin ; et le neutre qui s’applique en général au domaine des choses, le tout avec beaucoup d’exceptions… Ainsi, « un » au masculin se dit « eîs » (un homme : « eîs anthropos ») ; « un » au féminin se dit « mia » (une femme : « mia gunê »). Enfin, « un » au neutre se dit « en » : un livre, « en biblion ». Ainsi, St Jean n’a pas employé le masculin en Jn 10,30, autrement il aurait dit que la personne du Père (masculin) et la personne du Fils (masculin), ne font qu’une seule et même personne. Non, le Père n’est pas le Fils et le Fils n’est pas le Père. Et pourtant, ils sont « un », « en », au neutre qui renvoie au domaine des choses… Ici, dans ce contexte, St Jean évoque « la nature divine » qui est « Esprit » (Jn 4,24), « Amour » (1Jn 4,8.16), « Lumière » (1Jn 1,5). Le Père et le Fils, bien que différents l’un de l’autre, sont « un » car ils sont tous les deux « Esprit », « Amour » et « Lumière », le Fils pour le recevoir du Père de toute éternité. Et c’est l’Amour, qui les unit constitutivement, qui fait que le Père et le Fils veulent toujours la même chose et qu’ils l’accomplissent ensemble… Nous pourrions bien sûr rajouter la Personne divine « Esprit Saint » et redire ce que nous venons de dire pour le Père et le Fils…

Nous avons vu que « les brebis » évoquées dans les versets précédents invitaient à comprendre Jn 10,29 ainsi : « Mon Père qui me (les) a données est plus grand que tous »… Et Jn 10,30 invite à comprendre ce même verset ainsi (deuxième possibilité) : « Mon Père, quant à ce qu’il m’a donné (la nature divine) est plus grand que tout ». C’est pourquoi Jésus ne peut que remporter la victoire sur les forces du mal qui tenteraient d’arracher ses disciples de sa main : « Mes brebis, nul ne les arrachera de ma main »… Et lorsque Jésus dit cela, il regarde le Père car « nul ne peut rien arracher de la main du Père ». Et comme le Père lui donne de toute éternité tout ce qu’il est, la force du Père est aussi celle du Fils et c’est pour cela que personne ne pourra arracher ses brebis de sa main…

« Moi et le Père nous sommes un »… Mais nous voyons avec quelle humilité le Fils parle ainsi : « le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35), tout, tout ce qu’il est… Ainsi, le Fils est par le Père, il vit par le Père (Jn 6,57), car le Père, qui « a la vie en lui-même, a donné au Fils d’avoir aussi la vie en lui-même » (Jn 5,26) par ce Don de tout ce qu’il est, et il est « Esprit » (Jn 4,24), un « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63), un « Esprit » qui est « vie » (Ga 5,25). Si le Fils ne disait pas cette vérité, il serait un menteur (Jn 8,55). Alors, il dit la vérité, en toute douceur et humilité (Mt 11,29), l’humilité d’un pauvre de cœur (Mt 5,3) qui se reçoit entièrement d’un autre, le Père, et qui n’est rien sans lui…

Ses interlocuteurs qui ne croient pas en lui ne sont pas dans cette logique d’humilité. Eux plutôt, en se citant les uns les autres, reçoivent leur gloire des uns et des autres, une gloire toute humaine où chacun contribue ainsi à nourrir l’orgueil de l’autre… Et tous cherchent, à travers tout cela, leur propre gloire… « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique » (Jn 5,44). Et « la gloire qui vient du Dieu unique » est d’un tout autre ordre que la gloire humaine puisqu’elle est le rayonnement de ce que Dieu est en lui-même : rayonnement de « l’Esprit » et de cet « Amour » qui est la vraie « Lumière »…

Les interlocuteurs de Jésus sont donc dans la logique de « l’orgueil », de la mise en avant de soi… Et que reprochent-ils justement à Jésus (cf. Jn 10,33) ? Nous retrouvons un trait caractéristique du mal : accuser l’autre d’être ce que l’on est soi-même… Et ils vont « apporter de nouveau des pierres pour le lapider » (Jn 10,31).

Jésus est face à des Docteurs de la Loi, des spécialistes des Ecritures qui raisonnaient en rapprochant les textes entre eux… Pour les convaincre, il va essayer de les rejoindre en raisonnant comme eux… Et il cite le Psaume 82(81),6 :

                                    Dans l’assemblée divine, Dieu préside ;

                               entouré des dieux, il juge.

2                                  “ Combien de temps jugerez-vous sans justice,

                               soutiendrez-vous la cause des impies ?

3                                  “ Rendez justice au faible, à l’orphelin ;

                               faites droit à l’indigent, au malheureux.

4                                  “ Libérez le faible et le pauvre,

                               arrachez-le aux mains des impies. ”

5                                  Mais non, sans savoir, sans comprendre, +

                               ils vont au milieu des ténèbres :

                               les fondements de la terre en sont ébranlés.

6                                  “ Je l’ai dit : Vous êtes des dieux,

                               des fils du Très-Haut, vous tous !

7                                  “ Pourtant, vous mourrez comme des hommes,

                               comme les princes, tous, vous tomberez ! ”

8                                  Lève-toi, Dieu, juge la terre,

                               car toutes les nations t’appartiennent.

La note de la Bible de Jérusalem précise pour Jn 10,34 : « Cette parole s’adresse aux juges, appelés « dieux » par métaphore en raison de leur charge, car « le jugement est de Dieu » (Dt 1,17 ; 19,17). Par un argument « à fortiori » de type rabbinique, Jésus va en conclure qu’il est étrange de crier au blasphème quand le Saint et l’Envoyé de Dieu se dit Fils de Dieu ». Et cela d’autant plus que le Psaume appelle un peu plus loin ces mêmes juges « des fils du Très-Haut »… Alors, si un tel titre ne pose pas de problème pour ces juges que Dieu a placés à la tête de son Peuple, pourquoi en pose-t-il pour celui que « le Père a consacré et envoyé dans le monde » (Jn 10,36) ?

Et Jésus, comme au tout début de notre passage, va en appeler à nouveau à ces œuvres qui s’accomplissent par ses mains… Souvenons-nous de la déclaration de Nicodème : « Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n’est pas avec lui » (Jn 3,2), car Dieu seul peut faire de tels signes… Voilà ce que Jésus espère ici : qu’ils reconnaissent que ces œuvres ne peuvent venir que de Dieu. C’est le Père qui les accomplit. Jésus, en Serviteur du Père, ne fait que les manifester, les révéler par ses paroles et par ses actes. C’est ainsi qu’il « fait » « les œuvres de son Père », ces œuvres qui, en fait, ne sont pas les siennes… Et s’il peut servir ainsi le Père, c’est qu’il vit en communion avec lui. Jamais son regard ne se détourne de lui (Jn 1,18), et il fait toujours ce qui lui plaît (Jn 8,29). Et comme le Père dans son amour lui montre tout ce qu’il fait, Jésus lui aussi le fait (Jn 5,19-20) dans ce Mystère de Communion qui l’unit à son Père dans l’unité d’un même Esprit, cet Esprit qu’il reçoit du Père de toute éternité… C’est cela qu’ils devraient reconnaître ! « Quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres, afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père » (Jn 10,38)… Hélas, ils ne croiront toujours pas en lui et chercheront à le saisir… Mais son heure n’est pas encore venue et Jésus « leur échappa des mains »…

Jacques Fournier

[1] LÉON-DUFOUR X., « Lecture de l’Evangile selon Jean » (Ed. du Seuil, Paris 1990) tome II, p. 389-390.

[2] THEILLIER P., « Lourdes, des miracles pour notre guérison «  (Ed. Presses de la Renaissance, Paris 2008) p. 88.

Correction de la fiche N° 19

CV – 19 – Jn 10,22-42 correction