Fiche N°20 : Le retour à la vie de Lazare : une invitation à croire pour recevoir le Don de la Vie éternelle (Jn 11,1-54)
Cette section comprend deux parties : le retour à la vie de Lazare (11,1-44) suivi de la décision prise à l’initiative du Grand Prêtre Caïphe de tuer Jésus (11,45-54).
Bien lire Jn 11,1-44 et noter le nombre de fois où apparaît le verbe « croire », la notion de « gloire » (avec le verbe « glorifier ») et celle de « résurrection » (avec le verbe « ressusciter »). Et se souvenir que « sept » est symbole de perfection, « trois » renvoie à Dieu en tant qu’il agit, et « quatre » est symbole d’universalité… Conclusions.
Feuilleter rapidement l’Evangile depuis son début et compter le nombre de signesaccomplis par Jésus dans les chapitres précédents. Avec le retour à la vie de Lazare, nous arrivons à quel chiffre ? Conclusion… Et ce signe sera le dernier dans l’Evangile de Jean…
La Bible nous rapporte plusieurs récits de « retours à la vie » : Elie et le fils de la veuve de Sarepta (1R 17,17-24), Elisée et le fils de la Sunnamite (2R 4,18‑37), un homme jeté sur les ossements d’Elisée (2R 13,21), Jésus et la fille de Jaïre (Mc 5,22‑43), Jésus et le fils de la veuve de Naïm (Lc 7,11-17), Jésus et Lazare (Jn 11,1‑44), de nombreux « saints trépassés » juste après la mort de Jésus (Mt 27,51-53), Pierre et Tabitha (Ac 9,36-42), Paul et Eutyque (Ac 20,9-12).
Nous sommes donc ici à « Béthanie », « la Maison (beth) d’Ananya », Ananya signifiant : « Yahvé a fait grâce », « Yahvé s’est montré miséricordieux »… C’est là où, d’après St Luc, Jésus vivra l’Ascension. Il passera du ciel à la terre et du temps à l’éternité « en bénissant » (Lc 24,50‑53), belle révélation du Dieu Amour qui ne sait que bénir…
Lazare est malade et comme l’aveugle-né en Jn 9, il nous représente tous (cf. Lc 5,31-32). Nous nous rappelons que la maladie était comprise à l’époque comme la conséquence du péché… Dans un tel contexte, les guérisons accomplies par Jésus manifestaient sa capacité à faire disparaître la cause directe de la maladie : le péché. Ces guérisons devenaient ainsi le signe visible de la Toute Puissance de la Miséricorde de Dieu à l’œuvre avec lui et par lui. Le récit le plus explicite à ce sujet est la guérison du paralytique (Lc 5,17-26). Ses amis le déposent aux pieds de Jésus en espérant une parole de guérison. Et là, surprise, il lui donne une parole de pardon : « Homme, tes péchés sont remis. » Certains murmurent : « Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ? » Et pour bien montrer qu’il est « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), le Fils venu manifester au monde « les entrailles de Miséricordes de notre Dieu » (Lc 1,76-79), il dira : « Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, je te l’ordonne, dit-il au paralysé, lève-toi et marche » (Lc 5,24). La perspective ouverte par le Psaume 103 est alors pleinement accomplie : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son, nom très saint tout mon être ! Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ! Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie »… Notons le dernier verset où « la guérison de toute maladie » suit immédiatement « le pardon de toutes les offenses », comme une conséquence incontournable de ce pardon… Avec de telles croyances, la guérison apparaissait donc comme la face visible du pardon… Et le Christ ne cherchait qu’à manifester par tous les moyens possibles, y compris les guérisons, l’Amour de Miséricorde que le Père porte à tous ses enfants blessés par leurs péchés… Aujourd’hui, même si nous savons bien que nos comportements déréglés peuvent engendrer des dérèglements corporels, personne n’établira plus de lien automatique entre maladie et péché… Pensons à Ste Thérèse de Lisieux, « la plus grande sainte des temps modernes » (Pie X), décédée à 24 ans des suites d’une tuberculose que personne ne savait soigner à l’époque… Mais si la guérison pouvait être interprétée par les contemporains de Jésus comme la conséquence du pardon des péchés, il n’en reste pas moins que l’Amour de Dieu ne vise que le bien de ceux qu’il aime… Alors si la guérison peut être bénéfique à quelqu’un, il la mettra en œuvre d’une manière ou d’une autre, gratuitement, par amour. Et ce n’est que de l’autre côté que nous découvrirons tous ces actes gratuits de Dieu…
La maladie était comprise comme la conséquence du péché ? La mort physique apparaissait alors comme la plus grave… Là encore, nous ne pouvons que prendre des distances vis-à-vis d’une telle croyance. En effet, la Vierge Marie, l’Immaculée Conception, est bien celle qui « au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière de Dieu tout-puissant, en vertu des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, a été préservée intacte de toute souillure du péché originel » (Dogme de l’Immaculée Conception proclamé le 8 décembre 1854 par Pie IX dans la Bulle « Ineffabilis Deus »). « Préservée intacte de toute souillure du péché originel », Marie est pourtant passée par la mort, que nous appelons pour elle « la Dormition ». Mais comme elle était la toute sainte, son corps, comme le Christ, n’a pas connu la corruption (cf. Ac 2,24-32), et Dieu, comme Lui, l’a « emportée » (Lc 24,51) toute entière au ciel : c’est l’Assomption… Si l’humanité n’avait pas été blessée par le péché, nous aurions donc tous vécu ce qu’a vécu la Vierge Marie : le passage par la mort, la Dormition, suivi de l’Assomption, la saisie tout entière de notre être en Dieu, dans sa Gloire…
Tout comme la maladie dans les Evangiles, la mort physique de Lazare va donc jouer ici le rôle d’une image, d’une parabole renvoyant aux conséquences les plus graves du péché : la mort spirituelle. Qu’elle est-elle ? Elle est « l’état » de celui qui s’est détourné de Dieu, qui l’a abandonné (Is 1,2-4)… Or Dieu est, de toute éternité, « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13 ; 17,13), une Eau Vive que St Jean présente comme étant « l’Esprit Saint » nature divine (cf. Jn 7,37-39 ; Jn 4,24 : « Dieu est Esprit. »). Dieu apparaît donc comme une Source éternelle de ce qu’Il Est en Lui-même : une Source d’Esprit et donc une Source de Vie car « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63). Et nous avons tous été créés pour être « remplis » par cet Esprit qui ne cesse de « jaillir » de Dieu, et pour trouver en lui cette Plénitude de Vie, et donc de bonheur, à laquelle nous aspirons tous… Mais comment en vivre si nous ne nous tournons pas vers Dieu pour la recevoir ? Toute l’œuvre du Fils consiste ainsi à nous inviter à nous retourner vers Dieu de tout cœur pour que nous puissions recevoir de Lui ce que nous avions perdus par suite de nos fautes : la Plénitude de la Vie… Et le premier cadeau qu’il offrira à celui ou celle qui consentira à répondre à son appel sera le pardon total et inconditionnel par lequel Dieu veut balayer toutes nos errances une bonne fois pour toutes… « Le Seigneur est plein d’amour… Il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint ; aussi loin qu’est l’orient de l’occident, il met loin de nous nos péchés ; comme est la tendresse d’un père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint » (Ps 103,10-13)… Et puisque nous sommes des êtres fragiles et blessés, ce pardon nous accompagnera jour après jour pour nous aider et nous aider encore, avec le secours de sa grâce, à faire les bons choix de la Vie en demeurant tournés de cœur vers la Source de Vie…
L’exemple le plus dramatique de « mort spirituelle » est ainsi celui de Satan, « le Prince de ce Monde » (Jn 14,30) qui, librement, en toute conscience, a décidé de dire « non » à Dieu et de se détourner de Lui… Il ne peut donc pas recevoir la Plénitude du Don de l’Esprit qui Lumière et Vie : il est désespérément « vide » de cette Vie… Telle est « la mort spirituelle », ce que nous pouvons appeler aussi « l’enfer »… Et ce sera toute l’œuvre de la Miséricorde toute Puissante de Dieu que de manifester sa victoire sur cette mort spirituelle en donnant ce signe, le plus fort de l’Evangile de Jean, du retour à la vie de Lazare… Alors, « si le salaire du péché, c’est la mort », la mort spirituelle qui est privation de la Plénitude de la Vie éternelle, « le don gratuit de Dieu, c’est la Vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » car telle est la volonté du « Père des Miséricordes » : « que tous les hommes soient sauvés » et vivent de sa Vie (Rm 6,23 ; 2Co 1,3 ; 1Tm 2,3-6 ; Jn 10,10). Noter d’ailleurs tout de suite ce qui est dit du Seigneur en Jn 11,3.5.36 (versets 3, 5 et 36 du chapitre 11) vis-à-vis de Lazare, ce « malade » qui nous représente tous… Ainsi en est-il également de chacun d’entre nous… Or aimer quelqu’un, c’est désirer le meilleur pour lui… Et le meilleur, pour un pécheur, c’est de passer des ténèbres à la lumière, de l’angoisse à la paix, de la tristesse à la joie, de la mort à la Vie (cf. Ac 26,12-18 ; Col 1,9-14 ; Rm 2,9 avec Jn 14,27 ; 2Co 7,10 avec Jn 15,11 ; Jn 10,10). A lui maintenant de collaborer jour après jour à cette œuvre de Dieu en acceptant, soutenu par sa grâce, de se détourner du mal pour se tourner vers la Source éternelle de Lumière et de Vie…
Jn 11,2 rappelle l’épisode raconté en Jn 12,1-11. Qu’annonçait ce geste de Marie (cf. Jn 12,7) ? De telles allusions sont également présentes dans notre passage : noter Jn 11,8 et 11,16 ; comparer Jn 11,33 avec Jn 12,27 et 13,21 ; enfin, la conclusion de cet épisode sera la décision du Grand Prêtre de faire mourir Jésus (Jn 11,50-53)… Et face à Lazare dans son tombeau, Jésus le pressentait : une pleine révélation de Lumière allait provoquer la réaction la plus forte des ténèbres… Comme l’indique en note la Bible de Jérusalem pour Jn 11,4 (« Cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu : afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle ») : « Expression à double sens : Jésus sera glorifié par le miracle lui-même ; mais ce miracle entraînera sa propre mort, qui sera aussi sa glorification. »
Ce dernier signe accompli par Jésus dans l’Evangile de Jean, le plus éclatant en ce qui concerne la victoire de la Vie, va donc signer sa mort… Etonnante réponse des pécheurs qui ne pensent qu’à éliminer Celui qui, pourtant, ne recherche que leur bien… Et il continuera de le faire, envers et contre tout, en mourant notamment pour le salut de ceux-là mêmes qui l’auront arrêté et livré aux mains des Romains pour qu’ils le tuent (cf. Ac 3,26 après avoir lu Ac 3,13-15)… Notons tout de suite quelle fut d’ailleurs leur réaction devant ce nouveau signe. Reconnaissent-ils que Jésus fait des signes (cf. Jn 11,47) ? Se posent-ils la question, comme Nicodème (Jn 3,1-2), de la provenance divine éventuelle de ces signes ? En parfaits politiques, dans le plus mauvais sens du terme, ils n’envisagent que l’éventualité d’une réaction romaine face à un mouvement de foule qui pourrait être déclenché par Jésus, considéré sous le seul angle politique d’un libérateur terrestre… Nouvelle méprise, comme pour les disciples (Mc 9,34 ; Mt 20,20-21), sur le sens de sa messianité… Et nouvel exemple, dramatique, de ces hommes qui croient tout savoir (Jn 7,27 ; 8,52 ; 9,24.29.41) et qui jugent de tout sur la seule base de leurs pauvres lumières…
Noter ce que Marthe et Marie envoient dire à Jésus (Jn 11,3). Lui demandent-elles quelque chose ? Se souvenir de Jn 2,3… A quelle attitude ces deux exemples nous invitent-t-il (cf. Mt 9,2 ; 9,22 ; 14,27 ; voir aussi Mt 6,8 ; 10,29-31 ; Lc 12,22-32) ? Et Lazare, demande-t-il quelque chose pour lui‑même ? Et une fois mort, la réponse ne se pose plus ! L’action du Père à son égard apparaîtra alors, avec encore plus de force, comme la révélation de la totale gratuité des Dons de Dieu pour nous. La seule raison qui les motive ? Son Amour de Père pour chacun de ses enfants à qui il a déjà donné gratuitement la vie. Et il en est de même pour le salut, la vie éternelle… « Ne crains pas, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume » (Lc 12,32). Nous nous découvrons pécheurs, blessés ? « Ainsi parle le Seigneur : Vous avez été vendus pour rien, vous serez rachetés sans argent » (Is 52,3). En effet, « le salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le trône, ainsi que par l’Agneau » (Ap 7,10). Tout ce que Dieu attend de nous, c’est que nous acceptions de nous laisser aimer ainsi, gratuitement…
« Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare »… Et pourtant, alors qu’il vient de recevoir le message que les deux sœurs lui avaient envoyé, « Seigneur, celui que tu aimes est malade », il décide de demeurer « deux jours encore dans le lieu où il se trouvait » ! Cette réaction semble à première vue incompréhensible ! Mais pendant que le ou les envoyés des deux sœurs étaient en chemin, « Lazare est mort » (Jn 11,14)… Et Jésus, dans le secret de sa relation à son Père, le sait… Comptons les jours… Pendant le premier, Lazare meurt alors que le ou les messagers rejoignent Jésus… Il les accueille, les écoute et décide de rester encore deux jours sur place… Nous arrivons donc à trois jours en tout… Enfin, le quatrième, il se met en route et rejoint les deux sœurs… Marthe lui dira alors : « Seigneur, il sent déjà : c’est le quatrième jour » (Jn 11,39). Jésus a donc voulu arriver ce quatrième jour… Pourquoi ? Pour que ses Paroles et ses actes, qui ne visent que la Gloire du Père et la Vie de l’homme, aient le plus de poids possible dans le contexte social, culturel et religieux de son époque… En effet, Xavier Léon Dufour (Lecture de l’Evangile de Jean, tome II, p. 407) écrit : « Cette durée (de quatre jours) n’est pas choisie au hasard ; elle correspond à la croyance selon laquelle c’est à partir du quatrième jour que l’âme, qui voletait encore autour du cadavre, ne peut plus y rentrer. Il fallait que Lazare fût réellement mort et la corruption commencée pour manifester quelle est la victoire du Christ ».
« Allons de nouveau en Judée »… Jésus décide donc enfin de partir. Qui se cache derrière cette décision (cf. Jn 5,19-20 ; 4,34) ? Jésus le sait, il le vit… Il est toujours tourné vers Lui (Jn 1,18), il demeure dans son Amour (Jn 15,10 ; 8,29), dans sa Lumière (1Jn 4,8 avec 1Jn 1,5)… Il le suit et se laisse guider par Lui… Les disciples ont peur : « Rabbi, tout récemment les Juifs cherchaient à te lapider, et tu retournes là-bas ! » Ils ont peur comme autrefois, lorsqu’une violente tempête les avait surpris en plein milieu du lac de Tibériade… Et Jésus dormait… Ils l’avaient alors réveillé brutalement… Et que leur avait-il dit (cf. Mt 8,26) ? Que leur reprochait-il ? Noter tout de suite pourquoi Jésus retourne ici en Judée pour accomplir ce nouveau signe (cf. Jn 11,15). Au moment de partir, il est donc dans cet Amour et cette Lumière du Père qui l’invite à avancer… Il sait que le Père s’occupe de lui, il a confiance en Lui, il ne craint pas… « Il doit travailler aux œuvres de Celui qui l’a envoyé » (Jn 9,4), c’est là toute sa vie. Son heure, celle de sa Passion et de sa mort, viendra en son temps… Pour l’instant, il doit encore accomplir ce signe, pour eux… Aussi va-t-il essayer de les encourager : « N’y a-t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu’un marche le jour, il ne bute pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais s’il marche la nuit, il bute, parce que la lumière n’est pas en lui ». Qu’ils lui fassent donc confiance… Lui ne marche pas la nuit : la Lumière du Père est en Lui, elle l’éclaire, elle le guide. Il ne butera pas sur les obstacles que les Pharisiens et les Grands Prêtres mettent en travers de son chemin… Et les disciples acceptent de le suivre… Mais ils n’oublient pas pour autant la menace qui pèse sur Jésus et sur eux… « Allons, nous aussi, pour mourir avec lui ! ». Cette affirmation de Thomas semble bien courageuse ! Souvenons-nous de ce que Pierre, lui aussi, a dit à Jésus juste avant sa Passion (cf. Mt 26,33-35). Et qu’arrivera-t-il finalement, aussi bien pour Pierre que pour Thomas et pour tous les autres (cf. Mt 26,56) ?
Jésus est désormais proche de Béthanie, à environ trois kilomètres au sud est de Jérusalem (15 stades, et 1 stade équivaut à 185 m). Lorsqu’elle apprend sa venue, Marthe est la première à se lever pour aller le rejoindre ; quel trait de caractère, déjà présent en Lc 10,38-42, retrouve-t-on ici ? Quelle qualité spirituelle de Marthe s’exprime en Jn 11,21-22 ? Comme en Jn 11,3, demande-t-elle quelque chose de précis ? Comment prie-t-elle : est-ce elle qui demande, ou compte-t-elle avant tout sur l’intervention de quelqu’un d’autre ? Et nous, comment prions-nous, en comptant sur l’accumulation de nos paroles (cf. Mt 6,7-8) et donc finalement sur nous-mêmes ? Les sœurs du Carmel de Lisieux invitaient Ste Thérèse à prier pour sa guérison : « Vous savez bien que moi, je ne peux pas demander… mais vous, demandez-le pour moi… Enfin, ce soir, je le demanderai tout de même au Bon Dieu pour faire plaisir à mes petites sœurs, pour que la Communauté n’ait pas de déception, mais au fond, je lui dis tout le contraire, je lui dis de faire tout ce qu’il voudra »… Et à une sœur qui l’invitait à prier pour que la Vierge Marie diminue son oppression : « Non, il faut les laisser faire là-haut »…
« Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Le contexte suggère le contenu de cette demande, mais comme l’indique la Bible de Jérusalem en note, « Marthe s’arrête comme au seuil d’une impossible prière »… Et la première réponse de Jésus ne semble pas l’encourager pour un exaucement immédiat de son désir : « Ton frère ressuscitera ». Quel est le contenu de sa foi sur cette question ? Est-il différent de celui que nous confessons dans notre Crédo ? Lorsque Jésus répond « Je Suis la résurrection et la vie », la manière d’écrire « Je Suis », en grec (« Egô eimi »), évoque le Nom divin révélé à Moïse dans le Buisson ardent (Ex 3,14). Autrement dit, Dieu se révèle tout entier ici en Jésus Christ comme étant « résurrection et vie ». Tout en Lui est « Vie »… Retrouver cette affirmation en mettant en parallèle toutes les citations suivantes : Jn 1,4 ; 4,24 ; 8,12 ; 1Jn 1,5 ; Jn 4,24 ; 6,63 avec un grand E pour esprit. Tout ce que Dieu Est, tout ce qu’Il fait, tout ce qu’Il dit va donc dans le sens de la vie… Quelle est donc sa réponse face à un homme qui serait touché par la mort : la résurrection… Mais si cette mort est provoquée par son péché, il en est responsable, « il l’a bien cherché, il n’a que ce qu’il mérite » dirions-nous aujourd’hui. Oui, mais la réponse de Dieu sera toujours « vie », une « vie » qui se décline selon les besoins et qui s’appelle « résurrection » pour quelqu’un qui est touché par la mort… Nous pressentons la réalité qui, en Dieu, s’exprime par cette « résurrection » : l’expliciter avec Dt 4,31 ; Jr 3,12 ; 2M 1,24 ; 7,23.29 ; 8,29 ; Si 2,11 ; 48,20 ; 50,19 ; Tb 3,11 ; Sg 9,1 ; 15,1…
Nous venons de voir dans quelle direction pointe le futur de Jésus en Jn 11,23 avec la réponse de Marthe au verset suivant. Après avoir affirmé « Je Suis la résurrection et la vie », Jésus reprend cette perspective en Jn 11,25. Mais au verset suivant, en 11,26, sur quel aspect insiste-t-il ? Le retrouver en Jn 5,25 ; 6,33 ; 6,47 ; 1Jn 2,8 avec Jn 8,12 ; Ep 2,4-6. Enfin, dans la réponse de Marthe, nous retrouvons le mini-Crédo de l’Eglise primitive sur le Mystère de Jésus (Jn 20,31 ; Mc 1,1 ; Mt 16,16 ; 26,63 ; plus développé en Rm 1,1-7).
A l’invitation de sa sœur, Marie rejoint Jésus, tombe à ses pieds et pleure… Quel visage de Jésus apparaît alors en Jn 11,33-35 (Voir aussi Jn 4,6 ; Lc 7,34 ; Mc 5,41‑43) ? Nous l’avons déjà vu, « « se troubler » appartient en St Jean au contexte de la Passion : en 12,27 Jésus dit : « Mon âme est troublée », face à l’heure qui est là, et en 13,21, il se trouble en esprit à cause de la trahison de Judas ; dans le discours d’adieu, l’âme des disciples est « troublée » à cause de la séparation d’avec Jésus qu’il leur a annoncée (Jn 14,1). Dans notre texte, l’occasion du trouble est la même que pour « frémir ». On est donc autorisé à conclure que, par la désolation de Marie qu’il aimait, puis par la remarque de ceux qui étaient là, Jésus se trouve affronté à la réalité de la mort, non seulement celle de Lazare mais la sienne, imminente selon l’orientation du récit, et il réagit par un combat intérieur »… Si ceux qui sont là « constatent les larmes et les attribuent à son amitié pour Lazare, cette explication vaut mais elle reste en deçà de la vérité : les larmes silencieuses de Jésus proviennent de l’amour du Père qui, à travers lui, va aux disciples. Ce sont les larmes de Dieu devant la mort qui sépare les êtres. Ce sont en même temps les larmes de celui qui doit consentir à l’épreuve » (Xavier Léon Dufour)…
Jésus prend alors les choses en main… « Enlevez la pierre »… Mais la réalité de la mort est là, palpable, évidente… « Seigneur, il sent déjà, c’est le quatrième jour » lui dit Marthe. « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » Et que verra Marthe ? Peut-être est-ce ce passage qui a inspiré St Irénée, Evêque de Lyon au 2° siècle lorsqu’il écrivait : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vue de Dieu » … « On enleva donc la pierre »… Comme pour Jaïre vis-à-vis de sa petite fille qui vient de mourir (Mc 5,35-43), Marthe s’efface. Elle ne dira plus rien… Elle est dépassée et laisse Jésus agir comme il l’entend… Pour Jaïre, ce « laisser faire » sera héroïque. En effet, ses amis l’entourent et ils ont constaté la mort de sa fille. Et voilà ce Jésus qui arrive, lui qui n’était pas là au moment de sa mort, lui qui n’a pas suivi l’évolution de sa maladie et qui n’a même jamais vu l’enfant, et il leur dit : « Pourquoi ces tumultes et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte mais elle dort »… Et Jaïre laissera Jésus les « mettre dehors »…
Jésus est le Fils Unique, un avec le Père (Jn 10,30), uni à son Père dans la communion d’un même Esprit, d’un même Amour… Son seul souci est d’accomplir la volonté du Père… Il n’est que le Serviteur du Père, il ne fait que ce que le Père l’invite à faire (Jn 5,19-20 ; 5,30). Aussi, lui rend-il grâces de l’avoir écouté (En grec : « Pater, eucharistô soi »), car il sait que ce désir qui est né au plus profond de lui‑même, dans la Paix, vient de Lui (cf. Rm 8,26-27). Mais remarquons à nouveau à quel point il s’engage dans cette démarche : « Tu m’as écouté », « tu m’écoutes toujours »… Le désir du Père est aussi le sien. Il veut de toutes ses forces ce que veut le Père, car sa volonté ne peut qu’être le meilleur pour l’homme, l’inimaginable de sa bonté (cf. Ep 3,20-21). Ce « Oui ! » à la volonté du Père, il le dira avec toute la force de son Amour pour le Père et pour nous tous, lorsqu’il s’agira de se laisser arrêter par les soldats et conduire à la Croix… Toute son humanité ne peut que se raidir face à la perspective de l’épreuve qui l’attend, mais Jésus veut de tout son être notre salut, notre vie : « Père, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi » (Jn 17,24 Lc 22,39-46)… Et c’est cela même que veut le Père depuis la création du monde (cf. Gn 2,8 ; Jn 3,16-17 ; 6,38‑40)… Mais seule la foi peut accueillir cette volonté du Père et son agir par son Fils et par l’Esprit… Alors, Jésus désire aussi notre foi, de toutes ses forces, pour que nous puissions recevoir tout ce que Dieu veut nous communiquer, ces Trésors de Paix, de Lumière et de Vie que Lui, le Fils, reçoit du Père de toute éternité (Jn 14,27 et Col 3,15 ; Jn 12,46 et 8,12 ; Jn 20,30-31 et 10,10) … « J’ai parlé pour qu’ils croient ». Et « si j’ai dit cela, c’est pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11).
Dans d’autres épisodes, neuf fois en tout dans les Evangiles, Jésus apparaît « bouleversé au plus profond de lui-même » devant la détresse de ceux et celles qu’il rencontre. « Il s’agit d’une émotion physique, d’une authentique compassion devant l’état misérable du prochain (Lc 10,33), littéralement d’un mouvement des entrailles suscité par la vue (Lc 7,13 ; 10,33 ; 15,20) » (P. Ceslas SPICQ, Lexique théologique du Nouveau Testament (Paris 1991) p. 1409s). Et bouleversé de compassion, il agit : il guérit les aveugles, il nourrit les foules… Il ne recherche vraiment que le bien de ceux et celles dont la situation l’a remué jusqu’au plus profond de lui-même… C’est exactement ce qui arrive ici vis-à-vis de Marie, Marthe, Lazare, ses disciples et plus largement tous ceux et celles qui sont simplement là : il veut leur salut éternel…
Alors, « Lazare, viens dehors !», crie-t-il… Les prophéties s’accomplissent (cf. Mt 11,4-6). Lire Is 26,19 ; 29,18-19 ; 35,5-10 ; 42,6-7 ; 49,8-10 ; 61,1-3… Or, quelle figure évoque deux de ces textes : Is 42,1 et 49,5-6 ? A travers eux, que retrouvons-nous de Jésus ?
«Le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d’un suaire. » Lazare revient à la vie… Ce n’est pas une résurrection proprement dite… Lorsque le Christ ressuscitera d’entre les morts, son corps disparaîtra, et tous les linges qui l’entouraient s’affaisseront à terre en gardant le souvenir de leurs places respectives sur son corps… Ressuscité, il sera à la fois le même et tout autre, ce qui est suggéré dans la difficulté des disciples à le reconnaître (Jn 20,11-18 ; 21,1-14). Mystère de cette création nouvelle où notre chair sera totalement assumée par l’Esprit…
« Jésus leur dit : Déliez-le et laissez-le aller. » Outre le sens littéral immédiat, quelle autre perspective, intérieure, spirituelle, se laisse ici percevoir (cf. Jn 8,31-36 ; Ps 146(145),7 ; Is 58,6 ; 61,1 ; 42,6-7 ; Ga 5,1) ?
Nous l’avons vu, Caïphe, le Grand Prêtre, va réduire le Mystère de Jésus à l’étroitesse de ses calculs politiques. Néanmoins, il va donner, sans le savoir, le sens de sa mort (cf. Jn 11,50). Le retrouver en Rm 4,24-25 ; 5,6-8 ; 8,31-32 ; 14,15 ; 1Co 15,3‑5 ; 2Co 5,14-15 ; Ga 1,3-5 ; Ep 5,1-2 ; Col 1,21-23 ; 1Th 5,9-10 ; 1Tm 2,3-6 ; Tt 2,13-14. Et St Jean va plus loin en 11,51-52 : le préciser. Retrouver cette perspective en Jn 17,20-23. En quel autre terme peut-on en parler (cf. 1Co 1,9 ; 2Co 13,13 ; Ph 2,1 ; 1Jn 1,3 ; 1,6-7) ?
Jean-Paul II écrivait : « L’unité de toute l’humanité déchirée est voulue par Dieu. C’est pourquoi il a envoyé son Fils, afin que, mourant et ressuscitant pour nous, il nous donne son Esprit d’amour. A la veille du sacrifice de la Croix, Jésus lui-même demande au Père pour ses disciples, et pour tous ceux qui croiront en lui, qu’ils soient un, une communion vivante… Les fidèles sont un parce que, dans l’Esprit, ils sont dans la communion du Fils et, en lui, dans sa communion avec le Père : « Notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ » (1 Jn 1,3). Pour l’Eglise catholique, la communion des chrétiens n’est donc pas autre chose que la manifestation en eux de la grâce par laquelle Dieu les fait participer à sa propre communion, qui est sa vie éternelle » (Jean Paul II, « Ut unum sint, qu’ils soient un », 25 Mai 1995).