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HÉGÉSIPPE DE JÉRUSALEM par Yannick LEROY

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HÉGÉSIPPE DE JÉRUSALEM

 

          Hégésippe de Jérusalem – à l’instar de Papias de Hiérapolis – est un personnage notable en raison de l’importance de ses écrits hélas perdus de nos jours. Les fragments qui nous sont parvenus sont rapportés par Eusèbe de Césarée – entre autres – dans son Histoire Ecclésiastique. Les renseignements dont nous disposons nous permettent d’établir que Hégésippe serait né en Palestine vers 110 et serait mort vers 180, probablement à Rome. Converti issu du judaïsme d’obédience pharisienne, il se serait rendu dans la capitale de l’Empire sous le pontificat de l’épiscope Anicet et y serait demeuré jusqu’à l’avènement du pontificat d’Éleuthère. En dehors de ces quelques miettes biographiques, nous ne disposons d’aucune autre information détaillée concernant sa vie. Il n’en reste pas moins que son œuvre constitue l’une des plus importantes de l’époque postapostolique.

          Hégésippe fut l’auteur d’un ouvrage intitulé Hypomnèmata (que l’on peut traduire par « mémoires »), vraisemblablement composé en cinq livres. Eusèbe nous en transmet plusieurs extraits dont l’intérêt est immédiat aux yeux du lecteur averti. On peut y trouver notamment des renseignements concernant Jacques le « frère du Seigneur » et sa fin sur ordre du Sanhédrin en 62. Hégésippe évoque également le processus de succession de Jacques, concerté entre les disciples et les parents de Jésus encore vivants à cette époque. C’est également lui qui mentionne le fait que Siméon – ledit successeur – est cousin du Christ, étant fils de Clopas qui serait selon lui frère de Joseph de Nazareth. Une tradition relative aux frères et sœurs de Jésus (influente dans le christianisme oriental, notamment syriaque) découle des affirmations de Hégésippe qui considère cette fratrie comme descendant de Marie et Joseph. Elle sera remise en cause aux IVè – Vè siècles par Epiphane de Salamine et Jérôme qui feront de ces frères des cousins dans le but de préserver le dogme de la virginité perpétuelle de Marie (tradition latine). Hégésippe nous rapporte également l’existence d’évangiles tels que l’Evangile selon les Hébreux ou encore celui rédigé en caractères « syriens ». Cette mention demeure énigmatique. Il est néanmoins certains qu’il a pu évoquer de nombreux détails relatifs aux Nazaréens, ces Chrétiens demeurés dans le judaïsme bien après la scission entre Eglise et Synagogue. Cette séparation transparaît notamment dans la description qu’il donnedes premières hétérodoxies chrétiennes, provenant selon lui des diverses sectes judaïques existant en Palestine avant la chute du Temple en 70. Le caractère capital de l’œuvre provient de sa situation chronologique en pleine période de séparation du Christianisme et du judaïsme, moment à propos duquel de nombreuses questions demeurent à ce jour sans réponse.

          Bien que les fragments n’aient aucune portée théologique ou spirituelle, il est indéniable que l’œuvre de Hégésippe est d’une importance capitale pour les historiens et les exégètes en raison des multiples anecdotes qu’elle a pu contenir. On ne peut que déplorer sa disparition et espérer une heureuse découverte…

Yannick Leroy

Bibliographie élémentaire

  • Hypomnèmata, S. MORLET (trad.), in Premiers écrits chrétiens, Gallimard, La Pléiade, Paris, 2016, p. 983-990.

  • N. HYLDAHL, « Hegesipps Hypomnemata », in Studia Theologica XIV, 1960, p. 70-113.

  • E. NORELLI, C. MORESCHINI, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine, T. I, Genève, Labor et Fides, 2000 pp. 232-233.

  • X. LEVEILS, « Étude historique du récit d’Hégésippe sur la comparution des petits-fils de Jude devant Domitien« , in Revue des études juives CLXXIII, 2014, p. 297-323.

 

Extraits

           Le frère du Seigneur, Jacques, reçut l’administration de l’Église avec les Apôtres. Depuis les temps du Seigneur jusqu’à nous, tous l’appellent le Juste, puisque beaucoup portaient le nom de Jacques. Cet homme fut sanctifié dès le sein de sa mère ; il ne but ni vin, ni boisson enivrante ; il ne mangea rien qui eut vécu ; le rasoir ne passa point sur sa tête ; il ne s’oignit pas d’huile et ne prit pas de bains. A lui seul était permis d’entrer dans le sanctuaire, car il ne portait pas de vêtements de laine, mais de lin. Il entrait seul dans le Temple et il s’y tenait à genoux, demandant pardon pour le peuple, si bien que ses genoux s’étaient endurcis comme ceux d’un chameau, car il était toujours à genoux, adorant Dieu et demandant pardon pour le peuple. A cause de son éminente justice, on l’appelait le Juste et Oblias, ce qui signifie en grec rempart du peuple et justice, ainsi que les Prophètes le montrent à son sujet. Quelques uns donc des sept sectes qui existaient dans le peuple et dont nous avons parlé plus haut dans les Mémoires, demandèrent à Jacques quelle était la porte de Jésus et il leur dit qu’il était le Sauveur. Quelques uns d’entre eux crurent que Jésus était le Christ. Mais les sectes susdites ne crurent ni à sa résurrection, ni à sa venue pour rendre à chacun selon ses œuvres : tous ceux qui crurent le firent par le moyen de Jacques. Beaucoup donc, et même des chefs, ayant cru, il y eut un tumulte parmi les Juifs, les Scribes et les Pharisiens qui disaient : « Tout le peuple court le risque d’attendre en Jésus le Christ. »  Ils allèrent ensemble auprès de Jacques et lui dirent : « Nous t’en prions, retiens le peuple, car il se trompe sur Jésus, comme s’il était le Christ. Nous t’en prions, persuade tous ceux qui viennent pour le jour de la Pâque, au sujet de Jésus : car nous tous avons confiance en toi. Nous te rendons en effet témoignage, ainsi que tout le peuple, que tu es juste et que tu ne fais pas acception de personne. Toi donc, persuade à la foule de ne pas s’égarer au sujet de Jésus. Car tout le peuple et nous tous, nous avons confiance en toi. Tiens-toi dons sur le pinacle du Temple, afin que de là-haut, tu sois en vue et que tes paroles soient entendues de tout le peuple. Car à cause de la Pâque, toutes et les tribus et même les Gentils se sont rassemblés. » Les susdits Scribes et Pharisiens placèrent donc Jacques sur le pinacle du Temple et lui crièrent en disant : « Juste, en qui nous devons tous avoir confiance, puisque le peuple se trompe au sujet de Jésus le crucifié, annonce-nous quelle est la porte de Jésus. Et il répondit à voix haute : Pourquoi m’interrogez-vous sur le Fils de l’Homme ? Il est assis au ciel à la droite de la Grande Puissance et il viendra sur les nuées du ciel. » Beaucoup furent entièrement convaincus et glorifièrent le témoignage de Jacques en disant : « Hosannah au Fils de David ! » Alors, par contre, les mêmes Scribes et Pharisiens se disaient les uns aux autres : « Nous avons mal fait de procurer un tel témoignage à Jésus. Montons donc et jetons-le en bas, afin qu’ils aient peur et ne croient pas en lui. » Et ils crièrent en disant : « Oh ! Oh ! Même le Juste a été égaré ! » Et ils accomplirent l’Ecriture inscrite dans Isaïe : « Enlevons le Juste parce qu’il nous est insupportable : alors ils mangeront les fruits de leurs œuvres. » Ils montèrent donc et jetèrent en bas le Juste. Et ils se disaient les uns aux autres : « Lapidons Jacques le Juste. » Et ils commencèrent à le lapider, car lorsqu’il avait été jeté en bas, il n’était pas mort. Mais s’étant retourné, Jacques se mit à genoux en disant : «  Je t’en prie, Seigneur Dieu Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Tandis qu’ils lui jetaient ainsi des pierres, un des prêtres, des fils de Réchab, fils de Réchabim, auxquels Jérémie le Prophète a rendu témoignage, criait en disant : « Arrêtez ! Que faites-vous ? Le Juste prie pour vous ! » Et quelqu’un d’entre eux, un foulon, ayant pris le bâton avec lequel il foulait les étoffes, frappa sur la tête du Juste ; et ainsi celui-ci rendit témoignage. Et on l’enterra dans le lieu-même, près du Temple et sa stèle demeure encore auprès du Temple. Il a été un vrai témoin pour les Juifs et les Grecs, que Jésus est le Christ. Et bientôt après, Vespasien les assiégea.

EUSEBE DE CESAREE, Histoire Ecclésiastique II, 23

 

 

          Après le martyre de Jacques et la destruction de Jérusalem qui arriva en ce temps, on raconte que ceux des apôtres et des disciples du Seigneur qui étaient encore en ce monde vinrent de partout et se réunirent en un même lieu avec les parents du Sauveur selon la chair (dont la plupart existaient à cette époque). Ils tinrent conseil tous ensemble pour examiner qui serait jugé digne de la succession de Jacques, et ils décidèrent à l’unanimité que Siméon, fils de ce Clopas dont parle l’Évangile, était capable d’occuper le siège de cette église : il était, dit-on, cousin du Sauveur : Hégésippe raconte en effet que Clopas était le frère de Joseph. 

EUSEBE DE CESAREE, Histoire Ecclésiastique III, 11

 

 

         Il y avait encore, de la race du Sauveur, les petits-fils de Jude, qui lui-même était appelé son frère selon la chair : et on les dénonça comme étant de la race de David. L’huissier les amena devant Domitien César, car celui-ci craignait la venue du Christ, comme Hérode. Et il leur demanda s’ils étaient de la race de David et ils dirent que oui. Alors il leur demanda combien de propriétés ils avaient et de quelles richesses ils étaient les maîtres. Ils dirent qu’à eux deux ils possédaient seulement neuf mille deniers et que chacun d’eux en avait la moitié, et ils ajoutèrent qu’ils n’avaient même pas cela en numéraire, mais que c’était l’évaluation d’une terre de trente-neuf plèthres sur lesquels ils payaient des impôts et qu’ils cultivaient eux-mêmes pour vivre. Puis ils montrèrent aussi leurs mains, comme preuve de leur travail personnel, ils alléguèrent la rudesse de leurs corps ; ils présentèrent les durillons incrustés dans leurs propres mains par suite de leur labeur continuel. Interrogés sur le Christ et sur son royaume, sur sa nature, sur les lieux et temps de sa manifestation, ils donnèrent cette réponse que ce royaume n’était pas de ce monde, ni de cette terre, mais céleste et angélique, qu’il arriverait à la consommation des siècles, lorsque le Christ viendrait dans la gloire, jugerait les vivants et les morts et rendrait à chacun selon les œuvres. Domitien, là-dessus, ne les condamna à rien, mais il les dédaigna comme des hommes simples, les renvoya libres et fit cesser par édit la persécution contre l’Eglise. Lorsqu’ils furent délivrés, ils dirigèrent les Eglises, à la fois comme martyrs et comme parents du Seigneur, et, la paix rétablie, ils restèrent en vie jusqu’au règne de Trajan.

EUSEBE DE CESAREE, Histoire Ecclésiastique III, 20

 

Après que Jacques le Juste eut rendu son témoignage comme le Seigneur et pour la même doctrine, le fils de son oncle, Siméon, fils de Clopas, fut établi épiscope : tous le préférèrent comme deuxième épiscope parce qu’il était cousin du Seigneur. L’Eglise était encore appelée vierge parce qu’elle n’avait pas été souillée par de vains discours. Ce fut Thébouthis, parce qu’il n’était pas devenu épiscope, qui commença à la souiller parmi le peuple, à partir des sept sectes juives dont il était aussi membre : de ces sectes sortirent Simon, le père des Simoniens ; Cléobius, le père des Cléobiens ; Dosithée, le père des Dosithéens ; Gortheios, le père des Gorathéniens, et les Masbothéens. De ceux-ci viennent les Ménandrianistes, les Marcianistes, les Carpocratiens, les Valentiniens, les Basilidiens, les Satorniliens, qui, chacun pour sa part et d’une manière différente, avaient introduit leur propre opinion. De ces hommes sont venus de faux Christs, de faux prophètes, de faux apôtres, qui ont divisé l’unité de l’Eglise par des discours corrupteurs contre Dieu et contre son Christ.

EUSEBE DE CESAREE, Histoire Ecclésiastique IV, 22