En ce 10 mars, nous faisons mémoire du départ vers le Ressuscité de deux grandes figures dominicaines : le bienheureux père Lataste, apôtre des prisons, qui en embrassant les reliques de sainte Marie Madeleine dans la basilique de Saint Maximin s’était exclamé : « Il est donc vrai que les plus grands pécheurs, les plus grandes pécheresses ont en eux ce qui fait les plus grands saints ».
Par ailleurs, il y a 85 ans, le 10 mars 1938, c’est le père Marie-Joseph Lagrange, dominicain, fondateur de l’École pratique d’études bibliques de Jérusalem, qui partait à la rencontre de Jésus Vivant au couvent de Saint Maximin, près de Toulon.
Nous confions à leur intercession et nous prions le Seigneur de canoniser le père Lataste et de béatifier le père Lagrange, en nous accordant le miracle nécessaire.
Êtes-vous d’accord avec le proverbe portugais « Dieu écrit droit avec des lignes courbes » ? L’histoire de Joseph, le fils de Jacob, vendu comme esclave par ses frères et devenu par la suite leur sauveur va dans ce sens. Saint Paul enseigne que « tout concourt au bien de ceux qui cherchent Dieu » (Rm 8, 28). Et saint Augustin d’ajouter avec l’audace de la foi évangélique : « même le péché ». Même le péché peut devenir chemin vers Dieu par la grâce du Christ Jésus.
Joseph annonce Jésus. C’est par la jalousie de ses frères qui le voyaient aimé de leur père Jacob et revêtu d’une tunique admirablement ornée que Joseph a subi la haine et la violence de ses propres frères. Il a été vendu pour vingt pièces d’argent ; Jésus le sera par Judas pour 30 pièces d’argent.
Esclave, condamné injustement en Égypte, Joseph remonte des ténèbres de la prison au poste de ministre des finances. Jésus, le Fils du Très-haut deviendra le très-bas, condamné injustement au supplice de la croix et de la mort. Mais Dieu le Père élèvera son Fils Jésus dans la gloire de la résurrection.
Inspiré, Joseph annonça de manière prophétique l’arrivée des années fastes et des famines en Égypte.
Jésus, le plus grand des prophètes, a aussi annoncé le Vendredi Saint et la lumière pascale.
Joseph a pardonné le crime de ses frères et il les a tirés de la famine et de la peur de la mort.
Jésus a pardonné à ses propres bourreaux : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34) et il leur a accordé la joie du salut.
Rejeté par ses frères, Joseph les rassemble. Jésus, « la pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » (Mt 21,42), qui tient l’Église dans son unité.
L’œuvre de Dieu se fait dans la contradiction. En fondant l’École biblique de Jérusalem et en travaillant à l’interprétation croyante et rationnelle de la Bible, le père Lagrange a souffert aussi de la calomnie et de la diffamation. En 1912, il dut quitter Jérusalem, en exil en France pendant dix mois, sans cause explicite ni justifiée. Il reçut l’autorisation de retourner à Jérusalem en 1913 sans la moindre explication ou excuse. Heureusement que ces méthodes font partie en grande partie du passé.
Fidèle, dans la prière et le pardon, sans révolte ni amertume, comme un soldat vaillant, le père Lagrange a servi l’Église par le renouveau de l’exégèse. Il a relevé le défi du modernisme qui ne voyait dans la Bible qu’une œuvre littéraire sans contenu surnaturel.
Le cardinal de Milan, Carlo Maria Martini, voyait dans le père Lagrange un homme « à la prière de feu ». En effet, le Journal spirituel du père Lagrange apparaît dans l’histoire comme la nappe phréatique de la fondation de l’École biblique de Jérusalem. Le cœur à cœur avec Dieu dans la ferveur de la prière explique la beauté et la grandeur de son œuvre scientifique qui relie l’oratoire et le laboratoire, la foi et la raison dans l’harmonie d’un humanisme intégral.
À l’exemple du parcours de Joseph et de la vie de Jésus, l’existence et l’œuvre du père Lagrange ont connu des progrès : « Dieu nous a donné dans la Bible un champ infini de progrès dans la vérité », avait-il déclaré lors de l’inauguration de l’École biblique le 15 novembre 1890. Dans son commentaire à l’évangile selon saint Jean, il écrit : « La vérité, même religieuse, est toujours en marche, ce qui ne veut pas dire qu’elle cesse d’être ce qu’elle a été : elle se développe. Jésus voulait mettre en garde ses disciples contre une rigidité dans leur enseignement qui eût été en opposition avec tout le mouvement normal de l’humanité [1]».
Inspiré intérieurement par Dieu, Joseph avait dépassé la sagesse des Egyptiens. Jésus était la Sagesse de Dieu elle-même manifestée dans la chair : « folie pour les païens, scandale pour les juifs » (I Cor 1,23).
En ce Carême, puissions-nous imiter la fidélité de Jésus, de Joseph et du père Lagrange, pour découvrir que « tout concourt au bien de ceux qui cherchent Dieu » et que Dieu écrit droit dans nos vies avec des lignes courbes. « C’est là l’œuvre du Seigneur, merveille devant nos yeux » (Mt 21,42).
Fr Manuel RIVERO
[1] Père Marie-Joseph Lagrange, des frères prêcheurs. Évangile selon saint Jean, troisième édition. Études bibliques. Paris. J. Gabalda, éditeur. 1927, p.420. Commentaire à Jn 16, 12 : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, que vous n’êtes pas en état maintenant de porter. »