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Introduction à la Bible

Parole de Dieu faite chair en nos langages d’homme…

« Les récits bibliques viennent à nous. Ils arrivent de lieux, d’époques, de milieux différents »… « Dieu a accepté la fragilité de l’expression humaine. Du même coup, il a donné valeur aux saveurs, aux goûts de ces langages. Il a revêtu lui-même leurs caractéristiques et s’est servi des mots tout ordinaires de ces temps-là pour que sa Parole puisse être à l’aise et atteindre l’homme »…

« Quand on entreprend de lire la Bible, on est un peu comme ces deux hommes qui se trouvaient sur la route de Jérusalem à Emmaüs (Lc 24,13-35) : le Christ est là. Ils ne le savent pas. Il fait silence. Ils ne l’ont pas encore nommé, mais il est présent. Lui est là, saisi par leur lourde tristesse à tous deux.

Lorsque nous ouvrons la Bible, le texte commence par rester muet. Puis il nous interroge, comme Jésus Christ interrogeait ces deux hommes.

Et, tout à coup, les voilà tous les trois qui reprennent la parole biblique (la Bible). Et le texte évoqué, de lointain et de froid qu’il était, devient une parole chaleureuse. Des mots cessent de n’être que des mots. Nos oreilles, notre intelligence, notre vie, sont mises en alerte. Derrière ces mots, il y a QUELQU’UN ! Quelqu’un qui parle, qui nous parle: sa présence commence à être ressentie; les phrases se mettent à vivre et deviennent message, et cet absent ignoré devient proche.

Mais tout ne fait que commencer lorsque la Bible est ouverte, lorsqu’elle est devenue Parole vivante après le silence. Le récit d’Emmaüs nous conduit plus loin : il y a le geste de communion réalisée, les frères retrouvés, la confession commune de foi proclamée, et l’intelligence brûlante a enfin compris que Lui était là ».

« Grâce à la lecture de la Bible,… Jésus Christ vient à nous, et nous pouvons aller à Lui, sans qu’on sache très bien qui s’approche de l’autre ».

« Ouvrir la Bible, c’est établir une relation possible avec le texte, avec Celui qui parle à travers le texte, avec ceux auxquels il nous conduit ».

« Ouvrir la Bible, c’est laisser le Christ ouvrir notre esprit et nous faire découvrir les vastes horizons de Dieu dans le monde des hommes »…

Maurice Carrez.

I – La Bible, ou l’histoire d’un cheminement lancé par Dieu, guidé par Lui, au cœur de tous les tâtonnements et de tous les aléas de l’aventure humaine.

« La vie vous a peut-être conduits à vous poser des questions essentielles. A travers ses côtés lumineux ou ses faces d’ombre, elle vous a interrogés: qui sommes‑nous ? Où allons-nous ? Quel est le sens de notre existence ? Alors, ouvrez ce livre. Vous y rencontrerez des hommes qui se sont posé les mêmes questions que vous. Ils ont cherché, ils ont peiné comme vous. Au départ, leur recherche était peut–être tâtonnante: ils n’ont cessé de la rectifier, de l’approfondir. D’âge en âge, ils se sont transmis leurs certitudes en acceptant de les confronter aux démentis de l’histoire, aux nouvelles questions brûlantes que faisait surgir celle-ci. Plus d’une fois, ils ont été tentés d’abandonner leur quête de vérité: les crises terribles qu’ils devaient traverser ne prouvaient-elles pas que leurs idées directrices étaient illusoires? Chaque fois, conduits par des hommes que l’Esprit de Dieu avait saisis, ils sont repartis. Toute nouvelle épreuve est devenue occasion d’accéder à une lumière plus pure.

Cette lumière est celle que de pauvres hommes de Palestine disent avoir enfin perçue en un certain Jésus. En lui, ils ont reconnu le rayonnement divin venant définitivement dissiper les ombres de nos illusions humaines.

En nous racontant comment, à travers leur histoire, ils ont rencontré Dieu, ces témoins nous invitent à relire notre propre histoire pour y rencontrer à notre tour le Seigneur, soleil de notre vie ».

Jean-Pierre Bagot, Jean-Claude Dubs, « Pour lire la Bible ».

« L’Ancien Testament avait pour raison d’être majeure de préparer l’avènement du Christ Sauveur du monde, et de son royaume messianique, d’annoncer prophétiquement cet avènement (cf Luc 24,44; Jean 5,39; 1Pierre 1,10) et de le signifier par diverses figures (cf 1Cor 10,11). Compte tenu de la situation humaine qui précède le salut instauré par le Christ, les livres de l’Ancien Testament permettent à tous de connaître qui est Dieu et qui est l’homme, non moins que la manière dont Dieu dans sa justice et sa miséricorde agit avec les hommes. Ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine. C’est pourquoi les chrétiens doivent les accepter avec vénération: en eux s’expriment un vif sens de Dieu; en eux se trouvent de sublimes enseignements sur Dieu, une bienfaisante sagesse sur la vie humaine, d’admirables trésors de prières; en eux enfin se tient caché le mystère de notre salut ».

Concile Vatican II, Dei Verbum & 15

 

II – La Bible, une lumière sur Dieu et sur l’homme

à découvrir à la Lumière de l’Esprit Saint qui a inspiré tous ces textes…

La Bible, et notamment l’Ancien Testament, est un cheminement, et comme tout cheminement, il ne prétend pas nous offrir immédiatement le but recherché, avec toute sa perfection. Néanmoins, ce but, qui est Dieu Lui-même, est présent au cœur de tous ces textes en tant que Dieu n’a jamais cessé, par son Esprit, de guider son Peuple vers la vérité toute entière.

Il importe donc de chercher avant tout cette vérité, tout en sachant que notre démarche s’inscrit au cœur d’une Histoire marquée dorénavant par la venue en ce monde du Verbe de Dieu, le Fils Unique du Père, Dieu Lui-même… En Lui et par Lui Dieu s’est offert aux hommes; dans la Puissance de l’Esprit Saint, il s’est révélé en Paroles et en actes comme Plénitude d’Amour et de Miséricorde :

« Il a plu à Dieu dans sa sagesse et sa bonté de se révéler en personne et de faire connaître le mystère de sa volonté grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint auprès du Père et sont rendus participants de la nature divine (Ep 2,18; 2P 1,4). Dans cette révélation, le Dieu invisible (Col 1,15; 1 Tm 1,17) s’adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu’à des amis (Ex 33,11; Jn 15,14-15), il s’entretient avec eux (Bar 3,38) pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie…

La profonde vérité que cette Révélation manifeste, sur Dieu et sur le salut de l’homme, resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation ».

Concile Vatican II, Dei Verbum & 2

Et le Christ nous a promis, avant de retourner vers son Père, de nous envoyer l’Esprit de Vérité. C’est Lui qui nous introduit dans son mystère et nous permet de comprendre ses Paroles et la signification de ses actes. Il est la Lumière grâce à laquelle nous pouvons confesser en vérité le Christ « Lumière du monde » (Jn 8,12 ; 1Co 12,3), Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Avec Lui, nous sommes rendus capables de nous lancer dans la recherche et la découverte progressive du mystère de Dieu, et notamment de percevoir dans les écrits de l’Ancien Testament la Présence de Celui là même qui sera pleinement révélé dans le Nouveau.

A Dieu qui révèle est due « l’obéissance de la foi » par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu dans « un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui révèle » et dans un assentiment volontaire à la révélation qu’il fait.

Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et aidante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint Esprit qui touche le coeur et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne « à tous la douceur de consentir à la vérité ». Afin de rendre toujours plus profonde l’intelligence de la Révélation, l’Esprit Saint ne cesse, par ses dons, de rendre la foi plus parfaite ».

Concile Vatican II, Dei Verbum & 5

La Sainte Ecriture doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fit rédiger…

Concile Vatican II, Dei Verbum & 12.

 

 

III – Quelques indications générales avant d’ouvrir la Bible.

 

1 –  La Bible n’est pas un livre de sciences naturelles ou d’Histoire universelle.

« Les écrivains qui ont rédigé les textes bibliques disent leurs certitudes religieuses en se référant au niveau de culture et d’information de leur époque. Seul le message doit être retenu. C’est ce qui apparaît par exemple dans les récits des origines de la terre et de l’homme. Dans ces récits, il est affirmé que l’Univers entier tient sa réalité de Dieu. La Genèse énonce clairement, et pour toutes les époques, que le monde matériel et l’humanité sont solidaires d’une même destinée projetée par Dieu, destinée compromise par la volonté libre de l’homme qui, dès l’origine, pencha vers le mal en se voulant totalement autonome »[1].

Ces premiers chapitres du Livre de la Genèse n’ont donc pas pour but de nous décrire les origines du monde tels qu’ils se sont effectivement déroulés. Mais ils veulent nous transmettre une vérité sur Dieu et sur l’homme. Au lecteur de consentir à cette vérité, en acceptant peut-être de laisser sans réponse certaines de ses questions…

De plus, dans le contexte propre à Israël, ces lignes indiquent que son histoire « s’insère dans un ensemble et que le peuple n’a été choisi par Dieu que comme avant-garde de l’humanité toute entière. Le système de parenté utilisé » (Adam et Eve…)  » pour nous dire cela est contestable, historiquement parlant. Mais il nous dit la certitude profonde qui anime les croyants, conscients d’un lien essentiel avec des peuplades étrangères ».

Ces quelques remarques rejoignent une question importante, celle « des genres littéraires que les auteurs de cet âge antique ont voulu employer » (Pie XII, « Divino afflante Spiritu », 1943). Avant de lire un texte biblique, il importe de se poser cette question : « Quelles sont les formes et les manières de dire… dont l’usage était reçu par les hommes de leur temps et de leur pays ». Sommes-nous ainsi face à un récit de type légendaire, à une épopée, à un schéma type utilisé pour décrire tel ou tel événement (théophanie, textes d’annonciation…), à un poème, un chant liturgique… La détermination du genre littéraire invitera ainsi à lire le texte biblique de telle ou telle façon, en se posant telle ou telle question… On ne lit pas en effet un article scientifique comme on lit un poème : l’un et l’autre ont une vérité à nous transmettre, mais chacun le fait « à sa façon »… Par exemple, le premier chapitre de la Genèse est de type poétique, avec peut-être une forme liturgique sous jacente avec ce refrain, « Et Dieu vit que cela était bon ; il y eut un soir, il y eut un matin »… Ne le lisons donc pas comme un texte scientifique qui nous décrirait, étape après étape, la création du monde telle qu’elle s’est effectivement déroulée ! A l’opposé, ne le méprisons pas, car les vérités qu’il nous transmet sur Dieu, le monde, l’homme… sont vraiment « fondamentales »…

 

2 – La Bible n’est même pas un livre d’Histoire d’Israël au sens où nous entendons l’Histoire.

« Les rédacteurs définitifs de la Bible utilisent parfois des traditions divergentes concernant les faits qu’ils rapportent. Ils ne se préoccupent absolument pas de les harmoniser en supprimant les contradictions qui peuvent exister entre elles. Ils les conservent toutes, dans la mesure où chacune d’elle permet d’exprimer une prise de conscience devant Dieu ».

3 –  La Bible nous propose une interprétation de l’Histoire, à la lumière de la foi en Dieu et en sa Présence au coeur de l’Histoire.

 Malgré les mises en garde précédentes, il n’en est pas moins vrai que la Bible, contrairement à beaucoup de livres sacrés situés hors du temps et de l’histoire des hommes, a pour milieu le temps humain; « elle est même enracinée dans le plus concret et le plus humain de l’histoire ».

« Elle est la mémoire et l’histoire d’un petit peuple du Proche-Orient ancien, mêlé à toutes les tribulations de la vie des empires, égyptien, babylonien, assyrien, perse, grec ou romain… Ses pages sont donc remplies de tout ce qui fait l’histoire des hommes avec ses guerres, ses victoires, ses défaites, ses rêves de paix, de restauration nationale, ses périodes de ferveur religieuse ou au contraire d’infidélité, ses maximes de sagesse pour réussir dans la vie, ses plaintes dans le malheur, ses incompréhensions face à la vie… Mais le paradoxe de la Bible vient du fait que cette histoire si humaine est tenue pour une histoire sacrée… En effet, les hommes de la Bible considèrent que Dieu intervient dans l’histoire de ce peuple, qu’il s’y fait connaître, qu’il s’y engage d’une manière irrévocable pour le bien de toute l’humanité… Dieu en effet « fera Alliance » avec Israël, une alliance éternelle destinée en fait à « toutes les familles de la terre » (Gn 12,1-3).

Cette particularité de la Bible explique le perpétuel recours à des évènements passés pour éclairer le présent des auteurs bibliques… Autrefois, dans telle situation, Dieu a agi… et ce faisant Il a révélé « quelque chose » de sa Personne… Aujourd’hui encore, ce même Dieu est toujours présent dans l’histoire des hommes de la Bible: il agira donc « aujourd’hui » comme  il le fit « hier », c’est à dire en harmonie avec ce qu’Il est… La Bible avance ainsi « en revisitant le passé, mettant en circulation et en contact des moments éloignés, drainant la mémoire de ce qui fut hier, dans des mots qui parlent d’aujourd’hui ou de demain »[2]

« Cette disposition du livre biblique ne manque pas de grandeur, puisqu’elle valorise résolument la vie et le temps humains. Elle comporte aussi des périls et des provocations, puisqu’elle revient à attirer le Dieu de la Bible dans la mêlée de l’histoire humaine, le compromettant à l’occasion dans des évènements douteux, alors même qu’elle le déclare tout autre et saint… Voltaire pourra donc un jour se moquer, en constatant que le livre fourmille d’adultères, d’incestes et de trahisons. En fait, une des caractéristiques de la Bible est de voir l’humain et le divin solidaires et se rejoignant, l’un à partir de l’autre, l’un par l’autre »[3]

4 – La Bible, une histoire d’amour…

En effet, « dès le départ, Israël a compris l’Histoire comme celle d’une rencontre avec Dieu, le Dieu qui aime l’homme et appelle à le rejoindre ».

La Bible nous raconte la façon dont le peuple élu (comme nous mêmes) ne cesse de se détourner de Dieu. Mais elle montre aussi que l’amour que Dieu nous porte est plus fort que notre faiblesse. Sans cesse, il vient nous rechercher. A travers les évènements, il se laisse découvrir. Avec une merveilleuse patience, il tisse cette histoire d’amour, alors même que l’homme est tenté de « laisser tomber ». Il manifeste finalement la splendeur de cet amour en Jésus, celui en qui il fait pleinement resplendir sa lumière.

Tel est le sens qui se dégage des souvenirs du passé contenus dans la Bible. Telle est la réinterprétation finale de l’Histoire humaine (et donc de notre histoire particulière) qu’il nous est proposé d’accepter par la foi ».

« Ce petit peuple est le reflet de notre humanité tout entière, celle qui attend d’abord de boire, de manger, d’aimer, de vivre dans un minimum de liberté. Et c’est à cette humanité là que Dieu s’adresse pour l’inviter à la plénitude de vie ».

5 – La Bible, une lumière pour notre route.

« Ecrite en un autre temps que la nôtre, la Bible ne saurait répondre à toutes nos questions concrètes, car ses rédacteurs ne sont pas à notre place. Mais en écoutant ceux-ci nous faire part de leurs découvertes, de leurs tâtonnements, de leurs difficultés, de leurs doutes et de leurs certitudes soudaines, nous pouvons nous‑mêmes trouver la lumière sur notre propre route », d’autant plus que ce Dieu qui les accompagnait à une époque si différente de la nôtre est Celui-là même qui aujourd’hui nous accompagne à notre tour… Leur expérience illumine notre propre expérience dans la mesure où toutes les deux jaillissent de la même source…

 

 

IV – Les langues de la Bible

 

L’AT n’est pas une oeuvre homogène : on l’a souvent comparée à une bibliothèque, car elle est constituée de nombreux livres de styles différents, rédigés par des auteurs différents à des époques différentes… l’ensemble de ce travail s’étalant sur une période de plus de 1000 ans. De là vient la complexité de son étude.

De plus, ces livres n’ont pas été rédigés en une seule langue mais en 3, et nous allons voir que cette simple question linguistique, reflet d’une histoire mouvementée, permet de comprendre pourquoi le classement de la TOB (Traduction Oeucuménique de la Bible) est différent de celui de la BJ (Bible de Jérusalem), et pourquoi les citations de l’AT dans le NT sont souvent différentes du texte que l’on peut lire directement dans notre AT…

 

1 – L’Hébreu

L’Hébreu est la langue la plus primitive de l’AT; l’écriture alphabétique apparut au Proche Orient vers le 15°s av. JC et c’est vers le 11°s av. JC environ que les hébreux empruntèrent aux Phéniciens[4] un alphabet de 22 consonnes[5]; conclusion immédiate: les textes de la Bible ne peuvent remonter au delà du 12°s av. JC. Quelques textes peuvent avoir été écrits au 12-11°s (Dt 26,5-9), mais les premières grandes rédactions (cycles de récits, codes législatifs ou recueils de sagesse) doivent dater du 9°s., l’essentiel de la rédaction devant se situer entre le 8° et le 3°s av. JC[6].

Conséquences:

  1. a) Les Patriarches, qui vivaient entre les 18 et 15°s av. JC, devaient parler une autre langue que l’hébreu puisque celle-ci date du 12°s av. JC environ.

  2. b)  Ce sont donc parfois des écarts de 5 à 8 siècles qui existent entre tel événement ou tel personnage et la relation écrite qu’en offre le texte hébreu.

On pressent déjà l’un des problèmes majeurs que pose au lecteur une grande part de la rédaction de l’AT: quelle confiance accorder à ces récits dans le cadre d’une recherche historique?

 

2 – L’Araméen

Elle a été introduite plus tardivement en Israël; elle était la langue parlée depuis plusieurs siècles par les pays voisins, notamment le royaume de Damas au Nord et par l’Assyrie à l’Est.

C’est après l’Exil[7] à Babylone qu’Israël commencera à adopter cette langue diplomatique et commerciale à travers le Proche-Orient. Assez voisine de l’hébreu (l’araméen et l’hébreu ont une langue ancêtre commune), elle contribuera à faire oublier l’hébreu dans l’usage quotidien.

La langue parlée par le Christ était donc avant tout l’araméen (Mc 15,34):

Et à la neuvième heure Jésus clama en un grand cri: « Elôï, Elôï, lema sabachthani »,

ce qui se traduit: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? »

Dn 2,4 à Dn7 inclus nous sont parvenus en araméen.

3 – Le Grec

Elle fut avec l’hébreu et l’araméen une des trois langues juives anciennes. Durant les deux siècles qui précédèrent notre ère, et donc au temps du Christ, le grec fut la langue juive d’une grande partie du peuple d’Israël, sa partie la plus vivante, la plus dynamique peut-être. Ceci vient du fait qu’Alexandre le Grand, roi de Macédoine puis des Grecs, conquit la Syrie en 333 av. JC; il a 23 ans… L’année suivante, il prend Tyr et Gaza, annexe la Palestine, entre en Egypte et fonde au bord de la Méditerranée la ville d’Alexandrie. La culture grecque s’enracinera alors en Israël pendant plus de 250 ans,  jusqu’en 63 av. JC, date à laquelle Pompée, général romain prendra Jérusalem.

Mais revenons à Alexandre; après son passage en Egypte, il conquerra l’Empire Perse et mourra à Babylone en 323 av. JC à l’âge de 33 ans. A sa mort, ses généraux, qui gouvernaient chacun une partie des territoires conquis, se disputèrent son Empire, et vers 315-320 av. JC, Ptolémée I Soter, qui régnait sur l’Egypte, s’empara de Jérusalem un jour de sabbat, et déporta un nombre important de prisonniers en Egypte, notamment à Alexandrie. Ces prisonniers déportés furent à l’origine de la grande communauté juive de cette ville (faisant partie de la diaspora[8]).

On pense que le successeur de Ptolémée I Soter, Ptolémée II Philadelphe (285‑246 av. JC) fit traduire en grec la Torah vers 200 av. JC, à la fois pour satisfaire sa curiosité personnelle et pour doter d’un code écrit cette importante minorité ethnique. Cette traduction jouera un très grand rôle par la suite, notamment auprès des chrétiens; on l’appelle la Septante (LXX), ou parfois « la Bible d’Alexandrie ». Au départ, elle ne concernait que les cinq premiers livres, mais petit à petit, tous les autres seront traduits en grec, et dès 150 av. JC, il semble que le plus gros du travail était fait.

Pourquoi s’appelle-t-elle ainsi? Selon la lettre d’Aristée (entre 200 et 96 av. JC), le roi Ptolémée Philadelphe écrivit au grand-prêtre de Jérusalem d’envoyer des hommes parmi les plus honorables, des Anciens, compétents dans la science de leur Loi, six de chaque tribus, afin qu’en faisant soumettre à l’examen ce qui aura retenu l’accord de la majorité, on obtienne ainsi une interprétation exacte. Israël étant formé de 12 tribus, 6X12=72 traducteurs…

Il faut ajouter que la LXX a sept livres de plus que la Bible hébraïque, des livres connus ou composés en grec : Judith, Tobie, 1 et 2 Maccabées, Sagesse, Siracide, Baruch. La communauté juive d’Alexandrie, reconnaissant leur valeur, les a donc intégrés à l’ensemble des Écritures.

 

V – Les livres bibliques de l’Ancien Testament

1 – La bible hébraïque

Les Juifs de Palestine, vers les années 90 ap JC, ne reconnurent comme inspirés que les livres des Ecritures qui avaient été rédigés en hébreu ; or, la communauté juive d’Alexandrie disposait, en plus des textes hébreux habituels, de sept livres connus ou rédigés en grec : Judith, Tobie, 1 et 2 Maccabées, Sagesse, Siracide, Baruch. Elle les laissa de côté et ne retint comme « canoniques », c’est à dire comme « normes pour leur foi », que les 39 livres suivants  classés en trois grandes parties:

I – LA LOI (en hébreu Torah ) avec 5 livres: la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome. Cette Loi renferme des matériaux de tous genres, car elle règle la vie du peuple de Dieu dans tous les domaines: exigences fondamentales de la conscience humaine (le Décalogue, cœur de la Loi, Ex 20,2-17), prescriptions juridiques, institutions civiles, ordonnances cultuelles… tout un ensemble législatif qui s’est élaboré au cours du temps et qui a été placé sous l’autorité de Moïse.

II – LES PROPHÈTES (en hébreu Nebiim ), classés en deux groupes:

1) « Les prophètes premiers »: le Livre de Josué, le Livre des Juges, les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois.

2) « Les prophètes seconds » avec les trois « grands prophètes », Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, et les douze « petits prophètes »: Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie.

 

III – LES ECRITS (en hébreu Ketûbim ):  les Psaumes, Job, le Livre des Proverbes, Ruth, Le Cantique des Cantiques, Qohélet (ou l’Ecclésiaste), les Lamentations, Esther, Daniel, Esdras, Néhémie et les deux livres des Chroniques.

Le regroupement des initiales de ces trois ensembles Torah, Nebiim, Ketûbim  donne le mot TaNaK   par lequel les Juifs désignent la Bible.

 

2 – La bible chrétienne

Dès le 3° siècle avant JC, la communauté juive d’Alexandrie avait entrepris de traduire les Ecritures de l’hébreu en grec. Cette traduction fut appelée la Septante (LXX). Elle contient les 39 livres que les Juifs reconnurent plus tard comme « normes pour leur foi », ainsi que des livres supplémentaires connus seulement en grec. Pour certains, l’original hébreu s’est perdu; pour d’autres, ils furent rédigés directement en grec (Exemple: le Livre de la Sagesse). Les chrétiens, lorsqu’ils écrivirent en grec ‘la Bonne Nouvelle de Jésus Christ’, se servirent tout naturellement de la Septante.  Et lorsqu’il fallut préciser quel était le canon chrétien des Ecritures, sept de ces livres supplémentaires furent reconnus comme inspirés.

La bible chrétienne comprend donc, pour l’AT, les 39 livres de la bible hébraïque et ces 7 livres transmis par la Septante, soit 46 livres au total…

Le classement est aussi légèrement différent de celui adopté par les Juifs (les huit livres supplémentaires de la Septante sont en italiques):

I – LA LOI, ou « PENTATEUQUE » (« les cinq livres » en grec): la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome.

II – LES LIVRES HISTORIQUES dans lesquels nous retrouvons les « prophètes premiers » de la Bible hébraïque, ainsi que certains des « Ecrits »: le Livre de Josué, le Livre des Juges, de Ruth, les deux livres de Samuel, les deux livres des Rois, les deux livres des Chroniques, Esdras, Néhémie, Tobie, Judith, Esther (quelques chapitres en grec) et les deux livres des Maccabées.

III – LES LIVRES POETIQUES ET SAPIENTIAUX qui regroupent cinq Ecrits de la Bible hébraïque et deux Livres qui nous viennent de la Septante: le Livre de la Sagesse et le Siracide: le Livre de Job, les Psaumes, le Livre des Proverbes, Qohélet (ou l’Ecclésiaste), le Cantique des Cantiques, le Livre de la Sagesse, le Siracide (ou l’Ecclésiastique).

IV – LES LIVRES PROPHÉTIQUES incluent « les prophètes seconds » de la Bible hébraïque, avec un « Ecrit », le Livre des Lamentations, et deux livres de la Septante:  Isaïe, Jérémie, les Lamentations, Baruch, Ezéchiel, Daniel (quelques chapitres en grec), Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie.

La Bible de Jérusalem (BJ) a suivi ce classement inspiré par celui de la Septante. Par contre, la TOB (Traduction Oeucuménique de la Bible) suit l’ordre de la Bible hébraïque adoptée par les protestants ; les sept livres supplémentaires transmis par la Septante et retenus par les catholiques ont été rajoutés à la fin…

Le classement des différents livres bibliques qui composent l’AT n’est donc pas le même dans la BJ et dans la TOB, ce qui ne facilite pas le passage de l’une à l’autre…

V – Les Livres bibliques du Nouveau Testament

Le Nouveau Testament, identique pour tous les chrétiens, renferme 27 livres au total. Ils se répartissent comme suit:

 

1 – Les quatre Evangiles

Le terme d’Evangile vient du grec eÙagg™lion : il signifie « bonne nouvelle ». Les évangiles se répartissent en 2 groupes:

a) Les Evangiles synoptiques

Ces Evangiles, que l’on appelle « synoptiques », sont au nombre de trois: Matthieu, Marc et Luc. Le mot « synoptique » vient encore du grec et renvoie à « une vue d’ensemble, d’un seul coup d’œil »… En effet, Matthieu, Marc et Luc se ressemblent: on peut très souvent les comparer entre eux et quelques fois, certains passages ne diffèrent que par quelques mots. On a donc eu très tôt l’idée de les mettre en parallèle dans un tableau formé par trois colonnes: il est alors possible de « voir » ces trois évangiles « d’un seul coup d’œil », d’où leur nom d' »Evangiles synoptiques ».

D’après la tradition:

– Matthieu, un des 12 Apôtres choisis par le Christ, aurait écrit son Evangile en Palestine dans les années 80-90 pour des chrétiens d’origine juive, comme lui.

– Marc (ou Jean-Marc) habitait Jérusalem. Il a peut-être connu le Christ tardivement. Sa mère accueillait chez elle la première communauté chrétienne. Il fut compagnon de St Paul, puis de St Pierre qu’il suivit jusqu’à Rome. Il aurait alors mis par écrit, vers 70, l’enseignement de ce dernier.

– Luc, médecin d’origine syrienne, n’a pas connu le Christ durant son ministère terrestre. Il fut compagnon de St Paul. Il aurait rédigé son évangile vers 80-90 pour des communautés de culture grecque.

b) L’Evangile de Jean

St Jean porte un tout autre regard sur la personne du Christ. Il s’attache en effet à nous le présenter comme « le Verbe fait chair », le Fils Unique envoyé par le Père pour accomplir l’œuvre du Père: sauver l’humanité toute entière en lui communiquant, par le don de l’Esprit Saint, la Vie éternelle.  St Jean aurait écrit dans les années 95-100.

2 – Le Livre des Actes des Apôtres

Ecrit par Luc, il était autrefois lié à l’Evangile; la séparation eut lieu quand les premiers chrétiens voulurent réunir en un seul volume les quatre évangiles, sans que l’ensemble soit trop imposant…

Les Actes des Apôtres montrent comment la Bonne Nouvelle va atteindre le monde entier grâce à la conduite et au dynamisme de l’Esprit Saint…

 

3 – Les Lettres de l’Apôtre Paul (13)

Paul, « circoncis dès le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreux » (Ph 3,5), a passé sa jeunesse à étudier les Ecritures. Sur le chemin de Damas, le « Ressuscité » l’empoigne et fait de lui « un instrument de choix pour porter son nom devant les nations païennes ». Paul va prêcher, fonder des communautés, leur écrire pour répondre à leur questions, les exhorter à suivre le Christ de plus près, les encourager dans leur combat pour la foi. Ses lettres sont de véritables petits traités de théologie: Lettre aux Romains, aux Corinthiens (2), aux Galates, aux Philippiens, la première Lettre aux Thessaloniciens, à Philémon. Les Lettres aux Ephésiens, aux Colossiens, la 2° Lettre aux Thessaloniciens ont leur authenticité contestées: elles auraient été écrites ou par l’Apôtre avec l’aide de secrétaires, ou par de proches collaborateurs. Les Lettres Pastorales (Lettres à Timothée (2) et à Tite) seraient, quant à elles, l’oeuvre de l’Eglise naissante qui aurait placé ces travaux sous la plume de St Paul pour leur donner plus de poids…

 

4 – La Lettre aux Hébreux

On entend parfois « Lettre de St Paul apôtre aux Hébreux », et on a coutume de dire qu’elle n’est ni une lettre, ni de l’Apôtre Paul, ni adressée aux Hébreux… Elle est une « parole d’exhortation », destinée à des croyants d’origine juive menacés de relâchement dans leur engagement. L’auteur les exhorte à persévérer dans la foi sur la base d’une nouvelle compréhension des traditions à la lumière du Christ.

 

5 – Les lettres de Jacques, Pierre (2) et Jean (3)

 

6 – L’Apocalypse

Le mot « apocalypse » vient d’un verbe grec qui signifie « dé‑couvrir, dé-voiler » tant au sens matériel qu’au sens imagé, d’où le sens premier de « révéler quelque chose de caché. » Le nom correspondant renvoie à « l’action de découvrir », à une « révélation ».

Dans un tel écrit, l’histoire est présentée comme une ligne dont le terme est caché dans le secret de Dieu. Pour soutenir l’espérance des croyants à un moment dramatique, Dieu « soulève le voile » qui cache le terme, et « révéle » ainsi la fin heureuse de l’histoire grâce à son action.

La littérature « apocalyptique » est très particulière. Ses caractéristiques essentielles sont les suivantes:

– L’auteur utilise un pseudonyme et se place ainsi sous l’autorité d’un grand personnage du passé ayant vécu plusieurs siècles ou plusieurs dizaines d’années avant lui.

– L’auteur peut donc mettre dans la bouche de ce grand personnage, sous forme de prédictions réalisées, tous les évènements de l’histoire qui se sont déroulés depuis l’époque de ce grand homme jusqu’à celle où il écrit. Il montre ainsi que Dieu est le seul maître de l’histoire: tout ce qui a été prédit s’est effectivement réalisé.

– L’auteur se projette ensuite dans l’avenir et prédit la victoire finale de Dieu, même si pour l’instant, à vue humaine, tout espoir semble impossible… En agissant ainsi, il invite les croyants à une foi totale en Dieu et ranime leur espérance.

– Par peur d’éventuelles persécutions si le texte est découvert, l’auteur utilise un langage symbolique et des images codées que seuls les initiés peuvent comprendre. Il s’agit donc d’être extrêmement prudent dans la lecture et l’interprétation de tels textes…

Le danger d’une telle littérature est de présenter l’histoire comme fixée par avance, ce qui peut conduire à un certain désengagement: croisons-nous les bras et prions, Dieu fera tout… Le monde est aussi souvent présenté de façon pessimiste comme entièrement mauvais, sous l’emprise totale du « Prince de ce Monde », au risque d’oublier que la création de Dieu est fondamentalement bonne, et que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique dans le monde afin que le monde soit sauvé par lui »…

[1] BAGOT J.-P., DUBS J.-Cl., Pour lire la Bible  (Paris 1983) p. 11s.

[2] PELLETIER A.-M., Lectures bibliques  (Paris 1996) p. 19.

[3] PELLETIER A.-M., Lectures bibliques  p. 19.

[4] Phénicie: région limitée au sud par le Mont Carmel et au nord par la région d’Ougarit. Les grecs l’appelait ainsi sans doute à partir du pourpre (foinix), production caractéristique du pays.

[5] Le plus ancien témoin retrouvé: le calendrier agricole de Gezer (10°s av. JC); à connaître aussi « l’inscription de Siloé » (vers 700 av. JC) qui commémore le percement par le roi Ezéchias d’un canal souterrain destiné à alimenter Jérusalem en eau, apport vital lorsque la ville était assiégée; ce canal et la piscine dans laquelle il débouche (cf Jn 9)  existent encore aujourd’hui (BD 26).

[6] Pouvoir dater un texte est important, car cela permet de le situer dans l’histoire, de savoir dans quel contexte politique, social, économique et religieux il a été écrit; connaissant ce contexte, on pourra mieux comprendre les expressions utilisées, les institutions évoquées, les rites mentionnés, les éventuelles menaces ou les conflits avec les peuples environnant …

[7] Par excellence, le mot est utilisé pour dire l’épreuve des habitants du Royaume de Juda qui, en 587, après la chute de Jérusalem sous l’assaut des Babyloniens, sont déportés à Babylone. Cet exil durera une cinquantaine d’années, jusqu’à ce qu’en 538 Cyrus autorise les Juifs à regagner leur patrie. Les termes de « pré-exilique », « exilique » et « post-exilique » sont utilisés pour situer la littérature d’Israël, l’époque et l’état de leur composition et de leurs retouches.

[8] Ou Dispersion: ensemble des communautés israélites établies hors de Palestine (diaspor£-semence).

A l’époque de Jésus, la communauté juive d’Alexandrie comptera environ 100 000 personnes.