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« Je vous prendrai près de moi afin que là où je suis, vous aussi vous soyez » (Jn 14,1-12 ; 5° Dimanche de Pâques – D. Jacques FOURNIER)…

Sa Passion approche… Jésus sait que face à ces évènements tragiques, ses disciples seront complètement désorientés, bouleversés… Alors il va leur parler longuement pour les encourager… Plus tard, ils se rappelleront ses paroles, et cela les aidera : « Je vous le dis maintenant avant que cela n’arrive, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez » (Jn 14,29). Aussi leur dit-il ici : « Que votre cœur ne se trouble pas ! Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi »… Mais il le sait bien, ils seront troublés ! Rien que de penser à tout ce qui va arriver, il l’est lui-même : « Maintenant mon âme est troublée. Et que dire ? Père, sauve-moi de cette heure ! Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure. Père glorifie ton nom ! » (Jn 12,27). Et c’est bien ainsi qu’il commencera sa prière juste avant d’être arrêté : « Père, l’heure est venue : glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie » (Jn 17,1)… Mais si ses disciples prient, eux aussi, ils ne pourront que constater à quel point ce qu’il va leur dire est vrai…

Ces versets sont certainement parmi les plus beaux des Evangiles. Nous qui n’avons jamais vu Jésus dans sa chair, il nous promet ici qu’il est possible de le connaître, dans la foi certes, mais bien réellement, bien concrètement, dans une relation vivante que Lui-même rend possible et construit, jour après jour : « Je vais vous préparer une place. Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, à nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi afin que là où je suis, vous aussi vous soyez »…

Comment aller vers celui que nous ne voyons pas ? « Nous ne savons pas où tu vas, comment saurions-nous le chemin ? » lui dit Thomas… Heureusement, ce n’est pas à nous d’aller à lui, mais c’est d’abord Lui qui vient à nous et qui agit pour que, petit à petit, dans l’invisible de la foi, nous puissions reconnaître tout à la fois et sa Présence et son Action… Si nous y sommes attentifs, de tout cœur, alors nous pourrons dire avec St Jean : « ça », « c’est le Seigneur » (Jn 21,7)…

Certes, nous sommes dans l’insaisissable et l’invisible pour nos seuls sens matériels, corporels. Mais Jésus ne fait pas de promesses en l’air. Et avec Lui, paradoxalement, nous découvrons la réalité la plus forte et la plus dense qui soit cer elle concerne notre vie même… C’est ce qu’il déclare un peu plus loin en reprenant cette même promesse, et s’il se répète, s’il insiste, c’est pour nous aider à accueillir cette réalité si déconcertante – il n’y a rien à voir ! – mais en fait si simple, très simple, trop simple peut-être : « Je ne vous laisserai pas orphelins. Je viendrai vers vous. Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus ». De fait, il sera bientôt déposé dans un tombeau, et on roulera la pierre devant la porte… « Mais vous, vous me verrez car moi je vis et vous aussi vous vivrez » (Jn 14,18-19).

On peut noter qu’il n’a pas dit : « Vous me verrez » tout court… Non… Ce qui suit permet de préciser le sens qu’il donne à ce « vous me verrez ». La Bible de Jérusalem, pour l’exprimer tout de suite, a traduit : « Mais vous, vous verrez que je vis et vous aussi vous vivrez » (Jn 14,19). Autrement dit, il nous donnera de pouvoir prendre conscience qu’il est vivant… Mais comment ? En nous donnant tout simplement de vivre de sa vie : « Vous aussi, vous vivrez. » Autrement dit, c’est par ce que le Christ nous donnera de vivre que nous pourrons reconnaître qu’il est vivant… Telle est l’expérience de foi : vivre de la vie même de Jésus, une vie expérimentée, une Plénitude reconnue très concrètement dans la foi…

 

Tout ceci est son œuvre, et non la nôtre… Il s’agit donc de l’inviter dans son cœur et dans sa vie, de consentir à son action, jour après jour, de le laisser faire, et, dans cette attitude d’abandon, d’être attentifs à ce qu’il nous donne de vivre… Il n’est pas question de se regarder soi-même… Non, c’est tout le contraire : il s’agit d’ouvrir notre regard intérieur à un autre que nous-mêmes pour percevoir ce qui se révèle au cœur de notre vie, alors même que nous le vivons… Cette aventure nous engage tout entiers… Nous le chantons dans la liturgie : « Un cœur brûlé d’attention, les yeux tournés vers ton Mystère »…

Un des plus beaux témoignages qui soit est celui de Ste Thérèse de Lisieux, entrée au Carmel à quinze ans en 1888, décédée à 24 ans de cette tuberculose que l’on ne savait pas soigner à l’époque, et déclarée « Docteur de l’Eglise » par Jean Paul II en octobre 1997 : « La vie est bien mystérieuse », écrivait-elle dans son cahier avec un crayon de papier. « Nous ne savons rien, nous ne voyons rien, et pourtant, Jésus a déjà découvert à nos âmes ce que l’œil de l’homme n’a pas vu. Oui, notre cœur pressent ce que le cœur ne saurait comprendre, puisque parfois nous sommes sans pensée pour exprimer un « je ne sais quoi » que nous sentons dans notre âme ». Ce « je ne sais quoi », c’est la vie de Jésus qui se déploie dans les cœurs, sans bruit…

Et Jésus la met en œuvre, c’est encore Lui qui nous le dit, par une Troisième Personne divine, « l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie » (Crédo). Toute notre vie spirituelle, intérieure, est le fruit direct de son action en nous… Et il nous donne cette vie nouvelle en nous communiquant ce qu’il est lui-même de toute éternité, « Esprit » (Jn 4,24), un « Esprit qui est vie » (Ga 5,25), et qui, donné, « vivifie » tous ceux et celles qui consentent à le recevoir (Jn 6,63 ; 2Co 3,6). Et cette Plénitude communiquée habite tout à la fois les cœurs du Père, du Fils et bien sûr du Saint Esprit dont toute la mission consiste justement à nous la communiquer (Jn 16,4b-15 (TOB)). C’est ainsi que tous les trois vivent de toute éternité dans « la communion d’un même Esprit » (2Co 13,13), « dans l’unité de l’Esprit » (Ep 4,3), vivant de la même vie, étant Lumière de la même Lumière (Jn 4,24 et 1Jn 1,5), etc… En nous donnant cet « Esprit » qui est « vie », Jésus, par l’action de l’Esprit Saint, nous introduit nous aussi dans cette même communion. Certes, ici-bas, nous ne voyons rien de nos seuls yeux de chair, mais dans les cœurs, cette communion qu’il construit est bien réelle. C’est ce qu’il déclare juste après la phrase citée précédemment : « Ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et moi en vous et vous en moi » (Jn 14,20), « dans l’unité » d’un même « Esprit »… C’est « là » où est Jésus de toute éternité… C’est « là » où il veut nous introduire : « Quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, à nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous aussi, vous soyez » (Jn 14,3). Et tout se fera « ce jour-là », une expression, précise en note la Bible de Jérusalem, qui « peut désigner ici tout le temps qui suivra la résurrection de Jésus », et donc cet « aujourd’hui » de l’Eglise qui est le nôtre, comme il le sera demain, et cela jusqu’à la fin des temps (cf. Hb 13,8)…

Et tout ceci n’est pas notre œuvre à nous, pécheurs blessés, fragiles et inconstants, mais l’œuvre de Dieu qui, Lui, est éternellement ce qu’il est : Amour Pur toujours offert pour notre seul bien… Nous sommes tombés ? Il nous relève… Souillés ? Il nous lave… Affaiblis ? Il nous fortifie… Enténébrés ? Il nous éclaire… et cela inlassablement, comme si c’était toujours la première fois ! Et c’est par son pardon, offert chaque jour en surabondance aux brebis continuellement blessées et si souvent perdues que nous sommes, que cette aventure peut se mettre en œuvre (Lc 15,4-7) :

« Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis et vient à en perdre une, n’abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour s’en aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée ? Et, quand il l’a retrouvée », il la prend, « je vous prendrai près de moi » (Jn 14,3), et par le Don de l’Esprit Saint, « il la met, tout joyeux, sur ses épaules », avec lui, sur lui, et il la ramène « chez lui », « là où il est » (Jn 14,3), « dans cette maison du Père » (Jn 14,2) qui est aussi la sienne depuis toujours et pour toujours… Cette « maison », dont il est « le chemin » qui y mène (Jn 14,6) et « la porte » qui en donne accès (Jn 10,7-10) est aussi son « Royaume », un Royaume qui est Mystère de Communion dans l’unité d’un même Esprit (Rm 14,17)… C’est « là » où Ste Thérèse de Lisieux, dans son Carmel, avait reconnu « être » : « « Je ne vois pas bien ce que j’aurai de plus après la mort que je n’ai déjà en cette vie. Je verrai le Bon Dieu, c’est vrai ! Mais pour être avec Lui, j’y suis déjà tout à fait sur la terre »…

                                                                                        D. Jacques Fournier