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Carmel des Avirons, les 25-26 février 2023.
Fr. Manuel Rivero O.P., conseiller spirituel du secteur La Réunion.
Les Équipes Notre-Dame soutiennent les couples dans leur désir de mieux communiquer grâce aux réunions mensuelles de partage et de formation ainsi que par la pédagogie spirituelle de l’oraison, le cœur à cœur avec Dieu dans le silence, la prière et le devoir de s’asseoir.
Le devoir de s’asseoir
Ce devoir de s’asseoir que l’on pourrait aussi appeler « plaisir de s’asseoir » représente un apport original pour la croissance de l’amour conjugal. En quoi consiste-t-il ? Il s’agit d’un rendez-vous que le couple prend afin de se rendre disponible de manière réciproque dans un climat de prière, de calme et d’exigeante vérité. D’aucuns déclarent a priori qu’ils communiquent déjà beaucoup et qu’ils se voient tout le temps. À quoi bon ajouter un rendez-vous qui pourrait sembler artificiel ? En réalité, dans toutes les relations humaines il y a des non-dits, ces pensées que l’on garde en soi de peur de provoquer un conflit. Ces pensées cachées, fermées, fermentent petit à petit et elles peuvent tourner au « cancer » ou à « la gangrène ». Ces cellules infectieuses grandissent et finissent par rendre malade la relation du couple. Le malaise intérieur se manifeste aussi dans la violence verbale ou physique. Il convient d’arrêter la maladie en ses débuts. Le devoir de s’asseoir (DSA) permet l’expression et la libération de l’agressivité qui peut couver en chacun ; il freine la violence qui provient de la frustration. Ce qui était négatif dans le silence intérieur peut devenir énergie positive par l’écoute, la compréhension et la réconciliation.
Au cours du devoir de s’asseoir on ne coupe pas la parole au conjoint qui s’exprime et on lui dit « merci » pour avoir partagé ce qu’il pensait même si cette pensée peut être erronée ou douloureuse à entendre. Habituellement trois questions scandent l’échange : est-ce que ça va ? ; est-ce que quelque chose te dérange ? ; y a-t-il quelque chose que tu aimerais ?. Plus les couples partagent en profondeur dans la bienveillance et la miséricorde et plus ils ont envie de mettre en commun davantage de sentiments et d’idées.
Communiquer à partir des fragilités et des pauvretés.
Habituellement les conjoints pensent que le partage des forces et des réussites apportera bonheur et estime réciproque. Ce n’est pas faux. Mais l’expérience montre que c’est dans la reconnaissance de ses propres faiblesses que la rencontre devient plus sincère et bienfaisante.
Ceux qui fréquentent des personnes handicapées avouent que ces personnes pauvres en pouvoir et en réussite sociale leur font du bien. Il en va de même dans la rencontre avec des personnes détenues en prison. Ils n’ont à offrir qu’eux-mêmes avec la grandeur de leur dignité humaine sacrée. En laissant tomber les masques, la personne manifeste son besoin d’aide et sa vulnérabilité. « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre » (Mt 5,3), enseigne Jésus dans les béatitudes. D’ailleurs, c’est la première des béatitudes qui figure comme le fondement du projet chrétien de réussite, non pas de la réussite « dans la vie » mais de « la réussite de la vie ». En effet, les pauvres ne seront plus pauvres. Dieu comble leur manque : « le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3).
Si le mariage unit des forces il n’en demeure pas moins l’union de deux solitudes et de deux pauvretés. Chaque conjoint porte en lui une solitude infinie, espace d’accueil de Dieu et pour les autres. Plutôt qu’un vide, la solitude peut devenir la demeure intérieure riche en hospitalité et en échange. Il importe de reconnaître sa propre fragilité et d’accepter avec amour la fragilité de l’autre.
Dieu a choisi de se révéler et de nous sauver en s’abaissant et en se dépouillant de la gloire qui était la sienne dès avant la fondation du monde. La science divine de la communication se trouve cachée en Jésus-Christ qui aurait pu nous sauver du haut du Ciel et dans sa toute-puissance mais qui a préféré le dépouillement et l’humilité jusqu’à l’humiliation et la douleur de la croix : « S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! » (Ph 2,8).
Le couple chrétien devient disciple de Jésus en s’unissant aux sentiments du fils de Marie dans la méditation du Chemin de croix. Les récits de la Passion de Jésus représentent non pas un échec mais l’art d’aimer du Fils de Dieu fait homme.
Saint Paul le dit dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe : « Jésus-Christ s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté » (2 Cor 8,9). Formule paradoxale ! Dans la logique humaine, la pauvreté ne peut pas enrichir. Pourtant dans la sagesse de Dieu le partage de la pauvreté enrichit le cœur et l’âme de l’amour de Dieu et de l’amour humain, amours inséparables dans la personne de Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme. « Il n’y a qu’un amour », s’exclamait saint Augustin. L’amour de Dieu répandu dans le cœur des fidèles (cf. Rm 5,5) devient la force d’aimer les autres et soi-même. Le symbole du triangle équilatéral, où Dieu figure au sommet tandis que l’homme et la femme représentent les côtés, permet de visualiser ce qui se passe dans les âmes : plus les conjoints montent vers Dieu par la foi, la prière et la charité plus ils se rapprochent l’un de l’autre et non seulement de Dieu. Le mystère de l’amour chrétien abolit les séparations et il fait disparaître les compartiments étanches : l’oratoire et le laboratoire, l’église et l’entreprise, la foi et la raison, le quotidien du profane et le sacré dans les temples. « Dieu est dans les marmites », enseignait sainte Thérèse d’Avila. Dieu est partout. Pour le croyant, la vie ordinaire devient sacrement de la rencontre avec Dieu : « Voir Dieu en toutes choses et toute chose en Dieu », selon la spiritualité de saint Ignace de Loyola.
Les conjoints remettent souvent le devoir de s’asseoir à plus tard afin d’éviter des conflits ou la honte d’avoir à reconnaître leurs torts. Jésus a aimé les hommes alors qu’ils étaient coupables. Dans la lumière de l’amour de Jésus pour chacun, le rendez-vous des conjoints dépasse la peur du jugement pour partager la vulnérabilité et la pauvreté de chacun dans une démarche de miséricorde réciproque.
Lors de mon séjour en Haïti, à l’occasion d’une session de l’école des parents, un couple avait témoigné sur la communication conjugale en disant : « Dans le mariage, il est impossible de durer sans prononcer deux phrases : « Tu m’as fait mal » et « je te prie de m’excuser ». La souffrance doit être exprimée et le pardon accordé. Sans la verbalisation des sentiments douloureux l’agressivité, voire la haine grandissent jour et nuit. Sans les excuses pour les manques d’attention ou sans la demande de pardon pour les fautes commises, la confiance disparaît et les blessures restent ouvertes. L’envie de tout arrêter jaillit. Le besoin de reconnaissance de la vérité et la soif d’une vie meilleure poussent à la fuite et à la rupture des engagements. Il n’y a de liberté que dans la vérité : « La vérité rend libre » (Jn 8, 32), enseigne Jésus dans l’Evangile. Sans l’aveu des fautes et sans le pardon, les conjoints se condamnent à porter des « sacs de ciments » sur leurs têtes. Ces « sacs de ciment » sont déposés à terre dans le dialogue et la miséricorde. La réconciliation affermit alors l’estime réciproque, la confiance en soi-même et elle ouvre un chemin de lumière pour l’avenir.