« Jésus et Allah s’entendaient bien chez nous »…

          Ce n’est pas facile de parler de soi …

         Mais pour préparer ce moment de partage avec vous, j’ai pris le temps de me demander qui je suis, de réfléchir à ce qui est important dans ma vie, de penser à ma vie en tant que chrétienne…

          Pour commencer par le commencement, je suis née un 1er janvier 1943 à St Denis… juste en face de la cathédrale de Saint-Denis ! N’y voyez pas un signe du ciel ! A l’époque la maternité était située à cet endroit.

          Mes parents étaient catholiques, c’est donc tout naturellement que j’ai été baptisée, puis que j’ai suivi un enseignement religieux, (catéchisme, 1ère communion, confirmation) tout comme mes 6 frères et sœurs .

          A cette époque, il me semblait que la pratique religieuse était une chose simple et évidente.

          Pour mes parents, il n’y avait pas à discuter. « Mon enfant, Dieu c’est Dieu. C’est Lui le Maître de tout, du ciel,  de la terre, du Monde entier. Aime Dieu et obéis à Dieu ! »

         Dieu a donc toujours occupé la 1ère place dans notre famille.

          Pour nous, il était évident que le dimanche était avant tout le jour de la messe. A  chaque fois qu’on coupait un gâteau, on réservait la 1ère part, qu’on appelait la part du pauvre et que l’on devait donner au premier pauvre qui passait. Pour la petite anecdote, mon père s’est rendu compte que mon frère aîné prenait souvent la place du pauvre !

         Avant Pâques, pour le Vendredi Saint, toute la famille était réunie… on vivait ensemble le chemin de croix (anecdote) : Ma mère installait le Christ sur une table, au milieu du salon. A 15h on s’agenouillait, maman lisait l’évangile de la Passion, nous priions, chantions, récitions le chapelet. Maman  nous invitait  à demander pardon à celui qu’on avait blessé, à haute voix. Le «blessé» se levait, prenait son frère ou sa sœur dans ses bras, accordait son pardon, sans explications. Grande leçon d’humilité qui nous permettait de repartir à zéro, le cœur libéré vers la joie de Pâques.

         Pour La Pentecôte, c’était une fête pour nous les enfants lorsque maman nous réunissait pour « tirer au sort les dons de l’Esprit Saint » (anecdote) : Maman découpait des petites colombes sur lesquelles elle notait un don de l’Esprit Saint. Elle les  mettait dans un chapeau et chacun retirait sa colombe et découvrait quel don il recevait ce jour-là !

          J’ai le sentiment que j’ai grandi en me construisant une identité de créole, de française, de catholique … tout ça en même temps … sans me poser de questions.

         Il faut dire que l’école des sœurs, la religion, la maison et l’école ne faisaient qu’un… la morale, l’éducation religieuse étaient en cohérence l’une avec l’autre… Il me semblait alors normal de commencer les cours en m’agenouillant pour prier.

         C’est en arrivant au collège, à l’école laïque, que j’ai réalisé que tous les enfants ne disaient pas leur prière à l’école (anecdote) : en 6ème à la rentrée je me suis agenouillée dans la classe, mon Professeur a été très indulgente en me disant qu’au collège on ne  priait pas avant les cours.

         J’ai commencé alors à réaliser que les autres enfants avaient d’autres religions, certains même disaient ne pas croire en Dieu … difficile à comprendre pour moi qui avait grandi avec la certitude que Dieu voyait tout… je me demandais s’il voyait même ceux qui ne croyaient pas en lui…

         Dans cette période de ma vie, je garde un beau souvenir des moments partagés avec Marraine Jeanine.

         Marraine Jeannine était ma tante. La sœur de ma mère. La vie lui avait volé son seul enfant qui était mort à l’âge de 9 ans. Cette vieille tante était ce que l’on pourrait appeler de nos jours une « grenouille de bénitier » … Elle passait tout son temps libre à l’église Saint-Jacques. Pour moi, elle était un genre de personnalité qui avait tous les passe-droits … elle allait et venait dans l’église comme elle voulait ! Alors que tous les autres restaient sagement assis sur les bancs à prier, ou agenouillés devant l’autel, Marraine Jeanine, elle, montait SUR l’autel ! Elle rectifiait les bouquets, dressait la nappe… allait vérifier si les hosties étaient assez nombreuses … Elle allait quand elle voulait dans le confessionnal. Elle était dans l’équipe du Rosaire … J’étais admirative de toutes ses responsabilités. Je passais beaucoup de temps avec elle, et en particulier, une à deux fois dans l’année, on allait  ensemble, en bus, en pèlerinage !

         Quelle expédition!

         Depuis la veille, je dormais chez elle… Le jour J, réveil à 5 heures du matin… et toute une journée dans le bus, direction La Salette à Saint-Leu, La Vierge au Parasol, Notre-Dame des Laves à chanter les psaumes et les cantiques … moyenne d’âge dans le bus? 60 ans … Je représentais à moi toute seule la relève ! La jeunesse !!!

         Quelle fierté mes amis … pour moi, mais surtout pour Marraine Jeannine quand ses copines la félicitaient d’avoir une nièce si pieuse … C’est que je connaissais parfaitement toutes mes prières ! Des plus ordinaires (Ave Maria, Notre Père …) aux plus rares (acte de foi, acte de contrition , souvenez-vous)…

          J’ai continué comme ça mon chemin, personnel, professionnel, spirituel… J’ai fini mes études et j’ai  passé le concours d’institutrice.

          On ne peut pas parler du chemin personnel sans parler de … l’amour !

         J’avais 24 ans quand je suis tombée amoureuse de celui qui allait devenir mon mari : Idriss. Il était … vous vous en doutez, beau, gentil, drôle… et … musulman.

         Au début de notre relation, c’était un fait… voilà tout.

         J’étais catholique, lui musulman.

         Dès que nous avons compris que c’était « du sérieux » comme on dit, je l’ai présenté à ma famille et de même il m’a présentée à ses parents. C’est là que nous avons réalisé que les choses allaient être plus compliquées que prévu.

De mon côté, mon père m’a juste dit : « Mé li lé zarab … mi èspèr ke lé pa sérië ! »

         Quant à mon futur beau-père, dès la première rencontre, il a abordé clairement la question: « Ou koné Idriss lé zarab ? Si ou i èm ali, ifo ou rant zarab pou zot guingn fé nikka»…

          Dans notre couple, quoiqu’en disent nos parents, on avait décidé de se respecter tels qu’on était.

         Quand on a commencé à préparer le mariage, la décision était prise : je resterai catholique et lui musulman.

          C’était en 1970, j’avais 27 ans … on ne parlait pas encore de l’Inter-religieux à cette époque !

          Au début de notre mariage, il n’a pas toujours été facile de faire accepter à nos familles notre choix, mais avec l’arrivée de nos enfants les choses se sont adoucies.

         On était heureux et on prouvait à tout le monde que Jésus et Allah s’entendaient bien chez nous. On enseignait  à nos enfants qu’il y avait un Dieu « Miséricordieux » un Dieu « Amour » qui veillait sur nous.

         Mon mari, ancien élève du Collège St Michel, me disait souvent : « Mi koné out priyèr pliss ke ou ! » et il récitait le Notre Père ou l’Ave Maria pour m’épater !

         On passait de longs moments à parler de Dieu à nos filles.

         On était vigilants, chacune de nos filles a eu deux prénoms : un musulman et un catholique.

                                      Véronique Yasmina

                                      Isabelle Farida

                                      Shanaz Emmanuelle

         On pratiquait  notre foi dans la  complicité et  le respect.

         On passait de l’Eïd à Pâques, de Noël au Ramadan  sans problème.

         Dans le grand puzzle de ma vie, Idriss était la pièce juste que Dieu avait préparée pour moi…

         Huit ans après notre mariage, je me retrouvais veuve, à 35 ans, avec mes 3  filles, qui avaient alors 7, 5 et 2 ans.

          J’ai traversé cette épreuve mon chapelet dans la main, assise dans l’église, tous les jours, avec mes enfants.

         Ma mère me répétait qu’un croyant a le droit d’être parfois découragé mais jamais désespéré !

         Mon père, égal à lui-même, m’a dit une bonne fois pour toutes :« Bondieu  la jamais abandonne personne, arrête pleuré ! »

         Je restais accrochée à mon Dieu de toutes mes forces !

         C’est Lui qui m’a permis de réaliser que je devais continuer, pour mes enfants surtout… Ma foi a été ma force dans ce moment si difficile.

         « Dieu est mon roc… »

          J’ai repris le travail, j’ai recommencé à rire, à jouer… à raconter des histoires à mes filles.

         J’ai lu et relu  la bible … « Frappez on vous ouvrira … demandez vous recevrez »

         J’ai traversé des moments de révolte pendant lesquels j’avais envie de dire à Dieu : « Je frappe Seigneur …  tu n’entends pas ? J’appelle, je crie, je pleure… quand est-ce que je recevrai ? »

          C’est ma mère, encore elle … si sage … qui m’a dit un jour : « ‘Non’ peut être aussi la réponse à une prière. » C’est difficile à accepter… mais c’est tellement vrai.

          J’ai compris peu à peu que ce que Dieu me donnait était tout de même le plus important : la santé, des enfants en pleine forme, qui réussissaient leurs études … une famille autour de moi.

          J’ai pris ma retraite en 1990, à l’âge de 47 ans. Cela m’a permis d’élever tranquillement mes enfants et surtout de découvrir une nouvelle manière de vivre ma foi.

          Je suis entrée comme bénévole à la Fondation Abbé Pierre.

         J’ai tout de suite choisi d’aider les SDF (Sans Domicile Fixe). Quand je suis arrivée à la Boutique de Solidarité, ce lieu n’était qu’un lieu d’accueil temporaire pour les SDF. Ils venaient pour passer le temps, être à l’abri …

         Moi, j’étais une maman, une maman expérimentée… J’ai porté sur eux un regard pragmatique. Pour moi, ils étaient un peu comme des enfants perdus. Alors, je me suis posé des questions très simples : de quoi ont-ils le plus besoin?

De manger ? J’ai fait le tour des boulangeries du quartier et très vite j’ai obtenu qu’ils me donnent chaque jour le pain de la veille, les viennoiseries invendues … et j’ai commencé à organiser de bons petits-déjeuners à la Boutique de Solidarité…

         Ils avaient aussi besoin de s’habiller … en avant pour la collecte de vêtements…

         Et c’est dans ces petits gestes quotidiens, dans ces petits moments d’échanges que j’ai vécu des moments inoubliables … de vraies confidences… la confiance qui s’installe… l’amitié…

         C’est dans ces moments là que tu te dis: ce SDF, cette SDF…, c’est mon frère, c’est ma sœur. Il suffit d’un rien (ou parfois de grands drames ) pour qu’une vie bascule.

          J’ai eu le privilège aussi de rencontrer l’Abbé Pierre lors de son passage à la Réunion.

         Je garde en mémoire cet entretien qu’il m’a accordé c’était court mais tellement fort !

         Il a mis la main sur mon épaule et il m’a dit :  « On a besoin de petites femmes comme toi. »

          Ces années de bénévolat m’ont permis de consolider ma foi en Dieu, d’apprendre à regarder l’Autre et à ne pas avoir les yeux fixés sur ma petite personne. Cela m’a appris à relativiser beaucoup de choses, à comprendre que le bonheur n’est pas d’avoir ce que l’on veut, mais peut-être de vouloir ce que l’on a.

          Et le temps a continué à passer… Mes filles ont grandi… Elles se sont mariées à leur tour… et m’ont donné 6 petits-enfants!

         Pablo , Naïla, Luna, Marie, Alexis et Axel.

         6 petits-enfants qui font chanter ma vie et pour eux, c’est moi, la grenouille de bénitier !

         Dans la vie d’aujourd’hui, ce n’est plus aussi évident … Le dimanche est le jour de la plage, le jour du repos, des tournois de handball ou de judo… plus forcément le jour de la messe !

         Et la Mamouche  que je suis représente la religion, la foi.

          Une évaluation de maths est prévue pour lundi ?

– « Allô Mamouche ! Tu pourras prier pour moi de 9heures 10 à 10h steplait ? »

         Un coup de soleil à la plage ?

– «Allô Mamouche, tu pourrais faire une prière pour moi steplait ? »

          Mais c’est aussi des moments de complicité, où mes petits-enfants viennent d’eux-mêmes me demander à apprendre à prier le chapelet, où mon petit-fils garde comme un trésor le Coran de son papi … des échanges sur la foi, la pratique, l’église .

         Les jeunes d’aujourd’hui se questionnent et cherchent Dieu … sur Skype, Facebook ou avec leur mamie.

          De mon côté, je vis toujours ma foi comme un témoignage.

         J’ai envie de montrer à tout le monde que c’est formidable de croire en Dieu !

         Choisir un  chemin spirituel, c’est un  choix individuel … un chemin parfois difficile mais qui conduit à la joie, au partage, à la sérénité. C’est ce que j’essaye de transmettre à mes petits-enfants.

          Il y a 5 ans environ, le hasard (certains disent que ce n’est que l’ombre de Dieu) m’a donné l’occasion de retrouver mon ami Idriss que j’avais perdu de vue.

On discute, on prend des nouvelles l’un de l’autre… et voilà qu’on parle religion !

Il m’invite très vite à rejoindre le GDIR (Groupe de Dialogue Inter-Religieux)… et voilà un nouveau cadeau de Dieu ! Une nouvelle aventure pour vivre encore ma foi d’une manière renouvelée.

         J’en profite donc pour remercier tous les membres du GDIR, leur dire combien je m’enrichis à leur contact, combien j’apprécie les moments où nous prions ensemble .

          Oui, le bonheur est de vouloir ce que l’on a !

 Psaume 8 :

          « Seigneur, notre Seigneur,  que ton nom est magnifique  par toute la terre ! »

                                                                                            Danièle Moussa

                                                                                            tsaana@orange.fr

 

 

 

 

 

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