Jésus suscite, éclaire et affermit la foi de ses disciples (Luc 9,1-50)

La mission des Douze (Luc 9,1-6)

 

Jésus rassemble autour de lui les Douze disciples qu’il avait choisis (Luc 6,12-15) pour être ses apôtres, c’est-à-dire ses envoyés (sens du mot grec « apostolos »). Lui-même est l’envoyé du Père : le Père est toujours avec Lui (Jean 8,28-29), et Jésus, uni à son Père dans la communion d’un même Esprit (Jean 10,30) dit les Paroles du Père (Jean 12,49-50) et accomplit les œuvres du Père (Jean 14,8-11). Autrement dit, le Père agit avec lui et par lui pour le salut du monde…

Jésus appelle ici les Douze pour leur donner de participer à sa mission et de l’exercer comme lui l’exerce. La relation qui les unira à lui sera semblable à celle qui l’unit à son Père. Jésus les enverra comme lui-même fut envoyé (Jean 20,21 ; Luc 9,2), il sera toujours avec eux comme le Père était toujours avec lui (Marc 3,14 ; Matthieu 28,20), il leur sera uni dans la communion d’un même Esprit (Jean 17,20-23 ; 1Thessaloniciens 5,9-10 ; Romains 8,9-10), il les revêtira de l’autorité et de la puissance de l’Esprit Saint (Luc 9,1 ; 1,35 ; en plénitude au moment de la Pentecôte : Luc 24,49; Actes 1,8; 2,1-4), comme lui-même en fut revêtu par le Père (Luc 3,21-22 ; 4,14.18-19 ; 5,17). Alors les apôtres proclameront la Parole (Jean 17,8.20 ; Luc 10,16), et ils accompliront les œuvres du Christ : ils guériront les malades et chasseront les esprits impurs (Luc 9,1-2.6). Autrement dit, le Christ agira avec eux et par eux pour le salut du monde…

Communion des saints avec le Christ

Nous constatons combien, dans notre vie de chrétien, la relation au Christ doit être première : Jésus ne pouvait rien faire sans son Père (Jean 5,19-20), nous ne pouvons rien faire sans Lui (Jean 15,5). Cette relation de cœur avec le Christ exige de chacun d’entre nous une conversion qui soit aussi réelle et sincère que possible (Marc 1,14-15 ; Matthieu 21,28-32). Nous savons à quel point cela n’est pas facile, et nous ne connaissons que trop bien notre faiblesse. Et pourtant, nous sommes invités à la confiance car cette œuvre de conversion est avant tout celle du Père des Miséricordes (2Corinthiens 1,3 ; Colossiens 2,13 ; 3,13 ; Psaume 32(31),5 ; 86(85),5 ; 103(102),1-4 ; Jérémie 31,34 ; Ezéchiel 16,63 ; Michée 7,18) : c’est Lui qui se propose de nous purifier (Ezéchiel 36,24-28 ; Jérémie 33,8 ; 1Jean 1,9), de nous transformer (Sophonie 3,9-10), d’arracher de notre cœur toutes les idoles (Osée 2,18-19) pour que nous puissions revenir à lui (Psaume 80(79),4.8.20 ; 85,2.5 ; Isaïe 43,5 ; Jérémie 15,19 ; 24,6 ; 30,3 avec Luc 15,4-7) nous tourner vers Lui, le prier, l’adorer, le craindre au sens de lui demeurer fidèles (Jérémie 32,37b-41 ; Psaume 130(129),4)… Et puisque tout est don, tout est grâce, à nous de nous abandonner avec confiance entre ses mains en étant les plus souples et les plus dociles possible à son action en nos cœurs…

Bapteme

Jésus va ensuite envoyer ses disciples en mission en leur demandant de ne rien prendre pour la route : ni bâton pour se protéger ou s’en servir comme appui, ni sac pour y mettre des provisions ou des vêtements, enfin ni argent pour acheter l’un ou l’autre, ou pour se loger. Il veut qu’ils fassent l’expérience de la Providence divine. Dieu sera là, avec eux ; il les protègera, il sera leur appui, il veillera sur eux, et d’une manière ou d’une autre, ils ne manqueront jamais de rien et trouveront toujours quelqu’un pour bien les accueillir (Luc 12,22‑31 ; Actes 16,11-15). Ils verront ainsi par eux-mêmes combien Dieu agit dans le monde par les femmes et les hommes de bonne volonté. Plus tard, juste avant sa Passion qui précèdera leur grand envoi en mission, il leur rappellera cet épisode : « « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose? » – «De rien», dirent-ils ». Puis il les invitera cette fois à prendre « bourse » et « sac à provisions » : « Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a une besace » (Luc 22,35‑36)… L’aventure ne sera pas facile, et ils auront besoin de toutes leurs ressources humaines pour cette mission qui les attend : ressources matérielles, mais aussi prudence, sagesse et réflexion (Matthieu 10,16-24[1])… Et lorsqu’ils auront fait tout leur possible, qu’ils n’oublient jamais ce qu’ils ont vécu autrefois sur les routes de Palestine : ils ne sont pas seuls. Dieu est là, présent, avec eux, et il s’occupe très concrètement de chacun d’entre eux … Ils auront alors à être les plus simples possible, allant là où ils seront accueillis et mangeant ce qui leur sera proposé (Luc 9,4 ; 10,7). Eux qui avaient l’habitude d’être soumis par la Loi de Moïse à toutes sortes d’interdits alimentaires (cf Lévitique 11), qu’ils comprennent bien que « le Royaume des cieux n’est pas une affaire de nourriture et de boisson : il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Romains 14,17 ; cf Marc 7,14-23). Voilà ce qu’ils devront vivre et annoncer (Luc 9,2.6), en paroles et en actes, en disant notamment aux familles qui les accueilleront: « Paix à cette maison » (Luc 10,5)… Et « la Paix », en hébreu, est synonyme de Plénitude, cette Plénitude que Dieu veut communiquer à chacun d’entre nous (Psaume 16(15),11 ; Romains 15,13 ; Ephésiens 3,14-21) en lui donnant, par le Christ (Jean 1,16-17 ; Colossiens 1,18-19 et 2,9-10) d’avoir part à son Esprit Saint (Ephésiens 5,18)…

Esprit Saint

Hélas, parfois, ils ne seront pas accueillis (cf pour le Christ Marc 5,17; Luc 9,53 ; 4,28-30 ; Jean 3,11.31-32 ; 5,43)… Une porte pourra se fermer, mais une autre s’ouvrira… « La Bonne Nouvelle ne saurait en effet être imposée. Elle sera seulement proposée à la liberté des gens. Si une ville ou un village la refusent, on passera outre en respectant ce refus. Le rite ici décrit relève d’un antique usage oriental : on secouait la poussière de ses pieds en quittant un lieu hostile pour marquer la rupture (cf Actes 13,50-52) »[2]. Ils refusent d’accueillir le Christ ? Pour l’instant, qu’ils assument, la responsabilité de leurs actes. Dieu leur a quand même offert la possibilité d’entendre la Bonne Nouvelle : « Pourtant, sachez-le, le Royaume de Dieu est tout proche » (Luc 10,11). La semence a été semée (Luc 8,5‑8). Peut-être lèvera-t-elle un jour… Mais de toute façon, d’une manière ou d’une autre, Dieu reviendra frapper à la porte de leur cœur…

 

Hérode et Jésus (Luc 9,7-9)

Les opinions sur le Christ étaient nombreuses et variées. Certains croyaient être en présence de Jean le Baptiste, autrefois décapité par Hérode (Luc 9,9 ; Marc 6,17-29), et aujourd’hui ressuscité. D’autres pensaient que la prophétie de Malachie sur le retour d’Elie s’était accomplie (Malachie 3,23-24)[3]. D’autres enfin pensaient que Jésus était « un des anciens prophètes qui est ressuscité » (Luc 9,8), ou encore ce prophète promis autrefois par Moïse (Deutéronome 18,15.18‑19; cf Jean 1,21 où des prêtres venus de Jérusalem pensent que Jean Baptiste pourrait être ce « prophète »). Certes, Jésus était bien un prophète (Jean 6,14 ; 7,40) portant au monde la Parole de Dieu (cf. Jérémie 1,9), mais il était bien plus qu’un prophète…

Visage de Jésus

Jeanne, la femme de Chouza, l’intendant d’Hérode[4] était une des disciples du Christ (Luc 8,3). Hérode avait donc très certainement entendu parler de Jésus par son intendant, et « il cherchait à le voir » (Luc 9,9). De fait, il le verra… Lorsque Jésus fut arrêté, il fut d’abord conduit devant l’assemblée des responsables religieux du Peuple d’Israël, le Sanhédrin (Luc 22,66-23,1). Puis ils l’emmenèrent devant Pilate[5] (Luc 23,2-7) qui l’envoya à son tour devant Hérode (Luc 23,8-12) : « Hérode, en voyant Jésus, fut tout joyeux ; car depuis assez longtemps il désirait le voir, pour ce qu’il entendait dire de lui; et il espérait lui voir faire quelque miracle ». Comme d’autres avant lui, il demande un signe à Jésus (Luc 11,16.29), un acte merveilleux, un prodige… Mais Jésus n’est ni un magicien, ni un prestidigitateur… Il n’est pas venu pour « en mettre plein la vue » (Luc 4,9-12) comme peuvent le faire parfois les vedettes de ce monde. Hérode est donc pour l’instant rempli de l’esprit du monde : il n’a pas les dispositions intérieures qui lui permettraient de s’ouvrir à cette Présence de Dieu venue s’offrir en Jésus-Christ dans la discrétion et l’humilité. Il est aveugle de cœur (2Corinthiens 4,3-6). Il demande un signe, alors qu’il a devant lui le plus beau signe qui soit de la Présence et de l’action de Dieu en ce monde : l’humanité de Jésus, qu’il peut voir, toucher, entendre, ce Jésus qui est le Fils Unique du Père en Personne, vrai Dieu de toute éternité. Mais il ne perçoit rien ; aussi Jésus se tait devant lui.

Cet esprit du monde va ensuite pleinement se manifester en actes : on reconnaît l’arbre à ses fruits (Luc 6,43-45)… Hérode, blessé dans son orgueil, va le bafouer, le traiter avec mépris, le revêtir par dérision d’un habit de prince, et le renvoyer à Pilate…

 

Au retour des Apôtres, Jésus rassasie une foule (Luc 9,10-17)

Les apôtres reviennent de mission et racontent tout simplement à Jésus ce qu’ils ont vécu. Il va alors les emmener à l’écart, avec peut-être l’intention de leur offrir un peu de repos (Marc 6,31). Mais les foules partent à sa suite, et comme d’habitude, Jésus leur fait bon accueil ; le repos sera pour plus tard… Comment va-t-il combler leur attente ? En leur parlant à nouveau du Royaume des Cieux, une Parole à laquelle l’Esprit de Vérité rend toujours témoignage (Jean 15,26). S’ils ouvrent leur cœur à cette Parole, ils l’ouvriront aussi à cet Esprit dont la seule Présence suffit à combler toutes nos attentes… Notons également la simplicité avec laquelle Jésus répondait aux requêtes qui lui étaient faites : « Il guérissait ceux qui en avaient besoin »…

Paralytique

Puis, « le jour commença à baisser », clin d’œil en direction du repas d’Emmaüs (Luc 24,29) où le Christ Ressuscité, non encore reconnu par ses deux disciples, accomplira une fois encore les gestes de l’Eucharistie (Luc 24,30). Et le déclic se produira : ils le reconnaîtront dans cette fraction du pain, « leurs yeux s’ouvriront », et lui disparaîtra, les laissant à cette connaissance de foi dans laquelle, pour l’instant, il veut se donner à chacun d’entre nous… Plus tard nous le verrons, par-delà notre mort …

Le soir tombe… Les disciples invitent donc Jésus à renvoyer la foule « dans les villages et les fermes d’alentour pour y trouver logis et provision » et tous pourraient se retrouver ensuite le lendemain matin. Mais Jésus a une autre solution : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Peut-être leur serait-il possible, avec l’aide matérielle que pouvaient apporter certains disciples (Luc 8,1-3), d’aller dans ces villages et ces fermes pour acheter de la nourriture (Luc 9,13), « même si ce serait là une dépense considérable »[6]. Mais Jésus a encore une autre idée. Il va prendre l’initiative et agir d’une manière totalement imprévue pour donner gratuitement à cette foule tout ce dont elle a besoin… En le suivant, ils cherchaient avant tout « le Royaume des Cieux et sa justice », laissant de côté les préoccupations matérielles pour se tourner de tout cœur vers les réalités d’en haut (Colossiens 3,1-3). Et c’est Jésus Lui-même qui va se soucier pour eux de ces questions matérielles (cf Matthieu 15,32), en leur donnant au moment où ils en avaient besoin tout ce dont ils avaient besoin, en surabondance, alors même qu’ils ne lui avaient encore rien demandé ! L’invitation à se confier en la Providence divine est ici, une fois de plus, illustrée (Luc 12,22-32).

2ième dimanche de pâques2

Dans un premier temps, le Christ devait d’abord annoncer la Bonne Nouvelle du salut « aux brebis perdues de la maison d’Israël », le Peuple de l’Alliance (Matthieu 15,24 ; 10,6). Et de fait, la symbolique des chiffres désigne ici le Peuple d’Israël comme étant le premier destinataire de ce miracle. Le chiffre « cinq » renvoie en effet aux cinq premiers livres de la Bible, appelés en hébreu « la Torah » (hr:/T, la Loi), car ils renfermaient tous les textes de Loi réglant la vie quotidienne d’Israël. Le chiffre « mille » désigne souvent « la multitude » ; « cinq mille » renvoie donc au Peuple hébreu en son ensemble appelé à mettre en pratique la Loi de Moïse pour vivre en Alliance avec Dieu… Et St Luc précise bien à la fin du récit qu’il restait « douze » corbeilles pleines, un clin d’œil lancé vers « les douze tribus d’Israël ». Mais le chiffre douze ne peut que renvoyer ici aussi aux Douze apôtres choisis par le Christ : ils seront la base nouvelle du nouveau Peuple de Dieu appelé à vivre avec lui le mystère de l’Alliance Nouvelle… Et chacun des Douze repartira avec une corbeille pleine de cette « nourriture qui demeure en vie éternelle » (Jean 6,27), l’Eucharistie, qu’ils partiront offrir au monde entier (Matthieu 28,16‑20 ; Marc 16,15-18 ; Actes 1,8 ; Luc 13,29). St Luc y fait en effet très fortement allusion lorsqu’il reprend au v. 16 tous les verbes qui apparaîtront de nouveau lors du récit de son institution (Luc 22,19-20) :

Luc 9,16

Luc 22,19-20

Prenant alors les cinq pains

et les deux poissons,

il leva les yeux au ciel, les bénit,

les rompit (ou les fractionna)

et il les donnait aux disciples

pour les servir à la foule.

 

 

 

Puis, prenant du pain,

 

il rendit grâces (en grec, « eucharistéo »),

le rompit (ou le fractionna)

et le leur donna, en disant :

« Ceci est mon corps, donné pour vous ;

faites cela en mémoire de moi. »

Il fit de même pour la coupe après le repas, disant : «Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous ».

 

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Ce signe renvoie donc à cette nourriture que Jésus donnera à son Eglise juste avant sa mort et sa résurrection : « son corps et son sang » offerts pour le salut de la multitude des hommes. Il se donnera tout entier pour cela : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15,13). Jésus va donc nous aimer de tout son être, corps, âme, esprit et cela « jusqu’à la fin » (Jean 13,1), « jusqu’à l’extrême de l’amour », comme le précise en note la Bible de Jérusalem. Et il va s’offrir pour les pécheurs que nous sommes, afin de nous donner d’avoir part à sa Vie, une Vie qui nous guérira petit à petit de toutes nos blessures et qui s’épanouira par delà notre mort dans la Vie éternelle… Le sang est en effet symbole de vie dans la Bible, puisque les anciens croyaient que la vie était dans le sang (Lévitique 17,11.14). En nous offrant son sang, Jésus veut nous faire comprendre qu’il désire nous communiquer sa Vie, sa propre Vie, une Vie qu’il reçoit lui-même de son Père : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » (Jean 6,57). Et cette Vie nous sera concrètement communiquée en nos cœurs  par l’action de l’Esprit Saint : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » (Jean 6,63). Chacun est ainsi appelé par le Christ à recevoir et à vivre de la Vie Bienheureuse du « Dieu Bienheureux » (1Timothée 1,11), une Vie qui comblera tous les désirs de son cœur (Jean 6,35) et lui apportera la Paix. Et puisque cette Vie habite en plénitude le Père, le Fils et l’Esprit Saint, il vivra en communion avec eux et avec tous ceux qui, comme lui, se seront ouverts au don de Dieu (1Jean 1,1-4)… Tel est le mystère de l’Eglise, un mystère de communion offert inlassablement aux pécheurs que nous sommes par le Père des Miséricordes…

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Notons aussi que St Luc n’emploie pas dans ce récit le mot « multiplication » des pains, mais plutôt celui de « fraction des pains », un terme qu’il reprendra dans les Actes des Apôtres pour désigner l’Eucharistie (Actes 2,42-46). Dieu est « don », « source ». Il se donne en demeurant pleinement lui-même. Aussi, dès que les hommes se mettent à donner, à partager, leur action rejoint la sienne : avec eux et par eux, Dieu agit dans le monde… « Donnez, et l’on vous donnera ; c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans votre sein ; car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour » (Luc 6,38).

Enfin, aucune réaction de la foule ne nous est rapportée, comme si elle ignorait ce qui vient de se passer. Nous retrouvons ici cette totale gratuité de Jésus… Souvenons-nous par exemple de cet infirme paralysé depuis 38 ans : il sera guéri alors même qu’il ne connaissait pas Celui qui lui parlait, et qu’il attendait sa guérison des dieux païens de la médecine (Jean 5,1-9) ! Il en fut de même pour cette veuve de Naïn qui partait enterrer son fils unique : elle ne le connaissait pas, elle ne lui demandait rien, et Jésus lui rendra son fils (Luc 7,11-17). jésus christ angelicoOn peut encore citer cette noce à Cana où les mariés ne se sont même pas rendu compte qu’ils allaient manquer de vin, et Jésus, qu’ils ne connaissaient pas et à qui ils n’ont rien demandé, va leur offrir plus de 700 litres de « bon vin » (Jean 2,1-12; cf 1,26-27).
Et le Christ est le même aujourd’hui comme il le sera à jamais (Hébreux 13,8). Aussi, plutôt que de lui demander ceci ou cela – d’autant plus que Dieu sait de quoi nous avons besoin avant même que nous ne lui demandions (Matthieu 6,7-8 ; Luc 12,30) – demandons lui la grâce de reconnaître sa Présence et son action bienveillante dans nos vies : Il est déjà là, tout près de chacun d’entre nous (Matthieu 3,2 ; 4,17 ; 10,7), et il agit pour nous, pour notre bien, avant même que nous n’en ayons conscience…

 

La profession de foi de Pierre, au nom de tous les disciples, et la première annonce par Jésus de sa Passion désormais toute proche (Luc 9,18-22)

 

La foule n’a, semble-t-il, pas réalisé ce qu’il s’est passé, mais les disciples, eux, l’ont compris… Ce signe donné et reconnu va faire grandir en eux la foi et les conduire, par la bouche de Pierre, à une première « profession de foi ».

Christ donne la clé à Pierre

Les disciples sont seuls avec le Christ, à l’écart… Ils prennent du recul par rapport à tout ce qu’ils viennent de vivre avec lui, et Jésus, par ses questions, « Qui suis-je au dire des foules ? », « Mais pour vous, qui suis-je ? », va les amener petit à petit à en tirer les conclusions… Nous retrouvons ici toutes les opinions au sujet du Christ rencontrées précédemment (Luc 9,7-8), et Pierre, au nom de tous, va répondre à la question que se posait Hérode (Luc 9,9) : « Quel est-il donc, celui dont j’entends dire de telles choses ? » Il est « le Christ de Dieu » (Luc 9,20)…

« Christ » vient du grec « kristos » qui signifie « l’oint du Seigneur », celui qui a reçu l’onction. Dans l’Ancien Testament, le roi était « l’Oint du Seigneur » par excellence, celui que Dieu avait « élu » pour gouverner son Peuple. L’onction d’huile lui était appliquée par un homme de Dieu, un prophète ou un prêtre. Le roi David fut, par exemple, oint par le prophète Samuel (1 Samuel 16,1-13) qui versa de l’huile sur sa tête : elle était le signe visible de la grâce invisible de Dieu donnée à David pour lui permettre de bien accomplir sa mission. Pour Jésus, cette onction lui sera donnée par le prophète Jean-Baptiste (Luc 1,76) dans les eaux du Jourdain (Luc 3,21-22). Dieu manifesta ce jour-là que la Plénitude de l’Esprit Saint repose sur Lui de toute éternité, un Esprit qui le guidera dans sa mission et lui donnera de pouvoir porter la Bonne Nouvelle aux pauvres (Luc 4,18-19).

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Par Samuel, Dieu avait aussi promis à David que sa lignée subsisterait à jamais (2 Samuel 7,12-17). Mais la royauté disparut en Israël lorsque Nabuchodonosor, roi de Babylone, envahit la Palestine et détruisit Jérusalem en 587 avant Jésus-Christ. Elle ne se rétablira que très ponctuellement par la suite, la Palestine devenant tour à tour province assyrienne, grecque et romaine, selon les différentes invasions qu’elle dut subir. En s’appuyant sur cette promesse faite à David, les Israélites attendaient donc à l’époque de Jésus un Roi de sa lignée, « un fils de David » (Matthieu 1,1 ; 1,20 ; 12,23 ; 15,22 ; 20,30-31 ; 21,9.15) qui saurait redonner à leur pays son indépendance, sa liberté et sa souveraineté. Voilà ce que St Pierre pense avoir reconnu en Jésus. Certes, il est bien Roi, mais son royaume n’est pas de ce monde. Si tel était le cas ses gens auraient combattu pour qu’il ne soit pas livré aux mains des responsables d’Israël qui, par jalousie, cherchaient sa perte (Jean 18,33-37 ; 18,10-11 ; 12,19).

Aussi, pour couper court à tout malentendu, Jésus va annoncer tout de suite sa Passion et sa résurrection (Luc 9,22). Il est bien Roi, mais sa Royauté se manifestera surtout à l’Heure de la Croix où, par amour, il se laissera crucifier pour le salut du monde. Le Prince de ce monde et tous ceux qu’il avait sous sa coupe vont se déchaîner contre lui (Jean 13,2.27), et Jésus va tout subir sans apparemment réagir : il ne cessera de répondre au mal par le bien en offrant sa vie pour ceux-là même qui lui faisaient du mal (Luc 6,27-35 ; Romains 5,6-8)… Mais ressuscité le troisième jour, il manifestera à ses disciples que la lumière de l’Amour et de la Vie est finalement victorieuse, contre toute attente, des ténèbres de la haine et de la mort… Dorénavant, avec lui, le Prince de ce monde est déjà jugé et jeté dehors (Jean 12,31-32), hors de ce mystère de communion que Jésus va construire avec tous ceux et celles qui consentiront à l’accueillir. Désormais, ils vivront unis à Lui dans la communion d’un même Esprit, d’une même Vie ; aussi, puisque le Prince de ce monde n’a aucun pouvoir sur Jésus, il n’aura aucun pouvoir sur eux (Jean 14,30 ; 2Thessaloniciens 3,3 ; Jean 17,15). Qu’ils s’abandonnent donc avec confiance entre ses mains, même si pour l’instant, notre temps est toujours celui du combat spirituel (Ephésiens 6,10-20 ; 1Timothée 6,12 ; 2Timothée 4,7-8)… Mais le Christ se révèlera finalement vainqueur par sa puissance qui agit dans notre faiblesse (2Corinthiens 12,9), par sa lumière qui brille dans nos ténèbres sans que celles-ci ne puissent la saisir (Jean 1,4-5), par sa miséricorde que nos misères n’arriveront jamais à épuiser…

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Et les disciples du Roi crucifié ne pourront que marcher à sa suite en devenant comme leur maître (Luc 6,40) : des agneaux envoyés au milieu des loups (Matthieu 10,16) pour témoigner de la victoire finale de l’agneau immolé (Apocalypse 5,11-14). Christ a porté sa croix ? Ils porteront la leur… Christ a perdu sa vie ? Ils perdront la leur… Christ est ressuscité ? Eux aussi ressusciteront grâce à l’Amour du Père et à la Toute Puissance de son Esprit (Romains 8,11).

 

La Transfiguration (Luc 9,27-36)

 

Ce langage est dur à entendre ? Jésus le sait et il va tout faire pour réconforter ses disciples. Il va d’abord leur promettre que « certains, présents ici même, ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Royaume de Dieu » (Luc 9,27), ce Royaume dont il a proclamé « heureux » ceux et celles qui sauront l’accueillir (Luc 6,20-22 ; Matthieu 13,16-17)… Et que verront, juste après, Pierre, Jean et Jacques ? Jésus transfiguré, Jésus dans la Lumière, cette Lumière qui est celle de Dieu lui-même (1Jean 1,5)… Le mystère de son entière communion avec le Père se révèle aux yeux éblouis des disciples : tel est le Royaume que Jésus leur promet. Eux aussi sont appelés à vivre par leur foi en Lui ce mystère de communion avec le Père dans l’Esprit… Eux aussi partageront sa Vie, sa Lumière et sa Joie… Pierre, Jacques et Jean en font l’expérience : « Maître, il est heureux que nous soyons ici »…

Mais dans cette Joie et ce Bonheur, les disciples sont confirmés vis-à-vis de la perspective tragique que le Christ vient de leur révéler : « Moïse et Élie, apparus en gloire, parlaient de son départ, qu’il allait accomplir à Jérusalem » (Luc 9,30). Moïse représente la Loi, et Elie les Prophètes. Avec eux, toutes les Ecritures rendent témoignage à Jésus (Luc 24,25-27)… Et le Père lui aussi va lui rendre témoignage en se manifestant à son tour par une voix : « Celui-ci est mon fils, l’Elu, écoutez‑le » (Luc 9,35). Il les invite donc à bien faire attention à ces paroles si dures qu’ils viennent d’entendre… Qu’ils n’aient pas peur de la croix : la gloire qu’ils viennent de percevoir en Jésus sera aussi en eux… Elle les soutiendra, elle les consolera dans leur épreuve, de telle sorte qu’ils en arriveront à être malgré tout heureux au cœur des persécutions endurées pour le nom de Jésus (Actes 5,40-41 ; Luc 6,22-23 ; 2Corinthiens 7,4) !

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Les épisodes suivants confirment la logique de tout ce passage. Dans le contexte de l’époque, un enfant épileptique était compris comme possédé par un esprit mauvais… De toute façon, voilà un mal qui s’attaque à l’homme, le blesse, l’empêche d’être pleinement lui-même… Et le Père de l’enfant va le conduire aux disciples du Christ qui ne pourront rien faire pour lui : leur foi commence à éclore (Luc 9,20), mais elle est encore fragile, chancelante (Luc 9,41)… Elle demande à être affermie et éclairée…

Et pour éviter le plus possible que les disciples ne comprennent mal son statut de Messie, le Christ va leur annoncer une deuxième fois sa Passion (Luc 9,44). Cet épisode sera de fait très dur pour eux car ils « espéraient toujours qu’il allait délivrer Israël » des Romains (Luc 24,21). Et il arrivera tout le contraire ! Il sera « livré aux mains des hommes » (Luc 9,45), aux mains des Romains, et ces derniers le crucifieront ! Et que peut-on encore espérer d’un mort ? Ils n’avaient toujours pas compris le sens de ces annonces de sa Passion et de sa Résurrection…

L’homme est « lent à croire à tout ce qu’ont annoncé les Prophètes » (Luc 24,25). Comme tout le monde, les disciples ont « l’esprit bouché » (Marc 8,17-18), ils n’arrivent pas à entrer dans la perspective que leur ouvre le Christ : elle est si contraire à toute logique humaine (1Corinthiens 1,17-31) ! Et le passage qui suit cette deuxième annonce de la Passion manifestera bien leur aveuglement !

TRANFIGURATION 1

Depuis quelques années déjà, ils suivent le Fils Unique de Dieu, Celui par qui tout fut créé, le Roi de l’Univers mais un Roi qui, par amour pour les hommes, est venu les rejoindre en prenant la dernière place : « le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Marc 10,45) ; moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Luc 22,27) ! Et eux discutent toujours entre eux pour savoir qui est le plus grand, à qui doit revenir la place de « chef »… Manifestement, ils n’ont toujours pas compris la logique de l’amour, et cet aveuglement durera jusqu’aux derniers jours de la vie terrestre de Jésus (Luc 22,24-27). Et ce n’est qu’à la Lumière de la Résurrection, avec le secours de l’Esprit Saint, qu’ils entreront petit à petit dans cette logique, jusqu’à offrir à leur tour leur vie pour le Christ et son œuvre de salut (Jean 21,18)…

 

En conclusion, soulignons la dynamique de ce passage :

 

– 9,10-17: la multiplication des pains, un signe destiné à stimuler et à faire grandir le regard de foi des disciples.

– 9,18-21: Question de Jésus : à quelles conclusions sur son mystère leur regard de foi les a-t-il conduits ?

– 9,22: Jésus corrige leur réponse : attention, il est bien le Messie, mais il ne sera pas ce roi glorieux et triomphant que peuvent attendre les hommes. Il sera un Messie crucifié, mais finalement victorieux de tout mal, ressuscité et glorieux de la Gloire de Dieu…

– 9,23-26 : Mise au clair, difficile à entendre pour les hommes : les disciples du Messie crucifié doivent eux aussi prendre leur croix à sa suite…

– 9,27-36 : Cette Parole est dure à entendre ; Jésus le sait et il va les encourager en leur montrant le but : sa Gloire qui est Joie, Paix, Bonheur…

– 9,37-43: Mais leur foi se montre à nouveau défaillante ! Elle est encore à consolider…

 9,44 : Nouvelle correction : attention, il est bien le Messie, mais un Messie crucifié…

– 9,45-48 : les disciples ne comprennent toujours pas et ils cherchent à savoir qui, parmi eux, est le plus grand ! Et Jésus est comme un petit enfant ! Le plus grand est le plus petit…

                                                                                                     D. Jacques Fournier

[1] Comme St Luc, St Matthieu présente aussi au chapitre 10 une première mission des Douze ; mais comme l’indique la Bible de Jérusalem en note : « Les enseignements des versets 17-39, dépassent manifestement l’horizon de cette première mission des Douze et ont dû être prononcés plus tard. Matthieu les a groupés ici pour composer un bréviaire complet du missionnaire ».

[2] HERVIEUX J., « L’Evangile de Marc », dans Les Evangiles, textes et commentaires (Collection Bayard Compact, 2001) p. 387. Et la Bible de Jérusalem explique ce geste rapporté aussi en St Matthieu (10,14), par la note suivante : « Locution d’origine judaïque. Est regardée comme impure la poussière de tout pays qui n’est pas la Terre Sainte, ici de tout pays qui n’accueille pas la Parole ».

[3] D’après 2Rois 2,9-13, Elie avait été emporté au ciel sur un char de feu. Il pouvait donc un jour en revenir, un retour qu’ils espéraient sur la base de cette déclaration de Malachie. Mais Jésus expliquera que cette prophétie s’est en fait réalisée avec Jean-Baptiste (Matthieu 11,13-14 ; 17,9-13). Certes, Jean Baptiste n’était pas Elie, mais l’Esprit qu’il a reçu dès le sein de sa mère était ce même Esprit qui, autrefois, remplissait le cœur d’Elie (Luc 1,13-17 où St Luc cite également la prophétie de Malachie (3,23-34) pour bien montrer qu’elle s’accomplit avec Jean Baptiste). Avec lui, tout se passe donc « comme si » Elie lui-même était revenu. C’est pour cela que St Matthieu et St Marc le présentent au début de leur Evangile habillé comme Elie (Matthieu 3,4 ; Marc 1,6 ; cf 2Rois 1,8)…

[4] Hérode fut tétrarque de Galilée et de Pérée de l’an 4 avant Jésus-Christ à l’an 39 après Jésus Christ.

[5] Pontius Pilatus fut préfet de la Judée de 26 à 36 après Jésus Christ.

[6] COUSIN H., « L’Evangile de Luc », dans Les Evangiles, textes et commentaires, p. 656.

Fiche n°11 – Lc 9,1-50 : cliquer sur le titre précédent pour accéder au fichier en PDF pour lecture ou éventuelle impression.

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