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« La Didaché », par Yannick Leroy

Peu de textes concernant le Ier siècle et les racines de la foi chrétienne sont parvenus jusqu’à nous en dehors des écrits contenus dans le Nouveau Testament. Un ouvrage fut pourtant mentionné dans l’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée (IVe siècle) ainsi que dans de nombreuses listes anciennes se référant au Canon. Il s’agit de la Didachè, manuel à l’intention des premiers fidèles, se réclamant de l’autorité des douze Apôtres. Rédigé à la fin du Ier siècle, probablement en Syrie ou Palestine, ce précieux opuscule n’avait jamais mis au jour jusqu’en 1873 lorsqu’il fut découvert par le Métropolite Philothée Bryennios de Nicomédie dans la bibliothèque du Patriarcat Grec de Jérusalem sur une copie réalisée en 1056 et contenant également l’intégralité du texte de l’Epître de Barnabé. Rédigée en grec, la Didachè se présente effectivement sous forme d’un cours ouvrage mettant en avant l’enseignement des Douze à l’intention du croyant, à travers des préceptes moraux directement inspirés des racines judéennes de la foi dans le Christ. Son titre signifie « enseignement » ou « doctrine » ; l’ouvrage existe d’ailleurs également en latin, dans une version légèrement différente, sous l’appellation Doctrina Duodecim Apostolorum. Fondée sur un écrit très ancien appelé Les Deux Voies (Duae Viae) et perdu depuis longtemps, l’œuvre s’organise sur la distinction essentielle entre le chemin de la lumière et le chemin des ténèbres afin d’orienter le Chrétien sur la juste attitude à adopter dans l’attente de la Parousie. Bien que non intégrée au sein du Canon de l’Eglise Catholique, la Didachè n’a jamais été considérée comme ouvrage déviant et bénéficie jusqu’à nos jours d’une large estime de la part des milieux ecclésiastiques. Il convient de préciser qu’elle fut d’ailleurs incluse parmi les écrits canoniques par certaines des premières listes d’ouvrages reçus comme tels. Son statut est par ailleurs celui d’un écrit inspiré reconnu par l’autorité pontificale jusqu’à notre époque. Sa lecture révèle au croyant la profondeur de la foi des premiers Pères et démontre une incroyable actualité des propos choisis pour nourrir l’espérance intemporelle de ceux qui placent leur cœur dans le Christ.

Bibliographie élémentaire

• La Doctrine des Douze Apôtres, W. Rordorf (éd. et trad.), Sources Chrétiennes, Le Cerf, Paris, 1998
• AUDET, J.-P., La Didachè, instructions des Apôtres, Etudes Bibliques, Gabalda, Paris, 1958

Extraits

Il y a deux chemins : l’un de la vie, l’autre de la mort ; mais il est entre les deux chemins une grande différence. Or le chemin de la vie est le suivant : d’abord, tu aimeras Dieu qui t’a créé ; en second lieu, tu aimeras ton prochain comme toi-même ; et ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait, toi non plus ne le fais pas à autrui. Et voici l’enseignement signifié par ces paroles : « Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour vos ennemis, jeûnez pour ceux qui vous persécutent. Quel mérite, en effet, d’aimer ceux qui vous aiment ! Les païens n’en font-ils pas autant ? Quant à vous, aimez ceux qui vous haïssent », et vous n’aurez pas d’ennemis. Abstiens-toi des désirs charnels et corporels. Si quelqu’un te donne un soufflet sur la joue droite, présente lui l’autre aussi, et tu seras parfait ; si quelqu’un te requiert de faire un mille, fais-en deux avec lui ; si quelqu’un t’enlève ton manteau, donne-lui encore ta tunique ; si quelqu’un t’a pris ton bien, ne le réclame pas, car tu n’en as pas le pouvoir. Donne à quiconque t’implore, sans rien redemander, car le Père veut qu’il soit fait part à tous de ses propres largesses. Heureux celui qui donne, selon le commandement car il est irréprochable. Malheur à celui qui reçoit ! Certes si le besoin l’oblige à prendre, il est innocent ; mais, s’il n’est pas dans le besoin, il rendra compte du motif et du but pour lesquels il a pris ; il sera mis en prison, examiné sur sa conduite et il ne sortira pas de là qu’il n’ait rendu le dernier quart d’as. Mais il a été dit également à ce sujet : « Laisse ton aumône se mouiller de sueur dans tes mains, jusqu’à ce que tu saches à qui tu donnes ».
Didaché I, 1-6

Mon enfant, souviens-toi nuit et jour de celui qui t’annonce la parole de Dieu ; honore-le comme le Seigneur, car là où est annoncée sa souveraineté, là est aussi le Seigneur. Recherche tous les jours la compagnie des Saints, afin de te réconforter par leurs conversations. Tu ne feras point de schisme, mais tu mettras la paix entre ceux qui se combattent. Tu jugeras avec justice ; tu ne feras pas acception de la personne en reprenant les fautes. Tu ne demanderas pas avec inquiétude si une chose arrivera ou non. Ne tiens pas les mains étendues quand il s’agit de recevoir, et fermées quand il faut donner. Si tu possèdes quelque chose grâce au travail de tes mains, donne afin de racheter tes péchés. Ne balance pas avant de donner, mais donne sans murmure et tu reconnaîtras un jour qui sait récompenser dignement. Ne repousse pas l’indigent, mets tout en commun avec ton frère et ne dis pas que tu as des biens en propre, car si vous entrez en partage pour les biens immortels combien plus y entrez-vous pour les biens périssables ?
Didachè, IV, 1-8