« La foi » – Père Matta El Maskine.

Le mot « foi », en grec « pistis », reçoit dans le christianisme deux acceptions :

La première est purement objective. Elle concerne les vérités de la foi formulées conformément à l’enseignement de l’Ecriture et consignées dans les dogmes de l’Eglise. Ceux-ci en rendent compte par des expressions et des définitions théologiques promulguées par les conciles qui ont entériné les opinions des meilleurs théologiens.

Dans ce sens objectif de la foi, la vérité divine n’est accessible à l’intellect et au raisonnement que par l’intervention de la grâce.

La deuxième est purement personnelle. Elle concerne la capacité du cœur à réagir directement à la réalité même de Dieu, mais toujours à travers les exigences des vérités de la foi.

Dans ce sens personnel de la foi, l’homme se soumet de tout son cœur, c’est-à-dire de tous son être, à Dieu, et par conséquent à tous ses commandements, par amour et par obéissance, et non par une démarche intellectuelle. Il utilise toutefois l’intelligence et le raisonnement comme des instruments de l’amour et de l’obéissance et non comme facteurs initiateurs ou dominants. Là se vérifie que : « la foi opère par la charité » (Ga (5, 6).

De ces deux définitions de la foi, il ressort que :

La foi objective a besoin de l’intelligence, du raisonnement, des études, et de conviction pour que l’homme atteigne une certaine maîtrise des vérités de la foi qui ne peut toutefois se transformer en adhésion que moyennant la grâce.

Quant à la foi personnelle, elle a besoin d’amour, d’obéissance et d’intimité comme fondements essentiels, pour que l’homme puisse parvenir à une relation profonde avec Dieu, fondée sur la fidélité et la confiance totale en Dieu, dans toutes les conditions et en toutes circonstances, même si cette fidélité et cette confiance se heurtent à la réalité, au raisonnement ou à l’intellect.

C’est pour cela que l’Eglise maintient que la foi sous ces deux aspects, objectif et personnel, est un don et une grâce. La foi objective concerne en premier lieu l’incarnation et la résurrection, deux évènements absolument transcendants par rapport à la nature ; celui qui croit en Dieu en vérité, se doit de ne rien convoiter et de n’avoir peur de rien. Et ces deux attitudes transcendent, elles aussi, les lois naturelles : « Hors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5).

Ce qui fait de la foi une vertu, et non seulement un don, c’est qu’elle dépend essentiellement de la volonté de l’homme. L’homme ne peut accueillir la foi que s’il veut croire. Cependant pour la foi, la volonté ne suffit pas, il lui faut une volonté docile, une volonté accueillante dès le premier instant, pour que l’intellect puisse s’ouvrir à des vérités transcendant l’intelligible. La volonté docile, accueillante, permet à l’intellect de s’ouvrir pour accueillir ce qui lui est nouveau, et l’intellect ouvert et préparé devient un réceptacle capable de recevoir ensemble le flux de la grâce et la vérité divine. Alors l’inintelligible devient intelligible, et le transcendant acceptable à la nature humaine.

C’est pour cela que saint Augustin dit : « La foi est une réflexion qu’accompagne la docilité. »

Cette volonté docile, accueillante, est l’élément essentiel qui fait de la foi un acte méritoire. La foi est en même temps un don et une vertu ou, en d’autres termes, c’est à la fois un acte de la grâce et un acte humain. L’homme répond volontairement à l’insistant appel de la grâce, et la grâce se plaît à répondre avec générosité aux efforts de l’homme et à ses initiatives. Dans ce sens, nous pouvons concilier dans notre esprit les deux approches du thème de la foi et des œuvres chez saint Paul et saint Jacques.

Il apparaît donc que la volonté de l’homme est libre d’acquiescer et donc de croire, ou de refuser d’acquiescer et de ne pas croire. C’est pour cela que saint Paul dit que : « La loi n’est pas pour tous » (II Th 3, 2).

Ainsi la volonté de l’homme est un élément essentiel de la foi, et c’est parce que cette volonté est en soi un acte responsable que l’homme est justifié par la foi. C’est pour cela que nous voyons le Christ insister à l’occasion de certains miracles pour que se manifeste séparément cet élément de volonté comme prélude à la foi par laquelle l’homme sera habilité à être exaucé. Par exemple dans la péricope du paralytique, il lui demande : « Veux-tu guérir ? » (Jn 5, 6). Dans d’autres circonstances, nous voyons le Christ insister sur la présence, en plus de la volonté, de la foi, comme dans le cas des deux aveugles qui le suivaient en quête de guérison. Là, l’élément de volonté est certes présent, mais nous voyons le Christ, malgré cela, s’enquérir de la présence de la foi avec cette volonté : « Croyez-vous que puisse faire cela ? » (Mt 9, 28)

A travers ces deux exemples, nous voyons la volonté mener à la foi, et la foi réaliser le miracle. Aussi pouvons-nous dire que la foi est une volonté de croire à laquelle la grâce s’unit dans l’instant même, et le miracle se réalise. Le plus fort des miracles de la foi reste cependant l’abandon total à Dieu grâce auquel l’homme accède effectivement à la communion de vie éternelle avec son créateur.

Voilà pour ce qui concerne la foi en Dieu d’une manière générale. Mais si nous prenons en compte la rédemption et la foi personnelle dans le Rédempteur, nous voyons alors la foi s’orienter de ce fait vers l’amour, car la foi en la rédemption veut dire la foi en l’amour du Père pour nous, amour gratuit, qui s’offre avec insistance, au prix d’un sacrifice inouï. Quand cet amour rédempteur s’installe en profondeur dans le cœur de l’homme, il anime la foi en Dieu d’un dynamisme vif, engageant, irrésistible, qui transforme les profondeurs de l’être et engendre les aspirations à se consacrer à Dieu, à se dépenser et à s’offrir totalement à lui. La rédemption que Dieu a accomplie pour nous par le sang de son Fils devient un feu puissant, qui triomphe de la froideur de l’homme, et élève la chaleur de sa foi à un degré tel qu’il souhaiterait être immolé par amour pour Dieu.

Alors que la foi n’était qu’une simple réconciliation entre la volonté de Dieu et celle de l’homme, elle devient, à la lumière de la rédemption et de l’amour sacrificiel, capable d’opérer la fusion des deux volontés.

Ce changement a des répercussions par rapport aux commandements de Dieu et aux lois morales. Ces lois et ces commandements, à l’ombre des exigences de la foi avant la rédemption, représentaient alors en permanence la contradiction entre la volonté de Dieu et la volonté de l’homme, tandis que sous le régime de « la foi opérant par la charité » – c’est-à-dire à la lumière de la rédemption – elles sont devenues « Esprit et Vie » (Jn 6, 63) ; elles ne relèvent plus désormais de la lettre d’une cédule qui nous était contraire (cf. Col 2, 14), elles sont désormais gravées par l’Esprit Saint sur les pages du cœur aimant du croyant, comme une onction de puissance pour une vie nouvelle. Ainsi, le précepte qui menait à la mort, est lui-devenu une puissance de vie intérieure pour l’homme qui a cru au Christ. Et tandis que l’application du commandement selon la lettre était un joug difficile sinon impossible à porter, comme le dit saint Pierre : « … un joug que ni nos pères, ni nous-mêmes n’avons eu la force de porter » (Ac 15, 10), il est devenu, par la grâce, chose possible, aimée et facile, à cause de la foi opérant par l’amour du Christ.

Ecoutons ce que dit à ce propos saint Macaire le Grand :

  1. Il en est de même dans le christianisme, lorsqu’on goûte la grâce de Dieu. Car il est écrit : « Goûtez et voyez comme le Seigneur est bon » (Ps 34, 9). L’expérience de ce goût est une puissante opération de l’Esprit qui s’exerce dans le cœur, avec un sentiment de certitude. Tous ceux qui sont enfants de la lumière et du service de la nouvelle alliance dans le Saint-Esprit n’apprennent rien des hommes. Car « ils sont instruits par Dieu » (Jn 6, 45). La grâce elle-même inscrit dans leur cœur les lois de l’Esprit (Rm 8, 2). Ils ne doivent donc pas tirer leur certitude seulement des Ecritures tracées avec de l’encre (II Co 3, 3), mais la grâce de Dieu écrit sur les tablettes de leur cœur les lois de l’Esprit et les mystères célestes. Le cœur domine et règne sur tout l’organisme corporel, et dès que la grâce s’est emparée des espaces du cœur, elle règne sur tous les membres et toutes les pensées.

  2. Macaire le Grand, Homélies spirituelles, 15, 20 (SO 40, p. 187-188)

Ainsi nous voyons la foi accueillir la rédemption et se transformer en amour réciproque avec Dieu. Il n’est plus demandé une foi en Dieu dont la responsabilité incombe au croyant de façon unilatérale, comme le poids d’un joug de commandements difficiles à porter par peur du châtiment et de la mort ; mais voilà que, par la foi au Christ, l’homme est gratifié des dons de l’amour réciproque avec Dieu, un amour gratuit et libre où il est le bien-aimé du Père : « Car le Père lui-même vous aime, parce que vous m’aimez et que vous croyez que je suis sorti de Dieu » (Jn 16, 27).

Grâce à l’amour de Dieu répandu en nos cœurs par le Saint-Esprit, la foi a acquis de nouvelles capacités tout à fait surprenantes et surnaturelles, car l’homme n’est plus l’homme ancien, mais un être nouveau foncièrement uni de tout son être à la puissante divine.

Ecoutons ce que dit saint Macaire le Grand :

  1. Si donc quelqu’un aime Dieu, celui-ci mêle son propre amour au sien. Une fois que l’homme a cru en lui, il lui donne en plus la foi céleste, et l’homme devient autre. Chaque fois que tu lui offres une partie de toi-même, il mêle à ton âme une part semblable de lui-même, pour que toutes tes actions, ta charité et tes prières soient pures.

  2. Macaire le Grand, Homélies spirituelles, 15, 22 (SO 40, p. 188)

Extrait de « L’expérience de Dieu dans la vie de prière »Père Matta El Maskine

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