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La généalogie de Jésus Christ (Mt 1,1-17)

Le texte (traduction liturgique officielle – cf. aelf.org)

 

 » GENEALOGIE DE JESUS, CHRIST, fils de David, fils d’Abraham.

 

(2) Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères, (3) Juda, de son union avec Thamar, engendra Pharès et Zara, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram, (4) Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naassone, Naassone engendra Salmone, (5) Salmone, de son union avec Rahab, engendra Booz, Booz, de son union avec Ruth, engendra Jobed, Jobed engendra Jessé, (6) Jessé engendra le roi David.

David, de son union avec la femme d’Ourias, engendra Salomon, (7) Salomon engendra Roboam, Roboam engendra Abia, Abia engendra Asa, (8) Asa engendra Josaphat, Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias, (9) Ozias engendra Joatham, Joatham engendra Acaz, Acaz engendra Ézékias, (10) Ézékias engendra Manassé, Manassé engendra Amone, Amone engendra Josias, (11) Josias engendra Jékonias et ses frères à l’époque de l’exil à Babylone.

(12) Après l’exil à Babylone, Jékonias engendra Salathiel, Salathiel engendra Zorobabel, (13) Zorobabel engendra Abioud, Abioud engendra Éliakim, Éliakim engendra Azor, (14) Azor engendra Sadok, Sadok engendra Akim, Akim engendra Élioud, (15) Élioud engendra Éléazar, Éléazar engendra Mattane, Mattane engendra Jacob, (16) Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ.

 

(17) Le nombre total des générations est donc : depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations ; depuis David jusqu’à l’exil à Babylone, quatorze générations ; depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ, quatorze générations.

 

Commentaire

 

« Tel le générique d’un film, une généalogie ouvre l’Evangile, un rien fastidieuse pour le lecteur moderne. Pour les anciens Orientaux, en revanche, les généalogies comptaient beaucoup : elles tenaient lieu d’état civil et inséraient quelqu’un dans le tissu historique et social.

Par ailleurs, les généalogies remontent dans le temps jusqu’où on peut, mais aussi jusqu’où on veut » (Claude Tassin). Et ici, St Matthieu, Juif comme le Christ, nous offre dès le premier verset les deux grandes figures du Peuple d’Israël qu’il veut souligner : Abraham, avec qui et par qui Dieu se fit « un Peuple particulier parmi toutes les nations de la terre » (Dt 7,6), et le roi David à qui il fit la promesse que « son trône sera affermi à jamais » (2Sm 7,16), une promesse fondatrice pour Israël de l’attente du Messie. Toute l’histoire d’Israël est ainsi récapitulée. Le Christ est donc bien celui qui « accomplit » toutes les Ecritures et donne à Israël de réaliser pleinement sa vocation, nous y reviendrons.

L’Evangile de Matthieu commence donc par cette phrase :

     « Généalogie de Jésus, Christ, fils de David, fils d’Abraham ».

En grec :   Βίβλος γενέσεως Ἰησοῦ Χριστοῦ υἱοῦ Δαυὶδ υἱοῦ Ἀβραάμ.

                  Biblos   genéseôs   Iêsou Khristou uiou David uiou Abraam

                 Livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham. 

« Pour les premiers chrétiens de langue grecque, le « livre de la Genèse » était une expression familière, le titre du premier livre de la Bible qui raconte la création » (Claude Tassin). En effet, « GENÈSE » se dit en grec « ΓΕΝΕΣΙΣ, genésis ». St Matthieu y fait donc allusion et suggère ainsi que toute l’œuvre du Christ s’inscrit dans cette dynamique de « création » : avec lui et par lui, Dieu va porter son projet créateur à son terme. Il a créé l’homme « à son image et ressemblance » (Gn 1,26-27)? Il fera en sorte qu’il en soit vraiment ainsi… Dès qu’il a créé l’homme, il l’a béni (Gn 1,28) ? En réconciliant les hommes avec Dieu par le Don surabondant du « pardon des péchés », il fera en sorte qu’ils puissent vraiment accueillir cette bénédiction qui, depuis le tout début de leur existence, leur est déjà donnée…

St Marc et St Jean feront eux aussi allusion à ce Livre de la Genèse mais avec un moyen différent : le premier mot de leur Evangile est le premier mot de la Genèse dans la traduction grecque de la Septante réalisée par la communauté juive d’Alexandrie à partir du troisième siècle avant Jésus Christ :

Gn 1,1 : Ἐν ἀρχῇ ἐποίησεν ὁ θεὸς τὸν οὐρανὸν καὶ τὴν γῆν.

               En arkhê époiêsen o théos ton ouranon   kai tên gên.

              Au commencement  fit      Dieu     le       ciel       et   la   terre.

Mc 1,1 : Ἀρχὴ τοῦ εὐαγγελίου Ἰησοῦ Χριστοῦ υἱοῦ θεοῦ.

              Arkhê tou euangéliou   Iêsou   Khristou uiou théou

              Commencement de l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu.

Jn 1,1 : Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος…

              En arkhê ên o logos…

             Au commencement était le Verbe…

 

« Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut » (Jn 1,3), poursuivra St Jean, évoquant ainsi explicitement la création du monde… Tout a été créé par le Fils, tout sera sauvé par le Fils, ce salut consistant à faire en sorte que l’homme soit vraiment ce que Dieu voulait qu’il soit quand il l’a créé : un enfant vivement pleinement de sa vie… « A tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom » (Jn 1,12). « Pouvoir devenir » pleinement ce qu’ils sont déjà aux yeux de leur Dieu et Père… Pour que cela s’accomplisse vraiment, il suffit de consentir à mettre Dieu dans sa vie, Lui qui est Source de Vie éternelle depuis toujours et pour toujours… « En toi est la Source de vie, par ta lumière, nous voyons la lumière » (Ps 36,10). En enlevant tous les obstacles qui peuvent exister entre Dieu et sa créature, en « enlevant le péché du monde » (Jn 1,29), le Christ rétablira une relation vivante entre Dieu et les hommes, ses enfants, permettant ainsi à ces derniers, dans leur libre consentement à recevoir le Don gratuit de l’Amour, d’être pleinement ce que Dieu voulait qu’ils soient…

« Genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham »… Les grandes étapes de la généalogie qui suivra sont données. Le point de départ sera Abraham, puis, en passant par David, St Matthieu montrera que Jésus est bien « le Christ », un mot qui vient du grec « Χριστός, khristos » qui dérive à son tour du verbe « Χρίω, khriô, oindre » : le Christ est l’Oint du Seigneur, celui qui a reçu l’onction. Le premier Livre de Samuel raconte ainsi l’onction de David : « Jessé envoya chercher » David, le plus jeune de ses fils : « il était roux, avec un beau regard et une belle tournure. Et Yahvé dit : Va, donne-lui l’onction : c’est lui ! Samuel prit la corne d’huile et l’oignit au milieu de ses frères. L’Esprit de Yahvé fondit sur David à partir de ce jour-là et dans la suite » (1Sm 16,12-13). Le nouveau roi était ainsi oint par un prophète : l’huile que l’on versait sur sa tête symbolisait le don de la grâce, le don de l’Esprit, qui allait dorénavant l’aider à régner au mieux sur son Peuple en serviteur du Seigneur…

Et c’est ce même David qui recevra du Seigneur cette promesse : « Quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, j’élèverai ta descendance après toi, celui qui sera issu de tes entrailles, et j’affermirai sa royauté. C’est lui qui bâtira une maison pour mon Nom et j’affermirai pour toujours son trône royal. Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils… Ma fidélité ne s’écartera pas de lui… Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant toi ; ton trône sera affermi à jamais » (2Sm 7,12‑16). Or, après la destruction de Jérusalem en 587 av JC par Nabuchodonosor, roi de Babylone, Israël ne connaîtra quasiment plus de royauté stable. Les Juifs, à l’époque de Jésus, se basaient donc sur cette promesse faite à David pour espérer et espérer encore le retour d’une ère stable où, libérée de tous ses ennemis, et notamment à l’époque de l’occupant romain, Israël pourrait enfin prospérer avec un Roi issu de ses rangs qui appartiendrait à la lignée de David… Alors la promesse du Seigneur serait enfin accomplie…

C’est pourquoi St Matthieu s’attache ici à présenter Jésus comme étant non seulement descendant d’Abraham, et donc Juif, mais encore descendant de David…

L’allusion à Abraham permet aussi de placer tout de suite le Christ dans une perspective d’accomplissement de la vocation d’Israël telle qu’elle fut donnée à Abraham et à ses descendants : « Yahvé dit à Abram : Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction ! Je bénirai ceux qui te béniront, je réprouverai ceux qui te maudiront. Par toi se béniront toutes les familles de la terre » (Gn 12,1-4). La mission d’Abraham avait donc une portée universelle : que « toutes les familles de la terre » puissent accueillir elles aussi la bénédiction qu’il avait lui-même reçue, « je te bénirai », et qui l’avait transformé en bénédiction pour les autres : « Sois une bénédiction »… Telle sera bien la mission du Christ que de révéler à tout homme qu’il est déjà béni : n’est-ce pas ce que Dieu a fait dès qu’il l’a créé (cf. Gn 1,28) ? Qu’il consente donc à l’amour de son Père à son égard et accepte de recevoir pleinement, de tout cœur, ce qui, du côté de Dieu lui est déjà donné… Et cette bénédiction se résume par le Don de l’Esprit Saint, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6), « l’Esprit qui est vie » (Ga 5,25) et qui, reçu, ne peut donc que « donner la vie » (Rm 8,2). Et avec cet Esprit, Dieu ne peut pas nous donner plus puisqu’il nous communique en fin de compte ce qu’il est lui-même de toute éternité : « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Saint » (cf. Lv 19,2 ; 20,26 ; 21,8)… Commencé par une allusion à Abraham et donc à sa mission universelle, l’Evangile de Matthieu se terminera par la mission universelle donnée à l’Eglise, mission dont le premier acteur sera le Christ Ressuscité en Personne : « Jésus dit ces paroles » aux Onze disciples, et à travers eux, à tous ses disciples de tous les temps : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin de l’âge » (Mt 28,18-20).

Notons également que « le nombre total des générations est : depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations ; depuis David jusqu’à l’exil à Babylone, quatorze générations ; depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ, quatorze générations. » Nous avons donc en tout trois fois « quatorze générations ».

Or, le chiffre « trois » dans la Bible renvoie à Dieu en tant qu’il agit. Ainsi, « Yahvé fit qu’il y eut un grand poisson pour engloutir Jonas. Jonas demeura dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits… Yahvé commanda alors au poisson, qui vomit Jonas sur le rivage » (Jon 2,1s). Jonas annonçait ainsi prophétiquement le Christ mis au tombeau, englouti dans les entrailles de la mort pour en sortir, ressuscité, le troisième jour : « Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures » (1Co 15,3-4). St Pierre disait également à ses compatriotes qui avaient contribué, d’une manière ou d’une autre, à ce que Jésus soit crucifié : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et que vous avez renié devant Pilate, alors qu’il était décidé à le relâcher. Mais vous, vous avez chargé le Saint et le Juste; vous avez réclamé la grâce d’un assassin, tandis que vous faisiez mourir le prince de la vie. Dieu l’a ressuscité des morts : nous en sommes témoins… Vous êtes, vous, les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a conclue avec nos pères quand il a dit à Abraham : Et en ta postérité seront bénies toutes les familles de la terre. C’est pour vous d’abord que Dieu a ressuscité son Serviteur et l’a envoyé vous bénir, du moment que chacun de vous se détourne de ses perversités » (Ac 3,13-15.25-26). Et c’est par la puissance de l’Esprit Saint que le Père a ressuscité son Fils avec cette humanité qu’il avait assumée pour notre salut : « Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation, mis à part pour annoncer l’Évangile de Dieu, que d’avance il avait promis par ses prophètes dans les saintes Écritures, concernant son Fils, issu de la lignée de David selon la chair, établi Fils de Dieu avec puissance selon l’Esprit de sainteté, par sa résurrection des morts, Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 1,1-4). Alors, «  si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Rm 8,11). D’où l’invitation du Christ à la fin de l’Evangile selon St Matthieu à recevoir le baptême, et avec lui, le Don de cet Esprit qui est vie, Plénitude de vie…

Le Père a donc « ressuscité » son Fils « le troisième jour », agissant en lui avec la Toute Puissance de son Esprit… Ce chiffre « trois » renvoie donc à « Dieu en tant qu’il agit », et il le fait toujours avec et par le Don de l’Esprit… Que la généalogie de Jésus contienne « trois » fois « quatorze générations » souligne donc la Présence et l’Action de Dieu au cœur de l’histoire humaine… « Dieu a ainsi dirigé l’histoire en vie de l’avènement de son Christ » (Claude Tassin).

De plus, « quatorze » est le résultat de la multiplication de « sept » par « deux ». Or le chiffre « sept » est symbole de plénitude… Avec le Christ et par le Christ, Dieu va donc agir en plénitude dans l’histoire pour tous les hommes de tous les temps… Avec lui et par lui sa volonté s’accomplira. Et quelle est-elle ? St Paul écrit : « Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous » (1Tm 2,3-6). En effet, « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique-Engendré, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,16-17). Telle est la vocation du Christ Jésus : il est « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), et donc « le Sauveur du monde » (Jn 4,42). Avec Lui et par Lui se met en œuvre la Miséricorde infinie de Dieu : aucun mal, aucun péché, aussi énorme soit-il, ne pourra jamais la mettre en échec. Dieu aura toujours le dernier mot… « On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent » (Ste Thérèse de Lisieux). Alors, « digne est l’Agneau égorgé de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la louange », car « il a remporté la victoire »… « En effet tu fus égorgé et tu rachetas pour Dieu, au prix de ton sang, des hommes de toute race, langue, peuple et nation » (Ap 5,5.9.12). Cette dernière expression insiste bien sur l’universalité du salut, et l’auteur le souligne encore en employant quatre mots, le chiffre quatre étant symbole d’universalité (les quatre points cardinaux : le nord, le sud, l’est, l’ouest)… Et il reprendra le tout un peu plus loin : « Après quoi, voici qu’apparut à mes yeux une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue ; debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, des palmes à la main, ils crient d’une voix puissante : Le salut est donné par notre Dieu, qui siège sur le trône, ainsi que par l’Agneau ! » (Ap 7,9-10). « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » ? « Alléluia ! Louez le nom du Seigneur… Louez la bonté du Seigneur, célébrez la douceur de son nom…. Car le Seigneur est grand… Tout ce que veut le Seigneur, il le fait au ciel et sur la terre, dans les mers et jusqu’au fond des abîmes » (Ps 135(134).

Remarquons également, avec Claude Tassin, « qu’outre Marie, quatre autres noms de femmes se glissent dans la généalogie : Thamar dut jouer les prostituées pour obtenir la postérité qui lui était due (Gn 38) ; selon certaines traditions juives, cette femme était une étrangère convertie au vrai Dieu. Rahab, une prostituée cananéenne, fut intégrée au peuple d’Israël (cf. Jos 2,1-21 ; 6,22-25). Ruth, ancêtre de David, était aussi une étrangère, une moabite, modèle de piété et de vertu (cf. Rt 1,16 ; 3,10). La « femme d’Ourias », Bethsabée, femme d’un étranger hittite, devint l’épouse de David » à la suite d’un péché d’adultère (2S 11-12). Le Christ, et avec Lui « le Père des Miséricordes » (2Co 1,3), assument donc toute l’histoire d’Israël, avec ses fidélités et ses infidélités… Dieu aime le monde tel qu’il est pour l’inviter encore et toujours, avec une infinie patience, à partir de « là où il est » pour avancer, changer, se convertir, se repentir, et trouver enfin, grâce à l’Amour Miséricordieux, cette Plénitude de Vie et de Paix, stable, éternelle, solide, à laquelle nous sommes tous appelés…

De plus, écrit encore Claude Tassin, « Matthieu aurait pu choisir de « vraies » aïeules israélites, Sara ou Rébecca. En préférant ces femmes à demi étrangères », il montre ainsi que toute l’histoire d’Israël n’a pu que se déployer « avec » ces peuples étrangers qu’ils côtoyaient et qui appartenaient donc eux aussi, d’une certaine manière, à leur histoire… Qu’Israël ne se replie donc pas sur son élection, en croyant qu’eux seuls sont choisis, élus… Qu’ils n’oublient jamais leur vocation : « Par toi », Israël, « se béniront toutes les familles des nations » (Gn 12,4). Qu’il en soit ainsi, et ce sera l’éternelle fierté d’Israël d’avoir été l’instrument privilégié, en Serviteur du Seigneur, du bonheur éternel de l’humanité tout entière… Quelle vocation ! Alors, « debout ! », Israël, « resplendis ! Car voici ta lumière, et sur toi se lève la gloire du Seigneur. Tandis que les ténèbres s’étendent sur la terre et l’obscurité sur les peuples, sur toi se lève le Seigneur, et sa gloire sur toi paraît. Les nations marcheront à ta lumière et les rois à ta clarté naissante. Lève les yeux aux alentours et regarde : tous sont rassemblés, ils viennent à toi… Alors les nations verront ta justice, et tous les rois ta gloire. Alors on t’appellera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur désignera. Tu seras une couronne de splendeur dans la main du Seigneur, un turban royal dans la main de ton Dieu. On ne te dira plus : Délaissée et de ta terre on ne dira plus : Désolation . Mais on t’appellera : Mon plaisir est en elle et ta terre : Épousée. Car le Seigneur trouvera en toi son plaisir, et ta terre sera épousée. Comme un jeune homme épouse une vierge, ton bâtisseur t’épousera. Et c’est la joie de l’époux au sujet de l’épouse que ton Dieu éprouvera à ton sujet » (Is 60,1-4 ; 62,2-5). Et avec le Christ, « ta terre » a la dimension de la terre tout entière…

Enfin, alors que toute la généalogie avance avec l’expression « untel engendra untel », reprise 39 fois, elle se conclut avec « Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ. » La forme passive ne précise pas « qui » est à l’origine de cet engendrement. St Matthieu le dira plus tard à l’occasion de ce songe où Joseph sera confirmé dans sa vocation à être le père adoptif de Jésus, et en Israël, le fils adoptif avait les mêmes droits que le fils naturel. Jésus sera donc bien « fils de David » par Joseph : « Voici que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1,20-21). En effet, « Jésus » vient de l’hébreu « Yehochoua » ou « Yechoua » qui signifie « le Seigneur sauve »… C’est donc Dieu le Père qui est à l’origine de son engendrement dans le sein de Marie, et cela par la Puissance de l’Esprit Saint. Voilà ce que suggère déjà St Matthieu par cette forme passive « il fut engendré »… St Luc, de son côté, nous rapporte ce dialogue entre Marie et l’Ange Gabriel dans le récit de l’Annonciation : « Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus… Mais Marie dit à l’ange : Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? L’ange lui répondit : L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (cf. Lc 1,26-38)…

Et il en est en fait de l’engendrement du Fils dans l’histoire comme de son engendrement éternel par le Père… En effet, nous disons dans notre Crédo que le Fils est « né du Père avant tous les siècles », c’est-à-dire avant l’apparition du temps, avant ce que les scientifiques appellent le big-bang qui eut lieu entre 13,7 et 13,8 milliards d’années… Nous sommes donc « avant » le temps, et donc dans l’éternité… L’engendrement du Fils par le Père est un acte éternel… Et le Père engendre le Fils en se donnant à Lui, gratuitement, par amour, en tout ce qu’il est… Il est Dieu ? Il lui donne tout ce qui fait qu’il est Dieu, ce par quoi il vit et s’exprime, ce que nous appelons « sa nature divine ». Et le Fils est « Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu ». Il est « Lumière » (1Jn 1,5) ? Il lui donne tout ce qui fait qu’il est Lumière, et le Fils est ainsi « Lumière née de la Lumière », « engendré non pas créé, de même nature que le Père »… Or Jésus dit à la Samaritaine en St Jean : « Dieu est Esprit » (Jn 4,24). Ce seul mot « Esprit » peut donc être employé pour évoquer tout ce que Dieu est en Lui-même, sa nature divine, son « insondable richesse » (Ep 3,8). Alors, si le Père est Esprit, il engendre éternellement le Fils en lui donnant la Plénitude de son Esprit… Et puisque Dieu est Saint, nous pouvons joindre cet adjectif au mot Esprit et parler du Don de l’Esprit Saint : le Père engendre le Fils en se donnant à Lui en tout ce qu’il est, et donc en lui communiquant le Don de l’Esprit Saint… Et c’est par ce même Don déployé dans le sein de la Vierge Marie qu’il engendrera également, avec la libre collaboration de Marie, bien sûr, l’humanité de son Fils… « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1,35) car « ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » (Mt 1,20).

Et puisque l’onction royale renvoyait à ce Don de l’Esprit Saint que le nouveau roi recevait de Dieu, le Fils est donc l’éternel « oint » du Père, l’éternel « Christ », et c’est par ce Don que le Père fait de son Fils « le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs » (Ap 19,16). Comme le dira Jésus lors de sa Passion, « sa royauté ne vient pas de ce monde » (Jn 18,36). Elle est une royauté spirituelle : le règne de la Lumière sur les ténèbres (Jn 1,5), de l’Amour sur la haine (1Jn 4,8.16), de la Paix sur toute forme de violence (Jn 14,27), de la Joie (Jn 15,10), de la Douceur (Mt 11,29)… Et le Fils s’est fait homme pour communiquer ce Don de l’Esprit à tous les hommes : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22)… Quiconque consent à recevoir ce Don gratuit de l’Amour (Rm 6,23) sera alors « Roi » lui aussi, car c’est ce Don accueilli en son cœur qui règnera en lui sur tout ce qui lui est contraire : « Et moi, je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi » (Lc 22,29). Etre chrétien, c’est donc participer par sa foi à l’onction même du Christ. Tel est le grand cadeau qui, petit à petit, doit nous permettre de changer nos vies. « Vivez donc dans la prière, priez sans cesse en tout temps dans l’Esprit », pour accueillir sans cesse ce Don de l’Esprit car « le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ep 6,18 ; 1Th 5,17-22 ; Ga 5,22).

                                                                                                               D. Jacques Fournier

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Fiche SI – 1 – Mt 1,1-17