L’Esprit Saint, qui est-il ?
En entrant aujourd’hui dans le mystère de la Pentecôte, nous nous retrouvons devant cette présence mystérieuse de l’Esprit Saint dont nous croyons qu’elle est le don le plus précieux que Jésus a pu nous faire. Quand Jésus est mort et ressuscité, quand Il accomplit sa Pâque en passant de ce monde au Père, ce qui nous reste de son œuvre, c’est l’Esprit Saint qu’Il nous a donné. A tel point que si nous voulons aujourd’hui, ou si nous pouvons atteindre d’une quelconque façon le mystère de Jésus, retrouver la richesse du mystère de l’Incarnation, du salut qu’Il nous a apporté, nous ne le pouvons que par et dans l’Esprit Saint. Si nous voulons aujourd’hui vivre dans l’Église, dans le peuple des croyants, nous ne le pouvons que par et dans l’Esprit Saint. Si nous voulons entrer en communication avec le Père et laisser se déployer en nous cette vie filiale de fils adoptifs à l’image du Fils qu’Il est de toute éternité, cela ne peut se faire encore que par et dans l’Esprit Saint. Tout ce qui se passe aujourd’hui dans l’Église, tout ce qui se passe dans le monde est l’œuvre de l’Esprit Saint. Vous me direz : nous ne sommes pas beaucoup plus avancés pour autant, nous voulons bien que l’Esprit fasse tout, mais qui est-Il ? Autant il nous est facile -c’est une façon de parler-, pour nos regards d’hommes, d’essayer de percer le mystère de la personne de Jésus au milieu de nous, à cause de sa manifestation dans une chair et dans une existence humaine, autant l’Esprit échappe à notre regard et Il échappe constamment à nos prises. Pourtant, si nous sommes là, si nous prions, si nous acclamons le mystère de la Pentecôte, si nous croyons que nous sommes destinés à voir Dieu un jour, c’est par et dans la puissance de l’Esprit.
Alors, qui est-Il ? Je crois que toute la tradition de la foi dans l’Église a essayé de dire que l’Esprit Saint est le mystère d’amour qui unit le Père et le Fils. Lorsque des humains essaient de réaliser cette communion de l’amour, ce qu’ils se donnent l’un à l’autre, ce n’est jamais tout eux-mêmes. On peut utiliser effectivement l’expression « se donner à quelqu’un », mais ce n’est jamais totalement vrai. On peut donner de son temps, on peut donner de son affection, on peut donner de son savoir, mais chaque fois que nous entrons en communion avec quelqu’un, il nous est impossible, et cela n’a pas de sens, de nous quitter nous-mêmes pour être plus présents à l’autre. Dans le mystère de Dieu, c’est là pour nous quelque chose d’incompréhensible, mais c’est ce que nous croyons, lorsque nous disons que le Père a engendré un Fils, nous disons que tout ce qu’est le Père, Il l’a donné à son Fils. Et lorsque nous entendons la parole de Jésus « Le Fils aime le Père », il ne faut pas la comprendre comme une sorte de mouvement extérieur, mais que tout ce que le Fils a reçu, Il le rend à son Père.
Ainsi donc, dans le mystère de Dieu, tout ce qu’est l’Un, le Père, Il l’a donné à l’Autre, son Fils. C’est ainsi que le Fils est totalement et pleinement Dieu comme le Père. Et l’Esprit ? L’Esprit est le lien même, Il est l’acte même par lequel l’Un se donne à l’Autre. Si bien que l’Esprit est le lien au cœur même de l’amour divin. L’Esprit est Celui qui fait que le Père n’est qu’amour pour le Fils et que le Fils n’est qu’amour pour son Père. C’est pourquoi on l’a appelé l’amour, c’est pourquoi on l’a appelé le lien, c’est pourquoi Il est Celui qui scelle la communion de la Trinité. Toute l’initiative vient du Père. Le Fils a tout reçu du Père, mais l’Esprit est Celui qui scelle divinement l’amour du Père pour le Fils et l’amour du Fils pour son Père. De telle sorte que le mystère de l’Esprit Saint, la personne de l’Esprit c’est le lien, la force même de la communion à l’intérieur de la Trinité.
Et donc, lorsque le Christ a promis à ses disciples qu’Il leur enverrait l’Esprit, que leur a-t-Il promis sinon que, désormais, nous serions liés, par Lui, le Christ au Père, du même lien que Lui-même, le Christ, est uni à son Père ? Voilà le mystère le plus étonnant. Que nous soyons aimés de Dieu, c’est déjà surprenant ! Que nous puissions, d’une manière ou d’une autre, répondre à cet amour de Dieu, c’est encore plus surprenant quand nous nous connaissons ! Mais que l’amour dont nous répondons à l’amour de Dieu soit l’amour même de Dieu, voilà qui est absolument au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer. Car nous n’aimons pas Dieu de n’importe quel amour. Nous aimons Dieu de l’amour dont Il s’aime. Nous sommes « soudés » au mystère de la communion du Père et du Fils par le lien même qui les unit l’Un à l’Autre. Et l’Esprit est la puissance divine d’aimer. Et nous, qui sommes-nous ? Rien. Et pourtant, quand nous aimons Dieu, nous L’aimons de l’amour dont Il s’aime au plus intime de Lui-même, dans le cœur même et le feu brûlant de la Trinité. Et l’Église, c’est cela. C’est pour cela qu’elle ne ressemble à aucune autre association qui peut exister entre les hommes. Il y a des associations d’anciens combattants, ce qui fait que leur amour est commun, c’était par exemple le souvenir de Verdun. Il y a des associations protectrices des animaux, ce qui fait qu’ils s’aiment entre eux, c’est qu’ils aiment les chiens et les chats. Il y a des associations de pêcheurs à la ligne, ce qui les unit, c’est leur amour commun de tirer des poissons en dehors des rivières. Mais l’Église, l’Église n’a aucun lien de ce type. Ce qui nous lie les uns aux autres, c’est l’Esprit Saint, c’est l’amour même de Dieu. Et c’est pour cela que l’Église est une si grande chose. C’est pour cela qu’elle est divine, parce que le lien de communion entre chacun de ses membres, c’est Dieu Lui-même.
Vous comprenez alors à quel point est grand le mystère de l’Église et pourquoi nous considérons habituellement que l’Église est née le jour de la Pentecôte. C’est parce que dans l’humanité, à cause de ce que Jésus avait fait pour nous, il y a désormais, au cœur du monde, des hommes, des femmes, vous et moi, qui ne sont ni meilleurs ni pires que les autres, à peu près aussi médiocres, mais qui croient que l’amour dont nous nous aimons et l’amour dont nous aimons Dieu ne vient pas de nous, mais de Dieu.
Du coup, nous aurions peut-être tendance à penser que si cet amour vient de Dieu, il est tellement grand qu’il anéantit toute forme d’amour que nous pourrions manifester au plan humain. Nous pourrions penser que si cet amour qu’est l’Esprit Saint est si grand, qu’il nous dépasse tellement que nous-mêmes nous n’avons plus rien à faire et qu’au fond, que nous
aimions ou que nous n’aimions pas avec notre liberté et notre cœur humain, cela n’a pas d’importance. C’est tout le contraire car ce qui est extraordinaire dans notre foi chrétienne, c’est qu’à partir du moment où le lien qui nous unit à Dieu et aux autres, c’est l’amour même de Dieu, l’Esprit Saint, le lien qu’il y a au cœur de la Trinité, cet amour divin est capable d’intégrer tout geste d’amour humain, quel qu’il soit, si modeste et si humble qu’il soit, dans la plénitude de cette divinité.
La grâce, ce n’est pas un supplément d’amour humain. Il y a des gens qui croient que la grâce, pardonnez-moi l’expression, c’est comme une couche de beurre ou de confiture sur une tranche de pain, que le surnaturel c’est une sorte de petit supplément, de luxe spirituel pour âme un peu raffinées ayant le sens de la religion. Non, ce n’est pas un supplément, car Dieu n’est pas un supplément. La grâce, c’est le fait que désormais, à partir du moment où l’Esprit Saint habite en nous, dans notre cœur, tout geste par lequel nous aimons, avec notre liberté, avec notre cœur, avec notre corps humain, en étant au service de nos frères, tout geste est comme pris, saisi, intégré à cet amour de Dieu qui vit en nous. Dès lors, l’Église qui est le lieu de la communion dans l’Esprit Saint, qui est ce lieu dans lequel l’Esprit vit au cœur de chacun des croyants personnellement, est capable d’intégrer toutes les formes de l’amour, toutes les richesses de la vie humaine non pas pour leur donner « un supplément », mais pour en faire, au cœur du monde, le signe visible de la présence de Dieu.