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La Pentecôte Messe du jour par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 24 Mai 2015

 

 

Actes des Apôtres 2, 1-11 (« Tous furent remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler « ) 

Dans certains cercles juifs anciens, la Pentecôte commémorait le don de l’Alliance au Sinaï. De cette scène antique, on retrouve le bruit, le vent, le feu (cf. Exode 19, 16-19 ; 20, 18) qui accompagnent ici la venue de l’Esprit Saint. Comme Moïse était monté vers la nuée pour rapporter au peuple la Loi de Dieu, le Christ est monté au Ciel pour nous donner l’Esprit de l’Alliance nouvelle. La tempête du Sinaï avait orchestré le don de la Loi. Le « violent coup de vent » annonce le don de l’Esprit.

  Au Sinaï, selon les légendes juives, Dieu avait proposé les commandements à tous les peuples, dans les diverses langues du monde, mais Israël seul les avait acceptés. Aujourd’hui, Dieu répare cet échec. Partant du phénomène connu du « parler en langues » dans les premières Églises (cf. 1 Corinthiens 14, 2-5), Luc transforme ici l’expérience en un « parler en d’autres * langues ».

  Les auditeurs sont ici des Juifs d’origine et des païens convertis au judaïsme : leur liste comprend douze pays ; à quoi s’ajoutent des Juifs de Rome (centre du monde oblige !) et, pour finir par une pirouette littéraire, les gens des îles, à l’ouest (Crétois), et ceux du désert, à l’est (Arabes). Les douze tribus du peuple de Dieu sont symboliquement de nouveau réunies, avec leurs convertis. La mission chrétienne peut commencer, sous le souffle de l’Esprit de l’alliance nouvelle qui abolit les frontières. 

* Les langues. « Maintenant que l’Église est rassemblée par le Saint-Esprit, c’est son unité qui parle toutes les langues. Par conséquent, si quelqu’un dit à l’un de nous : “Est-ce que tu as reçu le Saint-Esprit, car tu ne parles pas toutes les langues ? ” voici ce qu’il faut répondre : “Parfaitement, je parle toutes les langues. Car je suis dans ce corps du Christ, qui est l’Église, laquelle parle toutes les langues. En effet, par la présence du Saint-Esprit, qu’est-ce que Dieu a voulu manifester, sinon que son Église parlerait toutes les langues ? ” » (Homélie africaine du 6e siècle pour la Pentecôte). 

 

Galates 5, 16-25 (« Le fruit de l’Esprit « ) 

Paul a expliqué aux Galates, d’origine païenne, qu’ils n’avaient pas à suivre la loi juive pour être d’authentiques croyants. Oui, le croyant est libre de toute loi. Mais l’Apôtre s’inquiète : « Que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme » (5, 13). Car le chrétien « vit sous la conduite de l’Esprit ».

  La foi reste une lutte. Il y a « la chair », les tendances égocentriques qui nous asphyxient et nous replient sur nous-mêmes. Il y a « l’esprit », la partie de nous-mêmes qui se laisse gouverner par l’Esprit et nous ouvre aux autres. Nous voici tiraillés entre les deux. L’emprise de la chair nous divise, nous réduit en charpie, en une quinzaine de vices ici énumérés et dont une dizaine concerent les relations à autrui. Ils sont incompatibles avec le bonheur espéré du « royaume de Dieu ». Au contraire, l’Esprit nous unifie. Car son fruit est unique : c’est l’amour, explicité en huit qualités. Ainsi, une meilleure traduction et une meilleure ponctuation seraient celles-ci : Mais le fruit de l’Esprit, c’est l’amour : joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi.

  Et face à l’amour, il n’y a pas de loi qui tienne : « En ces domaines, la Loi n’intervient pas », puisque l’Esprit nous offre, de l’intérieur, ce que la loi, de l’extérieur, ne parvient pas à réaliser. « Car toute la Loi atteint sa perfection dans un seul commandement : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Galates5, 14).

  Qu’on ne s’y trompe pas : c’est l’Esprit qui « nous fait vivre », non des règlements. Et c’est bien plus exigeant. Car, au-delà du permis et du défendu, l’Esprit nous pousse à « crucifier » notre ego pour que le Christ vive en nous (2, 20). 

 

Jean 15, 26-27; 16, 12-15 (« L’Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière « ) 

L’Esprit, Présence dans l’Absence 

Jésus a promis que l’Esprit Saint assisterait les disciples lorsqu’ils devraient défendre leur foi (par exemple en Marc 13, 11). Une chose est de l’entendre, une autre de se le rappeler, le moment venu, c’est-à-dire après le départ de Jésus. C’est après ce départ que Jean et ses disciples rédigent leur évangile. Ils ont approfondi ce que Jésus avait dit au sujet de l’Esprit. Ils s’y sont même repris à plusieurs fois. Ainsi, les deux moitiés de notre page d’évangile proviennent de deux moutures différentes. Mais elles convergent vers ceci : Souvent, parce qu’il est absent, un être aimé prend une place plus grande dans notre vie. De même, Présence de l’Absent, l’Esprit révèle mieux Jésus. Et, par là, le temps de l’Église n’a rien d’inférieur au temps de Jésus, qaund celui-ci cheminait avec les siens sur les routes terrestres.. 

L’Esprit comme Défenseur 

C’est le Christ ressuscité qui parle, déjà « d’auprès du Père », d’où il enverra *le Défenseur. Ces paroles sont écrites en un temps où, après Pâques, les disciples, en raison de leur foi, subissent la persécution de la part de leurs frères juifs. L’Esprit qu’ils reçoivent est leur Défenseur dans ce conflit. On l’appelle « Esprit de vérité », parce qu’il rend témoignage, dans la mémoire des croyants, à la vérité de ce que Jésus a révélé de Dieu en sa personne et dans ses paroles. Plus encore, il confirme que Jésus est « le chemin, la vérité (le vrai chemin) et la vie (qui mène à la vie espérée) » (14, 6). Ainsi fortifiés, les croyants auront le courage de témoigner. L’expression vous qui « êtes avec moi depuis le commencement » inclut ceux qui, bien après l’ascension de Jésus, ont cru en lui et ne veulent pas perdre la foi de leurs commencements dans la foi. 

L’Esprit comme guide vers la Vérité 

Cette seconde partie du texte provient d’un discours ultérieur, en un temps où la persécution s’estompe, mais où la foi des croyants risque de s’affadir.

  « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. » En ces « choses » à venir, ne songeons pas ici aux dogmes ultérieurs de l’Église, mais au tournant de Pâques, recul nécessaire aux croyants pour comprendre réellement Jésus.

  L’Esprit de vérité réalisera en eux ce travail. Il les « acheminera (progressivement) dans la vérité tout entière » relative à la mission et à la personne du Christ. Il n’apportera pas une nouvelle révélation dépassant celle de Jésus, comme certains l’ont voulu croire en certaines périodes de l’histoire de l’Église. Cet Esprit reprendra « ce qu’il aura entendu » de Jésus ; il le « glorifiera », le mettant davantage en lumière dans leur cœur. En même temps, il leur fera connaître « ce qui va venir ». Il ne prédira pas l’avenir, mais, à chaque génération, il nous éclairera sur la vraie manière de comprendre l’événement de Pâques, en des situations nouvelles et imprévues. « Tout ce que possède le Père est à moi », ajoute le texte. Jean a souvent souligné l’unité entre le Père et le Fils. Jésus peut donc dire que l’Esprit du Père est aussi bien le sien. L’Esprit est d’ailleurs caractérisé comme « un autre Défenseur » (Jean 14, 16), l’alter ego de Jésus.

  Selon les Actes (1ère lecture), l’Esprit lance l’Église dans la proclamation universelle de l’Évangile. Selon Paul (2e lecture), l’Esprit nous transforme par le don de l’amour. Jean, lui, traduit une grande confiance dans la capacité des communautés chrétiennes à assumer leur histoire : l’Esprit les guide et les fait aller toujours plus avant dans la découverte de Jésus, au milieu des épreuves.

 

* Le Défenseur ou « Paraclet ». « Jean est le seul à utiliser le mot « Paraclet » pour désigner l’Esprit. C’est la forme passive du verbe parakaléô : celui qui est appelé, celui qui vient au secours, celui qui est témoin de la défense… Au sens actif, c’est l’intercesseur, le médiateur, le consolateur. Dans l’évangile de Jean, le Paraclet est le témoin de Jésus, l’interprète de son message devant ses ennemis, en particulier au procès, le consolateur des disciples, en lieu et place de Jésus, l’enseignant et le guide pour les disciples et donc leur aide » (A. Marchadour, L’Évangile de Jean, p. 196).