Une nouvelle section commence ici avec un enseignement sur la prière. L’entrée en matière est des plus vagues : Jésus est « quelque part » à prier. Mais ses disciples en le regardant prier sont subjugués. Ils pressentent une Beauté, une Vie, une Joie discrète et profonde et ils aimeraient eux aussi vivre ce que Jésus vit… « Seigneur, apprends-nous à prier »… Leur question rejoint son désir : le Fils est en effet venu en ce monde pour donner à tous ceux et celles qui croiront en lui de pouvoir vraiment devenir comme Lui, des fils et des filles de Dieu (Jean 1,11-12), à l’image et ressemblance du Fils Unique (Romains 8,28-30). Ils vivront ainsi avec le Fils une relation semblable à celle que le Fils vit avec son Père (Comparer Jean 8,29 et Matthieu 28,20 ; Jean 14,10-11 et Jean 6,56 ; Jean 1,14 et Jean 1,17 ; Jean 5,19-20 et Jean 15,5 ; Jean 17,8 et Jean 17,20 ; noter aussi tous les « comme », ou les « de même » en Jean 6,57 ; 10,14-15 ; 15,9-10 ; 17,18 ; 17,21). Et puisque le Fils est UN avec le Père, c’est-à-dire uni à Lui dans la communion d’un même Esprit (Jean 4,24), d’une même Lumière (1Jean 1,5), d’un même Amour (1Jean 4,8.16), unis au Fils ils seront eux aussi unis au Père. Regardant le Fils, ils verront la gloire du Père (Jean 14,9 ; 1,14). Ecoutant le Fils, ils écouteront le Père (Jean 12,50)… Le Fils est ainsi le Chemin qui nous mène vers son Père et notre Père (Jean 14,6 ; 20,17), et c’est l’Esprit du Fils, reçu par notre foi au Fils, qui nous pousse à prier comme le Fils et à appeler Dieu : « Abba, Père » (Romains 8,14-17 ; Galates 4,4-7)…
Jésus va donc inviter ses disciples à entrer dans le mystère de sa prière, et pour les guider (Il est le Chemin), il va leur donner les mots justes qui les aideront à se tourner vers le Père en toute vérité. Et l’Esprit de Vérité se joindra toujours à ces Paroles de Vérité pour entraîner ceux et celles qui les reprendront de tout cœur dans un mystère de communion et de Vie avec le Père, en un seul Esprit (Ephésiens 2,18 ; Jean 6,63.68 ; 16,13). Ainsi, grâce à la Présence et à l’œuvre de l’Esprit Saint, les mots cessent de n’être que des mots : ils deviennent « vie », la « vie » des enfants de Dieu qui, à la suite de Jésus, appellent leur Créateur : « Papa » (Marc 14,35-36 ; Matthieu 11,25-27)…
La structure du Notre Père
Deux évangélistes nous ont transmis « la » Prière du Chrétien : St Matthieu (6,9-13) et St Luc (11,1-4). Dans les deux cas, le Notre Père se divise en deux parties. Dans la première, le croyant est invité à se tourner vers Dieu pour souhaiter le plein accomplissement de son projet sur l’humanité tout entière (pronom personnel « ton, ta » ; deux souhaits pour St Luc, trois pour St Matthieu). Dans la seconde, il adresse à Dieu son Père trois demandes pour le bien fondamental de tout homme (pronom personnel « nous »).
Ainsi, « le Notre Père nous apprend à porter d’abord notre regard vers Dieu, vers son Nom, son Règne, sa Volonté, avant de le porter sur notre communauté terrestre. Notre situation concrète et nos véritables besoins ne peuvent être compris que si nous envisageons d’abord notre Père, ses objectifs, son oeuvre » (J. Delorme). Jésus enseigne là, en quelque sorte, toute une pédagogie de la prière : avant de demander à Dieu de combler ses propres besoins, le croyant se met devant Lui dans une attitude d’humble adoration, donnant la priorité à la réalisation du dessein d’amour de Dieu sur le monde »[1].
Matthieu 6,9-14 |
Luc 11,2-4 |
InvocationNotre Père qui est aux cieux,
Trois souhaits1 – que ton Nom soit sanctifié ;(10) 2 – que ton règne vienne ;3 – que ta volonté soit faitesur la terre comme au cielTrois demandes(11) 1 – donne nous aujourd’huinotre pain quotidien,(12) 2 – et remets-nous nos dettescomme nous aussi nous avons remisà nos débiteurs ;(13) 3 – et ne nous introduis pas(traduction littérale) (+) dans la tentation,mais délivre-nous du mal (du Mauvais). |
InvocationPère,
Deux souhaits1 – que ton Nom soit sanctifié ;2 – que ton règne vienne ;
Trois demandes(3) 1 – donne nous chaque journotre pain quotidien(4) 2 – et remets-nous nos péchés car nous-mêmes nous pardonnons aussià tous ceux qui ont une dette envers nous3 – et ne nous introduis pas(traduction littérale) (+) dans la tentation.(+) (Nous verrons plus loin pourquoi il vaut mieux traduire cette expression par : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».)
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Nous remarquons que le « Notre Père » de St Matthieu est plus long que celui de St Luc (cf. texte supplémentaire en italique) : l’invocation initiale est plus solennelle, et des éléments nouveaux apparaissent à la fin de chacune des deux parties. De plus, n’oublions pas que St Matthieu est un Juif qui écrit pour des Juifs, contrairement à St Luc qui, païen, s’adresse à des païens. Or, pour un Juif, Dieu est « le Dieu du Ciel » (Jonas 1,9 ; Psaume 136 (135),25-26 ; Néhémie 1,4-11), « le Dieu qui est au ciel » (Lamentations 3,41 ; Qohélet (Ecclésiaste) 5,1 ; Psaume 123(122),1 ; 1Rois 8,30.32.34.36.39.43.45.49). Il est donc tout à fait normal qu’il l’appelle ainsi. De plus, avec cette Loi qu’il a donnée à Moïse au sommet du Mont Sinaï (Exode 20,1‑17), tout se résume pour Israël à « faire la volonté de Dieu », c’est-à-dire à « garder ses commandements », à les « mettre en pratique » (Deutéronome 4,40 ; 5,29-31 ; 6,1-2). Alors, pour St Matthieu, « que ta volonté soit faite » est un élément incontournable de toute prière.
Toutes ces remarques laissent donc supposer que St Luc nous a transmis la forme primitive du Notre Père, un texte auquel St Matthieu a rajouté méthodiquement à la fin de chacune des deux parties les éléments qui lui sont propres… Nous retrouvons ici un fait constant de la révélation : la Parole que Dieu a voulu nous transmettre par son Fils a été rédigée par des hommes avec le soutien et la lumière de l’Esprit Saint. Ces derniers vivaient à une époque donnée, dans une communauté déterminée, et ils avaient chacun une éducation, une personnalité, une sensibilité différentes… Tous ces éléments se retrouvent dans leurs œuvres vis-à-vis desquelles ils ont agi en vrais auteurs. Mais l’Esprit de Dieu aussi était là, éclairant le tout de sa lumière et faisant en sorte que le message qu’il désirait nous communiquer nous parvienne effectivement… Dieu veut en effet nous associer à son œuvre, et il le fait par le don de cet Esprit qui l’habite en plénitude, Lui et son Fils. Et puisque nous avons tous part à ce même Esprit, que nous pouvons appeler notamment « l’Esprit du Christ », nous formons tous ensemble « le Corps du Christ » (Ephésiens 4,1-6 ; 1Corinthiens 12,12-30), cette communauté de croyants qui essaye de vivre le mieux possible ce mystère de communion avec le Christ qui lui est gratuitement offert, jour après jour, par ce Dieu qui n’est que Miséricorde ! Avec elle et par elle, le Christ ressuscité continue d’annoncer au monde d’aujourd’hui la Bonne Nouvelle du Salut (2Corinthiens 2,14-3,3 ; 13,2-3 ; 1Corinthiens 15,9-10 ; Galates 2,20). Ce regard de foi nous invite à la confiance vis-à-vis de l’Eglise, malgré toutes les imperfections, les faiblesses et les limites de ceux et celles qui la constituent, c’est-à-dire… de nous tous ! Et c’est de cette Eglise « Corps du Christ », que nous avons reçu la Prière du Christ, la prière du Fils qui nous invite à la dire et à la redire à sa suite pour que, tous ensemble, nous devenions avec lui des fils et des filles de Dieu.
Jésus nous invite donc tous à mettre « le Père » à la première place dans notre prière et dans notre vie. C’est vers Lui que doivent se tourner notre regard et notre cœur, car c’est Lui qui nous a tous créés à son image et ressemblance (Genèse 1,26-28), c’est Lui qui nous a fait devenir des êtres vivants en nous donnant d’avoir part à son Souffle de Vie (Genèse 2,4b-7), l’Esprit Saint. Et c’est toujours Lui qui veut faire grandir en chacun d’entre nous cette vie de l’Esprit, la vie des fils et des filles de Dieu (Jean 1,12-13 ; 3,3-8 ; 20,19-23). La perspective est alors universelle, et St Luc y est particulièrement attentif. En effet, si l’expression initiale de St Matthieu, « notre Père », renvoie plus particulièrement à la communauté chrétienne qui se tourne vers Dieu en l’appelant ainsi, celle de St Luc, « Père », plus sobre, plus dépouillée, s’ouvre implicitement à l’humanité tout entière appelée à former une seule et même famille autour de Dieu, son Créateur et Père. Le chrétien apparaît alors comme celui que Dieu appelle par son Fils à vivre pleinement sa vocation d’enfant de Dieu, en communion avec tous ceux et celles qui partagent sa foi en appelant Dieu « Notre Père », et dans un regard de bienveillance et de fraternité vis-à-vis de tous les hommes, ses frères …
La prière du « Notre Père » doit aussi nous rappeler la proximité de Dieu et de son action au cœur de notre vie. Jésus ne cessait de proclamer : « Le Royaume des Cieux est tout proche » (Matthieu 4,17). Et il disait aussi : « Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton père qui est là dans le secret » (Matthieu 6,6). Lorsque nous disons « Notre Père qui est aux cieux », nous nous adressons donc à quelqu’un qui est tout en même temps « tout proche », « dans notre chambre », et « aux cieux ». Ste Thérèse de Lisieux écrivait : « Après tout, cela m’est égal de vivre ou de mourir. Je ne vois pas bien ce que j’aurais de plus après la mort que je n’aie déjà en cette vie. Je verrai le bon Dieu, c’est vrai, mais pour être avec Lui, j’y suis déjà tout à fait sur cette terre. »
En fait, « le ciel » ne désigne pas pour un chrétien un lieu, mais un état, et par suite « une manière d’être »[2]… Il est « l’état » de celui qui s’est ouvert tout entier à l’action réconciliatrice, purificatrice, vivifiante et bienfaisante de Dieu… Grâce à Lui, nos péchés sont pardonnés, et plus rien désormais ne peut nous séparer de son amour manifesté dans le Christ (Romains 8,35-39). Par le baptême, « Dieu nous a arrachés à l’empire des ténèbres et il nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé en qui nous avons la rédemption et le pardon des péchés » (Colossiens 1,13-14)… Car « Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont Il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a fait revivre avec le Christ : c’est bien par grâce que vous êtes sauvés ! Avec lui, Il nous a ressuscités ; avec Lui, il nous a fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jésus » (Ephésiens 2,4-6).
Dans la foi, « le ciel » est donc déjà commencé ici-bas, sur cette terre… Certes, Dieu reste le Tout Autre, l’Insaisissable, l’Incomparable. Mais Il est là, Présent à notre cœur et à notre vie, tout proche de chacun d’entre nous… Lorsque nous prions le « Notre Père » seuls, dans le secret de notre « chambre », nous nous ouvrons à cette Présence, nous consentons à son action, et nous découvrons aussitôt un mystère de Tendresse, de Miséricorde, de Vie et de Paix. Et dans la foi, nous rejoignons tous ceux et celles qui, de par le monde, lui adressent la même prière dans un même mystère de proximité et de communion dans l’Unique Esprit…
De plus, cette prière que le Fils nous a apprise vient en fait du Père Lui-même, car tout ce que dit Jésus est Parole du Père (Jean 17,7-8). Si Dieu, par son Fils, a mis ces mots sur nos lèvres, c’est donc que Lui, le premier, désire que nous l’appelions « Père » car, de son côté, il l’est déjà, de toute éternité, et pour tous. De plus, Il désire aussi que nous nous ouvrions à Lui et à son œuvre car dans son Amour, il veut nous donner notre pain de chaque jour, nous pardonner nos offenses et nous délivrer de tout mal. Mais comme il a un infini respect pour notre liberté – et telle est la logique de l’amour qui ne peut contraindre l’autre à aimer – il nous offre par son Fils ces paroles qui nous font demander ce qu’il veut nous donner. Les reprendre avec confiance sera donc lui dire « Oui ! » comme Marie, un « Oui ! » qui ne pourra que déboucher sur la louange et l’action de grâces face à tous ces bienfaits qui ne pourront que nous combler… Et Dieu sera le premier à être heureux de pouvoir nous communiquer ce qu’il sait être à la source de notre vraie Vie…
Si nous acceptons de nous engager sur le chemin régulier de la prière, nous prendrons mieux conscience de cette réalité, et nous grandirons, jour après jour, dans la confiance en ce Dieu qui est avant tout un Père plein de tendresse et d’amour (Psaume 103(102),1-13 ; Jérémie 3,19 ;31,20 ; Osée 2,20-22 ; Psaume 25(24),4-10 ; 116(114-115),5-12), un Père qui prend soin de chacun de ses enfants (Osée 11,1-4 ; Isaïe 49,13‑16 ; 66,12‑13) et qui désire que leur vie soit la plus belle possible. Appeler Dieu « Notre Père » nous invite ainsi à retrouver un cœur d’enfant (Marc 10,13-16 ; Matthieu 18,1-4) dans la certitude que le Père s’occupe très concrètement de chacun d’entre nous (Matthieu 6,7-8 ; 6,25-34) avec la Toute Puissance de sa Tendresse, de son Amour et de sa Miséricorde.
« Un jour, j’entrai dans la cellule de notre chère petite Sœur (Ste Thérèse de Lisieux) et je fus saisie par son expression de grand recueillement. Elle cousait avec activité et cependant semblait perdue dans une contemplation profonde : « A quoi pensez-vous ? », lui demandai-je. « Je médite le Notre Père », me répondit-elle. « C’est si doux d’appeler le bon Dieu « Notre Père »… » Et des larmes brillèrent dans ses yeux ».
Comme l’écrit le Catéchisme de l’Eglise Catholique, « nous pouvons invoquer Dieu comme « Père » parce qu’Il nous est révélé par son Fils devenu homme et que son Esprit nous Le fait connaître. Ce que l’homme ne peut concevoir ni les puissances angéliques entrevoir, la relation personnelle du Fils vers le Père, voici que l’Esprit du Fils nous y fait participer, nous qui croyons que Jésus est le Christ et que nous sommes nés de Dieu. Quand nous prions le Père, nous sommes en communion avec Lui et avec son Fils Jésus-Christ. C’est alors que nous Le connaissons et le reconnaissons dans un émerveillement toujours nouveau »[3]…
Que ton Nom soit sanctifié…
« Que soit magnifié et sanctifié son grand Nom dans le monde qu’il a créé selon sa volonté » (Prière juive du Qaddish).
Le Nom, dans le langage biblique, renvoie au mystère de la personne qui le porte. Ainsi, dans le Magnificat « Saint est son Nom » (Luc 1,49) signifie « Saint est le Seigneur ».
Quant au mot « saint », il vient, en hébreu, d’un verbe dont le sens premier est « couper, séparer, mettre à part ». Dieu est « saint » en tant qu’Il est « à part » de tout, « séparé » de tout, unique, le seul qui peut pleinement s’appeler « JE SUIS » (Exode 3,13-15), le seul à Etre ce qu’Il Est. Mais attention, parler ainsi ne veut pas dire que le Tout Autre n’est pas aussi le Tout Proche. C’est même justement parce qu’il est le « Tout Autre » qu’il peut aussi être « le Tout Proche », s’occupant particulièrement et en même temps de chacune de ses créatures comme si elle était unique à ses yeux… La notion de sainteté renvoie donc à ce que Dieu Est en Lui‑même, à sa nature divine, à ce qui fait que Dieu est Dieu (Osée 11,9).
Remarquons maintenant que dans l’expression « Que ton Nom soit sanctifié », la forme passive du verbe sanctifier ne précise pas qui est le sujet de l’action. Et nous allons voir, à la lumière de quelques textes de l’Ancien Testament, que le premier à sanctifier le Nom de Dieu est Dieu Lui-même ! Et il le fait en agissant selon ce qu’il Est… Il manifeste alors le mystère de sa Sainteté[4] : une Miséricorde infinie et toute Puissante (Luc 1,49-50). Les bénéficiaires de cette action de Dieu seront alors invités à dire autour d’eux toutes les merveilles que Dieu a faites pour eux, et quel est le « visage de Dieu » qu’ils ont perçu à travers ses œuvres. Ils contribueront ainsi pour leur part à ce que « le Nom de Dieu soit sanctifié »…
Le Dieu Saint va donc commencer par sanctifier son peuple en étant au milieu de lui (Exode 33,12-17) et en lui donnant sa Loi (Exode 20,1-17). Par elle, il désire le maintenir au cœur de son Alliance et l’aider à vivre jour après jour en sa présence… Alors, ils seront son peuple, et Lui sera leur Dieu (Deutéronome 26,16-19)…
Israël, de son côté, « se sanctifiera » en prenant à cœur d’obéir fidèlement aux commandements du Seigneur (Lévitique 20,7-8)… En se sanctifiant, il sanctifiera le Nom de son Dieu aux yeux des nations païennes (Lévitique 22,31-33) qui constateront à quel point le Peuple de Dieu est un Peuple comblé par toutes sortes de bénédictions sur cette terre que le Seigneur lui a donnée (Deutéronome 2,7 ; 7,12-14 ; 11,26-28[5] ; 12,4-7 ; 28,1-14 ; 30,19-20) …
Mais hélas, l’histoire d’Israël, au lieu d’être une « sanctification du Nom de Dieu », sera plutôt une profanation de ce Nom qui est invoqué sur eux… La multitude de leurs infidélités les a conduits à être la risée de toutes les nations… De plus, ils se sont souillés par toutes sortes de pratiques idolâtriques, par lesquelles ils ont renié ouvertement le Nom de leur Dieu à la face du monde… Aussi, plutôt que de rester dans cette Terre Promise que Dieu leur avait donnée, une Terre qui ruisselle de lait et de miel – symbole de l’abondance des dons de Dieu – (Exode 3,8.17), ils ont été dispersés parmi les nations… Mais Dieu annonce qu’il va « sanctifier son Nom » (Ezéchiel 36,22-28), c’est-à-dire manifester le Mystère de sa Sainteté, montrer Qui Il Est… Et que fera-t-il pour cela ? Il ira tout d’abord Lui-même à la recherche de ceux et celles que le péché a égarés, dispersés. Il les prendra un à un (Ezéchiel 34,11-16 ; cf Luc 15,4-7; Jean 14,1-3), il les rassemblera autour de Lui (cf. Jean 11,49-52 ; 17,24) et les ramènera en ce Royaume d’où ils n’auraient jamais dû partir. Puis il répandra sur eux une eau pure et les purifiera de toutes leurs souillures, de toutes leurs ordures… Pas une n’échappera à la Toute Puissance de sa Miséricorde, aussi énorme soit-elle… Il enlèvera « leur cœur de pierre », ce cœur dur et froid, et il leur donnera « un cœur de chair » pour qu’ils soient plus humains les uns envers les autres. Et il leur donnera d’avoir part à « son propre Esprit » qui les gardera dans la fidélité à son Nom…
Tout ceci, il l’accomplira finalement par son Fils Jésus Christ et par l’Esprit Saint qu’il mettra en eux (Jean 14,15-17). Cet Esprit sera « l’eau pure » annoncée par le prophète Ezéchiel (36,22-28) : elle les lavera, les justifiera, les sanctifiera (1Corinthiens 6,9-11) et les guérira petit à petit de leurs blessures (Jérémie 3,22). Elle les fortifiera, les affermira (Ephésiens 3,16 ; 2Timothée 1,7), les invitera à se relever et à changer leurs comportements d’autrefois (Galates 5,25 ; 5,16-24 ; Ephésiens 5,1-11). L’Esprit sera en eux le principe d’une création nouvelle (Tite 3,4-7 ; Jean 3,3-8 ; 2Corinthiens 5,17-21), enfin libre (2Corinthiens 3,17). Sa Présence leur apportera un dynamisme de Vie qui les poussera à un agir nouveau. Mais cette guérison intérieure, œuvre de l’Esprit, demandera du temps, de la patience, et une remise continuelle et incessante de leur vie entre les mains de Sa Miséricorde. Et il faudra accepter, jour après jour, de recommencer et de recommencer encore, en s’appuyant sur cette Présence invisible et bienveillante de l’Esprit toujours offerte à notre foi…
Miséricorde Toute Puissante de Dieu : tel est pour Marie le mystère de sa Sainteté (Luc 1,49-50). Ainsi, lorsque Dieu « sanctifie son Nom », il agit selon son incroyable Miséricorde et manifeste ainsi l’infini de sa Patience, de sa Tendresse et de son Amour. Reconnais que « l’infinie bonté de Dieu, sa patience, sa générosité te poussent au repentir » (Romains 2,4)… Ce désir d’agir pour chacun d’entre nous en mettant en œuvre les inépuisables richesses de sa Miséricorde sont si fortes, que Dieu nous a donné ce qu’il avait de plus cher (Jean 3,16-17; 6,32-33) : son Fils Unique, Celui qui fait sa Joie de toute éternité, cet Astre d’en Haut qui nous a visités « dans les entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Luc 1,76-79). Tout, dans sa vie, ne fut que manifestation, en actes et en Paroles, de la Miséricorde de Dieu qui n’a qu’un seul désir : notre guérison profonde, notre retour des ténèbres à son admirable Lumière (Jean 12,46), de l’esclavage du péché à la liberté d’une vie en sa Présence (Jean 8,31-36 ; Luc 1,68-75 ; Ephésiens 1,3-6).
Et puisque ce désir de notre salut est le désir premier qui habite le cœur de Dieu, son vœu le plus cher, le Père va mettre en notre bouche par son Fils les Paroles qui susciteront en nous le désir de nous ouvrir à son action, et de découvrir ainsi grâce à elle et par elle « Qui » Il Est : Miséricorde et Bonté infinie… Alors répondons à son attente, et prions avec ses mots à Lui. « Que ton Nom soit sanctifié », c’est-à-dire que tous les hommes découvrent vraiment « Qui » tu Es, en faisant l’expérience au plus profond d’eux-mêmes de ta Miséricorde et de ta Tendresse… Et si nous acceptons de recevoir jour après jour ce pardon gratuit qui nous relève, nous arrache à nos ténèbres et nous transfère auprès de Lui dans sa Lumière et dans sa Paix, alors notre vie tout entière changera, de pardon en pardon. Et nous serons heureux de pouvoir offrir à notre tour autour de nous, pour en avoir bénéficié tant et tant de fois, un pardon qui relève et redonne l’espérance et la joie, la joie de Vivre … Nous voudrons pour les autres ce que nous avons nous-mêmes vécu (1Timothée 1,12-17). Nous deviendrons des artisans de Miséricorde et de Paix (Matthieu 5,7-9).
Que ton Règne vienne
Cette seconde demande rejoint en fait la précédente, car Dieu ne peut qu’agir selon ce qu’Il Est. Or Il n’Est qu’Amour, Miséricorde, Tendresse et Paix. Lorsque nous disons « Que ton Règne vienne », nous souhaitons que « l’Amour, la Miséricorde, la Tendresse et la Paix de Dieu règnent au cœur des hommes ». Si tel est le cas, ils seront les premiers à en être profondément heureux. Mais pour qu’il en soit vraiment ainsi, il faudra qu’ils se fassent « pauvres de cœur » et qu’ils acceptent de recevoir gratuitement les dons de Dieu que nul ne mérite (Matthieu 5,3)… Et si vraiment Dieu règne en leur cœur, son Amour règnera sur la haine (Ephésiens 2,13-18), sa Douceur et sa Paix sur la violence (Matthieu 11,29 ; 2Corinthiens 10,1 ; Galates 5,22-23 et donc Ephésiens 4,26 ; Galates 6,1-2 ; Ephésiens 4,1-6 ; Colossiens 3,12-15 et enfin Matthieu 5,4 !), sa Vérité sur le Mensonge (Jean 14,6 ; 14,15-17 et grâce à lui, ce qui est vrai du Christ sera aussi vrai pour chacun d’entre nous : Jean 14,30 ; 8,44 avec 12,31 ; Ephésiens 4,25), sa Justice sur l’injustice (Romains 3,21-26)… Et petit à petit, ceux et celles qui s’ouvriront à cette action de Dieu dans leur vie deviendront plus humains, plus doux, plus vrais, plus justes… Et la vie en ce monde sera moins difficile et plus belle pour tous, en attendant cette Jérusalem d’en haut où il n’y aura plus du tout cette fois « de pleurs, de cris, de peines, car l’ancien monde s’en sera allé » (Apocalypse 21,1-4)…
Ce « Règne de Dieu » s’est concrètement manifesté dans l’histoire d’Israël à l’occasion de la catastrophe nationale que fut, en 587 avant JC, la défaite face à Nabuchodonosor, Roi de Babylone. Le prophète Jérémie avait pourtant prévenu, de la part de Dieu, qu’il ne fallait pas chercher à lui résister. On l’avait alors accusé de trahison, de collaboration avec l’ennemi, pour ensuite le persécuter… Aussi, lorsque beaucoup d’entre les Israélites se retrouvèrent déportés à Babylone, ils regrettèrent amèrement leur désobéissance (cf Psaume 137(136)) : tout ce qu’ils vivaient n’était en fait que la conséquence de leurs fautes (Jérémie 3,25 ; 14,7-9 ; 14,20‑22). Et maintenant que le Temple était détruit, les fils du roi assassinés et le pays anéanti, leur espérance aussi était morte… Mais Dieu ne va pas les abandonner … Dans leur souffrance, dont ils sont pourtant responsables, il va leur envoyer ses prophètes pour qu’ils leur adressent de sa part des paroles de consolation : « Consolez, consolez mon peuple, dit le Seigneur, parlez au cœur de Jérusalem » (Cette dernière expression appartient au langage de l’amour : cf. Genèse 34,1‑3). Et si autrefois il fallait acheter tel ou tel animal et l’offrir en sacrifice pour recevoir le pardon (cf. Lévitique 4-5), Isaïe est chargé d’annoncer au Peuple « qu’ils ont reçu de la main du Seigneur deux fois le prix » qu’il aurait fallu débourser pour toutes « leurs fautes » : Dieu leur offre donc son pardon en surabondance… St Paul dira beaucoup plus tard la même chose : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Romains 5,20). De plus, Isaïe affirme que Dieu en Personne va venir et il sauvera son Peuple de la main de ses ennemis. En ce jour-là, « Il portera les agneaux sur son cœur et conduira doucement les brebis mères ». Il ramènera tout son troupeau sur sa terre (Isaïe 40,1-11 ; 41,8-14 ; 43,1-7)… Les messagers doivent donc crier la Bonne Nouvelle : « Voici votre Dieu ! » (Isaïe 40,9), « Ton Dieu règne ! ». Et cette dernière expression est synonyme en Isaïe 52,7-12 de « paix », de « bonté » (TOB), de « salut », de « joie », « d’acclamation » (TOB), de « consolation », de « réconfort » (TOB), et de Présence de Dieu au milieu de son Peuple pour « marcher à sa tête » et être tout en même temps « son arrière-garde ». Il veut en effet les conduire du pays de l’esclavage, de l’oppression et de la souffrance en ce pays où Il sera pour eux « Source d’Eau Vive » (Jérémie 2,13 ; Isaïe 41,17‑18), de Paix et de Joie (Isaïe 54,10 ; 55,12 ; 57,18-19 ; 66,12-13).
Jean-Baptiste se présentera, dans tous les Evangiles, en reprenant les premières paroles du chapitre 40 d’Isaïe : il est « la Voix de celui qui crie dans la désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers » (Matthieu 3,3 ; Marc 1,3 ; Luc 3,4-6 ; Jean 1,23). Avec cette citation, il renvoie à tout le contexte de ce chapitre d’Isaïe : le temps de la consolation est arrivé pour tous les pécheurs que nous sommes. En Jésus-Christ, Dieu Lui-même vient marcher au milieu de nous pour nous proposer le Règne de sa Miséricorde, de son Pardon, de sa Tendresse et de sa Paix. Avec et par son Fils, il se fera notre Bon Pasteur pour que nous tous, brebis égarées, nous puissions retrouver avec Lui le chemin qui conduit à la Maison du Père (Luc 15,4-7 ; Jean 10,11‑15 ; 14,1-6).
« Convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche ». Telles sont, de fait, les toutes premières paroles de Jean-Baptiste dans l’Evangile de Matthieu (3,1-2). Et en St Marc, celles de Jésus sont : « Les temps sont accomplis : le Règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (1,15). En effet, « le Verbe s’est fait chair » (Jean 1,14). Par son Incarnation, le Fils nous a rejoints dans notre condition humaine, et puisqu’il vit de toute éternité uni à son Père dans la communion d’un même Amour, avec Lui et par Lui, Dieu le Père s’offre à chacun d’entre nous pour que sa Lumière règne sur nos ténèbres, et sa Vie dans notre vie… Alors, grâce à Jésus dont le nom signifie « Dieu sauve », il nous sera donné de participer à ce que le Fils vit en Plénitude (Colossiens 2,9). Lui-même est en effet l’exemple parfait d’un homme vivant pleinement les mystères du Royaume, c’est-à-dire une vie en communion avec Dieu dans l’unité de l’Esprit. Avec Lui et par Lui, nous découvrons ce qu’est le Règne de Dieu pour y entrer à notre tour par le « Oui ! » de notre foi : « nous avons libre accès auprès du Père en un seul Esprit » (Ephésiens 2,18 ; 1Jean 1,1-4)…
Lorsque Jésus, en St Luc, commencera son ministère public, il présentera son programme d’action en citant à nouveau le prophète Isaïe : « L’Esprit du seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur » (Luc 4,18-19). Et tout ceci sera résumé un peu plus loin par la seule formule de « l’annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu » (Luc 4,43). Cette Bonne Nouvelle est donc avant tout celle du Règne inconditionnel, illimité et toujours offert de la Miséricorde sur nos misères qui nous emprisonnent, nous rendent esclaves, nous oppriment, nous aveuglent et nous défigurent… Mais par l’Amour et le Pardon de Dieu offerts gratuitement en Jésus-Christ, tous les captifs et les opprimés que nous sommes sont appelés à faire dès maintenant l’expérience de la vraie liberté (Jean 8,31-36), une expérience qui est synonyme de Plénitude de Vie… Puissions-nous tous accueillir de tout cœur cette Bonne Nouvelle, et jour après jour, le Christ se fera le compagnon de nos luttes pour nous aider à demeurer en cette liberté, grâce à son soutien, à son pardon et à la force de son Esprit (Galates 5,1 ; Romains 6,1-14 ; 8,13)…
Et tous les signes accomplis par le Christ dans les Evangiles ne sont destinés qu’à nous aider à croire que le Règne de Dieu est vraiment arrivé jusqu’à nous : « Si c’est par l’Esprit de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Matthieu 12,28 ; Jean 10,36-38). Avec le Fils de Dieu présent au milieu des hommes, la Lumière de Celui qui n’est que Lumière (1Jean 1,5) est déjà à l’œuvre, et c’est elle qui chassera toutes nos ténèbres (Jean 1,5 ; 12,46). Elle s’est révélée en plénitude sur le visage du Christ Transfiguré (Matthieu 17,1-2), et au Jour de sa Résurrection (Actes 9,3-6 ; 22,6-9 ; 26,12-15). Maintenant, dans la foi, elle frappe à la porte de nos cœurs (Apocalypse 3,20 avec Jean 8,12), notamment par la Parole de Vie que proclame l’Eglise (2Pierre 1,19 avec Luc 1,78‑79), une Parole à laquelle se joint toujours l’Esprit Saint pour lui rendre témoignage (Jean 15,26) en illuminant les cœurs par sa Présence (Ephésiens 1,17-19). Et sa Lumière est Vie (Jean 8,12)…
Le Règne de Dieu est donc déjà là, tout proche, offert à notre foi, mais il doit encore venir dans le cœur de tous ceux et celles qui ne l’ont pas encore accueilli. Il doit aussi venir dans nos cœurs pour éclairer toutes ces zones d’ombre qui nous habitent encore. Alors, il viendra aussi très concrètement dans ce monde par les actes que poseront tous ceux et celles qui lui auront ouvert leur cœur… Il viendra enfin en Plénitude, lorsque le Christ Ressuscité reviendra au dernier Jour pour l’établir de façon définitive. Alors, la Communion sera parfaite, communion avec Dieu et communion entre les hommes en un unique Esprit (Ephésiens 4,1-6 ; 2Corinthiens 13,13). Dieu sera tout en tous (1Corinthiens 15,24-28), et toute l’humanité sauvée, nous l’espérons, pourra lui rendre grâce pour ce Royaume des Cieux qui est « justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Romains 14,17).
Mais pour l’instant nous ne pouvons que prier pour que ce Royaume déjà présent, déjà offert à notre foi, soit accueilli encore et encore, qu’il grandisse dans les cœurs de ceux et celles qui ont commencé à le recevoir, que tous puissent enfin en bénéficier… « Que ton Règne vienne », « Viens, Seigneur Jésus » (Apocalypse 22,20)…
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel
Nous retrouvons, avec ce troisième souhait propre à St Matthieu, un trait caractéristique de sa culture juive. Pour un Juif en effet, la religion est avant tout un « faire » ou un « ne pas faire », en accord avec la Loi que Dieu a donnée à Moïse. Dans ce contexte, « que ta volonté soit faite » vise avant tout l’agir de l’homme en accord avec la volonté de Dieu exprimée par la Loi.
Mais dans l’Evangile, St Matthieu n’utilise pas ici ce verbe « faire » qu’il connaît pourtant si bien. Il écrit littéralement « qu’advienne ta volonté », un verbe repris dans toutes les expressions où Jésus répond à ceux et celles qui le prient : « Qu’il t’advienne selon ta foi » (Matthieu 8,13 ; 9,29 ; 15,28). Nous le retrouvons aussi dans la prière qu’il adresse à son Père juste avant sa Passion : « Si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, qu’advienne ta volonté » (Matthieu 26,42), une expression strictement identique à celle du « notre Père ». Jésus nous invite donc vraiment à prier comme lui-même priait… Et l’emploi de ce verbe « advenir » suggère, dans tous les textes cités, une action non pas des hommes mais de Dieu… « Qu’il advienne selon ta foi », et Dieu agira pour qu’il en soit effectivement ainsi : le fils du centurion sera guéri, les aveugles verront et la fille de la Cananéenne sera délivrée du mal… L’expression du Notre Père, « que ta volonté advienne », peut donc aussi être interprétée comme précédemment : que Dieu Lui‑même agisse de telle sorte que sa volonté puisse vraiment se réaliser dans notre monde… Et la TOB traduira de fait : « Que ta volonté se réalise ! » Et quelle est la volonté de Dieu ? St Paul y répond clairement : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Timothée 2,3-6). Et déjà, de son côté, il a agi avec son Fils et par Lui : « tout est accompli » (Jean 19,30), c’est-à-dire, comme l’explique la Bible de Jérusalem en note : « L’œuvre du Père, telle qu’elle était annoncée par l’Ecriture : le salut du monde par le sacrifice du Christ ».
Ainsi, « le salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le trône, et par l’Agneau » (Apocalypse 7,10 ; 21,6 ; Ephésiens 2,4-10). Il reste maintenant, du côté des hommes, à l’accueillir, à y croire et à le mettre en œuvre… Et tout ceci sera encore le résultat d’une initiative gratuite de Dieu qui, par l’action de l’Esprit Saint, attire les hommes à son Fils (Jean 6,44.65), leur donne de croire en Lui (1Corinthiens 12,3), et les soutient jour après jour pour qu’ils puissent emprunter le bon chemin (Galates 5,22-25). Comme le disait St Bernard, il suffit de consentir à cette action pour être sauvé, de se laisser faire, de s’abandonner activement entre ses mains en collaborant le mieux possible à son œuvre…
Nous constatons donc combien ce troisième souhait, « que ta volonté soit faite », rejoint les deux précédents. Le projet de Dieu de sauver tous les hommes par son Fils, se réalisera en effet dans la mesure où « son Nom sera sanctifié », c’est-à-dire dans la mesure où, grâce à son action, tous comprendront, en l’expérimentant par eux-mêmes, que le Dieu Saint est un Dieu de Miséricorde et de Tendresse, dont la Bienveillance nous entoure sans cesse. Alors grâce à son Pardon offert continuellement en Jésus-Christ, « son Règne » de Paix, de Lumière et de Vie pourra enfin « venir sur la terre comme au ciel », et sa volonté de salut s’accomplir…
Cette volonté universelle de salut apparaît également dans la parabole de la brebis perdue à laquelle St Matthieu donne comme conclusion : « Ainsi, on ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu’un seul de ces petits se perde » (Matthieu 18,14). Et chez lui, la figure du « petit » renvoie tout d’abord à celle du « petit enfant » que Jésus donne en exemple à tous ses disciples : « En vérité, je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux »(Matthieu 18,1-4 ; 19,13-15). Si tel est le cas, ils seront alors « ces petits qui croient en moi » (Matthieu 18,6 ; Jean 13,33 ; 1Jean 2,1.12.14.18.28 ; 3,7.18 ; 4,4 ; 5,21 ; Galates 4,19). Le Christ Lui-même se compare d’ailleurs à « un petit enfant » (Matthieu 18,5). Et puisque nous sommes tous appelés à reproduire l’Image du Fils (Romains 8,28-30 ; Genèse 1,26-27), Dieu nous regarde tous comme ses enfants, et il nous appelle tous à devenir, par la foi en son Fils, ce que nous sommes déjà à ses yeux (Jean 1,12)…
Dieu ne veut donc pas qu’un seul de ses petits se perdent… La portée de ce texte est universelle, et elle rejoint ce que St Jean affirme au début de son Evangile : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils Unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jean 3,16-17). Dieu a donc donné à son Fils le monde à sauver, et le Christ ira jusqu’au don de sa vie pour que la volonté de son Père se réalise… « Tout ce que me donne le Père viendra à moi, et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors ; car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or c’est la volonté de celui qui m’a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour. Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour » (Jean 6,37-40).
Le Père a donc donné au Fils le monde à sauver, et le Christ se donnera tout entier pour qu’il en soit ainsi (Jean 4,34 ; 14,30-31). Si la volonté de Dieu est notre salut, et si le Christ est le seul et unique Sauveur du monde (Jean 4,42 ; Actes 4,8-12 ; 1Timothée 2,3-6), la volonté de Dieu pour chacun d’entre nous sera donc aussi que nous croyons en celui qu’il a envoyé dans le monde pour notre salut : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » demandait-on à Jésus, tout en sachant qu’à l’époque, « travailler aux œuvres de Dieu » c’était avant tout mettre en pratique la Loi donnée par Moïse, et accomplir ainsi la volonté de Dieu. Et Jésus répondra : la première volonté de Dieu que vous avez à mettre en œuvre, « l’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé » (Jean 6,29)…
Mais « comment croire en Lui si personne ne nous l’a annoncé », dira St Paul en repartant de cette volonté universelle de salut qui habite le cœur de Dieu : « Il n’y a pas en effet de distinction entre Juif et Grec[6] : tous ont le même Seigneur, riche envers tous ceux qui l’invoquent. En effet, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Mais comment l’invoquer sans d’abord croire en lui ? Et comment croire sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? Et comment prêcher sans être d’abord envoyé ? selon le mot de l’Écriture : Qu’ils sont beaux les pieds des messagers de bonnes nouvelles ! » (Romains 10,12‑15).
La volonté de Dieu est donc que nous croyons en son Fils venu en ce monde nous offrir le salut, et que ce salut puisse s’épanouir dans toutes les dimensions de notre vie. Et en accueillant vraiment l’Amour de Dieu qui nous pardonne toutes nos fautes, cet Amour nous poussera aussi à nous aimer les uns les autres comme il nous aime, ce qui est là encore, sa volonté (Romains 5,5 ; Galates 5,22 ; Jean 14,12 ; 1Jean 4,7-14). Mais dès que nous aurons découvert en Jésus Christ l’Unique Sauveur du monde, nous aurons aussi à accomplir la volonté de Dieu en collaborant, là où nous sommes, à l’accomplissement de sa volonté : que tous les hommes soient sauvés. Et c’est ainsi que les dernières paroles du Christ ressuscité à ses disciples seront : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28,18‑20). Et de même en St Marc : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné » (Marc 16,15-16), non pas parce que Dieu l’aura condamné, lui qui ne condamne personne (Jean 5,22 ; Romains 8,31-39 ; 1Jean 2,1-2 ; 3,18-20), mais parce qu’en refusant de croire en Celui-là seul qui pouvait le sauver, il s’est condamné lui-même (Jean 3,18)… Mais nous avons toujours l’espoir que cette situation ne sera que temporaire : le Christ ressuscité, le Bon Pasteur, cherche en effet sa brebis perdue « jusqu’à ce qu’il la retrouve » (Luc 15,4), et il est hors de question pour lui d’abandonner sa recherche tant qu’il ne l’aura pas effectivement retrouvée… Ainsi, si par malheur quelqu’un refuse de croire au Christ, ce dernier, de son côté, ne cessera de le chercher…
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour
« Le pain constituait l’aliment de base au temps de Jésus »[7]. Ce que nos traductions expriment souvent par « prendre son repas », se dit en effet dans le grec des Evangiles : « manger du pain » (Matthieu 15,1-2 ; Luc 14,1.15 ; Marc 3,20 ; cf. Luc 11,5-6). « Le pain » est donc habituellement synonyme de « nourriture » qui permet de prendre son « repas »…
La prière du « Notre Père » met donc dans la bouche du disciple une demande concernant la nourriture quotidienne nécessaire à sa vie… Par l’intermédiaire de Jésus, le Père nous invite à le prier ainsi car Lui, l’auteur de toute vie, sait bien ce qui est nécessaire à notre vie. Et son premier désir est que cette vie, qu’il a voulue et créée telle qu’elle existe, puisse s’épanouir le mieux possible sur la base de ce dont elle a naturellement besoin[8]… C’est ainsi que le Peuple d’Israël, conduit par Dieu au désert, recevait de lui chaque jour la manne dont ils avaient besoin pour vivre (Exode 16). Et pour leur apprendre la confiance envers Celui qui venait de les libérer de l’oppression des Egyptiens et qui les accompagnait sans cesse, il leur était interdit de mettre de la manne de côté pour le lendemain (Exode 16,19) : Dieu s’engageait à leur donner chaque jour « le pain » dont ils avaient besoin. ..
En priant le Notre Père, et en demandant à Dieu « le pain de ce jour », nous sommes invités aujourd’hui à la même confiance. Dieu est toujours présent à notre vie (cf. Matthieu 6,6 ; 28,20 ; Jean 14,16), il nous accompagne sans cesse, et il œuvre pour que chacun d’entre nous puisse atteindre la Plénitude de Vie à laquelle nous sommes tous appelés. Et il s’occupe très concrètement de nous, jusques dans les moindres détails de notre vie quotidienne (Matthieu 6,25‑34 ; 7,7-11). Jésus, lui qui n’avait pas même une pierre où reposer sa tête (Matthieu 8,20) et qui s’abandonnait jour après jour entre les mains du Père, nous invite au même regard de foi et à la même confiance envers ce Père du ciel qui sait de quoi nous avons vraiment besoin avant même que nous le lui ayons demandé (cf. contexte du « Notre Père« , Matthieu 6,8). Notre première préoccupation devrait être alors de « chercher le Royaume des Cieux et sa justice », c’est-à-dire de chercher à vivre en Présence de ce Dieu qui de toute façon est déjà là, et d’essayer de faire en sorte que notre vie lui soit agréable. Et elle le sera dans la mesure où nous apprendrons à rejeter le mal pour choisir le bien (Isaïe 1,16), et trouver ainsi le chemin de la vraie Paix, de la vraie Joie, de la vraie Vie… Nous en serons alors les premiers bénéficiaires !
Si nous vivons dans cette confiance, nous trouverons le repos et la paix même au cœur des épreuves les plus dures… « On éprouve une si grande paix d’être absolument pauvre, de ne compter que sur le bon Dieu », disait Ste Thérèse de Lisieux. Et le Catéchisme de l’Eglise catholique écrit de son côté : « Jésus insiste sur cette confiance filiale qui coopère à la Providence du Père. Il ne nous engage à aucune passivité, mais veut nous libérer de toute inquiétude entretenue et de toute préoccupation » (cf. Philippiens 4,6-7). Dieu est bon, « au-delà de toute bonté ». Cette bonté est un fait : si nous sommes à Dieu, Lui de son côté désire « être à nous, et pour nous »[9]. ‘Coopérer à la Providence du Père’, sera donc d’abord s’abandonner à elle le plus possible vis-à-vis de notre propre vie, dans la foi et la confiance. Puis, dans l’assurance que Dieu veille effectivement sur chacun d’entre nous, ce sera aussi travailler à la faire connaître pour que le plus de monde possible puisse trouver la Paix du cœur en vivant dans cette confiance (Matthieu 11,28-30). Enfin, nous collaborerons à cette Providence divine en entrant dans cette dynamique d’amour et de partage à laquelle Dieu nous appelle. Alors, avec nous et par nous, « notre Père qui est aux cieux » fera en sorte que tous, sur cette terre, puissent recevoir « le pain de ce jour »…
Cette demande du « Notre Père » peut aussi être interprétée en termes de « nourriture spirituelle ». Jésus, en effet, s’est présenté Lui-même comme étant le vrai Pain que Dieu nous donne : « En vérité, en vérité, je vous le dis, non, ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain qui vient du ciel ; mais c’est mon Père qui vous donne le pain qui vient du ciel, le vrai ; car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde » (Jean 6,32-33). Et juste après, Jésus se présentera comme étant « le Pain de Vie » par sa Parole, une Parole qu’il s’agit d’accueillir avec foi (Jean 6,35-47). L’Esprit Saint, qui se joint toujours à elle, nous apportera avec elle la Vie de Dieu, et nous découvrirons comme St Pierre que Jésus a effectivement « les Paroles de la Vie éternelle » (Jean 6,63), des Paroles qui nous ouvrent à l’expérience de la Vie éternelle, dès maintenant, dans la foi… Mais Jésus s’est aussi présenté comme étant « le Pain de Vie » par sa chair offerte (Jean 6,48-58) et il visait directement en cet instant le Pain Eucharistique : « Prenez et mangez, ceci est mon Corps » (Luc 22,19-20). Et là encore, c’est l’Esprit Saint qui communiquera la Vie de Dieu à quiconque aura répondu avec foi à l’invitation de Jésus de venir manger sa chair : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi ». Et Jésus précisera juste après : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » (Jean 6,53-54.63)…
Mais pour que Dieu nous donne chaque jour notre Pain de Vie de ce jour, l’Eglise a besoin de prêtres. La prière du Notre Père rejoindra alors cette invitation de Jésus : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson » (Matthieu 9,37-38 ; Luc 10,2), et notamment des prêtres pour que le Peuple de Dieu ne manque jamais de ce Pain de Vie dont il a besoin…
Pardonne-nous nos offenses,
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés…
Nous pouvons être surpris par la tournure de la phrase : Dieu prendrait-il exemple sur nous pour « pardonner comme nous, nous pardonnons » ? Si tel était le cas, nous pourrions vraiment vivre dans la crainte et l’angoisse vis-à-vis du pardon de nos offenses… Mais non, Jésus emploie ici un langage pédagogique pour nous montrer l’importance de tous ces pardons que nous pouvons décider d’offrir ou non…
Dieu, de son côté, est « Amour » (1Jean 4,8.16). Il ne sait qu’aimer, et l’Amour face au péché ne peut que prendre le visage de la Miséricorde (Deutéronome 4,30-31 ; 1Chronique 21,13 ; 2Chroniques 7,14 ; Isaïe 63,7 ; Jérémie 3,12) et du Pardon (Nombres 14,19-20 ; 2Samuel 12,13 ; Isaïe 55,7 ; Jérémie 31,34 ; 33,8 ; 50,20 ; Ezéchiel 16,62-63 ; Michée 7,18 ; Daniel 9,9.15-19 ; Psaume 32(31),5 ; 86(85),5 ; 103(102),1-13 ; 130(129),3-4). Telle est la Bonne Nouvelle que le Christ a proclamée jusqu’en ses derniers instants sur la Croix (Luc 23,34), et que l’Eglise doit à son tour annoncer jusqu’aux extrémités de la terre (Marc 5,19 ; Luc 24,46-48 ; Romains 9,16 ; 11,32 ; Ephésiens 2,4-10 ; 4,32 ; Colossiens 2,13 ; 3,13 ; 1Timothée 1,16 ; Tite 3,4-7 ; Hébreux 4,16 ; 1Jean 1,9 ; 1Pierre 1,3‑7 ; 2,10 ; Jude 1,21 ; Jacques 5,11).
Pour l’illustrer, St Matthieu nous rapporte la parabole du débiteur impitoyable (Matthieu 18,23-35). Un Roi, qui renvoie ici à Dieu, avait un serviteur (nous tous…) qui lui devait 10.000 talents, soit environ 10 millions d’Euros, une somme folle à cette époque comme à la nôtre ! L’impôt que devait payer chaque année la Judée à l’Empire romain était en effet de 600 talents ! Ce serviteur est totalement inconscient de son état : il demande à son roi de patienter et il lui promet de tout rembourser, ce qui est matériellement impossible… Mais devant sa détresse, le Roi va être bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même : il comprend sa souffrance et son désarroi, et il va agir non pas selon la froide mathématique des comptes, mais selon l’amour qui remplit son cœur : il va effacer gratuitement la dette de son serviteur… Il est fou ? Non, il aime… Le Christ, en exagérant le montant de cette dette, voulait mettre en lumière la profondeur inimaginable de la Miséricorde de Dieu. Pour Lui tout est vraiment possible (Matthieu 19,26)… Ste Thérèse de Lisieux l’avait bien perçu : « On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent ».
Mais ce serviteur, libéré du poids de sa dette, ne va hélas pas agir de la même façon pour un de ses amis qui ne lui devait que 15 Euros… Le contraste est saisissant : ici, pas « d’entrailles remuées jusqu’au plus profond de soi-même », pas de compassion, de compréhension ni de tendresse… Loin de « libérer » son ami, le serviteur va le faire jeter en prison… En l’apprenant, le Roi le convoquera et lui dira ce qui constitue la pointe de la parabole : « Ne devais-tu pas toi aussi faire miséricorde à ton compagnon comme moi je t’ai fait miséricorde » (Matthieu 18,33)?
Nous l’avons bien remarqué : la dynamique est ici contraire à celle du Notre Père. Si nous reprenons le verbe « pardonner », le serviteur aurait dû pardonner comme son Roi lui avait pardonné, et c’est bien ce qui est conforme à la réalité : « Devenez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Luc 6,36). « Supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l’un a contre l’autre quelque sujet de plainte ; le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour » (Colossiens 3,13). « Montrez-vous bons et compatissants les uns pour les autres, vous pardonnant mutuellement, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ » (Ephésiens 4,32).
Mais encore une fois, la formulation inverse du Notre Père n’a d’autre but que d’insister sur l’importance de nos pardons donnés, car ils sont le signe que notre relation à Dieu est vraie et vivante. En effet, nous sommes tous pêcheurs devant Lui, et c’est dans le pardon de nos offenses que nous sommes invités à faire l’expérience de la miséricorde de Dieu et du salut (Luc 1,77‑79). Si nous lui offrons en vérité toutes nos misères, nous ne pourrons que rencontrer en vérité « le Sauveur du monde » (Jean 4,42), « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jean 1,28), Celui qui est venu nous réconcilier avec Dieu en nous offrant le pardon de toutes nos fautes (2Corinthiens 5,17-21). Et puisque Dieu est Source d’Eau Vive, continuellement jaillissante, si nous nous laissons réconcilier avec lui par le Christ, nous nous découvrirons les heureux bénéficiaires de cette Eau Vive, l’Esprit Saint qui lave toutes nos souillures et nous communique la Vie de Dieu (Jérémie 2,13 ; Ezéchiel 36,25 ; Jean 4,10-14 ; 7,37-39). Mais Dieu est aussi Amour. Pour Lui, Vivre c’est Aimer. Sa Vie sera donc elle aussi Amour, un Amour que nous communiquera encore ce même Esprit : « l’amour de Dieu a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Romains 5,5). Cet Amour en nous ne pourra alors que nous entraîner, petit à petit, sur les chemins de l’Amour, un Amour inconditionnel, toujours offert et qui, face au péché, prend le visage de la miséricorde et du pardon. Ainsi, grâce à l’Esprit Saint, l’Esprit du Christ, nous commencerons à répondre à l’appel du Christ : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres comme moi je vous ai aimés » (Jean 15,12), c’est-à-dire d’un Amour qui est tout à la fois Vérité, exigence de Justice, mais aussi Bienveillance, Miséricorde et Compassion…
Aussi, celui qui refuse de pardonner refuse du même coup de mettre en œuvre cette Vie d’Amour que Dieu veut nous communiquer instant après instant : « Dans le refus de pardonner à nos frères et sœurs, notre cœur se referme et sa dureté le rend imperméable à l’amour miséricordieux du Père. »[10] En agissant ainsi, il se sépare donc du « Père des Miséricordes » (2Corinthiens 1,3) qui ne peut que nous entraîner avec Lui sur des chemins de Miséricorde. Or se séparer du Christ, l’Unique Sauveur du monde, c’est se condamner soi-même… Et si nous quittons Celui-là seul qui est la Lumière, une Lumière d’Amour, de Miséricorde et de Tendresse, nous ne pourrons que nous retrouver dans les ténèbres de l’adversaire, de « l’accusateur » (« Satan » en hébreu signifie : accusateur, calomniateur, adversaire, ennemi ; Apocalypse 12,10). Là, pas de miséricorde, mais la seule vérité incontournable de notre misère qui, dans un tel contexte, recevra en écho non pas des paroles de réconfort et de pardon (Romains 5,15-21 ; 8,1), mais une sentence implacable de condamnation (Marc 16,16: sauvé par Dieu, mais condamné par celui qui ne sait que condamner, le Prince de ce Monde ; Dieu, Lui, ne condamne jamais (Jean 5,22 ; 8,10-11)).
Certes, pardonner est difficile et cela suppose que la personne en face soit dans les meilleures conditions possibles de repentir. Mais accepter d’essayer de pardonner de tout cœur, c’est dire « Oui » au Christ, c’est choisir d’être vraiment son disciple, c’est prendre sur soi son joug, ce joug que Lui-même porte avec nous (Matthieu 11,28-30). Et en une telle circonstance, il le fera en nous donnant la force d’aimer et de pardonner comme Lui le fait… « Pour le disciple de Jésus, être prêt à pardonner, c’est en quelque sorte tendre les mains vers le pardon de Dieu »[11] : l’amour reçu sera tout en même temps miséricorde pour soi-même et force pour pardonner aux autres… Et « s’il n’est pas en notre pouvoir de ne plus sentir et d’oublier l’offense, le cœur qui s’offre à l’Esprit Saint retourne la blessure en compassion et purifie la mémoire en transformant l’offense en intercession »[12]. Alors, et alors seulement, grâce à la présence de l’Esprit Saint, force d’amour, nous pourrons commencer à faire la volonté de Dieu : « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices (Matthieu 9,7 ; 12,7) ». Comme l’écrit encore le Catéchisme de l’Eglise Catholique : « Observer le commandement du Seigneur est impossible s’il s’agit d’imiter de l’extérieur le modèle divin. Il s’agit d’une participation vitale et venant « du fond du cœur », à la Sainteté, à la Miséricorde, à l’Amour de notre Dieu. Seul l’Esprit qui est « notre Vie » (Galates 5,25) peut faire « nôtres » les sentiments qui furent dans le Christ Jésus (Philippiens 2,1-5). Alors l’unité du pardon devient possible, « nous pardonnant mutuellement ‘comme’ Dieu nous a pardonnés dans le Christ (Ephésiens 4,32) »[13]. Et « heureux sont les miséricordieux » (Matthieu 5,7), car en acceptant de faire miséricorde à leurs frères, en actes et en vérité (1Jean 4,20), ils témoignent que la Plénitude du Christ commence à habiter leur cœur et leur vie, une Plénitude qui seule peut nous apporter le vrai Bonheur…
Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal.
Là encore, nous pouvons être surpris par cette manière de s’exprimer… Dieu pourrait-il avoir un lien quelconque avec la tentation ? Certainement pas ! St Jacques le dit clairement (1,12‑15) : « Heureux l’homme qui supporte l’épreuve avec persévérance, car, une fois vérifiée sa qualité, il recevra la couronne de la vie comme la récompense promise à ceux qui aiment Dieu. Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : « Ma tentation vient de Dieu. » Dieu en effet ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne. Mais chacun est tenté par ses propres désirs qui l’entraînent et le séduisent. Puis le désir engendre et met au monde le péché, et le péché, parvenu à sa maturité, enfante la mort ».
Longtemps, la traduction du Notre Père fut : « Ne nous soumets pas à la tentation ? » Mais le Pape François nous a invités à dire: « Ne nous laisse pas entrer en tentation« … Pourquoi?
Littéralement, le texte grec a « Καὶ μὴ εἰσενέγκῃς ἡμᾶς εἰς πειρασμόν, et ne nous introduis pas (ou ne nous conduis pas… ou encore ne nous emporte pas…) dans la tentation ». Le P. Tournay[14] explique que Jésus parlait habituellement en araméen, une langue très proche de celle de l’Ancien Testament, l’hébreu. Or l’araméen et l’hébreu ont des formes verbales particulières qu’il est difficile de traduire en grec. Le P. Tournay a ainsi étudié une forme dite « causative » dont la nuance la plus fréquente est celle de « faire faire », mais qui peut aussi se traduire parfois par « laisser faire, permettre de faire ». Et il a remarqué que la traduction grecque de l’Ancien Testament ne prend jamais en compte la seconde nuance. Ainsi par exemple, le Psaume 119(118),10 demande comme traduction de l’hébreu la nuance « laisser faire » (cf. TOB) : « De tout mon cœur je t’ai cherché, ne me laisse pas errer loin de tes commandements ». Or le texte grec réalisé à Alexandrie entre le 1° et le 3° siècle avant Jésus Christ a : « De tout mon cœur je te cherche, ne me repousse pas loin de tes commandements », ce qui correspond à la nuance « faire faire » : « ne me fais pas errer loin de tes commandements »… Comme deuxième exemple, nous pouvons prendre le Psaume 141(140),4 qui, là encore, demande en hébreu comme traduction : « Ne laisse pas mon cœur pencher vers une parole (ou une chose) mauvaise ». Et la traduction liturgique de nos missels a bien : « Ne laisse pas mon cœur pencher vers le mal ». Mais là encore, la traduction grecque de l’Ancien Testament a choisi non pas la nuance du « laisser faire », mais celle du « faire faire » : « Ne fais pas pencher mon cœur vers des paroles mauvaises »…
Le P. Tournay suggère donc que Jésus a employé, en araméen, cette forme verbale particulière qui demandait, dans un tel contexte, de la comprendre en termes de « laisser faire », c’est-à-dire : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Mais lorsque toutes ces paroles furent transcrites en grec, la nuance de « faire faire » supplanta une fois de plus celle du « laisser faire », ce qui a donné notre « ne nous fais pas entrer en tentation », ou « ne nous introduis pas en tentation » ou encore « ne nous soumets pas à la tentation »…
Si nous choisissons donc « ne nous laisse pas entrer en tentation », une nuance en parfait accord avec le contexte général de la Révélation biblique, Dieu apparaît alors comme étant une fois de plus notre compagnon de route et de combat face ce que nous appelons « le péché ». Et tel est bien son Mystère : quelles que soient les circonstances, bonnes ou mauvaises, de fidélité ou d’infidélité, le Dieu de l’Alliance est toujours Celui qui, dans sa Bienveillance éternelle, est avec nous tous et pour nous tous (1Jean 2,1-2 ; Romains 8,31-39)…
Quant au « péché », il renvoie à un mystère de désobéissance de cœur vis-à-vis de Dieu, à un manque d’amour à son égard. Et il est destructeur pour l’homme, car il abîme la relation vitale qui, de toute façon, l’unit à son Créateur. Que nous le voulions ou pas, et cela fait partie de notre statut de créature, nous vivons tous en effet de Dieu qui nous a créés à son image et ressemblance (Genèse 1,26-28), et qui, instant après instant, nous maintient dans l’existence par son propre Souffle, l’Esprit Saint (Genèse 2,4b-7 ; Job 34,14-15 ; Isaïe 42,5). Le mystère de notre vie est donc tout entier entre ses mains, que nous pensions à lui ou pas, que nous croyions en Lui ou pas, que nous lui soyons fidèles ou pas… Mais en nous créant ainsi, Dieu a aussi voulu que nous soyons des êtres libres appelés à développer et à faire fructifier toutes les potentialités de cette Vie divine qui, de toute façon, nous habite tous. La lumière de notre conscience, qui participe à la Lumière même de Celui qui n’est que Lumière (1Jean 1,5), est là pour nous aider, comme un signal perpétuellement offert à notre liberté de choisir. Sans cesse, elle nous rappelle la direction du Vrai, du Beau, du Bon, du Juste (Romains 2,14-15)… L’écoutons-nous ? Y faisons-nous attention ? Le premier enjeu est là, et il est loin d’être facile car l’homme se découvre habité par toutes sortes de désirs contraires, mystérieusement attisés par une créature qui, de son côté, a fait le choix du « non » à Dieu et qui cherche à nous entraîner dans son refus. Nous l’avons vu, la Bible l’appelle Satan, « l’adversaire, l’ennemi» de Dieu et donc des hommes créés à son Image et Ressemblance… Or se laisser entraîner, d’une manière ou d’une autre, sur la pente d’un désir contraire à Celui de notre Créateur, c’est toujours abîmer, occulter, mettre de côté notre relation de cœur à Dieu, une relation qui est vitale pour nous et qui détermine la qualité même de notre « vivre ». Dieu, en effet, est Vie, Vie toujours offerte (Jean 6,35.48 ; 10,10), foisonnement de Vie, Soleil de Vie (Psaume 84(83),12 (TOB et Traduction Liturgique) ; Jean 1,4 ; 8,12), Source d’Eau Vive (Jérémie 2,13 ; Psaume 42(41),2 ; Isaïe 12,3 ; 55,1 ; 66,12-13 ; Ezéchiel 47,1-12 ; Jean 4,10-14 ; 7,37-39 ; 19,33-35). Que la relation avec Lui ne soit plus ce qu’elle devrait être, et aussitôt l’homme ne reçoit plus la Vie comme il devrait la recevoir… Il ressent un manque, il est intérieurement blessé, il vit une souffrance… « Heureux l’homme qui m’écoute, qui veille jour après jour à mes portes pour en garder les montants ! », dit la Sagesse, une figure féminine qui personnifie Dieu Lui-même… « Car celui qui me trouve trouve la vie, il obtient la faveur du Seigneur ; mais qui pèche contre moi blesse son âme » (Proverbes 8,34-36)… L’homme pécheur est donc un être blessé, et par suite un souffrant… Et Dieu le regarde ainsi : il ne s’attarde pas à l’offense, mais il voit seulement la souffrance de celui ou celle qu’Il aime… Son cœur en est bouleversé (Osée 11,7-9), et il va agir par ses prophètes, puis par son Fils Jésus, pour appeler ses enfants à revenir avec Lui sur le Chemin de la Vie…
Dieu désire donc de tout son Être que nous retrouvions tous la Vie en Plénitude, sa Vie. Pour celui qui l’accueille, il sera toujours son compagnon de route pour l’aider et le guider sur des chemins de Vie où il pourra expérimenter dès maintenant, dans la foi, quelque chose de cette Vie éternelle à laquelle nous sommes tous appelés. Alors, quelle Joie au ciel (Sophonie 3,17‑18 ; Luc 15,7) comme sur la terre (Jean 15,11) ! Mais nous avons à collaborer avec Lui à cette œuvre de Vie qui nous concerne, par les multiples choix que nous avons à faire tout au long de nos journées…
Dieu nous invitera donc tout d’abord à « veiller », à « faire attention » à toutes ces sollicitations qui nous rejoignent, soit par nos désirs intérieurs, soit par les circonstances extérieures : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible » ; oui, « plus que sur toute chose, veille sur ton cœur, c’est de lui que jaillit la vie » (Matthieu 26,41 ; Proverbes 4,23 ; 16,17 ; Josué 1,7-8 ; Siracide (Ecclésiastique) 32,23 puis 1Timothée 4,16 ; Hébreux 12,14-15 ; Marc 13,33-37 ; Luc 12,35‑40). Et s’il s’agit de « veiller » pour éviter le mal, combien plus devrions-nous le faire pour accueillir et reconnaître Celui qui parsème notre vie de ses visites ! « Je dors, mais mon cœur veille… J’entends le Seigneur qui m’appelle : ouvre-moi mon ami ! » (Cantique 5,2 ; Apocalypse 3,20 ; Sagesse 6,12-16). Elles seront toujours Salut offert (Luc 1,76-79) et donc Vie, Plénitude de Vie…
Et si Dieu nous invite à « veiller », il est comme toujours le premier à mettre en pratique ce qu’Il nous demande : Il « veille » sur chacun d’entre nous, toujours et partout (cf. Job 10,9‑12 ; 29,2-3 ; Exode 23,20-22 ; Deutéronome 2,7 ; 32, 7-14 ; Proverbes 2,6-13 ; Esther 5,1 ; 2 Maccabées 15,2 ; Ezéchiel 34,15-16). C’est ce que fit Jésus vis-à-vis de ses disciples (Jean 17,12). Or, Ressuscité, Il est toujours avec nous (Matthieu 28,18‑20 ; Jean 14,3.18.23) et Il continue de veiller sur chacun d’entre nous en nous envoyant la Lumière de l’Esprit qui nous permet de discerner entre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas (1Thessaloniciens 5,19-22). Et elle sera au même moment « force » offerte pour renoncer au mal et choisir le bien (2Timothée 1,7). Et cette sollicitude, il l’exerce encore par ceux qu’Il a appelés à devenir les Pasteurs de son troupeau (1Thessaloniciens 5,12-13 ; Hébreux 13,17 ; 1Pierre 5,2-3). Le Pape Jean-Paul II en fut un magnifique exemple…
Et si la tentation devient plus pressante, St Paul nous assure que la grâce se fera plus forte encore : « Aucune tentation ne vous est survenue, qui passât la mesure humaine. Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ; mais avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter » (1Corinthiens 10,13). Cette idée de « supporter » nous invite à la patience. La tentation, qui a toujours quelque part prise sur nous, ne disparaîtra pas comme par un simple coup de baguette magique… mais « Dieu nous encourage puissamment, nous qui avons trouvé un refuge (avec Lui et en Lui), à saisir fortement l’espérance qui nous est offerte. En elle, nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide » (Hébreux 6,18-19)… Cette espérance s’enracine et se nourrit dans le don de l’Esprit Saint (Romains 15,13 ; 1Pierre 1,3), qui est l’ancre véritable lancée au cœur de tout chrétien, le roc sur lequel il peut ensuite construire toute sa vie (Matthieu 7,24-25)…
Et si, hélas, la chute survient, « si nous sommes infidèles, Dieu, Lui, reste à jamais fidèle » (2Timothée 2,13)… La grâce surabondera là où le péché a abondé (Romains 5,20) et avec elle, le Bon Pasteur cherchera sa brebis perdue jusqu’à ce qu’il la retrouve (Luc 15,4-7)… Il consolera celui qui s’est fait mal en tombant, et il l’invitera à se relever le plus vite possible : « Fait-on une chute sans se relever ? Se détourne-t-on sans retour ?… Reviens, rebelle Israël, car Je Suis miséricordieux. Je veux guérir vos rébellions » et toutes leurs conséquences (cf. Jérémie 8,4 ; 3,11.22)…
Ste Thérèse de Lisieux nous donne quelques conseils dans notre combat de tous les jours :
1 – Tout d’abord, elle ne désespérait jamais de la Miséricorde de Dieu, car elle avait découvert à quel point elle s’était révélée et offerte en Jésus-Christ, Lui qui, par amour, a voulu descendre au plus profond de la misère humaine : « En descendant ainsi le Bon Dieu montre sa grandeur infinie »…
2 – Elle essayait de « rester un petit enfant devant le Bon Dieu », et qu’est-ce que cela veut dire ? « C’est », disait-elle « reconnaître son néant, attendre tout du bon Dieu, comme un petit enfant attend tout de son Père ; c’est aussi ne s’inquiéter de rien … Enfin, c’est ne pas se décourager de ses fautes, car les enfants tombent souvent, mais ils sont trop petits pour se faire beaucoup de mal… Voyez les petits enfants : ils ne cessent de casser, de déchirer, de tomber, tout en aimant beaucoup, beaucoup leurs parents. Quand je tombe ainsi, cela me fait voir encore plus mon néant et je me dis : « Qu’est-ce que je ferais, qu’est-ce que je deviendrais si je m’appuyais sur mes propres forces ? » »
3 – Une mauvaise pensée survient ? Elle essaye de ne pas s’y arrêter : « Faut-il tant aimer le bon Dieu et la Sainte Vierge et avoir ces pensées-là !… Mais je ne m’y arrête pas ».
4 – Elle regrette un geste, une attitude, une parole ? « Quand j’ai commis une faute qui me rend triste, je sais bien que cette tristesse est la conséquence de mon infidélité. Mais croyez-vous que j’en reste là ? Oh non ! Pas si sotte ! Je m’empresse de dire au Bon Dieu : Mon Dieu, je sais que ce sentiment de tristesse, je l’ai mérité, mais laissez-moi vous l’offrir tout de même comme une épreuve que vous m’envoyez par amour. Je regrette mon péché, mais je suis contente d’avoir cette souffrance à vous offrir ». En agissant ainsi, elle mettait alors en œuvre cet autre conseil : « Aimer, c’est tout donner », le bien comme le mal… Et en offrant au Seigneur ce qui n’avait peut‑être pas été totalement conforme à sa volonté, elle se retrouvait aussitôt dans les bras de Celui dont l’unique désir est de nous « délivrer du mal » et de tous ses liens pour nous arracher aux ténèbres et nous transférer dans le Royaume de son Fils Bien-Aimé, en sa Lumière, sa Présence et son Amour (Colossiens 1,12-14 ; Actes 26,15‑18 ; Jean 8,31-36 ; Ephésiens 1,3-6)… « Le Dieu que nous avons est un Dieu de délivrances ». Aussi, Seigneur, puisque « je suis pauvre et malheureux », puisque « mon cœur est blessé au fond de moi », « agis pour moi selon ton Nom, délivre-moi, car ton amour est bonté » (Psaume 68(67),21 ; 109(108),21-22 ; 6,5 ; 18(17),17-20)…
D. Jacques Fournier
[1] POUILLY J., Dieu notre Père (Cahiers Evangile 68, Saint-Etienne 1989) p. 36.
[2] Catéchisme de l’Eglise catholique & 2794.
[3] Catéchisme de l’Eglise catholique & 2780-2781 p. 568.
[4] C’est ainsi que la TOB traduit en Ezéchiel l’expression « sanctifier le Nom de Dieu » par « montrer la sainteté du Nom de Dieu ».
[5] « La malédiction » en soi n’existe pas ; Dieu ne sait que bénir. Ce mot de « malédiction » ne fait que traduire l’état de celui qui, s’étant séparé de Dieu, est devenu étranger à toutes ces bénédictions qu’il ne cesse pourtant de vouloir lui offrir.
[6] A l’époque, pour St Paul, si on n’était pas Juif, on était Grec ou de culture grecque… L’expression « Juifs et Grecs » englobe donc toute l’humanité…
[7] DURRWELL F.-X., Le Père. Dieu en son mystère (Paris 1998) p. 235.
[8]Catéchisme de l’Eglise catholique p. 573: « Le Père, qui nous donne la vie, ne peut pas ne pas nous donner la nourriture nécessaire à la vie, tous les biens « convenables », matériels et spirituels ».
[9] Catéchisme de l’Eglise catholique p. 573.
[10] Catéchisme de l’Eglise Catholique & 2840 p. 580.
[11] JEREMIAS J., Paroles de Jésus (Paris 1963) p. 75. Cité par POUILLY J., Dieu notre Père (Cahiers Evangile 68) p. 48.
[12] Catéchisme de l’Eglise catholique & 2843 p. 580.
[13] Catéchisme de l’Eglise catholique & 2842 p. 580.
[14] TOURNAY R.J., « Ne nous laisse pas entrer en tentation », Nouvelle Revue Théologique n° 120 (1998).
Fiche n°13 – Lc 11,1-4 : cliquer sur le titre précédent pour accéder au fichier PDF pour lecture ou éventuelle impression