L’ange et le petit livre (Ap 10).
Je vis ensuite un autre Ange, puissant, descendre du ciel enveloppé d’une nuée, un arc-en-ciel au-dessus de la tête, le visage comme le soleil et les jambes comme des colonnes de feu. (2) Il tenait en sa main un petit livre ouvert. Il posa le pied droit sur la mer, le gauche sur la terre, (3) et il poussa une puissante clameur pareille au rugissement du lion. Après quoi, les sept tonnerres firent retentir leurs voix. (4) Quand les sept tonnerres eurent parlé, j’allais écrire mais j’entendis du ciel une voix me dire : Tiens secrètes les paroles des sept tonnerres et ne les écris pas. (5) Alors l’Ange que j’avais vu, debout sur la mer et la terre, leva la main droite au ciel (6) et jura par Celui qui vit dans les siècles des siècles, qui créa le ciel et tout ce qu’il contient, la terre et tout ce qu’elle contient, la mer et tout ce qu’elle contient : Plus de délai ! (7) Mais aux jours où l’on entendra le septième Ange, quand il sonnera de la trompette, alors sera consommé le mystère de Dieu, selon la bonne nouvelle qu’il en a donnée à ses serviteurs les prophètes.
(8) Puis la voix du ciel, que j’avais entendue, me parla de nouveau : Va prendre le petit livre ouvert dans la main de l’Ange debout sur la mer et sur la terre. (9) Je m’en fus alors prier l’Ange de me donner le petit livre ; et lui me dit : Tiens, mange-le ; il te remplira les entrailles d’amertume, mais en ta bouche il aura la douceur du miel. (10) Je pris le petit livre de la main de l’Ange et l’avalai ; dans ma bouche, il avait la douceur du miel, mais quand je l’eus mangé, il remplit mes entrailles d’amertume. (11) Alors on me dit : Il te faut de nouveau prophétiser contre une foule de peuples, de nations, de langues et de rois.
Au chapitre cinq, Jean avait vu « un livre roulé écrit au recto et au verso et scellé de sept sceaux ». Et seul « l’Agneau comme immolé », le Christ, avait été jugé digne d’ouvrir les sceaux et de permettre ainsi la découverte de la Révélation contenue dans ce Livre. Puis, après l’ouverture du septième sceau en Ap 8,1, étaient apparus sept Anges se tenant devant Dieu, avec sept trompettes. Et à la sonnerie de chaque trompette était révélée une épreuve touchant l’humanité, une de ces épreuves qui la bouleverseront hélas jusqu’à la fin des temps… « Lorsque vous entendrez parler de guerres et de rumeurs de guerres, ne vous alarmez pas : il faut que cela arrive, mais ce ne sera pas encore la fin », disait Jésus à ses disciples (Mc 13,7 ; Mt 24,6 ; Lc 21,9).
Six trompettes ont déjà sonné, et l’on s’attend à entendre la septième… Mais l’auteur fait ici comme une pause où il va nous présenter deux éléments nouveaux : « le petit livre » (Ap 10,1-11) et « les deux témoins » (Ap 11,3-14). Et avec eux, il nous offre « une vision du salut remplie d’espérance » (Jean-Pierre Prévost)…
Au tout début du Livre de l’Apocalypse, nous avons lu : « Révélation de Jésus Christ : Dieu la lui donna pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt ; Il envoya son Ange pour la faire connaître à Jean son serviteur »… Et la Bible de Jérusalem indiquait en note : « L’Ange (messager), représente probablement le Christ Lui-même »… Ici aussi beaucoup d’éléments font penser au Christ :
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Cet Ange est « puissant », comme Dieu Lui-même en Ap 18,8 : « Il est puissant le Seigneur Dieu ». Et la multitude des Anges chantait d’une seule voix en Ap 5,12 : « Digne est l’Agneau égorgé de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la louange. » Et ces mêmes Anges louaient Dieu en Ap 7,12 avec des termes semblables : « Amen ! Louange, gloire, sagesse, action de grâces, honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles ! Amen ! » Sept termes interviennent à chaque fois pour célébrer la Perfection et la Plénitude de Dieu. Du parallèle entre ces deux louanges, nous constatons une nouvelle fois que la gloire, la sagesse, la force et la puissance du Christ, vrai homme mais aussi vrai Dieu, sont la gloire, la sagesse, la force et la puissance du Père, puissance de l’Amour qui s’est pleinement révélée dans l’apparente faiblesse du Christ en croix…
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Cet Ange « descend du ciel » comme le Christ en Jn 6 qui se présente sept fois comme le pain vivant « descendu du ciel » pour donner la vie au monde…
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Il est enveloppé d’une « nuée », une expression si souvent employée dans l’Ancien Testament pour introduire une manifestation de Dieu. Ainsi par exemple, dans le Livre de l’Exode : « Le Seigneur marchait avec eux, le jour dans une colonne de nuée pour leur indiquer la route, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils puissent marcher de jour et de nuit. La colonne de nuée ne se retirait pas le jour devant le peuple, ni la colonne de feu la nuit » (Ex 13,21-22 ; 14,19-24 ; 16,10 ; 19,9.16 ; 20,21 ; 24,15-18 ; 33,9-10 ; 34,5… ; Lc 9,34-35). Et lorsque St Luc évoque le dernier Jour du monde, il écrit : « On verra le Fils de l’homme venant dans une nuée avec puissance et grande gloire » (Lc 21,27)…
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Il a « un arc en ciel au-dessus de la tête ». Or, au chapitre 4, St Jean « eut une vision : Voici, un trône était dressé dans le ciel, et, siégeant sur le trône, Quelqu’un… Celui qui siège est comme une vision de jaspe et de cornaline ; un arc-en-ciel autour du trône est comme une vision d’émeraude ». Cet « arc-en-ciel autour du trône » de Dieu apparaît donc ici « au-dessus de la tête » de l’Ange… Et il est bien sûr un clin d’œil lancé à Gn 9,8-17 où Dieu se présente comme vivant en alliance avec « toute chair »… Il est donc un Dieu tout proche de chaque homme, pour son bien, et cela depuis le commencement du monde…
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« Son visage est comme le soleil »… Or le Ps 84(83),12 nous dit : « Le Seigneur Dieu est un soleil, il est un bouclier ; le Seigneur donne la grâce, il donne la gloire ». Et dans la vision inaugurale où St Jean avait vu le Christ Ressuscité, il disait : « Son visage, c’est comme le soleil qui brille dans tout son éclat » (Ap 1,16).
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De plus, « ses jambes sont ici comme des colonnes de feu », et le feu dans la Bible évoque souvent Dieu Lui-même : « Le Seigneur ton Dieu est un feu dévorant » (Dt 4,24 ; Ex 3,1s). Et en Ap 4,5, nous lisions : « Du trône partent des éclairs, des voix et des tonnerres, et sept lampes de feu brûlent devant lui, les sept Esprits de Dieu ». La Plénitude de ce Dieu qui est Esprit est ici évoquée avec l’image du feu, et c’est bien cette Plénitude que le Christ est venu offrir à toute l’humanité en lui proposant d’accepter de se laisser plonger « dans l’Esprit et le feu » (Mt 3,11 ; cf. Lc 12,49 ; Ac 2,1-4).
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Il tient en sa main « un petit livre ouvert »… En Ap 5,1, c’est Dieu qui tenait « un livre roulé dans sa main droite »… Et Jean mangera en 10,10 ce « petit livre » comme Ezéchiel mangea en Ez 3,3 le livre contenant les Paroles de Dieu (Ez 3,4).
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Il pose ensuite « le pied droit sur la mer » et Dieu seul, dans la Bible est présenté comme celui qui peut agir ainsi : « Lui seul a foulé les hauteurs de la mer » (Job 9,8). Or la mer est le lieu symbolique où habitent toutes les puissances du mal. « Marcher sur la mer » devient alors un signe de victoire sur le mal… C’est le geste que le Christ accomplit en Jn 6,16-21, un épisode où il révèle à ses disciples le Mystère de sa Divinité en leur disant : « Je Suis (cf. Ex 3,14). N’ayez pas peur ». Et bientôt, le Père le ressuscitera d’entre les morts, sa Lumière brillera dans les ténèbres du tombeau sans que celles-ci aient pu la saisir (Jn 1,4-5) : la Vie se révèlera victorieuse de la mort, et le Prince de ce Monde déjà « jugé» sera « jeté dehors » (Jn 12,31)…
Cet Ange, « le pied droit sur la mer, le gauche sur la terre » annonce donc déjà ici de manière symbolique la victoire finale de Dieu sur ce mal qui plonge et plongera encore la terre dans toutes sortes d’épreuves… Mais ce n’est pas le mal qui aura le dernier mot. Bientôt, « Dieu essuiera toutes larmes de nos yeux… De pleur, de cri, de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en sera allé » (Ap 7,17 ; 21,4). Mais pour l’instant, Il Est Celui qui, jour après jour, se propose de régner au cœur de toutes nos épreuves par la puissance de son Esprit pour nous consoler, nous réconforter et nous permettre de tenir bon. Ainsi, dans « l’épreuve » se manifeste « la royauté » de son Amour qui nous donne « la constance » : « Moi, Jean, votre frère et votre compagnon dans l’épreuve, la royauté et la constance, en Jésus » (Ap 1,9 ; cf. 2Co 1,3-7 ; 7,4).
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Puis, « il cria d’une voix forte, comme un lion qui rugit »… Et nous avons vu que « le premier Vivant est comme un lion » (Ap 4,7), une image qui sera reprise ensuite pour évoquer le Christ, « le Lion de la tribu de Juda, le Rejeton de David » (Ap 5,5). La notion de « Vivant » renvoie au Mystère de Dieu, tandis que « le Rejeton de David » tourne le regard vers Celui qui accomplit cette prophétie d’Isaïe : Jésus, le Messie promis, « fils de David » (Mt 1,1 ; 15,22 ; 20,30-31), vrai Dieu mais aussi vrai homme…
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Enfin, « les sept tonnerres firent entendre leur voix ». Et une note de la Bible de Jérusalem renvoie au Ps 29,3-9 : « les tonnerres, voix de Dieu »… L’Ange, lorsqu’il parlera, invoquera d’ailleurs l’autorité divine elle-même : « Par Celui qui vit dans les siècles des siècles, qui créa le ciel et tout ce qu’il contient, la terre et tout ce qu’elle contient, la mer et tout ce qu’elle contient » (Ap 10,6).
En conclusion, nous voyons à quel point tous ces éléments sur l’Ange et sur les circonstances qui entourent son intervention évoquent le Mystère du Christ, ce « Fils de l’Homme » (Mt 8,20 ; 9,6 ; 10,23…) qui est aussi « l’Emmanuel », « Dieu avec nous » (Mt 1,23). Avec Lui et par Lui, le Père a pris l’initiative de nous rejoindre pour nous offrir le pardon de toutes nos fautes (Lc 5,20), ces fautes qui nous privent de cette Plénitude de Vie qu’il voudrait voir régner en nos cœurs. Avec Lui et par Lui, le Père nous parle, agit, manifeste sa Présence à nos côtés, sa Tendresse libératrice. Cet Ange est ainsi « le Sauveur du Monde » (Jn 4,42), Celui en qui et par qui le Mystère du Dieu d’Amour, de Miséricorde et de Vie s’est pleinement révélé… Tout ce qui suit ne peut donc qu’être « Bonne Nouvelle », Paroles de réconfort et d’encouragement au cœur des détresses de toutes sortes que peuvent connaître ceux et celles à qui St Jean s’adresse. Et ces lignes continueront à rejoindre les hommes de tous les temps, affrontés aux inévitables épreuves de la vie… Alors, « Plus de délai ! ». Le temps presse, car notre « aujourd’hui » est désormais « le temps du salut »… « Le salut est maintenant tout près de nous », offert à notre foi pour une espérance vivante ; « la nuit est avancée. Le jour est arrivé » (Rm 13,11-12 ; 1P 1,3 ; 1Jn 2,8)…
Aussi, « aux jours où l’on entendra le septième Ange, quand il sonnera de la trompette, alors sera consommé le mystère de Dieu, selon la bonne nouvelle qu’il en a donnée à ses serviteurs les prophètes » (Ap 10,7). Et la Bible de Jérusalem donne en note à propos de ce « mystère » : « L’établissement définitif du Royaume, qui présuppose la défaite des ennemis de Dieu , Ap 17-18 ; Ap 20,7-10. Sur le mystère de Dieu, cf. Rm 11, 25 ; 16 25 ; Ep 1, 9 ; cf. 2 Th 2, 6-7) ».
Ce Mystère est en effet « le Mystère du Royaume » (Mc 4,11), inséparable du « Mystère de Dieu » Lui-même (1Co 2,1). Il est donc aussi « le Mystère du Christ » (Ep 3,4). En effet, Dieu est « Mystère de Communion » de Trois Personnes divines distinctes, le Père, le Fils et l’Esprit Saint, unies dans la Communion d’une même « nature divine » qui est tout à la fois Esprit (Jn 4,24), Amour (1Jn 4,8.16), Lumière (1Jn 1,5) et Vie… Et c’est cette « nature divine » que le Christ est venu nous offrir par le pardon toujours offert de toutes nos fautes, « afin que nous devenions ainsi participants de la divine nature, nous étant arrachés à la corruption qui est dans le monde, dans la convoitise » (2P 1,4). Si nous acceptons cette aventure, le Christ va donc petit à petit nous introduire, par le don de l’Esprit Saint, dans le Mystère de sa Communion avec le Père. « Par lui nous avons en effet libre accès auprès du Père en un seul Esprit » (Ep 2,18). Ce « seul Esprit », l’Esprit que Dieu possède en Plénitude, est le trésor offert à tous sur lequel il nous faut veiller par une conversion permanente, sans jamais désespérer de la Miséricorde de Dieu. « Appliquez-vous à conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix. Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » (Ep 4,3-6). Et cette communion de tous en un seul Esprit constitue le Mystère du Royaume des Cieux : « le règne de Dieu en effet n’est pas affaire de nourriture ou de boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17). Jésus est cet homme qui a pleinement vécu ce Mystère de Communion avec Dieu son Père. « Moi et le Père », bien que différents l’un de l’autre, « nous sommes un », unis inséparablement l’un à l’autre dans la Communion d’un même Amour, d’un même Esprit, d’une même Vie (Jn 10,30). Et ses paroles et ses actes n’avaient qu’un seul but : nous révéler ce Mystère de Communion pour nous donner d’y entrer à notre tour par le « oui » de notre foi… « Celui qui s’unit ainsi au Seigneur n’est avec lui qu’un seul Esprit » (1Co 6,17)… Le Mystère de Dieu est donc un Mystère de Communion de Trois Personnes divines distinctes dans l’unité d’un même Esprit. Le Mystère du Christ s’enracine dans ce Mystère de Communion qu’il vit avec son Père : il demeure dans l’Amour du Père de qui il reçoit de toute éternité cette Plénitude de l’Esprit qui l’engendre en Fils… Et le Mystère du Royaume est communion, par notre foi au Fils, à tout ce que le Fils reçoit de son Père : la Plénitude de son Esprit qui est tout à la fois Amour, Lumière et Vie…
La « Bonne Nouvelle » de cette Communion offerte a ainsi été « donnée à ses serviteurs les prophètes ». Ils en ont été les premiers bénéficiaires. « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu ! » (Lc 10,23-24). Et ce n’est que petit à petit qu’ils ont pris conscience de ce Mystère de Communion dans lequel le Christ les introduisait par le don de son Esprit : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 16,17). En effet, « ce Mystère n’avait pas été communiqué aux hommes des temps passés comme il vient d’être révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes, dans l’Esprit : les païens sont admis au même héritage, membres du même Corps, bénéficiaires de la même Promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l’Évangile » (Ep 3,4-5). Car, c’est bien « après avoir entendu la Parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et y avoir cru, que vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse, cet Esprit Saint qui constitue les arrhes de notre héritage, et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis, pour la louange de sa gloire » (Ep 1,13‑14).
Telle est la Bonne Nouvelle de cette « Communion en un seul Esprit », que les Apôtres auront à annoncer dans le monde entier (1Jn 1,1-3). « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, – car la Vie s’est manifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue – ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ ». Ainsi, la grande œuvre du Christ Sauveur est de nous arracher à tout ce qui pourrait faire obstacle à ce Mystère de Communion : notre péché nourri par les multiples séductions du Prince de ce monde… « Voici pourquoi je te suis apparu », dira le Christ Ressuscité à St Paul : « pour t’établir serviteur et témoin de la vision dans laquelle tu viens de me voir et de celles où je me montrerai encore à toi. C’est pour cela que je te délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je t’envoie, moi, pour leur ouvrir les yeux, afin qu’elles reviennent des ténèbres à la lumière et de l’empire de Satan à Dieu, et qu’elles obtiennent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et une part d’héritage avec les sanctifiés » (Ac 26,16-18 ; cf. Col 1,13-14).
Ainsi, avant d’annoncer le Royaume, St Paul l’a-t-il lui-même découvert et vécu par cette intervention du Christ dans sa vie. Il partira ensuite au désert où il approfondira sa foi pendant de longues années, à la lumière de la Parole de Dieu, guidé par l’action discrète mais souveraine de l’Esprit Saint… Avant d’annoncer la Parole, il l’a donc lui‑même reçue dans la lumière de « l’Esprit de sagesse et de révélation » (Ep 1,17-18). C’est ce que vécut aussi autrefois le prophète Ezéchiel, une expérience que reprend ici St Jean pour nous décrire la sienne… Prenons le temps de lire Ezéchiel (Ez 2,1-3,4), il nous permettra de mieux comprendre St Jean.
« Le Seigneur me dit : « Fils d’homme, tiens-toi debout, je vais te parler. » L’Esprit entra en moi comme il m’avait été dit, il me fit tenir debout et j’entendis celui qui me parlait. Il me dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les Israélites, vers les rebelles qui se sont rebellés contre moi. Eux et leurs pères se sont révoltés contre moi jusqu’à ce jour. Les fils ont la tête dure et le cœur obstiné, je t’envoie vers eux pour leur dire : “Ainsi parle le Seigneur Dieu.” Qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas, c’est une engeance de rebelles, ils sauront qu’il y a un prophète parmi eux. Pour toi, fils d’homme, n’aie pas peur d’eux, n’aie pas peur de leurs paroles s’ils te contredisent et te méprisent et si tu es assis sur des scorpions. N’aie pas peur de leurs paroles, ne crains pas leurs regards, car c’est une engeance de rebelles. Tu leur porteras mes paroles, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas, car c’est une engeance de rebelles. Et toi, fils d’homme, écoute ce que je vais te dire, ne sois pas rebelle comme cette engeance de rebelles. Ouvre la bouche et mange ce que je vais te donner.
Je regardai, et voici qu’une main était tendue vers moi, tenant un volume roulé. Il le déploya devant moi : il était écrit au recto et au verso ; il y était écrit : « Lamentations, gémissements et plaintes. » Il me dit : « Fils d’homme, ce qui t’est présenté, mange-le ; mange ce volume et va parler à la maison d’Israël. » J’ouvris la bouche et il me fit manger ce volume, puis il me dit : « Fils d’homme, nourris-toi et rassasie-toi de ce volume que je te donne. » Je le mangeai et, dans ma bouche, il fut doux comme du miel. Alors il me dit : » Fils d’homme, va-t’en vers la maison d’Israël et tu leur porteras mes paroles « .
St Jean reprend donc ce texte pour évoquer ce qu’il a lui-même vécu. De l’Ange, le Christ, il va recevoir le « petit livre » qui contient « la bonne nouvelle » du « mystère de Dieu » et de son Royaume de Communion offert à tout homme, pour son bonheur… Cette universalité du salut est suggérée par le nombre de fois où apparaît l’expression « petit livre » : quatre fois[1]… Mais St Jean en sera le premier bénéficiaire : il le « mangera » de cœur par sa foi, et il aura « la douceur du miel ». Ce sera donc pour lui un vrai bonheur que d’accueillir cette Parole « avec la joie de l’Esprit Saint » (1Th 1,6). L’Esprit lui enseignera tout (1Jn 2,20.27) et lui permettra de prendre conscience, en les vivant (Ga 5,25), « de tous les dons gracieux que Dieu nous a faits » (1Co 2,9-12). Il l’introduira dans « la vérité tout entière » (Jn 16,13) d’une Plénitude de Vie donnée sans condition par ce Père des Miséricordes qui désire notre vrai bien plus que nous-mêmes. Grâce à cet Esprit d’Amour (Rm 5,5), « il connaîtra l’Amour du Christ qui surpasse toute connaissance » (Ep 3,19) : en effet, l’Amour de Celui qui est « doux et humble de cœur » (Mt 11,29) ne peut qu’avoir « la douceur du miel »…
Et pourtant, une fois qu’il aura « mangé » ce « petit livre » avec tant de bonheur, il aura « ses entrailles remplies d’amertume »… En effet, « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,3-6), « il ne prend pas plaisir à la mort du méchant, mais plutôt qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 33,11 ; 18,32 ; Sg 1,12‑15). Car « le méchant », de par sa méchanceté, ne peut que connaître « souffrance, détresse, angoisse » (Rm 2,9) et amertume (Jr 2,19), car il a abandonné la seule Source de Vraie Vie, de Vraie Lumière et donc de Vrai Bonheur… Or c’est justement ce bonheur profond que Dieu notre Père veut voir régner au cœur de tous ses enfants. Sont-ils engagés sur un mauvais chemin, son amour, respectueux de leur liberté, ne pourra qu’essayer de leur faire prendre conscience de leurs égarements. Mais si la plus grande erreur de l’homme est justement de croire qu’il n’a pas besoin de Dieu pour être heureux, s’il pense être assez grand pour se débrouiller tout seul, son attitude orgueilleuse s’opposera à toute remise en question. Il lui sera impensable d’imaginer, ne serait qu’une seconde, qu’il pourrait être dans l’erreur… Alors, si Dieu, par amour, lui envoie un de ses « serviteurs », un « prophète », pour l’aider à prendre conscience de sa situation, ce dernier aura toutes les chances de recevoir en retour railleries, moqueries, haine… (cf. Ps 10,3-8 ; 86(85),14 ; 54(53),5 ; 94(93),4 ; 123(122),3-4 ; 22(21),7-8)… Tel fut le sort du Christ, Lui qui, pourtant, passait partout en ne faisant que le bien (Ac 10,38). Mais hélas, les autorités religieuses de l’époque ont refusé de se remettre en question : « La lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises. Quiconque, en effet, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables » (Jn 3,19-20). Il est bien difficile, en effet, à un orgueilleux de reconnaître ses torts, d’accepter d’être coupable… Et ce refus de la vérité pourra le pousser à éliminer Celui qui, par son attitude et ses paroles, ne cesse justement de le ramener à cette vérité qu’il veut fuir à tout prix… « Je ne suis venu en ce monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (Jn 18,37). Mais « ils se sont bouché les oreilles, ils ont fermé les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur esprit ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse » (Mt 13,15). Quel dommage d’avoir refusé la vérité de leur misère : ils auraient découvert avec elle la vérité de la Miséricorde venue les combler gratuitement, par amour, de sa Lumière et de sa Vie. Face à ce refus, Jésus sera rempli de tristesse (Mt 26,37). Il pleurera sur Jérusalem : « Quand il fut proche, à la vue de la ville, il pleura sur elle, en disant : « Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! Mais non, il est demeuré caché à tes yeux » (Lc 19,41-42). Lui aussi, comme ici St Jean, « aura les entrailles remplies d’amertume » (Ap 10,10), ici… Et pourtant, Dieu de son côté ne cessera de rechercher encore et encore le bien de tous ceux et celles qui le refusent… Alors, il faudra continuer la mission, d’une manière ou d’une autre : « Et l’on me dit : Il te faut de nouveau prophétiser contre une foule de peuples, de nations, de langues et de rois » (Ap 10,11)…
Jacques Fournier
[1] Le chiffre quatre, qui renvoie aux quatre points cardinaux (nord, est, sud, ouest) est symbole d’universalité…