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L’Annonciation du Seigneur par P. Claude TASSIN (Spiritain)

    Commentaires des Lectures de la messe du lundi 4 Avril 2016

 

Isaïe 7, 10-16 (Voici que la Vierge concevra)

Rappelons d’abord que la solennité de «l’Annonciation» n’est pas une fête mariale, mais une fête du Seigneur Jésus, la célébration de son «incarnation» en Marie (le 25 mars et le 25 décembre se font chronologiquement pendant, évidemment).

Les circonstances historiques de l’oracle

«Les deux rois» (finale du texte) de Damas et de Samarie vont assiéger Jérusalem pour forcer le roi Acaz à se coaliser avec eux contre l’Assyrie. S’il refuse, ils le déposeront, le remplaceront par un inconnu de leur choix, et ce sera la fin de l’alliance de Dieu avec la «maison de David», la dynastie de David. Acaz a choisi de se soumettre à l’Assyrie. Dans la culture de l’époque, cela signifie que ce traité de vassalité soumet le Dieu d’Israël aux dieux assyriens.

La position du prophète Isaïe

La position d’Isaïe, qui s’affronte à son roi, est claire : Pas d’alliance avec l’Assyrie ! Il faut tenir bon dans la confiance envers le Dieu qui a juré fidélité à David. Et si Acaz doute, qu’il demande à Dieu un signe extraordinaire. Mais le roi ne veut pas faire marche arrière ; il se dérobe au conseil d’Isaïe par un argument de fausse piété : il ne faut pas tenter le Seigneur, dit-il, en lui demandant un signe.

La promesse de l’Emmanuel

Dans ce cas, répond le prophète, Dieu fournira son propre signe aux incrédules, puisque c’est le Seigneur lui-même qui propose son signe : «la jeune femme», la reine, femme d’Acaz, est enceinte. Le fils qui naîtra s’appellera *Emmanuel, car on verra que «Dieu est avec nous». Sa nourriture sera le lait et le miel, signe d’abondance et de paix pastorale. Il aura le discernement qui manque à Acaz, son père. Et avant même qu’il ait atteint l’âge de raison, l’Assyrie aura châtié Damas et Samarie. Pour nous, la promesse de l’Emmanuel trouvera tout son sens dans la venue de Jésus, né de la Vierge Marie.

* L’Emmanuel (en hébreu Immanou-El = «Avec nous Dieu») rendrait Dieu présent «avec nous» par ses qualités. Ainsi naquit Ézékias, fils et successeur d’Acaz ; mais il fut un souverain décevant. Pourtant, la Bible conserva l’oracle de l’Emmanuel. Si aucun roi, dans l’histoire, ne réalisait l’idéal annoncé par Isaïe, pensait-on, on devait encore attendre avec confiance celui qui serait le vrai Messie. Puis les Juifs d’Alexandrie traduisirent Isaïe en grec. «Voici que la jeune femme conçoit», lisait-on en hébreu. Ce qui devint, en grec : « oici que la vierge concevra.» Cette vierge est l’Israël idéal qui donnera le Messie au monde. La Bible grecque offrait aux évangélistes un dernier chaînon pour rendre compte de la conception virginale de Jésus (cf. Matthieu 1, 22-23 ; Luc 1, 31).

Hébreux 10, 4-10 (« Je suis venu pour faire ta volonté »)

L’auteur anonyme de la Lettre aux Hébreux s’adresse à des chrétiens qui fondaient trop leur foi sur le culte du Temple de Jérusalem ; il leur montre que la venue du Christ doit changer notre lecture de l’Ancien Testament. Dans ce passage, il raisonne ainsi, sur trois plans.

1) Selon notre auteur, dans le Psaume 39 [40], c’est le Christ qui, prophétiquement, parle par avance. Il dit que Dieu n’attend pas de lui, pour montrer la fidélité de sa mission terrestre, des sacrifices matériels, mais l’offrande de son corps, de toute sa personne, en totale obéissance à sa volonté : «Me voici, je suis venu pour faire ta volonté.» Dans ces quelques mots se résument le mystère et le sacrifice de la Croix, aboutissement de l’Incarnation.

2) L’auteur précise alors : les sacrifices du Temple de Jérusalem étaient prescrits par la Loi de Moïse. Or, avec la venue du Christ, Dieu «n’en a plus voulu». C’est donc qu’un nouveau culte, l’offrande de soi du Christ, remplace l’ancien.

3) De fait, par cette volonté de Dieu accomplie jusqu’au bout, par le don de soi du Christ en sa Passion, nous sommes «sanctifiés», c’est-à-dire de nouveau en relation vraie avec Dieu – et cela «une fois pour toutes», alors qu’avant, à Jérusalem, il fallait refaire chaque année les mêmes sacrifices pour obtenir le pardon divin, la restauration de bonnes relations avec lui.

Ainsi, l’Incarnation annoncée à Marie (évangile) inaugure la route du *sacrifice de la Croix qui aboutit à notre rédemption. Dieu n’attend plus que nous lui offrions «des choses», mais que nous nous offrions sans cesse à son vouloir, à la suite d’un Christ «frère des hommes».

* Le sacrifice de la Croix. « En souffrant pour nous, [le Fils de Dieu] ne nous a pas seulement donné l’exemple, afin que nous marchions sur ses pas, mais il a ouvert une route nouvelle : si nous la suivons, la vie et la mort deviennent saintes et acquièrent un sens nouveau (Vatican II, Gaudium et Spes, n° 22).

 

Luc 1, 26-38 (Marie comblée par Dieu)

Pour présenter *l’incarnation du Messie et la mission de sa Mère, Luc utilise le schéma biblique des récits d’Annonciation (voir le même schéma dans l’Annonciation à Joseph, ci-dessus, le 19 mars). On en repère aisément les éléments principaux :

Manifestation du messager de Dieu.

L’ange Gabriel s’est présenté à Zacharie (Luc 1, 11.19). La seconde Annonciation, à Marie, ne se situe plus dans le Temple illustre de Jérusalem, mais dans un lieu retiré, en Galilée. Jésus sera le Messie des humbles, le Galiléen. Luc présente Marie comme une vierge (cf. 1ere lecture) et comme accordée en mariage à «un homme de la maison de David», la famille dont doit naître le Messie. Selon la coutume, un temps notable s’écoulait entre la conclusion du mariage et l’installation de l’épouse chez son époux. L’ange salue Marie en lui donnant pour nom «Comblée de grâce», un titre dans lequel la Tradition catholique voit le signe de sa conception immaculée. «Le Seigneur est avec toi» : cette formule, dans maints récits de vocation (Moïse, Exode 3, 12 ; Gédéon, Juges 6, 12), signifie que Dieu confie une mission à quelqu’un et lui apporte son soutien.

Réaction de Marie.

Zacharie était saisi de crainte (Luc 1, 12). Le bouleversement de Marie tient simplement à une interrogation sur ce que Dieu attend d’elle. Luc signale la non-foi de Zacharie (Luc 1, 20) et la foi de Marie (1, 45). Mais il serait vain de chercher les indices de ce contraste : le récit n’en livre aucun.

Le message de l’ange.

Voici en quoi Marie est «comblée de grâce» : Dieu la charge d’enfanter le Messie. Car l’ange assemble, dans son annonce, une mosaïque d’expressions qui renvoient notamment à la prophétie de l’Emmanuel : «Voici que la vierge enfantera et concevra un fils» (Isaïe 7, 14, selon la Bible grecque ; voir aussi Isaïe 9, 6). Le messager céleste s’exprime selon les clichés de l’Ancien Testament, même si, en profondeur, «le règne qui n’aura pas de fin» évoque déjà le règne du Christ ressuscité (Actes 2, 29-36).

Objection, réponse et don d’un signe.

Si Marie connaît, imaginons-le, les merveilleuses naissances de la Bible, comme celle d’Isaac (voir Genèse 17). Si elle sait que sa mission s’impose, son actuelle virginité n’est-elle pas un obstacle insurmontable au projet divin ? L’objection de l’élue permet à l’ange Gabriel d’approfondir, pour nous lecteurs, le mystère du Messie : nouvelle Ève, Marie enfantera le Vivant (Luc 24, 5) par un acte de l’Esprit qui présidait à la première création (Genèse 1, 2). La puissance de Dieu investira Marie, telle la nuée du désert «prenant sous son ombre» la Demeure de Dieu (Exode 40, 35). Et puisque l’Esprit créateur est «saint», l’enfant sera «Saint», consacré. Cet adjectif, chez les premiers chrétiens, est un des titres les plus anciens du Messie (cf. Luc 4, 34 ; Actes 3, 14).

Déjà – tel est le signe donné par l’ange et que Marie vérifiera par la bouche de sa cousine –, Dieu a réalisé pour Élisabeth, stérile et âgée, ce qu’il avait accompli pour Sara (cf. Genèse 18, 14). Marie croit-elle que Dieu peut faire plus encore, et introduire son Fils, grâce à elle, par une création qui enracine Jésus en «Adam, fils de Dieu» (Luc 3, 38) ?

La foi de Marie

Oui, selon le récit de Luc, elle le croit ! Elle est la figure de l’Église chargée d’enfanter son Sauveur au monde d’aujourd’hui. Elle est le modèle de tout croyant qui se fait serviteur de la parole du Seigneur, qui sait que «rien n’est impossible à Dieu».

* L’incarnation. «Parce que [dans le Christ] la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché» (Vatican II, Gaudium et Spes, n° 22).